Motifs de la demande

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DOSSIER : SCT-5005-19

RÉFÉRENCE : 2021 TRPC 4

DATE : 20211110

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE DE KAHKEWISTAHAW No 72

Revendicatrice (défenderesse)

 

Me Ryan M. Lake et Me Sheryl Manychief, pour la revendicatrice (défenderesse)

— et —

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée (demanderesse)

 

Me Scott Bell et Me Jessica Karam, pour l’intimée (demanderesse)

 

 

ENTENDUE : Le 21 octobre 2021

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L'honorable Victoria Chiappetta, présidente


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3.

Règlement cité :

Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119, r 10.

Sommaire :

Demande de scission d’instanceRevendication complexeQuestions étroitement liéesRèglement juste, rapide et économique

Les présents motifs portent sur une demande de scission d’instance déposée par l’intimée et contestée par la revendicatrice. Le Tribunal a reconnu que la présente revendication est complexe et qu’elle s’étend sur plus de 80 ans. Le Tribunal a toutefois conclu qu’il était suffisamment outillé pour statuer sur ce genre de revendication complexe, de grande ampleur et de nature à la fois technique et historique. En outre, il est arrivé à la conclusion que la question du lien de causalité soulevée à l’étape du bien-fondé et la question des dommages-intérêts étaient indéniablement liées, et que les parties gagneraient du temps si les différents experts et évaluateurs travaillaient de concert.

Le Tribunal a conclu qu’outre des assertions fondées sur des conjectures, aucun élément de preuve « précis et convaincant » (Première Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3, au para 12) ne lui avait été présenté é pour démontrer que la scission de l’instance permettrait un règlement juste, rapide et économique de la revendication.

La demande est rejetée.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction 4

II. CONTEXTE 4

III. ANALYSE 5

IV. CONCLUSION 8


 

I. Introduction

[1] L’intimée, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones, a déposé la présente demande de scission de l’instance afin que le Tribunal ordonne que l’audition de la revendication se déroule en deux étapes distinctes, soit celle du bien-fondé et celle de l’indemnisation. Elle soutient qu’une ordonnance de scission de l’instance permettrait un règlement plus efficace, plus rapide et plus économique de la revendication et qu’une telle ordonnance serait conforme aux directives de pratique du Tribunal des revendications particulières (le « Tribunal »).

[2] La requérante, la bande de Kahkewistahaw no 72, n’est pas du même avis. Elle soutient que la scission de l’instance serait inutile et qu’elle entraînerait un gaspillage des ressources judiciaires. Elle ajoute que le fait de procéder ainsi lui causerait un préjudice puisqu’elle s’est déjà engagée à faire valoir la revendication dans son intégralité. Selon la revendicatrice, les questions découlant de la revendication sont fondamentalement liées et interdépendantes, si bien qu’à supposer que la demande de l’intimée soit accueillie, la scission de l’instance entraînerait un retard important dans le règlement définitif de cette revendication de longue date.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la demande de scission devait être rejetée, car l’intimée n’a pas établi que scinder l’instance en deux serait le moyen le plus juste, le plus rapide et le plus économique de statuer sur le bien-fondé de la revendication.

II. CONTEXTE

[4] En octobre 2008, la revendicatrice a déposé auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (l’ancien nom du ministre des Relations Couronne-Autochtones) une revendication particulière dans laquelle elle reprochait à l’intimée d’avoir manqué aux obligations qu’elle avait à son égard relativement à la construction et à l’exploitation illégales d’installations de régulation des eaux aux lacs Crooked et Round en 1941, ainsi qu’aux inondations, aux intrusions et aux autres dommages causés à ses terres de réserve par suite de ces activités.

[5] Aucune lettre du ministre n’a été déposée en preuve par les parties, mais la revendicatrice affirme que, dans une lettre datée du 20 mai 2011, le ministre l’a informée : a) qu’il avait décidé de ne pas accepter la revendication aux fins de négociation puisqu’il n’y avait aucune obligation légale dont le Canada ne s’était pas acquitté; b) que, pour trois des allégations, la revendicatrice avait fourni [traduction] « une preuve insuffisante » pour démontrer que les barrages avaient provoqué l’inondation de ses réserves; c) que les inondations étaient saisonnières ou causées par les conditions météorologiques (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, déposé auprès du Tribunal le 19 août 2021, au para 5).

