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DOSSIER : SCT-7005-11   TRADUCTION OFFICIELLE

RÉFÉRENCE : 2016 TRPC 5

DATE : 20160412

 

 

 

 

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

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PREMIÈRE NATION DE POPKUM

 

 

Revendicatrice

 

– et –

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

 

 

Intimée

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Allan Donovan, John Burns et Amy Jo Scherman, pour la revendicatrice

 

 

Rosemarie Schipizky et Aneil Singh, pour l’intimée

 

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Audience tenue le 10 mars 2016

 

 

MOTIFS de la DÉCISION

 

 

L’honorable Harry Slade, président


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

 

Jurisprudence :

 

Première Nation de Popkum c Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2014 TRPC 6.

 

Loi citée :

 

  Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art. 20, 14.

 

 

 

 


 

TABLE DES MATIÈRES

 

I. REQUÊTE VISANT LA DÉTERMINATION DES principes d’indemnisation applicables en vertu de l’article 20 de la  LOI SUR LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES  4

II. LA DÉCISION CONCERNANT LA VALIDITÉ  4

III. LA QUESTION À TRANCHER  5

IV. LES POSITIONS DES PARTIES  6

V. analysE  7

A. Position de la revendicatrice  7

B. Position de l’intimée  9

C. Sur quel fondement juridique la décision relative à la validité repose-t-elle?  11

D. Les critères d’indemnisation prévus dans la Loi sur le Tribunal des revendications particulières  12

E. Principes d’indemnisation sur lesquels se fondent les tribunaux judiciaires  13

 


 

I.  REQUÊTE VISANT LA DÉTERMINATION DES principes d’indemnisation applicables en vertu de l’article 20 de la LOI SUR LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

[1]  Les procédures relatives à la présente revendication ont été scindées en deux étapes, soit celle de la validité et, advenant que la revendication soit jugée valide, celle de l’indemnisation.

[2]  Les parties, la Première Nation de Popkum (« la revendicatrice ») et Sa Majesté la Reine du Chef du Canada (« l’intimée »), demandent au Tribunal de déterminer quelles sont les dispositions d’indemnité de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP] qui s’appliquent à la présente revendication par suite des conclusions relatives à la validité tirées par le Tribunal dans la décision rendue le 27 juin 2014 par le juge Patrick Smith (« le juge ») : Première Nation de Popkum c Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2014 TRPC 6 (« les motifs de la décision »).

II.  LA DÉCISION CONCERNANT LA VALIDITÉ

[3]  Dans sa décision, le juge a conclu ce qui suit :

Le fait que la Couronne ait dépossédé Popkum de son intérêt dans la réserve de SI sans indemnité et qu’elle ait distribué sa part dans les fonds en fiducie de Seabird Island à des non-bénéficiaires constituait un manquement à la responsabilité ordinaire de la Couronne, à titre de fiduciaire, et un manquement à l’obligation de la Couronne de préserver et protéger l’intérêt de la revendicatrice dans la réserve confirmée contre l’exploitation de la Couronne. [Motifs de la décision, au para 205]

[4]  Dans la partie de sa décision intitulée « Analyse », le juge a exposé le fondement juridique permettant de conclure à l’existence d’obligations de fiduciaire de la Couronne à l’égard des intérêts d’une « bande » — constituée comme telle en vertu de la Loi sur les Indiens — dans des terres mises de côté à titre de réserve. Le juge a conclu que la revendicatrice avait un intérêt dans les terres en cause, soit la réserve de Seabird Island. La revendicatrice était l’une des sept bandes pour lesquelles la réserve de Seabird Island avait été créée.

[5]  La question à trancher était celle de savoir si, en recourant à l’article 17 de la Loi sur les Indiens (la « Loi ») pour créer la réserve de Seabird Island en tant que réserve d’une bande nouvellement créée, c’est-à-dire la bande de Seabird Island, la Couronne avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière à manquer à son obligation de fiduciaire envers la revendicatrice.

[6]  La « réattribution » de la réserve de Seabird Island à la bande de Seabird Island a privé la bande de Popkum de son intérêt dans cette réserve.

[7]  Dans la partie intitulée « Conclusions », le juge a fait la déclaration suivante :

Pour les motifs qui suivent, je conclus que la ministre n’a pas géré les biens de la revendicatrice avec la diligence et la prudence requises, que la ministre a considéré que la réserve dont l’attribution avait été confirmée pouvait être attribuée de novo, selon son bon vouloir, et que, par conséquent, la ministre a manqué aux obligations fiduciaires de la Couronne envers la revendicatrice. Je vais examiner séparément les manquements se rapportant à la réserve de SI et ceux se rapportant aux fonds détenus en fiducie. [Motifs de la décision, au para 165]

[8]  Aux paragraphes 166 à 174 de la décision, le juge a traité de l’omission, par les représentants du ministère des Affaires indiennes, de déterminer si des membres de la bande de Popkum résidaient sur la réserve de Seabird Island.

