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DOSSIER : SCT‑5001‑13

TRADUCTION OFFICIELLE

RÉFÉRENCE : 2018 TRPC 3

DATE : 20180403

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

Première Nation de Kawacatoose, Première Nation de Pasqua, Première Nation de Piapot, Première Nation de Muscowpetung, Première Nation de George Gordon, Première Nation de Muskowekwan et Première Nation de Day Star

Revendicatrices (Défenderesses)

 

Aucune comparution pour les revendicatrices (défenderesses)

– et –

 

 

Première Nation de Star Blanket

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Me Aaron B. Starr et Me Galen Richardson, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION DE LITTLE BLACK BEAR

Revendicatrice (Demanderesse)

 

Me Aaron Christoff, pour la revendicatrice (demanderesse)

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION DAKOTA DE STANDING BUFFALO

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Me Mervin C. Phillips et Me Leane Phillips, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION DE PEEPEEKISIS

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Me Michelle Brass, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Défenderesse)

 

Me Lauri M. Miller et Me Donna Harris, pour l’intimée (défenderesse)

 

 

ENTENDUE : Le 20 mars 2018

MOTIFS DE LA DEMANDE

L’honorable W. L. Whalen

LE TRIBUNAL EST SAISI D’UNE DEMANDE PRÉSENTÉE PAR LA PREMIÈRE NATION DE LITTLE BLACK BEAR en vue de lui permettre de procéder à l’interrogatoire de l’intimée dans le cadre d’un interrogatoire préalable.


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne Wewayakum c Canada, [1991] 3 CF 420, [1992] 2 CNLR 177 (CFPI); Knight c Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653, 69 DLR (4e) 489; Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175; Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 2006 CF 282, [2006] 4 RCF 104; Faulding (Canada) Inc c Pharmacia SpA, [1999] ACF no 448, 87 ACWS (3e) 788; Bande de Montana c Canada, [2000] 1 CF 267, [1999] 4 CNLR 65 (CFPI); Canada c Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120; Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2007 CF 1195; Merck & Co, Inc c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459; Six Nations of the Grand River Band of Indians c Canada (Attorney General), [2000] OJ No 1431, 48 OR (3e) 377 (C. div. Ont.); Cherevaty c Canada, 2016 CAF 71; Haylock c Norway (Ship), 2003 CF 932, 239 FTR 147.

Lois et règlements cités :

Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011‑119, art 30, 60, 62, 63, 64, 65, 72, 73, 2 et 5.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, préambule, art 22, 13, 6 et 34.

Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl 194, art 31 et 36.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, art 235, 236, 234, 88, 237, 244, 238, 242, 243, 246, 248, 240, 81, 82 et 3.

Doctrine citée :

The Oxford Canadian Dictionary, 1re éd., sous l’entrée « format ».

Linda Abrams, protonotaire, Kevin McGuinness et Jay Brecher, Halsbury’s Laws of Canada Civil Procedure (réédition, 2017).

Abrams et McGuinness, Canadian Civil Procedure Law (2e éd.).

Paul Perell et John Morden, The Law of Civil Procedure in Ontario (2e éd.).


 

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction  6

II. CONTEXTE  8

III. DROIT  9

A. Règles sous‑tendant l’interrogatoire préalable  9

B. Garanties procédurales  15

C. Pertinence  18

IV. Analyse juridique  20

A. Nature générale des questions pour l’interrogatoire  20

B. Affidavit de Guglielmin  22

C. Affidavit de documents  27

D. Questions si anciennes qu’il n’en reste plus de témoin, position juridique et avis juridique  28

E. Questions sur les positions juridiques  29

F. Meilleure forme d’interrogatoire préalable  30

G. Questions écrites  33

H. Demande de Standing Buffalo  35

V. Conclusion  36


 

I.  Introduction

[1]  La Première Nation de Little Black Bear (Little Black Bear ou demanderesse) a présenté une demande pour procéder à l’interrogatoire de l’intimée dans le cadre d’un interrogatoire préalable afin de déterminer quelles Premières Nations étaient censées bénéficier de l’attribution et de l’éventuelle cession de la réserve indienne Last Mountain Lake no 80A (RI no 80A). Elle souhaite également connaître la politique et les motifs du Canada à l’égard de ces questions. La demande est fondée sur la pertinence et la nécessité, et l’intimée s’y oppose pour des raisons de procédure et de fond. L’intimée a indiqué de façon générale qu’elle ne possède aucune autre information que celle contenue dans les documents qui ont été produits jusqu’à présent à la suite d’une recherche minutieuse et exhaustive.

[2]  Dans la demande, la réparation sollicitée est la suivante :

  1. Une ordonnance du Tribunal autorisant la demanderesse à présenter une demande au titre de l’article 30 des Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011‑119 [Règles du Tribunal ou Règles];

  2. Une ordonnance permettant à la demanderesse de procéder à l’interrogatoire de l’intimée dans le cadre d’un interrogatoire préalable en application de l’alinéa 60(1)a) des Règles.

[3]  Au départ, la demanderesse avait demandé de procéder à un interrogatoire préalable de vive voix ou par écrit. Cependant, à l’audience, elle a demandé à interroger l’intimée de vive voix, retirant du coup sa demande de le faire par écrit, puisqu’elle craignait que le Canada cherche à éviter de répondre aux questions. L’intimée a nié avoir eu cette intention, affirmant qu’elle était prête à coopérer.

[4]  À l’appui de la demande, la demanderesse a déposé l’affidavit d’Emily Guglielmin, daté du 22 juin 2017 (affidavit de Guglielmin), ainsi que des extraits des transcriptions des témoignages livrés par des aînés lors d’une audience tenue le 20 juin 2016.

[5]  La demanderesse a également déposé des interrogatoires écrits datés du 30 mai 2017, exigeant que l’intimée réponde aux questions suivantes :

[traduction]

1.  Le Canada reconnaît‑il que l’une des promesses non écrites du Traité no 4 était que le Canada établirait des postes de pêche pour les Premières Nations qui souhaitaient poursuivre la récolte traditionnelle du poisson?

2.   Quelle était la politique du Canada relativement à la mise de côté de réserves à titre de postes de pêche pour les bandes indiennes habitant sur le territoire visé par le Traité no 4?

3.  Comment le Canada a‑t‑il décidé quelles bandes avaient droit à ce que des réserves de pêche soient mises de côté pour leur compte? Quels critères ont été utilisés? Pourquoi des réserves de pêche ont‑elles été mises de côté pour certaines bandes et pas pour d’autres? Le Canada a‑t‑il fait une distinction entre les bandes enclavées et celles dont les réserves bordent les lacs?

4.  Comment le Canada a‑t‑il décidé quand mettre de côté des réserves de pêche?

5.  Comment le Canada a‑t‑il décidé où mettre de côté des réserves de pêche?

6.  Le Canada reconnaît‑il qu’il avait l’obligation d’agir de manière juste et rationnelle en mettant de côté des réserves? Si non, pourquoi?