[6] La revendicatrice a déposé sa déclaration de revendication auprès du Tribunal 19 juin 2019, et des modifications à celle-ci le 12 mai 2021. L’intimée a déposé sa réponse à la déclaration de revendication le 13 septembre 2019.

III. ANALYSE

[7] Aux termes de la règle 10 des Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119, si le bien-fondé d’une revendication et l’indemnité afférente sont en litige, le président peut ordonner que l’audition de ces questions se déroule en étapes distinctes. Pour des motifs plus précisément énoncés dans la décision Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3, le Tribunal a conclu ce qui suit au paragraphe 12 :

Quand les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la question de la scission de l’instance, le président du Tribunal ne rend l’ordonnance que s’il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la scission de l’instance favorisera un règlement juste, économique et rapide de la revendication. La scission est une mesure procédurale extraordinaire qui ne devrait être ordonnée que dans des cas exceptionnels où il existe des éléments de preuve précis et convaincants établissant que la scission permettra au Tribunal de remplir son mandat. Il incombe à la partie qui sollicite l’ordonnance de scission de l’instance de prouver que l’ordonnance doit être accordée (Realsearch Inc c Valon Kone Brunette Ltd, 2004 CAF 5, au para 15, [2004] 2 RCF 514; Apotex Inc c Bristol-Myers Squibb Co, 2003 CAF 263, au para 10, [2003] ACF no 950).

[8] J’ai conclu que l’intimée n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la scission de l’instance constituerait un moyen juste, économique et rapide de régler la revendication sur le fond. En l’espèce, au-delà d’une simple affirmation en ce sens, rien n’indique que la scission permettra un règlement. De même, le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la scission permettra de résoudre plus rapidement toutes les questions. L’intimée n’a pas encore commencé à présenter ses arguments en ce qui concerne l’indemnisation. Comme il est possible que les questions en litige fassent l’objet de contrôles judiciaires distincts et qu’elles soient éventuellement portées en appel, et comme l’intimée met habituellement du temps pour retenir les services d’experts et demander à ces experts de préparer un rapport, il y aura un délai important entre la fin de l’étape du bien-fondé et l’audience sur la question de l’indemnité. Enfin, il n’y a aucun élément de preuve « précis et convaincant » qui démontrerait que la scission de l’instance permettra de circonscrire les questions en litige; seule a été avancée l’hypothèse selon laquelle les deux experts pourraient être incapables d’établir un lien de causalité entre la construction des installations de régulation des eaux des lacs Crooked et Round et les inondations ou autres dommages causés aux terres de réserve, ce qui ne laisserait que la question de l’intrusion et de l’emplacement du barrage du lac Round à trancher. La revendication est complexe et s’étend sur plus de 80 ans, mais le Tribunal est suffisamment outillé pour statuer sur des revendications complexes, de grande ampleur et de nature à la fois technique et historique.

[9] L’intimée fait valoir que si les experts en indemnisation ne disposent pas de renseignements sur la nature, l’emplacement, le moment et la cause des inondations ou des autres dommages, ils n’auront pas le contexte nécessaire pour éclairer et orienter leurs recherches. Vu le nombre de résultats possibles, la tâche sera ardue et leur travail, inefficace et coûteux. L’intimée ajoute que la preuve d’expert concernant l’indemnisation, à savoir les rapports d’expert sur la perte d’usage des terres et la valeur marchande actuelle de celles-ci, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, sera séparée de la preuve d’expert portant sur la question du bien-fondé de la revendication, laquelle comprendra des rapports historiques, d’agrologie et d’hydrologie.