[9]  Ayant conclu à l’absence de preuve de « liens familiaux qui auraient existé entre les membres de Popkum et les résidents de [Seabird Island] » (au paragraphe 174), le juge a écrit ce qui suit aux paragraphes 175 et 193 :

La ministre a réattribué l’intérêt de Popkum dans la réserve de SI — soit un septième — à la bande de SI, c’est-à-dire qu’elle a attribué l’intérêt du détenteur d’une réserve dont l’attribution avait été confirmée, Popkum, à un non-bénéficiaire de l’intérêt de Popkum. Le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 17(2) ne va pas aussi loin.

[…]

En résumé, je conclus que la ministre a manqué à ses obligations fiduciaires envers la revendicatrice en ce qui concerne l’intérêt de cette dernière dans la réserve de SI, y compris la responsabilité ordinaire d’un fiduciaire et l’obligation de préserver et protéger les terres de réserve contre l’exploitation de la Couronne, quand elle a transféré l’intérêt de la revendicatrice dans la réserve de SI à la bande de SI en 1959. [Motifs de la décision]

III.  LA QUESTION À TRANCHER

[10]  Les conclusions tirées à l’étape de la validité entraînent-elles l’application :

1)  des alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP, qui prévoient une indemnité basée sur la valeur marchande actuelle de l’intérêt de la revendicatrice dans la réserve de Seabird Island (« les terres ») — soit un septième de la réserve —, et une indemnité pour la perte de l’usage des terres entre la date où le manquement a eu lieu et la date de l’évaluation de l’indemnité;

  • 2) de l’alinéa 20(1)c) de la LTRP, qui prévoit une indemnité que le Tribunal estime juste, pour les pertes en cause, en fonction des principes d’indemnisation sur lesquels se fondent les tribunaux judiciaires;

  • 3) ou de l’alinéa 20(1)e) de la LTRP, qui prévoit, pour des dommages causés aux terres, une indemnité égale à la valeur des dommages subis au moment du manquement à l’obligation, ajustée à la valeur actuelle des pertes?

IV.  LES POSITIONS DES PARTIES

[11]  La revendicatrice fait valoir que les alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP ou, à titre subsidiaire, l’alinéa 20(1)c) de la même loi, s’appliquent en l’espèce. Elle affirme que les motifs de la décision appuient la thèse selon laquelle la réattribution, par la ministre, des terres de la réserve de Seabird Island équivaut à une prise des terres sans autorisation légale. Quant à l’alinéa 20(1)e) de la LTRP, il ne s’applique pas.

[12]  L’intimée soutient pour sa part que c’est l’alinéa 20(1)e) de la LTRP qui s’applique en l’espèce. Cette position se fonde sur une interprétation des motifs de la décision selon laquelle les terres de la réserve de Seabird Island ont été prises en vertu du pouvoir conféré à la ministre. Ainsi, les alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP ne s’appliquent pas. L’intimée ajoute que l’« indemnité inadéquate » mentionnée à l’alinéa 20(1)e) de la LTRP s’entend notamment des cas où aucune indemnité n’a été accordée.

[13]  Les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation qu’il faut donner aux principales conclusions contenues dans les motifs de la décision et sur leur incidence pour la détermination des principes d’indemnisation applicables.  

V.  analysE

A.  Position de la revendicatrice

[14]  La revendicatrice attire l’attention sur l’analyse (motifs de la décision) portant sur l’article 17 de la Loi sur les Indiens :

Selon mon interprétation de l’article 17 et de son objet, le ministre dispose du pouvoir de gérer la redistribution des biens de la « bande existante » quand une « nouvelle bande » est créée à même une « bande existante ou une partie de cette dernière », c’est-à-dire quand il existe des intérêts par filiation. [au para 149]

[15]  Parmi les sept différents manquements à une obligation constatés par le juge, six avaient trait à une obligation à titre de fiduciaire, alors qu’un autre concernait un acte décrit comme ayant outrepassé le pouvoir discrétionnaire conféré à la Couronne par le paragraphe 17(2) de la Loi sur les Indiens. La revendicatrice a résumé ces manquements de la manière suivante :

