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DOSSIER:SCT-7003-11  RÉFÉRENCE: 2013 TRPC 1

DATE: 20130219

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE KITSELAS

Revendicatrice

 

Stan H. Ashcroft, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Rosemarie Schipizky et Chris Elsner, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Les 20, 21 et 22 novembre 2012

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade, président


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 RCS 261.

Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321.

Nation Haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.

Mitchell c MRN, 2001 CSC 33, [2001] 1 RCS 911.

R. c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075, 70 DLR (4th) 385.

Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245.

Williams c Scott, [1900] UKPC 7 (BAILII), 1900 AC 499 (PC).

Lois et règlements cités :

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, app II, no 10, art 13.

Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 et 31 Vict, c 3, réimprimée dans LRC 1985, app II, no 5, par 91(24).

Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

Acte des Sauvages, 1876, SC 1876, c 18.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, al 14(1)c) et 15(1)f).

Sommaire :

Droit des Autochtones – Revendication particulière – Création de réserves – Colombie Britannique – Sites de villages – Article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie Britannique – Instructions de la Commission mixte des réserves indiennes – Histoire orale – Obligation fiduciaire – La Première Nation revendicatrice avait-elle un droit identifiable à l’égard d’une parcelle de terre de 10,5 acres que la Commission mixte des réserves indiennes n’avait pas incluse dans l’attribution de leur réserve? – Dans l’affirmative, la Couronne du Canada a-t-elle assumé des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de ce droit?

La revendication particulière en cause découle de la non inclusion d’une parcelle de terre de 10,5 acres dans une réserve que la Commission mixte des réserves indiennes (CMRI) avait initialement mise de côté en 1891 pour la Nation de Kitselas. La partie exclue englobait le site d’un ancien village, appelé Gitaus. Un entrepôt de la Compagnie de la Baie d’Hudson était situé sur la parcelle en question.

La Première Nation revendicatrice a déposé une revendication auprès du ministre en avril 2000. Le 21 octobre 2009, ce dernier a fait part à la Première Nation de Kitselas de sa décision de ne pas négocier le règlement de la revendication. La revendicatrice a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières le 29 septembre 2011.

La Couronne a assumé son obligation à l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, lequel définit l’existence d’une obligation précise, assumée dans le contexte plus général de la relation fiduciaire qui a pris naissance avec les « pouvoirs et la responsabilité historiques que la Couronne a assumés », relativement aux droits des Indiens à l’égard des terres. L’intention est fondée sur l’utilisation habituelle des terres, un facteur que la CMRI était tenue de prendre en considération. La Couronne a exercé des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de ce droit au tout début du processus de création des réserves.

Les Kitselas utilisaient et occupaient le site de Gitaus. Dans le contexte de l’article 13 et des règles de fonctionnement de la Commission mixte des réserves indiennes, la revendicatrice a établi l’existence d’un droit identifiable.

La Couronne avait l’obligation fiduciaire de veiller à ce que Gitaus (appelé aujourd’hui le lot no 113) soit attribué à titre de réserve en 1891, à l’exception du terrain d’un acre que la Compagnie de la Baie d’Hudson avait demandé pour son entrepôt.

Décision : La revendicatrice, la Première Nation de Kitselas, a établi l’existence d’un manquement à l’obligation légale de la Couronne.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. l’historique  7

A. La revendication  7

B. La preuve  8

1. Introduction  8

2. La preuve documentaire et les faits admis  8

3. L’usage ultérieur du lot 113  19

4. Les informations archéologiques  19

5. L’histoire orale  20

a) Isabelle McKee  20

b) Wilfred Bennett  21

6. La pertinence de la preuve par histoire orale  23

7. La recevabilité de la preuve par histoire orale  23

8. Analyse et conclusions  25

a) Le village de Gitaus  26

b) Les terres demandées et les terres attribuées  27

c) L’utilisation et l’occupation de Gitaus en 1891  27

d) Les revendications des colons blancs  27

II. l’obligation fiduciaire  28

A. Les faits prévus par la Loi sur le Tribunal des revendications particulières  28

B. Les facteurs qui donnent naissance à une obligation fiduciaire  28

C. Les droits identifiables et la création d’une réserve  34

1. La position du Canada  34

2. L’arrêt Elder Advocates, les obligations du gouvernement, les peuples autochtones et les terres  35

3. Les pouvoirs discrétionnaires assumés par la Couronne  37

4. L’étendue de l’obligation fiduciaire, s’il est conclu qu’elle existe  39

III. la première nation de kitselas avait-elle un droit identifiable à l’égard du lieu qu’elle connaissait sous le nom de gitaus?  40

A. L’obligation ou le droit en litige  40

B. La reconnaissance des droits fondés sur l’occupation  40

C. Le pouvoir discrétionnaire de la Couronne et les pouvoirs du commissaire O’Reilly  43

D. Les preuves concernant le droit des Indiens  44

E. Le droit revendiqué et le titre ancestral  46

IV. y-a-t-il eu un manquement à l’obligation fiduciaire relativement à l’attribution de la ri no 1 des kitselas?  47

A. En fonction de quelle norme faut-il évaluer les actes de la Couronne, représentée par la commissaire O’Reilly?  48

B. Les chefs se sont-ils opposés à l’exclusion de Gitaus?  49

C. L’obligation de communication  49

D. La preuve  50

E. L’histoire orale et la probabilité d’une opposition  51

F. La conclusion  51

G. La conséquence si l’exclusion avait été communiquée  51

H. L’utilisation faite par les Indiens ainsi que les revendications des colons blancs  52

V. l’obligation fiduciaire : sommaire et conclusion  53

VI. l’ALINÉA 14(1)c) DE LA LOI SUR LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES  55

VII. conclusion  55


 

I.  l’historique

A.  La revendication

[1]  La revendication particulière en cause découle de la non inclusion d’une parcelle de terre de 10,5 acres dans une réserve qui a été initialement mise de côté pour la Nation de Kitselas en 1891.

[2]  La partie exclue comprenait l’emplacement d’un ancien village, appelé Gitaus. Bien des siècles avant la colonisation, les Kitselas se sont déplacés vers un village appelé Gitsaex, situé à peu de distance vers le nord, près d’un étranglement de la rivière Skeena. Gitsaex et un autre village, Gitlaxdzawk, une forteresse sur la rive opposée de la Skeena, étaient situés à un endroit stratégique pour la perception de péages auprès des voyageurs qui franchissaient l’étranglement, appelé le Canyon.

[3]  En 1891, la population autochtone de la région avait été décimée par une épidémie de variole et de rougeole. La population, qui, selon certains, avait compté jusqu’à 6 000 personnes, n’atteignait au plus que 300 personnes.

[4]  En 1891, il existait toutefois des habitations au site de Gitaus. Il s’agissait également de la limite sud d’un portage qui contournait le Canyon jusqu’à Gitsaex.

[5]  L’Acte des Sauvages, 1876, SC 1876, c 18, a conféré aux Kitselas le statut de « bande ». La Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, (la Loi), emploie l’expression « Première Nation » pour désigner une bande.

[6]  La Première Nation de Kitselas a déposé une revendication particulière auprès du ministre en avril 2000, alléguant que la Couronne avait manqué aux obligations fiduciaires qu’elle avait à son endroit lorsqu’elle avait exclu le lot no 113 (le nom donné au site Gitaus) de la réserve indienne no 1 de Kitselas.

[7]  Le 21 octobre 2009, le ministre a avisé par écrit la Première Nation de Kitselas de sa décision de ne pas négocier le règlement de la revendication.

B.  La preuve

1.  Introduction

[8]  Le contexte historique dans lequel s’inscrit la revendication particulière en cause est le même que celui que la Cour suprême a analysé dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 (Wewaykum). Une bonne partie des éléments de preuve présentés dans cette affaire figurent également au dossier du Tribunal. Toutefois, la revendication en cause présente une distinction de fait importante : les terres dont il est question en l’espèce, contrairement à celles qui étaient visées dans l’arrêt Wewaykum, n’avaient pas été attribuées par la Commission des réserves indiennes et ne constituaient donc pas une réserve provisoire.

2.  La preuve documentaire et les faits admis

[9]  La Colombie-Britannique a adhéré à la Confédération en 1871, conformément aux conditions énoncées dans les Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, app. II, no 10 (les Conditions de l’adhésion). L’article 13 porte sur les Indiens et les terres indiennes :

Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autres transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies.

[Non souligné dans l’original.]

[10]  Le Canada et la Colombie-Britannique ont négocié les conditions dans lesquelles on donnerait effet à l’obligation de mettre de côté des terres pour les Nations indiennes. En fin de compte, le Canada et la Colombie-Britannique ont entériné, par décret, l’établissement de la Commission mixte des réserves indiennes (CMRI). Le mémoire joint à l’approbation donnée le 10 novembre 1875 par le gouverneur en conseil prévoyait notamment ce qui suit :

[traduction]

Que, dans le but de régler avec célérité ainsi que de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie-Britannique, toute l’affaire soit renvoyée à trois commissaires, l’un nommé par le gouvernement fédéral, le deuxième par le gouvernement de la Colombie-Britannique et le troisième conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux.

Que lesdits commissaires, dès que possible après leur nomination, se réunissent à Victoria et prennent les dispositions nécessaires pour aller rencontrer dans les plus brefs délais, dans l’ordre qu’ils jugeront souhaitable, chaque nation indienne (c’est à dire toutes les tribus indiennes parlant une même langue) de la Colombie Britannique et que, après une étude complète, menée sur place, de tous les aspects ayant une incidence sur la question, ils fixent et décident pour chaque nation séparément le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer.

[…]

Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisagent l’application d’une « politique libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, dans les limites du territoire disponible au sein de la région qu’ils occupent, et, d’autre part, des revendications des colons blancs.

[Non souligné dans l’original.]

[11]  La CMRI a été constituée en 1876. Elle était formée de trois commissaires : Alexander C. Anderson (nommé par le Canada), Archibald McKinlay (nommé par la Colombie-Britannique) et Gilbert M. Sproat (nommé conjointement par le Canada et par la Colombie-Britannique).

[12]  La CMRI, dans sa forme initiale, a été dissoute à la fin de l’année 1877, et le commissaire Sproat est resté seul commissaire en poste. Un mémoire annexé au(x) décret(s) daté(s) de mars 1878 indique :

[traduction]

De cette façon, la continuité de l’actuelle Commission sera préservée et les Indiens auront une garantie que la même politique qui a guidé jusqu’à ce jour la Commission dans ses travaux concernant leurs réserves sera appliquée à l’avenir.

[Non souligné dans l’original.]

[13]  Le commissaire Sproat a démissionné en 1880. Peter O’Reilly a été nommé par décret du gouverneur en conseil comme commissaire des réserves indiennes pour un mandat de douze mois. Un an plus tard, le gouverneur en conseil a prolongé le mandat du commissaire O’Reilly pour une période indéterminée.

[14]  Le Décret 1334, nommant le commissaire O’Reilly, comporte le passage suivant :

[traduction]

[…] Qu’il devient donc nécessaire de recourir aux services d’une personne compétente pour pourvoir le poste rendu vacant par la démission de M. Sproat; les fonctions et responsabilités qui s’y rattachent consistent principalement à déterminer avec exactitude les demandes des bandes indiennes de cette province auxquelles la dernière Commission n’a pas assigné de terres et à leur attribuer des terres propices à la culture et au pâturage. […]

Que M. Trutch propose que le commissaire des réserves, au lieu de relever, comme c’est le cas à l’heure actuelle, du surintendant des Indiens de la Colombie Britannique, mette en application de son propre chef les suggestions conjointes du commissaire principal des Terres et des Travaux publics, représentant le gouvernement de la province, ainsi que du surintendant des Indiens, représentant le gouvernement fédéral, quant aux lieux particuliers où se rendre et aux réserves à établir, et que les mesures que prendra le commissaire des réserves doivent dans tous les cas être confirmées par ces représentants officiels; et que, faute d’accord, toutes les questions suscitant entre eux un différend soient soumises pour règlement au lieutenant-gouverneur, dont la décision devrait être définitive et exécutoire. […]

[Non souligné dans l’original.]

[15]  En août 1880, le ministère des Affaires indiennes a donné au commissaire O’Reilly des instructions sur l’exécution de son mandat dans une lettre dont le passage suivant est tiré :

[traduction]

[…] Comme vous pouvez le constater, le décret dispose notamment que vous ne relèverez pas du surintendant des Indiens à Victoria, comme l’était récemment M. Sproat, mais que vous agirez de votre propre chef suivant les suggestions conjointes du commissaire principal des Terres et des Travaux publics de la Colombie-Britannique, qui représente le gouvernement de la province, et de M. Powell, surintendant des Indiens pour cette province et représentant du gouvernement fédéral, relativement au [illisible] à rencontrer et aux réserves que vous attribuerez aux Indiens.

Pour l’attribution des terres de réserve, vous devrez être guidé de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisageaient l’application d’une politique libérale envers les Indiens. Vous devrez tenir spécialement compte des habitudes, des souhaits et des activités de la bande, des limites du territoire que celle-ci fréquente ainsi que des revendications des colons blancs (s’il y en a).

Vous devrez faire part aux Indiens du vif souhait qu’a le gouvernement de traiter avec eux de manière juste et libérale dans le cadre du règlement de la question des réserves ainsi qu’à l’égard de tous autres aspects, en les informant aussi que le but et l’objet du gouvernement est de les aider à s’élever dans l’échelle sociale et morale de façon à pouvoir jouir en fin de compte de tous les privilèges et avantages dont jouissent les sujets blancs de Sa Majesté.