7.  Pourquoi la RI no 80A a‑t‑elle été mise de côté à titre de poste de pêche?

8.  Pourquoi la RI no 80A a‑t‑elle été mise de côté à titre de poste de pêche pour les Indiens de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle?

9.  La RI no 80A a‑t‑elle été mise de côté pour des bandes en particulier? Le cas échéant, pourquoi certaines bandes ne figuraient‑elles pas dans la liste au moment de son arpentage?

10.  Si le Canada affirme que la RI no 80A n’a pas été mise de côté en partie pour la Première Nation de Little Black Bear, est‑ce qu’une réserve de pêche l’a alors déjà été?

11.  Si le Canada dit qu’une réserve de pêche n’a jamais été mise de côté pour Little Black Bear, pour quels motifs a‑t‑il été décidé que Little Black Bear ne recevrait pas un poste de pêche?

12.  Si aucune réserve de pêche n’a jamais été mise de côté pour Little Black Bear, le Canada convient‑il qu’il avait et qu’il continue d’avoir l’obligation de mettre de côté une réserve de pêche pour Little Black Bear? [Pièce A de l’affidavit de Guglielmin]

[6]  Finalement, aucune des autres revendicatrices n’a consenti ni ne s’est opposée à la demande.

[7]  La revendicatrice Première Nation Dakota de Standing Buffalo (Standing Buffalo) a déposé une réponse, disant douter qu’un interrogatoire préalable permette d’évaluer son intérêt dans la RI no 80A. Cependant, elle a demandé à ce que, si la demande était accueillie, les parties soient autorisées à poser des questions découlant des réponses de l’intimée. À l’audition de la demande, Standing Buffalo appuyait celle‑ci.

II.  CONTEXTE

[8]  La présente revendication porte sur la cession, l’aliénation et la gestion de la RI no 80A, qui est située le long de la rivière du Petit‑Bras‑Coupé dans la vallée de la Qu’Appelle, au nord‑ouest de Regina, en Saskatchewan. La RI no 80A est située sur le territoire visé par le Traité no 4, un vaste secteur comprenant la majeure partie du sud de la Saskatchewan, dont la vallée de la Qu’Appelle et Touchwood Hills.

[9]  La RI no 80A s’étendait sur 1 408 acres (environ 2,2 milles carrés). À l’origine, elle a été arpentée par M. John C. Nelson et confirmée par le décret C.P. 1889‑1151 du 17 mai 1889 à titre de [traduction] « poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Le décret n’indiquait pas quelles bandes faisaient partie des « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Aucun autre dossier documentaire ne semble donner cette information. En 1918, la RI no 80A a été cédée par les chefs de l’agence de Touchwood (regroupant les bandes de George Gordon, de Poorman [aujourd’hui connue sous le nom de Kawacatoose], de Day Star et de Muscowequan) et de l’agence de la vallée de la Qu’Appelle (regroupant les bandes de Muscowpetung, de Pasqua et de Piapot). Le produit du règlement a été partagé entre ces sept bandes, bien que celles‑ci contestent maintenant le bien‑fondé de la cession.

[10]  Dans la présente instance, ces sept bandes sont les revendicatrices initiales, soit la Première Nation de Kawacatoose, la Première Nation de Pasqua, la Première Nation de Piapot, la Première Nation de Muscowpetung, la Première Nation de George Gordon, la Première Nation de Muskowekwan et la Première Nation de Day Star. Elles ont déposé une déclaration de revendication conjointe alléguant la cession irrégulière et la mauvaise gestion de la RI no 80A.

[11]  Les autres revendicatrices (la Première Nation de Little Black Bear, la Première Nation Dakota de Standing Buffalo, la Première Nation de Star Blanket et la Première Nation de Peepeekisis) ont toutes demandé à obtenir la qualité d’intervenant ou de partie lorsqu’elles ont été avisées, conformément à l’article 22 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP], que la revendication particulière pourrait avoir des répercussions sur leurs intérêts. Le Tribunal a décidé que l’étape du bien‑fondé comporterait une sous‑étape relative à la qualité pour agir visant à déterminer lesquelles de ces Premières Nations avaient un intérêt légitime dans la RI no 80A et, sur consentement, elles sont toutes devenues parties à cette sous‑étape. La présente demande est faite dans le cadre de cette sous‑étape.

III.  DROIT

A.  Règles sous‑tendant l’interrogatoire préalable

[12]  Le Tribunal statue sur le présent litige en vertu de l’article 30 des Règles du Tribunal, aux termes duquel toute demande doit faire l’objet d’une autorisation du Tribunal avant d’être présentée, à moins de relever du paragraphe 60(2) :

30  À moins d’être prévue par la Loi, le paragraphe 60(2) ou la partie 11, toute demande fait l’objet d’une autorisation du Tribunal avant d’être présentée.

[13]  L’alinéa 60(1)a) et le paragraphe 60(2) des Règles du Tribunal prévoient qu’une partie peut présenter une demande pour procéder à l’interrogatoire d’une personne avant l’audience dans le cadre d’un interrogatoire préalable. Une demande peut être déposée sans autorisation lorsque toutes les parties y consentent :

60 (1) Une partie peut présenter une demande pour procéder à l’interrogatoire d’une personne avant l’audience dans le cadre de l’une ou l’autre des situations suivantes :

a) un interrogatoire préalable;

[…]

(2) Une demande peut être déposée sans autorisation lorsque toutes les parties y consentent.

[14]  Comme ce ne sont pas toutes les parties à l’instance qui ont consenti à la demande, la demanderesse doit obtenir l’autorisation de présenter la demande. Vu la tenue de la présente audience, il est évident que cette autorisation est accordée.

[15]  Aux termes du paragraphe 60(3) des Règles du Tribunal, un demandeur doit indiquer s’il veut que l’interrogatoire soit fait de vive voix, par écrit ou les deux, si la partie qu’il veut interroger consent à l’interrogatoire et si toute autre partie consent à l’interrogatoire :

60 (3) En plus des renseignements prévus à la règle 33, l’avis de demande comprend aussi les renseignements suivants :

a) une mention indiquant si l’on veut que l’interrogatoire soit fait de vive voix, par écrit ou les deux;

b) une mention indiquant si la personne ou la partie que l’on veut interroger consent à l’interrogatoire;

c) une mention indiquant si toute autre partie consent à l’interrogatoire.

[16]  La demanderesse s’est conformée au paragraphe 60(3), sauf qu’elle n’a pas indiqué expressément qu’aucune partie n’avait consenti à l’interrogatoire. L’opposition de l’intimée peut être déduite de sa lettre du 12 juin 2017 jointe à titre de Pièce B à l’affidavit de Mme Guglielmin. À l’audience, l’intimée a affirmé que cette lettre démontrait sa volonté de participer à l’interrogatoire préalable par écrit, bien que l’ampleur des plaintes concernant les questions proposées donne à penser le contraire. Quoi qu’il en soit, l’intimée a déposé une réponse officielle expliquant son opposition, reconnaissant et corrigeant ainsi toute insuffisance.

