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DOSSIER: SCT-7002-11

RÉFÉRENCE: 2012 TRPC 3

DATE: 20120704

TRADUCTION OFFICIELLE

 

TRIBUNALL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE OSOYOOS

Revendicatrice

 

Hannah McDonald et Graham Allen, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Brian McLaughlin et Shelan Miller, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Le 30-31 mai 2012

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade


I.  introduction

[1]  La présente revendication découle de la prise, pour l’usage d’un chemin de fer, d’un intérêt sur une parcelle de terrain de 3,97 acres dans la réserve indienne Osoyoos n° 1.

[2]  En 1877, la commission mixte des réserves indiennes a attribué la réserve par procès-verbal de décision. Le 30 novembre 1922, la Compagnie du chemin de fer de Kettle Valley (KVR) a acquis son intérêt par délivrance de lettres patentes. Le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP), la société-mère de KVR, a par la suite acquis cet intérêt.

[3]  Le 21 juin 1978, le Comité des transports par chemin de fer fédéral a ordonné l’abandon de la ligne dont une partie traversait la parcelle de 3,97 acres située dans la réserve (l’emprise).

[4]  Le 30 septembre 1987, le  ministère des Affaires indiennes (MAI) a répondu par la négative à la bande d’Osoyoos, qui lui avait demandé de faire le nécessaire pour lui permettre à nouveau de posséder et d’utiliser l’emprise à titre de réserve assujettie à la Loi sur les Indiens.

[5]  Le 17 août 2005, la bande a présenté une revendication particulière au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en application de la politique fédérale sur les revendications particulières. La bande faisait valoir dans sa revendication que la Couronne avait manqué à ses obligations fiduciaires en ne veillant pas à ce que l’emprise, anciennement détenue par KVR, retourne à la Couronne fédérale, au profit de la bande, une fois la ligne de chemin de fer abandonnée. 

[6]  Le 16 février 2011, un fonctionnaire de la Couronne a informé la bande officiellement que le gouvernement du Canada estimait qu’aucune obligation juridique n’avait cours à laquelle il aurait été assujetti.

[7]  Le 29 juillet 2011, la déclaration de revendication a été déposée au greffe du Tribunal des revendications particulières. La réponse a pour sa part été déposée le 27 septembre 2011.

[8]  Le 7 décembre 2011, des avis ont été signifiés au CFCP et au PG de la C-B en application de l’article 22 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, mais ni l’un ni l’autre n’a demandé qu’on lui accorde la qualité d’intervenant.

[9]  Les parties ont consenti à l’instruction en deux étapes de la présente revendication. L’objet de la première étape est d’établir si la Couronne manque à l’une de ses obligations juridiques envers la bande, la question de l’indemnisation donnant lieu, dans l’affirmative, à une deuxième audience.

[10]  L’audience portant sur la question de la responsabilité s’est déroulée à Vancouver, les 30 et 31 mai 2012.

II.  historique

A.  Attribution de la réserve indienne Osoyoos no 1

[11]  Aux termes de l’article 13 des Conditions de l’Union en vertu desquelles la Colombie-Britannique est entrée dans la Confédération en 1871, la Colombie-Britannique devait céder des terres au Canada « au nom et pour le bénéfice des Sauvages », c. à d. des terres destinées à devenir des réserves.

[12]  En 1876, le Canada et la Colombie-Britannique ont mis sur pied la commission mixte des réserves indiennes, qui avait pour mandat d’attribuer des terres, à titre de réserves, à l’usage des nations autochtones. Par procès-verbal de décision daté de novembre 1877, la commission a attribué la réserve indienne Osoyoos n° 1 à la bande indienne d’Osoyoos.

[13]  Selon un levé effectué en 1889, la superficie des terres attribuées à titre de réserve indienne Osoyoos n° 1 était de 32 097 acres. C’est aussi de cette superficie que font état les Schedules of Indian Reserves in the Dominion (répertoires des réserves indiennes dans le Dominion) de 1902 et de 1913.

[14]  En raison de nombreux différends qui opposaient alors le Canada et la Colombie Britannique, celle-ci n’a cédé au Canada qu’en 1938 la plupart des terres destinées à être des réserves dans la province, y compris les terres pour la réserve indienne Osoyoos n° 1. Désormais désignées des « réserves provisoires », les réserves étaient néanmoins administrées par la Couronne fédérale comme s’il s’était agi de réserves au sens de la Loi sur les Indiens constituées en bonne et due forme.

B.  Compagnie du chemin de fer de Kettle Valley

[15]  KVR a été constituée en vertu d’une loi fédérale en 1901, les « activités » déclarées de la société consistant en des ouvrages à l’avantage général du Canada.

[16]  En 1911, KVR a été autorisée à construire un embranchement ferroviaire devant relier Penticton et un point situé sur la frontière canado-américaine, sur la rive du lac Osoyoos ou près de celle-ci (l’embranchement Osoyoos).

C.  Emprise

[17]  En 1921, KVR a demandé au MAI qu’un droit du passage traversant la réserve lui soit accordé en vue de la construction d’une partie de l’embranchement Osoyoos.

[18]  En novembre 1921, l’agent des Indiens Ball a relevé que les membres de la bande d’Osoyoos n’avaient jamais utilisé la partie de la réserve entourant le droit de passage demandé, sauf pour aller pêcher au bord de l’eau. Selon ses dires, on ne s’opposait pas non plus au droit de passage [traduction] « […] parmi les Indiens de la bande d’Osoyoos autant qu[’il pouvait] en juger après avoir interrogé la majorité d’entre eux (les autres étant à la chasse) ».

[19]  Plusieurs jours plus tard, le secrétaire du MAI a enjoint à l’agent Ball de présenter une évaluation des terres requises aux fins du droit de passage (l’emprise), en ajoutant ceci : [traduction] […] « [L]’article 46 de la Loi des Sauvages [nom donné à la Loi sur les Indiens à l’époque] nous permet de prendre ces terres mais, autant que possible, il est souhaitable que vous obteniez l’approbation par les Indiens des évaluations que vous recommandez. »

[20]  L’agent Ball a fait savoir en janvier 1922 que, selon son évaluation, l’emprise valait 880 $ (780 $ pour les terres – 3,9 acres à 200 $ l’acre – et 100 $ pour le délaissement). Il a également donné l’explication suivante :

[traduction]

Mon évaluation visant la réserve n° 1 repose sur les mêmes montants que ceux versés aux propriétaires de terrains de même catégorie, d’un côté ou de l’autre de la frontière de la réserve. Comme en outre il s’agit d’une petite partie de la réserve le long de la rivière Okanagan, les Indiens ne l’ont jamais utilisée, sauf peut-être pour pêcher, et l’emprise ne portera pas atteinte à leurs droits de pêche.

[21]  L’agent Ball a aussi informé son supérieur que la bande d’Osoyoos avait approuvé l’évaluation faite de l’emprise lors d’une réunion tenue le 4 janvier 1922.

[22]  En septembre 1922, le MAI a confirmé que l’emprise avait été évaluée à 894 $, soit 200 $ l’acre de terrain plus 100 $ pour le délaissement. KVR a versé au MAI le prix d’achat, que la Couronne fédérale a détenu en fiducie, à l’usage et au bénéfice de la bande.

[23]  Par le décret du Dominion du Canada n° 2317, daté du 22 novembre 1922, le gouvernement fédéral a autorisé [traduction] « […] la vente à la Compagnie du chemin de fer de Kettle Valley, pour les besoins d’une emprise, de l’intérêt des Indiens sur les 12,968 acres décrites ci-haut des réserves indiennes Osoyoos nos 1 et 2 ». Parmi les 12,968 acres mentionnées dans le décret n° 2317, il y avait [traduction] « la totalité de la parcelle de terrain située dans la réserve indienne Osoyoos n° 1 […] d’une superficie d’environ 3,97 acres ».

[24]  On prévoit dans les lettres patentes délivrées le 30 novembre 1922 qu’en contrepartie de la somme de 894 $ versée par KVR, la Couronne fédérale [traduction] « a accordé, cédé et procuré [l’emprise] à perpétuité à ladite Compagnie du chemin de fer de Kettle Valley, à toute compagnie pouvant la remplacer et à ses ayants droit ».

D.  Création de la réserve indienne Osoyoos no1

[25]  Par le décret provincial n° 1036, daté du 29 juillet 1938, la Couronne du chef de la Colombie-Britannique a cédé à la Couronne fédérale divers terrains, décrits dans une annexe, [traduction] « en fiducie au profit et à l’usage des Indiens de la province de la Colombie-Britannique ». La réserve indienne Osoyoos n° 1, décrite comme ayant une superficie de 32 097 acres, figurait dans cette annexe.