[…]

Le gouvernement estime qu’il est de la plus haute importance que, lors du règlement de la question des terres, rien ne soit fait qui porte préjudice au maintien de relations amicales entre le gouvernement et les Indiens, et vous devrez donc vous immiscer le moins possible dans toute entente tribale, en prenant expressément garde de ne pas perturber les Indiens en rapport avec la possession des villages, des postes de traite de fourrure, des établissements, des zones de défrichage, des lieux de sépulture et des campements de pêche qu’ils occupent et auxquels ils peuvent être particulièrement attachés. […]

Vous noterez aussi dans la copie ci-jointe du décret que les décisions que vous prendrez au sujet des réserves attribuées sont assujetties à l’autorisation conjointe du commissaire des Terres et des Travaux publics de la Colombie-Britannique et du surintendant des Indiens de la province et que, en cas de désaccord quant à une question quelconque, ces décisions devront être renvoyées à son Honneur le lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique, dont la décision sera définitive.

[Non souligné dans l’original.]

[16]  Il a aussi été indiqué au commissaire O’Reilly de prendre en considération le rapport de situation rédigé par le commissaire Sproat en 1878, dans lequel ce dernier déclare :

[traduction]

Cependant, les fonctions que j’exerce par rapport aux Indiens ne constituent qu’une partie de mon travail de commissaire des réserves. Il me faut justifier la confiance que les gouvernements successifs de la province ont mise en moi en prenant bien soin des intérêts des colons blancs qui, bien sûr, constituent l’armature de notre population mixte.

La bonne gestion des affaires indiennes dans cette province est un problème concret difficile, mais, en ce qui concerne l’attribution des terres de réserve, les grandes lignes qu’il faut tirer sont, à mon avis, très évidentes. […]

La première condition est de laisser les Indiens dans les lieux anciens auxquels ils sont attachés. À l’heure actuelle, les Indiens d’ici tiennent à un tel point à ces lieux qu’aucun avantage découlant du fait de résider ailleurs ne leur ferait accepter ce changement. Il est une pure vérité qu’au cours de l’été dernier, des Indiens se sont agenouillés devant moi en se lamentant et en suppliant que si la Reine ne pouvait pas leur donner des terres, elle devait leur donner des pierres ou des roches provenant des anciennes localités qu’ils aimaient et qui sont aujourd’hui possédées, ou du moins occupées, par des hommes blancs. Le sentiment qu’éprouvent les Indiens de la Colombie-Britannique, de cette façon et jusqu’à un certain point, à l’égard d’une roche particulière d’où sa famille prend du poisson depuis des temps immémoriaux est le même que celui que ressent un Anglais quand il songe à la maison qui lui vient de ses ancêtres. À mon avis, il serait injuste et imprudent de faire abstraction de ce profond sentiment, qui est bien connu, mais dont, jusqu’à la présente année, je n’avais pas pris pleinement conscience de la force.

[Non souligné dans l’original.]

[17]  Le territoire que les Kitselas ont occupé historiquement se situe le long de la rivière Skeena, dans un secteur situé en amont de Port Essington, lui-même situé près de l’embouchure de la rivière. On a estimé que, dans cette région, l’occupation par des Autochtones remonte aussi loin que 4 000 ans.

[18]  La Compagnie de la Baie d’Hudson (la CBH) et d’autres ont envoyé des explorateurs remonter la rivière Skeena à divers moments au cours du 18e siècle. Au milieu des années 1860, la Skeena était devenue un axe de ravitaillement vers l’intérieur du territoire. Les principaux moyens de transport étaient le canoë et le bateau à vapeur à une roue. Port Essington était le point de départ des bateaux à vapeur qui naviguaient sur la rivière Skeena. Le premier bateau à vapeur a remonté la rivière sur une distance de 144 kilomètres (90 miles environ) en 1864. Au site de Gitaus, il y avait un point de débarquement pour les bateaux à vapeur.

[19]  De l’or a été découvert dans le territoire des Kitselas en 1870. À une date inconnue, la Singlehurst Mining Company, une société minière, a érigé un bâtiment sur la rive gauche de la Skeena, dans le secteur du Canyon. Ce bâtiment a été acquis par la CBH et, en 1891, il était utilisé comme entrepôt.

[20]  En septembre 1891, le commissaire O’Reilly a voyagé le long de la rivière Skeena afin de relever les terres à mettre de côté à titre de réserve pour les Kitselas et d’autres nations indiennes.

[21]  En prévision de la rencontre avec le commissaire O’Reilly, le chef Samuel Wise et d’autres chefs des Kitselas ont écrit au commissaire pour demander que l’on mette de côté des terres pour leur peuple. La lettre, datée du 29 septembre 1891, indique notamment ce qui suit :

[traduction]

Cela nous fera grandement plaisir si vous nous autorisez à conserver autant de terres que nous le désirons.

Sur lesquelles nos ancêtres ont travaillé et dont ils ont tiré leur subsistance. Et nous souhaitons par la grâce de la Reine pouvoir les conserver dorénavant.

Et nous souhaitons aussi, surtout (qu’après votre travail concernant les terres que nous souhaitons voir réserver pour nous) vivre en paix avec les autres et ne plus être privés des terres de nos ancêtres.

L’étendue que nous souhaitons obtenir (réservée pour nous) s’étend de Kshigingat, à la partie supérieure du village de Giatzilash, jusqu’à la route de Gankshpai (en descendant du village de Giatzilash). Le tout à angles droits.

Nous n’élargissons pas les terres en ces temps modernes, mais elles sont de la même taille que celles que nous possédions jadis. Et qui, nous l’espérons, nous seront encore utiles à l’avenir.

[22]  Les terres demandées s’étendaient, à partir de Gitsaex (Giatzilash), sur une distance de dix miles le long de la Skeena, dans chaque direction.

[23]  Les 5 et 6 octobre 1891, le commissaire O’Reilly a rencontré le chef Wise et d’autres membres de la Nation de Kitselas. Le compte rendu écrit du commissaire O’Reilly comprend ceci :

[traduction]

Kitselas, 5 octobre 1891

Pluie incessante toute la nuit. La tente fuit beaucoup, tout est humide et désagréable. Arrivé à Canyon à 10 h du matin. Réunion avec onze ind. – en présence de Peter Haldane interprète. Le chef Samuel Wise a réitéré la demande faite dans sa lettre, concernant [espace] miles de la rivière.

Mardi 6 octobre

Belle journée – debout à 5 h, Frank [illisible] comme cuisinier et il s’est très bien débrouillé. Avons descendu la rivière à 7 h 30 – Avons marqué la rés. de bois, mauvaise qualité, comprend petite pêcherie; aussi rés. de village qui commence à environ 2 miles au nord du village – inclut la totalité de Canyon et environ 3 miles au sud, sauf environ 10 acres à l’entrepôt de la CBH.

[24]  Le texte qui suit illustre l’échange qu’ont eu le commissaire O’Reilly et le chef Samuel Wise à Kitselas, le 5 octobre 1891 :

[traduction]

12 personnes présentes

Canyon de Kitselas

 

Lundi 5 octobre 1891

Ag [sic] Todd

 

Pop. env. 300 selon les Indiens

Interprète Peter Haldane

Chef Sam Wise

 

Le chef Sam Wise :

Nous savons que vous êtes autorisé par le gouvernement à délimiter nos réserves et vous savez par la lettre que je vous ai remise hier quelles sont les terres que nous voulons voir réservées [sic] elles englobent la totalité des terres que nous utilisons. Je ne demanderais pas cette étendue-là si elle ne nous était d’aucune utilité. Nous obtenons tout le bois dont nous avons besoin pour bâtir nos villages dans la partie supérieure des terres. Dans la partie inférieure, où il y a des roches, nous prenons du poisson. Dans les montagnes nous chassons et nous cueillons des baies à faire sécher. Nous fabriquons aussi des canoës à partir des arbres qui poussent sur les rives de la rivière, et nous les vendons à d’autres Indiens. Au pied des montagnes, nous érigeons nos tentes. En descendant, vous verrez quelques ruisseaux où nous pêchons. Ils nous sont tous utiles. Nous espérons que nos enfants pourront s’en servir et qu’ils seront plus nombreux [même si] nous ne sommes pas [aussi nombreux maintenant que nous l’avons déjà été]. [Nous espérons que vous nous donnerez] les terres que nous demandons pour [illisible] l’autre village [illisible] [nous travaillons aux limites]. Nous espérons que quand vous aurez terminé votre travail, nous vivrons en paix et ne serons pas dérangés.

Luke : Nous ne pouvons rien dire de plus que ce que le chef a déclaré et les endroits qu’il a mentionnés qu’il faudrait nous réserver. Et tous ont été heureux quand ils ont appris votre arrivée.

Et vous avez vu tous les lieux. Nous avons installé nos bâtiments dans ces lieux, car c’est de là que nous tirons notre subsistance, comme nos ancêtres le faisaient. Nous souhaitons savoir pendant combien de temps nous pourrons utiliser les terres une fois qu’elles auront été réservées.

Le commissaire O’Reilly :

Comment pourrais-je définir les endroits où vous allez chasser? Vous allez partout, et c’est la même chose pour les terres où vous cueillez des baies. Quand les réserves sont établies, des arpenteurs viennent, ils définissent les limites et des cartes sont faites et envoyées au chef. Luke a demandé pendant combien de temps ils allaient pouvoir utiliser les réserves. Je réponds pour toujours. Je crains que quelqu’un lui ait dit le contraire. Dites-moi si c’est le cas, et je le lui expliquerai. Mon intention n’est pas de vous tromper. Je vous dirai ce que je peux faire et ce que je ne peux pas. Je ne peux pas vous donner la réserve que vous demandez, dix miles en amont et dix miles en aval. Où que soient vos villages, vos potagers et vos terres à bois, je vous donnerai une réserve qui englobera le tout.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Après la rencontre avec les Kitselas le 6 octobre 1891, le commissaire O’Reilly a rédigé un procès-verbal de décision, qui décrit les secteurs qu’il a recommandé de réserver pour la Nation de Kitselas. Il a recommandé six réserves, totalisant une superficie de 2 910 acres :

1

RI no 1 – 2 110 acres

2

RI no 2 – 240 acres

3

RI no 2 – 240 acres

4

RI no 4 – 130 acres

5

RI no 5 – 323 acres

6

RI no 6 – 17 acres

[26]  Le commissaire O’Reilly a décrit la RI no 1 en ces termes :

[TRADUCTION]

Indiens Kitselas

No 1

Kitselas, une réserve de deux mille cent dix (2 110) acres, située au Canyon de Kitselas, sur la rivière Skeena.

[…]

Un terrain de dix (10) acres sur la rive gauche de la rivière Skeena, à l’embouchure du canyon, sur lequel se trouve l’entrepôt de la Compagnie de la Baie d’Hudson, n’est pas inclus dans cette réserve. […]

[Non souligné dans l’original.]

[27]  Le commissaire O’Reilly était accompagné d’un arpenteur, Ashdown Green. Les notes de M. Green comprennent un croquis de la réserve décrite dans le procès-verbal de décision susmentionné. L’extrait suivant du rapport d’expert de Blair Smith, BCLS; CLS, décrit le contenu de ce croquis :

[TRADUCTION]

Les notes classées de M. Green sont consignées dans CLSR FBBC 4667 (onglet 9). Les pages ne sont pas numérotées, mais les noms des bandes indiennes visitées sont mentionnés. Son croquis de la RI no 1 de Kitselas est facile à reconnaître. Dans ce croquis, Green signale qu’il y a neuf maisons dans le village de Kitselas. Ce dernier est situé sur la rive gauche. Si l’on continue vers le sud, le long de la rive gauche, juste au sud du village, figure un ancien potager, dont l’étendue est illustrée par une ligne de tirets. Green indique aussi le portage. En deçà du canyon, il y a deux maisons entourées par un potager ou une clairière. Le bâtiment de la Baie d’Hudson (CBH) est situé à la droite des maisons apparaissant sur le croquis. De l’autre côté de la rivière, sur la rive, on voit une maison seule en aval du canyon, et une maison située à peu près en face du village. Sous le schéma on lit la note suivante « 10 acres à exclure pour une rés. gouv. s’il le faut ».

[Non souligné dans l’original.]

[28]  Le croquis d’Ashdown Green, que ce dernier semble avoir tracé pendant qu’il se trouvait sur les lieux, ne délimite pas la parcelle de terre de 10,5 acres exclue du secteur décrit dans le procès-verbal de décision, mais ses notes en font mention.

[29]  Le 28 janvier 1892, le commissaire O’Reilly a écrit à F.G. Vernon, commissaire principale des Terres et des Travaux publics de la Colombie-Britannique, en vue d’obtenir que la province approuve les attributions de réserve qu’il avait recommandées ainsi que les croquis :

[TRADUCTION]

J’ai l’honneur de joindre pour information et approbation le procès-verbal de décision et un croquis des neuf réserves délimitées au cours de l’été dernier pour deux bandes des Indiens Tsimpsean, c.-à-d. les Kitselas et les Kitsumkaylum, qui vivent le long de la rivière Skeena, à une distance d’environ 80 et 66 miles en amont d’Essington, respectivement.

Il n’y a aucun établissement dans les environs de ces réserves et, s’il devait y en avoir, il y a peu de chance que les intérêts des Blancs et des Indiens entrent en conflit.

J’ai exclu de la réserve no 1 de Kitselas une parcelle d’une superficie de dix acres située sur la rive gauche de la rivière, juste en aval du canyon, car, je crois, il serait avantageux pour le public que ces terres soient déclarées comme une réserve publique, et vous pourriez penser qu’il serait souhaitable de donner suite à ma suggestion. La Compagnie de la Baie d’Hudson a déjà érigé sur les lieux un petit entrepôt.

L’annexe ci-jointe indique la population, la superficie en acres [etc.?] des terres pour lesquelles nous sollicitons votre approbation.

 

Pop

Nombre de rés.

