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DOSSIER : SCT-2007-11

RÉFÉRENCE : 2016 TRPC 9

DATE : 20160520

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN

Revendicatrice

 

Me Paul Dionne et Me Marie-Ève Dumont, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Me Éric Gingras, Me Dah Yoon Min et Me Ann Snow, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Du 9 au 12 septembre 2013, du 13 au 24 janvier 2014, du 20 au 23 mai 2014, du 17 au 26 mars 2015, du 30 mars au 1er avril 2015, du 23 au 30 avril 2015 et le 11 mai 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Johanne Mainville


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, 114 DLR (4th) 419; Nation et Bande indienne de Samson c Canada, 199 FTR 125, [2001] 2 CNLR 353; R c Marquard, [1993] 4 RCS 223, 108 DLR (4th) 47; R c Howard, [1989] 1 RCS 1337; Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 22.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict, c 3, art 91.

Loi des Indiens, LRC 1927, c 98, art 4, 34, 39, 48, 51.

Loi sur les Indiens, LRC 1952, c 149, art 18, 30, 31, 35, 37 à 41.

Sommaire :

La présente revendication concerne l’inondation récurrente de la réserve d’Opitciwan suite aux travaux de relèvement de la crête du barrage Gouin en 1942 et en 1955-56 par la Commission du régime des eaux courantes de Québec (aussi connue sous le nom de la Commission des Eaux Courantes de Québec (« CEC »)) et les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan en raison de cet événement.

La revendicatrice allègue que la Couronne fédérale a violé ses obligations légales et de fiduciaire avant et après les travaux de la CEC visant à augmenter la capacité d’emmagasinage du réservoir Gouin en ne prenant aucune mesure concrète, avant l’arpentage ou au moment de l’arpentage de la réserve et après la création de la réserve, pour protéger les droits et les intérêts des Atikamekw d’Opitciwan.

En raison de ces violations alléguées, la revendicatrice réclame notamment 1) une indemnité pour les dommages et inconvénients des Atikamekw d’Opitciwan résultant à l’inondation de la réserve d’Opitciwan suite aux travaux de relèvement de la crête du barrage Gouin autorisés à partir de 1942, notamment les inconvénients reliés à la contamination de l’eau et aux maladies qui en ont découlé; 2) une indemnité pour la valeur des terres qui ont été ennoyées par l’inondation d’une partie de la réserve; et 3) une indemnité pour la perte d’usage de ces terres.

La revendicatrice allègue que les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan en raison de l’inondation récurrente de la réserve d’Opitciwan à partir de 1942 sont attribuables à la faute de la Couronne fédérale.

L’intimée conteste et nie le bien-fondé de la revendication aux motifs 1) qu’il n’existe aucune obligation juridique opposable à la Couronne qui pourrait résulter des faits en l’espèce; et, 2) qu’il n’existe aucune obligation juridique opposable à la Couronne de dédommager de quelque façon que ce soit la revendicatrice relativement aux faits énoncés dans le dossier.

L’intimée soutient de plus que les travaux de rehaussement de la crête du déversoir étaient entièrement initiés et contrôlés par le gouvernement du Québec.

Arrêt : L’objection de l’intimée cherchant à faire déclarer inadmissibles le rapport d’expertise et le témoignage de l’expert de la revendicatrice, Claude Marche, est rejetée. La preuve établit que la formation et les connaissances acquises par le Dr Marche en tant qu’hydraulicien lui confèrent un degré d’expertise suffisant à l’égard de la superficie ennoyée de la réserve. En ce qui concerne la question de la qualité des eaux, le Dr Marche a les compétences pour expliquer le comportement des eaux dans le réservoir et des impacts du marnage résultant de l’exploitation du réservoir, mais pas pour témoigner sur la qualification et l’interaction chimique des différents éléments et la conséquence de ceux-ci sur la santé des individus. Il ne sera donc pas tenu compte des parties de son rapport traitant du processus chimique qui se produit dans le réservoir et son impact sur la santé des Atikamekw d’Opitciwan.

Les questions soulevées dans le présent litige concernent l’ennoiement d’une partie des terres de la réserve d’Opitciwan avant et après sa création.

Tel que conclu dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, la Couronne fédérale détenait des obligations légales et de fiduciaire exécutoires envers les Atikamekw d’Opitciwan de s’assurer de la mise en œuvre du processus de création de la réserve d’Opitciwan. La question de l’ennoiement des terres de la « réserve provisoire » est au cœur même du processus de création de réserve.

La Couronne fédérale était donc tenue notamment aux devoirs élémentaires de loyauté dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information eu égard aux circonstances et d’exercice de prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones lorsqu’elle prenait des décisions concernant la création de la réserve.

En l’espèce, la Couronne fédérale exerçait un pouvoir sur un intérêt autochtone identifiable et, en exerçant ce pouvoir, elle était investie d’une discrétion suffisante à laquelle les Atikamekw d’Opitciwan pouvaient être vulnérables. Elle était tenue de protéger les droits d’usage et de jouissance de ces derniers dans la réserve provisoire. Or, dans le cadre de la création de la réserve d’Opitciwan, la Couronne fédérale a permis l’arpentage de celle-ci en 1943 en sachant ou en ne pouvant ignorer que la réserve allait être encore une fois inondée. En effet, le 18 février 1942, soit au moins un an avant l’arpentage officiel de la réserve, le gouvernement du Québec avait autorisé la CEC à relever la crête du barrage Gouin en augmentant la retenue de l’eau du réservoir de la cote de 1325 pieds à 1328 pieds. La Couronne fédérale n’a pris aucune mesure pour protéger les intérêts des Atikamekw d’Opitciwan.

Après la création de la réserve, en janvier 1944, la Couronne fédérale était tenue de préserver l’intérêt quasi propriétal de la bande d’Opitciwan. Or, après sa création, la réserve a été plusieurs fois en partie ennoyée. De plus, en 1955-56, la province du Québec a de nouveau autorisé le relèvement de la crête du déversoir augmentant la retenue d’eau à la cote de 1329 pieds. Là encore, la Couronne fédérale savait ou ne pouvait ignorer que cette seconde augmentation se traduirait par un ennoiement d’une partie de la réserve. Là encore, elle n’a rien fait.

Or, après sa création, l’inondation d’une partie de la réserve d’Opitciwan constituait une forme d’utilisation de celle-ci qui aurait dû faire l’objet d’une consultation des Atikamekw d’Opitciwan et d’autorisations prescrites en vertu de la Loi sur les Indiens. 

La preuve démontre clairement que la Couronne fédérale a failli à ses obligations légales et de fiduciaire tant avant qu’après la création de la réserve.

L’ensemble de la preuve démontre qu'il y a un empiétement appréciable résultant des inondations, qu’aucune parcelle de terre additionnelle n’a été arpentée et que les Atikamekw d’Opitciwan ont été privés de certaines parties de leur réserve.

Tenant compte de l’ensemble des circonstances, le Tribunal accepte les chiffres auxquels en arrive le Dr Marche et conclut quant à l’ennoiement permanent à une perte de l’ordre de 109 acres de la réserve. Le Tribunal permet cependant qu’une preuve additionnelle par un arpentage sur le terrain soit produite lors de la deuxième étape afin de confirmer de façon précise la superficie ennoyée de la réserve.

En ce qui concerne la question de la qualité des eaux, le Tribunal retient du témoignage de l’expert de l’intimée Christian Gagnon qu’en soi les substances humiques ne sont pas toxiques et ne constituent pas un contaminant. Cependant, une très forte présence de substances humiques dans un endroit fermé diminue la qualité de l’eau, et la présence d’excréments ou de carcasses d’animaux dans l’eau peut causer une contamination bactériologique.

La preuve démontre également que le réservoir subit un marnage annuel important, alors que celui-ci reçoit des déchets naturels, tels les œufs et excréments des animaux qui vivent sur le pourtour. Le marnage entraîne également un taux élevé de mortalité de ces animaux. Le lessivage de la rive et le mouvement des eaux ramènent tous ces éléments dans diverses parties du réservoir, le long de la rive, des baies et des  marécages du réservoir.

Or, l’expert Gagnon a confirmé que la suspension et la décomposition dans l’eau d’œufs de poissons et autres animaux, d’excréments d’oiseaux et d’animaux sont une source de contamination bactérienne et que si ces substances sont dissoutes dans l’eau qui est consommée, elles constituent un danger pour la santé des individus.

Les aînés ont affirmé que les Atikamekw avaient été malades après avoir bu l’eau du réservoir et la preuve documentaire fait état de l’insalubrité des eaux du réservoir et des eaux des puits. La preuve établit également que la présence de substances humiques dans l’eau du réservoir a créé de nombreux inconvénients aux Atikamekw d’Opitciwan. La Couronne a tardé à agir afin de résoudre les problèmes et a fait preuve de négligence.

La preuve démontre qu’après 1942, les Atikamekw d’Opitciwan ont continué à subir des inconvénients résultant de la mauvaise qualité des eaux. Si les problèmes de santé se sont parfois atténués parce que les Atikamekw faisaient bouillir leur eau, ils n’ont pas été entièrement éliminés. Outre les problèmes de santé, la preuve établit que le rehaussement des eaux a causé de nombreux inconvénients aux Atikamekw d’Opitciwan.

En raison des violations par la Couronne fédérale de ses obligations légales et de fiduciaire, la revendicatrice a droit de recevoir : 1) une indemnité pour la valeur et la perte d’usage et de jouissance d’environ 109 acres des terres de la réserve résultant de l’inondation à la suite des travaux de relèvement de la crête du déversoir du barrage Gouin autorisés en 1942 et en 1955-56; 2) une indemnité pour les dommages et inconvénients des Atikamekw d’Opitciwan résultant de la consommation et l’usage d’une eau impropre due au rehaussement des eaux : i) sur la santé des Atikamekw; et ii) sur les inconvénients causés aux Atikamekw d’Opitciwan, notamment la destruction des puits ou des points d’eau qu’ils avaient creusés, les délais relatifs à la fourniture de puits et les difficultés d’approvisionnement.

La Couronne provinciale est en partie responsable de ces dommages et inconvénients. Les parts de responsabilité de la Couronne fédérale et de la Couronne provinciale devront être déterminées lors de la deuxième étape.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. introduction  9

II. les faits  13

III. les expertises  18

A. Claude Marche  18

1. Qualification  18

2. L’expertise  19

a) Réduction de la superficie  20

b) La qualité des eaux  25

B. Michel Leclerc  28

1. Qualification  28

2. Contre-expertise  29

C. Éric Groulx  33

1. Qualification  33

2. Contre- expertise  34

D. Christian Gagnon  39

1. Qualification  39

2. Contre-expertise  39

IV. analyse  41

A. Admissibilité de l’expertise et du témoignage du Dr Marche  41

1. Demande de l’intimée  41

2. Analyse  42

B. La Couronne est-elle tenue à une obligation légale et de fiduciaire?  46

C. La Couronne fiduciaire a-t-elle manqué à ses obligations de fiduciaire?  51

1. La réduction de la superficie de la réserve  51

a) La preuve quant à l’ennoiement d’une partie de la réserve  51

b) La preuve quant à la superficie additionnelle  64

c) La preuve documentaire et le témoignage des aînés  65

d) Conclusions quant à l’ennoiement de la réserve  68

2. Les obligations de la Couronne fédérale  69

3. La qualité de l’eau  73

D. Quelles sont les pertes susceptibles d’être compensées lors de la deuxième étape?  82

V. dispositif  83


 

I.  introduction

[1]  La présente revendication concerne l’inondation récurrente de la réserve d’Opitciwan suite aux travaux de relèvement de la crête du barrage Gouin en 1942 et en 1955-56 par la Commission du régime des eaux courantes de Québec (aussi connue sous le nom de la Commission des Eaux Courantes de Québec (« CEC »)) et les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan en raison de cet événement.

[2]  Le 16 octobre 2008, la revendicatrice a déposé une revendication auprès du ministre fédéral des Affaires indiennes. Dans une lettre datée du 30 septembre 2011, le sous-ministre adjoint principal des Affaires indiennes a informé la revendicatrice du refus du ministre de négocier la présente revendication particulière. Le 21 mars 2012, elle a déposé une Déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (« Tribunal » ou « TRP »).

[3]  Aux paragraphes 35 à 37 de sa Déclaration de revendication ré-amendée, la revendicatrice allègue ce qui suit :

35. […] la Couronne a violé ses obligations légales statutaires et fiduciaires avant les travaux de la CEC visant à augmenter la capacité d’emmagasinage du réservoir Gouin :

a.  en ne prenant aucune mesure concrète, avant l’arpentage ou au moment de l’arpentage de la réserve, pour s’assurer auprès du Québec que les terres arpentées ne seraient pas inondées en raison de travaux de relèvement de la crête du barrage Gouin, ou pour s’assurer que l’arpenteur avait ajouté des terres de remplacement à la réserve pour pallier à toute possibilité d’inondation;

b.  en laissant subsister cette situation d’incertitude même après avoir appris que d’autres travaux de rehaussement de la crête du barrage seraient entrepris.

36. La violation est ici d’autant plus grave que la Couronne savait que les Atikamekw d’Opitciwan avaient déjà subi une inondation lors de la mise en eau du réservoir Gouin et que, selon les propres termes du DAI [Département des Affaires indiennes], ils avaient alors été « seriously inconvenienced ».

37. La Couronne a aussi violé ses obligations légales statutaires et fiduciaires après les travaux de la CEC visant à augmenter la capacité d’emmagasinage du réservoir Gouin :

a.  en ne dépêchant pas sur les lieux sans délai un arpenteur et des inspecteurs pour vérifier la superficie des terres ennoyées et faire l’inventaire des pertes matérielles et autres des Indiens, comme elle le faisait d’habitude en pareilles circonstances dans les réserves indiennes;

b.  en ne prenant aucune mesure pour ajouter à la réserve la contenance empiétée par la hausse des eaux du réservoir;

c.  en ne prenant aucune mesure pour que les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan soient compensés, malgré la recommandation de son agent;

d.  en ne prenant aucune mesure pour prévenir la récurrence de l’inondation, notamment en vertu des pouvoirs stipulés à la Loi sur la protection des eaux navigables.

[4]  En raison de ces violations alléguées, la revendicatrice réclame notamment :

a)  une indemnité pour les dommages et inconvénients des Atikamekw d’Opitciwan consécutifs à l’inondation […] de la réserve d’Opitciwan suite aux travaux de relèvement de la crête du barrage Gouin autorisés à partir de 1942, notamment les inconvénients reliés à la contamination de l’eau et aux maladies qui en ont découlé;

b)  une indemnité pour la valeur des terres […] qui ont été ennoyées par l’inondation […] de la réserve;

c)  une indemnité pour la perte d’usage de ces terres; […] [Soulignement dans l’original; Déclaration de revendication ré-amendée, au para 38]

[5]  La revendicatrice allègue que les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan en raison de l’inondation récurrente de la réserve d’Opitciwan à partir de 1942, sont attribuables à la faute de la Couronne fédérale.

[6]  L’intimée conteste et nie le bien-fondé de la revendication aux motifs :

  1. qu’il n’existe aucune obligation juridique opposable à la Couronne qui pourrait résulter des faits en l’espèce;

  2. qu’il n’existe aucune obligation juridique opposable à la Couronne de dédommager de quelque façon que ce soit la revendicatrice relativement aux faits énoncés dans le dossier.

[7]  L’intimée soutient de plus que les travaux de rehaussement de la crête du déversoir sont entièrement initiés et contrôlés par le gouvernement du Québec.

[8]  L’intimée plaide également que la revendicatrice ne rencontre pas son fardeau de preuve en ce qu’elle n’a soumis aucune preuve de la superficie inondée de la réserve, des effets de la levée des eaux sur ladite réserve et des pertes et dommages subis.

[9]  Par avis daté du 22 juin 2012, conformément au paragraphe 22(1) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, le Tribunal a informé le Procureur général du Québec qu’il estime que la décision qu’il rendra dans le présent dossier pourra avoir des répercussions importantes sur les intérêts du Québec. Celui-ci n’a pas jugé opportun d’intervenir ou de participer au débat.

[10]  La revendication a fait l’objet d’une scission. La présente décision porte sur le volet responsabilité, le cas échéant, de la Couronne fédérale. Quant aux indemnités réclamées, elles sont abordées uniquement dans le but d’en établir l’existence, le cas échéant, et l’ouverture du droit à la réparation, tel que décidé dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11.

[11]  La preuve dans la présente revendication a été présentée de façon commune avec les dossiers SCT-2004-11, SCT-2005-11 et SCT-2006-11.

[12]  Les faits, le droit et d’autres questions utiles aux fins du présent dossier ont été décrits et analysés dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11. Il y a lieu d’y référer aux fins de la présente décision.

[13]  Dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, j’ai conclu notamment ce qui suit:

  1. Il existait suffisamment de similitudes entre le processus de création des réserves en Colombie-Britannique et au Québec pour que l’on puisse qualifier Opitciwan de« réserve provisoire » de 1914 à 1944;

  2. l’ensemble législatif constitué des Lois de 1850 et de 1851 et du décret de 1853, considéré à la lumière de l’alinéa 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict, c 3, formait le cadre de l’obligation légale de la Couronne fédérale de créer des réserves;

  3. l’adoption du décret de 1853 pris en vertu de la Loi de 1851 et approuvant la Cédule de 1853 répartissant les 230 000 acres de terres a engendré une obligation pour la Couronne de créer des réserves pour les bandes qui y étaient identifiées, car les superficies qui étaient mentionnées dans la Cédule de 1853 avaient été « mises à part » et « affectées » à l’usage des tribus indiennes qui y étaient mentionnées;

  4. cette obligation légale s’est concrétisée par l’amorce du processus de création des réserves;

  5. en ce qui concerne la réserve d’Opitciwan, le processus de sa création s’est amorcé en 1853 avec l’identification dans la Cédule des Atikamekw comme bénéficiaires de certains acres aux fins de création de réserve et la réponse favorable du DAI, s’est précisé en 1908 et par la suite en 1912 avec la démarche du Chef Awashish, s’est cristallisé en 1914 avec l’arpentage de l’arpenteur White et s’est terminé avec la création de la réserve en janvier 1944;

  6. ainsi : 1) au plus tard en 1914, les Atikamekw d’Opitciwan avaient un intérêt autochtone identifiable et reconnu sur les terres d’Opitciwan formant la réserve provisoire; et 2) la Couronne fédérale détenait un pouvoir discrétionnaire consistant à s’assurer que le processus de création de la réserve soit sécurisé;

  7. ces faits ont engendré une obligation de fiduciaire à la charge de la Couronne fédérale envers les Atikamekw d’Opitciwan. De plus, la preuve démontre que le DAI s’est constitué l’intermédiaire exclusif pour les Atikamekw d’Opitciwan auprès de la province de Québec à l’égard de terres faisant l’objet du processus de création de la réserve d’Opitciwan;

  8. conformément à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 aux para 86, 89, 94, 97, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]), avant la date de création de la réserve d’Opitciwan, soit avant le 14 janvier 1944, l’existence de cette obligation de fiduciaire engageait la responsabilité de la Couronne fédérale aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information eu égard aux circonstances et d’exercice de prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires de l’obligation;

  9. la preuve établit que la Couronne a manqué à ces devoirs.

  10. étant dans un processus de création de réserve, les actes accomplis par la Couronne fédérale relativement aux terres occupées par les Atikamekw d’Opitciwan dans la « réserve provisoire » étaient régis par les rapports fiduciaires entre ceux-ci et la Couronne;

  11. après la création de la réserve, la portée de l’obligation de fiduciaire de la Couronne s’était élargie et visait la préservation de l’intérêt « quasi propriétal »de la bande dans la réserve et la protection de celle-ci contre l’exploitation à cet égard.

[14]  Par ailleurs, dans la décision SCT-2005-11, j’ai conclu que la réserve d’Opitciwan a été créée le 14 janvier 1944

II.  les faits

[15]  Il est opportun de préciser certains faits, dont la plupart ont été décrits dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11.

[16]  La preuve démontre qu’en 1914, l’arpenteur White effectue un arpentage de la réserve d’Opitciwan et qu’une partie des terres arpentées est inondée en 1919.

[17]  Plusieurs années s’écoulent sans que n’avance le processus de création de la réserve.

[18]  En 1929, le Chef Gabriel Awashish questionne le représentant de la CEC sur les limites de la réserve. Ce questionnement est transmis aux autorités du ministère des Terres et Forêts du Québec (« MTFQ ») et au DAI le 14 août 1929 (Cahier conjoint de preuve documentaire (« CCPD »), à l’onglet 282).

[19]  Le 31 janvier 1930, en réponse à une lettre du sous-ministre Mercier du MTFQ, le sous-ministre adjoint MacKenzie du DAI lui fait part qu’il est souhaitable de consulter les Atikamekw d’Opitciwan avant de sélectionner les terres qui doivent être ajoutées à la réserve et l’informe qu’il dépêchera un de ses arpenteurs pour sélectionner une réserve de 2270 acres (les parties conviennent qu’il s’agit d’une erreur et qu’il faut plutôt lire 2290 acres). Il ajoute que la superficie de la vieille réserve qui se trouve au-dessus du niveau de 1325 pieds est de 1728 acres, auxquels il faudrait donc ajouter 542 acres pour la compléter (CCPD, à l’onglet 284). Le dossier est mis en suspens afin de permettre au DAI de procéder à la consultation (CCPD, à l’onglet 303), qui n’aura finalement pas lieu (CCPD, aux onglets 302 et 303).

[20]  Le 6 juillet 1939, l’arpenteur en chef Peters du DAI communique par écrit ses instructions à l’arpenteur Rinfret. Il lui rappelle notamment qu’en 1914, White a tracé à Opitciwan une superficie de 2290 acres, et qu’en 1917, les eaux ont été rehaussées et une superficie de 542 acres des terres sélectionnées par White a été inondée. Il demande à Rinfret d’arpenter à Opitciwan une réserve de 2290 acres devant inclure le village indien et de retrouver les lignes tracées par White afin d’y raccorder son arpentage. Il ajoute qu’en 1920, la CEC s’était engagée à recommander au gouvernement du Québec que la réserve soit agrandie d’une superficie égale à la superficie inondée (CCPD, à l’onglet 307).