[26]  Un document du MAI intitulé Schedule of Indian Reserves in the Dominion of Canada (répertoire des réserves indiennes dans le Dominion du Canada) et dit être [traduction] « recompilé et corrigé en date du 31 mars 1943 » compte les inscriptions suivantes relativement à la réserve indienne Osoyoos n° 1 :

[traduction]

32073.710  Attribué par la commission mixte

32070.366  des réserves, 21 novembre 1877

32067.756   Arpentage primitif 1889. Plan n° 232 ……….. 32 097,00

32011.666   Réarpentage frontière sud 1927. Carnet de terrain 986. Titre, décret provincial n° 1036, 29 juillet 0938 ………………. 32 097,00

À CFCP, emprise, Kettle Valley Br. Plan R.R. 1979. Décret du Dominion C.P. 2317, 7 novembre 1922. Lettres patentes du Dominion n° 19940 ………. 3,97

E.  Abandon de l’exploitation et disposition de l’emprise

[27]  En 1956, en vertu de la Canadian Pacific Subsidiaries Act, S.B.C. 1956, ch. 54, et de la Loi de 1956 sur la Compagnie de chemin de fer du Pacifique-Canadien (Filiales), S.C. 1956, ch. 55, les entreprises et les actifs ferroviaires et autres de KVR, y compris l’embranchement Osoyoos, ont été dévolus au CFCP.

[28]  En 1977, le CFCP a demandé au Comité des transports par chemin de fer, en application de l’article 253 de la Loi sur les chemins de fer, d’ordonner l’abandon de l’exploitation d’une partie de l’embranchement Osoyoos, qui comprenait l’emprise. En 1978, après une audience tenue à Penticton, le Comité des transports par chemin de fer a ordonné au CFCP d’abandonner l’exploitation de l’embranchement Osoyoos et de l’informer lorsqu’il aurait enlevé les voies et les autres installations se trouvant le long de cette partie de la ligne. On ne traitait aucunement dans l’ordonnance de la disposition, après l’abandon de l’exploitation, des terrains où était situé l’embranchement Osoyoos.

[29]  En juin 1981, la bande indienne d’Osoyoos a demandé par écrit au MAI de lui transmettre toutes les données concernant l’emprise, et d’examiner s’il était possible de recouvrer les terres constituant l’emprise. En réponse, le MAI a transmis à la bande une copie des lettres patentes de 1922.

[30]  En novembre 1986, la bande indienne d’Osoyoos a écrit au CFCP pour demander que le terrain soit [traduction] « rétrocédé à la bande d’Osoyoos ».

[31]  Par lettre datée du 20 janvier 1987, le CFCP a répondu que, comme en attestait le titre, l’emprise avait été acquise par concession de la Couronne, à sa juste valeur marchande et sans qu’aucun intérêt réversif n’ait été inscrit à son égard. Le CFCP faisait également savoir que des négociations étaient engagées avec la province de la Colombie Britannique au sujet de la disposition du terrain.

[32]  Le 29 janvier 1987, la bande indienne d’Osoyoos a avisé le MAI que la Colombie-Britannique était en train d’acquérir le terrain et elle lui demandait de [traduction] « faire le nécessaire pour que ces terres aient de nouveau le statut de terres de réserve ».

[33]  Le MAI a d’abord écrit que le ministère de la Justice avait reçu comme directive d’intenter une action. Par lettre datée du 30 septembre 1987, toutefois, le MAI a informé la bande indienne d’Osoyoos qu’il ne lancerait aucune poursuite en vue d’acquérir le terrain du CFCP, et il l’encourageait à obtenir un avis juridique et à [traduction] « prendre toute action qui pourrait être requise ».

[34]  Le 15 novembre 1989, le CFCP aurait transféré à la Colombie-Britannique un intérêt en fief simple sur l’embranchement abandonné, ce qui comprenait l’emprise. Le 5 février 1990, le transfert a ensuite été inscrit au bureau d’enregistrement des titres fonciers provincial.

[35]  En février 2005, la province de la Colombie-Britannique a informé la bande qu’elle était prête à envisager de lui vendre l’emprise à sa juste valeur marchande.

III.  positions des parties

A.  Positon de la revendication

[36]  La position de la bande, essentiellement, c’est que la société ferroviaire a acquis un intérêt limité sur l’emprise. La bande soutient que l’intérêt de la Couronne fédérale, parfait par la cession faite par la Colombie-Britannique au Canada en 1938, soit est toujours demeuré intact, soit a été rétabli lors de l’abandon de l’exploitation de la ligne en 1978. Il s’ensuivrait l’obligation de la Couronne envers la bande de faire valoir son intérêt sur le terrain et de le détenir au profit et à l’usage de la bande à titre de réserve.

[37]  La bande soutient que la Couronne a manqué des quatre manières suivantes à son obligation fiduciaire :

  1. Si KVR a acquis sur l’emprise un intérêt absolu, sans droit réversif, le Canada a manqué à son obligation en ne s’assurant pas que l’octroi fait à la société ferroviaire prévoie expressément la réversion au profit et à l’usage de la bande lorsque le terrain ne serait plus requis pour l’usage d’un chemin de fer.

  2. S’il était établi que le répertoire des réserves indiennes dans le Dominion du Canada atteste d’un ajustement visant les 32,097 acres transférées par le décret 1036 du 29 juillet 1938 et ayant comme conséquence, au plan juridique, que l’emprise ne soit pas située sur la réserve, la Couronne a manqué à son obligation de préserver et de protéger les intérêts de la bande.

  3. Le Canada a manqué à son obligation juridique envers la bande en n’assistant pas à l’audience du 14 décembre 1977 du Comité des transports par chemin de fer, au cours de laquelle on a examiné la demande faite par la société ferroviaire d’abandonner la ligne de chemin de fer, puis en ne prenant aucune mesure pour protéger les intérêts de la bande.

  4. La Couronne a manqué à ses obligations juridiques en faisant défaut, le 9 février 2005 et par la suite, d’acquérir l’emprise au profit et à l’usage de la bande après que la Colombie-Britannique eut exprimé sa volonté de la vendre à sa juste valeur marchande.

B.  Position de la Couronne

[38]  La position de la Couronne est la suivante :

  1. Le Canada s’est acquitté de toute obligation dont il pouvait être redevable envers la bande au moment de l’acquisition par KVR de son intérêt lorsque la Couronne fédérale a obtenu au profit de la bande, avec le consentement de celle-ci, la juste valeur marchande de l’emprise, calculée en fonction de la valeur d’un intérêt en fief simple.

  2. L’emprise n’est pas devenue une partie de la réserve indienne Osoyoos n° 1 lors de la cession en 1938 de la Colombie-Britannique au Canada, par le décret 1036, des terres provisoirement réservées, la vente en 1922 d’un intérêt en fief simple à la société ferroviaire permettant de constater, aux fins de la cession par la province en 1938, la volonté de la Couronne que l’emprise ne soit pas incluse dans la réserve.

  3. Bien qu’on puisse soutenir que, par effet de l’ordonnance du Comité des transports par chemin de fer prévoyant l’abandon de la ligne, l’emprise a été dévolue à la Couronne fédérale, des contestations judiciaires seraient requises pour trancher cette question. Mais cette question est purement théorique, en tout état de cause, car tout intérêt qu’ait pu avoir la bande a fait l’objet d’un échange moyennant contrepartie à titre onéreux et valable.

  4. On ne peut faire valoir devant le Tribunal des revendications particulières la revendication fondée sur l’aptitude de la Couronne à acquérir l’intérêt de la province sur l’emprise en février 2005 ou par la suite. En vertu de l’alinéa 15(1)a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, on ne peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur des événements survenus au cours des quinze années précédant la date de son dépôt auprès du ministre.

IV.  questions en litige

[39]  Les questions fondamentales à examiner pour établir si la Couronne a manqué à une obligation juridique envers la bande sont les suivantes :

  1. Quel intérêt, le cas échéant, KVR a-t-elle acquis en 1922?

  2. La promulgation du décret 1036 de 1938 a-t-elle pleinement constitué en réserve au sens de la Loi sur les Indiens la réserve indienne d’Okanagan n° 1?

  3. L’emprise était-elle visée par le transfert au Canada du titre sur la réserve?

  4. Quelle a été la conséquence juridique pour l’intérêt de la Couronne et la bande d’Osoyoos de l’abandon de la ligne de chemin de fer?