Superficie (acres)

Kitselas

89

6

2 910

Kitsumkaylum

70

3

1 246

Votre humble serviteur,

P. O’Reilly

C.R.I.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  Le croquis joint à cette lettre montre la zone de 10,5 acres qui est exclue. Le 4 février 1892, M. Vernon a informé le commissaire O’Reilly qu’il approuvait le procès-verbal de décision et le croquis.

[31]  Le 20 juillet 1892, le commissaire O’Reilly a écrit au surintendant général adjoint des Affaires indiennes, L. Vankoughnet, pour faire état de l’attribution de réserves à la Première Nation de Kitselas :

[traduction]

Monsieur,

J’ai l’honneur de vous informer que, le 5 octobre dernier, j’ai entrepris l’attribution de réserves aux Indiens « Kitselas », une branche de la tribu des Tsimpsean qui vit le long de la rivière Skeena, à une soixantaine de miles environ de son embouchure.

Ce jour-là, j’ai eu un long entretien avec le chef Sam Wise et un bon nombre de membres de la bande étaient présents. Il m’a donné les noms et les emplacements des lieux qu’il souhaitait voir réservés, lieux que j’ai tous visités par la suite. Après un examen attentif, j’ai défini les six réserves qui suivent.

Réserve no 1 de Kitselas, d’une superficie de 2 110 acres; elle est située au canyon de Kitselas, où il existe des possibilités de pêche très intéressantes, et elle l’englobe.

La terre est de piètre qualité et peu d’efforts ont été faits pour la cultiver. Il y a une abondance de bois pour toutes les fins. Le village, qui se trouve sur la rive gauche de la rivière, comprend neuf maisons, mais il y a des preuves qu’il existait ici autrefois un établissement d’une taille nettement plus grande.

[32]  Le 1er août 1892, R.H. Hall, de la CBH, a écrit au commissaire O’Reilly au sujet de l’entrepôt situé sur des terres faisant partie des limites externes de la RI no 1 de Kitselas :

[traduction]

Monsieur,

Je viens tout juste de recevoir une lettre de M. Clifford, notre représentant à Port Simpson, au sujet de la parcelle de terrain située au canyon de Kitsalas où se trouve l’entrepôt de la Compagnie. Nous aimerions qu’une partie de ce terrain ne soit pas incluse dans la réserve indienne et, si possible, obtenir un titre de propriété sur, disons, une acre de terrain au débarcadère.

Le gouvernement fédéral a voté une somme d’argent considérable pour l’amélioration de la navigation sur la rivière Skeena, une somme qui sera dépensée cet hiver au canyon de Kitsalas, mais les Indiens soutiennent que la totalité des terres situées des deux côtés du canyon de Kitsalas leur appartient, et il a été question qu’ils fassent obstacle aux hommes que nous enverrons là-bas cet hiver pour les travaux d’abattage à l’explosif. Je vous mentionne ce fait, mais je présume qu’il faudra que je demande aux autorités d’intervenir dans cette affaire. Je crois qu’une simple lettre du procureur général suffira.

[Non souligné dans l’original.]

[33]  En 1893, le commissaire O’Reilly est retourné dans la région de la rivière Skeena en vue d’attribuer des réserves destinées à d’autres Nations situées plus en amont. De retour en aval, il a rendu visite à la Nation de Kitselas en vue d’attribuer de nouvelles réserves et de modifier l’attribution de la RI no 1. Les chefs l’ont informé de leur souhait d’abandonner leur ancien village situé dans le canyon de Kitselas (Gitsaex), à la condition de pouvoir échanger une partie de la réserve no 1 de Kitselas contre un ajout à la réserve no 4. Le commissaire O’Reilly a souscrit à cette demande, et a ajouté à la réserve no 4 une superficie de 490 acres en échange de la cession volontaire d’une superficie de 640 acres de la réserve no 1. Un procès-verbal de décision a été établi pour donner effet à cet échange. Le 27 février 1894, le commissaire O’Reilly a écrit au commissaire principal des Terres et des Travaux publics de la province pour l’informer de ces changements. Sa lettre indique, notamment :

[traduction]

J’ai jugé préférable d’annuler le procès-verbal original de la réserve no 1 et de le remplacer par un nouveau procès-verbal; cependant, aucun changement n’a été apporté aux limites sud, et un terrain de dix acres, sur la rive gauche de la Skeena, juste en deçà du canyon, est omis, car je crois qu’il serait commode pour le public que ce terrain soit déclaré comme une réserve gouvernementale.

Les raisons pour lesquelles je n’ai pas inclus ce terrain de dix acres vous ont été données dans ma lettre sur le sujet, datée du 28 janvier 1892.

[34]  En mai 1901, E.M. Skinner a procédé à l’arpentage de la RI no 1 de Kitselas. Il a signalé qu’il y avait une [traduction] « grande maison indienne » située à proximité de l’entrepôt de la CBH. Cela semble être dans le même secteur général que les maisons illustrées par des points sur le croquis de M. Green. Le lendemain, un arpenteur géomètre de la province a arpenté le terrain exclu de la RI no 1 de Kitselas. Ce secteur, appelé à cette époque « lot 113 », avait une superficie de 10,5 acres. Le lot 113 était enclavé à l’intérieur des limites de la RI no 1 de Kitselas et il s’agissait d’une « réserve provisoire » (une appellation qui tire son origine de l’arrêt Wewaykum et qui désigne le statut donné à une terre réservée, mais non encore transférée de la province au Canada).

3.  L’usage ultérieur du lot 113

[35]  La province a subdivisé le lot 113 en cinquante lots. Certains d’entre eux ont été achetés par des spéculateurs. Le terrain en question est resté inexploité jusqu’en 1907, quand il est devenu un centre de services pour les travailleurs affectés à la construction de la voie ferrée. Les travaux ont pris fin en 1913, et la « ville champignon » appelée Kitselas a été abandonnée. La province a récupéré les lots pour non-paiement de taxes. Le lot 113 est aujourd’hui un parc provincial.

4.  Les informations archéologiques

[36]  Se fondant sur des informations ethnographiques ainsi que des recherches sur le terrain menées dans le canyon de Kitselas, des archéologues ont écrit que les Autochtones se sont tout d’abord établis en aval du canyon en un lieu appelé Tsunyow, et ensuite à Gitaus. Une recherche ethnographique, en tant que science décrivant les races et les cultures humaines, inclut l’histoire orale. Il y a un grand vide dans les données archéologiques pour la période allant d’environ l’an 500 apr. J.-C. à l’an 1750. Entre 1750, environ, et la fin des années 1800, les Kitselas ont habité les villages de Gitlaxdzawk et de Gitsaex, à l’extrémité supérieure du canyon. Ces villages, disent-ils, étaient les seuls présents dans le canyon qui ont été occupés à l’époque historique. La distinction que l’on fait dans la documentation savante entre ce qui est « préhistorique » et « historique » repose sur l’existence – ou non – d’une preuve écrite du passé; dans ce contexte, cette distinction équivaut donc à celle que l’on fait entre l’« époque pré-européenne » et l’« époque post-européenne ».

[37]  En 1968, un archéologue nommé Louis Allaire a fait des fouilles au site de Gitaus.

[38]  Les travaux de M. Allaire ont mis au jour les vestiges d’un village à Gitaus. La limite du lot 113 traversait le site. M. Allaire a conclu, à partir des données stratigraphiques, que le village de Gitaus avait été occupé pour la première fois entre les années 2000 à 1700 av. J. C. et que, vers l’an 500 apr. J.-C., il était en déclin.

5.  L’histoire orale

a)  Isabelle McKee

[39]  Isabelle McKee, une aînée Kitselas, a relaté l’histoire orale de son peuple. Cette histoire lui avait été transmise par son oncle, David Mason, décédé en 1997.

[40]  Les légendes des Kitselas font référence à Gitaus comme le site d’un village. Les Kitselas étaient appelés le peuple de la barre de sable. À mesure que la population s’est accrue, certains se sont déplacés en aval et ont établi de nouveaux villages le long de la rivière. Lors des mois d’été, quand le saumon remontait le courant, les habitants des nouveaux villages suivaient l’espèce en amont, aussi loin que Gitaus. Là, ils faisaient sécher le poisson et se préparaient à l’hiver. Par la suite, certains s’en allaient, mais d’autres restaient à Gitaus.

[41]  L’histoire orale ne dit pas que Gitaus a été abandonné; [traduction] « l’endroit a toujours été appelé Gitaus ».

[42]  Le grand-père de David Mason, Richard Cecil, avait une maison sur le site de Gitaus. Cette maison avait appartenu à l’arrière-grand-mère de Richard Cecil. Elle a été transmise dans la famille, de génération en génération.

[43]  Au début du 20e siècle, Richard Cecil était un jeune homme. Il vivait à cette époque dans la maison située à Gitaus. David Manson a dit à Isabelle McKee qu’une dame âgée, Kate Nesnaquelk, que l’on présume être la grand-mère de Richard Cecil, vivait à Gitaus. Kate Nesnaquelk et Richard Cecil vivaient à Gitaus, peut-être dans la même maison.

[44]  Ces personnes ont vécu au site de Gitaus avant et après l’arrivée de la Compagnie de la Baie d’Hudson.

[45]  Richard Cecil avait des sentiers de piégeage dans le secteur.

[46]  Richard Cecil a déménagé à Endudoon (le nouveau village situé sur des terres attribuées par le commissaire O’Reilly en 1893), où il a bâti une maison. C’était aux environs de 1900. Il a déménagé à cet endroit, mais a conservé sa cabane de chasse à Gitaus. Il chassait toute l’année.

[47]  La veuve du chef Kitselas, Kate, ainsi que les Cecil sont restés dans le canyon après que les gens aient déménagé à Endudoon. Il ne s’agissait pas du site de Gitsaex, lequel était situé en amont.

[48]  Gitsaex est un lieu de sépulture; lors des épidémies, les gens mouraient si rapidement que les habitants ne pouvaient pas suivre le rythme pour les enterrer et les victimes étaient enterrées dans leurs propres maisons.

[49]  La maison qu’habitait Richard Ceci était une maison permanente, utilisée comme cabane de chasse. Plus personne ne vivait dans au canyon (il semble s’agir d’une référence à Gitsaex).

[50]  Après le déménagement à Endudoon, les autochtones menaient encore leurs activités de pêche et de chasse à partir du canyon.

[51]  Les personnes vivant à Gitaus et Gitsaex étaient issues des mêmes familles, car elles sont toutes liées entre elles.

b)  Wilfred Bennett

[52]  Wilfred Bennett, un aîné Kitselas, a relaté l’histoire orale du peuple Kitselas.

[53]  L’histoire orale du peuple Kitselas lui a été racontée par Ralph Wright, décédé en 2009 à l’âge de 73 ans. Ralph Wright était le chef héréditaire des Gispawedwada, la tribu de l’Épaulard. Son père, Walter Wright, était aveugle. Ralph est devenu son guide et s’est rendu avec lui dans différentes collectivités des Tsimshian, où l’on racontait des histoires sur le territoire des Kitselas.

[54]  La forteresse, Gitlaxdzawk, comportait dix maisons longues, une pour chacun des chefs des Kitselas. Leurs emblèmes étaient le corbeau, l’aigle et l’épaulard. À cet endroit, il n’y avait pas de maison laxkibu (loup). Elles se trouvaient de l’autre côté de la rivière, à Gitsaex.

[55]  « Gitaus » signifie « peuple de la barre de sable » « Git » signifie « peuple », et « aus » « barre de sable ».

[56]  Cinq tribus vivaient dans le secteur du canyon, et l’hiver, dans le passé, la population dépassait six mille personnes. Les négociants qui passaient devaient payer un péage en montant ou en descendant la rivière. Les Kitselas ont donné à la Compagnie de la Baie d’Hudson l’autorisation d’utiliser un terrain à Gitaus en vue d’y aménager un poste de traite. Les Kitselas devaient avoir le premier choix pour ce qui était des marchandises qui arrivaient, en échange de fourrures.

[57]  Un village appelé Tsunyow, sur la rive droite de la rivière, étant plein, un second a été établi sur la rive gauche, à Gitaus.

[58]  Le secteur situé juste en deçà de Gitaus était utilisé par les bateaux à vapeur, car il s’agissait d’un endroit parfait où accoster. Une voie à câble reliait Gitaus à Gitsaex. Les marchandises étaient transportées de Gitaus à Gitsaex. Gitaus était l’un des quatre villages hivernaux des Kitselas. Les autres étaient Tsunyow, Gitlaxdesauq et Gitsaex. Gitsaex était le plus gros. Il est situé en amont du canyon.

[59]  M. Bennett a convenu en contre-interrogatoire que, lorsque l’eau franchissant le canyon était haute, il était nécessaire de faire du portage depuis la partie inférieure du canyon jusqu’à Gitsaex. Il était alors impossible qu’un canoë franchisse le canyon de l’aval vers l’amont. Il a convenu que le peuple des Kitselas, historiquement, faisait du portage depuis la partie inférieure du canyon jusqu’à sa partie supérieure. Il a aussi convenu qu’il serait impossible qu’un vapeur à aubes franchisse le canyon si le niveau d’eau était trop élevé.

[60]  Gitaus était un endroit où l’on s’occupait de [traduction] « charger une partie de leurs marchandises et, s’ils poursuivaient leur route par le canyon, alors, oui, ils faisaient transporter ces marchandises par voie à câble jusqu’à Gitsaex ». À Gitaus, où ils s’amarraient, il y avait suffisamment d’eau.

[61]  Le lieu de portage de la Nation de Kitselas était situé à la plage sablonneuse. Le plan qu’on lui a montré, le croquis d’Ashdown Green, montre une ligne pointillée qui commence à la [traduction] « plage sablonneuse ». M. Bennett a convenu que c’est à cet endroit qu’était situé le portage.