[21]  Le même jour, le 6 juillet, Peters transmet au sous-ministre Bédard du MTFQ une copie de ses instructions et lui demande de les approuver, ajoutant que « [t]he national topographic map compiled from aerial photographs taken in 1932 indicates that considerably more than this area [542 acres] has been flooded. According to an agreement approved by the Quebec Streams Commission dated May 12th, 1920, the new reserve is to have the original area » (soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 307).

[22]  L’arpentage prévu en 1939 n’a pas eu lieu pour des raisons inconnues.

[23]  En 1941 et dans les années qui suivent, l’agent Larivière du DAI rapporte à ses supérieurs au DAI que le niveau du lac monte et descend continuellement selon les besoins de la CEC, et se plaint des dommages ainsi causés sur la réserve d’Opitciwan.

[24]  Le 18 février 1942, le gouvernement du Québec autorise la CEC à relever la crête du déversoir du barrage Gouin en augmentant la retenue de l’eau de la cote de 1325 pieds à la cote de 1328 pieds (CCPD, à l’onglet 315).

[25]  Le 9 février 1943, le sous-ministre Bédard du MTFQ informe le DAI que le MTFQ est disposé à recommander au Conseil exécutif la reconnaissance de la réserve d’Opitciwan. Il rappelle qu’en 1914, White a arpenté 2290 acres, dont 542 acres auraient été inondés, et qu’en 1939, le DAI a demandé à l’arpenteur Rinfret d’ajouter ces 542 acres. Bédard indique qu’il ne croit cependant pas nécessaire de mettre à la disposition des Atikamekw une étendue de terrain de 2290 acres (CCPD, à l’onglet 326).

[26]  Le 31 mars 1943, un projet de lettre au sein du DAI destiné au sous-ministre Bédard indique que le DAI est maintenant prêt à procéder à l’arpentage selon les instructions données à Rinfret en 1939, à la condition que la CEC n’ait pas l’intention de rehausser le niveau au-delà des niveaux récemment maintenus (CCPD, aux onglets 333 et 334).

[27]  Le 22 juin 1943, par lettre, le sous-ministre Campbell avise son homologue le sous-ministre Bédard que le DAI serait satisfait s’il pouvait obtenir du MTFQ l’équivalent des 2290 acres originaux, à la condition qu’ils soient localisés au-dessus de la ligne des hautes eaux :

If therefore we could obtain from you the equivalent of the original 2290 acres located above the ultimate high water mark contemplated as the future flood limit caused by the power development we would rest content. [Soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 335]

[28]  De toute évidence, cette lettre ainsi que le projet de lettre qui circulait au DAI démontrent une inquiétude du DAI par rapport à la limite sud de la réserve d’Opitciwan, ce dernier désirant qu’elle soit située au-dessus de l’ultime limite des hautes eaux.

[29]  Le 14 août 1943, l’arpenteur Rinfret reçoit ses instructions de l’arpenteur en chef Peters du DAI pour la délimitation d’une réserve de 2290 acres à Opitciwan. On y lit notamment ce qui suit :

A study of the aerial pictures and Mr. White’s plan of a survey made in this area in 1914 indicate that an east and west line would make a suitable north boundary of the proposed reserve, but in this connection you will use your own judgment in the matter of the selection of the boundaries.

In connection with the survey of the exterior boundaries an accurate traverse of the mean highwater mark of the Gouin Reserve fronting on the proposed reserve will be required. You should therefore take with you such necessary drafting equipment as you will require so that you can plot your survey while in the field. [Soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 337]

[30]  On constate que le DAI laisse une certaine latitude à Rinfret pour tracer la ligne, ce que ce dernier dénoncera d’ailleurs lorsqu’il écrit à Peters du DAI :

Personally I think that the Indian Affairs Branch should assume their responsibility which includes the location of the proposed reserve even if in so doing it inconveniences an Indian Agent. I would be prepared to assume the responsibility that the survey will be legal, accurate and executed to the satisfaction of the Quebec authorities. [CCPD, à l’onglet 336]

[31]  L’expert de l’intimée Éric Groulx, arpenteur-géomètre, reconnaît que ce n’est pas une pratique courante de laisser l’arpenteur déterminer l’endroit précis où sera située une réserve (transcription de l’audience, le 24 janvier 2014, à la p 68).

[32]  Toujours dans les instructions données à Rinfret, Peters l’avise que :

The Indian Affairs files indicate that there is the possibility that the waters in the Gouin Reservoir may be raised still higher than its present level. Should you find out from the provincial authorities that such a project is to be carried out within a few years it would appear advisable that an additional area equal to the area that will be inundated, should now be included within the block, so as to avoid the necessity of running revised boundary lines thereafter. [Soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 337]

[33]  Dans ses instructions, Peters informe aussi Rinfret que l’arpentage doit être conforme à la réglementation provinciale, que les instructions devront être approuvées par le Québec et « [s]hould any matter of paramount importance arise out of your interview with the provincial authorities in connection with this proposed survey, you should advise this office immediately and await our reply before proceeding to the field » (CCPD, à l’onglet 337).

[34]  Le 19 août 1943, la province approuve les instructions que Peters a données à Rinfret et émet ses instructions générales (CCPD, à l’onglet 338). Toutefois, en ce qui concerne la localisation exacte de la réserve d’Opitciwan, Québec s’en remet aux instructions du DAI, ce que reconnaît également l’expert Groulx (transcription de l’audience, le 24 janvier 2014, à la p 72).

[35]  Rinfret procède aux travaux d’arpentage sur la réserve du 21 août au 7 septembre 1943.

[36]  Le 29 août 1943, alors qu’il s’active à Opitciwan à ses travaux d’arpentage, Rinfret informe ses supérieurs que le 17 août, il a rencontré Boisvert du MTFQ en l’absence du sous-ministre Bédard. Ce dernier lui a dit que la superficie prévue pour Opitciwan n’était que de 2000 acres, ce avec quoi Rinfret s’est dit en désaccord. Le lendemain, avec Boisvert, il a rencontré le sous-ministre Bédard « who willingly agreed on the 2290 acres area for the reserve after I explained that we were striving to give 60 acres per family residing at the reserve ». Rinfret ajoute « As to the question of a further area to be flooded by the raising of water in the Gouin Reservoir, Mr. Boisvert called the Streams Commission and was informed that it was contemplated to raise the water 3 inches only above the highest point at which the water stood in 1942. The area involved was considered negligible and they refused to discuss the matter any further » (soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 339).

[37]  En 1955 et 1956, par le biais de trois ordres en conseil (« décrets »), la province de Québec autorise des réparations et des modifications au barrage Gouin susceptibles d’augmenter la capacité d’emmagasinage dans le réservoir à la cote de 1329 pieds (CCPD, aux onglets 374, 375 et 378).

[38]  Des graphiques des niveaux quotidiens du réservoir Gouin, produits par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, montrent que (CCPD, à l’onglet 397) :

  1. de 1920 à 1939, le niveau du réservoir a atteint la cote de 1326 pieds et a connu durant cette période un marnage d’environ 23 pieds entre les niveaux minimum et maximum atteints;

  2. de 1940 à 1959, le niveau du réservoir a atteint ou dépassé la cote de 1328 pieds et aconnu durant cette période un marnage d’environ 18 pieds entre les niveaux minimum et maximum atteints;

  3. de 1960 à 2001, le niveau du réservoir a atteint ou dépassé la cote de 1329 pieds et aconnu durant cette période un marnage d’environ 18 pieds entre les niveaux.

[39]  À la preuve documentaire s’ajoute le témoignage des aînés, notamment ceux de David et de Jérémie Chachai qui ont vu les eaux monter dans les années cinquante. Jérémie Chachai a témoigné que l’eau a envahi la pointe du territoire et les points d’eau potable creusés par les Atikamekw d’Opitciwan.

III.  les expertises

A.  Claude Marche

[40]  L’intimée conteste l’admissibilité du rapport du Dr Marche et de son témoignage et en demande le rejet, lesquels soutient-elle ont un impact important sur le dossier SCT-2007-11 et accessoirement sur le dossier SCT-2004-11.

[41]  L’objection est fondée sur le défaut de qualification de l’expert Marche en matière d’arpentage et de géochimie (qualité des eaux). L’intimée soutient également que son expertise est totalement non fiable. Le Tribunal a pris l’objection sous réserve, permis le témoignage du Dr Marche et qualifié ce dernier d’expert en hydraulique des barrages.

1.  Qualification

[42]  Le Dr Marche est ingénieur civil depuis 1969. Il détient une Maîtrise ès Sciences en géotechnique et transport depuis 1971 et est Docteur ès Sciences en hydraulique depuis 1974. Depuis la fin de ses études, il a suivi des formations complémentaires en cartographie numérique et en interprétation de photographies aériennes.

[43]  Le Dr Marche a été professeur titulaire et chercheur à l’École Polytechnique de Montréal de 1984 à 2009, année où il a pris sa retraite de l’enseignement. Au cours des ans, il a également agi comme ingénieur hydraulicien à titre de consultant pour différentes firmes, dont notamment Hydro-Québec. Il a été responsable des essais sur modèle réduit de l’évacuateur de crues ainsi que de la conception et de la vérification des aménagements de Outardes-2; des essais sur modèle réduit du canal de restitution de la centrale souterraine de l’aménagement LG-2; de la vérification de l’ouvrage ayant fonction d’évacuateur de crues et de régularisation de débit en ce qui a trait au réservoir Cabonga-Dozois; de l’étude numérique des régimes d’écoulement sous les diverses variantes des aménagements Nottaway-Broadback-Rupert; de la gestion des réservoirs hydro-électriques de la Mauricie, etc.

[44]  Il a également participé ou été responsable de plusieurs études de rupture de différents barrages, de la stabilité des berges du lac Témiscaminque et de l’Outaouais, etc. Il a de plus participé à de nombreuses études d’impacts environnementales notamment relativement à la modification du régime salin de l’estuaire La Grande en fonction de la régularisation hydro-électrique et d’études de la migration des produits contaminants en rivière.

[45]  De plus, il a procédé à l’analyse, au développement, à l’implantation et au test de nouveaux modèles mathématiques applicables aux calculs des écoulements estuariens, et a appliqué ces modèles aux estuaires des rivières Outardes, La Grande, La Grande-Baleine pour en déterminer les régimes d’écoulement, d’évolution sédimentologique ou thermique et les stratifications salines.

[46]  Il a enseigné la mécanique des fluides, l’hydraulique, l’hydraulique maritime, les méthodes numériques en hydraulique, l’hydrologie, les ouvrages hydrauliques et ouvrages maritimes, la rupture de barrage et la protection civile, ainsi que le transport des sédiments.

[47]  Il a participé à la rédaction de deux livres, a publié plus de 80 articles dans différentes revues spécialisées, et a donné de nombreuses conférences.

[48]  Il a également agi comme expert devant les tribunaux.

2.  L’expertise

[49]  Au début de l’année 2013, le Dr Marche reçoit le mandat suivant :

  1. évaluer l’impact de la création et de la gestion du réservoir Gouin sur la superficie des terres réservées à la bande des Atikamekw d’Opitciwan et,

  2. établir s’il existe un lien entre le fonctionnement du réservoir et la détérioration remarquée de la qualité de l’eau issue du réservoir et des puits riverains que la bande aconsommée durant plusieurs années.

[50]  Plus spécifiquement, il décrit la nature de la demande comme suit (Pièce P-10, à la p 74) :

Le mandat qui m’a été confié énonçait cinq objectifs dans le cadre des deux dossiers SCT-2004-11 et SCT-2007-11 :

a) Dossier SCT-2004-11 :

i)   Établir s’il y a eu ennoiement permanent d’une certaine superficie à même la réserve arpentée à Opitciwan en août 1914, par suite de la mise en eau du réservoir Gouin. Si oui, identifier la zone ennoyée.

ii)   Établir si des ennoiements récurrents de superficies de la réserve ont pu avoir lieu entre la mise en eau du réservoir et l’arpentage final de 1943. Préciser la ou les causes de ces ennoiements et identifier les zones ennoyées.

b) Dossier SCT-2007-11 :

i)   Établir s’il y a eu ennoiement permanent d’une certaine superficie à même la réserve de 2 290 acres arpentée à Opitciwan en août-septembre 1943. Si oui, préciser l’époque de l’ennoiement et les causes de l’ennoiement. Identifier la zone ennoyée.

ii)   Établir si des ennoiements récurrents de superficies additionnelles de la réserve arpentée en 1943 ont pu avoir lieu à compter de l’arpentage jusqu’à aujourd’hui. Identifier les zones ennoyées.

c) Dossiers SCT-2004-11 et SCT-2007-11 :

Établir si des causes hydrologiques et/ou en lien avec les opérations du réservoir Gouin peuvent avoir modifié la qualité des eaux utilisées ou consommées dans la réserve.

[51]  Le Dr Marche produit un rapport en 2013 intitulé Sur la réduction de la superficie des terres réservées aux Atikamekw du réservoir Gouin, et la contamination de leur eau de consommation (Pièce P-10), un résumé de son rapport (Pièce P-11) et une présentation « PowerPoint » en ré-interrogatoire (Pièce P-20).

a)  Réduction de la superficie

[52]  Eu égard au premier volet, soit celui concernant la réduction de la superficie des terres réservées aux Atikamekw, l’expert Marche résume sa démarche et ses conclusions comme suit :

Pour des raisons que nous ne connaissons pas, le territoire effectivement piqueté en 1914 mesure 1430 acres et ne couvre que la partie est de la pointe. Mais la surface est inscrite au plan comme étant de 2290 acres. Le plan n’est pas reconnu valide par Québec. Le réservoir est mis en eau en 1918 et provoque un ennoiement important des berges de tous les lacs et cours d’eau en amont du barrage. Ceux-ci constituent désormais le réservoir Gouin. Les démarches pour officialiser la réserve restent au point mort pendant de longues années et reprennent vers 1943 alors que le statut de réserve est confirmé suite à un deuxième arpentage indiquant que la réserve a une superficie de 2290 acres. Il alloue à la réserve la totalité de la pointe comprise entre la rive située à une élévation non indiquée au plan (mais proche de la cote maximale d’exploitation de 1325 pi) et la limite nord de la réserve déjà établie en 1914.

La réserve, telle qu’ainsi délimitée, inclut une zone de rive inutilisable, car soumise de manière récurrente à un ennoiement dû à trois facteurs : la pente du réservoir qui fait que lorsque la cote maximale d’exploitation est atteinte au barrage, elle est largement dépassée en amont; l’effet des vents qui peuvent accroître l’effet de pente; l’effet des vagues de plusieurs pieds de hauteur que les vents peuvent engendrer sur un réservoir de cette taille.

En excluant de la surface délimitée par le deuxième arpenteur en 1943 les zones inondables une fois chaque 20 ans, la réserve n’a plus que 2195 acres de superficie utile. Elle a donc 95 acres de moins que ce qui est indiqué sur le plan d’arpentage de 1943.

Le gouvernement avait autorisé un premier rehaussement de 3 pi du barrage en 1942 et la remontée correspondante de la cote maximale d’exploitation à l’élévation 1328 pi accentua l’ennoiement : la réserve perdit alors une autre bande riveraine de 81 acres. Le même phénomène fut encore observé lors du deuxième rehaussement de 1955 avec une perte additionnelle de 28 acres.

La réserve se trouva donc officialisée comme ayant une superficie de 2290 acres dans les années 40 puis finit par mesurer aujourd’hui 2086 acres. En tant que réserve, et du seul fait de la gestion et du développement du réservoir Gouin, elle a été amputée de près de 10 % de sa surface. [Pièce P-10, aux pp 5–6]

[53]  En ce qui concerne les données utilisées, le Dr Marche précise :

Nos calculs portent sur les superficies de la réserve à différentes époques, du premier arpentage en 1914 soit avant la création du réservoir, à nos jours. Ils sont basés sur des plans d’époque, des cartes topographiques et bathymétriques précises et des photographies aériennes du territoire. Ils permettent d’analyser les séries de niveaux journaliers du lac mesurés au barrage sur plus de 80 ans. [Pièce P-10, à la p 7]

[54]  Dans son rapport, outre qu’il conclut que la superficie arpentée par l’arpenteur fédéral White en 1914 est de 1430 acres, aux fins de ses calculs, il oriente le plan selon le nord géodésique et non le nord magnétique et note que le plan n’est pas à la bonne échelle.

[55]  Lors de son témoignage, le Dr Marche rectifie sa position en fonction des méthodes de calculs utilisées par l’expert de l’intimée, Éric Groulx, lequel conclut que malgré le fait que le plan d’arpentage de White indiquait 2290 acres, en réalité White a arpenté une superficie de 2760 acres. Le Dr Marche se dit d’accord avec la démarche et les conclusions de l’expert Groulx à cet égard.

[56]  Le Dr Marche explique son erreur par le fait qu’il ne disposait pas du carnet d’arpentage de White, ni des documents originaux, mais d’une copie de travail. Sur la copie, l’échelle graphique ajoutée au plan était incompatible avec la superficie indiquée par White. Il a dû tenter de concilier cette superficie en cherchant des données complémentaires, notamment les cartes bathymétriques du réservoir, le niveau du rivage sur ces cartes (1323,8 pieds), le relèvement des eaux (28 pieds), la ligne des hautes eaux moyennes que constatait White, la localisation du premier village et du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson (« CBH »), les distances indiquées au texte complétant le document, tout en donnant une priorité moindre à l’échelle et à l’orientation indiquées au plan.

[57]  Par la suite, le Dr Marche fait des calculs à partir de la limite nord de la réserve délimitée par Rinfret, laquelle est connue, et il prend en considération la superficie allouée, soit 2290 acres. Cependant, comme la ligne des eaux utilisée par Rinfret afin de délimiter la partie sud de la réserve n’est pas connue, il procède à des calculs mathématiques pour la retracer.

[58]  Puis, tenant compte des graphiques relatant l’évolution historique du niveau du réservoir, lesquels indiquent des niveaux d’eau compris entre 1323,7 pieds et 1323,9 pieds au barrage entre le 21 août et le 7 septembre 1943, période où Rinfret était à Opitciwan pour effectuer l’arpentage, il conclut que c’est un peu au-dessus de 1324 pieds qu’il faut situer le rivage arpenté par Rinfret et servant de limite à la superficie de 2290 acres. Il établit ainsi l’altitude de la ligne de rive à 1324,69 pieds. Il conclut qu’en se basant sur la ligne de rive à 1324,69 pieds et en délimitant 2290 acres, Rinfret n’a pas tenu compte d’une provision pour futur ennoiement comme le lui suggérait l’arpenteur général fédéral Peters dans ses instructions émises en 1943.

[59]  Afin de déterminer la diminution de la superficie de la zone réservée résultant de l’inondation, le Dr Marche indique que la rive officielle se situait à 1297 pieds en 1914 et à 1325 pieds en 1943. Il en déduit que chaque rehaussement du barrage a permis un relèvement de la cote maximale d’exploitation, remontant ainsi la limite permanente d’inondation sur les terres réservées et réduisant d’autant la superficie exploitable. Ainsi, toutes les zones de rives situées en dessous du niveau de la cote maximale d’exploitation se retrouvent en zone inondable, ce qui les rend donc inutilisables. C’est ce qu’il appelle l’ennoiement permanent, qu’il doit chiffrer.

[60]  Il procède alors à un calcul par formule mathématique. Il fait ainsi une relation entre les niveaux d’eau et le territoire inondé de la réserve d’Opitciwan à l’aide de cartes bathymétriques et topographiques actuelles pour établir les surfaces aux courbes d’élévation 1328,7 pieds et 1345,1 pieds. Il valide par la suite ses résultats en utilisant une photographie aérienne du 1er juillet 1964, date à laquelle les relevés d’Hydro-Québec indiquent un niveau d’eau au barrage de 1327,5 pieds, ce qui lui permet d’établir une courbe d’ennoiement. De cette relation, expliquée à la figure 6 de son rapport, il tire le constat que la réserve perd 27,26 acres de surface utile à chaque fois que l’eau monte d’un (1) pied.

[61]  Le Dr Marche ajoute que le résultat d’un calcul par formule mathématique peut ne pas être exact si les facteurs utilisés dans la formule sont incertains. Cependant, en l’espèce, il explique que la marge d’erreur est caractérisée par la vraisemblance et que le résultat à prendre en compte est la valeur ayant le maximum de vraisemblance. Il conclut que le taux d’ennoiement permanent de 27,26 acres par pied de remontée retenu est le taux le plus vraisemblable et doit être utilisé. Il évalue l’ennoiement permanent à environ 109 acres.

[62]  Ainsi, avance-t-il, toute remontée des eaux au-dessus de la cote de 1325 pieds engendre une inondation d’une partie du territoire réservé. Puis, poursuivant son analyse et ses calculs, il estime que cette inondation peut en tout temps affecter une superficie de 110 acres, que celle-ci s’est produite 47 fois en 60 ans et a duré un temps cumulatif de plus de 20 ans (Pièce P-20). Il s’agit, selon lui, d’un minimum puisque d’autres facteurs temporaires peuvent accentuer significativement les dimensions. C’est ce qu’il appelle l’ennoiement récurrent.

[63]  Selon Marche, l’ennoiement récurrent se produit lorsque l’exploitation montre que le niveau maximal légal a été dépassé, ce qui a été le cas pendant des périodes plus ou moins longues. Ces périodes, qui se répètent, restent imprévisibles et dépendent des vents, des vagues et des courants. Cependant, dans un réservoir aussi découpé que le réservoir Gouin, il estime que les vents et les vagues influencent moins que les courants. Il calcule donc l’effet des courants en utilisant un modèle.

[64]  Pour le Dr Marche, il est faux de croire que l’eau est immobile dans le réservoir et que le niveau mesuré au barrage est un indicateur précis du niveau des eaux partout sur le réservoir et au village d’Opitciwan en particulier. Une pente s’installe souvent dans le réservoir qui permet l’écoulement des eaux vers le barrage et qui peut s’inverser en phase de remplissage rapide de la retenue.

[65]  À titre d’illustration, il réfère à la lettre du 16 juillet 1953 de Jules D’Auray, inspecteur de la CEC, qui démontre la dénivellation qui peut se développer entre le barrage et la réserve d’Opitciwan. Dans cette lettre, D’Auray indique que le plancher du moulin à scie à Opitciwan est partiellement inondé alors qu’il est situé à l’élévation de 1327,42 pieds et que la jauge au barrage indique que l’eau est à l’élévation 1326,82 pieds. D’Auray témoigne ainsi d’une dénivellation de 0,60 pied entre le barrage et le village, alors que le mois de juillet n’est pas celui des grands débits au réservoir (Pièce P-10, à la p 22).