[17]  Lorsque la demande d’interrogatoire est accueillie, l’article 62 des Règles permet au Tribunal de donner aux parties des directives sur la conduite et l’endroit de l’interrogatoire ainsi que, dans le cas d’un interrogatoire oral, sur les moyens utilisés pour son enregistrement : 

62 Si le Tribunal autorise l’interrogatoire, il peut donner aux parties des directives :

a) sur la conduite et l’endroit de l’interrogatoire;

b) dans le cas d’un témoignage oral, sur les moyens utilisés pour l’enregistrement de ce dernier. [Je souligne.]

[18]  L’utilisation du mot « autorise » renvoie probablement à la mesure procédurale consistant à obtenir l’autorisation de procéder à l’interrogatoire, d’une part, et à des questions connexes, d’autre part. En effet, les éléments pouvant faire l’objet de directives en vertu de cet article semblent être liés à des questions de logistique, notamment la conduite, l’endroit et les moyens utilisés pour l’enregistrement d’un interrogatoire oral. L’Oxford Canadian Dictionary définit « format » comme étant « the style or manner of an arrangement, design or procedure » (The Oxford Canadian Dictionary, 1re éd., sous l’entrée « format »). J’en conclus que l’article 62 des Règles du Tribunal ne traite pas de la portée des questions pouvant être posées, mais plutôt des détails concernant l’endroit et l’installation ainsi que des questions techniques.

[19]  Selon le paragraphe 63(1) des Règles du Tribunal, dans le cadre de l’interrogatoire préalable, la Couronne ou la Première Nation doit désigner une personne pouvant être interrogée en son nom :

63 (1) Dans le cadre de l’interrogatoire préalable, la couronne ou la première nation désigne une personne pouvant être interrog[ée] en son nom.

[20]  Ce représentant désigné doit se renseigner afin d’être en mesure de répondre au large éventail de questions autorisées par l’article 64 des Règles du Tribunal. Conformément à cet article, la personne interrogée est tenue de répondre de son mieux et selon ses connaissances à toute question. L’article 65 des Règles du Tribunal exige que l’interrogatoire soit fait sous serment :

 Le témoin répond de son mieux et selon ses connaissances à toute question pertinente relativement à la revendication particulière.

 Les interrogatoires sont faits sous serment.

[21]  Aux termes de l’article 72 des Règles du Tribunal, la partie qui conduit l’interrogatoire doit payer certains dépens, notamment les honoraires et débours relatifs à l’enregistrement de l’interrogatoire et les frais de déplacement raisonnables engagés par le témoin interrogé :

72 La partie qui interroge paye les dépens suivants :

a) les honoraires et débours relatif[s] à l’enregistrement de l’interrogatoire;

b) les honoraires et débours d’un interprète, le cas échéant;

c) les frais de déplacement raisonnables engagé[s] par le témoin.

[22]  L’article 73 des Règles du Tribunal porte sur l’interrogatoire écrit et, dans ce cas, exige que la partie qui conduit l’interrogatoire fournisse au témoin devant être interrogé une liste concise de questions numérotées séparément auxquelles répondre. Dans les trente jours, le témoin doit remettre à toutes les parties un affidavit contenant ses réponses :

 Lorsque l’interrogatoire est fait par écrit, la partie qui interroge signifie, à la partie dont le témoin est interrogé, une liste de questions concises et numérotées séparément auxquelles le témoin doit répondre.

[23]  La demanderesse a respecté l’article 73 en signifiant un interrogatoire écrit avec la directive de répondre aux questions numérotées séparément contenues dans l’annexe jointe, comme susmentionné.

[24]  Il importe de prendre acte des autres dispositions des Règles du Tribunal qui pourraient avoir une incidence sur la présente demande.

[25]  Les Règles du Tribunal doivent être interprétées et appliquées conformément aux principaux généraux énoncés à l’article 2, soit de favoriser un processus juste, rapide et économique, tout en reconnaissant aussi l’unicité de ces revendications historiques et la diversité culturelle de celles‑ci :

2   Les règles sont interprétées et appliquées de façon à permet[tre] un règlement juste, rapide et économique de la revendication particulière, tout en tenant compte de la diversité culturelle et de l’unicité de celle‑ci.

[26]  Le préambule de la LTRP met également l’accent sur la nature particulière de ces revendications, la nécessité de statuer sur celles‑ci de façon équitable et dans les meilleurs délais ainsi que l’objectif fondamental de rapprochement :

Attendu :

[…]

que le règlement de ces revendications contribuera au rapprochement entre Sa Majesté et les Premières Nations et au développement et à l’autosuffisance de celles‑ci;

qu’il convient de constituer un tribunal indépendant capable, compte tenu de la nature particulière de ces revendications, de statuer sur celles‑ci de façon équitable et dans les meilleurs délais;

[…]

[27]  L’article 13 de la LTRP dispose que, dans le cadre de l’exercice de sa compétence, notamment pour l’interrogatoire des témoins, le Tribunal a les attributions d’une cour supérieure d’archives :

13  (1) Le Tribunal a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses décisions, ainsi que pour toutes autres questions liées à l’exercice de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives;[…]

[28]  Enfin, il est également important de comprendre que les Règles du Tribunal ne se veulent pas exhaustives. Lorsqu’une procédure n’est pas visée par un article des Règles du Tribunal, les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 peuvent être adaptées par analogie :

5   Le Tribunal peut compléter toute question de procédure par analogie avec les Règles des Cours fédérales.

[29]  À titre de juge investi des pouvoirs d’une cour supérieure d’archives, bien que siégeant à titre de membre du Tribunal des revendications particulières, exerçant les pouvoirs conférés par la LTRP et appliquant les Règles du Tribunal, j’accomplis ma tâche comme le ferait un juge de juridiction supérieure dans le contexte des règles de droit régissant les interrogatoires préalables reconnus en droit canadien ordinaire.

[30]  Au Canada, le droit à l’interrogatoire préalable est habituellement automatique. Comme l’indique succinctement Halsbury’s Laws of Canada : [traduction] « […] une partie à une action est susceptible d’être interrogée de vive voix dans le cadre d’un interrogatoire préalable par toutes les parties ayant des intérêts opposés […]. Nul ne peut échapper à un interrogatoire préalable oral en fournissant une déclaration écrite énonçant sa version des faits et de la preuve. Le droit à l’interrogatoire préalable est absolu » (Linda Abrams, protonotaire, Kevin McGuinness et Jay Brecher, Halsbury’s Laws of CanadaCivil Procedure (réédition, 2017), à la section HCV‑177 (QL); notes de bas de page omises). En Ontario, par exemple, le paragraphe 31.03(1) des Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl 194 [Règles de l’Ontario], prévoit qu’une « partie à une action peut interroger une fois au préalable une partie opposée […] ». Le droit à l’interrogatoire préalable est également automatique en vertu des Règles des Cours fédérales :

235   Sauf autorisation contraire de la Cour, une partie ne peut interroger au préalable une partie adverse qu’une seule fois.