[62]  Gitaus n’a pas été abandonné. La population a pris de l’ampleur, et le secteur de la forteresse était le lieu stratégique où les chefs avaient bâti leurs maisons longues. C’était de là qu’ils contrôlaient la circulation qui montait et descendait la rivière. Le village le plus grand, de l’autre côté de la rivière, était Gitsaex.

6.  La pertinence de la preuve par histoire orale

[63]  Dans l’arrêt Mitchell c MRN, 2001 CSC 33, [2001] 1 RCS 911, la présentation de preuves par histoire orale a été examinée :

[37] Quoi qu’il en soit, la présente affaire nous oblige à clarifier les principes généraux énoncés dans Van der Peet et Delgamuukw quant à l’appréciation de la preuve dans les revendications de droits ancestraux. L’obligation pour les tribunaux d’interpréter et d’apprécier la preuve en étant conscients de la nature particulière des revendications autochtones est essentielle à la protection réelle des droits prévus au par. 35(1). Comme le juge en chef Lamer l’a noté dans Delgamuukw, l’admission en preuve de récits oraux représente une reconnaissance creuse du point de vue autochtone lorsque ces éléments de preuve sont par la suite systématiquement sous estimés ou privés de toute valeur probante indépendante (par. 98). Il est donc impératif que les règles de preuve garantissent que « les tribunaux accordent le poids qui convient » au point de vue des autochtones (par. 84).

[Non souligné dans l’original.]

[64]  La Loi prévoit, à l’alinéa 13(1)b), que la preuve par histoire orale est recevable dans le cadre des instances du Tribunal.

[65]  Dans la présente affaire, l’histoire orale est pertinente à l’égard des questions suivantes :

  1. L’occupation par les Kitselas du site de Gitaus depuis une époque ancienne jusqu’aux années 1890 et par la suite.

  2. L’intention qu’avaient les chefs en demandant des terres dont l’étendue engloberait le site de Gitaus.

  3. Le fait que le Canada se soit fondé sur l’absence de toute opposition de la part des chefs quant à l’exclusion du site de Gitaus de la RI no 1.

7.  La recevabilité de la preuve par histoire orale

[66]  Le Canada déclare qu’il n’avait pas pris conscience d’une partie des éléments de preuve présentés à l’appui de la revendication avant la présentation des preuves par histoire orale à l’audience. Le Canada affirme aussi que les preuves sous cette forme n’ont pas été incluses dans les observations que la revendicatrice a faites au sujet de la revendication auprès du ministre ou dans sa déclaration de revendication.

[67]  Le Canada exprime son opposition en ces termes :

[traduction]

La position de la Couronne est la suivante : pour relever à bon droit de la compétence du Tribunal, un fait allégué de cette nature aurait dû être inclus dans la revendication initiale qui a été soumise au ministre. À tout le moins, un tel fait allégué entièrement nouveau aurait dû être plaidé dans la déclaration de revendication.

[68]  La question de savoir si des preuves par histoire orale allaient être présentées a été soulevée lors de la première conférence de gestion d’instance, le 16 décembre 2011.

[69]  À une conférence de gestion d’instance tenue le 18 juin 2012, la revendicatrice a avisé officiellement le Canada de son intention de présenter des preuves par histoire orale au plus tard le 7 septembre 2012. Elle a indiqué qu’il y aurait probablement deux témoins qui présenteraient des preuves sous cette forme. Le Tribunal a demandé aux parties de discuter entre elles de la meilleure façon de procéder quant à l’avis de la teneur de ces preuves et du contre-interrogatoire des témoins qui présenteraient des preuves sous cette forme.

[70]  La revendicatrice était censée rendre compte, à l’occasion d’une conférence de gestion d’instance fixée au 13 septembre 2012, des discussions de leurs parties sur l’avis concernant les preuves prévues et le protocole de contre-interrogatoire des témoins qui présenteraient l’histoire orale.

[71]  Le mémoire de la conférence de gestion d’instance du Canada, daté du 13 septembre 2012, contenait un projet de protocole relatif à l’histoire orale, lequel avait été envoyé à la revendicatrice quelques jours plus tôt. Il a été convenu que cette dernière fournirait un résumé des témoignages anticipés au plus tard le 9 octobre 2012. Le Canada a reçu ce résumé le 2 octobre 2012.

[72]  Le Canada ne s’est pas opposé à la présentation de ces preuves lorsqu’elles ont été produites à l’audience.

[73]  En application de l’alinéa 13(1)b) de la Loi, le Tribunal peut recevoir les éléments de preuve qu’il juge indiqués, sauf s’ils sont inadmissibles devant un tribunal judiciaire du fait d’une immunité quelconque devant les tribunaux judiciaires selon le droit de la preuve.

[74]  Les preuves qui, selon le Canada, ne relèvent pas de la compétence du tribunal ne changent pas le fondement factuel de la revendication ou n’introduisent pas de nouveaux motifs. Elles servent uniquement à étayer la position de la revendicatrice selon laquelle les terres en question auraient dû être mises de côté à titre de réserve en 1891. Les déclarations faites par l’entremise des témoignages au sujet de l’histoire orale ne sont pas la seule preuve que les terres ont été utilisées à une époque éloignée ainsi qu’en 1891.

[75]  Au cours de la gestion d’instance préalable à l’audience, les conditions dans lesquelles le Canada serait avisé des preuves sous forme d’histoire orale envisagées ont été établies. Rien ne donne à penser que le processus ait été inéquitable ou que le Canada ait subi un préjudice dans sa réponse à la revendication.

[76]  Les preuves par histoire orale feront partie du dossier.

8.  Analyse et conclusions

[77]  Entre la création de la CMRI et la nomination du commissaire O’Reilly à titre d’unique commissaire inclusivement, la Commission a été obligée, au moment de désigner des terres à mettre de côté à titre de réserve, de tenir spécialement compte des habitudes, des souhaits et des activités des nations autochtones.

[78]  En août 1880, le commissaire O’Reilly a eu pour instruction de bien faire comprendre aux Indiens le souhait qu’avait le gouvernement de traiter avec eux de manière juste et libérale au sujet de l’attribution des réserves. Il a été informé de l’opinion du gouvernement selon laquelle il était d’une importance capitale que rien ne soit fait pour porter préjudice aux relations amicales qu’entretenaient le gouvernement et les Indiens en rapport avec le règlement de la question des terres. Il fallait donc qu’il s’immisce le moins possible dans les ententes tribales et qu’il prenne soin de ne pas perturber les Indiens en rapport avec la possession de villages, de postes de traite de fourrure, d’établissements, de zones de défrichage, de lieux de sépulture et de campements de pêche qu’ils occupaient et auxquels ils pouvaient avoir un attachement particulier.

[79]  Le commissaire O’Reilly a aussi eu pour instruction de prendre en compte les revendications des colons blancs, [traduction] « s’il y en avait ».

[80]  Les questions de fait importantes comprennent les suivantes :

  1. Y avait-il un village à Gitaus en 1891?

  2. Les terres demandées par les chefs incluaient-elles le site de Gitaus?

  3. S’il n’y avait pas de village à Gitaus, le site était-il occupé ou utilisé par le peuple des Kitselas en 1891?

  4. L’attribution, par le commissaire O’Reilly, de la RI no 1 était-elle fondée sur sa connaissance ou sa compréhension des habitudes, des souhaits et des activités du peuple des Kitselas?

  5. Y avait-il, en rapport avec le secteur que demandaient les chefs ou le secteur de moindre superficie qui a été attribué, des revendications quelconques de la part de colons blancs?

a)  Le village de Gitaus

[81]  Wilfred Bennett a témoigné que Gitaus et les secteurs environnants comptaient autrefois une population de 6 000 personnes. Il a expliqué que ce village avait été établi à cause de la croissance de la population à Tsunyow, un village situé sur la rive opposée de la rivière. Plus tard, la population s’est déplacée à Gitsaex. Il ne considérait pas que le site de Gitaus avait été abandonné.

[82]  Isabel McKee ne considérait pas non plus que Gitaus avait été abandonné.

[83]  Selon des recherches ethnographiques et archéologiques, Gitaus avait cessé d’être le site d’un village longtemps avant le contact avec les Européens. Sous l’angle de ces deux disciplines, le village avait été abandonné. Sous l’angle des Autochtones, il a continué d’être l’endroit appelé Gitaus et donc n’a jamais été « abandonné ».

[84]  L’importance du mot « Gitaus » est son association avec un lieu. Ce lieu est la barre de sable. Ces Indiens sont, par leur présence dans un territoire, le peuple de la barre de sable.

[85]  Comme l’on préserve l’histoire orale en la transmettant de génération en génération, les chefs qui ont rencontré le commissaire O’Reilly en 1891 auraient eu la même connaissance de ce lieu, Gitaus, et de son importance pour l’identité du peuple Kitselas, que la génération actuelle.

[86]  Même s’il existait des signes visibles de l’utilisation de l’ancien site du village en 1891, le commissaire O’Reilly ne l’aurait pas considéré comme un village.

b)  Les terres demandées et les terres attribuées

[87]  Les terres que les chefs demandaient s’étendaient sur une distance de dix miles dans chaque direction à partir de Gitsaex. Les terres attribuées par le commissaire O’Reilly dans ses procès-verbaux de décision s’étendaient sur deux miles dans une direction et sur trois miles dans l’autre. Les deux superficies entouraient le site de Gitaus, qui était exclu.

c)  L’utilisation et l’occupation de Gitaus en 1891

[88]  Il y avait des habitations au site de Gitaus quand le commissaire O’Reilly et Ashdown Green s’y sont rendus en 1891. Isabel McKee a nommé des personnes qui habitaient à cet endroit à l’époque.

[89]  Comme les notes jointes au croquis de M. Green font état de la présence de bâtiments, le commissaire O’Reilly les aurait vus.

[90]  Le croquis d’Ashdown Green fait état d’un portage. Ce dernier était utilisé par les Kitselas pour transporter des canoës afin de contourner le défilé du canyon.

d)  Les revendications des colons blancs

[91]  Il n’y avait pas de telles revendications en 1891.

[92]  Comme les cours d’eau étaient le principal mode de transport, le seul peut-être, dans la région en 1891, les intérêts des colons situés en amont auraient été servis par la présence du débarcadère et de l’entrepôt de la CBH. Le commissaire O’Reilly n’a pas exclu le site de Gitaus en prévision de l’utilisation du lieu de portage pour le transport de marchandises au-delà du canyon. La totalité des terres offrant des possibilités de transport a été attribuée.

[93]  Il n’y a aucune preuve que la CBH avait besoin de plus de terres qu’elle n’utilisait pour le bâtiment de stockage et le débarcadère. Lorsqu’elle a présenté une demande de titre de propriété, elle a demandé une superficie d’un acre.

II.  l’obligation fiduciaire

A.  Les faits prévus par la Loi sur le Tribunal des revendications particulières

[94]  L’obligation juridique à laquelle le Canada aurait manqué repose sur l’existence d’une obligation fiduciaire. La revendicatrice dit que cette obligation a pris naissance avant la mise en œuvre du processus de création de réserves de la CMRI. Elle se reflète à l’article 13 des Conditions de l’adhésion ainsi que dans les attributions de la CMRI. La revendicatrice se fonde donc sur l’alinéa 14(1)c) de la Loi :

14(1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

[…]

c) a violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

[95]  Le Canada dit que la Couronne n’avait pas d’obligation fiduciaire envers la Première Nation de Kitselas dans le cadre du processus d’attribution de réserves et, en particulier, à l’égard de l’attribution de la RI no 1 et de l’exclusion de Gitaus (plus tard, le lot 113) de la réserve.

B.  Les facteurs qui donnent naissance à une obligation fiduciaire

[96]  Le mémoire des faits et du droit du Canada énonce, au paragraphe 41, les éléments du critère qui s’applique à l’existence d’une obligation fiduciaire :

[traduction]

Le critère relatif à l’existence d’obligations fiduciaires dans le contexte des rapports entre la Couronne et les Autochtones comporte deux éléments de base :

a)  l’existence d’un droit indien identifiable;

b)  l’exercice, par la Couronne, de pouvoirs discrétionnaires à l’égard de ce droit, d’une manière entraînant une responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé ».

[97]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a traité de la création des réserves en Colombie-Britannique, un processus qui « s’est étalé » de 1878 à 1938. La revendicatrice invoque le paragraphe suivant :

[97] En l’espèce, tout comme dans l’arrêt Ross River, la nature et l’importance du droit des bandes appelantes sur ces terres avant 1938, ainsi que l’intervention de la Couronne pour leur compte, en tant qu’intermédiaire exclusif auprès de tiers (y compris la province), ont imposé à la Couronne l’obligation de fiduciaire de faire montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et d’agir avec la diligence « ordinaire » requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation.

[98]  Le paragraphe de l’arrêt Wewaykum qui précède doit être considéré dans le contexte des faits qui s’appliquent aux réserves dont il était question dans cet arrêt. Deux réserves avaient été attribuées par un procès-verbal de décision du commissaire des réserves, Peter O’Reilly. Les deux avaient été attribuées au profit des collectivités autochtones qui occupaient les terres. Les deux réserves ont été transférées de la province au Canada en 1938 par le Décret 1036. Avant ce transfert il existait, comme l’a dit le juge Binnie, des « réserves provisoires ». Longtemps après la « création » des réserves à toutes fins que de droit en 1938, les bandes contestataires ont revendiqué chacune les deux réserves.

[99]  Les deux bandes ont fondé leur revendication sur l’obligation fiduciaire. La Cour suprême est arrivée à la conclusion suivante :

[89] Dans la présente affaire, le processus de création de réserves s’est étalé de 1878 environ à 1928, soit sur une période de 50 ans. À partir de 1907 au moins, le ministère a considéré que les réserves existaient, ce qui était effectivement le cas, eu égard au fait qu’elles étaient concrètement occupées. On ne peut raisonnablement affirmer que, durant cette période, la Couronne n’avait aucune obligation de fiduciaire envers les bandes concernées qui, en plus d’occuper les réserves provisoires, étaient entièrement tributaires de la Couronne pour que le processus de création des réserves aboutisse.