[traduction]

  1. Le Canada ne s’est pas conformé à la norme de prudence et de responsabilité ordinaires requises de la part d’un fiduciaire en n’identifiant pas les véritables bénéficiaires de la réserve et en transférant plutôt à un non‑bénéficiaire l’intérêt de Popkum dans la réserve (aux para 177-178);

  2. Le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire de protéger et préserver la réserve confirmée contre l’exploitation : il a priorisé ses propres intérêts en évitant les complexités administratives liées à la réserve, au détriment de l’intérêt de Popkum dans celle-ci (au para 184);

  3. Le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire d’évaluer, de pleinement informer, d’obtenir des directives et de rejeter les opérations déraisonnables en ce qui a trait à l’intérêt de Popkum dans la réserve (au para 181);

  4. Le Canada a excédé le pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par le paragraphe 17(2) de la Loi sur les Indiens et manqué à son obligation de fiduciaire en transférant à des non-bénéficiaires l’intérêt de Popkum dans la réserve (au para 177);

  5. Le Canada amanqué à son obligation de fiduciaire en dépossédant Popkum de son intérêt dans la réserve de SI sans lui accorder d’indemnité (au para 205);

  6. Le Canada amanqué à son obligation de fiduciaire en distribuant à des non-bénéficiaires des fonds détenus en fiducie (au para 197);

  7. Le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire en distribuant des fonds détenus en fiducie sur une base per capita, plutôt qu’en fonction du nombre de bandes (aux para 203-204). [Observations écrites de la revendicatrice, au para 8; soulignement ajouté]

[16]  Voici le paragraphe 177 dans son intégralité :

La ministre n’a pas fait montre de la responsabilité ordinaire requise de la part d’un fiduciaire lorsqu’elle a attribué à la bande de SI l’intérêt de Popkum dans la réserve de SI en 1959. Elle n’a pas fait preuve de la prudence ordinaire requise en n’identifiant pas les véritables bénéficiaires, en excédant le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 17(2) et en dépossédant la revendicatrice de son intérêt dans la réserve. [Motifs de la décision; soulignement ajouté]

[17]  Quant au paragraphe 178 au complet, il se lit comme suit :

La ministre n’a pas géré les biens de la revendicatrice dans l’intérêt de cette dernière quand elle a transféré ses biens à la bande de SI, alors que celle-ci n’était pas un bénéficiaire par filiation et comptait parmi ses membres des personnes qui, jusqu’en 1959, avaient été membres de bandes à qui la réserve de SI n’avait jamais été attribuée ou confirmée. Confirmer qu’un non-bénéficiaire a un droit supérieur à un bénéficiaire, ce n’est pas agir avec la prudence ordinaire requise à l’égard de la gestion de la réserve de SI. [Motifs de la décision; soulignement ajouté]

[18]  La revendicatrice avance que la déclaration du juge selon laquelle la ministre aurait « excéd[é] le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 17(2) », lue en corrélation avec l’interprétation de l’objet du paragraphe 17(2) de la Loi, exposée au paragraphe 148 de la décision; avec les références à l’inexistence de « liens familiaux » et de liens de « bénéficiaires » entre les membres de la bande de Popkum et les résidents de Seabird Island; et avec l’absence d’élément de preuve indiquant que des membres de Popkum vivaient à Seabird Island au moment de la décision de la ministre, appelle l’application des alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP, qui disposent que le Tribunal :

[…]

g) dans le cas où le revendicateur a établi que les terres visées par la revendication n’ont jamais été cédées légalement, ou autrement prises par autorisation légale, accorde une indemnité, égale à la valeur marchande actuelle de ces terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps;

h) dans le cas où le revendicateur a établi qu’il a perdu l’usage des terres visées à l’alinéa g), accorde une indemnité, égale à la valeur de la perte de cet usage ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires;

B.  Position de l’intimée

[19]  L’intimée soutient que la revendicatrice doit s’en tenir à la disposition législative qui constitue le fondement même de sa demande d’indemnité, ainsi qu’il est précisé dans sa déclaration de revendication, c’est-à-dire la suivante :

20. (1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

[…]

f) dans le cas où le revendicateur a établi que certaines terres de réserve ont été endommagées par autorisation légale et qu’une indemnité inadéquate lui a été accordée à cet égard, accorde une indemnité, égale à la valeur des dommages subis ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires; [soulignement ajouté]

[20]  L’intimée fait valoir que la revendicatrice ne peut, à cette étape des procédures, soutenir que la Couronne a agi sans autorisation légale lorsqu’elle a transféré l’intérêt de la bande de Popkum dans la réserve de Seabird Island à la bande de Seabird Island. À l’étape de la validité, la revendicatrice a plaidé sa cause en soutenant que la Couronne avait, d’un point de vue légal, le pouvoir d’agir comme elle l’a fait. La revendicatrice (bénéficiaire) a en effet fondé ses arguments sur des allégations selon lesquelles, en ayant agi en vertu d’un pouvoir prévu par la Loi, la Couronne avait des obligations de fiduciaire envers elle et avait manqué à ces obligations à son détriment.