[31]  Malgré certaines différences importantes, les Règles du Tribunal sont très semblables aux Règles des Cours fédérales. Comme susmentionné, devant la Cour fédérale, le droit à l’interrogatoire préalable est automatique. Il n’est pas nécessaire de demander une autorisation initiale. Cependant, le droit ne naît que si les actes de procédure sont clos et que la partie qui conduit l’interrogatoire a déposé son affidavit de documents, ou que si la partie adverse consent à l’interrogatoire ou qu’elle n’a déposé aucun acte de procédure : voir le para 236(1) des Règles des Cours fédérales. Par analogie, cette exigence a été remplie en l’espèce. Sous réserve de l’article 234 des Règles des Cours fédérales, l’interrogatoire préalable peut se faire soit de vive voix soit par écrit et, dans le cadre d’actions simplifiées, il ne peut se faire que par écrit : articles 88 et 296 des Règles des Cours fédérales. Une partie ne peut procéder à un interrogatoire préalable en partie oralement et en partie par écrit, à moins d’obtenir l’autorisation de la Cour, ou le consentement de la partie soumise à l’interrogatoire et celui de toutes les autres parties : voir l’article 234 des Règles des Cours fédérales (dont il vient tout juste d’être question). Lorsque la Couronne est soumise à un interrogatoire, le procureur général du Canada doit désigner un représentant : voir les para 237(1) et (2) des Règles des Cours fédérales. La personne soumise à un interrogatoire est tenue de se renseigner, et elle peut être obligée de se renseigner davantage et de se soumettre de nouveau à un interrogatoire si elle est incapable de répondre à une question : voir l’article 244 des Règles des Cours fédérales. Ces dispositions des Règles des Cours fédérales peuvent être importantes lors d’une instance où les règles du Tribunal sont muettes, incomplètes ou ambiguës quant à un point.

[32]  Les Règles des Cours fédérales traitent également de l’interrogatoire d’un tiers (article 238), des objections (article 242), du droit de limiter les interrogatoires abusifs, vexatoires ou inutiles (article 243), de la correction de réponses inexactes (article 245), des réponses de l’avocat de la personne soumise à un interrogatoire (article 246) et de l’inadmissibilité des renseignements non divulgués (article 248). Bien que, par analogie, ces articles puissent être utiles sur le plan de la procédure dans les affaires soumises au Tribunal, ils ne le sont pas en l’espèce. Dans le cadre d’une demande soumise au Tribunal, un avocat serait toujours avisé de connaître les deux ensembles de règles.

[33]  Il existe une différence importante entre l’interrogatoire préalable relevant des Règles du Tribunal et l’interrogatoire préalable relevant des Règles des Cours fédérales : l’étendue de l’interrogatoire autorisé. Alors qu’aux termes de l’article 64 des Règles du Tribunal, la personne interrogée doit répondre à toute question « pertinente relativement à la revendication particulière », aux termes de l’article 240 des Règles des Cours fédérales, le témoin doit répondre à toute question qui « se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l’interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge ». Il semble évident que l’étendue des questions posées est plus large selon les Règles du Tribunal que selon les Règles des Cours fédérales. Selon moi, cette différence est voulue en raison de la nature historique des revendications dont est saisi le Tribunal, des sensibilités culturelles en jeu et de l’objectif de rapprochement. Je conclus que l’article 64 des Règles du Tribunal rend impossible l’application de l’article 240 des Règles des Cours fédérales.

B.  Garanties procédurales

[34]  Dans la décision Bande indienne Wewayakum c Canada, [1991] 3 CF 420, au para 31, [1992] 2 CNLR 177 (CFPI), le juge Addy a énoncé l’objectif général de l’interrogatoire préalable :

Le but de l’interrogatoire préalable, qu’il soit fait oralement ou par la production de documents, est d’obtenir des admissions en vue de faciliter la preuve des questions en litige entre les parties. On a tendance aujourd’hui à accroître les possibilités de communication franche et complète de la preuve permettant à la partie de prouver ses allégations ou de réfuter celles de son adversaire. La communication peut servir à faire ressortir plus nettement les questions, permettant ainsi d’éviter d’en faire inutilement la preuve au procès et de réduire ainsi les frais de l’instruction. La communication peut également donner des armes très utiles en vue du contre‑interrogatoire. [Citation d’un extrait de la décision Reading & Bates Construction Co c Baker Energy Resources Corp, (1988), 25 FTR 226 à la page 229]

[35]  Cette déclaration semble indiquer que l’un des objectifs fondamentaux de l’interrogatoire préalable est d’assurer l’équité de l’audience ou de l’instruction, de sorte que les parties puissent connaître la preuve à réfuter ou obtenir des admissions pouvant faciliter le déroulement de l’instance. Certes, les règles de chaque tribunal judiciaire ou administratif peuvent imposer des limites sur la manière de procéder à l’interrogatoire préalable et sur la nature des questions pouvant être posées. Les tribunaux judiciaires ont aussi limité l’interrogatoire préalable lorsqu’il semble qu’une partie cherche à utiliser les règles pour causer un retard, compliquer l’instance ou atteindre un objectif caché n’ayant rien à voir avec l’affaire; par exemple, lorsqu’une partie recourt à la procédure pour se livrer à une « recherche à l’aveuglette » en posant des questions trop générales ou hypothétiques pour obtenir de l’information sans avoir d’attente réelle quant à l’incidence de cette information sur le résultat de l’affaire ou à sa pertinence pour celle‑ci (voir Abrams et McGuinness, Canadian Civil Procedure Law (2e éd.), chapitre 13, para 13.2 (QL); Paul Perell et John Morden, The Law of Civil Procedure in Ontario (2e éd.), chapitre 7, para 7.88 (QL)).

[36]  Les principes d’équité et de justice naturelle ainsi que leur application peuvent différer entre les tribunaux judiciaires et administratifs. Comparativement aux tribunaux judiciaires, de nombreux tribunaux administratifs suivent un processus beaucoup plus souple afin d’échapper à la rigidité administrative et d’être efficaces. La Cour suprême du Canada a expliqué la différence dans l’arrêt Knight c Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653, au para 49, 69 DLR (4e) 489 [Knight] :

Il ne faut pas oublier que tout organisme administratif est maître de sa propre procédure et n’a pas à se modeler sur les tribunaux judiciaires. L’idée n’est pas d’importer dans les procédures administratives toute la rigidité des exigences de la justice naturelle auxquelles doit satisfaire un tribunal judiciaire, mais simplement de permettre aux organismes administratifs d’élaborer un système souple, adapté à leurs besoins et équitable. Comme le fait remarquer de Smith (Judicial Review of Administrative Action (4e éd. 1980), à la page 240), on ne vise pas à créer [traduction] « la perfection procédurale », mais bien à établir un certain équilibre entre le besoin d’équité, d’efficacité et de prévisibilité des résultats.

[37]  Comme le fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Knight, les tribunaux judiciaires et administratifs sont différents, et leurs processus peuvent varier en fonction de leurs besoins, tout en restant équitables. La question est la suivante : où la souplesse et l’efficacité administratives rejoignent‑elles les règles de justice naturelle et d’équité procédurale?