[Non souligné dans l’original.]

[100]  La conclusion selon laquelle il pouvait exister des obligations fiduciaires dans les circonstances dont il était question dans l’arrêt Wewaykum reposait sur une analyse remontant à l’arrêt Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321 (Guerin), dans lequel la source du titre indien en tant que droit juridique a été analysée :

[76]  En conséquence, dans l’arrêt Guerin lui-même, où la Couronne avait omis de s’acquitter de son mandat et de négocier l’insertion de conditions précises dans un bail, portant sur 162 acres d’une réserve, qui avait été consenti au club de golf Shaugnessy Heights situé en banlieue de Vancouver, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a pu distinguer le pourvoi dont la Cour était saisie des affaires de « fiducie politique » et déclarer cette jurisprudence inapplicable, dans un passage qu’il convient de reproduire en entier (aux p. 378 379) :

[…] le titre indien est un droit qui a une existence juridique indépendante et qui, bien que reconnu dans la Proclamation royale de 1763, existait néanmoins avant celle-ci. C’est pourquoi les arrêts Kinloch v. Secretary of State for India in Council et Tito v. Waddell (No 2), précités, ainsi que les autres décisions concernant les « fiducies politiques » ne s’appliquent pas en l’espèce. La jurisprudence en matière de « fiducies politiques » porte essentiellement sur la distribution de deniers publics ou d’autres biens détenus par le gouvernement. Dans chaque cas, la partie qui revendiquait le statut de bénéficiaire d’une fiducie s’appuyait entièrement sur une loi, une ordonnance ou un traité pour réclamer un droit sur les deniers en question. La situation des Indiens est tout à fait différente. Le droit qu’ils ont sur leurs terres est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n’a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif.

[Non souligné dans l’original.]

[101]  Le juge Binnie a poursuivi de la sorte au paragraphe 76 de l’arrêt Wewaykum :

Plus loin dans ses motifs, à la p. 385, le juge Dickson a répété que la Couronne était tenue à des obligations de fiduciaire malgré ses fonctions gouvernementales et non à cause d’elles :

Comme il se dégage d’ailleurs des décisions portant sur les « fiducies politiques », on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives. Cependant, ce n’est pas parce que c’est à Sa Majesté qu’incombe l’obligation d’agir pour le compte des Indiens que cette obligation échappe à la portée du principe fiduciaire. Comme nous l’avons souligné plus haut, le droit des Indiens sur leurs terres a une existence juridique indépendante. Il ne doit son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif. L’obligation qu’a Sa Majesté envers les Indiens en ce qui concerne ce droit n’est donc pas une obligation de droit public. Bien qu’il ne s’agisse pas non plus d’une obligation de droit privé au sens strict, elle tient néanmoins de la nature d’une obligation de droit privé. En conséquence, on peut à bon droit, dans le contexte de ce rapport sui generis, considérer Sa Majesté comme un fiduciaire.

[Non souligné dans l’original.]

[102]  Ensuite, au paragraphe 77, le juge Binnie a entrepris d’expliquer l’importance qu’avait l’observation faite par le juge Dickson dans l’arrêt Guerin par rapport la décision ultime rendue dans l’arrêt Wewaykum :

À mon avis, il est sans importance que la présente espèce concerne le droit d’une bande indienne sur une réserve plutôt qu’un titre aborigène non reconnu sur des terres tribales traditionnelles. Le droit des Indiens sur les terres est le même dans les deux cas […]

Il a expliqué que, dans l’arrêt Guerin, le juge Dickson parlait du droit des Indiens à une réserve indienne existante ainsi que d’une transaction qui datait d’avant la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[103]  Dans l’arrêt Wewaykum, au paragraphe 79, le juge Binnie explique que la réparation fondée sur l’existence d’une obligation fiduciaire ne se limite pas aux droits que protège l’article 35 (les droits, y compris les titres, ancestraux) ou aux réserves existantes :

Dans l’arrêt Ross River, précité, tous les juges de notre Cour ont reconnu que la réparation fondée sur l’existence d’une obligation fiduciaire n’était pas limitée aux droits garantis par l’art. 35 (Sparrow) ou aux réserves existantes (Guerin). Lorsqu’elle existe, l’obligation de fiduciaire vise à faciliter le contrôle de l’exercice par la Couronne de l’autorité et des pouvoirs discrétionnaires considérables qu’elle a graduellement assumés à l’égard de divers aspects de la vie des peuples autochtones. Comme l’a fait observer le professeur Slattery :

[traduction] L’obligation générale de fiduciaire ne tire donc pas ses origines d’un souci paternaliste de protéger un peuple « primitif » ou « plus faible », comme on le suggère parfois, mais plutôt de la nécessité de convaincre des peuples autochtones, à une époque où ils avaient encore un potentiel militaire considérable, que l’État protégerait mieux leurs droits qu’ils ne sauraient le faire eux-mêmes.

(B. Slattery, « Understanding Aboriginal Rights » (1987), 66 R. du B. can. 727, p. 753)

[Non souligné dans l’original.]

[104]  La mention des « réserves existantes », au paragraphe 79 de l’arrêt Wewaykum, se rapporte à des terres qui ont été pleinement constituées à titre de réserve. En Colombie Britannique, la dernière étape de la création d’une réserve était le transfert du titre de propriété au Canada par le Décret 1036, en 1938 (Wewaykum, paragraphes 13 à 19).

[105]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie fait remarquer, au paragraphe 94, que les terres en question étaient « […] des terres ne faisant pas l’objet de droits visés au par. 35(1) […] ». Il a néanmoins conclu, au paragraphe 97, à l’existence d’une obligation fiduciaire et a énoncé la teneur de cette obligation :

[94] Comme les bandes appelantes plaident que la notion d’obligation de fiduciaire doit être appliquée largement à l’étape de la création d’une réserve sur des terres ne faisant pas l’objet de droits visés au par. 35(1) (par opposition à leurs autres arguments concernant les réserves existantes et l’aliénation des réserves), […]

[…]

[97] En l’espèce, tout comme dans l’arrêt Ross River, la nature et l’importance du droit des bandes appelantes sur ces terres avant 1938, ainsi que l’intervention de la Couronne pour leur compte, en tant qu’intermédiaire exclusif auprès de tiers (y compris la province), ont imposé à la Couronne l’obligation de fiduciaire de faire montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et d’agir avec la diligence « ordinaire » requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation.

[Non souligné dans l’original.]

[106]  Le juge Binnie a conclu que les bandes appelantes avaient établi les faits justifiant l’imposition d’une obligation fiduciaire. Cela n’était pas fondé sur une occupation traditionnelle du territoire, mais sur le fait qu’elles occupaient des réserves provisoires qui ne faisaient pas partie de leurs territoires traditionnels (Wewaykum, au paragraphe 89).

[107]  Le juge Binnie a ensuite lié l’analyse qui précède aux exigences générales sur lesquelles repose une relation fiduciaire :

[85] Je ne prétends pas que l’existence d’une obligation de droit public exclut nécessairement la création de rapports fiduciaires. Toutefois, pour que naissent de tels rapports, il faut qu’il existe un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé », comme nous le verrons plus loin.

[108]  Le juge Binnie a conclu que les bandes appelantes avaient établi les faits justifiant l’imposition d’une obligation fiduciaire. Cela n’était pas fondé sur une occupation traditionnelle du territoire, mais sur le fait qu’elles occupaient des réserves provisoires qui ne faisaient pas partie de leurs territoires traditionnels (Wewaykum, au paragraphe 89).

Par conséquent, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation ou droit particulier qui est l’objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire.

[109]  L’obligation précise qui est l’objet du présent litige est celle qu’assume la Couronne par l’article 13 des Conditions de l’adhésion. Cet article définit une obligation précise, assumée dans le contexte plus général des rapports fiduciaires dont la source est « les pouvoirs et la responsabilité historiques de Sa Majesté » en rapport avec les droits indiens sur les terres (R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075, à la page 1108, 70 DLR (4th) 385, cité dans l’arrêt Wewaykum, au paragraphe 78).

[110]  Comme le juge Binnie l’a expliqué dans l’arrêt Wewaykum, les réparations fondées sur l’existence d’une obligation fiduciaire ne se limitent pas aux droits garantis par l’article 35 ou aux réserves existantes.

[111]  L’obligation fiduciaire existe pour faciliter la supervision du degré élevé de pouvoir discrétionnaire qu’exerce la Couronne sur divers aspects de la vie des peuples autochtones (Wewaykum, au paragraphe 79). Dans ce contexte, l’article 13 des Conditions de l’adhésion exprime l’engagement unilatéral qui peut, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la Loi, constituer le fondement d’un manquement à une obligation juridique qui découle de la fourniture ou de la non fourniture, par la Couronne, de terres de réserve.

[112]  Les terres dont il est question en l’espèce n’ont pas été réservées à titre provisoire. Elles bordent la rivière Skeena et sont entourées sur trois côtés par des terres qui avaient été réservées à titre provisoire et qui forment maintenant une réserve. Elles ne sont accessibles que par terre, en passant par la réserve. Les terres situées le long de la rive opposée avaient aussi été réservées à titre provisoire et constituent maintenant une réserve.

[113]  En l’espèce, le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. La Première Nation de Kitselas avait-elle un droit identifiable à l’égard de la parcelle de terre de 10,5 acres que le commissaire O’Reilly n’a pas incluse dans l’attribution de la RI no 1 des Kitselas?

  2. Dans l’affirmative, la Couronne du Canada a-t-elle assumé des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de ce droit?

C.  Les droits identifiables et la création d’une réserve

1.  La position du Canada

[114]  Dans son mémoire, le Canada fait valoir ce qui suit :

  1. Pour qu’un droit indien soit « identifiable »aux fins du droit des fiducies, il doit être suffisamment précis.

  2. En plus d’être suffisamment précis, le droit « doit être un intérêt de droit privé précis sur lequel la personne exerçait déjà un droit distinct et absolu ».

[115]  Le Canada se fonde sur l’arrêt Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, [2011] 2 RCS 261, 2011 CSC 24 (Elder Advocates), au paragraphe 51 :

Enfin, lorsque l’on affirme que le gouvernement est le fiduciaire, il peut être difficile d’établir la condition selon laquelle le pouvoir contesté du gouvernement a une incidence sur un intérêt juridique ou un intérêt pratique important. Il ne suffit pas que les mesures qu’aurait prises le fiduciaire aient une incidence d’un caractère général sur le bien-être, les biens ou la sécurité d’une personne. L’intérêt touché doit être un intérêt de droit privé précis sur lequel la personne exerçait déjà un droit distinct et absolu.

[Non souligné dans l’original.]

[116]  Le Canada se fonde également sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt Nation Haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511 (Nation Haïda), où elle a conclu que les droits et le titre ancestraux de la Nation Haïda étaient insuffisamment précis pour établir l’existence d’un droit aux fins du droit des fiducies.

2.  L’arrêt Elder Advocates, les obligations du gouvernement, les peuples autochtones et les terres

[117]  Il s’agissait d’un recours collectif alléguant que la province de l’Alberta et les autorités régionales de la santé avaient omis de veiller à ce que les frais d’hébergement imposés aux pensionnaires âgés des établissements de soins de longue durée soient utilisés exclusivement à cette fin. On prétendait que cela constituait un manquement à une obligation fiduciaire. Dans son arrêt, la Cour suprême a analysé les éléments à prouver pour établir l’existence d’obligations fiduciaires en général, et celles d’un gouvernement en particulier.

[118]  Au sujet des éléments en général, la Cour a déclaré, au paragraphe 36 :

En bref, pour prouver l’existence d’une obligation fiduciaire ad hoc, le demandeur doit démontrer, en plus de la vulnérabilité découlant du rapport décrit par la juge Wilson dans l’arrêt Frame : (1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

[119]  La position du Canada est que toute obligation gouvernementale à l’égard de l’attribution de réserves est régie par ce qui suit (au paragraphe 51) :

Enfin, lorsque l’on affirme que le gouvernement est le fiduciaire, il peut être difficile d’établir la condition selon laquelle le pouvoir contesté du gouvernement a une incidence sur un intérêt juridique ou un intérêt pratique important. Il ne suffit pas que les mesures qu’aurait prises le fiduciaire aient une incidence d’un caractère général sur le bien-être, les biens ou la sécurité d’une personne. L’intérêt touché doit être un intérêt de droit privé précis sur lequel la personne exerçait déjà un droit distinct et absolu.

[Non souligné dans l’original.]

[120]  Cependant, le paragraphe 51 suit l’analyse faite dans l’arrêt Elder Advocates au sujet du caractère unique de l’obligation fiduciaire de la Couronne dans le contexte des Autochtones. Cette obligation doit être distinguée d’autres rapports à cause de la nature sui generis du titre indien et des pouvoirs assumés par la Couronne :

[39]  Dans R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, la Cour a confirmé que l’obligation fiduciaire de Sa Majesté envers les peuples autochtones à l’égard de leurs terres est sui generis, à la p. 1108 :

La nature sui generis du titre indien de même que les pouvoirs et la responsabilité historiques de Sa Majesté constituent la source de cette obligation de fiduciaire. À notre avis, l’arrêt Guerin, conjugué avec l’arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360, justifie un principe directeur général d’interprétation du par. 35(1), savoir, le gouvernement a la responsabilité d’agir en qualité de fiduciaire à l’égard des peuples autochtones. Les rapports entre le gouvernement et les Autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques. [Souligné dans l’arrêt Elder Advocates.]

De même, dans Wewaykum, le juge Binnie a indiqué que l’obligation fiduciaire de Sa Majesté envers les peuples autochtones n’est pas restreinte aux cas où les faits soulèvent des « considérations participant “de la nature d’une obligation de droit privé” » (par. 74).