  5. Le recours aux tribunaux est-il requis pour établir l’intérêt de la bande?

  6. La Couronne a-t-elle manqué à son obligation envers la bande?

  7. La bande d’Osoyoos a-t-elle le droit en tout état de cause d’obtenir réparation en equity?

V.  analyse et conclusions

A.  Questions préliminaires

1.  Force probante des rapports de la Commission des revendications particulières des Indiens (CRPI)

[40]  La bande a produit les rapports suivants de la CRPI :

  • Commission des revendications des Indiens, Enquête sur la revendication de la bande de Sumas (Ottawa : février 1995). [Extraits seulement.]

  • Commission des revendications des Indiens, Bande indienne de Lower Similkameen : Enquête sur le droit de passage consenti à la Victoria, Vancouver and Eastern Railway (Ottawa : février 2008). [Résumé et extraits seulement.]

  • Commission des revendications des Indiens, Première Nation de Nadleh Whut’en : Enquête sur l’école Lejac (Ottawa : décembre 2008). [Pages 1 à 38.]

[41]  La bande soutient que le Tribunal devrait reconnaître une importante valeur probante à ces rapports. Pendant l’audience, la bande a précisé sa position sur l’utilisation des rapports. Elle a insisté pour que le Tribunal souscrive à l’analyse faite par la CRPI à l’égard de revendications semblables en vue de décider des questions communes soulevées dans le cadre de la présente revendication.

[42]  Mon analyse et mes conclusions exposées ci-après ne sont pas fondées sur le contenu des rapports de la CRPI.

2.  Admissibilité de la preuve documentaire

[43]  La bande renvoie dans ses observations à divers documents qui ne figurent pas dans le dossier conjoint de documents, ou à l’égard desquels le Canada revendiquerait un privilège de non-divulgation. Il n’est pas nécessaire de statuer sur la question du privilège parce que le Tribunal n’est pas saisi des documents concernés. Il ne peut être fait renvoi dans mes conclusions à quelque document que ce soit qui n’a pas été produit en preuve ou qui fait l’unanimité, au vu des faits reconnus par les deux parties dans leurs exposés des faits respectifs.

3.  Validité de l’octroi à KVR

[44]  La bande ne fait pas valoir dans sa revendication l’invalidité de l’octroi fait à KVR en 1922. L’avocate de la bande y a toutefois fait allusion lorsqu’elle a traité de l’effet des octrois consentis dans le cadre de l’administration de facto des réserves par le gouvernement fédéral avant le transfert de titre, en 1938, de la province au Canada. Bien que cette question n’ait pas à être réglée pour les besoins de la revendication, on l’a néanmoins examinée afin d’appuyer la décision sur une analyse exhaustive des effets juridiques de l’octroi de 1922.

B.  Quel intérêt, le cas échéant, KVR a-t-elle acquis en 1922?

1.  Une société ferroviaire de régime fédéral pouvait-elle acquérir un intérêt sur des terres de la Couronne provinciale?

[45]  Au moment où KVR a acquis son intérêt, c’est la province qui détenait le titre sur la réserve (provisoire) (Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245).

[46]  KVR a été constituée en société en 1901 (Acte à l’effet de constituer en corporation la Compagnie du chemin de fer de la Vallée de la rivière Chaudière), 1 Edward VII, ch. 68).

[47]  Dans la décision Canada (Attorney General) c. Canadian Pacific Ltd. (2002), 79 B.C.L.R. (3d) 62 (C.S.), la juge Saunders (maintenant juge à la Cour d’appel) a fait remarquer ce qui suit :

[traduction] Historiquement, au Canada, les sociétés ferroviaires de régime fédéral ont été assujetties à diverses versions de la Loi sur les chemins de fer […] (Paragraphe 24.)

[48]  Une question centrale en litige dans la décision Canadian Pacific était de savoir si la Loi des chemins de fer de 1927 tenait lieu de fondement législatif à la prise de terres dans une réserve. Comme en l’espèce, l’affaire avait trait à la prise de terres attribuées comme terres de réserve tandis que la province de la Colombie-Britannique demeurait détentrice du titre. Le Canadien Pacifique a cessé d’utiliser les terres en cause à des fins ferroviaires après que le titre eut été transféré au Canada.

[49]  La juge Saunders a rejeté la prétention du Canadien Pacifique selon laquelle il avait acquis les terres en vertu de l’Acte du chemin de fer canadien du Pacifique ou du contrat du Canadien Pacifique, et elle a conclu que [traduction] « la source de tout droit du CFCP sur les terres c’est la Loi des chemins de fer » (paragraphe 150).

[50]  Aux paragraphes 145 et 146, la juge Saunders a examiné le paragraphe 189 de la Loi des chemins de fer de 1927, qui commence comme suit :

Nulle compagnie ne peut s’approprier, utiliser ou occuper des terres qui appartiennent à la Couronne, sans le consentement du gouverneur en son conseil.

La juge a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

[…] L’expression « la Couronne » a été interprétée de manière à inclure la Couronne provinciale (British Columbia (Attorney General) c. Canadian Pacific Railway, [1906] A.C. 204 (C.J.C.P. Canada); Mitchell c. Bande indienne peguis, précité, à la page 105). De même, l’expression « Sa Majesté » s’entend tant de la Couronne fédérale que provinciale. (Paragraphe 46.)

[51]  La décision Canadian Pacific fait autorité quant à l’application de l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927 aux terres dévolues à une province. La Loi des chemins de fer, 1919 était en vigueur lorsque KVR a acquis un intérêt sur la réserve indienne d’Okanagan n° 1, alors une réserve provisoire.

[52]  Les conclusions précédemment mentionnées sont d’application directe dans la présente affaire. Le 22 novembre 1922, soit la date à laquelle la Couronne fédérale a octroyé à KVR un intérêt sur l’emprise, le titre de propriété sur celle-ci appartenait toujours à la Couronne provinciale. Cela ressort clairement de l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, précité. Au vu de la preuve en l’espèce, c’est par le même instrument que celui examiné dans Wewaykum, soit le décret 1036 du 29 juillet 1938, qu’a été opéré le transfert de l’intérêt propriétal sur la réserve indienne d’Okanagan n° 1.

[53]  Dans Wewaykum, le juge Binnie a traité comme suit du rôle joué par le MAI avant 1938 relativement aux terres attribuées comme terres de réserve :

[…] Bien que le ministère des Affaires indiennes considérât que les « réserves » de Colombie Britannique existaient déjà avant la prise de ces textes officiels, il régna beaucoup de confusion au début de la Confédération au sujet de la nature précise de la compétence fédérale prévue au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.  Ce n’est que lorsque le Comité judiciaire du Conseil privé a rendu l’arrêt St. Catherine’s Milling and Lumber Co. c. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46, qu’il a été établi clairement que le par. 91(24) avait pour effet de conférer au Dominion uniquement [traduction] « le droit d’exercer des pouvoirs de nature législative et administrative à l’égard des terres visées — alors que la propriété de celles-ci était dévolue à la Couronne pour le bénéfice de la province et relevait de l’autorité législative de cette dernière » […] (Paragraphe 51.)

[54]  Si la Couronne fédérale n’avait pas le pouvoir avant 1938 d’octroyer un intérêt sur des terres de réserve, tout doute quant à la validité de l’octroi de 1922 à KVR aurait été tranché par le transfert du titre au Canada en 1938.

2.  Quel intérêt KVR a-t-elle acquis en 1922?

[55]  La Couronne soutient que l’octroi de 1922 en faveur de KVR dénotait l’intention de la Couronne fédérale que l’emprise soit exclue du transfert du titre de propriété sur la réserve indienne Osoyoos n° 1 par le décret 1036 de 1938. Au soutien de cette prétention, elle fait valoir que KVR a versé un montant correspondant à celui d’un intérêt en fief simple, et renvoie à l’annexe de 1943 où figuraient les notations suivantes :

[traduction]

  1. « À CFCP, emprise, Kettle Valley Br. Plan R.R. 1979. Décret du Dominion C.P. 2317, 7 novembre 1922. Lettres patentes du Dominion n° 19940 ……………………….. 3,97 »

  2. la mention dans l’annexe de 1943, immédiatement à gauche de la description selon la superficie des terres de réserve arpentées en novembre 1877, et arpentées de nouveau pour les besoins du décret 1036 du 29 juillet 1938 (dans les deux cas 32 097 acres), de ce qui semble être une superficie différente, soit32 073,710 acres.

[56]  La Couronne se fonde principalement sur les termes précis de l’octroi de 1922 à KVR et sur la valeur estimée par l’agent Ball du terrain. L’octroi est dit être [traduction] « absolu » et « à perpétuité ».