[66]  Le Dr Marche conclut qu’il faut aussi tenir compte des pertes d’énergie dues à la pente, laquelle entre deux points d’un écoulement est évaluée par la formule de Manning, formule reconnue et utilisée en hydraulique des cours d’eau.

[67]  Après estimations et analyses selon diverses méthodes, il conclut à un ennoiement récurrent tous les sept ans en moyenne d’un (1) pied au-dessus de la cote maximale d’exploitation et de 1,4 pied tous les 20 ans. Compte tenu des effets de vagues et de vent, l’analyse des données de niveau lui démontre, à titre d’exemple, que pour la période 1957-2001, la limite maximale de l’ennoiement se situe au-dessus de la cote de 1331,4 pieds.

[68]  Après avoir exposé ses méthodes de calcul, le Dr Marche conclut comme suit :

Du projet de réservoir (1912) à sa mise en eau complète (1920), on observe une différence de 1 pi entre la cote maximale d’opération prévue de 1324 pi et la cote d’exploitation effective de 1325 pi. Il en résulte une perte de superficie de 28 acres. Puis ce sont les rehaussements du barrage autorisés en 1942 et en 1955 qui diminuent encore sa superficie utile de 81 acres et de 28 acres. La surface utile actuelle de la réserve est de 2086 acres.

Si on choisit comme origine de la visualisation la superficie souhaitée par le DAI en 1914, le territoire de la bande a subi une réduction totale de 993 acres soit 32 % de sa superficie initiale. Si on retient la surface initiale de la réserve établie en 1943 (2288-2290 acres), les zones inondées et inondables représentent des pertes de 204 acres ou 9 % de la superficie initiale. [Pièce P-10, à la p 29]

[69]  Il ajoute de plus que l’eau monte à un niveau donné et reste à ce niveau pendant plusieurs semaines. L’infiltration et la remontée capillaire font que le terrain peut être mou et imbibé jusqu’à 2 pieds plus haut que le niveau maximal de l’eau. Cette surface estimée à 54 acres est elle aussi non constructible et par conséquent devrait être soustraite de la surface de la réserve.

[70]  Selon le Dr Marche, la précision des cartes, des plans et des photographies aériennes qu’il a utilisés permet de chiffrer précisément les superficies inondées de la réserve aux différents niveaux du réservoir. Ses résultats sont valides et conformes aux usages de l’industrie des aménagements hydrauliques. Sa démarche est la même que celle qu’utilisent les exploitants de barrage pour construire la courbe (surface vs élévation) de leurs retenues. Ses résultats sont pertinents et leur fiabilité répond au besoin du mandat qu’il a reçu.

[71]  Le Dr Marche admet que sa démarche peut conduire à des incertitudes, mais que la superficie ennoyée à laquelle il arrive est un ordre de grandeur. Si les incertitudes peuvent changer la superficie exacte, elle ne modifie pas l’ordre de grandeur.

b)  La qualité des eaux

[72]  Le second volet de son mandat concerne l’impact de la création et des opérations du réservoir sur la qualité des eaux à Opitciwan. 

[73]  Le Dr Marche indique que cette partie de son rapport explicite les mécanismes possibles de la détérioration des ressources en eau sur le territoire de la communauté d’Opitciwan. Il donne un aperçu de la durée pendant laquelle la bande d’Opitciwan a subi les désagréments. Il souligne le manque de support de la bande dans ses efforts pour retrouver rapidement une eau potable et un plan d’eau exploitable sans contrainte pour la santé (Pièce P-10, à la p 34).

[74]  Il débute en précisant que lorsque les Atikamekw se sont établis au bord du lac Kikendatch, ils étaient riverains d’une puissante rivière possédant une bonne oxygénation alors que le couvert forestier des berges naturelles protégeait les sols contre l’érosion et le lessivage (Pièce P-10, à la p 35).

[75]  À la suite du premier remplissage en 1918-1919, les apports au réservoir ont été bloqués en grande partie au barrage. Dû au volume de stockage, au débit moyen des apports au réservoir et aux mécanismes de dilution impliqués, le temps nécessaire pour évacuer une contamination généralisée est devenu beaucoup plus long. Pendant ce séjour allongé, les eaux ne bénéficient plus de l’aération et de l’oxygénation acquises aux rapides. Au contraire, elles se chargent des produits issus de l’ennoiement du milieu (Pièce P-10, à la p 35).

[76]  Dès le début de l’ennoiement, les eaux se sont enrichies en matières organiques ramassées sur les rives, dans les baies et les marécages. Brassés par les vagues et déplacés par les vents et des courants de remplissage, cette matière organique et des débris ligneux anciens ont envahi toutes les parties du réservoir (Pièce P-10, à la p 36).

[77]  Une détérioration marquée des eaux est observée dans tous les réservoirs artificiels établis en milieu forestier. En amont du barrage Gouin, les eaux de surface du réservoir sont devenues turbides, elles se sont appauvries en oxygène dissous et se sont sans doute acidifiées. Elles sont aussi devenues toxiques, contaminées par le méthylmercure dérivé du mercure inorganique transformé par les bactéries présentes dans les sédiments et débris de fond. Celui-ci est dangereux et se concentre dans la chaîne alimentaire (Pièce P-10, aux pp 36–37).

[78]  Les eaux plus profondes ont subi les mêmes dégradations, mais plus fortement.

[79]  En se chargeant de particules issues de l’érosion et de débris organiques en décomposition, toutes ces eaux sont devenues plus turbides.

[80]  À partir des documents consultés, le Dr Marche note que les arbres n’ont pas été récoltés avant la mise en eau du réservoir Gouin et que le DAI a été avisé que des Atikamekw avaient été malades en raison de la mauvaise qualité de l’eau.

[81]  Selon le Dr Marche, des contaminations au mercure et dérivés ont affecté l’eau et la faune.

[82]  De plus, le Dr Marche explique ce qui suit (transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, aux pp 17–18) :

Ce réservoir subit un marnage annuel. Ça veut dire, pour quelqu’un qui connaît la faune, que les oiseaux et les animaux qui vivent au bord de l’eau et qui ont tendance à s’implanter au bord de l’eau parce qu’ils ont besoin d’un niveau d’eau stable, je parle des canards, je parle des castors, je parle de tous ces animaux qui vivent dans la zone humide du réservoir, eux ils ne peuvent deviner quelles sont les opérations d’évacuation, les opérations de remplissage qui seront décidées par le producteur d’énergie.

Ils savent tout simplement peut-être, au bout d’un certain temps, que le niveau n’est jamais stable. Comment vont-ils établir leurs cases? Comment vont-ils établir leurs caches, leurs tunnels, etc.? Ils ne peuvent pas le prévoir.

D’où une mortalité élevée parmi ces animaux, parmi les œufs, parmi tout ce qui est laissé sur la bande de marnage et tous les déchets naturels que la bande de marnage reçoit.

Un troupeau d’oies qui fait escale au réservoir va laisser une quantité de fientes sur le marnage, sur la zone de marnage, qui n'est pas négligeable. […]

Alors, toutes ces contaminations de type biologique sont lavées par les eaux de pluie et descendent naturellement dans l’eau du réservoir et elles sont remises en suspension quand le réservoir remonte et elles redescendent avec les eaux du réservoir quand le marnage fait que les eaux descendent. En d’autres termes, tous les facteurs sont là pour que le lessivage de la rive et le mouvement des eaux ramènent dans le réservoir pour un mélange total toutes les contaminations qu’on peut imaginer autour du réservoir.

Et à ça il faut ajouter le fameux problème de la turbidité qui est toujours aussi présent.

[83]  Ainsi, selon le Dr Marche, les vidanges et les remplissages successifs du réservoir contaminent les eaux, les eaux souterraines et les puits. Une eau turbide est une eau propice au risque de maladie microbienne. Il prend notamment appui quant à cette conclusion sur un extrait d’un rapport publié sur le site web de Santé Canada intitulé Qualité de l’eau potable et utilisation des services de santé pour des troubles gastro-intestinaux dans le grand Vancouver (J. Aramini et al, 2013, Pièce P-13).

[84]  Cette étude, qui porte sur des eaux purifiées de réseaux urbains, démontre une relation entre la turbidité des eaux et la gastro-entérite. Selon le Dr Marche, la relation serait encore plus évidente sur une population consommant de l’eau brute.

[85]  Citant une autre étude de Santé Canada datée de 1995 (Pièce P-19), un document de support pour l’établissement de critères de qualité de l’eau potable, il conclut également que même filtrées, ces eaux sont plus difficiles à rendre potables parce que la turbidité diminue l’effet des traitements.

[86]  Il ajoute que le marnage annuel observé au réservoir Gouin est plus important que dans les réservoirs de la Baie James, accentuant d’autant la dissémination des contaminants partout dans la retenue et ne laissant aucune zone protégée.

[87]  Il résume ainsi ses conclusions quant aux deux volets (Pièce P-11, à la p 12) :

a)  Les eaux du nouveau réservoir Gouin étaient devenues stagnantes, chargées en substances humiques, en particules et en déchets biologiques lessivés sur les sols des rives souvent à nu. Les puits existants étaient régulièrement contaminés.

b)  Les derniers rehaussements de la cote maximale d’opération ont diminué la superficie de la réserve de plus de 200 acres, une estimation prudente.

c)  Toutes les techniques qui ont été utilisées pour parvenir à ces conclusions étaient connues des ingénieurs et des personnels techniques répondant aux demandes du DAI ou des gouvernements.

B.  Michel Leclerc

1.  Qualification

[88]  Le Dr Leclerc a été appelé comme témoin expert par l’intimée. Il a été reconnu par le Tribunal à titre d’expert comme ingénieur spécialiste en hydrologie et en hydraulique.

[89]  Le Dr Leclerc détient un baccalauréat en génie civil de l’Université Laval reçu en 1968 et une maîtrise en génie civil et hydraulique obtenue de la même université en 1970. Il a été professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Québec de 1970 à 2007, ce qui l’a amené à travailler avec plusieurs disciplines du domaine scientifique. Il a également obtenu un doctorat de l’Université de technologie de Compiègne en France en 1985 où il a entrepris des études relatives à la modélisation hydrodynamique et aux méthodes numériques.

[90]  Le Dr Leclerc est retraité. Professeur honoraire à l’INRS depuis 2007, il bénéficie toujours d’un bureau et a accès à plusieurs ressources de cette institution. Il consacre maintenant environ 30 % de son temps à titre de consultant à son compte et une partie de son temps dans une activité bénévole au sein de l’Organisme de bassins versants Charlevoix-Montmorency dont il est le président fondateur, ainsi qu’à quelques projets de recherche avec l’INRS.

[91]  Durant sa carrière, il a rédigé de nombreux articles et quelques chapitres de livres. De 1988 à 2011, il a enseigné le cours d’application environnementale de l’hydrodynamique fluviale à l’INRS. Il a également donné des cours sur les marées, les courants et les niveaux d’eau à l’Institut Maurice-Lamontagne et à l’Institut maritime du Québec qui s’adressaient notamment aux techniciens en hydrographie, ainsi que des cours en limnologie physique et en modélisation des processus du milieu aquatique.

[92]  Au début des années 70, il a travaillé sur le réservoir de Manicouagan 5 au moment du remplissage. Son travail a consisté à mesurer le profil vertical des températures de l’eau et à en établir les différentes couches. Il a également travaillé sur le projet hydroélectrique La Grande afin de calculer les crues maximums probables selon l’hydrologie déterministe avec une météorologie statistique en vue du dimensionnement des évacuateurs de crues.

[93]  En 1996, il a reçu un mandat de la Commission Nicolet pour travailler sous la coordination d’un membre de la Commission, afin d’agir comme gérant de projet/coordinateur d’une équipe dont le mandat était de simuler les crues de la rivière Chicoutimi et de la rivière aux Sables.

[94]  Il a reçu diverses distinctions, dont la prime d’excellence en recherche de l’INRS pour la mise en valeur de la multidisciplinarité. Pendant les vingt-cinq années de sa carrière, il a travaillé sur toutes sortes de plans d’eau, incluant des réservoirs et des milieux qui se laissent décrire par des modèles mathématiques. Il a développé, en collaboration avec des scientifiques d’autres disciplines, des logiciels permettant de simuler un environnement et d’y conduire des études environnementales et a donc une expertise en modélisation.

[95]  Le Dr Leclerc en est à sa première expérience comme expert devant un tribunal.

2.  Contre-expertise

[96]  Le mandat du Dr Leclerc a consisté à valider les conclusions avancées par le Dr Marche dans son rapport.

[97]  Le Dr Leclerc s’est dit en accord avec la logique proposée par le Dr Marche. Cependant, il critique sévèrement la méthodologie utilisée par ce dernier et la fiabilité de ses conclusions allant jusqu’à se dire « choqué » par les opinions avancées par le Dr Marche.

[98]  L’expert Leclerc résume ses conclusions comme suit (Pièce D-38, aux pp 7–9) :

  1. Il est d’accord avec les valeurs nominales de hauteur maximale d’exploitation du réservoir Gouin rapportées par le Dr Marche et concernant les rehaussements successifs et autorisés;

  2. Toutefois, il considère que la détermination de la limite eau-terre en fonction des niveaux d’eau à la hauteur du village d’Opitciwan (ligne de berge) demeure fortement matière à interprétation et constitue un défi de précision que seule une compétence experte en arpentage-géodésie peut relever en raison de la grande imprécision topographique des diverses cartes disponibles;

  3. Il est en désaccord avec la prise en compte d’une surcote à Opitciwan qui s’ajouterait à la hauteur maximale d’exploitation et qui résulterait d’une inclinaison vers l’amont du plan d’eau due à l’écoulement net des eaux vers le barrage, ou à toute autre cause aléatoire (par exemple, les vents);

  4. Il ne nie pas qu’une telle inclinaison puisse exister pour différents débits, mais que celle-ci est très faible dans les lacs fluviaux. Cependant, à cause des grandes profondeurs dans le réservoir Gouin, les vitesses de courant sont réduites à des valeurs pratiquement négligeables, d’où, selon lui, l’inclinaison jugée négligeable;

  5. Le principe des vases communicants (quasi-horizontalité du plan d’eau) prévaut donc en première approximation et les calculs concernant l’inclinaison du plan d’eau sont, selon lui, jugés inutiles a priori;

  6. Il est en désaccord avec la méthodologie utilisée par l’expert Marche pour démontrer l’existence d’une inclinaison, et ce en raison :

  • Du modèle mathématique, l’équation de Manning ou une variante utilisée par l’expert Marche;

  • De nombreuses transgressions des hypothèses sous-jacentes à ce modèle qui le rendent inapproprié par rapport au contexte hydrodynamique très complexe du réservoir Gouin;

  • De la quasi-absence de données pertinentes et/ou d’informations détaillées (paramètres, géométrie, discrétisation) permettant d’évaluer la justesse de la modélisation;

  • De l’absence de discussion sur l’à-propos du modèle ainsi que l’absence de discussion ou de conclusion sur les marges d’erreur que le modèle véhicule.

  1. Quant au facteur vent, son influence se traduit, selon lui, par des vagues et une inclinaison du plan d’eau opposée à sa direction dominante et dont la valeur dépend de sa force et de sa direction, des facteurs fortement modulés par l’orographie (îles, relief accidenté du réservoir). Cet effet, qu’il considère difficile à analyser, est aléatoire et n’est en principe pas en corrélation avec les niveaux maximums d’exploitation. Il précise que vivre avec l’influence des vents est le propre de la cohabitation avec les grands plans d’eau;

  2. Il conteste l’énoncé du Dr Marche selon lequel les niveaux d’eau associés à la crue vicennale (débit dépassé en moyenne 1 fois/20 ans) puissent servir à définir la propriété foncière. Selon lui, cette proposition du Dr Marche est une interprétation libre de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables la Politique »)du Québec qui ne vise qu’à protéger les milieux riverains sensibles et à limiter les risques de dommages d’inondation sans affecter la propriété. En d’autres mots, selon lui, ce choix effectué par le Dr Marche est inapproprié et non pertinent, car la norme de la crue de référence vicennale relève de règles de gouvernance conçues pour d’autres fins (aménagement, sécurité civile).

[99]  L’expert Leclerc conclut ce qui suit (Pièce D-38, à la p 9) :

  1. Malgré quelques faits avérés et généralement admis concernant la hauteur maximale d’exploitation, le rapport du Dr Marche concernant l’hydrologie et le mouvement des eaux, l’inclinaison longitudinale du plan d’eau notamment, s’appuie sur des prémisses et un choix de méthode théoriquement inappropriés;

  2. D’après son expertise des lacs fluviaux, le principe des vases communicants peut s’appliquer en première approximation de sorte que la hauteur maximale d’exploitation devrait s’appliquer partout dans le réservoir pour établir la ligne de berge correspondante;

  3. La correspondance du niveau d’eau avec le relief (limite de berge) est un défi géodésique en soi et elle ne peut être plus précise que les cartes décrivant la topographie; cette analyse doit donc relever de services compétents en la matière (arpentage-géodésie);

  4. Malgré qu’il la juge faible, le Dr Marche cherche quand même à donner une valeur significative à cette inclinaison avec un modèle de calcul jugé inapproprié qui prête à confusion. De plus, le rapport s’avère excessivement laconique sur les prémisses, les hypothèses et les éléments de calcul essentiels à sa compréhension, et il demeure muet sur des marges d’incertitude pourtant requises dans un contexte décisionnel;

  5. L’expertise du Dr Marche ne serait probablement pas retenue pour publication dans un médium scientifique sérieux arbitré par les pairs (revue, conférence), même en considérant des révisions substantielles.

[100]  Lors de son interrogatoire tenu les 20 et 21 mai 2014, l’expert Leclerc a produit un document « PowerPoint » intitulé Contre-expertise du rapport de M. Claude Marche intitulé : "Sur la réduction de la superficie des terres réservées aux Atikamekw du réservoir Gouin, et la contamination de leur eau de consommation" (Pièce D-39). À la page 8 de ce document, il indique les marges d’erreur qui font que le Tribunal ne pourrait retenir la figure A6 du rapport de l’expert Marche, laquelle a trait à la relation entre le niveau d’eau et le territoire inondé de la réserve d’Opitciwan. Selon l’expert Leclerc, on ne peut se fier sur cette relation pour déterminer l’ennoiement du territoire considérant les marges d’erreur au niveau des données ayant servi à établir cette relation, il décrit les marges d’erreur comme suit :

  1. L’imprécision (aléatoire ou systématique) inhérente aux cartes TrakMaps applicables aux embarcations de plaisance. Norme de précision d’ordre 2, i.e., +/-1,0 m;

  2. Les erreurs systématiques (biais) liées à l’échelle, à l’orientation et au positionnement des documents dans un repère géoréférencé;

  3. L’imprécision en plan ou en élévation liée aux cartes 1/20000 ou 1/50000 (xx, yy en plan, zz en élévation);

  4. L’imprécision liée aux photos aériennes non orthorectifiée;

  5. L’imprécision liée au transfert des niveaux mesurés au barrage vers Opitciwan;

  6. L’imprécision liée à l’instrument de mesure par rapport au tracé du contour et à l’échelle de la carte utilisée.

C.  Éric Groulx

1.  Qualification

[101]  Éric Groulx a été qualifié par le Tribunal comme expert arpenteur-géomètre et arpenteur du Canada.

[102]  L’expert Groulx a été appelé comme expert par l’intimée. Il est arpenteur-géomètre et détient un baccalauréat en sciences géomatiques (1993) et des crédits de maîtrise en télédétection (1995) de l’Université Laval. Il est membre de l’Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec et de l’Association des Arpenteurs des Terres du Canada.

[103]  L’expert Groulx est à l’emploi de la Direction de l’arpenteur général depuis 1997. Il œuvre dans le domaine de la géomatique depuis 1995. Depuis 2006, il est gestionnaire du bureau régional de Québec de la Direction de l’arpenteur général de Ressources naturelles Canada.

[104]  Son expertise en arpentage se situe principalement avec les réserves indiennes. Dans le cadre de son travail, il a traité plusieurs dossiers concernant la création des réserves indiennes au Québec, les ajouts de terres de réserve, les revendications territoriales particulières et globales et les autres enjeux territoriaux. Il a été appelé à assister ou à siéger aux tables de négociation des revendications territoriales afin d’émettre des opinions pour les deux parties lorsque celles-ci ne s’entendent pas, notamment en fixant la première carte du territoire en litige servant aux négociations.

[105]  Son expertise s’articule autour de l’analyse des titres fonciers et documents historiques, la production de plans et de notes d’arpentage, incluant les levés terrains, la production de plans cartographiques et orthophotographiques numériques, le calcul de superficie, l’intégration de données numériques multi sources, les registres fonciers et la dispense d’avis et conseils.

[106]  Outre qu’il y exerce des fonctions liées à un gestionnaire, soit la supervision du personnel, les budgets, etc., il rédige et émet aussi les instructions d’arpentage au nom de l’Arpenteur général sur les terres du Canada au Québec.

[107]  À cet égard, Groulx témoigne comme suit :

Donc on agit, disons, souvent à la demande du gouvernement fédéral qui nous invite à participer, mais notre rôle en tant qu’arpenteur, arpenteur Terres du Canada, bien on est un petit peu neutre, nous ce qu’on reproduit c’est disons ce qui découle de l'arpentage des faits là, […]. [Transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, aux pp 240–41]

[108]  Contre-interrogé sur ce qu’il veut dire par « un petit peu neutre », l’expert Groulx se reprend et affirme ne pas être un petit peu neutre, mais neutre. Lorsqu’il est question de positionner une réserve, il émet une opinion d’arpenteur et est neutre (transcription de l’audience, le 22 janvier 2014, aux pp 12–13).

[109]  Le 6 juin 2013, l’arpenteur Groulx reçoit un courriel de monsieur André Cadieux du ministère des Affaires indiennes lui demandant s’il peut agir en tant qu’expert arpenteur pour l’intimée dans la présente revendication. Le 17 juin 2013, une rencontre intervient entre les procureurs de la Couronne et des représentants du ministère des Affaires indiennes pour discuter de son mandat, mandat qui est accepté à la suite de cette rencontre.