[121]  Dans l’affaire Elder Advocates, les demandeurs affirmaient que les éléments établissant une obligation fiduciaire dans les relations entre la Couronne et les Autochtones devaient servir de modèle quant aux obligations des gouvernements envers leurs citoyens dans d’autres contextes. La Cour s’est prononcée sur cet argument au paragraphe 40 :

La nature unique et historique des relations entre Sa Majesté et les peuples autochtones décrites dans ces arrêts annule la prétention du groupe de demandeurs selon laquelle elles servent de modèle quant à l’obligation du gouvernement envers ses citoyens dans d’autres contextes. Il en est de même à l’égard de la seule autre situation où une obligation fiduciaire de l’État a été reconnue – soit lorsque celui-ci agit en qualité de tuteur et de curateur public.

[122]  Sous la rubrique : 2) « Les obligations fiduciaires dans le contexte gouvernemental », il a été conclu qu’il n’existait aucune obligation fiduciaire envers le public dans son ensemble. Même si, de façon générale, il était nécessaire d’examiner chaque cas séparément en vue d’établir l’existence d’une obligation fiduciaire envers une personne ou un groupe en particulier, il pouvait exister une obligation envers une catégorie de personnes. La Cour a fait remarquer que, jusqu’à maintenant, la seule obligation reconnue collectivement était celle de la Couronne envers les peuples autochtones à l’égard des terres détenues en fiducie pour eux. (Elder Advocates, au paragraphe 50)

[123]  La référence qui est faite au paragraphe 50 à l’obligation de « Sa Majesté envers les peuples autochtones à l’égard des terres détenues en fiducie […] » [non souligné dans l’original] n’est pas une conclusion selon laquelle une obligation fiduciaire n’existe que dans les cas où l’on a établi une fiducie réelle, comme dans le cas de la cession conditionnelle d’une réserve indienne pleinement constituée (Guerin). Une telle conclusion serait inconciliable avec la décision que la Cour suprême a rendue dans Wewaykum, où le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour, a conclu que l’on pouvait avoir des obligations fiduciaires envers des bandes qui occupaient des « réserves provisoires » (c’est-à-dire des réserves non « existantes ») même si les terres ne faisaient pas partie de leurs territoires traditionnels. Cette obligation n’est pas une obligation de loyauté absolue, comme dans le cas de la mise en œuvre des conditions à la cession d’une réserve établie (Wewaykum, au paragraphe 94).

[124]  Dans les paragraphes qui suivent la conclusion du jugement, l’analyse faite dans l’arrêt Elder Advocates est axée sur les éléments nécessaires pour qu’existe une obligation fiduciaire gouvernementale à l’égard de particuliers, de catégories de personnes et de groupes. Tout au long de sa décision, la Cour suprême fait une distinction entre les peuples autochtones et d’autres groupes. L’arrêt Elder Advocates n’a pas changé l’état du droit relatif aux obligations fiduciaires, comme il a été conclu dans Wewaykum, à l’égard des peuples et des terres autochtones.

[125]  En conclusion, il n’est pas nécessaire que la Première Nation de Kitselas fonde sa revendication à un droit identifiable sur la preuve de l’existence d’un « droit distinct et absolu » déjà exercé sur les terres en question. Il est toutefois nécessaire d’établir un droit prévu à l’article 13 des Conditions de l’adhésion.

3.  Les pouvoirs discrétionnaires assumés par la Couronne

[126]  L’arrêt Wewaykum passe en revue l’historique de la création de réserves en Colombie-Britannique ainsi que les principes régissant le rôle de la Couronne fédérale avant et après le processus établi en vue de la création de réserves.

  1. Quand la Colombie-Britannique s’est jointe à la Confédération, en 1871, l’article 13 des Conditions de l’adhésion prévoyait que « [l]e soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral [...] ». L’article 13 exigeait que des étendues de terre réservées à l’usage et au bénéfice des Indiens soient transférées « […] par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages […] » (paragraphe 14).

  2. Le gouvernement fédéral ne pouvait pas établir unilatéralement une réserve sur les terres publiques de la province. Même si le gouvernement fédéral avait compétence sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens» aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, les terres de la Couronne sur lesquelles toute réserve devrait être établie demeuraient la propriété de la province. Il était donc nécessaire que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial coopèrent dans le cadre du processus de création des réserves (paragraphe 15).

  3. L’étendue de l’autorité et des pouvoirs discrétionnaires assumés par la Couronne sur les plans économique, social et foncier a eu pour effet d’exposer les populations autochtones aux risques de faute ou d’ineptie de la part des gouvernements. Les pouvoirs discrétionnaires sont un ingrédient fondamental de relations fiduciaires : « [l]a marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre » (paragraphe 80).

  4. L’existence d’une obligation fiduciaire facilite le contrôle des pouvoirs discrétionnaires qu’exerce la Couronne à l’égard de divers aspects de la vie des peuples autochtones. La réparation fondée sur l’existence d’une obligation fiduciaire n’est pas limitée aux droits garantis par l’article 35 ou aux réserves existantes (paragraphe 79).

  5. L’obligation fiduciaire de la Couronne pouvait prendre naissance avant la dernière étape du processus de création de réserves, c’est-à-dire la promulgation du Décret 1036 de 1938.

[127]  L’intervention de la Couronne à titre d’intermédiaire exclusif en vue de traiter avec la province au nom des peuples autochtones a pris naissance au moment où la Colombie Britannique s’est jointe à la Confédération en 1871, comme le montre le libellé de l’article 13 des Conditions de l’adhésion. Un survol de l’exercice du rôle de la Couronne en tant qu’intermédiaire exclusif pour traiter avec la province au nom des peuples autochtones jusqu’à la nomination du commissaire O’Reilly est présenté dans l’arrêt Wewaykum, aux paragraphes 15 à 24. Les documents historiques qui ont guidé les conclusions du juge Binnie ont été déposés en preuve dans le cadre de la présente instance devant le Tribunal des revendications particulières.

[128]  Dans l’arrêt Wewaykum, les pouvoirs discrétionnaires de la Couronne s’appliquaient à la « création » définitive des réserves que la CMRI avait attribuées à titre provisoire. Le droit identifiable des bandes était fondé sur l’occupation des réserves provisoires.

[129]  Si les Kitselas avaient un droit identifiable à l’égard du site de Gitaus, l’obligation assumée par la Couronne en application de l’article 13 des Conditions de l’adhésion s’appliquerait.

4.  L’étendue de l’obligation fiduciaire, s’il est conclu qu’elle existe

[130]  Les arrêts Wewaykum et Elder Advocates révèlent des différences entre les obligations fiduciaires gouvernementales qu’il peut y avoir envers des personnes vulnérables à l’exercice de pouvoirs à l’égard d’un « […] intérêt de droit privé précis sur lequel la personne exerçait déjà un droit distinct et absolu » et, dans le contexte des Autochtones, un droit identifiable non entièrement établi comme un droit absolu (Elder Advocates, au paragraphe 51). Dans le premier cas, la nature de l’engagement fiduciaire doit figurer dans la preuve d’une renonciation, par le présumé fiduciaire, aux intérêts de toutes les autres parties en faveur de ceux du bénéficiaire relativement à l’intérêt juridique particulier qui est en jeu (Elder Advocates, au paragraphe 31). Dans le second cas, les obligations de la Couronne avant la création de réserves sont celles qui sont énoncées dans la rubrique de l’arrêt Wewaykum qui précède le paragraphe 94 ainsi que dans le texte de ce paragraphe. Là, la Cour suprême a conclu que :

[…] la reconnaissance d’une obligation de fiduciaire assujettit l’intervention de la Couronne à des obligations additionnelles : loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation. Dans l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry, par. 104, madame le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a écrit que, « [e]n tant que fiduciaire, la Couronne avait l’obligation d’agir avec le soin et la diligence “qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires” ».

[Non souligné dans l’original.]

[131]  L’arrêt Wewaykum explique que, dans l’exercice de l’obligation fiduciaire, le gouvernement pourrait tenir compte de son rôle plus vaste :

Si les Indiens étaient « vulnérables » à la prise par le gouvernement de mesures défavorables à leur endroit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, les colons l’étaient eux aussi, et les deux parties attendaient du gouvernement qu’il règle leur différend de façon juste. À cette étape, avant la création des réserves, la Cour ne peut faire abstraction du fait que le gouvernement était aux prises avec des demandes conflictuelles, émanant et des bandes rivales elles-mêmes et de non-Indiens. (par. 96)

[Non souligné dans l’original.]

III.  la première nation de kitselas avait-elle un droit identifiable à l’égard du lieu qu’elle connaissait sous le nom de gitaus?

A.  L’obligation ou le droit en litige

[132]  L’obligation est fondée dans l’exercice, par la Couronne, « […] des pouvoirs discrétionnaires considérables qu’elle a graduellement assumés à l’égard de divers aspects de la vie des peuples autochtones » (Wewaykum, au paragraphe 79).

[133]  L’obligation de droit public n’exclut pas la création d’une relation fiduciaire. Pour conclure à l’existence de cette relation, il faut qu’il existe un droit indien identifiable à l’égard duquel la Couronne exerce des pouvoirs discrétionnaires (Wewaykum, au paragraphe 85).

[134]  Il est nécessaire de se pencher à « l’obligation ou [au] droit particulier qui est l’objet du différend » (Wewaykum, au paragraphe 83).

B.  La reconnaissance des droits fondés sur l’occupation

[135]  L’article 13 des Conditions de l’adhésion ainsi que les facteurs que les commissaires des réserves devaient prendre en compte dans le cadre de leurs attributions reconnaissaient le droit des Indiens à l’occupation continue des terres qu’ils utilisaient. Il s’agissait là de la politique de la colonie, qui avait mis de côté des réserves pour les nations indiennes dans les terres qu’elles utilisaient.

[136]  Les instructions données aux commissaires des réserves par des décrets du Canada et de la Colombie-Britannique reflètent la politique coloniale qui a été maintenue après l’adhésion de cette dernière à la Confédération :

4. Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des conditions de l’Union entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, qui envisage l’application d’une « politique libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, dans les limites du territoire disponible au sein de la région qu’ils occupent, et, d’autre part, des revendications des colons blancs.

[Non souligné dans l’original.]

[137]  La directive qui précède a été maintenue tout au long des changements apportés à la composition de la Commission.

[138]  Au départ, la Commission mixte des réserves indiennes était formée de trois commissaires. Il a plus tard été convenu que la Commission, dans sa forme initiale, soit dissoute.

[139]  Le changement susmentionné ainsi que la nomination ultérieure de Gilbert Sproat à titre d’unique commissaire des réserves ont été approuvés par des décrets de chacun des ordres de gouvernement. Un mémoire annexé au décret fédéral daté du 7 mars 1878 indiquait, en partie :

[traduction]

De cette façon, la continuité de l’actuelle Commission sera préservée et les Indiens auront une garantie que la même politique qui a guidé jusqu’à ce jour la Commission dans ses travaux concernant leurs réserves sera appliquée à l’avenir.

(ASOF, paragraphe 11, CBD, onglet 24)   [Non souligné dans l’original.]

[140]  Le commissaire Sproat a démissionné après deux ans. En 1880, le gouverneur en conseil a approuvé la nomination de Peter O’Reilly à titre de commissaire des réserves indiennes pour une période de douze mois. L’année suivante, le gouverneur en conseil a prolongé le mandat du commissaire O’Reilly pour une durée indéterminée.

[141]  En août 1880, le ministère des Affaires indiennes a donné des instructions au commissaire O’Reilly. La lettre d’instructions comprenait ceci :

[traduction]

Pour l’attribution des terres de réserve, vous devrez être guidé de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisageaient l’application d’une politique libérale envers les Indiens. Vous devrez tenir spécialement compte des habitudes, des souhaits et des activités de la bande, des limites du territoire que celle-ci fréquente ainsi que des revendications des colons blancs (s’il y en a).

[…]

Le gouvernement estime qu’il est de la plus haute importance que, lors du règlement de la question des terres, rien ne soit fait qui porte préjudice au maintien de relations amicales entre le gouvernement et les Indiens, et vous devrez donc vous immiscer le moins possible dans toute entente tribale, en prenant expressément garde de ne pas perturber les Indiens en rapport avec la possession des villages, des postes de traite de fourrure, des établissements, des zones de défrichage, des lieux de sépulture et des campements de pêche qu’ils occupent et auxquels ils peuvent être particulièrement attachés.

[Non souligné dans l’original.]

[142]  Le commissaire O’Reilly a été orienté vers le rapport d’étape du commissaire Sproat, daté de 1878. Dans ce document, le commissaire Sproat indiquait notamment ce qui suit :

[traduction]

La première condition est de laisser les Indiens dans les lieux anciens auxquels ils sont attachés. À l’heure actuelle, les Indiens d’ici tiennent à un tel point à ces lieux qu’aucun avantage découlant du fait de résider ailleurs ne leur ferait accepter ce changement. Il est une pure vérité qu’au cours de l’été dernier, des Indiens se sont agenouillés devant moi en se lamentant et en suppliant que si la Reine ne pouvait pas leur donner des terres, elle devait leur donner des pierres ou des roches provenant des anciennes localités qu’ils aimaient et qui sont aujourd’hui possédées, ou du moins occupées, par des hommes blancs. Le sentiment qu’éprouvent les Indiens de la Colombie-Britannique, de cette façon et jusqu’à un certain point, à l’égard d’une roche particulière d’où sa famille prend du poisson depuis des temps immémoriaux est le même que celui que ressent un Anglais quand il songe à la maison qui lui vient de ses ancêtres. À mon avis, il serait injuste et imprudent de faire abstraction de ce profond sentiment, qui est bien connu, mais dont, jusqu’à la présente année, je n’avais pas pris pleinement conscience de la force.