[57]  Le décret fédéral (C.P. 2317) ayant autorisé l’octroi d’un intérêt à KVR fait état de la « vente » de « l’intérêt des Indiens ».

[traduction]

Le Comité du Conseil privé a eu à sa disposition un rapport soumis par le surintendant général des affaires des Indiens, en date du 27 octobre 1922, et faisant état du fait que la Compagnie du chemin de fer de Kettle Valley a demandé au ministère des Affaires indiennes l’obtention d’une emprise devant comprendre la totalité de la parcelle de terrain située dans la réserve indienne Osoyoos n° 1, dans la division de Smilkaneen du district de Yale, dans la province de la Colombie-Britannique et le Dominion du Canada, d’une superficie d’environ 3,97 acres, ladite emprise figurant dans un plan d’arpentage […]

Le ministre recommande par conséquent qu’en vertu des dispositions de l’article 46 de la Loi des Sauvages, modifié par l’article 1 du chapitre 14, 1-2 George V, soit autorisée la vente à la Compagnie du chemin de fer de Kettle Valley, pour les besoins d’une emprise, de l’intérêt des Indiens sur les 12,968 acres décrites ci-haut des réserves indiennes Osoyoos nos 1 et 2.

[Non souligné dans l’original.]

[58]  Les 12,968 acres mentionnées dans le dernier paragraphe comprennent les 3,97 acres qui constituent l’emprise.

[59]  Pour leur part, les lettres patentes du 30 novembre 1922 renferment les mots suivants : [traduction] « […] l’achat à titre absolu et pour le prix de 894 $ […] pour avoir et posséder ladite parcelle […] à perpétuité à ladite Compagnie du chemin de fer de Kettle Valley, à toute compagnie pouvant la remplacer et à ses ayants droit […] »

[60]  Quant au prix payé, l’agent Ball avait été chargé par ses supérieurs de faire évaluer l’emprise. Dans sa lettre du 1er novembre 1921 adressée au sous-ministre adjoint et secrétaire du MAI, à Ottawa, l’agent Ball décrivait l’emprise et, quant à sa valeur, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « [C]ela vaut probablement 200 $ l’acre, car, selon ce qu’on m’a dit, des terres adjacentes ont déjà été achetées à ce prix. Je n’ai encore procédé à aucune évaluation relativement à la réserve n° 2. La ligne de chemin de fer est censée être terminée à temps pour les activités agricoles de l’année prochaine […] »

[61]  Dans sa lettre du 19 janvier 1922 au sous-ministre adjoint et secrétaire, l’agent Ball a de nouveau mentionné le montant de 200 $ l’acre : [traduction] « […] Mon évaluation visant la réserve n° 1 repose sur les mêmes montants que ceux versés aux propriétaires de terrains de même catégorie dans une petite partie de la réserve séparée de la réserve principale par la rivière Okanagan […] »

[62]  Une fois encore, je vais renvoyer à la décision Canadian Pacific de la juge Saunders. Dans cette affaire, les lettres patentes octroyées à la CFCP étaient libellées, à tous égards importants, de manière identique aux lettres patentes octroyées à KVR relativement à l’emprise :

[traduction]

Par lettre datée du 18 avril 1928, le Canada a transmis pour approbation la description proposée des terres octroyées au CFCP. Par lettres patentes délivrées le 22 mai 1928, le Canada a transféré au CFCP le terrain de 3,62 acres maintenant désigné le lot J. Les lettres patentes prévoyaient ce qui suit :

ATTENDU QUE les terres décrites ci-après font partie et sont une parcelle des terres réservées à l’usage des Indiens de False Creek ET ATTENDU QUE NOUS avons jugé à propos d’autoriser la vente et la disposition des terres ci-après mentionnées, le produit de la vente devant servir au profit et au soutien desdits Indiens […]  ET ATTENDU QUE le Chemin de fer Canadien Pacifique a accepté et passé un contrat avec notre surintendant général des affaires des Indiens, que Nous avons dûment autorisé à cette fin, en vue de l’achat à titre absolu au prix de sept cent vingt-quatre dollars […] par les présentes, Nous octroyons, vendons, cédons et procurons à perpétuité audit Chemin de fer Canadien Pacifique, à toute compagnie pouvant le remplacer et à ses ayants droit, toute la parcelle ou étendue de terrain […]

[63]  Dans l’affaire Canadian Pacific, aucune preuve ne permet d’établir un lien entre le prix payé et l’intérêt en fief ou un intérêt inférieur (Canadian Pacific, aux paragraphes 131 et 132). Quant au prix payé par KVR, il appert de la correspondance de l’agent Ball que ce dernier a appliqué une valeur à l’acre égale au prix payé pour la prise de terres agricoles adjacentes pour l’emprise de KVR. L’avocat de la Couronne a d’ailleurs reconnu que cette inférence était raisonnable à la lumière de la preuve documentaire. En toute déférence, je crois qu’il s’agit d’une forte inférence et je tiens donc pour avéré que le montant payé par KVR reflétait la valeur à l’acre des terres agricoles adjacentes prises pour les besoins du chemin de fer.

[64]  Dans la présente affaire, le décret (C.P. 2317), pris en vertu des dispositions de l’article 46 de la Loi des Sauvages, visait à autoriser « […] la vente [] de l’intérêt des Indiens [...] ».

[65]  L’article 46 de la Loi des Sauvages, S.C. 1906, modifiée par S.C. 1911, ch. 14, prévoit :

Sa Majesté, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes du Canada, décrète :

Est abrogé le paragraphe premier de l’article 46 de la Loi des Sauvages, chapitre 81 des Statuts révisés, 1906, et remplacé par le suivant :

« 46. Nulle partie d’une réserve ne doit être prise pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du Gouverneur en conseil, mais toute compagnie ou toute autorité municipale ou provinciale possédant le pouvoir statutaire, soit fédéral soit provincial, de prendre et d’utiliser des terres ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du Gouverneur en conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir statutaire à l’égard de toute réserve ou partie d’une réserve, et dans tout pareil cas une indemnité doit être versée aux sauvages de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et la prise des terres ou d’un intérêt dans des terres, ainsi que la détermination et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté du conseil qui fait preuve du consentement du Gouverneur en conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou provinciale dans des cas ordinaires. » [Non souligné dans l’original.]

[66]  Cette disposition de la Loi des Sauvages doit être lue à la lumière du pouvoir conféré par la loi à l’entité cherchant à prendre ou à utiliser des terres de réserve.

[67]  L’article 189 de la Loi des chemins de fer, 1919 est rédigé en ces termes :

(1) Nulle compagnie ne peut s’approprier, utiliser ou occuper des terres qui appartiennent à la Couronne, sans le consentement du Gouverneur en conseil.

[...]

(3) La compagnie ne peut pas aliéner les terres ainsi [...]

[68]  Dans la décision Canadian Pacific, la juge Saunders a ensuite conclu :

[traduction]

À mon avis, rien ne permet de conclure que le lot J n’a pas été acquis conformément à l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927. Cette disposition comporte une restriction relative au droit d’aliénation. En conséquence, je conclus que l’acquisition du lot J était frappée d’une restriction à l’aliénabilité. (Paragraphe 153.)

Par aliénation s’entend un transfert de propriété, c’est-à-dire un transfert indéfectible en fief simple : Kruger, précité, citant Masters c. Madison County Mutuals Inc. Co., 11 Barb. 624 (U.S. N.Y. 1852). Un intérêt qui interdit l’aliénation ne constitue pas un fief simple absolu : R.E. Megarry and H.W.R. Wade, The Law of Real Property, 3rd ed. (London: Stevens & Sons Ltd., 1966), à la page 79. [Non souligné dans l’original.] (Paragraphe 154.)

[69]  La décision rendue par la juge de première instance dans l’affaire Canadian Pacific, 2002 BCCA 478, a été confirmée en appel. S’exprimant au nom de la cour d’appel, le juge Esson a indiqué ceci au paragraphe 99 du jugement :

[traduction] Je partage l’avis de la juge de première instance que l’erreur et les documents en ayant découlé ne peuvent avantager le CFCP. Son pouvoir de prendre des terres était conféré par une loi interdisant la concession d’un titre qui aurait pour effet d’autoriser l’aliénation. Il s’ensuit que la concession d’un titre, dans la mesure où ladite concession outrepassait la restriction, allait au-delà des pouvoirs du gouverneur en conseil. Il en découle donc que la juge de première instance a conclu à bon droit que le lot J pris par le CFCP faisait l’objet d’une restriction à l’aliénabilité […] [Non souligné dans l’original.]