2.  Contre- expertise

[110]  Dans son rapport, intitulé Contre-expertise en arpentage et en géomatique (Pièce D-18), Éric Groulx décrit son mandat comme visant à valider les éléments du rapport d’expertise du Dr Marche en matière d’arpentage et de géomatique. À cette fin, il opte pour la démarche suivante :

  1. Revoir la documentation pertinente au dossier et effectuer au besoin les recherches supplémentaires nécessaires;

  2. Évaluer et commenter la méthodologie et les conclusions présentées au rapport de Dr Marche;

  3. Présenter son opinion d’expert quant à la méthodologie qui devrait être utilisée en matière d’arpentage et de géomatique.

[111]  L’expert Groulx affirme que son mandat n’était pas de faire des levés terrain, de calculer la superficie de la réserve aujourd’hui, de faire un réarpentage de celle-ci ou d’évaluer les calculs de superficie qui ont été faits. Son mandat se limitait à revoir la méthodologie et les principes appliqués par le Dr Marche dans son expertise et de se prononcer à l’égard de ceux-ci en fonction des règles de l’art en matière d’arpentage et de la bonne pratique en géomatique (transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, aux pp 253–54).

[112]  Toutefois, lors de son voir-dire, Éric Groulx a aussi décrit son mandat comme suit :

Bien, le mandat je dirais les premières questions qui ont été posées dans le cadre de ce mandat-là c’est: peut-on localiser la réserve indienne et peut-on décrire les limites officielles et décrire sa contenance? Donc, décrire sa superficie ou d’exposer la superficie. Ç’a été les premières questions.

Ensuite de ça on nous a demandé d’être en mesure de fournir une contre-expertise des travaux de monsieur Claude Marche, d'être en mesure de fournir la contre-expertise en lien avec tout le domaine lié à l’arpentage, la géomatique. [Transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, aux pp 250–51]

[113]  Questionné afin de savoir pourquoi son mandat ne consistait pas à faire des levés terrain ou à déterminer la superficie de la réserve à Opitciwan, l’expert Groulx répond :

Bien, c’est en gros parce qu’il y a une question de coût aussi de faire des levées [sic] terrain qui est là. L’autre chose c’était... on n’était pas là en expertise, de fournir des chiffres, c’est pas ce qu’on nous a demandé, on nous a demandé de valider des chiffres, donc on n’avait pas besoin de faire de levées terrain dans ce sens-là. [Transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, à la p 254]

[114]  Également, lorsqu’on lui demande si les deux premiers points (à savoir peut-on localiser la réserve indienne et en évaluer la superficie) se trouvent dans son rapport, l’expert Groulx affirme y répondre indirectement en disant que le plan de Rinfret est conforme, exact et à la bonne échelle. Ainsi, affirme-t-il, il est capable de dire, en référant aux actes et décrets que la réserve indienne actuelle est le bloc A du canton de Toussaint, tel qu’arpenté par l’arpenteur Rinfret. En se fiant en plus à sa connaissance générale du territoire et de ses observations sur le  terrain, il peut localiser la réserve. Il s’agit, ajoute-t-il, d’informations gratuites disponibles en ligne à tout le monde. Quant à la superficie de la réserve d’Opitciwan en 2013, il s’exprime comme suit :

Comme j’expliquais, la superficie de la réserve aujourd’hui découle des décrets, tout ça, qui est le bloc A du canton de Toussaint, tel qu’arpenté par l’arpenteur Claude Rinfret. Dans ses plans d’arpentage, lui, la superficie était de deux mille deux cent quatre-vingt-dix acres (2 290 a). [Transcription de l’audience, le 22 janvier 2014, à la p 35]

[115]  Dans son rapport, Groulx dresse en premier lieu l’historique foncier de la réserve indienne d’Opitciwan afin de la situer. Par la suite, il analyse les travaux des arpenteurs du Canada White et Rinfret. Puis, il considère la méthodologie des sources de données utilisées dans le rapport du Dr Marche en lien avec son expertise pour calculer les superficies affectées par le rehaussement du réservoir. Enfin, il aborde le concept de la ligne des hautes eaux et de la pente du réservoir. Son rapport est l’œuvre d’une équipe multidisciplinaire, mais les noms de ses collaborateurs n’y sont pas indiqués.

[116]  Groulx conclut premièrement que le Dr Marche commet au moins trois erreurs majeures dans son analyse de l’arpentage effectué par White :

  1. Il confond le nord magnétique, tel qu’arpenté par White, avec le nord astronomique, provocant par le fait même une erreur d’orientation lorsqu’il superpose le plan de White avec des cartes topographiques ou bathymétriques;

  2. Il modifie l’échelle du plan et déforme la représentation de la rive pour la faire concorder avec les courbes bathymétriques;

  3. À partir des deux prémisses erronées, il calcule et présente une superficie découlant des travaux d’arpentage de White qui est loin de la réalité.

[117]  À tout égard, ajoute l’expert Groulx, le travail du Dr Marche visant à démontrer que la superficie calculée par White est de 1430 acres est erroné. Il conclut plutôt que la superficie réelle de la réserve calculée par White est de 2760 acres, malgré le fait que ce soit inscrit 2290 acres sur le plan, mais que de toute façon on ne peut tenir compte de ce plan car il a été annulé en 1943.

[118]  En ce qui concerne l’arpentage de Rinfret, l’arpenteur Groulx note que selon le Dr Marche, certaines parties du travail de Rinfret ne seraient pas conformes aux instructions émises.

[119]  Or, affirme l’expert Groulx, Rinfret a agi conformément aux instructions qu’il a reçues, lesquelles étaient de calculer la limite sud sur la ligne des hautes eaux et non à partir de la ligne de rive comme le fait le Dr Marche. Il ajoute que le lieu où se situe la limite de réserve bordée par le réservoir est essentiel à un calcul juste de la superficie de la réserve et au calcul menant par la suite à la détermination d’une perte de territoire de la réserve (Pièce D-18, à la p 8).

[120]  Ainsi, soutient-il, un levé de la ligne des hautes eaux moyennes a été fait par Rinfret et la superficie de 2290 acres a été respectée. Le plan d’arpentage a été produit et déposé au MTFQ et approuvé par les autorités provinciales responsables. Rinfret n’a pas exécuté son travail par rapport aux travaux de White. C’est donc une erreur d’utiliser le plan de White pour calculer la perte de territoire de réserve comme le fait Dr Marche.

[121]  L’expert Groulx soutient qu’une des erreurs majeures commises par le Dr Marche est de soutenir que Rinfret aurait arpenté le rivage un peu au-dessus d’un niveau de l’eau de 1324 pieds, soit à 1324,69 pieds.

[122]  Selon lui, il faut distinguer entre le niveau de l’eau la journée de l’arpentage, ce que l’on appelle aussi le rivage, et la ligne des hautes eaux. Rinfret les distingue également dans son carnet de notes (Pièce D-18, figure 7, à la p 28). Selon l’expert Groulx, la ligne des hautes eaux moyennes définit la limite de propriété et se traduit comme étant la limite des plus hautes eaux, sans débordement ni inondation. C’est une délimitation au sol qui se voit par un changement de végétation. Cette ligne se délimite avec le temps par l’effet des vagues et du niveau de l’eau (transcription de l’audience, le 23 janvier 2014, aux pp 17–19); elle prend plusieurs années à se former (environ quinze ou vingt ans) et plusieurs années à se modifier. Une crue exceptionnelle ne va pas modifier la ligne des hautes eaux et celle-ci ne change pas lorsque les eaux se retirent. C’est donc une trace physique au sol que l’arpenteur va constater, peu importe le niveau de l’eau la journée de son levé terrain. Par contre, c’est une ligne qui évolue dans le temps.

[123]  L’expert Groulx conclut donc que les prétentions du Dr Marche à l’effet que l’arpenteur Rinfret a utilisé le rivage pour délimiter la réserve et en calculer une superficie sont donc non fondées. De même, toutes les analyses de ce dernier de superficie ou perte de territoire basées sur ces prétentions sont erronées.

[124]  L’expert Groulx soutient également que, présumant à tort que Rinfret a arpenté la rive ou le rivage, le Dr Marche mentionne que Rinfret n’a pas tenu compte d’une provision pour un futur ennoiement. Selon l’expert Groulx, la lettre du 29 août 1943 de Rinfret à Peters démontre que Rinfret a pris les mesures nécessaires pour valider l’impact d’une future inondation en s’adressant directement aux représentants du gouvernement provincial (CCPD, à l’onglet 339).

[125]  Il conclut que le Dr Marche se base sur des prémisses fondamentales erronées, et qu’en conséquence, ses conclusions quant à la perte de territoire de réserve sont fausses et insoutenables même s’il était admis que la méthodologie qu’il utilise en matière de prévision hydrique est juste, ce qu’il n’est pas habilité à faire.

[126]  L’expert Groulx est d’opinion que dans son évaluation du calcul de la superficie et de la perte de territoire, le Dr Marche ne tient pas compte de concepts fondamentaux dans la délimitation des domaines privés et publics en milieu hydrique qui peuvent affecter la superficie de la réserve au fil du temps.

[127]  Il ajoute que la précision des données ainsi que les concepts, règles et barèmes devant être utilisés aux fins de la délimitation de la réserve, du calcul de sa superficie, de tout empiétement sur celle-ci et de toute perte de territoire en découlant est primordiale. Or, soutient-il, les données utilisées par le Dr Marche n’ont pas la précision requise pour déterminer de façon exacte, juste et fiable la perte de territoire, et ce, même si les autres prémisses en matière d’arpentage étaient justes, ce qu’il considère ne pas être le cas.

[128]  Au surplus, il est d’avis que le Dr Marche ne peut se référer à une cote de récurrence de 20 ans pour calculer la superficie de la réserve ainsi que tout empiétement sur celle-ci. C’est la ligne des hautes eaux qui doit être utilisée. Ce facteur, conclut l’expert Groulx, invalide en soi les conclusions du Dr Marche.

[129]  Selon Groulx, pour calculer une perte de territoire, le Dr Marche se voue à un exercice théorique sur des données dont la précision ne correspond pas à celle requise pour ce genre d’analyse. Également, il réfère à la Politique, laquelle, soumet l’expert Groulx, ne concerne pas la délimitation ou la contrainte en lien avec le droit de propriété. La ligne des hautes eaux définie dans la Politique et celle définie à l’article 919 du Code civil du Québec (« CcQ ») diffèrent. La première est établie à des fins environnementales et implique un débordement, alors que celle de l’article 119 du CcQ est établie à des fins foncières et n’implique pas d’état de débordement. Pour ce qui est de la cote d’inondation ou de récurrence de 20 ans, la Politique l’utilise pour définir la plaine inondable. Selon lui, le Dr Marche utilise plusieurs concepts qui n’ont pas lieu d’être lorsque l’on parle de délimitation de territoire.

[130]  Selon l’expert Groulx,  seules les « mesures précises d’arpentage sur le terrain permettraient de confirmer hors de tout doute s’il y a lieu de croire que le niveau de l’eau près de la réserve est supérieur à celui près du barrage. Ce qui permettrait de valider ou invalider les prétentions de M. Marche à cet effet et surtout d’en quantifier l’ampleur, le cas échéant ».

D.  Christian Gagnon

1.  Qualification

[131]  Le Dr Christian Gagnon est appelé comme expert par l’intimée et a été reconnu par le Tribunal comme expert en géochimie.

[132]  Le Dr Gagnon est détenteur d’un doctorat en océanographie géochimique. Il a également fait des études post-doctorales en sciences marines à State University of New York. Il possède plus de vingt ans d’expérience en chimie environnementale. Il travaille comme chercheur scientifique à Environnement Canada sur plusieurs problématiques de contamination chimique. Au cours de sa carrière, il a reçu plusieurs distinctions et bourses et a participé à la rédaction de nombreux écrits, seul ou en collaboration avec d’autres scientifiques.

[133]  En octobre 2013, il a reçu de la Direction générale de la gestion et du règlement des litiges, en collaboration avec le ministère de la Justice, le mandat de valider la méthodologie, les énoncés et les conclusions avancés par le Dr Marche relativement à la question de la contamination des eaux.

2.  Contre-expertise

[134]  En novembre 2013, en réponse à l’expertise du Dr Marche portant sur la qualité des eaux, il produit un rapport intitulé Contre-expertise en géochimie (Pièce D-41).

[135]  Dans son rapport, il énonce ce qui suit :

  1. une augmentation en concentration des produits de décomposition de la matière organique, principalement les substances humiques, n’a pu rendre de prime abord les eaux du réservoir impropres à la consommation (Pièce D-41, à la p 6);

  2. malgré les impacts potentiels des changements hydrologiques sur les processus naturels, les échanges eau-atmosphère à la surface permettent l’oxygénation des eaux du réservoir tout comme les autres grands systèmes lacustres (Pièce D-41, à la p 6);

  3. la diminution du taux de renouvellement n’empêche pas l’évacuation de la contamination dite « généralisée »(Pièce D-41, à la p 7);

  4. le déboisement préalable, étape peu connue à l’époque, mais préconisée de nos jours, aurait permis de minimiser les problèmes environnementaux associés à la décomposition de grandes quantités de matière organique, le cas échéant (Pièce D-41, à la p 7);

  5. une acidification des eaux à l’époque ne peut être affirmée sans l’existence de données factuelles démontrant l’incapacité de neutralisation de l’acidification de ce système aquatique. Cette information est absente dans le rapport du Dr Marche. On ne peut donc affirmer un tel constat en l’absence de données factuelles appropriées (Pièce D-41, à la p 7);

  6. l’augmentation des produits de dégradation de la matière organique, principalement les substances humiques, ne représente pas un risque en terme de contamination chimique pour la consommation humaine ou pour l’environnement (Pièce D-41, à la p 8);

  7. l’augmentation de la turbidité n’est pas nécessairement associée automatiquement à de plus grandes expositions aux métaux lourds et autres contaminants pouvant être absorbés à la phase solide. Les particules en suspension peuvent favoriser l’élimination des métaux de la colonne d’eau (Pièce D-41, à la p 8);

  8. malgré la forte remise en suspension du matériel fluvio-glaciaire suite à l’érosion des rives, il y a absence d’information qui indiquerait la dissémination d’un contaminant en particulier contenu dans ce matériel érodé (Pièce D-41, à la p 8);

  9. l’apport en substances humiques aux eaux souterraines est un processus naturel et ces substances, retenues en partie par les sols, ne présentent pas de toxicité (Pièce D-41, à la p 9);

  10. l’écoulement des eaux du réservoir vers la nappe phréatique a probablement pu être observé, mais cet apport de matière organique naturelle ne présente pas en soi de risque toxicologique (Pièce D-41, à la p 9);

  11. la seule consommation de l’eau ne peut être source d’exposition au mercure. C’est plutôt la consommation du poisson qui pourrait être en cause. Or ici, encore une fois, nous sommes en présence d’un vide factuel à cet égard (Pièce D-41, à la p 10).

IV.  analyse

A.  Admissibilité de l’expertise et du témoignage du Dr Marche

1.  Demande de l’intimée

[136]  Dans son mémoire, l’intimée demande d’écarter les sections 4, 5, 6, 7 et 8 du rapport du Dr Marche et les portions corrélatives de son témoignage au motif que ce dernier traite d’un domaine exclusif à l’arpenteur géomètre. Elle demande également d’écarter les sections 9, 10 et 11 du rapport du Dr Marche ainsi que son témoignage, au motif qu’il n’a aucune compétence particulière pour se prononcer sur les processus chimiques des eaux contribuant ou non à leur contamination.

[137]  Lors des plaidoiries, l’intimée élargit sa demande. Elle demande le rejet du rapport dans son entier, plaidant en plus sa non-fiabilité. Enfin, elle soutient que si le rapport est jugé recevable, la force probante des informations soumises est très faible.

[138]  L’intimée soutient que pour remplir son mandat, le Dr Marche a déployé des techniques d’arpentage afin de procéder à des calculs de superficies en fonction des plans d’arpentage et autres plans recueillis. Il a commenté les plans d’arpentage de White et de Rinfret, a positionné des limites dans l’espace et, sur cette base, a fait des calculs de superficie de propriété, alors qu’il n’a pas les compétences dans ce domaine.

[139]  De plus, l’intimée soutient qu’en se prononçant sur la conformité des plans d’arpentage des arpenteurs White et Rinfret, le Dr Marche s’est attribué un acte professionnel réservé à la profession d’arpenteur-géomètre, contrevenant ainsi aux articles 34, 42 et 43 de la Loi sur les arpenteurs-géomètres, LRQ, c A-23.

[140]  S’appuyant sur le témoignage des experts Leclerc et Groulx, l’intimée plaide que pour arriver à ses fins, le Dr Marche a utilisé un mauvais concept, une mauvaise méthode, des données incomplètes, imprécises et commis de nombreuses erreurs. De plus, selon l’intimée, il mélange les concepts en confondant « contenance », « volume », « aire » et témoigne de sa non-compréhension de ce qu’est une limite foncière. L’intimée ajoute que, au mieux, le Dr Marche fournit des hypothèses, mais celles-ci n’ont rien à voir avec la réalité. Selon l’intimée, toute cette preuve ne tend qu’à induire en erreur le Tribunal.

[141]  Enfin, l’intimée soutient que la question de savoir si l’eau est propre à la consommation relève de la géochimie et de la toxicologie, domaines sur lesquels le Dr Marche n’a aucune compétence. Selon elle, la question n’est pas de savoir s’il y a de la turbidité, mais de déterminer si l’eau est contaminée et mauvaise à la consommation.

[142]  Les objections ayant été prises sous réserve, elles doivent maintenant être décidées.

2.  Analyse

[143]  Dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9 au para 17, 114 DLR (4th) 419 [Mohan], la Cour suprême du Canada rappelle que l’admission de la preuve d’expert repose sur l’application des critères suivants : la pertinence, la nécessité d’aider le juge des faits, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert.

[144]  Une preuve par ailleurs logiquement pertinente peut être exclue si sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable ou si elle peut induire en erreur, en ce sens que son effet sur le juge des faits en est disproportionné par rapport à sa fiabilité (Mohan, à la p 21; Nation et Bande indienne de Samson c Canada, 199 FTR 125 au para 18, [2001] 2 CNLR 353).

[145]  Toujours dans l’arrêt Mohan, la Cour suprême du Canada rappelle que la preuve doit être présentée par un témoin dont on démontre qu’il a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relative aux questions visées dans son témoignage (Mohan, au para 27).

[146]  Lors de son voir dire, le Dr Marche affirme que ses formations l’ont amené à travailler dans le domaine des barrages, un domaine multidisciplinaire, qui implique de connaître l’hydraulique, les structures de barrage, l’hydrologie pour les apports en eau, et de se préoccuper, en terme d’environnement barrage, de la qualité des eaux retenues ainsi que de la sécurité des populations en aval. L’hydraulicien doit aussi définir les risques d’inondation eu égard aux populations susceptibles d’être affectées, les cartographier et, au besoin, élaborer avec les intervenants les plans de mesures d’urgence associés aux risques qui ont été identifiés.

[147]  En ce qui concerne le travail en cartographie, le Dr Marche explique que l’hydraulicien travaille sur les écoulements et les plans d’eau. Pour faire des calculs hydrauliques, il doit connaître notamment la bathymétrie ainsi que les profondeurs de réservoirs et des écoulements. Lorsque le niveau de l’eau change à cause d’un débit modifié résultant de la gestion du réservoir, l’hydraulicien doit connaître précisément la façon dont la topographie évolue dans la zone de changement de niveau. La cartographie est alors nécessaire. Le travail consiste en la transcription des données de terrain sur des plans et sur des dessins, la géolocalisation ou le géoréférencement des plans. L’hydraulicien doit constituer l’ensemble de données qu’il utilise pour ses calculs. L’arpentage du terrain est la dernière étape et complète le travail s’il y a lieu.

[148]  Ainsi, ajoute-t-il, l’arpentage effectué par un arpenteur est un moyen parmi d’autres pour les ingénieurs hydrauliciens de barrages d’obtenir des données. C’est un des moyens les plus précis, mais il ne vient qu’à la fin des travaux lorsque tous les autres moyens disponibles, comme les cartes, les photos aériennes et la photogrammétrie ont été jugés comme constituant un ensemble fiable. La plupart du temps, l’hydraulicien demandera une activité d’arpentage pour valider avec précision le travail effectué, et pour vérifier sur le terrain l’image donnée par le travail de cartographie.

[149]  Le Dr Marche ajoute qu’étant ingénieur civil, comme tous les ingénieurs civils, il a reçu une formation en arpentage. Il a assisté à des cours et à un camp d’arpentage et a fait quelques applications de stage dans ce domaine. Il s’agit d’une formation complémentaire à la formation d’hydraulicien, qui n’en fait pas toutefois un arpenteur qualifié au sens de la Loi sur les arpenteurs-géomètres, LRQ, c A-23.

[150]  Le Dr Marche admet qu’il n’est pas chimiste et que, dans le cadre de ses travaux sur la qualité des eaux, il travaillait avec d’autres professionnels.

[151]  La preuve démontre que le Dr Marche est un ingénieur spécialisé en hydraulicité des barrages. Dans le cadre de sa pratique, il a été appelé à faire des calculs pour définir des surfaces à partir de tous les moyens disponibles, dont notamment les cartes, les photos aériennes et la photogrammétrie.

[152]  Les arpenteurs n’ont pas le monopole des moyens techniques pour calculer une superficie et les ingénieurs ont également les compétences requises pour employer ces techniques, notamment les méthodes photogrammétrique et planimétrique, pour calculer des superficies (transcription de l’audience, le 20 janvier 2014, aux pp 21–22, 186–87; transcription de l’audience, le 22 mai 2014, à la p 223). L’arpenteur-géomètre Éric Groulx a d’ailleurs admis que la photogrammétrie est une technique qui appartient au domaine de la géomatique, dans la mesure où elle n’est pas utilisée dans le cadre d’un mandat d’arpentage (transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, aux pp 251–52). La preuve démontre que le Dr Marche a les compétences pour se prononcer et effectuer un calcul géomatique.

[153]  Le Dr Marche a effectué des calculs pour connaître l’altitude de la ligne de rive du plan de Rinfret puisque ce dernier a omis de la fournir et qu’il s’agit d’une variable importante. Ce travail s’inscrit dans son mandat d’hydraulicien. Il n’a pas confectionné de plan d’arpentage. Il s’est prononcé sur la conformité des plans d’arpentage de White et de Rinfret dans un but accessoire à son mandat d’hydraulicien et non dans le cadre d’un mandat d’arpentage.