Le point suivant est d’intervenir le moins possible, sous réserve de la priorité qui consiste à favoriser la colonisation du territoire par des blancs, par rapport aux lieux de fréquentation que privilégient les Indiens, à leurs anciennes façons de faire, à leurs conseils et rassemblements ainsi qu’au commerce entre les tribus. Il faut pour cela faire preuve d’un fin jugement, alors que la situation se trouve dans un état de transition […].

  [Non souligné dans l’original.]

[143]  Les autorités coloniales ont reconnu le droit qu’avaient les Indiens à l’égard des terres qu’ils utilisaient et occupaient. Après l’adhésion à la Confédération, la politique coloniale est devenue une responsabilité constitutionnelle du Canada. La CMRI n’a pas eu le mandat d’attribuer des réserves au hasard. Les commissaires étaient tenus d’attribuer sous forme de réserves les terres qu’utilisaient et qu’occupaient habituellement les Nations indiennes.

[144]  Les directives données aux commissaires, officialisées par des décrets du gouverneur en conseil, étaient une politique reconnaissant que les Nations indiennes avaient, à tout le moins, un intérêt pratique important à l’égard des terres qu’elles utilisaient habituellement. Il s’agissait là d’un droit identifiable.

[145]  Le commissaire O’Reilly était convaincu que les Kitselas avaient un droit suffisant à l’égard des terres situées le long de la rivière Skeena, et s’étendant sur une distance de trois miles au sud et de deux miles au nord de Gitsaex, pour qu’il soit justifié de les attribuer à titre de réserve. Cependant, le droit des Kitselas était fondé sur l’utilisation et l’occupation des terres – il ne dépendait pas de la décision du commissaire O’Reilly de procéder à une attribution. La Couronne reconnaissait que l’utilisation habituelle de terres était un droit qu’il fallait confirmer par la création de réserves. Dans les cas où la preuve étaye la conclusion de fait que les terres en question étaient utilisées habituellement, le droit des Indiens est identifiable. En l’espèce, l’attribution par le commissaire O’Reilly de la RI no 1 des Kitselas est une preuve de l’utilisation habituelle des terres, et non la source de ce droit.

C.  Le pouvoir discrétionnaire de la Couronne et les pouvoirs du commissaire O’Reilly

[146]  Le commissaire O’Reilly a été le principal intervenant dans l’exercice initial des pouvoirs de la Couronne sur l’attribution de réserves. Même si les décisions qu’il prenait au sujet de l’étendue des terres à mettre de côté à titre de réserve ne prenaient pas effet sans l’accord du commissaire principal des Terres et des Travaux publics de la province, la décision que prenait le commissaire O’Reilly de recommander l’attribution de terres à titre de réserve était la condition sine qua non de la création d’une réserve. Durant son mandat à titre d’unique commissaire, et par la suite, ce sont les recommandations du commissaire O’Reilly qui ont déterminé quelles terres demandées par les peuples autochtones pour leurs réserves passeraient au stade suivant dans le cadre du processus de création de réserves.

[147]  Le procès-verbal de décision par lequel le commissaire O’Reilly a attribué au peuple Kitselas des terres situées dans le canyon entourait un territoire situé des deux côtés de la rivière Skeena. C’est dans ce territoire que se trouve la parcelle d’une superficie de 10,5 acres qui a été exclue de l’attribution. Que le territoire tout entier que le commissaire O’Reilly a attribué en vue de constituer la RI no 1 de Kitselas ait été cédé en fin de compte ou non par la province par le Décret 1036 de 1938, tout ce qui a été cédé entoure le lot no 113. Si le commissaire O’Reilly n’avait pas exclu cette parcelle de terre de 10,5 acres, rien dans la preuve n’étaierait la conclusion que cette parcelle ne ferait pas partie aujourd’hui de la RI no 1 de Kitselas. Le fait que ce ne soit pas le cas résulte directement de l’exclusion, par le commissaire O’Reilly, du site de Gitaus. La question est donc de savoir si la non-inclusion de ces terres constitue un manquement à une obligation fiduciaire.

D.  Les preuves concernant le droit des Indiens

[148]  En prévision de la rencontre avec le commissaire O’Reilly, le chef Samuel Wise et d’autres chefs des Kitselas ont écrit au commissaire O’Reilly pour demander qu’une parcelle de terre soit mise de côté pour la Nation de Kitselas. Le chef Samuel Wise a écrit la lettre suivante :

[traduction]

Le 29 septembre 1891

Giatzilash, rivière Skeena, C.-B.

À l’attention du juge O’Reily [sic]

Monsieur,

La grande majorité du peuple de Giatzilash a tenu une assemblée générale le 29 septembre 1891, en ma (Samuel Wise) présence et celle d’autres chefs, avant votre arrivée, à votre retour de votre grand travail concernant les terres à réserver.

Les paroles que vous m’avez dites avant de revenir de votre travail, vous m’avez dit de me tenir prêt au village de Giatzilash et, maintenant, nous sommes prêts et exprimons ces quelques paroles.

Cela nous fera grandement plaisir si vous nous autorisez à conserver autant de terres que nous le désirons.

Sur lesquelles nos ancêtres ont travaillé et dont ils ont tiré leur subsistance. Et nous souhaitons par la grâce de la Reine pouvoir les conserver dorénavant.

Et nous souhaitons aussi, surtout (qu’après votre travail concernant les terres que nous souhaitons voir réserver pour nous) vivre en paix avec les autres et ne plus être privés des terres de nos ancêtres.

L’étendue que nous souhaitons obtenir (réservée pour nous) s’étend de Kshigingat, à la partie supérieure du village de Giatzilash, jusqu’à la route de Gankshpai (en descendant du village de Giatzilash). Le tout à angles droits.

Nous n’élargissons pas les terres en ces temps modernes, mais elles sont de la même taille que celles que nous possédions jadis. Et qui, nous l’espérons, nous seront encore utiles à l’avenir.

Je vous prie d’agréer nos salutations distinguées.

Samuel Wise et les chefs suivants

William Niyashnagwaluk

Simon Gaum

David Niyashgudukshk

George Gabiltngan

William Shanakat

Heber Niyashharwaksh

William Niyashhak

(ASOF, paragraphe 19)    [Non souligné dans l’original.]

[149]  La description des terres que les chefs voulaient voir réserver incluait le site de Gitaus.

[150]  Le commissaire O’Reilly et les chefs se sont rencontrés au village de Gitsaex (appelé Giatzilash dans la lettre du chef Wise datée du 29 septembre 1891). Gitsaex était situé sur la rive gauche de la rivière Skeena, à l’entrée du canyon. Il s’agit là du point de référence pour ce qui est de la demande faite par le chef Wise de créer une réserve à partir d’un endroit situé entre la partie supérieure du village (le nord) et un point de référence situé au sud de ce village. Le site de l’ancien village de Gitaus était situé dans le secteur que demandaient les chefs. Gitaus se trouvait du côté gauche de la rivière, en aval (au sud) de Gitsaex.

[151]  Le commissaire O’Reilly a parcouru la Skeena sur tout le territoire que les chefs demandaient qu’il réserve. L’inscription qu’il a faite dans son journal, en date du 5 octobre 1891, dit qu’il a déclaré au chef Wise qu’il ne pouvait [traduction] « […] vous donner la réserve que vous demandez, dix miles en amont et dix miles en aval. Où que soient vos villages, vos potagers et vos terres à bois, je vous donnerai une réserve qui englobera le tout ».

[152]  Après avoir fait les vérifications nécessaires, le commissaire O’Reilly a attribué une réserve s’étendant sur une distance de cinq miles le long de la rivière Skeena, en se fondant sur sa propre évaluation des habitudes, des souhaits et des activités des Kitselas par rapport aux terres. Il s’agissait d’une attribution qui reposait sur les conclusions qu’il avait tirées au sujet de l’utilisation que les Kitselas faisaient de ces terres. La preuve sous forme d’histoire orale qui a été présentée dans le cadre de la présente revendication, de même que les conclusions du commissaire O’Reilly, étayent l’existence d’un droit identifiable à l’égard d’une bonne partie des terres que les chefs avaient demandées.

[153]  Rien n’indique que les terres d’une superficie de 10,5 acres qui n’ont pas été incluses étaient moins utilisées que les terres « accordées ». En fait, les terres exclues étaient utilisées plus intensivement qu’une bonne partie des terres qui ont été réservées. Il y avait des bâtiments, un potager et une extrémité d’un portage dans les environs immédiats.

[154]  Le commissaire O’Reilly n’a pas fait de distinction entre les terres attribuées et les terres exclues en se fondant sur une analyse des habitudes, des souhaits et des activités des Kitselas. Il a exclu le secteur de 10,5 acres parce qu’il pensait que ce dernier servirait de réserve « publique » ou « gouvernementale », et non pas parce que les habitudes, les souhaits et les activités de la Nation de Kitselas ne s’étendaient pas à ces terres. Les conditions dont les gouvernements provincial et fédéral ont convenu ne font aucune mention de la mise de côté de réserves « publiques » ou « gouvernementales » à titre d’exception, à partir de terres qu’utilisaient habituellement les nations indiennes.

[155]  La revendicatrice a établi l’existence, en date de 1891 et de 1893, d’un droit identifiable à l’égard du site de Gitaus.

E.  Le droit revendiqué et le titre ancestral

[156]  Dans le mémoire des faits et du droit de la revendicatrice ainsi que dans les observations orales, l’avocat de la revendicatrice a fait référence à la demande du chef Wise, à savoir que la réserve englobe les terres qu’utilisaient leurs ancêtres. Ce fait, en partie, est invoqué comme fondement dans la preuve relative à l’existence d’un droit identifiable à l’égard des terres.

[157]  Le Canada, dans son mémoire des faits et du droit ainsi que dans les observations de son avocat a répondu à l’argument selon lequel la référence faite aux terres des ancêtres du peuple des Kitselas permettait de conclure à l’existence d’un droit identifiable des Indiens, fondé sur des droits et un titre ancestraux :

  1. Un titre et des droits ancestraux revendiqués sont insuffisamment précis pour donner naissance à des droits identifiables aux fins du droit des fiducies.

  2. L’alinéa 15(1)f) de la Loi prévoit qu’une Première Nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication qui « est fondée sur des droits ou titres ancestraux, ou invoque de tels droits ou titres ».

[158]  Pour ce qui est du premier énoncé, le Canada invoque l’arrêt Nation Haïda.

[159]  Dans l’arrêt Nation Haïda, c’était des réparations fondées sur l’existence d’une obligation fiduciaire qui étaient demandées. Les preuves soumises à la cour au sujet de l’utilisation et de l’occupation étaient abondantes, mais elles n’ont pas permis d’établir un droit suffisamment précis pour justifier l’existence d’une obligation fiduciaire.

[160]  L’issue de l’arrêt Nation Haïda est sans conséquence dans l’affaire soumise au Tribunal. Le fait que le chef Wise ait fait référence aux terres [traduction] « sur lesquelles nos ancêtres ont travaillé et dont ils ont tiré leur subsistance » était la réponse à une question que le commissaire O’Reilly devait poser pour remplir ses fonctions. Il devait s’enquérir des habitudes, des souhaits et des activités des Kitselas.

[161]  La référence que le chef Wise a faite aux terres de ses ancêtres était l’affirmation d’un fait connu qui étayait l’utilisation que faisaient alors de ces terres les Kitselas, le peuple autochtone du canyon. La référence qu’a faite M. Ashcroft aux terres de [traduction] « nos ancêtres » est invoquée comme preuve d’utilisation et d’occupation, tant passées que présentes. Dans le contexte d’une revendication fondée sur le fait énoncé à l’alinéa 14(1)c) de la Loi, la mention d’une preuve d’occupation pertinente ne signifie pas que la revendication est fondée sur des droits ancestraux.

[162]  Pour les motifs qui précèdent, l’alinéa 15(1)c) de la Loi n’empêchait pas la revendicatrice de déposer sa revendication particulière.

IV.  y-a-t-il eu un manquement à l’obligation fiduciaire relativement à l’attribution de la ri no 1 des kitselas?

[163]  L’obligation qui se rattache à l’intervention de la Couronne en l’espèce englobe des « obligations additionnelles : loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation. » (Wewaykum, au paragraphe 94).

A.  En fonction de quelle norme  faut-il évaluer les actes de la Couronne, représentée par la commissaire O’Reilly?

[164]  Le commissaire O’Reilly avait pour mission de déterminer [traduction] « avec exactitude les exigences des bandes indiennes de cette province [la Colombie-Britannique] auxquelles la dernière Commission n’a pas assigné de terres et à leur attribuer des terres propices à la culture et au pâturage […] » (Décret 1334 nommant le commissaire O’Reilly à titre d’unique commissaire).

[165]  La directive susmentionnée qui a été donnée au commissaire O’Reilly intègre les conditions énoncées dans les décrets établissant la CMRI et, plus précisément :

Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisagent l’application d’une « politique libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, dans les limites du territoire disponible au sein de la région qu’ils occupent, et, d’autre part, des revendications des colons blancs.

[Non souligné dans l’original.]

[166]  En mars 1878, Gilbert Sproat a été nommé par décret comme unique commissaire, dont le passage suivant est tiré :

[traduction]

De cette façon, la continuité de l’actuelle Commission sera préservée et les Indiens auront une garantie que la même politique qui a guidé jusqu’à ce jour la Commission dans ses travaux concernant leurs réserves sera appliquée à l’avenir.

[167]  En août 1880, le ministère des Affaires indiennes a donné au commissaire O’Reilly les instructions suivantes :

[traduction]

Pour l’attribution des terres de réserve, vous devrez être guidé de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisageaient l’application d’une politique libérale envers les Indiens. Vous devrez tenir spécialement compte des habitudes, des souhaits et des activités de la bande, des limites du territoire que celle-ci fréquente ainsi que des revendications des colons blancs (s’il y en a).