[38]  La Cour suprême du Canada a reconnu qu’il existe une échelle de l’équité procédurale en droit administratif (arrêt Knight, para 46) :

[…] le concept de l’équité est ancré dans les principes qui sont à la base de notre système de droit [référence omise], et la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu’à quel point ces principes directeurs devraient s’appliquer dans le domaine de la prise de décisions administratives.

[39]  Bien que le Tribunal se veuille souple et efficace dans le traitement des affaires dont il est saisi afin de respecter son mandat de règlement juste, rapide et économique des revendications, il est également censé faire son travail soigneusement, équitablement et selon les normes de droit acceptées par les cours supérieures canadiennes.

[40]  Pour plusieurs raisons, je conclus que le Tribunal se situe à l’extrémité judiciaire de l’échelle de l’équité procédurale.

[41]  Premièrement, il y a le fait que les décideurs du Tribunal sont des juges de juridiction supérieure qui possèdent « les attributions d’une cour supérieure d’archives » (paragraphes 6(2) et 13(1) de la LTRP). Deuxièmement, le fait que ce soit des juges de juridiction supérieure qui statuent sur les revendications dont est saisi le Tribunal indique que l’on s’attend à l’application d’une norme judiciaire de décision. De plus, les décisions du Tribunal sont définitives, ont l’autorité de la chose jugée entre les parties et ne sont pas susceptibles d’appel, bien qu’elles soient susceptibles de révision judiciaire (article 34 de la LTRP). La révision judiciaire a habituellement pour objet les principes de justice naturelle, ce qui donne à penser que l’équité procédurale est importante dans le règlement des revendications particulières. Compte tenu du caractère définitif des décisions du Tribunal, il est impératif que les questions touchant à la procédure, à l’admissibilité de la preuve et à l’application générale de la loi soient déterminées avec soin et selon les principes établis et reconnus du droit canadien. Ces questions font partie du quotidien des cours supérieures. Comme elles sont présentes dans chaque province du Canada, qu’elles sont liées à l’échelle nationale par le principe du stare decisis et qu’elles ont l’habitude d’interpréter des lois fédérales et provinciales ainsi que la common law (ou le Code civil au Québec), les cours supérieures assurent une homogénéité dans leur approche et leur application, et ce, peu importe dans quelle province la revendication particulière est présentée.

[42]  Au paragraphe 23 de l’arrêt Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175, la Cour d’appel fédéral a statué que le Tribunal des revendications particulières procède de façon quasi judiciaire :

Il n’est pas nécessaire que je règle entièrement cette controverse ou que je recense les droits de participation dont bénéficient les parties. Compte tenu du caractère adjudicatif de la décision en cause, la procédure quasi‑judiciaire prescrite par les Règles (plus précisément, les articles 57 à 103 portant sur la communication préalable à l’audience, les interrogatoires préalables à l’audience et la preuve préalable à l’audience produite par voie d’interrogatoire, d’histoire orale ou de preuve d’expert, les règles 104 et 105 portant sur les procédures à l’audience), l’absence de droit d’appel et l’importance de la décision pour les parties, il suffit de conclure que les parties avaient le droit d’avoir la possibilité raisonnable de présenter entièrement et équitablement leur position. Cela supposait en retour, au moins, que les parties devaient être informées, et être au courant des moyens qu’elles étaient appelées à discuter et avoir ensuite la possibilité de produire des éléments de preuve et de présenter des observations en réponse à ces moyens.

[43]  Ces remarques ont une incidence sur l’approche que j’adopte dans le cadre de la demande dont je suis saisi. Étant donné l’existence du droit automatique à l’interrogatoire préalable dans les cours supérieures canadiennes de common law, j’hésite à appliquer une norme différente dans le contexte du Tribunal sans directive précise plus claire. Je conclus donc que le critère permettant d’accorder l’autorisation de procéder à un interrogatoire préalable est très peu exigeant. Comme il en a été question aux paragraphes 17 et 18 ci‑dessus, la nécessité d’obtenir une autorisation semble liée davantage à des questions logistiques et techniques qu’à des questions de fond ou de droit. Comme le Tribunal souhaite s’assurer que le processus avance de la manière la plus efficace et économique possible, une intervention à l’étape de l’autorisation pourrait s’avérer utile. Par exemple, à cette étape, des demandes de dernière minute présentées tout juste avant une audience relative au bien‑fondé ou à l’indemnité pourraient être jugées injustifiées, ou encore des mesures prises par une partie qui semble vouloir retarder ou entraver le processus pourraient être détectées et éliminées.

C.  Pertinence

[44]  Comme il a déjà été mentionné, les questions qui peuvent être posées lors d’un interrogatoire préalable sont celles qui sont « pertinente[s] relativement à la revendication particulière » (articles 64 des Règles du Tribunal). La pertinence représente donc une question centrale lorsque vient le moment de déterminer si un interrogatoire préalable devrait être autorisé.

[45]  Dans la décision Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 2006 CF 282, au para 19, [2006] 4 RCF 104, la protonotaire Aronovitch a comparé le critère de la pertinence applicable à l’étape de l’interrogatoire préalable à celui de l’étape de l’instruction, et a conclu que le critère était moins exigeant à l’étape de l’interrogatoire préalable. Citant avec approbation les propos du juge Hugessen dans la décision Faulding (Canada) Inc c Pharmacia SpA, [1999] ACF no 448, au para 3, 87 ACWS (3e) 788, la protonotaire Aronovitch a déclaré :

La notion de pertinence pour les fins de l’interrogatoire préalable est plus vaste qu’elle ne l’est dans le cadre de l’instruction. Le juge Hugessen expose ce principe dans la décision Faulding, dans laquelle il a refusé de radier les réponses données lors d’un interrogatoire préalable, réponses qui, de l’avis du défendeur, n’avaient aucune pertinence au regard de points soulevés en l’instance. Le juge Hugessen écrit au paragraphe 3 :

Je souhaite préciser dès le début que, même s’il est possible qu’elles aient été d’une pertinence douteuse à la lumière des actes de procédure – et je ne tire aucune conclusion à cet égard –, les questions posées et les réponses données ne sont pas manifestement sans pertinence. En d’autres termes, les questions portent toutes sur ce que les inventeurs ont fait, la façon dont ils l’ont fait et le moment où ils l’ont fait au cours de la réalisation de leur invention. Il ne s’agit pas de questions totalement dépourvues de lien avec les points soulevés par l’affaire. [Souligné dans la décision Eli Lilly and Co c Apotex Inc.]

[46]  Le juge Hugessen a explicité cette conclusion dans la décision Bande de Montana c Canada, [2000] 1 CF 267, aux para 4 et 5, [1999] 4 CNLR 65 (CFPI) [Montana] :

Je commencerai l’examen de cette affaire par quelques réflexions sur la nature et l’étendue de l’interrogatoire préalable dans le cadre de la procédure civile moderne, et en particulier aux termes des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98‑106].