[21]  L’intimée renvoie à la page 68 des observations écrites soumises par la revendicatrice lors de l’audience sur la validité de la revendication :

[traduction] Comme dans beaucoup d’affaires relatives aux obligations de fiduciaire qui seront abordées dans la présente plaidoirie, lorsque, en 1959, le Canada a dépossédé Popkum de ses terres et de ses fonds placés en fiducie, il l’a fait conformément au pouvoir que lui conférait la Loi. Là où le bât blesse, c’est qu’il doit aussi agir conformément à son obligation de fiduciaire de droit privé, laquelle coexiste avec son rôle de nature publique qui consiste à appliquer la loi (Guerin). Étant donné que les lois créent des relations caractérisées par un déséquilibre exacerbé des pouvoirs, le fait d’exercer un pouvoir d’origine législative sans égard à l’obligation de fiduciaire qui s’y superpose risque fort de donner lieu — comme c’est le cas ici — à un manquement aux obligations de fiduciaire se traduisant par des dommages pour le bénéficiaire visé. [soulignement ajouté]

[22]  L’intimée cite des passages de la déclaration de revendication précisant que la revendication est fondée sur des manquements allégués à l’obligation de fiduciaire, et de la demande de redressement, qui fait état d’une demande d’indemnité basée sur la valeur de la perte subie au moment où le manquement a été commis, ajustée pour tenir compte de la valeur actuelle des pertes. D’après l’intimée, ce dernier document révèle, de façon implicite, qu’on ne s’appuie sur aucune théorie voulant que la Couronne ait agi sans y être autorisée par la loi.

[23]  Mme Schipizky, l’avocate de l’intimée, affirme qu’à l’étape de l’indemnité, une modification de la position de la revendicatrice sur la question du pouvoir conféré par la loi lui serait préjudiciable, car elle aurait préparé sa cause différemment si la question avait été soulevée auparavant. Elle aurait produit des éléments de preuve de la présence de membres de Popkum sur la réserve de Seabird Island au moment de la réattribution des terres, et traité du sujet dans les observations qu’elle a présentées au juge. Je souscris à cet argument.

[24]  À mon avis, il serait préjudiciable et injuste à l’égard de l’intimée de calculer l’indemnité en application des alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP au motif que la ministre a agi sans y être autorisée par la loi.

[25]  Néanmoins, l’alinéa 20(1)f) de la LTRP, qui, selon ce qu’avance l’intimée, régit l’évaluation de l’indemnité, semble uniquement s’appliquer dans les cas où il est établi que des dommages ont été causés aux terres de réserve de la partie revendicatrice.

[26]  Une disposition législative qui rend la Couronne responsable de son omission d’accorder à une bande une indemnité adéquate pour des dommages causés aux terres de réserve appartenant à cette bande a trait à l’intérêt continu de la bande dans ces terres. Si les terres en question ne sont plus les siennes en raison de mesures prises par la Couronne sur le fondement d’une autorisation légale, l’alinéa 20(1)f) de la LTRP ne peut pas s’appliquer. Pour les motifs exposés ci-après, il n’est pas nécessaire de trancher la question.

C.  Sur quel fondement juridique la décision relative à la validité repose-t-elle?

[27]  À l’appui de sa position, la revendicatrice invoque principalement la déclaration figurant au paragraphe 177 des motifs de la décision, selon laquelle « [l]a ministre [...] [a] excéd[é] le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 17(2) […] » (soulignement ajouté). Mais dans ce même paragraphe, ainsi que dans le suivant, le juge fait également allusion à des manquements à l’obligation de fiduciaire :

La ministre n’a pas fait montre de la responsabilité ordinaire requise de la part d’un fiduciaire lorsqu’elle a attribué à la bande de SI l’intérêt de Popkum dans la réserve de SI [...] Elle n’a pas fait preuve de la prudence ordinaire requise en n’identifiant pas les véritables bénéficiaires […] et en dépossédant la revendicatrice de son intérêt dans la réserve.