[10] Je ne crois pas que, selon la prépondérance des probabilités, la scission de la revendication entraînera une diminution des coûts et une augmentation de l’efficacité. Déterminer la nature, l’emplacement, le moment et la cause d’une inondation est un exercice complexe qui ne peut être réalisé que si trois experts différents sont consultés : un expert en histoire, un expert en agrologie et un expert en hydrologie (les « trois experts »). Les nombreuses recherches, les études, les renseignements, les hypothèses et les conclusions des trois experts permettront forcément d’évaluer les dommages subis. L’évaluateur ne sera pas en mesure de se prononcer sur les pertes et de les évaluer avant de connaître les conclusions des trois experts, mais il sera prêt à le faire dès qu’il en aura pris connaissance, puisqu’il disposera du contexte et aura déjà participé au processus complexe d’établissement du lien de causalité. Les quatre experts seront à même de présenter au Tribunal une opinion cohésive et concordante sur les deux questions les plus importantes et les plus étroitement liées ayant été soulevées dans le cadre de la revendication : celle du lien de causalité et celle des dommages-intérêts.

[11] L’intimée soutient que l’évaluateur sera contraint de préparer des rapports supplémentaires chaque fois que les trois experts réviseront leur opinion, ce qui entraînera encore plus de coûts et d’inefficacités. Il est allégué que les trois experts réviseront, selon toute vraisemblance, leur opinion après avoir examiné les conclusions des experts de l’intimée sur le bien-fondé. À mon avis, cette assertion n’est que pure spéculation. Fait plus important encore, elle ne tient pas compte des gains d’efficience que permettra la collaboration entre les trois experts et l’évaluateur. Les questions du lien de causalité et des dommages-intérêts sont indéniablement liées; les opinions sur l’une dictent les opinions sur l’autre. Le simple fait que les experts puissent procéder à des révisions nécessite une collaboration entre les différents professionnels. Dans ces circonstances, il n’est pas efficace de faire en sorte que l’évaluateur travaille indépendamment des trois experts, sans avoir la possibilité de connaître le contexte à partir duquel ceux-ci ont tiré ou révisé leurs conclusions. Il n’est pas non plus efficace de demander aux trois experts de procéder à une révision en vase clos, sans bénéficier de l’évaluation initiale ni tenir compte de l’effet d’une révision des conclusions sur les dommages-intérêts.

[12] L’intimée soutient en outre que le Tribunal ne peut accepter aucune des opinions sur le lien de causalité telles qu’elles ont été présentées respectivement par les parties, car tous les avis sur l’évaluation historique et actuelle du marché et sur la perte d’usage qui seront préparés avant que le Tribunal rende une décision sur le bien-fondé deviendront alors futiles. Encore une fois, cette assertion relève de la spéculation et reste peu probable. Toutefois, le Tribunal et les parties feraient mieux d’attendre qu’une telle éventualité se produise pour y réfléchir, le cas échéant. Il ne s’agit pas là d’une raison pour scinder la revendication à ce stade précoce de l’instance.

[13] La revendicatrice a retenu les services d’experts en histoire, en agrologie et en hydrologie. Elle a également retenu les services d’un évaluateur expert. Les quatre experts travaillent de concert pour fournir des rapports d’opinion dans leur domaine d’expertise. L’intimée n’a pas encore commencé à préparer sa cause relativement à l’indemnisation. Elle doit maintenant s’y atteler pour éviter tout retard dans la limitation des questions et dans leur présentation exhaustive au Tribunal en vue d’un règlement définitif.

IV. CONCLUSION

[14] La demande de l’intimée visant à scinder l’audition de la revendication en deux étapes distinctes, soit celle du bien-fondé et celle de l’indemnité, est rejetée.

VICTORIA CHIAPPETTA

L’honorable Victoria Chiappetta, présidente

Traduction certifiée conforme
Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20211110

Dossier : SCT-5005-19

OTTAWA (ONTARIO), le 10 novembre 2021

En présence de l’honorable Victoria Chiappetta, présidente

ENTRE :

BANDE DE KAHKEWISTAHAW No 72

Revendicatrice (défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée (demanderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice (défenderesse) BANDE DE KAHKEWISTAHAW No 72

Représentée par Me Ryan M. Lake et Me Sheryl Manychief

Maurice Law, avocats

ET AUX :

Avocats de l’intimée (demanderesse)

Représentée par Me Scott Bell et Me Jessica Karam

Ministère de la Justice

 

 

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