[154]  Dans l’arrêt R c Marquard, [1993] 4 RCS 223 à la p 244, 108 DLR (4th) 47, la Cour suprême du Canada, sous la plume de la juge McLachlin, dit :

Si importante que puisse être la qualification initiale d’un expert, il serait excessivement formaliste de rejeter le témoignage d’expert pour la simple raison que le témoin se permet de donner une opinion qui s’étend au-delà du domaine d’expertise pour lequel il a été qualifié.

[155]  J’estime que la formation du Dr Marche et l’expérience acquise par ce dernier en tant qu’hydraulicien lui confèrent un degré d’expertise suffisant pour témoigner à l’égard de la superficie ennoyée de la réserve.

[156]  En ce qui concerne la question de la qualité des eaux, le Dr Marche a définitivement les compétences pour expliquer le comportement des eaux résultant du remplissage du réservoir, et les impacts du marnage résultant de l’exploitation du réservoir.

[157]  J’estime toutefois qu’il n’a pas les compétences pour témoigner sur la qualification et l’interaction chimique des différents éléments et la conséquence de celle-ci sur la santé des individus.

[158]  Cela dit, il n’y a pas lieu de déclarer inadmissible le rapport de l’expert Marche. En effet, à maints égards, ce dernier traite des effets physiques sur l’eau du remplissage et du marnage du réservoir, ce qui relève de sa compétence. Toutefois, je ne tiendrai pas compte de ses conclusions quant au processus chimique qui se produit dans le réservoir et son impact sur la santé des Atikamekw. Je ne retiens pas non plus ses conclusions quant à la contamination pouvant résulter des problèmes dus au méthylmercure. De plus, la preuve prépondérante n’établit pas que les  problèmes de santé des Atikamekw sont reliés à leur consommation de poissons.

[159]  Toutefois, je retiens que les propos du Dr Marche quant aux liens entre la qualité de l’eau et les problèmes de santé des Atikamekw d’Opitciwan sont plus nuancés, tel qu’il appert de son témoignage donné à l’audience lorsqu’il affirme :

Mon raisonnement est clair, je ne suis pas médecin pour déclarer que les gens souffriront de maux liés à l’eau, je suis ingénieur et je pense qu’à titre d’ingénieur en hydraulique, le type d’eau que j’ai dans ce réservoir, je devrais avertir la population de ne pas la consommer. C’est la seule conclusion à laquelle je peux arriver. [Transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, à la p 33]

[160]  Quant à la question de la non-fiabilité des informations fournies par le Dr Marche, elle doit être examinée à la lumière des témoignages et contre-expertises des experts appelés par l’intimée. Je procèderai à l’étude de l’ensemble de ceux-ci au chapitre traitant des violations alléguées à l’obligation de fiduciaire.

B.  La Couronne est-elle tenue à une obligation légale et de fiduciaire?

[161]  Les questions soulevées dans le présent litige concernent l’ennoiement d’une partie des terres de la réserve d’Opitciwan avant et après sa création.

[162]  Pour les motifs énoncés dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11 et ceux qui suivent, je conclus que la Couronne fédérale est assujettie à une obligation légale et de fiduciaire à cet égard.

[163]  En effet, la Couronne fédérale détenait une obligation légale et de fiduciaire exécutoire envers les Atikamekw d’Opitciwan de s’assurer de la mise en œuvre du processus de création de la réserve d’Opitciwan. Lorsqu’elle prenait des décisions concernant la création de la réserve, elle était tenue notamment aux devoirs élémentaires de loyauté dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information eu égard aux circonstances et d’exercice de prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones.

[164]  Or, en l’espèce, la Couronne fédérale exerçait un pouvoir sur un intérêt autochtone identifiable et, en exerçant ce pouvoir, elle était investie d’une discrétion suffisante à laquelle les Atikamekw d’Opitciwan pouvaient être vulnérables. Elle était tenue de protéger les droits d’usage et de jouissance de ces derniers. Toutefois, dans le cadre de la création de la réserve d’Opitciwan, la Couronne fédérale a permis l’arpentage de celle-ci en 1943 en sachant ou en ne pouvant ignorer que la réserve allait être encore une fois inondée. En effet, le 18 février 1942, soit au moins un an avant l’arpentage, le gouvernement du Québec avait autorisé la CEC à relever la crête du barrage Gouin en augmentant la retenue de l’eau du réservoir de la cote de 1325 pieds à la cote de 1328 pieds.

[165]  Outre que la preuve ne démontre pas que cette augmentation ait fait l’objet d’une autorisation préalable du gouverneur en conseil, lorsqu’elle a pris des arrangements avec le MTFQ pour établir la superficie et la localisation de la réserve d’Opitciwan en vue de l’arpentage final, la Couronne fédérale était tenue d’agir avec grande prudence dans l’intérêt des Atikamekw d’Opitciwan, considérant que la réserve provisoire avait déjà été inondée en 1918-19. Bien qu’avisée maintes fois des problèmes d’ennoiement touchant une partie de la réserve, notamment par son agent Larivière, et ce avant l’augmentation de la crête du réservoir, elle n’a pris aucune mesure pour protéger la réserve et préserver les intérêts des Atikamekw. Je reviendrai sur les manquements de la Couronne fédérale.

[166]  Après la création de la réserve, en janvier 1944, la Couronne fédérale était tenue de préserver l’intérêt quasi propriétal de la bande d’Opitciwan. Or, après sa création, la réserve a été plusieurs fois en partie ennoyée. De plus, en 1955-56, la province du Québec a de nouveau autorisé le relèvement de la crête du déversoir augmentant celle-ci à la cote de 1329 pieds. Là encore, la Couronne fédérale savait ou ne pouvait ignorer que cette seconde augmentation se traduirait par un ennoiement de la réserve arpentée par Rinfret et elle n’a rien fait.

[167]  Or, après sa création, l’inondation d’une partie de la réserve d’Opitciwan constituait une forme d’utilisation de celle-ci qui aurait dû faire l’objet d’une consultation des Atikamekw d’Opitciwan et d’autorisations prescrites en vertu de la Loi sur les Indiens. 

[168]  À cet égard, il convient de citer les dispositions de la Loi sur les Indiens applicables.

[169]  Dans la Loi des Indiens, LRC 1927, c 98, (« Loi de 1927 ») les dispositions pertinentes se lisaient comme suit :

34. Nul individu, ou Indien autre qu’un Indien de la bande ne peut, sans l’autorisation du surintendant général, résider ou chasser sur une terre ou sur un marais, ni l’occuper non plus qu’en faire usage, ni résider sur un chemin ou une réserve de chemin, ni l’occuper, dans les limites d’une réserve appartenant à cette bande ou occupée par elle.

2. Tous actes, baux, contrats, conventions ou titres quelconques passés ou consentis par un Indien, et paraissant permettre à des personnes ou à des Indiens autres que ceux de  la bande, de résider ou de chasser dans la réserve, ou d’en occuper quelque portion ou d’en avoir usage, sont nuls et non avenus.

39. Si quelque personne retient la possession de terres réservées ou prétendues réservées pour les Indiens, ou de terres dont les Indiens ou un Indien ou une bande ou tribu d’Indiens réclame la possession ou un droit de possession, ou si quelqu’un occupe ou revendique l’une de ces terres, ou qu’il  ait violation du droit de propriété, la possession peut en être recouvrée pour les Indiens, ou pour quelque Indien ou bande ou tribu d’Indiens, ou les revendications des parties adverses peuvent être jugées et déterminées, ou les dommages être recouvrés, au moyen d’une instance formée pas Sa Majesté au nom des Indiens, ou de l’Indien ou de la bande ou tribu d’Indiens qui y ont droit ou qui en revendiquent la possession ou le droit de possession, ou qui sont fondés, dans la déclaration, la réparation ou les dommages qu’ils réclament.

2. La cour compétente pour connaître de cette action et statuer sur l’espèce est la cour de l’Echiquier du Canada.

3. Cette instance peut être formée par voie de dénonciations faites par le procureur général du Canada d’après les instructions du surintendant général des affaires indiennes.

4. Rien dans le présent article ne doit atténuer, restreindre, ni en aucune façon affecter un recours existant ou un mode de procédure prévu pour les espèces, ou l’une d’entre elles, auxquelles s’applique le présent article.

48. Nulle partie d’une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du gouverneur en conseil, mais toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi, soit fédérale soit provinciale, d’exproprier ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir conféré par une loi à l’égard de toute réserve ou partie d’une réserve.

2. En ce cas, une indemnité doit être versée aux Indiens de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et I' expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres, ainsi que la fixation et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté en conseil qui fait preuve du consentement du gouverneur en son conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires.

3. Chaque fois qu’un arbitrage a lieu, le surintendant général nomme l’arbitre de la part des Indiens et agit pour eux en toute chose relative au règlement de cette indemnité.

4. La somme adjugée dans chaque cas est versée au ministre des Finances pour l’usage de la bande d'Indiens au profit de laquelle la réserve est affectée, et au profit de tout Indien qui y a fait des améliorations, ou lésé.

51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle cession ou rétrocession d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou d’un Indien en particulier, n’est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et un an révolu, et ce à une assemblée ou à un conseil de la bande convoquée pour en délibérer conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d’un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son conseil ou par le surintendant général à y assister .

[…]

3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous serment par le surintendant par le surintendant général ou par le fonctionnaire qu’il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et par l’un des chefs ou des anciens qui y a assisté […]

4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en son conseil pour qu’il l’accepte ou la refuse.

[170]  La Loi de 1927 a fait l’objet d’une refonte et ses dispositions ont été amendées par la Loi sur les Indiens, LRC 1952, c 149 (« Loi de 1952 »).

[171]  Le contenu de l’article 36 de la Loi de 1927 se retrouve, avec quelques modifications, aux articles 30 et 31 de la Loi de 1952, lesquels prévoient ce qui suit :

30. Quiconque pénètre, sans droit ni autorisation, dans une réserve est coupable d’infraction et passible, sur déclaration sommaire de culpabilité, d’une amende d’au plus cinquante dollars ou d’un emprisonnement d’au plus un mois, ou à la fois de l’amende et de l’emprisonnement.

31. (1) Sans préjudice de l’article 30, lorsqu’un Indien ou une bande prétend que des personnes autres que des Indiens

a) occupent ou  possèdent illégalement, ou ont occupé ou possédé illégalement, une réserve ou une partie de réserve,

b) réclament ou ont réclamé sous forme d’opposition le droit d’occuper ou de posséder une réserve ou une partie de réserve, ou

c) pénètrent ou ont pénétré, sans droit ni autorisation, dans une réserve ou une partie de réserve,

le procureur général du Canada peut produire à la Cour de l’Echiquier du Canada une dénonciation réclamant, au nom de l’Indien ou de la bande, le soulagement ou le redressement désiré.

(2) Une dénonciation produite sous le régime du paragraphe (1) est réputée, à toutes fins de la Loi sur la Cour de l’Echiquier, une action ou une poursuite par la Couronne, au sens de l’alinéa d) de l’article 29 de ladite loi.

 (3) Rien au présent article ne doit s’interpréter comme atténuant, diminuant ou atteignant d’autre façon un droit ou recours qui, sans le présent article, serait accessible à Sa Majesté, ou à un Indien ou une bande.

[172]  Le contenu de l’article 48 de la Loi de 1927 se retrouve, avec quelques modifications, à l’article 35 de la Loi de 1952 :

35. (1) Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir  peut, avec  le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu’il est loisible à ce dernier  de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou a tout intérêt y afférent.

(2) À moins que le gouverneur en conseil n’en ordonne autrement, toutes les matières concernant la prise ou l’utilisation obligatoire de terres dans une réserve, aux termes du paragraphe (1), doivent être régies par la loi qui confère les pouvoirs.

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l’exercice des pouvoirs, mentionnés au paragraphe (1) par une province, autorité ou corporation, il peut, au lieu  que la province, l’autorité ou la corporation prenne ou utilise les terres sans le consentement du  propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil.

(4) Tout montant dont il est convenu ou sui est accordé à l’égard de la prise ou de l’utilisation obligatoire de terrains sous le régime du présent article ou qui est payé pour un transfert ou octroi de terre selon le présent article, doit être versé au receveur général du Canada à l’usage et au profit de la bande ou à l’usage et au profit de tout Indien qui a droit à l’indemnité ou au paiement du fait de l’exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1).

[173]  Le contenu de l’article 51 de la Loi de 1927 se retrouve, avec quelques modifications, aux articles 37 à 41 de la Loi de 1952 :

37.  Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénés ni louées, ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande à l’usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

38. (1) Une bande peut abandonner à Sa Majesté tout droit ou intérêt de la bande et de ses membres dans une réserve.

(2) Une cession peut être absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condition.

39.  (1) Une cession est nulle à moins

a) qu’elle ne soit faite à Sa Majesté,

b) qu’elle n’ait été sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande lors

i) d’une assemblée générale de la bande convoquée par son conseil, ou

ii) d’une assemblée spéciale de la bande convoquée par le Ministre en vue d’examiner une proposition de cession et,

c) qu’elle ne soit acceptée par le gouverneur en conseil.

(2) Lorsqu’une majorité des électeurs d’une bande n’ont pas voté à une assemblée convoquée selon le paragraphe (1) du présent article ou selon l’article 51 de la Loi des Indiens, chapitre 98 des Statuts revisés du Canada, 1927, le Ministre peut, si la cession projetée a reçu l’assentiment de la majorité des électeurs qui ont voté, convoquer une autre assemblée en en donnant un avis de trente jours.

(3) Lorsqu’une assemblée est convoquée selon le paragraphe (2) et que la proposition de cession est sanctionnée à l’assemblée par la majorité des membres votants, la cessions est réputée, aux fins du présent article, avoir été sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande.

(4) Le Ministre, à la demande du conseil de la bande ou chaque fois qu’il juge opportun, peut ordonner qu’un vote, à toute assemblée prévue par le présent article, ait lieu au scrutin secret.

(5) Chaque assemblée aux termes du présent article doit être tenue en présence du surintendant ou de quelque autre fonctionnaire du ministère, que désigne le Ministre.

40. Lorsqu’un projet de cession a été sanctionné pas la bande conformément à l’article 39, il doit être attesté sous serment par le surintendant ou autre fonctionnaire qui a assisté à l’assemblée et par le chef ou un membre du conseil de la bande et alors être soumis au gouverneur en conseil pour acceptation ou rejet.

41. Une cession est censée conférer tous les droits nécessaires pour permettre à Sa Majesté de remplir les conditions de la cession.

[174]  Bref, il découle de l’ensemble de ces motifs et des dispositions de la Loi sur les Indiens que la Couronne fédérale avait des obligations légales et de fiduciaire exécutoires en raison du pouvoir qu’elle exerçait dans le processus de création de la réserve et des devoirs auxquels elle était tenue une fois la réserve créée.

C.  La Couronne fiduciaire a-t-elle manqué à ses obligations de fiduciaire?

1.  La réduction de la superficie de la réserve

a)  La preuve quant à l’ennoiement d’une partie de la réserve

[175]  À cette étape-ci, il y a lieu de traiter de la force probante à accorder à chacune des expertises.

[176]  Le rôle de l’expert consiste à aider le Tribunal en appliquant à un ensemble de faits des connaissances scientifiques particulières et en exprimant une opinion sur les conclusions que l’on peut en tirer (R c Howard, [1989] 1 RCS 1337 au para 19). Or, les contre-expertises et témoignages des experts Groulx et Leclerc consistent essentiellement en une appréciation des opinions émises par l’expert Marche, de la fiabilité des informations données et de la méthodologie utilisée par celui-ci. Ils ne se prononcent pas sur la principale question en litige.

[177]  En quelque sorte, la démarche adoptée par les experts Groulx et Leclerc empiète sur le rôle du Tribunal, lequel est appelé à trancher entre les opinions divergentes d’experts quant au point en litige.

[178]  Cela dit, malgré certaines faiblesses relevées par le Dr Leclerc et l’expert Groulx dans le rapport de l’expert Marche, notamment en ce qui concerne la précision de certaines données, ces derniers ne m’ont absolument pas convaincue que les données utilisées par le Dr Marche, sa méthodologie et ses conclusions sont non fiables au point qu’il faille rejeter son rapport et son témoignage dans son entier.

[179]  Au contraire, j’estime le travail du Dr Marche utile, pertinent et fiable. Ce dernier a témoigné sans jamais esquiver les questions. Ses explications sont compréhensibles et crédibles.

[180]  En ce qui concerne le Dr Leclerc, je comprends que c’est la première fois qu’il témoigne à titre d’expert devant un tribunal. Cependant, il ne semble pas avoir bien compris le rôle que doit jouer l’expert qui témoigne devant un tribunal.

[181]  Ainsi, il est difficile d’obtenir de lui des réponses claires à des questions pourtant simples et surtout pertinentes; il argumente avec le procureur de la revendicatrice (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 45–49, 59, 88); il considère la question non pertinente (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, à la p 88, lignes 15 et 16); il est sur la défensive, répétant qu’on cherche à lui faire dire des choses qu’il n’a pas dites (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 60–62); il se sent attaqué : « On verra ce que vous voulez me faire dire après » (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, à la p 32); il digresse (voir notamment la transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 20–31), il a des réticences ou refuse de répondre aux questions (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 63–64, 66, 68–71, 75–76, 91–101); il affirme des choses qu’il nie par la suite avoir dites. C’est le cas notamment lors des questions portant sur l’ennoiement de la réserve (transcription de l’audience, le 20 mai 2014, à la p 139, lignes 19-22, à la p 140, lignes 20-25, et transcription de l’audience, le 21 mai 2014, à la p 34, lignes 11-13, à la p 35, lignes 7-16 et aux pp 36–39) et celles portant sur la différence entre un modèle et une règle (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, à la p 29, lignes 18-19 et à la p 30, lignes 7-10); ses réponses sont laborieuses, voir notamment ses réponses eu égard aux questions portant sur l’intervalle de confiance (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 75-90), la difficulté est telle que le Tribunal a dû intervenir à quelques reprises et que l’audience a été suspendue afin de permettre au procureur de discuter avec son expert (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, à la p 66).

[182]  Mais il y a plus; le Dr Leclerc reprend à son compte les critiques et les conclusions de l’expert Groulx (transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 112–17, transcription de l’audience, le 20 mai 2014, à la p 118, lignes 23-25 et à la p 119, lignes 1-4) et rectifie son témoignage en le modifiant en fonction de ce que lui dit son procureur (sur la Politique, transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 214–15, 255–56).

[183]  L’expert doit être au service du Tribunal et être impartial. Dans le cas du Dr Leclerc, il est clair que ce dernier avait un parti pris dans le dossier et que sur certains aspects il passait du rôle d’expert à celui d’une partie. Le témoignage qu’il a livré ne revêt pas à bien des égards le degré d’impartialité qui caractérise l’opinion d’un expert. Toutes les carences notées précédemment affectent la valeur probante de son témoignage et en diminuent la fiabilité.

[184]  En ce qui concerne l’expert Groulx, ce dernier était parfois réticent à répondre de façon claire aux questions, notamment celles concernant le statut du plan d’arpentage de White ou celles relatives au fait que Rinfret n’aurait pas accompli correctement son mandat en se contentant de la réponse de Boisvert à l’effet que l’augmentation maximale envisagée n’était que de trois pouces. Par ailleurs, le mandat de l’expert Groulx étant limité, il en sera tenu compte dans l’analyse.

[185]  Cela dit, de façon générale, sa contre-expertise et son témoignage sont utiles et pertinents. Malgré tout, je ne peux conclure pour autant à l’absence d’empiétement. Je m’explique.

[186]   Premièrement, la preuve démontre que, jusqu’en 1942, le niveau d’eau autorisé à la crête du déversoir était à la cote de 1325 pieds. En 1942, il a été haussé à 1328 pieds et, en 1955, il a été rehaussé à 1329 pieds. Il n’y a jamais eu de nouvel arpentage ni de vérification de la superficie de la réserve depuis 1943.

[187]  La difficulté dans le dossier résidait notamment dans le fait qu’en 1943, l’arpenteur Rinfret n’a pas précisé le niveau de la ligne des hautes eaux utilisée, ni l’altitude.

[188]  À l’aide d’une technique utilisée par ceux qui exploitent des barrages, le Dr Marche établit une relation Niveau réserve vs Surface (il utilise cinq surfaces de réserve planimétrées, soit une carte TrakMaps, une carte 1 :50000, une photo aérienne, et deux autres cartes 1 :20000). Cette technique lui permet de déterminer le niveau de la ligne des eaux utilisée par Rinfret, lequel est nécessaire pour  définir le niveau de la réserve à 1324,69 pieds. Il conclut donc que toute remontée des eaux au-dessus du niveau de 1324,69 pieds inonde une partie de la réserve tracée par Rinfret et en réduit la superficie utile.

[189]  Il précise qu’un coefficient de régression R2 qualifie la qualité de la règle utilisée. La valeur de R2 = 0,9992 lui confirme qu’il peut faire usage de cette règle et donc du taux d’ennoiement de 27,26 acres par pied de remontée sans crainte d’ajouter une incertitude additionnelle. Selon lui, le taux d’ennoiement de 27,26 acres par pied de remontée retenu est le taux le plus vraisemblable et doit être utilisé. Si ce taux n’est pas nécessairement parfait, il est vraisemblable.

[190]  De ses calculs, le Dr Marche conclut que les relèvements des niveaux maximums d’exploitation de 1942 et 1955 ont permis l’inondation d’une partie de la réserve tracée par Rinfret et en ont réduit la superficie utile. Puisque l’eau dans le déversoir est susceptible de monter jusqu’à 1325 pieds au barrage, le DAI a donc accepté en 1943 qu’une partie de la surface de la réserve soit située dans le premier pied de zone inondable.

[191]  Les experts Groulx et Leclerc sont en désaccord avec les données et valeurs retenues par le Dr Marche.

[192]  L’expert Groulx a localisé la réserve à partir d’un plan datant de 1943. Il a répété maintes fois qu’il n’avait pas reçu le mandat de positionner la ligne des hautes eaux utilisée par Rinfret, et a conclu que le plan de Rinfret était exact, à la bonne échelle et conforme aux instructions reçues.