[70]  Au paragraphe 120, le juge Esson a conclu :

[traduction] […] que, dans l’affaire Kettle Valley, le juge Meredith et notre Cour ont eu raison d’affirmer que la restriction à l’aliénabilité supposait nécessairement que les terres expropriées de la Couronne retournaient à la Couronne dès qu’elles n’étaient plus utilisées par le chemin de fer, je reconnais que la législation et les politiques en place dans d’autres pays sont d’une utilité limitée. Cependant, eu égard à la mesure dans laquelle elles ont été influencées par le précédent créé au Royaume-Uni et aux États-Unis, les lois et les politiques canadiennes ont une valeur, particulièrement dans le domaine de la construction ferroviaire. J’estime donc que la décision rendue dans l’affaire Kettle Valley – à savoir que, par voie de conséquence nécessaire, les terres retourneraient à la Couronne une fois qu’elles ne seraient plus utilisées par le chemin de fer – était fondée.

[71]  Aucun fondement législatif n’existait quant à la vente de l’intérêt des Indiens dans le contexte d’une prise de terres pour l’usage d’un chemin de fer. Comme ce fut le cas dans l’affaire Canadian Pacific, cette référence est erronée.

3.  Création des réserves et Loi sur les Indiens

a)  Introduction

[72]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a affirmé que les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de cession ne s’appliquaient pas aux réserves provisoires en cause dans cette affaire. Les divers fondements de cette conclusion sont exposés au paragraphe 40 :

L’avocat de la bande de Cape Mudge affirme que la Résolution de 1907 est invalide parce qu’elle n’est pas conforme aux dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de cession, mais (i) je ne crois pas qu’on puisse qualifier de cession le règlement d’une « divergence d’opinions » entre bandes sœurs appartenant à la Première nation qui s’était vue attribuer les terres en premier lieu, (ii) les terres désignées comme étant la réserve no 11 n’étaient pas une réserve indienne au sens de la Loi sur les Indiens en 1907, elles étaient encore des terres de la Couronne provinciale, et (iii), de toute manière, l’application des dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de cession avait été suspendue (dans la mesure où elles étaient applicables) par une proclamation du Conseil privé datée du 15 décembre 1876 (Gazette du Canada, 30 décembre 1876, vol. X, no 27). [Non souligné dans l’original.]

[73]  L’avocate de la bande a qualifié avec justesse d’[traduction] « obscure » la conséquence juridique de la concession à KVR. La concession avait été autorisée au titre de l’article 46 de la Loi des Sauvages de 1911. Cependant, étant donné que la réserve était « provisoire », il ne s’agissait pas d’une réserve indienne au sens de la Loi sur les Indiens. Donc, la question était à savoir si la décision de la Couronne d’invoquer l’article 46 de la Loi des Sauvages pour autoriser, en 1922, la prise des terres en vertu de la Loi des chemins de fer de 1919, était d’une quelconque pertinence pour trancher les questions dont était saisi le Tribunal.

[74]  Dans la décision Canadian Pacific, on a présumé que la Loi sur les Indiens s’appliquait pendant que le titre demeurait dans la province. On peut soutenir que cette présomption soulève une question sur l’applicabilité de la loi comme dans l’affaire Canadian Pacific aux faits en cause dans la présente affaire.

b)  Analyse et conclusions

[75]  Dans la décision Canadian Pacific, la juge Saunders a adopté l’approche suivante pour définir la nature de l’intérêt du chemin de fer sur les terres faisant l’objet du litige :

[traduction] La troisième approche est décrite à la page 665 de Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, où la Cour précise que pour définir la nature du droit de la compagnie de chemin de fer, on doit examiner le texte des lois, toutes les ententes conclues entre les parties initiales ainsi que les actions et les déclarations subséquentes des parties. (Paragraphe 136.)

[76]  En référence à l’affaire dont elle était saisie, la juge Saunders a affirmé :

[traduction] Dans la présente affaire, concernant la prise en considération de deux propriétés, deux entités juridiques faisant chacune l’objet d’une loi spéciale – la Loi des Sauvages, la Loi des chemins de fer et l’Acte du CFCP, cette dernière approche est celle que j’ai adoptée. L’analyse se divise nécessairement en plusieurs sous-sujets. (Paragraphe 137.)

[77]  Dans la présente affaire, les lois dont il faut tenir compte sont la Loi des chemins de fer, 1919, et la Loi des Sauvages de 1906 (telle que modifiée en 1911).

[78]  La juge Saunders a évalué l’incidence de l’article 48 de la Loi des Sauvages de 1927, qui prévoyait :

48. Nulle partie d’une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d’un chemin de fer […] sans le consentement du gouverneur en son conseil, mais toute compagnie […] possédant le pouvoir conféré par une loi […] d’exproprier ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil […] exercer ce pouvoir conféré par une loi à l’égard de toute réserve […] (Paragraphe 184.)

[79]  Le libellé de l’article 48 de la Loi des Sauvages de 1927 correspond à celui de l’article 46 de la Loi des Sauvages de 1906, telle que modifiée en 1911, laquelle autorisait la concession des terres constituant l’emprise à KVR en 1922.

[80]  La juge Saunders a aussi fait référence à l’article 35 de la Loi des Sauvages de 1886, interdisant généralement l’aliénation de terres de réserve en l’absence d’une « cession ».

[81]  La juge Saunders a conclu que la « prise » prétendue d’un intérêt absolu était inopérante pour les motifs suivants :

[traduction]

L’article 35 de la Loi des Sauvages de 1886, et l’article 48 de la Loi des Sauvages de 1927, prévoyaient la « prise » de terres par un chemin de fer, avec le consentement de la Couronne, mais rien dans ces articles n’exigeait la « prise » d’un intérêt absolu, ne laissant aucun intérêt résiduel à la Couronne ou aux Indiens. Cette conclusion repose sur deux motifs. D’abord, le pouvoir conféré par la loi au chemin de fer dans toutes les versions de la Loi sur les Indiens est limité par la restriction à l’aliénabilité prévue dans la Loi des chemins de fer autorisant la prise de terres. (Paragraphe 186.)

Ensuite, quant au sens à donner au terme « prise », je fais référence à l’article 35 de la Loi des Sauvages de 1886, et formule les observations suivantes. Si « prise » au sens de l’article 35 signifie vendue ou aliénée, cela va à l’encontre de l’article 38 ou – à tout le moins – représente une exception non reconnue de l’interdiction claire d’aliéner une terre de réserve en l’absence d’une cession, comme le prévoit l’article 38. De plus, le terme « prise » ne signifie pas toujours pleinement acquise. Par exemple, à la page 1234, The Dictionary of Canadian Law, 2nd ed. (Scarborough: Carswell, 1995) définit ainsi l’expression « take lands » « prendre des terres » :

[traduction] Pénétrer sur des terres, en prendre possession, les utiliser et les prendre pendant une durée limitée ou indéterminée ou pour constituer un domaine ou un droit limité.

(Paragraphe 187.)

[82]  Je note une fois de plus que l’intérêt de la province sur les terres en litige dans l’affaire Canadian Pacific n’a pas été transféré au Canada avant 1947 (paragraphe 189). Ici cet intérêt n’a pas été transféré avant 1938. Dans Canadian Pacific, la juge de première instance, dans son analyse, a supposé que la Loi sur les Indiens s’appliquait.

[83]  Si la conséquence de l’arrêt Wewaykum, précité, de la Cour suprême est que la Loi sur les Indiens ne s’appliquait pas, en date de la concession pour l’usage du chemin de fer, aux terres en litige dans l’affaire Canadian Pacific ou à la réserve indienne Osoyoos no 1 en 1922, il faut se demander si le précédent créé dans l’affaire Canadian Pacific s’applique à l’analyse des points en litige dans la présente affaire. Je conclus qu’il s’applique. À la lecture des dispositions de la Loi des chemins de fer, 1919, il ressort clairement que toute prise d’intérêt par une compagnie de chemin de fer dans des terres de la Couronne est frappée d’une restriction à l’aliénabilité. La juge Saunders a conclu que la Loi des chemins de fer constituait le fondement législatif de la prise des terres :

[traduction] Cependant, comme je l’ai déjà conclu, les concessions ont été faites en vertu de la Loi des chemins de fer, la Colombie-Britannique détenait le titre et les Indiens n’ont pas cédé les terres. Il en résulte que la loi a préséance sur les modalités des lettres parentes et que les lettres patentes doivent être interprétées à la lumière de la restriction à l’aliénabilité prévue dans la Loi des chemins de fer. (Paragraphe 194.) [Non souligné dans l’original.]