L’interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l’équité et l’efficacité de l’instruction en permettant à chacune des parties de se renseigner pleinement, avant l’instruction, sur la nature exacte des positions de toutes les autres parties, de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent. Il est dans l’intérêt de la justice que chaque partie soit le mieux informée au sujet des positions des autres parties afin de ne pas être défavorisée en étant surprise à l’instruction. Il est tout à fait approprié pour la Cour d’adopter une démarche libérale face à l’étendue des questions pouvant être posées au cours de l’interrogatoire préalable puisqu’une erreur qui serait commise en autorisant des questions non appropriées peut toujours être corrigée par le juge présidant l’instruction qui décide ultimement de toutes les questions ayant trait à l’admissibilité de la preuve; par ailleurs, toute erreur qui restreindrait indûment l’étendue de l’interrogatoire préalable peut mener à de graves problèmes ou même à des injustices au cours de l’instruction. [Je souligne.]

[47]  Dans l’arrêt Canada c Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, aux para 34 et 35, la Cour fédérale du Canada a également examiné la notion de pertinence dans le contexte d’un interrogatoire préalable :

Il appert de la jurisprudence qu’une question est pertinente lorsqu’il est raisonnablement possible qu’elle mène à l’obtention de renseignements pouvant directement ou indirectement permettre à la partie qui sollicite la réponse de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de son adversaire ou de la lancer dans une enquête qui pourra produire l’un ou l’autre de ces effets. Pour déterminer s’il est satisfait à ce critère, il convient d’examiner les allégations que la partie qui procède à l’interrogatoire tente d’établir ou de réfuter. Voir Eurocopter, au paragraphe 10, Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2008 CAF 287 (CanLII), 381 N.R. 93, aux paragraphes 61 à 64; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., aux paragraphes 30 à 33.

Lorsque la pertinence est établie, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser de permettre une question. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, il convient de soupeser la valeur possible de la réponse au regard du risque qu’une partie abuse du processus de communication préalable. Voir Bristol‑Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., au paragraphe 34. La Cour peut refuser d’autoriser une question pertinente lorsque la réponse exigerait trop d’efforts et de dépenses de la part de la partie à laquelle elle est posée, lorsqu’il y a d’autres moyens d’obtenir les renseignements sollicités ou lorsque la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438 (CanLII), 312 N.R. 273, au paragraphe 10; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2008 CAF 131 (CanLII), 166 A.C.W.S. (3d) 850, au paragraphe 3.

[48]  Je conclus que la notion de pertinence devrait être interprétée d’une manière large et libérale à l’étape de l’interrogatoire préalable ou, autrement dit, que le critère de la pertinence devrait être peu exigeant. Par ailleurs, le Tribunal pourrait décider ultimement de la pertinence, ce qui est davantage la tâche du juge de première instance, dont la perspective est plus large. Il appartient au juge de première instance de déterminer la pertinence, l’admissibilité et le poids de tous les éléments de preuve présentés au procès et de prendre une décision globale fondée sur cette évaluation. Encore une fois, compte tenu du caractère définitif des décisions du Tribunal, la partie qui demande de procéder à un interrogatoire préalable devrait disposer d’une marge de manœuvre raisonnable. Un interrogatoire préalable devrait être autorisé lorsque l’objectif de la demande a une apparence de pertinence.

IV.  Analyse juridique

A.  Nature générale des questions pour l’interrogatoire

[49]  Les questions de la demanderesse portent sur la connaissance, l’information et la croyance du Canada quant aux bandes qui étaient censées être les bénéficiaires de la RI no 80A ainsi que sur la politique et la position de la Couronne à l’égard de l’établissement des réserves de pêche, en général, et plus particulièrement de la RI no 80A.

[50]  L’objectif des questions de la demanderesse semble important et pertinent, puisque la sous‑étape relative au bien‑fondé vise à déterminer quelles bandes ont un intérêt dans la RI no 80A et lesquelles, du coup, pourraient avoir la qualité de partie à l’audience relative au bien‑fondé. Toutes les revendicatrices ont forcément un intérêt fondamental à savoir quelles bandes étaient censées, selon le gouvernement, être les bénéficiaires de la RI no 80A et à connaître les politiques et pratiques générales et particulières qu’il appliquait à cette époque. En d’autres termes, la question est importante, car elle a une influence non seulement entre Little Black Bear et le Canada, mais également entre Little Black Bear et les autres Premières Nations qui sont parties à la revendication. La connaissance, l’information et la croyance du Canada à l’égard des questions que Little Black Bear souhaite poser s’inscrivent dans une dynamique plus large dont font partie Little Black Bear et les autres revendicatrices. Comme le litige oppose également les revendicatrices, la pertinence s’articule autour de multiples facettes à cette étape de l’instance.

[51]  Little Black Bear est l’une des Premières Nations qui ont répondu à l’avis donné par le Tribunal en vertu de l’article 22. Elle tente d’établir qu’elle a la qualité nécessaire pour prendre part à l’étape du bien‑fondé de l’instance. Si elle ne réussit pas à démontrer un intérêt suffisant, il lui sera probablement impossible de participer au reste de l’instance. L’enjeu est de taille. Le Canada joue un rôle central dans les événements. Tous ces éléments justifient de laisser à la demanderesse une grande marge de manœuvre.

[52]  Little Black Bear a indiqué que, jusqu’à présent, les documents produits par le Canada ne révèlent aucune politique relative à l’établissement de postes de pêche à l’époque, que ce soit en général ou plus particulièrement en ce qui a trait à la RI no 80A. Les documents n’indiquent pas non plus quelles bandes étaient censées être les bénéficiaires selon le Canada ou quelles bandes faisaient partie des [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Les autres parties, dont le Canada, n’ont pas contesté cette allégation.

[53]  Le Canada a indiqué avoir effectué une recherche diligente dans les archives, de sorte qu’il a trouvé et produit les nombreux documents décrits dans l’affidavit de documents qui a été signifié à toutes les revendicatrices. Il a également laissé entendre qu’aucune preuve évidente ne permet de répondre aux questions. Ainsi, le fait d’accueillir la demande ne servira probablement pas à faire ressortir plus nettement les questions. Si tel est le cas, l’intimée peut adopter cette position sous serment. Je ne crois pas que la demanderesse demande au Canada de mener une autre recherche si cela a déjà été fait minutieusement et qu’il est peu probable de découvrir davantage de renseignements. Elle demande au Canada de prendre position.

[54]  De plus, les documents ne constituent qu’une seule source possible de connaissance, d’information et de croyance. L’intimée peut également déclarer sous serment qu’elle n’a aucune connaissance, information ou croyance provenant d’une autre source concernant les questions présentant un intérêt pour la demanderesse. Bien sûr, si l’intimée a toute autre connaissance, information ou croyance provenant d’une source, documentaire ou autre, elle devrait le dire. La demande de la demanderesse est pertinente et juste. Elle veut connaître la position du Canada à l’égard de ces questions pour ne pas être prise de court lors de l’audience relative à la sous‑étape et pour pouvoir se préparer en conséquence.