Vous devrez faire part aux Indiens du vif souhait qu’a le gouvernement de traiter avec eux de manière juste et libérale dans le cadre du règlement de la question des réserves ainsi qu’à l’égard de tous autres aspects, […]

[168]  Le commissaire O’Reilly a été renvoyé au rapport que M. Sproat avait établi en 1878 et dans lequel figure la phrase suivante : [traduction] « La première condition est de laisser les Indiens dans les lieux anciens auxquels ils sont attachés. » [Non souligné dans l’original.]

[169]  C’est par rapport à l’exécution des exigences qui précèdent que doivent être évaluées les obligations de loyauté, de bonne foi, de communication et d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt des Indiens.

B.  Les chefs se sont-ils opposés à l’exclusion de Gitaus?

[170]  La preuve n’étaye pas la conclusion que le commissaire O’Reilly avait été informé de l’existence historique d’un village au site de Gitaus ou de l’importance culturelle de ce dernier.

[171]  Le Canada soutient que les chefs étaient au courant de l’exclusion du site de Gitaus, mais ils ne s’en sont pas plaints avant le dépôt de la présente revendication.

[172]  Ce fait n’est pas invoqué comme une défense en equity ou une défense technique fondée sur un retard, mais à titre de preuve étayant une inférence selon laquelle les chefs ne considéraient pas que le site représentait des terres qui étaient les leurs. Pour que cet argument soit fondé et que l’on puisse l’invoquer, il faudrait que les chefs aient été au courant de l’exclusion de Gitaus.

C.  L’obligation de communication

[173]  Les éléments de l’obligation fiduciaire ont été établis. Cela inclut l’obligation de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances (Wewaykum, au paragraphe 94).

[174]  Bien qu’il ait trait à un contexte différent, il existe un précédent selon lequel le fardeau de prouver qu’il y a eu communication repose sur les épaules du fiduciaire :

[TRADUCTION]

Le fardeau de prouver que l’opération était justifiée incombe au fiduciaire, lequel est tenu de produire une preuve affirmative claire que les parties agissaient sans lien de dépendance, que les cestuis que trust [bénéficiaires de la fiducie] disposaient de toutes les informations nécessaires sur tous les faits importants, et que, sur la foi de ces informations, elles ont souscrit à ce qui a été fait et l’ont adopté (Williams v Scott, [1900] UKPC 27 (BAILII), à la page 11, 1900 AC 499 (PC); CED (Ont 4th), vol. 52, titre 155, à §230).

[Non souligné dans l’original.]

D.  La preuve

[175]  Le commissaire O’Reilly savait bel et bien que les Kitselas voulaient une parcelle de terre qui englobait l’emplacement de l’entrepôt de la CBH et le secteur environnant.

[176]  Le 6 octobre 1891, le lendemain du jour où le commissaire O’Reilly avait reçu la demande des chefs Kitselas, ce dernier a inscrit ceci :

[traduction]

De plus, la rés. du village, qui commence à environ deux miles au nord du village – englobe la totalité du canyon et une distance d’environ trois miles au sud, à l’exception d’une superficie d’environ dix acres autour de l’entrepôt de la BH. Quand j’ai dit aux chefs l’étendue de la rés., l’interprète a dit que les Indiens voulaient […]

[Non souligné dans l’original.]

[177]  On pourrait conclure, au vu de cette preuve, que le commissaire O’Reilly avait parlé au chef de l’exclusion des terres de 10,5 acres. Il y a toutefois une preuve qui étaye la conclusion contraire : quand la CBH a écrit au commissaire O’Reilly, le 1er août 1892, pour demander qu’on lui octroie un acre de terre, son représentant a attribué cette demande à des revendications des Indiens concernant les terres jouxtant la rivière des deux côtés.

[178]  Il est évident que l’on n’a pas remis au chef un plan de la réserve au moment de l’attribution. Dans une lettre datée du 4 juin 1900, l’agent des Indiens, à « Menetlakahtla », a transmis le plan d’arpentage de la RI no 1 de Kitselas au Bureau du commissaire des réserves indiennes à Victoria, et a demandé que ce dernier transmettre ce plan au chef de la bande. La note que le commissaire O’Reilly a écrite le 5 octobre 1891 reflète la garantie donnée aux chefs qu’un plan serait fourni. Il a fallu neuf ans pour cela. On ignore si le commissaire a donné suite à cette demande.

E.  L’histoire orale et la probabilité d’une opposition

[179]  La preuve sous forme d’histoire orale ne contredit pas directement l’opinion des archéologues et des ethnographes selon laquelle Gitaus a été abandonné vers 500 apr. J. C. L’histoire orale offre un éclairage différent sur la question de l’« abandon ».

[180]  Isabelle McKee et Wilfred Bennett étaient au courant de l’existence de Gitaus grâce à des récits oraux qui remontent à de nombreux siècles plus tôt, à une époque où Gitaus était un village de grande taille dont le nom exprimait l’identité des Kistelas en tant que peuple de la barre de sable. Le chef Wise et les autres chefs qui ont rencontré le commissaire O’Reilly en 1891 devaient avoir connaissance du site de Gitaus, car ce dernier fait aujourd’hui partie de l’histoire orale. Ce lieu aurait été aussi important pour le sentiment d’identité des Kitselas qu’il l’est à l’heure actuelle.

[181]  Le chef Wise a demandé qu’un territoire soit mis de côté à titre de réserve en faisant référence à des points de repère situés le long de la rivière Skeena. Le site de Gitaus se trouve dans un secteur que le chef Wise avait mentionné avec la demande d’une réserve. La référence que fait le chef Wise aux terres demandées parce qu’elles appartiennent à leurs ancêtres comprenait Gitaus. Si l’on avait dit au chef Wise que ce secteur était exclu, il s’y serait certainement opposé.

F.  La conclusion

[182]  Peu importe sur qui reposait le fardeau de la preuve à cet égard, la preuve, considérée dans son ensemble, ne permet pas de conclure que le commissaire O’Reilly a informé les chefs que les terres en question seraient exclues de l’attribution de la RI no 1.

[183]  Bien sûr, les Kitselas auraient été au courant de la présence d’un « village champignon » de leur peuple au lot 113 entre les années 1907 et 1913. À cette époque, l’exclusion du site était un fait accompli.

G.  La conséquence si l’exclusion avait été communiquée

[184]  En tout état de cause, la communication de l’exclusion aux chefs ainsi que l’absence d’opposition ne seraient pas un motif pour conclure que les Kitselas n’avaient aucun droit identifiable à l’égard des terres en question. Au vu de l’ensemble de la preuve, et cela inclut l’histoire orale et la reconnaissance, par le commissaire O’Reilly, de l’utilisation que faisaient les Kitselas du secteur en général, ce droit est clairement établi.

H.  L’utilisation faite par les Indiens ainsi que les revendications des colons blancs

[185]  Au moment de déterminer les terres à mettre de côté en vue de la création d’une réserve, « […] la Cour ne peut faire abstraction du fait que le gouvernement était aux prises avec des demandes conflictuelles, émanant et des bandes rivales elles-mêmes et de non Indiens » (Wewaykum, au paragraphe 96).

[186]  L’article 4 des Instructions données aux commissaires exigeait que ces derniers tiennent compte non seulement des habitudes, des souhaits et des activités des Nations indiennes par rapport aux terres, mais également des revendications des colons blancs.

[187]  La réserve attribuée par le procès-verbal de décision daté du 6 octobre 1891 et par le procès-verbal de décision daté du 20 juillet 1892 qui modifiait l’attribution de la réserve, définissaient un secteur situé des deux côtés de la rivière Skeena. Compte tenu des instructions données au commissaire O’Reilly, cette décision devait refléter son évaluation des habitudes, des souhaits et des activités des Kitselas.

[188]  Le croquis et les notes d’arpentage d’Ashdown Green font état de la présence de neuf maisons à Gitsaex et de deux maisons entourées d’un potager ou d’une clairière dans le secteur du village anciennement situé à Gitaus. Le croquis note l’existence d’un portage entre ce secteur et Gitsaex. Le témoignage de Wilfred Bennett explique la nécessité de ce portage, car les canoës étaient parfois incapables de franchir le défilé du canyon.

[189]  L’histoire orale qu’Isabelle McKee a relatée fait état de l’utilisation que Richard Cecil, ses grands-parents et son arrière-grand-mère ont faite de ces terres. La preuve étaye la conclusion selon laquelle ces personnes, ou certaines d’entre elles résidaient à Gitaus ou y avaient un lieu de résidence.

[190]  Les terres exclues qui se trouvaient à l’intérieur des limites extérieures de la réserve ne faisaient pas l’objet de [traduction] « revendications des colons blancs ». Dans une lettre datée du 28 janvier 1892 et adressée au commissaire principal des Terres et des Travaux publics de la province, le commissaire O’Reilly a déclaré : [traduction] « Il n’y a aucun établissement dans les environs de ces réserves et, s’il devait y en avoir, il y a peu de chance que les intérêts des Blancs et des Indiens entrent en conflit. »

V.  l’obligation fiduciaire : sommaire et conclusion

[191]  La colonie de la Colombie-Britannique a reconnu la nécessité pratique de mettre de côté des terres destinées à l’utilisation et à l’occupation exclusives des Autochtones.

[192]  Après l’adhésion de la Colombie Britannique à la Confédération, le Canada a assumé le rôle principal dans le cadre de la relation entre les Autochtones et la Couronne, en vertu de la compétence fédérale attribuée par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 T 31 Vict, c 3, réimprimée dans LRC 1985, app II, no 5.

[193]  L’article 13 des Conditions de l’adhésion a confirmé le rôle du Canada en tant que seul responsable des droits des Autochtones, notamment à l’égard des terres situées dans la province.

[194]  Les conditions régissant l’établissement de réserves en Colombie-Britannique ainsi que le processus par lequel ce travail devait continuer à être fait ont été mises en vigueur par des décrets de la Colombie-Britannique et du Canada, lesquels ont créé la Commission mixte des réserves indiennes.

[195]  Les commissaires, au moment de déterminer l’attribution de terres à titre de réserve, devaient être guidés par la poursuite d’une « politique libérale » envers les Indiens et ils devaient « et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, dans les limites du territoire disponible au sein de la région qu’ils occupent, et, d’autre part, des revendications des colons blancs » (article 4, mémoire joint aux décrets de la province et du gouvernement fédéral).

[196]  L’obligation de prendre « en considération […] les habitudes, les souhaits et les activités de [chaque nation] » fait manifestement référence aux habitudes, aux souhaits et aux activités en ce qui a trait à des terres.

[197]  Il ressort de la preuve que les Kitselas ont utilisé et occupé le site de Gitaus. Il s’agit donc, dans le contexte de l’article 13 et des conditions de fonctionnement de la Commission mixte des réserves indiennes, d’un droit identifiable.

[198]  La compétence fédérale, étendue par l’article 13 des Conditions de l’adhésion, a établi des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des décisions concernant la définition et l’attribution de réserves par les commissaires.

[199]  Les faits permettant de satisfaire au critère relatif à la création de l’obligation fiduciaire de la Couronne sont établis.

[200]  Le commissaire O’Reilly était l’intermédiaire par lequel le gouvernement fédéral allait exercer ses pouvoirs discrétionnaires en matière d’établissement de réserves.

[201]  Le commissaire O’Reilly n’a fait aucune distinction entre les terres attribuées et les terres exclues sur le fondement des habitudes, des souhaits et des activités des Kitselas. Les éléments de preuve relatifs à l’utilisation et à l’occupation du site de Gitaus étaient plus convaincants que ceux concernant la majeure partie, sinon la totalité, des terres attribuées. Les instructions données au commissaire O’Reilly ne lui laissaient aucune latitude pour exercer les pouvoirs discrétionnaires de la Couronne de manière contraire aux informations qu’il avait obtenues en faisant des recherches sur l’occupation des Indiens, sauf s’il y avait des revendications de colons blancs.

[202]  Il n’y avait aucune revendication de colons blancs.

[203]  Je conclus, sur la foi de ce qui précède, que :

  1. le commissaire O’Reilly n’a pas fait une communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, en n’informant pas les chefs de l’exclusion de la parcelle de terre de 10,5 acres, dans des circonstances où il existait des preuves évidentes de l’utilisation que faisaient à cette époque-là les Kitselas du secteur en question;

  2. la Couronne, par les actes de son représentant, le commissaire O’Reilly, n’a pas agi de manière raisonnable et diligente à l’égard de l’intérêt supérieur des Kitselas en excluant de leur réserve indienne no 1 des terres s’ajoutant au site de l’entrepôt et à l’accès à la rivière de la CBH.

VI.  l’ALINÉA 14(1)c) DE LA LOI SUR LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

[204]  La relation fiduciaire entre les Autochtones et la Couronne, le pouvoir exclusif qu’a la Couronne d’intervenir en rapport avec des terres provinciales ainsi que l’engagement, intégré à l’article 13 des Conditions de l’adhésion, de mettre de côté des réserves établissent l’engagement unilatéral qui est exigé pour que la revendication tombe sous le coup de l’alinéa 14(1)c) de la Loi.

VII.  conclusion

[205]  La Première Nation de Kitselas a démontré que la Couronne avait manqué à son obligation légale en excluant de la RI no 1 de Kitselas des terres qui excédaient les besoins de la Compagnie de la Baie d’Hudson (un acre).

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade

Président, Tribunal des revendications particulières du Canada

 


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20130219

Dossier : SCT-7003-11

OTTAWA (ONTARIO), le 19 février 2013

En présence de l’honorable Harry Slade

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE KITSELAS

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À :

Avocat de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE KITSELAS

Représentée par Stan H. Ashcroft

Ashcroft & Company, Avocats

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Rosemarie Schipizky et Chris Elsner

Ministère de la Justice

 

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