[84]  Bien que la référence faite à la « cession » dans le paragraphe ci-dessus doive être considérée à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Wewaykum précité, l’analyse menée par la juge Saunders de la conséquence de la concession faite en vertu de la Loi des chemins de fer demeure applicable. Bref, dans la présente affaire tout comme dans l’affaire Canadian Pacific, [traduction] « [...] la loi a préséance sur les modalités des lettres patentes, et […] les lettres patentes doivent être interprétées à la lumière de la restriction à l’aliénabilité prévue dans la Loi des chemins de fer ». Cette conclusion est entièrement confirmée par la décision rendue en appel dans l’affaire Canadian Pacific. Au paragraphe 99 de son jugement, la cour d’appel a conclu que l’intérêt pris par le CFCP faisait l’objet d’une restriction à l’aliénabilité prévue dans la Loi des chemins de fer. Pour en arriver à cette conclusion, la cour d’appel ne s’est pas fondée sur les dispositions de la Loi sur les Indiens.

[85]  Je conclus que KVR a acquis son intérêt sur les terres constituant l’emprise sous réserve de la restriction à l’aliénabilité prévue dans la Loi des chemins de fer.

C.  La promulgation du décret 1036 en 1938 a-t-elle pleinement constitué en réserve au sens de la Loi sur les Indiens la réserve indienne d’Okanagan no1?

[86]  Durant l’audience, l’avocat de la Couronne a soulevé la question à savoir si l’acceptation du transfert par la Couronne fédérale avait l’effet juridique de créer une réserve. Référence a été faite à l’absence apparente d’action de la part d’un représentant dûment autorisé de la Couronne fédérale pour mettre de côté, à titre de réserves au sens de la Loi sur les Indiens, les terres cédées en vertu du décret 1036.

[87]  Dans l’affaire Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, 2002 CSC 54, le juge LeBel, aux paragraphes 48 à 51, a commenté la création de réserves au sens attribué à cette expression dans la Loi sur les Indiens. Au paragraphe 50, il a écrit :

La mise de côté d’une parcelle de terrain à titre de réserve en vertu de la Loi sur les Indiens suppose à la fois une action et une intention. En d’autres termes, la Couronne doit non seulement prendre certaines mesures pour mettre des terres de côté, mais elle doit également agir dans l’intention de créer une réserve.  Dans certains cas, il est possible que certaines mesures politiques ou juridiques prises par la Couronne aient un caractère tellement définitif ou concluant qu’il devient inutile de prouver que cette dernière avait subjectivement l’intention de mettre de côté des terres pour créer une réserve. Par exemple, la signature d’un traité ou la prise d’un décret ont une telle autorité que l’élément moral – ou intention – serait implicite ou présumé.

[88]  Dans l’arrêt Wewaykum, précité, le juge Binnie a parlé, au paragraphe 51, du « [...] rôle crucial de l’“intention” en matière de création de réserves […] ». Concernant la création de réserves en Colombie-Britannique, il a affirmé qu’« […] il est clair que les plus hautes instances des deux gouvernements avaient eu l’intention d’agir par voie d’accord mutuel ». Cet accord se reflète dans les actions prises par les gouvernements fédéral et provincial qui ont, au moyen de « […] lois habilitantes analogues, créé la Commission Ditchburn-Clark dans le but de tenter de mettre un terme au différend fédéral-provincial qui, à cette date, durait depuis presque 50 ans [...] » (Paragraphe 50.)

[89]  Les extraits suivants tirés de la décision rendue dans l’arrêt Wewaykum révèlent que le différend fédéral-provincial concernant la création de la réserve avait été entièrement résolu par la promulgation par la province du décret 1036 en 1938 :

« Le contenu de l’obligation fiduciaire change quelque peu après la création de la réserve, moment où la bande acquiert un “intérêt en common law” dans la réserve […] » [Non souligné dans l’original.] (Paragraphe 98.)

« Bien que, juridiquement, les réserves n’aient pas été constituées avant 1938 […] » (Paragraphe 102.)

« Les réserves nos 11 et 12 ont été officiellement créées lorsque la Couronne fédérale a obtenu, en 1938, la maîtrise et l’administration des terres qui les constituaient. » [Non souligné dans l’original.] (Paragraphe 106.)

[90]  Étant donné que la réserve indienne d’Okanagan no 1 a été, à l’instar des réserves nos 11 et 12 en litige dans l’affaire Wewaykum, « cédée » en vertu du décret 1036, la réserve a été « créée » en 1938.

D.  L’emprise était-elle visée par le transfert au Canada du titre sur la réserve?

1.  Transfert de la réserve en termes du superficies en acres

[91]  En novembre 1877, la commission mixte des réserves indiennes a attribué la réserve indienne no 1 à la bande indienne d’Osoyoos. Selon un levé préparé en 1889, la superficie de la réserve s’établissait à 32 097 acres. Ultérieurement, des répertoires des réserves indiennes publiés par le MAI en 1902 et en 1913 ont établi la superficie de la réserve au même nombre d’acres. L’annexe du décret 1036 de 1938, en vertu duquel le titre a été transféré de la province au Canada, précise 32 097 acres.

2.  Rajustements

[92]  La Couronne soutient que la référence faite dans le répertoire de 1943 à une emprise de 3,97 acres au profit de KVR, prise seule ou combinée à la superficie en acres plus basse dans la colonne gauche adjacente, indique que la Couronne n’a pas accepté le transfert de la superficie totale décrite en acres à l’annexe du décret 1036 de 1938.

[93]  Je rejette l’argument de la Couronne pour les motifs suivants :

  1. À première vue, le répertoire de 1943 n’indique pas que la terre de 3,97 acres constituant l’emprise est exclue de la superficie du terrain de la réserve décrite à l’annexe du décret 1036 de 1938. Au contraire, il prévoit une superficie de 32 097 acres, comme le levé de l’attribution initiale préparé en 1889.

  2. La preuve ne fournit aucune explication pour le « 32073.710 »figurant dans la colonne à la gauche de l’entrée établissant la superficie à 32 097 acres.

  3. La Couronne n’a cité aucun précédent permettant un rajustement de la superficie d’une réserve au sens de la Loi sur les Indiens ayant déjà fait l’objet d’un levé et d’un transfert de la province au Canada.

E.  Quelle a été la conséquence juridique pour l’intérêt de ka Couronne et la bande d’Osoyoos de l’abandon de la ligne de chemin de fer en 1978?

[94]  La conclusion tirée dans Canadian Pacific, à la fois en première instance et en appel, s’applique pleinement à la présente affaire [traduction] : « […] [L]a restriction à l’aliénabilité suppos[e] nécessairement que les terres expropriées de la Couronne retourn[ent] à la Couronne dès qu’elles ne s[ont] plus utilisées par le chemin de fer […] » (Canadian Pacific, BCCA, précité, au paragraphe 120.)

[95]  [95]  La Cour d’appel a confirmé la décision de première instance et ordonné, dans des motifs supplémentaires, que les terres en question soient [traduction] « [...] dévolues à Sa Majesté la Reine du chef du Canada […] et redeviennent des terres de réserve au sens de la Loi sur les Indiens […] » (Squamish Indian Band c. Canadian Pacific Ltd., Squamish Indian Band c. Canada (A.G.), 2003 BCCA 283 (au paragraphe 5). Par conséquent, à la reprise des terres, l’intérêt de la bande était « remis en vigueur » par l’effet de la loi.

[96]  C’est en 1978 que KVR a abandonné sa ligne de chemin de fer. Pour les besoins de l’analyse qui suit, je suis d’avis qu’au moment de l’abandon de la ligne de chemin de fer, l’intérêt de la Couronne sur l’emprise retourne à la Couronne et que l’intérêt de la bande est ainsi remis en vigueur.

F.  Le recours aux tribunaux est-il requis pour établir l’intérêt de la bande?

1.  Loi sur le Tribunal des revendications particulières

[97]  La Couronne prétend qu’une action en justice aurait dû être intentée pour établir l’intérêt de la bande sur les terres constituant l’emprise.

[98]  La position soutenue par la Couronne repose sur une opinion erronée du rôle et de la compétence du Tribunal.

[99]  Le Tribunal offre une solution de rechange aux procédures judiciaires.

[100]  Étant donné que de nombreuses revendications historiques relevant de sa compétence peuvent être prescrites si elles font l’objet d’une procédure judiciaire, le temps attendu avant de saisir le Tribunal de la revendication ne sera pas nécessairement pris en compte (article 19 de la Loi).