[193]  Selon lui, la superficie de la réserve n’a pas changé depuis 1943 pour la raison suivante :

La superficie de la réserve n’a pas changé, dans le sens qu’il y a une concession qui a été faite... il y a une concession, le bloc A, cette superficie-là est fixe et lorsqu’on... donc, on n’avait pas, comme je dis, à aller recalculer cette... ce n’était pas le mandat de recalculer la superficie.

[…]

C’est que le mandat nous disait pas d’aller voir : « Est-ce que la superficie, est-ce que la ligne arpentée par Rinfret est dans l’eau... n’est pas dans l’eau ? » […]. [Italiques dans l’original; Transcription de l’audience, le 22 janvier 2014, à la p 36, lignes 7 à 14 et 18 à 21]

[194]  On comprend donc, comme il l’affirme lui-même, qu’il n’a pas vérifié la contenance de la réserve telle qu’elle existe aujourd’hui.

[195]  Bien qu’il admette que, dû à l’augmentation de la cote d’exploitation du réservoir, l’on puisse soupçonner la perte d’une partie du territoire de la réserve, l’expert Groulx affirme que pour pouvoir dire « si les limites arpentées sont physiquement dans l’eau ou pas, il faut faire un levé terrain, c’est la seule façon » (transcription de l’audience, le 22 janvier 2014, à la p 37).

[196]  Pourtant, bien qu’il dise ne pas connaître la limite des hautes eaux utilisée par Rinfret, il affirme qu’en 1943 tout le territoire arpenté par Rinfret se situait sur terre ferme donc hors de l’eau.

[197]  Il est difficile de comprendre comment l’expert Groulx peut faire une telle affirmation, alors qu’il dit ne pas connaître à quelle hauteur se trouvait la ligne des hautes eaux au moment où Rinfret a arpenté la réserve. Je reviendrai sur cette question.

[198]  Selon l’expert Groulx, pour pouvoir connaître si la superficie a été réellement réduite par le rehaussement de la cote d’exploitation du barrage, il faut déterminer quelle est la ligne des hautes eaux aujourd’hui et la comparer avec celle utilisée par Rinfret pour calculer la superficie arpentée.

[199]  L’expert Groulx explique que la ligne des hautes eaux se constate sur place par des marques physiques laissées sur le terrain. Elle est le résultat de divers éléments qui modifient la rive, tels le sol arable et la forte végétation, lesquels constituent des indices de la limite du niveau des hautes eaux. La ligne apparait après une action répétée de l’eau durant un certain nombre d’années. On parle de dix, quinze ou vingt ans. C’est l’effet régulier le long de la rive qui va la modifier et elle exclut les débordements. Un évènement qui se produit une fois par année ne viendra pas modifier la ligne des hautes eaux.

[200]  Or, la preuve démontre que le niveau d’eau annuel moyen du réservoir en 1943, année de l’arpentage fait par Rinfret, se situait autour de 1321,5 pieds, alors qu’il était de 1320 pieds l’année de sa mise à l’eau en 1920. Il s’agit de niveaux mesurés au barrage. En fait, la ligne noire continue du Tableau des niveaux annuels du réservoir Gouin entre 1920 et 2001 (« Tableau ») fait état de la moyenne annuelle des niveaux d’eau et démontre une courbe progressive. Ainsi, en 1920, la moyenne annuelle était de 1320 pieds et, au cours des ans, elle a progressé vers le haut pour s’arrêter à 1325 pieds en 2001 (CCPD, à l’onglet 397).

[201]  Malgré tout, contre-interrogé à savoir s’il n’est pas exact de dire qu’au moment de l’arpentage par Rinfret en 1943, le niveau moyen des eaux ou la ligne des hautes eaux ne pouvait être à la cote de 1328 pieds, Groulx affirme ne pas pouvoir répondre à la question, car Rinfret n’a pas fourni l’altitude :

[…] Si Rinfret nous avait donné un chiffre, une altitude, là je pourrais me prononcer, de dire : « Son travail, il a mis la ligne à cette hauteur-là, mais il me dit que l’eau était à telle hauteur ou il me dit que… » une autre information. Là, je peux faire le lien entre le chiffre d’une cote d’élévation et la marque physique.

Puis c’est cette difficulté-là, dans le cadre de l’expertise, on n’a pas cette information-là, qui fait qu’il est dur de se prononcer, de faire le lien entre les deux (2). [Transcription de l’audience, le 24 janvier 2014, aux pp 130–31].

[202]  Confronté au fait que le niveau maximum atteint au barrage depuis la mise en eau en 1920 jusqu’en 1943 était de 1327,72 pieds, que la contenance de la réserve est connue, soit 2290 acres, et que la ligne nord de Rinfret est aussi connue et précise, Groulx finit par admettre qu’il est possible de connaître la ligne de rive arpentée par Rinfret en procédant par calculs et en vérifiant la situation sur place :

[…] j’ai ma limite nord que je connais en plan, j’ai …là, il faudrait que je calcule les coordonnées de chaque point de la rive et là, aller au sol et voir cette coordonnée-là, à quelle altitude elle est positionnée. Ça serait la façon. [Transcription de l’audience, le 24 janvier 2014, à la p 134, voir également aux pp 176–77].

[203]  Toutefois, l’expert Groulx n’a pas fait l’exercice considérant que cela ne faisait pas partie de son mandat.

[204]  Par ailleurs, si l’on regarde la ligne rouge du Tableau, soit celle établissant le niveau maximal atteint, on en déduit qu’il est probable que Rinfret n’ait pas tracé sa ligne de rive plus haut que 1325 pieds parce que le maximum atteint par le réservoir avant 1943 n’a presque jamais dépassé cette limite. En toute logique, si l’on suit les explications données par Groulx, on doit conclure qu’il est plus que probable qu’en 1943, la végétation forte marquant la ligne des hautes eaux ne pouvait être située plus haut que 1325 pieds.

[205]  L’ensemble des éléments de preuve rend donc plausible l’énoncé de l’expert Marche selon lequel Rinfret aurait arpenté la réserve à partir de l’altitude de 1324,69 pieds.

[206]  Après avoir expliqué sa démarche et ses calculs, le Dr Marche établit l’ennoiement permanent de la réserve à environ 109 acres. Il définit l’ennoiement permanent comme signifiant que les terres situées en amont d’un barrage sont susceptibles d’être touchées n’importe quand par l’eau jusqu’au niveau maximum autorisé.

[207]  Pour l’expert Leclerc, la prétention du Dr Marche que l’ennoiement est permanent est fausse, car il faut définir le terme permanent selon sa dimension temporelle, c’est-à-dire toujours.

[208]  Puis, l’expert Leclerc affirme que l’ennoiement ou plus exactement le relèvement à la cote de 1329 par exemple n’est pas permanent, car l’eau n’a atteint cette cote qu’une fois par douze ans.

[209]  Après maintes tentatives pour obtenir des réponses claires à ses questions, le procureur de la revendicatrice reformule à nouveau sa question et demande à Leclerc s’il est d’accord ou non avec l’énoncé que les terres situées en amont d’un barrage sont susceptibles d’être touchées n’importe quand par l’eau jusqu’au niveau maximum autorisé. L’expert Leclerc répond ce qui suit :

R  C’est l’évidence.

Q  D’accord. Point. C’est tout. Merci.

R  C’est l’évidence.

Q  Merci. Merci.

R  C’est l’évidence comme c’est l’évidence…

Q  Merci, Je n’ai pas…

R  Est-ce que je peux compléter?

Q  Merci.

R  Vous, je vous ai laissé compléter votre question, est-ce que je peux compléter ma réponse? Il y a beaucoup de choses qui sont permanentes aussi.

L’existence des terres est permanente.

L’existence de la topographie est permanente.

Tout est permanent.

Q  Ce n’est pas la question, monsieur Leclerc.

R  Et quand on est dans une interaction comme ça, quand on vit près d’un cours d’eau on est susceptible en permanence de recevoir des aléas avec une rivière. [Transcription de l’audience, le 21 mai 2014, aux pp 65-66].

[210]  Un long débat pour conclure à une évidence sur une question simple.

[211]  Quant aux autres critiques formulées par l’expert Leclerc à l’encontre de la technique utilisée et des valeurs choisies par le Dr Marche, pour les motifs énoncés au début de cette section de la décision, les explications fournies par le Dr Marche sont plus convaincantes.

[212]  L’intimée plaide que, tel qu’il appert du Tableau, le niveau maximum autorisé et la moyenne annuelle démontrent qu’il n’y a pas eu ennoiement ou à tout le moins pas de façon permanente (CCPD, à l’onglet 397).

[213]  Or, la ligne rouge marquant le niveau maximal atteint est située au-delà de la cote de 1325 pieds pendant plus de 45 années entre 1944, date de la création de la réserve, et 2001. Durant chacune de ces années où le niveau maximal a dépassé la cote de 1325 pieds, il est vraisemblable que ce dépassement ait pu se produire plus d’une fois dans l’année. Cette preuve n’établit pas que la réserve était ennoyée en tout temps, mais qu’elle était susceptible d’être ennoyée n’importe quand jusqu’à la limite maximum d’exploitation, laquelle est passée de la cote de 1325 à 1328 pieds et par la suite à 1329 pieds. C’est ce qui s’est produit fréquemment selon ce qu’indique le Tableau qui démontre également que la limite d’exploitation maximum de la cote de 1329 pieds a été dépassée.

[214]  Deuxièmement, selon le Dr Marche, l’historique des niveaux atteints pendant l’exploitation montre que, pour plusieurs raisons indépendantes ou non de la volonté de l’exploitant du barrage, le niveau maximal légal a été dépassé pendant des périodes plus ou moins longues. Trois facteurs temporaires peuvent ainsi amplifier l’ennoiement, soit le vent, les vagues et le courant. C’est ce qu’il appelle l’ennoiement récurrent, lequel s’ajoute à l’ennoiement permanent.

[215]  Selon le Dr Marche, le réservoir Gouin étant très découpé, les vents et les vagues influencent moins l’ennoiement que les courants. Il utilise alors un modèle énergétique pour évaluer l’effet des courants sur l’ennoiement tout en prenant une marge réaliste, dit-il, sur l’action des autres facteurs. Pour chiffrer la partie de la dénivellation qui peut s’établir entre le barrage et la réserve et qui est due aux écoulements internes au réservoir, il détermine les débits d’apport, les évacuations ainsi que les trajectoires d’écoulement du réservoir.

[216]  Le Dr Marche calcule ainsi la pente entre deux points d’écoulement en l’évaluant par la formule de Manning, (la résistance à l’écoulement). Selon lui, la schématisation du lac en plans d’eau et en passages restreints permet de bien exploiter la formule de Manning et d’en respecter les hypothèses. Quant au débit, pour ses calculs, il choisit la récurrence de 20 ans. Appliquant l’ensemble des données retenues, ses calculs lui permettent d’estimer à environ 95 acres la perte supplémentaire de superficie utile de la réserve résultant de l’ennoiement récurrent.

[217]  L’expert Leclerc reconnaît l’existence d’une pente gravitationnelle dans le réservoir Gouin, quoiqu’il refuse d’utiliser le mot « pente », insistant pour qualifier le concept de « différence de niveau ». Cependant, ajoute-t-il, il faut déterminer sa valeur en fonction du débit. Or, selon lui, la valeur du coefficient de Manning utilisé par le Dr Marche ainsi que la valeur des paramètres géométriques utilisés dans l’équation sont erronées, car il n’y a pas assez d’information permettant d’en déterminer celles-ci.

[218]  Quant à l’inondation du moulin à scie sur la réserve survenue en 1953 et dont s’est plaint l’agent Larivière, l’expert Leclerc le considère comme événementiel, sans plus.

[219]  Pour sa part, l’expert Groulx affirme ne pas avoir la compétence pour dire que, s’il y a une pente, les eaux seront plus hautes à Opitciwan, même si la réserve est située en amont du barrage. Toutefois, il reconnaît que si le terrain est plat, le niveau moyen mesuré au barrage sera le même que celui à Opitciwan (transcription de l’audience, le 24 janvier 2014, aux pp 123–26).

[220]  En contre-interrogatoire, il admet qu’il est possible pour un arpenteur de vérifier s’il y avait une pente en effectuant des levés terrain à la ligne des hautes eaux, près de la réserve, près du barrage et un peu partout autour du réservoir. Il n’a pas fait l’exercice, car cela ne faisait pas partie de son mandat (transcription de l’audience, le 24 janvier 2014, à la p 177).

[221]  Dans sa contre-expertise, Groulx écrit :

Donc selon nous, seules des mesures précises d’arpentage sur le terrain permettraient de confirmer hors de tout doute s’il y a lieu de croire que le niveau de l’eau près de la réserve est supérieur à celui du barrage. Ce qui permettrait de valider ou invalider les prétentions de M. Marche à cet effet et surtout d’en quantifier l’ampleur le cas échéant. [Pièce D-18, à la p 36]

[222]  Or, en l’espèce, je n’ai pas à décider en fonction d’une preuve hors de tout doute, mais en fonction du critère de la probabilité.

[223]  Au surplus, l’expert Groulx admet que les vagues, l’augmentation du volume d’eau et la pente, si le concept est retenu, auront un effet sur la ligne des hautes eaux.

[224]  Là encore, les éléments de preuve rendent plausibles et probables les conclusions du Dr Marche quant à l’existence d’un ennoiement récurrent de la réserve.

[225]  Tenant compte de l’ensemble des circonstances, j’estime que les explications données par le Dr Marche pour appuyer ses calculs et conclusions de son rapport ainsi que pour répondre aux critiques du Dr Leclerc et de l’arpenteur Groulx sont convaincantes, raisonnables et probables et, pour les raisons énoncées plus haut au début de ce chapitre concernant la valeur probante des témoignages, je retiens les explications du Dr Marche.

[226]  Troisièmement, lors de son voir dire, l’expert Groulx a affirmé que le ministère des Affaires indiennes avait reçu une demande du chef des Atikamekw d’Opitciwan pour un réarpentage de la réserve. Il a expliqué que son client est le ministère des Affaires indiennes, lequel est le gestionnaire des terres. Lorsque le ministère reçoit une demande de réarpentage, ses représentants viennent consulter son département afin de déterminer s’il y a lieu d’y procéder. Si lui ou un représentant de son département décide que le plan est encore satisfaisant, la demande est refusée.

[227]  À la suite de la demande du chef, Groulx s’est rendu sur la réserve d’Opitciwan pour évaluer les limites au sol afin de vérifier si les repères étaient encore présents et s’il y avait lieu de proposer ou suggérer au ministère des Affaires indiennes un réarpentage complet de la réserve. Il témoigne comme suit :

Q  Avez-vous déjà été sur la réserve des Atikamekw d’Opitciwan?

R    Oui, je suis allé à quelques reprises, au début là, je me souviens plus des années, mais pour faire la cartographie, donc positionner des points de contrôle, je suis allé à 2 reprises pour cette occasion-là, et je suis allé dernièrement pour aller... justement à la demande du chef qui demandait un réarpentage de la réserve. On est allé constater l’état des limites, on est allé aussi s’assurer de la précision de notre cartographie, et on a fait du fait même, comme on était présent sur les lieux, on en a profité aussi pour valider certains points de notre contre-expertise, s’assurer que ce qu’on était pour présenter bien on avait validé l’information avant de la présenter. [Soulignement ajouté; Transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, à la p 245]

[228]  Puis, l’expert Groulx explique avoir vérifié les repères de la limite nord de la réserve, puisque celle-ci est documentée, limite qu’il qualifie d’artificielle. Quant à la limite sud, il soutient qu’il n’avait pas à la vérifier, car c’est la limite naturelle, soit celle de la ligne des hautes eaux (transcription de l’audience, le 21 janvier 2014, à la p 247). Il a donc conclu que seul un réarpentage de la limite nord était nécessaire (transcription de l’audience, le 22 janvier 2014, à la p 26). Il est difficile pour le Tribunal de comprendre cette conclusion de l’expert Groulx vu le rehaussement certain du réseau d’exploitation du barrage plusieurs années après l’arpentage de Rinfret. La conclusion de l’expert Groulx à cet égard laisse le Tribunal perplexe.

[229]  Contre-interrogé sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas suggéré de réarpenter la limite sud, l’expert Groulx répond que, normalement, dans la pratique, il ne réarpente pas une limite naturelle. Il admet toutefois qu’à la suite d’une demande des membres de la Nation algonquine Kitigan Zibi, et après analyse de la situation, il a conclu qu’un arpentage de la rive naturelle pourrait être nécessaire.

[230]  Réinterrogé, l’expert Groulx prend une distance par rapport à son témoignage et affirme que le chef n’avait pas vraiment demandé un réarpentage de la réserve.

[231]  Quatrièmement, l’intimée plaide que même si l’expert Groulx affirme que seul un arpentage complet basé sur la ligne des hautes eaux réalisé avec des appareils de bonne dimension permettrait de savoir si la réserve a perdu une partie de sa superficie depuis l’élévation de la crête en 1943 et par la suite en 1955, elle n’avait pas à faire cette preuve, puisque le fardeau repose sur les épaules de la revendicatrice. Elle plaide également qu’une telle démarche serait « extrêmement dispendieuse », sans pour autant établir quels en seraient les coûts.

[232]  Avec respect, j’estime que les experts ont comme obligation d’éclairer le Tribunal et ne doivent pas être appelés pour défendre la position d’une partie. Ici, la problématique est simple, mais a donné lieu à un long débat de plusieurs jours hautement technique et complexe. Si, comme l’affirme l’expert Groulx, il existe une méthode simple, soit aller sur place effectuer un arpentage, il m’apparaît que cette preuve aurait dû être faite, car elle aurait définitivement été utile au débat et permis d’éclairer le Tribunal. Cela est d’autant plus vrai et pertinent que l’expert Groulx témoigne qu’il soupçonne une perte de territoire à cause de la remontée du niveau de la crête du déversoir.

[233]  Par ailleurs, en ce qui concerne les coûts soi-disant extravagants d’une telle démarche, il n’y a aucune preuve à cet égard. Par contre, répondant à une question du Tribunal quant à savoir combien de temps requerrait l’exercice proposé sur le terrain, l’expert Groulx répond comme suit :

Combien de temps? On parle de dix-sept kilomètres (17 km) de rive, c’est un lever [sic] terrain qu’il faut préparer, peut-être une (1) semaine plus ou moins de lever  [sic] terrain, pour être certain, mise en place. C’est un travail de... je ne sais pas, qui pourrait varier de deux (2), trois (3) semaines si... disons qu’on ne fait que ça, ça pourrait être quelque chose comme ça. [Transcription de l’audience, le 23 janvier 2014, aux pp 102–03]

[234]  Par contraste, lors de son voir dire, l’expert Groulx a affirmé que la recherche, l’analyse et la validation aux fins de son expertise au TRP ont requis environ vingt-cinq (25) jours de travail. À cela s’ajoutent sept (7) jours de temps de déplacement, de préparation du terrain et de l’équipement lorsqu’il s’est rendu à Opitciwan pour aller mesurer la limite nord. La rédaction du rapport a nécessité de cinq (5) à sept (7) jours, puis la préparation de son témoignage de trois (3) à quatre (4) jours. Puis, il faut additionner les jours où il était présent aux audiences devant le TRP, au moins quatre (4) jours, plus le temps de déplacement.

[235]  Donc, seulement pour convaincre le Tribunal de la non-fiabilité de la méthodologie, des données et des conclusions de l’expert Marche, l’expertise de l’arpenteur Groulx et de son équipe aura nécessité au minimum près d’un mois et demi de travail, alors même qu’il relève du sens commun que le rehaussement de la cote d’exploitation du barrage a conduit à un ennoiement d’une partie de la réserve.

[236]  Cinquièmement, même si on peut s’interroger sur la fiabilité du degré de précision des chiffres, des cartes ou des autres éléments utilisés par le Dr Marche, ce dernier a témoigné que la superficie d’ennoiement à laquelle il arrive est un ordre de grandeur fiable. Ses explications quant aux critiques de l’expert Groulx relativement à l’imprécision des limites de la réserve établies à partir de cartes, plans, photographies aériennes sont crédibles.

[237]  Le Dr Marche a témoigné que le travail à partir de cartes est une méthode utilisée par les ingénieurs, qu’il a de l’expérience dans la planimétrie, une technique couramment utilisée en ingénierie, et qu’il est confiant dans à la relation mathématique trouvée à partir de ses planimétrages. En ce qui concerne la courbe d’exploitation (surface vs élévation), il s’agit de la technique utilisée par les ingénieurs hydrauliciens exploitant un barrage au début de leur stratégie d’exploitation. Le Dr Marche a expliqué que c’est à partir de ce genre de courbe que se fait le travail de l’ingénieur et que toute l’industrie des aménagements hydrauliques travaille à partir de cartes de cette façon. J’accorde foi à son témoignage.

[238]   Le Dr Marche a également témoigné les méthodes utilisées pour déterminer la ligne de rive tracée par Rinfret. Il a utilisé deux méthodes; 1) un planimétrage fait à partir de la limite nord, et 2) une relation mathématique. Dans les deux cas, il obtient le chiffre de 1324,69 pieds. Ses explications sont cohérentes et je les estime également fiables.

[239]  Le Dr Leclerc a longuement insisté sur le fait que la figure 6 du tableau du Dr Marche était incomplète, car il y manquait les marges d’erreurs, ce qu’il a qualifié d’intervalle de confiance. Selon le Dr Marche, les ingénieurs en hydraulicité ne qualifient plus la précision de facteurs utilisés par la méthode des incertitudes et des intervalles de confiance. Le Dr Marche soutient que cette méthode n’est plus utilisée et qu’elle ne se retrouve plus dans les rapports d’ingénierie. Considérant le témoignage laborieux du Dr Leclerc sur la question de l’intervalle de confiance, je retiens le témoignage du Dr Marche.

[240]  Bref, j’estime que la démarche, la méthodologie et les calculs du Dr Marche sont logiques, crédibles et raisonnables. Au surplus, sa conclusion qu’il existe un ennoiement appréciable est corroborée par la preuve documentaire et le témoignage des aînés. J’y reviendrai.

b)  La preuve quant à la superficie additionnelle

[241]  La preuve révèle que Rinfret n’a pas arpenté de superficie additionnelle.