La ministre n’a pas géré les biens de la revendicatrice dans l’intérêt de cette dernière quand elle a transféré ses biens à la bande de SI […] Confirmer qu’un non-bénéficiaire a un droit supérieur à un bénéficiaire, ce n’est pas agir avec la prudence ordinaire requise à l’égard de la gestion de la réserve de SI. [aux para 177-178)

[28]  Les motifs de la décision ne permettent pas, du moins jusque-là, de déterminer si le juge a conclu que la revendication était valide en raison d’un manquement à une obligation de fiduciaire ou en raison de mesures prises sans fondement légal, ou les deux.

[29]  Cette question est toutefois résolue plus loin dans les motifs de la décision. À mon avis, le raisonnement qui sous-tend la décision du juge se trouve dans le paragraphe situé sous la rubrique « Dispositif ». La revendication a été jugée valide sur le fondement d’un manquement à l’obligation de fiduciaire, et non d’une absence de pouvoir conféré par la loi :

Le fait que la Couronne ait dépossédé Popkum de son intérêt dans la réserve de SI sans indemnité et qu’elle ait distribué sa part dans les fonds en fiducie de Seabird Island à des non-bénéficiaires constituait un manquement à la responsabilité ordinaire de la Couronne, à titre de fiduciaire, et un manquement à l’obligation de la Couronne de préserver et protéger l’intérêt de la revendicatrice dans la réserve confirmée contre l’exploitation de la Couronne. [au para 205; soulignement ajouté]

[30]  Le juge a relevé de nombreux manquements à l’obligation fiduciaire dans les mesures administratives prises pour réattribuer la réserve de Seabird Island à la nouvelle bande de Seabird Island. Ainsi donc, l’affaire est visée par les motifs de revendication énoncés à l’alinéa 14(1)c) de la LTRP :

[…]

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

[31]  La revendicatrice a plaidé un manquement à une obligation de fiduciaire, en invoquant le motif prévu à l’alinéa 14(1)c). La question de l’obligation de fiduciaire a été pleinement débattue lors de l’audience portant sur la validité. Le juge n’aurait pas rendu une décision fondée sur l’absence d’autorisation légale sans avoir d’abord invité les parties à soumettre des observations.

D.  Les critères d’indemnisation prévus dans la Loi sur le Tribunal des revendications particulières

[32]  La revendicatrice fait valoir, à titre subsidiaire, que l’indemnité peut être évaluée en fonction de ce que prévoit l’alinéa 20(1)c) de la LTRP :

20. (1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

[…]

c) sous réserve des autres dispositions de la présente loi, accorde une indemnité qu’il estime juste, pour les pertes en cause, en fonction des principes d’indemnisation sur lesquels se fondent les tribunaux judiciaires;

[33]  Puisque la conclusion relative à la validité repose uniquement sur le manquement à l’obligation de fiduciaire, la demande relève manifestement du motif visé à l’alinéa 14(1)c), et ouvre droit à une indemnisation au titre de l’alinéa 20(1)c) de la LTRP.

[34]  Le fait que la revendicatrice ait invoqué l’alinéa 20(1)e) de la LTRP dans sa demande de redressement ne porte pas à conséquence. La revendicatrice s’est appuyée sur le droit des fiducies, et les parties ont présenté des observations complètes. Aucun préjudice pour l’intimée n’en résulte, dans la mesure où, en l’espèce, l’applicabilité des critères d’indemnisation de l’article 20 est tributaire de la question qui a été examinée à fond, à savoir celle de l’obligation de fiduciaire.

 

E.  Principes d’indemnisation sur lesquels se fondent les tribunaux judiciaires

[35]  Les parties présenteront des observations sur les principes d’indemnisation applicables au cours des procédures relatives à l’étape de l’indemnisation.

 

HARRY SLADE

  ________________________________

  L’honorable Harry Slade, président

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette

 


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

 

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

 

 

Date : 20160412

 

  Dossier : SCT-7005-11

 

OTTAWA (ONTARIO), le 12 avril 2016

 

En présence de l’honorable Harry Slade

 

 

ENTRE :

 

PREMIÈRE NATION DE POPKUM

 

Revendicatrice

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

 

Intimée

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

AUX :   Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE POPKUM

représentée par Allan Donovan, John Burns et Amy Jo Scherman

Donovan & Company, avocats

 

ET AUX :   Avocats de l’intimée

représentée par Rosemarie Schipizky et Aneil Singh

Ministère de la Justice

 

 

 

 

 

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