[101]  Le Tribunal rend des décisions qui ne sont pas susceptibles de révision, sont définitives et ont l’autorité de la chose jugée entre les parties; elles sont uniquement susceptibles de révision judiciaire (article 34 de la Loi).

[102]  La compétence du Tribunal se limite aux demandes et à l’octroi d’indemnités pécuniaires (alinéas 15(4)b) et 20(1)a) de la Loi).

[103]  La partie revendicatrice doit renoncer aux procédures judiciaires si elle décide de recourir au Tribunal (paragraphe 15(3) et article 37 de la Loi).

[104]  Dans le cas d’une revendication concernant l’aliénation illégale de terres, la décision rendue par le Tribunal a pour effet d’enlever à la partie revendicatrice ses droits et intérêts sur les terres (paragraphe 21(1) de la Loi).

[105]  Le Tribunal peut établir les obligations juridiques de la Couronne, notamment en ce qui concerne des intérêts sur une terre de réserve (alinéas 14(1)a), b) et c) de la Loi).

[106]  Le Tribunal peut trancher tout point de droit ou de fait dans les affaires relevant de sa compétence (alinéa 13(1)a) de la Loi). Lorsqu’une revendication concerne l’administration de terres de réserve, le Tribunal peut tirer des conclusions qui définissent les intérêts des Premières nations sur ces terres. Les parties sont liées par ces conclusions.

[107]  À la lumière de la compétence et des pouvoirs du Tribunal, les revendications qui y sont déposées équivalent à des procédures judiciaires. Le Tribunal peut établir les intérêts d’une Première nation sur des terres ainsi que toute obligation de la Couronne s’y rattachant.

2.  Conclusion subsidiaire

[108]  Si mon analyse sous la rubrique « Le recours aux tribunaux est-il requis pour établir l’intérêt de la bande? » est erronée, l’analyse et les conclusions suivantes s’appliquent.

[109]  La Couronne prétend qu’une action en justice aurait dû être intentée pour établir l’intérêt de la Couronne fédérale, de la Couronne provinciale, du CFCP et de la bande. Cependant, cela est conjectural, parce que la Couronne n’a rien fait pour faire valoir, protéger ou préserver les droits d’utilisation et d’occupation de la bande sur les terres constituant l’emprise au moment où elles ont été retournées à la Couronne et où l’intérêt de la bande a été remis en vigueur.

[110]  Si la prétention selon laquelle la bande aurait repris les terres constituant l’emprise si la Couronne était intervenue est également conjecturale, l’issue ne ferait à peu près aucun doute si la Couronne avait fait valoir l’intérêt de la bande. On peut supposer que l’histoire de la prise des terres et de la création de la réserve ainsi que la loi auraient guidé les actions des Couronnes provinciale et fédérale. En particulier :

  1. L’attribution initiale de 32 097 acres.

  2. La prise des terres constituant l’emprise faisant l’objet d’une restriction à l’aliénabilité.

  3. L’ultime création de la réserve en 1938 sur une superficie de 32 097 acres.

  4. Le principe de la réversion de terres prises pour les besoins d’un chemin de fer dès qu’elles ne servent plus audit chemin de fer fait partie depuis longtemps du droit britannique et du droit américain. Comme l’a indiqué la juge Saunders :

[traduction] Même si la Loi des chemins de fer ne prévoit pas la possibilité de réversion, je suis d’avis qu’il s’agit là d’une inférence raisonnable. Un tel principe fait partie tant du droit britannique que du droit américain : Metropolitan Railway c. Fowler, précité; Rio Grande Western Co. c. Stringham (1915), 239 U.S. 44 (U.S.S.C.) (Canada c. CP, précitée, au paragraphe 252).

  1. Les présomptions découlent de l’obligation de la Couronne d’agir honorablement dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière d’intérêts autochtones. La common law canadienne reconnaît que, dans le cadre de ses relations avec les peuples autochtones, la Couronne doit agir honorablement dans l’administration et la maîtrise des intérêts autochtones, et ce, dès 1895. (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, au paragraphe 50)

Dans Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, la juge en chef McLachlin, au nom de la Cour, a déclaré :

L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances. Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire : Bande indienne Wewaykum c. Canada […]

Dans l’affaire Nation haïda, il a été établi que du principe de l’honneur de la Couronne découle l’obligation de consulter les Premières nations et de trouver des accommodements à leurs préoccupations lorsque les actions de la Couronne comportent un risque de violation des intérêts autochtones. Cette obligation existe nonobstant que de tels intérêts aient été formellement établis ou définis ou non.

On a conclu que cette obligation, fondée sur l’honneur de la Couronne, s’appliquait aux provinces ainsi qu’au Canada, puisque les intérêts que détient une province sur des terres sont subordonnés, selon l’article 109 de la Loi constitutionnelle de 1867, à « tous intérêts autres que ceux que peut y avoir la province » sur des terres de la Couronne provinciale. (Nation haïda, précité, aux paragraphes 58 et 59.)

Dans la présente affaire, la province a acquis les terres constituant l’emprise après en avoir fait l’« achat » du CFCP, et ce, malgré l’intérêt évident de la bande.

L’exigence d’une utilisation équitable qui découle du principe de l’honneur de la Couronne justifiait que le MAI donne suite à la demande faite par la bande en 1981. Puisque la province avait acquis les terres constituant l’emprise du CFCP, l’honneur exigeait également qu’elle tienne compte de l’intérêt de la bande.

[111]  Dans l’affaire Canada (AG) c. Canadian Pacific Ltd. and Marathon Realty (B.C.C.A.), [1986] B.C.J. No 407, la cour d’appel a confirmé la décision rendue en première instance. Dans cette affaire, le juge Meredith avait conclu que la cession des terres acquises sur une réserve conformément à l’article 189 de la Loi des chemins de fer à Marathon Realty n’était pas légale, car cette cession était interdite en vertu de la restriction à l’aliénabilité prévue au paragraphe 189(3) de la Loi. Le juge Meredith avait donc ordonné que les terres retournent à la Couronne.

[112]  En septembre 1987, le MAI a refusé d’agir après que la bande lui eut demandé de rétablir le titre de la Couronne à l’usage et au bénéfice de la bande. La Couronne a donc continué à manquer à son obligation malgré la décision rendue dans l’affaire Marathon Realty.

[113]  La décision rendue dans l’affaire Marathon Realty a été confirmée par une formation de cinq juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Canadian Pacific, précité.

[114]  En omettant d’agir pour établir l’intérêt de la bande sur les terres constituant l’emprise, la Couronne n’a pas protégé l’intérêt en common law de la bande. Si la Couronne avait agi, l’issue aurait été certaine sur le fondement de ces précédents.

G.  La Couronne a-t-elle manqué à son obligation envers la bande?

[115]  Dans l’arrêt Guerin c. Canada, [1984] 2 R.C.S. 335, le juge Dickson, au nom de la majorité, a déclaré :

À mon avis, la nature du titre des Indiens et les modalités prévues par la Loi relativement à l’aliénation de leurs terres imposent à Sa Majesté une obligation d’equity, exécutoire en justice, d’utiliser ces terres au profit des Indiens. Cette obligation ne constitue pas une fiducie au sens du droit privé. Il s’agit plutôt d’une obligation de fiduciaire. Si, toutefois, Sa Majesté manque à cette obligation de fiduciaire, elle assumera envers les Indiens exactement la même responsabilité qu’aurait imposée une telle fiducie. (Page 376.) [Non souligné dans l’original.]

[116]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a déclaré ce qui suit en ce qui concerne l’application aux terres indiennes des principes relatifs à l’obligation de fiduciaire :

1. Le contenu de l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger.  Cette obligation ne constitue pas une garantie générale.

2. Avant de créer une réserve, la Couronne accomplit une fonction de droit public prévue par la Loi sur les Indiens, laquelle fonction est assujettie au pouvoir de supervision des tribunaux compétents pour connaître des recours de droit public. Des rapports fiduciaires peuvent également naître à cette étape, mais l’obligation de la Couronne à cet égard se limite aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation.

3. Après la création de la réserve, la portée de l’obligation de fiduciaire de la Couronne s’élargit et vise la préservation de l’intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard. (Paragraphe 86.) [Non souligné dans l’original.]

[117]  Le décret C.P. 2317 vise à autoriser « […] la vente […] de l’intérêt des Indiens […] ». Cependant, le fondement législatif de la prise des terres ne prévoit pas la vente absolue de tout intérêt dans un bien-fonds de la Couronne. Tout intérêt dans un bien-fonds de la Couronne concédé en vertu de la Loi des chemins de fer fait l’objet d’une restriction à l’aliénabilité. Le titre de la Couronne est grevé de l’intérêt indien. La Couronne n’a cité aucun précédent permettant de disjoindre cet intérêt de son titre.