[242]  Or, dans ses instructions à Rinfret, l’arpenteur en chef Peters avait instruit ce dernier d’aviser le DAI si le gouvernement du Québec avait l’intention d’élever le niveau d’eau « still higher than its present level […] within a few years » (CCPD, à l’onglet 337).

[243]  L’expert Groulx affirme que rien ne permet de conclure que Rinfret n’a pas respecté cette instruction donnée par Peters. Selon lui, malgré l’adoption du décret en 1942 autorisant à hausser la retenue à la cote de 1328 pieds, rien n’indique que le gouvernement entendait élever le niveau de l’eau dès 1943. L’expert Groulx précise que le décret prévoit que la retenue « peut être augmentée », mais rien n’indique quand la CEC allait le faire. De fait, ce n’est qu’en 1958 que le niveau des eaux a atteint 1328 pieds.

[244]  L’intimée ajoute que Rinfret rapporte que Boisvert lui a dit que « it was contemplated to raise the water 3 inches only above the highest point at which the water stood in 1942 », ce que Boisvert a qualifié d’insignifiant (CCPD, à l’onglet 339).

[245]  Cependant, le décret existait depuis un an et demi quand Peters a donné ses instructions à Rinfret. Donc, depuis un an et demi, l’intention du gouvernement provincial de hausser le niveau des eaux à 1328 pieds était connue.

[246]  Le décret prévoit spécifiquement l’intention du gouvernement de produire de l’électricité pour l’industrie de guerre. Il est de connaissance judiciaire que la Seconde Guerre mondiale s’est terminée en 1945 et donc qu’en 1942, au moment de l’adoption du décret, la guerre battait son plein ainsi qu’en 1943.

[247]  De plus, en juillet 1942, le niveau de l’eau était à la cote de 1327,8 pieds (CCPD, à l’onglet 368). Trois pouces de plus portent la cote à 1328 pieds. Une autre évidence.

[248]  Ainsi, ces faits permettent de déduire que l’intention du gouvernement provincial était de hausser le niveau d’eau à 1328 pieds dès lors que les conditions météorologiques le permettaient et que Rinfret aurait dû en tenir compte et suivre les instructions données par Peters. Il aurait dû communiquer avec ses supérieurs avant de se rendre à Opitciwan et arpenter une superficie équivalente à l’aire devant être ennoyée.

c)  La preuve documentaire et le témoignage des aînés

[249]  La preuve révèle que, quelques années avant l’arpentage de Rinfret, l’agent Larivière du DAI a confirmé l’existence d’un ennoiement périodique de la réserve allant même jusqu’à en alerter ses supérieurs.

[250]  Ainsi, le 31 juillet 1941, l’agent Larivière du DAI se plaint au secrétaire du DAI du fait que le niveau du lac monte et descend continuellement selon les besoins de la CEC et dénonce le fait que les opérations du réservoir créent de nombreux dommages aux Atikamekw d’Opitciwan (CCPD, à l’onglet 312).

[251]  Le 18 février 1942, le gouvernement du Québec autorise la CEC à relever la crête du déversoir Gouin en augmentant la retenue de l’eau du réservoir de la cote de 1325 pieds à 1328 pieds (CCPD, à l’onglet 315).

[252]  Le 32e rapport annuel de la CEC indique que le 17 avril 1942, le réservoir Gouin était au niveau de 1322,60 pieds alors que le 24 avril 1943, il était au niveau de 1315,90 pieds, soit une baisse de 6,7 pieds. Le tableau II (lectures de l’échelle hydrométrique à l’amont du barrage), joint au rapport annuel, indique que le réservoir est plein lorsqu’il atteint le niveau 1328 pieds, et que le niveau du barrage se situait entre 1323,65 pieds et 1323,95 pieds entre le 21 août et le 7 septembre 1943, soit au moment où l’arpenteur Rinfret procède à l’arpentage de la réserve (CCPD, à l’onglet 325).

[253]  Or, le 3 juillet 1942, l’agent Larivière du DAI informe le secrétaire du DAI que le Chef Méguish d’Opitciwan, son conseil et d’autres membres de la bande l’ont avisé le 26 juin 1942 que « the Gouin Reservoir level had been raised again, this approximately some 6’, comparing with previous season, this new high level, is affecting hunting grounds, fur bearing animals, increasing the risk of travelling, also caused other direct damages to their hunting lands, flooding also cleared land last summer for seeding purpose ». Pour l’agent Larivière, la situation est telle qu’il recommande au DAI de saisir le gouvernement du Québec de l’affaire afin de connaître la limite de l’élévation de niveau anticipée et, s’il y a lieu, de faire une réclamation pour les dommages causés aux Atikamekw d’Opitciwan (CCPD, à l’onglet 318).

[254]  Or, comme on l’a vu précédemment, on apprend de la lettre datée du 27 juin 1953 de l’ingénieur en chef de la CEC, qu’en juillet 1942, le réservoir était à la cote de 1327,8 pieds (CCPD, à l’onglet 368), soit trois pouces en bas du niveau de 1328. Malgré tout, le réservoir n’est pas à sa pleine capacité.

[255]  Face à la situation qui prévaut sur la réserve, le 22 juin 1943, le sous-ministre Campbell demande au sous-ministre Bédard du MFTQ « [i]f therefore we could obtain from you the equivalent of the original 2290 acres located above the ultimate high water mark contemplated as the future flood limit caused by the power development we would rest content » (soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 335).

[256]  Malgré cette demande du sous-ministre Campbell, le 14 août 1943, Peters, l’arpenteur général du DAI, donne ses instructions d’arpentage à Rinfret et plutôt que de lui demander de tracer la ligne de rive au niveau de la ligne d’exploitation possible, il lui demande de la tracer sur la ligne des hautes eaux. Toutefois, Peters avise Rinfret d’enquêter sur la possibilité d’une augmentation des eaux par le gouvernement du Québec, auquel cas il est d’avis que l’arpentage d’une parcelle de terre additionnelle doit être effectué. Il ajoute également : « [s]hould any matter of paramount importance arise out of your interview with the provincial authorities in connection with the proposed survey, you should advise this office immediately and await our reply before proceeding to the field » (CCPD, à l’onglet 337).

[257]  Or, vraisemblablement, Rinfret se contente de la réponse de Boisvert selon laquelle l’augmentation ne sera que de trois pouces, car il ne se rapporte pas à Peters afin d’obtenir des instructions additionnelles avant de se rendre à Opitciwan. En effet, la preuve documentaire démontre que Rinfret informe son supérieur de sa discussion avec Boisvert alors qu’il est à pied d’œuvre sur le terrain à effectuer l’arpentage (CCPD, à l’onglet 339).

[258]  Si Rinfret s’était donné la peine de vérifier les informations données par Boisvert qui les détenait de la CEC, il aurait réalisé que la hausse était substantielle, car en fait, un an plus tôt, la cote d’exploitation avait augmenté de trois pieds, passant de 1325 à 1328 pieds. Or, de toute évidence, personne au DAI n’a pris la peine de faire cette vérification.

[259]  Après la création de la réserve, la même situation se poursuit.

[260]  Le 1er mai 1945, l’agent Larivière du DAI explique dans une note d’information au DAI que le niveau d’eau du réservoir Gouin a été augmenté de 40 à 50 pieds et varie généralement de 5 à 8 pieds. Il indique que l’année précédente, le réservoir avait subi une baisse de 13 pieds (CCPD, à l’onglet 350).

[261]  Le 1er juin 1953, dans un télégramme transmis à la CEC, l’agent Larivière du DAI demande d’envoyer un inspecteur à Opitciwan car le niveau de l’eau sur le réservoir est tellement élevé que le moulin à scie sur la réserve est pratiquement inopérable. Il ajoute que ce haut niveau causera peut-être des dommages sérieux (CCPD, à l’onglet 365).

[262]  Le 3 juin 1953, l’ingénieur en chef de la CEC lui répond que le réservoir Gouin est à la cote de 1327,5 pieds, alors que la retenue possible et autorisée est de 1328 pieds (CCPD, à l’onglet 366).

[263]  Le 4 juin 1953, l’agent Larivière du DAI demande à nouveau à l’ingénieur en chef Chagnon de la CEC qu’un officier de la CEC vienne constater à Opitciwan la montée des eaux dans le réservoir Gouin, lesquelles n’ont jamais été aussi hautes, et la manière dont elles agissent sous l’effet des vents forts et continus, ce qui est souvent le cas dans les environs de la réserve (CCPD, à l’onglet 367).

[264]  Le 27 juin 1953, Chagnon répond à Larivière, lui explique qu’en juin et juillet 1942, la réserve a été maintenue dans le réservoir Gouin à la cote de 1327,8 pieds, qu’elle a été maintenue entre les cotes de 1327,5 et 1328 pieds en juin, juillet et août 1947 et que la réserve actuellement n’a pas encore atteint la cote obtenue en 1947. Il lui fait part de l’intention de la CEC d’augmenter la retenue à 1329 pieds et recommande au DAI de localiser les camps à Opitciwan deux ou trois pieds au-dessus de la cote de 1329 pieds. Il annonce qu’un inspecteur météorologue, J. D’Auray, se rendra à Opitciwan pour voir la situation et localisera sur le terrain quelques points au contour du niveau de 1329 pieds (CCPD, à l’onglet 368).

[265]  Or, le 16 juillet 1953, J. D’Auray remet son rapport et note que le plancher du moulin était submergé par l’eau, que le niveau de l’eau du réservoir était de 1326,82 pieds pour cette date et que le plancher du moulin à scie était à 1327,42 pieds, soit en bas de la cote de retenue de 1328 pieds. Il note également avoir piqueté quelques points dans la réserve en marquant le niveau à 1332 pieds au-delà duquel les biens des Atikamekw sont en sécurité (CCPD, à l’onglet 372).

[266]  En 1955 et 1956, par le biais de trois décrets, la province de Québec autorise des réparations et des modifications au barrage Gouin susceptibles d’augmenter la capacité d’emmagasinage dans le réservoir à la cote de 1329 pieds (CCPD, aux onglets 374, 375 et 378).

[267]  Le 26 mars 1956, l’ingénieur en chef Chagnon de la CEC informe le sous-ministre Dussault du ministère des Ressources hydrauliques du Québec que le fait d’avoir fait passer la cote de retenue maximum du barrage Gouin de 1325 pieds à 1329 pieds a pour effet d’augmenter l’ennoiement potentiel en amont du barrage d’une superficie de 51 200 acres. De plus, ajoute-t-il, la végétation sera affectée par infiltration de 2 à 3 pieds au-dessus de la retenue maximum (CCPD, à l’onglet 376).

[268]  À cette preuve documentaire s’ajoute le témoignage des aînés, dont notamment Jérémie et David Chachai, qui relatent la montée des eaux et l’ennoiement de la réserve.

d)  Conclusions quant à l’ennoiement de la réserve

[269]  La démarche et les conclusions auxquelles en arrive le Dr Marche, analysées en tenant compte de l’ensemble de la preuve, me convainquent qu'il y a existence d’un empiétement appréciable, qu’aucune parcelle de terre additionnelle n’a été arpentée et que les Atikamekw d’Opitciwan ont été privés de certaines parties de leur réserve.

[270]  Si la quantification par le Dr Marche du nombre précis d’acres sujets à empiétement n’est pas parfaite, elle donne un ordre de grandeur. Toutefois, tenant compte de l’ensemble des circonstances, j’accepte les chiffres auxquels en arrive le Dr Marche et je conclus quant à l’ennoiement permanent, en retenant la superficie de 2290 acres établie en 1943, à une perte de l’ordre de 109 acres de la réserve initiale. Je permets cependant qu’une preuve additionnelle par un arpentage sur le terrain soit produite lors de la deuxième étape afin de confirmer de façon précise la superficie ennoyée de la réserve.

[271]  Bien que la preuve révèle l’existence probable d’ennoiements additionnels d’une partie de la réserve résultant d’une part de ce que le Dr Marche qualifie d’ennoiement récurrent et, d’autre part, de l’infiltration et de la remontée capillaire des eaux, je ne retiens pas ces pertes car j’estime qu’il s’agit d’inconvénients normaux résultant de l’avantage d’avoir une propriété en bordure de l’eau.

2.  Les obligations de la Couronne fédérale

[272]  Une obligation de fiduciaire peut naître à la charge de la Couronne même si la Couronne choisit de ne pas agir. Tel que nous l’avons vu dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, à l’étape de la création de la réserve, l’obligation de fiduciaire oblige d’agir avec le soin et la diligence qu'une une personne raisonnable apporte à l’administration de ses propres affaires (Wewaykum, aux para 86, 93–94). Une telle obligation implique nécessairement celle de faire des efforts raisonnables afin de protéger les droits d’usage et de jouissance des Atikamekw dans la réserve.

[273]  Par ailleurs, une fois la réserve créée, la Couronne détient une obligation de fiduciaire de préserver l’« intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard ». Cette obligation s’impose à la Couronne sans qu’elle ait le choix d’agir ou non (Wewaykum, aux para 86, 97, 100, 104).

[274]  Malgré la demande de Peters à Rinfret de vérifier si le gouvernement du Québec avait l’intention de hausser le niveau des eaux et d’agir en conséquence, aucune mesure concrète ne s’en est suivie avant l’arpentage de la réserve, au moment de l’arpentage en 1943, ni après. Aucune mesure ou vérification n’a été entreprise non plus afin de s’assurer que l’arpenteur Rinfret avait ajouté des terres de remplacement à la réserve pour pallier la possibilité prévisible d’inondation.

[275]  Considérant son obligation de fiduciaire, le DAI aurait pu prendre des mesures afin de tenter de placer la réserve au-dessus de la limite d’exploitation maximum prévue. Au minimum, elle se devait d’arpenter une superficie additionnelle de rechange en cas de rehaussement des eaux. Ces précautions s’imposaient d’autant plus que la Couronne fédérale savait que les Atikamekw d’Opitciwan avaient déjà subi une inondation importante lors de la mise en eau du réservoir Gouin en 1918. Elle connaissait les inconvénients et les dommages causés aux Atikamekw par la montée des eaux. Le DAI avait d’ailleurs reconnu que les Atikamekw avaient alors été « seriously inconvenienced ». En 1943, lorsqu’elle donne ses instructions à Rinfret, la Couronne fédérale savait ou ne pouvait ignorer que l’augmentation de la cote du déversoir allait avoir un impact sur les terres de la réserve.

[276]  La Couronne a aussi violé ses obligations légales et de fiduciaire après les travaux de la CEC visant à augmenter la capacité d’emmagasinage du réservoir Gouin, n’ayant pas jugé opportun d’envoyer à Opitciwan un arpenteur et des inspecteurs pour vérifier la superficie des terres ennoyées et faire l’inventaire des pertes matérielles et autres des Atikamekw. Pourtant, comme il a été indiqué dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, sans que l’on puisse parler de politique établie, la Couronne fédérale avait pris des mesures semblables lors d’inondations survenues dans d’autres réserves indiennes, notamment la réserve de Pointe-Bleue.

[277]  Après l’inondation résultant des rehaussements de la crête en 1942 et en 1955-56, la Couronne fédérale n’a pris aucune mesure ni entrepris aucune discussion avec le gouvernement du Québec pour ajouter à la réserve la contenance empiétée par la hausse des eaux du réservoir, ni pour s’assurer que les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan soient compensés, malgré la recommandation de son agent Larivière en 1942.

[278]  Tel que vu au chapitre précédent, l’inondation de la réserve après sa création constituait une forme d’utilisation de la réserve. Cet empiétement aurait dû faire l’objet d’une cession après consultation des membres de la bande d’Opitciwan conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens (Loi de 1927, art 51 et Loi de 1952, art 37 à 41) ou, alternativement, la portion de la réserve sujette à l’ennoiement aurait dû être expropriée (Loi de 1927, art 48 et Loi de 1952, art 35). Quelle que soit la mesure prise, les Atikamekw d’Opitciwan auraient eu droit à une compensation.

[279]  Les Atikamekw d’Opitciwan n’ayant pas cédé les parties de leur réserve sujettes à l’ennoiement, et celles-ci n’ayant pas été expropriées, l’ennoiement de la réserve depuis sa création constituait un empiétement illégal prohibé par la Loi sur les Indiens (Loi de 1927, art 34 et 39 et Loi de 1952, art 31).

[280]  Une fois la réserve d’Opitciwan créée, certaines dispositions législatives imposaient à la Couronne fédérale des obligations légales à l’égard des Atikamekw d’Opitciwan, de leurs terres et de leur propriété (« chatels »), notamment :

  1. l’article 4 de la Loi de 1927, qui stipulait que le ministre désigné à cette fin par le gouverneur en conseil était le surintendant des Affaires indiennes et qu’à ce titre, il était investi du contrôle et de l’administration des terres et de la propriété des Indiens au Canada;

  2. l’article 18 de la Loi de 1952, qui stipulait que la Couronne fédérale détenait les réserves indiennes « à l’usage et au profit »des bandes concernées, et que le gouverneur en conseil pouvait décider si tout objet, pour lequel des terres dans la réserve devaient être utilisées, se trouvait à l’usage et au profit de la bande;

  3. les articles 34 à 39 de la Loi de 1927 et les articles 30 et 31 de la Loi de 1952, qui autorisaient la Couronne à prendre action ou autres mesures pour faire cesser tout empiétement dans une réserve indienne.

[281]  À l’égard de l’article 18 de la Loi sur les Indiens, dans Guerin c R, [1984] 2 RCS 335 aux pp 348–51, 13 DLR (4th) 321, la juge Wilson dit ceci :

Bien que je sois aussi d’avis que l’art. 18 n’impose pas en soi à Sa Majesté une obligation de fiduciaire à l’égard des réserves indiennes, je crois qu’il reconnaît l’existence d’une telle obligation. L’obligation à sa source dans le titre aborigène des Indiens du Canada […].

Je crois qu’en disposant que les réserves seront détenues par Sa Majesté à l’usage et au profit des bandes pour lesquelles elles sont mises de côté, l’art. 18 fait plus que donner une directive administrative à Sa Majesté. Je crois qu’il s’agit de la reconnaissance d’une réalité historique, savoir que les Indiens ont un droit de bénéficiaire sur leurs réserves et qu’il incombe à Sa Majesté de protéger ce droit et de s’assurer que les fins auxquelles les terres des réserves sont utilisées ne portent pas atteinte à ce droit. […] C’est cependant un droit auquel Sa Majesté ne peut porter atteinte ou qu’elle ne peut diminuer par l’utilisation des terres à des fins incompatibles avec le titre indien, à moins évidemment que les Indiens y consentent. Je crois que, dans ce sens, Sa Majesté a une obligation de fiduciaire envers les bandes indiennes relativement à l’utilisation qui peut être faite des terres des réserves, et que l’art. 18 constitue une reconnaissance légale de cette obligation. Par conséquent, je suis d’avis que, bien que Sa Majesté ne détienne pas les terres des réserves en fiducie pour les bandes en vertu de l’art. 18 de la Loi, parce que les droits des bandes sont limités par la nature du titre indien, elle les détient sous réserve de l’obligation qui incombe au fiduciaire de protéger et préserver les droits des bandes contre l’extinction ou l’empiétement.

[…]

Avec égards, bien que je partage l’avis du savant juge que l’art. 18 ne va pas jusqu’à créer une fiducie à l’égard des terres des réserves pour les motifs que j’ai exposés, il n’écarte pas, à mon avis, la compétence en equity des tribunaux. Le pouvoir discrétionnaire accordé au gouverneur en conseil n’est pas un pouvoir illimité de déterminer l’utilisation qui peut être faite des terres des réserves. Il s’agit du pouvoir de décider si une utilisation quelconque qu’on propose d’en faire se trouve «à l’usage et au profit de la bande». Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé selon des principes appropriés et non d’une manière arbitraire. Il n’appartient pas, à mon avis, au gouverneur en conseil de décider qu’une utilisation des terres qui va à l’encontre du titre indien et n’apporte rien à la bande en retour est un «objet» qui se trouve «à l’usage et au profit de la bande». Interpréter ainsi la fin de l’art. 18 équivaut à faire perdre tout son sens à la première partie de cet article. [Soulignement ajouté]

[282]  À cet égard, le juge Binnie dans Wewaykum s’exprime comme suit :

100. […] Les propos de la juge Wilson doivent être considérés comme indiquant que la Couronne doit faire montre de la diligence ordinaire requise pour éviter l’empiétement ou la destruction de l’intérêt quasi propriétal de la bande en raison d’un marché abusif avec des tiers, voire de mesures qui seraient prises par la Couronne elle-même et constitueraient de l’exploitation. (Il va de soi qu’il surviendra également des affaires où il sera question de la responsabilité ordinaire de la Couronne, en tant que fiduciaire, relativement aux pouvoirs administratifs qu’elle exerce à l’égard de la réserve et des biens de la bande.) [Soulignement ajouté]

[283]  Cela dit, la revendicatrice n’a pas à prouver que le gouvernement du Québec aurait été d’accord pour calculer la ligne de rive à la hauteur de la ligne d’exploitation possible ou d’arpenter une parcelle de terre additionnelle. Encore aurait-il fallu que l’intimée le demande et devant un éventuel refus en informe les Atikamekw d’Opitciwan. L’obligation de fiduciaire d’agir au profit des Indiens est une obligation en equity, laquelle impose à la Couronne l’obligation de satisfaire aux normes strictes auxquelles le fiduciaire est tenu de se conformer (Guerin, aux pp 376, 384, 389; Wewaykum, au para 94).

[284]  De toute façon il était peu probable que la CEC aurait refusé d’indemniser les Atikamekw d’Opitciwan si la demande lui en avait été faite par la Couronne fédérale. En fait, rien dans la preuve ne permet d’en arriver à une telle conclusion. À tout événement, en cas de refus, le DAI avait l’option de remettre une dénonciation assermentée au procureur général du Canada, lequel pouvait la produire à la cour de l’Échiquier, tel que le prévoit l’alinéa 31(1)a) de la Loi de 1952 :

31. (1) Sans préjudice de l’article 30, lorsqu’un Indien ou une bande prétend que des personnes autres que des Indiens

a) occupent ou possèdent illégalement […] une partie de réserve,

b) […]

c) […]

le procureur général du Canada peut produire en la Cour de l’Echiquier du Canada une dénonciation réclamant, au nom de l’Indien ou de la bande, le soulagement ou le redressement désiré.