[55]  L’intimée a soutenu que, s’il existait des éléments de preuve permettant de répondre aux questions auxquelles la demanderesse cherche des réponses, l’audience relative à la sous‑étape ne serait guère utile. Je ne souscris pas à cet argument. Peut-être que le Canada n’a pas plus de réponses à donner à ces questions et que le dossier documentaire ne permet pas de combler toutes les lacunes. Les questions demeurent : quelles bandes vivaient dans le secteur à l’époque en cause, lesquelles utilisaient la RI no 80A, à quelle fin et à quelle fréquence l’utilisaient‑elles, avaient‑elles d’autres postes de pêche, quelles histoires orales pourraient faire la lumière sur cette affaire, existe‑t‑il des éléments de preuve anthropologiques ou historiques et peut‑être d’autres affaires pouvant permettre de répondre à ces questions?

[56]  La Couronne a également affirmé que le fait d’accueillir la demande permettrait à la demanderesse de se livrer à une « recherche à l’aveuglette », ce que les tribunaux désapprouvent et interdisent. Dans la décision Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2007 CF 1195, la protonotaire Tabib a décrit en quoi consistait une « recherche à l’aveuglette ». La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt 2008 CAF 287 (au para 61), a cité et approuvé ses observations. Au paragraphe 19, la protonotaire Tabib affirmait ce qui suit :

Il ne suffit pas de dire qu’un document pourrait éventuellement mener à d’autres documents qui, bien que non pertinents eux‑mêmes, pourraient ensuite éventuellement mener à des renseignements utilisables. C’est précisément le genre de recherche à l’aveuglette que la jurisprudence de la Cour a constamment refusé de sanctionner. Il ne s’agit pas de dire que la partie requérante doit établir que le document recherché mènera nécessairement à des renseignements utilisables : une probabilité raisonnable suffira, mais non une chance ténue.

[57]  En l’espèce, je ne considère pas que la demanderesse tente de se livrer à une recherche à l’aveuglette. Elle n’est pas à la recherche de documents qui ne sont pas directement pertinents, mais qui pourraient éventuellement mener à d’autres documents ou renseignements qui pourraient s’avérer utiles. Elle pose des questions factuelles pour savoir s’il existait une politique à l’époque, quelle était cette politique, quelles bandes étaient censées être les bénéficiaires et en vertu de quoi. Elle ne demande pas à consulter des dossiers complets desquels provenaient les documents produits ou d’autres sources de documents dans l’espoir qu’ils pourraient s’avérer utiles ou renvoyer à quelque chose d’utile. Comme je l’ai déjà dit, il se peut les renseignements n’existent pas à l’heure actuelle, ce qui est tout de même pertinent.

B.  Affidavit de Guglielmin

[58]  À titre préliminaire, l’intimée a contesté l’affidavit d’Emily Guglielmin présenté à l’appui de la demande. Soutenant que l’affidavit était irrégulier sur la forme et sur le fond, l’intimée en a demandé l’exclusion.

[59]  Après avoir déclaré être une associée au sein du cabinet de l’avocat de la demanderesse, Mme Guglielmin a indiqué avoir parlé avec le responsable de la recherche du cabinet au sujet des documents produits jusqu’à présent. Elle a ensuite affirmé qu’un projet de recueil conjoint de documents, distribué le 13 mars 2017, comportait 183 documents, dont aucun n’énonçait la politique ou les motifs du Canada relativement à la mise de côté de réserves de pêche dans le territoire visé par le Traité no 4 ou ailleurs. Elle a poursuivi en disant que les premiers documents en leur possession indiquaient simplement que [traduction] « la RI no 80A avait été arpentée pour devenir un poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle » (affidavit de Guglielmin, para 4), sans expliquer plus en détail pourquoi elle avait été mise de côté. C’est pourquoi elle a cru que le dossier documentaire historique à l’appui de la demande était incomplet. Autrement dit, elle a supposé que le Canada devait avoir eu, à l’époque, une politique de création des postes de pêche et une raison de créer un tel poste dans ce cas‑ci. Selon elle, comme la politique et l’explication sous‑jacentes n’étaient pas clairement indiquées dans les documents produits, le dossier documentaire était incomplet.

[60]  Elle a ensuite expliqué que, pour combler la lacune du dossier historique, le cabinet avait fait appel à son propre historien expert, qui a entrepris une recherche [traduction] « sur une période de plusieurs mois entre la fin 2016 et avril 2017 » (affidavit de Guglielmin, para 6), sans réussir à découvrir la politique du Canada relative à la mise de côté de réserves de pêche. Elle a affirmé que la demanderesse avait finalement écrit à l’intimée pour lui faire part de son intention de procéder à un interrogatoire préalable sur la question et qu’elle lui avait transmis les questions qu’elle avait l’intention de poser. La lettre datée du 30 mai 2017 a été jointe à titre de pièce à l’affidavit et se lisait en partie comme suit :

[traduction]

Il est évident que les questions ci‑jointes revêtent une importance fondamentale pour la présente revendication et plus particulièrement pour la sous‑étape relative à la qualité pour agir. Étant donné que les bandes ayant droit à une partie de la RI no 80A n’ont jamais été clairement nommées au moment où la réserve a été mise de côté, il est crucial que les parties et le Tribunal comprennent la politique et les motifs du Canada relativement à la mise de côté de réserves de pêche dans le territoire visé par le Traité no 4. De plus, le Canada ayant repoussé la revendication de certaines Premières Nations et offert de négocier avec d’autres, sans fournir d’explication étoffée, la présente affaire porte non seulement sur l’équité, mais également sur les attentes raisonnables des parties de comprendre pourquoi certaines bandes, et pas d’autres, ont été reconnues comme des bénéficiaires de la RI no 80A. La réponse est fondamentalement une question de politique ou de pouvoir discrétionnaire, ou les deux.

[61]  Mme Guglielmin a ensuite ajouté que les avocates du Canada avaient répondu, dans une lettre du 12 juin 2017, que leur cliente tentait actuellement de trouver un déclarant qualifié pour fournir les renseignements demandés, qu’elles avaient exprimé des réserves concernant les questions proposées et qu’elles ne croyaient pas que le Canada était obligé de donner une explication ne provenant pas de la preuve disponible au sujet des réserves de pêche.

[62]  Mme Guglielmin a conclu que les réponses aux questions écrites étaient d’une importance fondamentale pour la sous‑étape et la revendication et que les motifs et la politique du Canada relativement à la mise de côté de réserves de pêche étaient « cruciaux » étant donné que les bandes ayant droit à une partie de la RI no 80A n’avaient jamais été clairement nommées à l’époque de l’établissement de la réserve. Elle a conclu son affidavit par les déclarations suivantes :

[traduction]

Je crois sincèrement à l’existence d’une preuve démontrant que le Canada s’est fondé sur une politique, écrite ou non, pour décider quelles bandes sont les bénéficiaires de la réserve de pêche RI no 80A.