[118]  Dans la présente affaire, la bande avait un intérêt reconnu à l’égard des terres constituant l’emprise. Cet intérêt existait de la date de la concession des terres à KVR en 1922 à la date d’abandon de la ligne de chemin de fer. L’intérêt de la bande a été parfait en 1938. L’intérêt est alors devenu réversif. Après l’abandon de la ligne de chemin de fer, la bande avait un intérêt sur les terres constituant l’emprise comme terres de réserve.

[119]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a indiqué que « l’expropriation d’une réserve existante donne également naissance à une obligation de fiduciaire ». (Paragraphe 98.)

[120]  La prise des terres constituant l’emprise en 1922 était une expropriation. Tout intérêt qu’avait la bande sur les terres constituant l’emprise à l’intérieur des limites de sa réserve provisoire était protégé par la restriction à l’aliénabilité prévue à la loi. En 1938, la réserve indienne no 1 est devenue une réserve au sens de la Loi sur les Indiens. Cela incluait le titre réversif de la Couronne et l’intérêt renouvelé de la bande à partir du moment de l’abandon de la ligne de chemin de fer sur les terres constituant l’emprise. Une fois qu’une réserve a été créée, la portée de l’obligation de la Couronne « s’élargit et vise la préservation de l’intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard » (Wewaykum, précité, au paragraphe 86).

[121]  En transférant son intérêt déclaré sur les terres constituant l’emprise à la Colombie Britannique, le CFCP savait que la ligne de chemin de fer abandonnée traversait une réserve de la bande indienne Okanagan. Le CFCP savait que les terres constituant l’emprise avaient été acquises par concession de la Couronne fédérale et faisaient l’objet d’une restriction à l’aliénabilité. Le CFCP a donc agi illégalement et au détriment de la bande.

[122]  Des représentants de la Couronne fédérale auraient été au courant de la demande formulée en 1977 par le CFCP au Comité des transports par chemin de fer au titre de la Loi sur les chemins de fer. Le comité est une institution fédérale. La Couronne savait véritablement ou vraisemblablement que la bande retrouvait son intérêt dès l’abandon de la ligne de chemin de fer.

[123]  En juin 1981, la bande indienne d’Osoyoos a demandé au MAI de lui transmettre toutes les données concernant les terres constituant l’emprise et d’examiner s’il était possible de les recouvrer. En 1987, la bande a demandé au MAI de rétablir son intérêt sur les terres constituant l’emprise. La Couronne n’a pas donné suite à cette demande, ce qui a permis la vente illégale des terres par le CFCP en novembre 1989.

[124]  La Couronne avait l’obligation positive de préserver et de protéger l’intérêt en common law de la bande sur la réserve (Wewaykum, au paragraphe 104). Dans les faits, la Couronne n’a rien fait pour promouvoir ou faire valoir son intérêt en common law et l’intérêt subséquent de la bande. La revendication de la bande concerne les événements de 1978 et de 1981 ainsi que le manquement continu de la Couronne à son obligation de protéger l’intérêt en common law de la bande sur la réserve. La revendication de la bande ne repose pas sur la déclaration de la province en 2005 de sa volonté de vendre les terres constituant l’emprise à la bande.

H.  La bande d’Osoyoos a-t-elle le droit en tout état de cause d’obtenir réparation en equity?

1.  Introduction

[125]  Dans l’arrêt Wewaykum, précité, le juge Binnie a écrit :

L’une des caractéristiques des recours en equity est qu’ils ne font pas seulement appel « à la conscience » de l’auteur de la faute, mais qu’ils exigent en outre une conduite équitable de la part de celui qui demande réparation. Il n’y a pas ouverture de plein droit à ces recours, ceux-ci dépendent toujours du pouvoir discrétionnaire du tribunal. (Paragraphe 107.)

[126]  La Couronne invoque deux moyens justifiant le refus de toute réparation en equity :

  1. La bande a la possibilité d’intenter une action en vue de reprendre la terre abandonnée.

  2. La bande a été pleinement indemnisée au moment de la prise de la terre.

2.  Action prise par la bande

[127]  La bande d’Osoyoos invoque divers manquements à l’obligation de fiduciaire. Dans ses observations orales, la Couronne a prétendu qu’aucune obligation fiduciaire ne pouvait exister puisque la bande aurait pu intenter une action judiciaire pour faire valoir son intérêt sur les terres constituant l’emprise dès l’abandon de la ligne de chemin de fer. En bref, la Couronne ne pouvait être tenue de faire ce que la bande aurait pu faire elle-même.

[128]  Comme il est mentionné plus haut, la Couronne a une obligation de fiduciaire de protéger et de préserver l’intérêt des Indiens sur les terres de réserve. La bande demande une réparation en equity. La prétention de la Couronne selon laquelle la bande d’Osoyoos ne peut obtenir réparation en equity doit dont reposer sur le fait que cette dernière n’a pas eu une conduite équitable.

[129]  Je n’adhère pas à la position soutenue par la Couronne.

[130]  La position soutenue par la Couronne repose sur la prémisse que la bande aurait pu intenter une action contre le CFCP pour tenter de regagner l’usage des terres constituant l’emprise. La Couronne fédérale serait une partie dont la présence serait nécessaire dans toute action intentée pour reprendre les terres, car la bande devrait alors faire reconnaître le titre de propriété de la Couronne fédérale sur ces terres.

[131]  Refuser à la bande une réparation en equity à la lumière du manquement flagrant de la Couronne à son obligation de protéger l’intérêt de la bande au motif que la bande aurait pu agir elle-même aurait pour effet de transférer le fardeau du respect de l’obligation de la Couronne à la bande et d’exiger qu’un recours soit exercé contre le fiduciaire de la bande. Cela est incompatible avec l’honneur de la Couronne dans son administration des intérêts des Indiens sur les terres de réserve. On ne peut donc pas dire que la conduite de la bande a été inéquitable parce qu’elle n’a intenté aucune action en justice.

3.  Indemnité obtenue au moment de la prise des terres

[132]  L’agent Ball s’était fait demander d’obtenir une évaluation. Rien ne démontre qu’il a retenu les services d’un évaluateur. Son évaluation informelle reflète le prix payé par KVR pour l’acquisition d’une emprise sur des terres agricoles adjacentes. Il n’existe aucune preuve directe de la nature juridique de l’intérêt acquis des agriculteurs avoisinants.

[133]  La preuve n’indique pas clairement si le prix payé reflète la valeur du fief ou d’un intérêt faisant l’objet d’une restriction à l’aliénabilité. On peut supposer que KVR aurait refusé d’acquérir pour plus que sa valeur un intérêt faisant l’objet d’une restriction à l’aliénabilité. Sur ce fondement, je conclus que KVR a payé un prix qui reflète un intérêt limité.

[134]  Dans tous les cas, il n’y a aucune conséquence sur les intérêts de la bande – que le prix payé ait été fixé en fonction de la valeur du fief ou d’un intérêt inférieur. La bande a un droit de réversion. Il s’agit d’un droit en common law. L’objet de la présente revendication est l’omission de la Couronne d’assurer la réversion et non pas le caractère suffisant de l’indemnité versée au moment de la prise des terres.

[135]  L’indemnité prévue à l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières se limite à une indemnité pécuniaire. Étant donné que la violation a eu pour effet de priver la bande de ses terres, la bande a droit à une indemnité.

[136]  Aucune iniquité ne découle du fait que la bande a obtenu une indemnité au moment de la prise des terres le 30 novembre 1922. Nonobstant le moyen utilisé pour fixer le prix payé, le paiement a été versé en échange d’un intérêt frappé en tout temps d’une restriction à l’aliénabilité.

VI.  conclusion

[137]  La bande d’Osoyoos a établi qu’il y a eu violation d’une obligation juridique découlant de l’administration de terres de réserve par la Couronne, qui a failli à son obligation de faire valoir son titre dès l’abandon de la ligne de chemin de fer traversant les terres constituant l’emprise, pour l’usage et le bénéfice de la bande comme terres de réserve.

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade, président

Tribunal des revendications particulières Canada


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 201207047

Dossier : SCT-7002-11

OTTAWA (ONTARIO), le 07 juillet 2012

En présence de l’honorable Harry Slade

ENTRE :

BANDE INDIENNE D’OSOYOOS

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice BANDE INDIENNE D’OSOYOOS

Représentée par Hannah McDonald et Graham Allen

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Brian McLaughlin et Shelan Miller

 

 

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