[285]  En conclusion, j’estime que la preuve établit clairement que l’augmentation de la cote d’exploitation du réservoir a conduit à l’inondation d’une partie des terres de la réserve d’Opitciwan. Cet empiétement a entraîné pour les Atikamekw d’Opitciwan une perte d’usage et de jouissance d’environ 109 acres de la réserve pour laquelle ils n’ont jamais été compensés, alors que la Couronne fédérale était informée de la situation avant et après la création de la réserve. La Couronne fédérale savait ou ne pouvait ignorer que la réserve serait ennoyée. Or, elle n’a rien fait malgré l’arsenal juridique dont elle disposait. 

3.  La qualité de l’eau

[286]  Dans la seconde partie de son expertise, le Dr Marche s’attarde à expliquer l’effet de la création et des opérations du réservoir sur la qualité des eaux à Opitciwan. Il explique notamment que le réservoir n’ayant pas été déboisé avant son remplissage, les débris ligneux de même que les matières organiques accumulées sur les rives, dans les baies et dans les marécages ont été brassés et déplacés par les vents et les courants du remplissage.

[287]  Le Dr Marche explique qu’en amont du barrage Gouin, les eaux de surface du réservoir sont devenues turbides, elles se sont appauvries en oxygène en dessous et se sont probablement acidifiées.

[288]  Le Dr Marche affirme que le réservoir subit un marnage annuel important et reçoit des déchets naturels tels les œufs et excréments des animaux qui vivent sur la bande. Le marnage entraîne également un taux élevé de mortalité de ces animaux. Le lessivage de la rive et le mouvement des eaux ramènent tous ces éléments autour du réservoir.

[289]  Le Dr Marche ajoute que le marnage récurrent et l’amplitude exceptionnelle du réservoir ont fait en sorte que la contamination s’est étendue à l’ensemble des eaux du réservoir, puis par les anciens puits et à travers les graviers, les sables du rivage, à la nappe phréatique, rendant les eaux du réservoir et des puits creusés dans le village impropres à la consommation.

[290]  L’intimée a consacré une grande partie de sa preuve à tenter de démontrer qu’en soi, une  substance humique ne constitue pas un contaminant et n’est pas une substance toxique.

[291]  Selon l’expert de l’intimée, le Dr Gagnon, les symptômes dont ont témoigné les aînés ne correspondent pas à des maladies causées par la consommation d’une eau contenant des substances humiques de la nature de celles contenues dans le réservoir Gouin. Selon lui, il n’y a pas de problème de contamination relié à la présence de substances humiques dans le réservoir Gouin et l’oxygénation des eaux du réservoir est bonne.

[292]  L’expert Gagnon soutient que, dans le cas du réservoir Gouin, s’agissant d’un grand lac, l’échange air/eau suffit à contribuer à son oxygénation. De plus, l’eau étant froide, cela favorise le processus. Toutefois, en contre-interrogatoire, il admet qu’il peut y avoir des milieux plus isolés, ou des milieux créés par l’enchevêtrement des bois laissés sur place ou emprisonnés par la végétation dans lesquels peuvent s’accumuler des substances humiques. Une telle accumulation peut favoriser une diminution d’oxygène à ces endroits et l’eau peut devenir médiocre (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, aux pp 154–56) : 

J’ai pas caché que je suspecte, à l’époque, lorsqu’ils ont créé le barrage, qu’il y a certaines zones où la demande chimique et biologique en oxygène était tellement grande que l’on a eu des systèmes appauvris en oxygène, et ces systèmes-là étaient fermés, donc peu d’apports d’eau bien oxygénée. Et aussi non seulement fermés, mais aussi où les détritus, où la végétation peuvent être emprisonnés, et là t’as une forte dégradation de la matière dans ces eaux […] confinées.

[…]

[…] lorsqu’on a des systèmes plus fermés, on a une accumulation de matières de toutes sortes végétales et autres détritus susceptibles d’être dégradés donc on n’obtient pas des conditions favorables pour le maintien d’une bonne qualité de l’eau. Ça, c’est ma réponse en termes que oui on a des zones précises qui… la qualité de l’eau devrait être médiocre même. Je le dis, en toute honnêteté.

[293]  Le Dr Gagnon affirme qu’une substance humique peut être un vecteur de substances contaminantes, c’est-à-dire un transporteur de certains contaminants (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, aux pp 114–15). Il donne, à titre d’exemple, un poisson mort; la substance humique pourrait transporter une protéine de poisson (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, à la p 116). Puis, il précise que la substance humique peut s’associer à un contaminant, mais qu’il doit s’agir d’un contaminant toxique. Or, ajoute-t-il, la décomposition de poissons et de cadavres d’animaux ne génère pas de contamination toxique.

[294]  À la question de savoir si la suspension et la décomposition dans l’eau d’œufs de poissons et autres animaux, de cadavres d’animaux, d’excréments d’oiseaux et d’animaux, ont le potentiel d’être dangereuses pour l’être humain si l’eau est consommée, l’expert Gagnon répond (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, à la p 128) :

Bon, la consommation ou le transport de ces détritus là, hein, bon, c’est une source de contamination bactérienne. C’est ce que je peux dire, puis je continuerai plus après à parler de substances, parce que je vous l’ai dit qu’il y a pas de substances organiques qui sont toxiques issues de la dégradation de ces détritus, je le dis encore. Par contre, vous pouvez me parler de contamination bactérienne.

[295]  À cet égard, il affirme que la substance humique ne transporte pas de contaminant bactérien, précisant qu’une bactérie n’est pas une substance organique toxique. Il admet toutefois que la bactérie a un effet délétère sur l’organisme si elle est consommée. Il admet également que si des œufs de poissons, des détritus d’animaux, des excréments, sont consommés par absorption de l’eau dans laquelle ces substances ont été dissoutes, ou qu’ils se retrouvent dans l’eau percolée, ils constituent un danger pour la santé puisqu’il s’agit d’un contaminant bactérien. Il ajoute cependant que les substances humiques sont considérées en général comme étant très résistantes à l’action bactérienne.

[296]  Lors de son interrogatoire, l’expert Gagnon conclut qu’il n’y a pas de problème avec une hausse de 10 mètres des eaux parce que l’eau du réservoir qui va éventuellement atteindre les puits va être filtrée. Contre-interrogé à savoir si une amplitude d’environ 7 à 8 pieds en l’espace de quelques jours pouvait changer ses conclusions, l’expert Gagnon répond (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, aux pp 196–97) :

R   Je dirais oui, c’est quand même des phénomènes exceptionnels lorsque la hausse des eaux se produit comme ça. C’est certain que si c’est dans ce scénario-là, j’avoue que l’équilibre entre le sol, les constituants de sol et ce qu’on veut retenir, ici dans ce cas-ci les substances humiques, c’est certain qu’il y a un petit peu plus de passage direct.

Q  Bien c’est ça, vous avez les mots que je n’avais pas…

R   Oui.

Q    le passage direct est vraiment…

R   Et dans ce moment-là on appelle ça une contamination des puits de surface. Vous savez, quand qu’il y a une inondation, allez pas puiser de l’eau dans un puits, il y a un problème, O.K., parce que… Et ici je dis un problème un peu partout, parce que le problème vient de partout. Ça peut être une contamination, par exemple, d’une fosse septique qui s'est faite inonder juste à côté, et là on vient de tout mélanger ça, puis là on contamine le puits aussi.

C’est pour ça que je vous dis, aussitôt qu’on parle de monter beaucoup le niveau, si c’est trop là, parce que moi je pensais… ce matin je parlais plus d’un équilibre qui se fait, un qui est plus haut que l’autre, ça se balance. Mais si c’est un évènement plus spectaculaire, une remontée rapide, c’est un peu comme une inondation. […]

Moi ce que [je] vous parlais tout à l’heure, c’était plutôt un équilibre où le sol a un rôle à jouer pour faire en sorte que ce qui est dans le lac, puis ce qui est dans le puits, c’est pas la même chose.

[297]  L’expert Gagnon est contre-interrogé sur l’étude de Santé Canada préparée en 1995 (Pièce P-19), dans laquelle les auteurs concluent que « a safety factor of approximately 100 [mg/L of a low ash preparation of soil fulvic acid] would apply to the human consumption of drinking water containing 2.5 mg of humic acid per litre ». L’expert Gagnon explique que cette recommandation ne constitue qu’une mesure de sécurité étant donné qu’il existe une incertitude quant aux recherches effectuées sur la question, mais que cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait un problème. D’ailleurs, en ce qui le concerne, le chiffre 2,5 est peut-être sécuritaire, mais n’est pas réaliste.

[298]  Puis, il est contre-interrogé à propos de l’étude de l’auteur Aramini (Pièce P-13), où ce dernier fait un lien entre la turbidité des eaux et la gastro-entérite. Plus précisément, l’auteur conclut que la probabilité de trouble gastro-intestinal augmente avec la turbidité.

[299]  Selon l’expert Gagnon, il s’agit d’une étude qui est mal faite. Toutefois, il reconnaît qu’une eau chargée de matière en suspension, en turbidité, est de moins bonne qualité qu’une eau pure et qu’une eau brute de faible qualité peut probablement engendrer certains problèmes dont des troubles gastro-entérites, mais tout dépend de ce qui est charrié dans l’eau. Il ajoute que, finalement, l’étude d’Aramini ne fait que dire (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, aux pp 149–50) :

 «[…] si t’as déjà une eau très turbide, penche-toi pas trop à la traiter, vas-y, va en choisir une autre eau brute», parce que la turbidité va déjà t’indiquer, il y a des grosses chances… je vous le dis, c’est un lien direct, des grosses chances que votre eau est difficilement traitable parce qu’elle draine toutes sortes de choses, des particules en suspension, mais aussi tout ce qui est la vie microbienne, donc problèmes de gastro-entérites.

[300]  L’expert Gagnon témoigne que lorsque l’on parle de substance humique, on parle de coloration, l’eau est colorée par la présence de substances humiques provenant de la décomposition des arbres laissés sur place. Le problème est esthétique, mais ne constitue aucunement un problème pour la santé (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, aux pp 36–37).

[301]  Interrogé par le Tribunal à savoir s’il boirait l’eau directement du réservoir Gouin, l’expert Gagnon répond que oui, mais ajoute (transcription de l’audience, le 22 mai 2014, à la p 38) :

Mais on parle ici, peut-être pas d’intérêt à le boire, mais ici est-ce que j’aurais eu un effet? Je n’aurais pas eu d’effet. Les substances humiques à ces teneurs-là ne donnent pas d’effet. C’est des faits scientifiques.

[302]  Cependant, il admet qu’une eau colorée peut avoir une odeur. Il reconnaît que cela constitue un désagrément et qu’il n’est pas intéressant d’avoir une eau sulfureuse, mais ajoute que ce n’est pas dangereux pour la santé, mais que l’on ne peut ignorer que le goût d’une eau composée de substances humiques n’a rien de comparable avec une eau pure.

[303]  Bien que le Dr Gagnon ne nie pas l’existence possible d’un problème de méthylation du mercure qui ait pu contaminer la chaîne alimentaire, il ne peut se prononcer sur le niveau de la contamination humaine, ne connaissant pas ce qui se consommait comme poissons à cette époque ni la quantité consommée.

[304]  Cela dit, je retiens du témoignage de l’expert Gagnon qu’en soi les substances humiques ne sont pas toxiques et ne constituent pas un contaminant. Cependant, une très forte présence de substances humiques dans un endroit fermé diminue la qualité de l’eau et que la présence d’excréments ou de carcasses d’animaux dans l’eau peut causer une contamination bactériologique.

[305]  Par ailleurs, si aujourd’hui le phénomène de méthylmercure dans les réservoirs non déboisés et son impact sur la chaine alimentaire sont connus, il n’y a pas de preuve permettant de conclure à un lien entre les problèmes de santé dont font état les aînés, soit des maux de ventre, et leur consommation de poissons eu égard à l’existence du méthylmercure.

[306]  Cependant, en l’espèce, il n’est pas uniquement question de mercure et de substances humiques dans l’eau, mais aussi d’œufs de poissons et de corps d’animaux en décomposition, d’excrément d’oiseaux et d’animaux, donc de contaminants bactériologiques et d’un marnage annuel important du réservoir.

[307]  Or, le Dr Gagnon admet qu’une contamination bactériologique peut résulter de la décomposition de ces éléments dans l’eau et peut causer des problèmes de santé et des troubles gastro-entérites.

[308]  La preuve documentaire analysée dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11 qui se rapportait aux évènements survenus après le premier ennoiement et le témoignage des aînés établit que des individus ont souffert de maux de ventre après avoir consommé l’eau du réservoir et que certains sont décédés. Cette preuve démontre également qu’outre les problèmes de santé résultant de l’insalubrité des eaux, les dommages subis par les Atikamekw d’Opitciwan englobaient également les inconvénients résultant d’une eau composée de substances humiques.

[309]  Compte tenu de ce qui ressort des expertises des experts Marche et Gagnon, l’analyse des témoignages des aînés et de la preuve documentaire eu égard aux rehaussements du réservoir  s’impose.

[310]  Or, cette preuve démontre que les Atikamekw d’Opitciwan ont été aux prises avec des problèmes récurrents d’eau impropre à la consommation, d’eau qui percole et de puits affectés en raison des variations du niveau de l’eau dans le réservoir, tel que le démontre la correspondance suivante :

  1. Dans un mémo du 31 juillet 1941 adressé à la division des Affaires indiennes dudépartement des mines et ressources, l’agent Larivière du DAI relate les problèmes avec les puits. Il indique également que les Atikamekw d’Opitciwan font bouillir leur eau vingt minutes alors qu’ils devraient la faire bouillir pendant trente minutes, mais que « [n]o sickness has developed from this so far ». Il ajoute : « Water from Lake appears to be seeping through ground together with surface water. This might be the reason why well water is unsafe » (soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 312);

  2. Dans un autre mémorandum en date du 3 septembre 1941, toujours adressé au même département, l’agent Larivière écrit : « Analysis of water at Obijuan, Que., revealed the water supply from lake as well as your wells was unsafe, since this was found, your Post Manager as well as the Indians were advised to take necessary precautions ». L’agent Larivière demande de désinfecter les puits et demande que les dépenses soient assumées par le DAI (soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 313);

  3. Le 12 mars 1944, dans un mémorandum interne, J.M. Wardle, directeur de la division de l’arpentage et de l’ingénierie au département des mines et ressources, fait état de la situation avec la construction des puits à Opitciwan (CCPD, à l’onglet 345);

  4. Le 30 novembre 1944, l’agent Larivière, s’adresse à nouveau au département mines et ressources - division des affaires indiennes , et écrit : « Due to the number of sick persons every summer, difficulties to secure water, the Gouin Reservoir levels affecting much, etc., I consider very important to reduce medical cost and relief, that this Reserve be provided at least with a good well, this if humanly possible for next summer […]; a good well, on this Reserve, I think, would pay itself in one summer ». En note en bas de page, on lit : « according to the analysis this water is unsafe »(soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 347);

  5. Le 11 décembre 1944, le directeur par intérim du DAI répond à la lettre du 30 novembre de l’agent Larivière et écrit notamment : « According to the analysis of water which you sent in with your letter of November 30, the water is unsafe and I would ask you to advise the Indians that all water used for drinking purposes should be boiled » (soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 348);

  6. Dans une note d’information préparée avec des renseignements fournis par l’agent Larivière et datée du 1er mai 1945, on lit : « Then reservoir was completed – trees were flooded and water is not good for domestic use » (soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 350);

  7. Dans un mémorandum daté du 12 mars 1946, J.W. Wardle écrit ceci concernant les puits à Opitciwan : « As the wells were drilled to serve a camping area a test of the quality of the water if taken this coming Spring or early Summer might not be conclusive evidence of the quality of the water at the time water was obtained, as contamination from the surface might have occurred subsequently »(soulignement ajouté; CCPD, à l’onglet 354);

  8. En novembre 1946, l’agent Larivière, dans un mémorandum adressé à la division des affaires indiennes du département mines et ressources, recommande de ne payer que pour un seul puits, car les deux autres ne sont pas satisfaisants (CCPD, à l’onglet 355, voir également les onglets 345 et 357).

[311]  Tenant compte de la preuve documentaire dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, on constate que les problèmes reliés à la qualité de l’eau ont débuté à la suite du remplissage du réservoir en 1918-20 et ne sont toujours pas réglés en 1946. Il est clair de la preuve que l’eau était toujours impropre à la consommation après le rehaussement autorisé en 1942.

[312]  La preuve démontre également qu’après 1942, les Atikamekw d’Opitciwan ont continué à subir des inconvénients résultant de la mauvaise qualité des eaux. Si les problèmes de santé se sont parfois atténués parce que les Atikamekw font bouillir leur eau, comme le constate la lettre de l’agent Larivière, ils n’ont pas été entièrement éliminés, comme en fait état la lettre de 1944 de l’agent Larivière.

[313]  Comme je l’ai mentionné dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, outre les problèmes de santé, les aînés ont également témoigné sur les inconvénients reliés à la mauvaise qualité de l’eau; ils ont parlé qu’ils devaient utiliser une eau colorée et odorante pour la lessive et la cuisine, qu’ils ont dû défricher un corridor en forêt pour aller s’approvisionner ailleurs en eau potable, qu’ils devaient effectuer de longues marches en forêt avec des chaudières pour ramener de l’eau potable à Opitciwan; qu’ils ont creusé eux-mêmes des puits ou points d’eau dans le village afin d’avoir accès à de l’eau plus près de leur habitation. Ils ont de plus fait état de la montée des eaux à la suite du deuxième rehaussement et de la contamination des puits résultant de la montée des eaux du réservoir.

[314]  Selon Jérémie Chachai, à la suite de la première inondation en 1920, après la construction des maisons avec les matériaux fournis par la CEC, désirant mettre un terme à leurs longues marches en forêts pour aller chercher de l’eau potable, les Atikamekw ont creusé quatre puits ou points d’eau d’une vingtaine de pieds de profondeur dans le village. Ces puits ont réglé la situation jusqu’au deuxième rehaussement des eaux. Les eaux du réservoir ont alors submergé les puits et pollué l’eau des puits. Enfant, il a vu lui-même l’eau submerger les puits. Les autres aînés ont témoigné de la construction de ces puits par les Atikamekw et du fait qu’ils ont été submergés par le rehaussement des eaux.

[315]  Le témoignage des aînés et la preuve documentaire démontrent que les difficultés d’approvisionnement en eau potable ont perduré pendant de nombreuses années et subsisté après la création de la réserve, affectant ainsi les droits d’usage et de jouissance des Atikamekw dans la réserve d’Opitciwan.

[316]  Ainsi, il appert de la preuve que tous ces inconvénients étaient étroitement liés aux empiétements des eaux du réservoir Gouin sur une partie de la réserve d’Opitciwan. 

[317]  La preuve démontre que bien qu’alerté des problèmes vécus par les Atikamekw d’Opitciwan, le DAI a négligé d’intervenir rapidement pour apporter une solution à ces égards. Le DAI a donc manqué à ses obligations légales et de fiduciaire, à savoir, ses devoirs de loyauté, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de prudence ordinaire dans l’intérêt des Atikamekw d’Opitciwan. Après la création de la réserve, elle a manqué à ses devoirs de protéger et de préserver l’intérêt en common law de ces derniers.

D.  Quelles sont les pertes susceptibles d’être compensées lors de la deuxième étape?

[318]  En raison des violations par la Couronne fédérale de ses obligations légales et de fiduciaire, je reconnais les droits de la revendicatrice à recevoir :

  1. Une indemnité pour la valeur et la perte d’usage et de jouissance d’environ 109 acres des terres de la réserve résultant de l’inondation à la suite des travaux de relèvement de la crête du déversoir du barrage Gouin autorisés en 1942 et en 1955-56;

  2. Une indemnité pour les dommages et inconvénients des Atikamekw d’Opitciwan résultant de la consommation et l’usage d’une eau impropre due au rehaussement des eaux :

  • Sur la santé des Atikamekw;

  • Sur les inconvénients causés aux Atikamekw d’Opitciwan, notamment la destruction des puits ou des points d’eau creusés par les Atikamekw, les délais relatifs à la fourniture de puits et les difficultés d’approvisionnement.

[319]  Pour les motifs énoncés dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, je ne reconnais pas les dommages subis par les Atikamekw d’Opitciwan à l’extérieur de la réserve, le Tribunal n’ayant pas compétence à cet égard. Contrairement à l'inondation de 1918, l’entente conclue en 1920 avec la CEC ne s’applique pas aux dommages résultant de l’ennoiement faisant suite aux rehaussements de la crête du déversoir en 1942 et en 1955-56.

[320]  La preuve me convainc qu’il existe un lien direct entre les torts dont se plaint la revendicatrice et la relation fiduciaire ainsi que l’obligation de fiduciaire de la Couronne fédérale. J’estime cependant que les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan résultent aussi de la négligence de la province de Québec et de la CEC dans l’exécution de leurs obligations envers ces derniers.

[321]  N’ayant pas de preuve suffisante pour me permettre d’attribuer un pourcentage de responsabilité à la Couronne fédérale par rapport à la Couronne provinciale, le débat devra se faire lors de la deuxième étape. 

V.  dispositif

[322]  Tel qu’indiqué dans la décision 2016 TRPC 6 du dossier SCT-2004-11, et pour les motifs données dans la présente décision, je rejette l’objection de l’intimée cherchant à faire déclarer inadmissible le rapport et le témoignage de l’expert Claude Marche.

[323]  Pour tous les motifs ci-haut énoncés, je conclus que la Couronne fédérale a manqué à son obligation légale et de fiduciaire durant le processus de création de la réserve et après la création de celle-ci.

[324]  Ces manquements ont occasionné des pertes à la revendicatrice devant être compensées.

[325]  Je reconnais les pertes énumérées au paragraphe 318 de la présente décision. La quantification de celles-ci fera l’objet de la deuxième étape.

[326]  La Couronne provinciale a une part de responsabilité. La part respective de la Couronne fédérale par rapport à celle de la Couronne provinciale devra être déterminée lors de la deuxième étape.

JOHANNE MAINVILLE

L’honorable Johanne Mainville


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20160520

Dossier : SCT-2007-11

OTTAWA (ONTARIO), le 20 mai 2016

En présence de l’honorable Johanne Mainville

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX:

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN

Représentée par Me Paul Dionne et Me Marie-Ève Dumont

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Éric Gingras, Me Dah Yoon Min et Me Ann Snow

 

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