Je suis convaincue que le Canada a en sa possession, sous son contrôle ou sous sa garde des renseignements concernant son administration et sa désignation des réserves de pêche à l’usage des Indiens visés par le Traité no 4. C’est pour cette raison que nous souhaitons interroger le Canada à ce sujet. [Para 15 et 16]

[63]  Mme Guglielmin a également fait référence à une lettre du Canada datée du 28 février 2012 et jointe à titre de Pièce D à son affidavit. Le Canada s’est opposé à la production de cette lettre devant le Tribunal, car elle avait été envoyée « sous toutes réserves ». L’objection est fondée. Seul le Canada peut changer la nature de sa propre communication envoyée « sous toutes réserves ». Il s’agit d’un principe fondamental, pragmatique et bien établi du droit procédural canadien qui favorise les communications entre les parties sans crainte de divulgation à un tribunal. La capacité des parties à communiquer ainsi facilite grandement le processus. Ainsi, la Pièce D jointe à l’affidavit de Guglielmin sera radiée.

[64]  L’intimée s’est également plainte que l’affidavit contrevenait aux articles 81 et 82 des Règles des Cours fédérales, qui prévoient ce qui suit :

(1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

[65]  La plainte reposait sur le fait que l’affidavit contenait des déclarations fondées sur ce que la déclarante croyait être les faits, sans motifs à l’appui, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales. Par conséquent, le Tribunal devrait tirer une conclusion défavorable en application du paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales. Je ne suis pas d’accord.

[66]  Premièrement, Mme Guglielmin a déclaré qu’en tant qu’associée du cabinet d’avocats, elle collaborait au dossier et avait une connaissance personnelle des sujets abordés dans l’affidavit, [traduction] « sauf lorsqu’il est précisé que les déclarations sont faites sur la foi de renseignements et croyances » (affidavit de Guglielmin, para 1). J’en déduis donc qu’en plus de sa participation personnelle, elle avait été en mesure d’examiner le dossier et de prendre les mesures nécessaires pour se renseigner. Elle était certainement bien placée pour le faire. Deuxièmement, elle a dit avoir parlé avec le responsable de la recherche du cabinet au sujet des documents produits. J’estime que ses conclusions concernant ce que les documents ne divulguaient pas étaient fondées sur cette communication.

[67]  De plus, elle a indiqué que le cabinet avait entrepris ses propres recherches, qui n’avaient pas permis de répondre aux questions de la demanderesse. Elle a joint la lettre de son cabinet datée du 30 mai 2017 (signée par M. Aaron Christoff), qui traite des questions et préoccupations de la demanderesse et qui contient les questions écrites que la demanderesse proposait de poser au Canada pour répondre à ces questions et préoccupations. Je considère qu’il s’agit là des renseignements sur lesquels reposaient les déclarations d’opinion de Mme Guglielmin et qu’ils sont exhaustifs et pertinents. Ces sources constituent des « motifs » suffisants au sens du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales et offrent « le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels » du point de vue de la demanderesse, comme l’exige le paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales.

[68]  En ce qui a trait aux paragraphes 15 et 16 de l’affidavit, je suis convaincu qu’il s’agit de conclusions fondées sur les déclarations précédentes et les pièces autorisées jointes audit affidavit. Ces conclusions n’ont peut‑être pas été d’une grande utilité, mais elles ne contrevenaient pas aux Règles des Cours fédérales. À cette étape, Mme Guglielmin a tiré une conclusion logique selon laquelle le Canada avait un motif pour mettre de côté la RI no 80A et qu’il devait avoir certaines bandes à l’esprit en faisant référence aux [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Cela ne contrevient pas aux Règles des Cours fédérales.

[69]  Ensuite, l’intimée a objecté que Mme Guglielmin avait fait ces déclarations au sujet de questions en litige entre les parties en tant qu’avocate. À l’appui de son argument voulant que cela ne fût pas permis, l’intimée a invoqué l’arrêt Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 CF 459, rendu par la Cour d’appel fédérale, qui déclare ce qui suit au paragraphe 48 :

À mon avis, l’affidavit de l’avocat d’Apotex est totalement dénué de valeur et de crédibilité. La Cour n’accorde tout au plus que peu de poids aux affidavits portant sur des questions de fond en litige souscrits par les avocats (voir l’article 82 des Règles de la Cour fédérale (1998) et les décisions énumérées dans Federal Court Practice 2003 de David Sgayias et al. (Toronto: Carswell, 2002), à la page 387; International Business Machines Corp. c. Printech Ribbons Inc., 1993 CanLII 3013 (CF), [1994] 1 C.F. 692 (1re inst.), juge Nadon). En l’espèce, l’avocat n’était pas un expert en la matière; il n’était pas bien placé pour faire des déclarations scientifiques et pour expliquer d’un point de vue scientifique le brevet, par opposition à des déclarations portant sur son interprétation juridique. Il n’était pas non plus bien placé pour faire des commentaires au sujet du « caractère familier » du nom lisinopril. L’avocat n’a commencé à travailler sur le dossier qu’à partir de la fin 1999 et il ne sait pas ce qu’Apotex avait appris les années antérieures, pas plus qu’il ne peut expliquer la soudaine volte‑face de la position d’Apotex. L’avocat mentionne une série de documents déposés au cours de l’interrogatoire préalable sans indiquer leur contexte, et il ne mentionne aucun témoignage d’expert à l’appui de son interprétation de ces documents. Autrement dit, l’avocat n’est pas bien placé pour faire valoir la position d’Apotex dans sa requête en modification. [Je souligne.]

[70]  L’intimée a également cité les arrêts Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2013 CAF 261, et Cross‑Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd c Hyundai Auto Canada, 2006 CAF 133.

[71]  Comme dans l’affaire Merck, les avocats dans ces autres affaires avaient fait des déclarations qui équivalaient à des opinions d’expert qui outrepassaient leur compétence et qui étaient contestées; ou ils avaient exprimé des opinions ou tiré des conclusions fondées sur des documents qui n’avaient pas été divulgués, mentionnés ou expliqués. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Mme Guglielmin a divulgué les sources de ses croyances, comme je l’ai dit précédemment, et elle n’essayait pas d’exprimer une opinion d’expert. Je ne vois rien d’irrégulier.

[72]  L’intimée a également affirmé que l’affidavit de Mme Guglielmin contrevenait à l’article 82 des Règles des Cours fédérales, qui, selon elle, [traduction] « prévoit qu’un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit, sauf avec l’autorisation de la Cour » (voir le para 64 ci‑dessus; mémoire du droit et des arguments de l’intimée, para 15). La demanderesse n’avait pas demandé l’autorisation. Mme Guglielmin n’était pas l’avocate inscrite au dossier de la demande et elle ne s’était pas non plus présentée devant le Tribunal pour plaider la demande. MM. Ryan Lake et Aaron Christoff étaient les avocats inscrits au dossier, et M. Christoff s’était présenté devant le Tribunal pour formuler des observations. En somme, un avocat ne peut plaider une demande appuyée par son propre affidavit. Il n’était donc pas nécessaire de demander l’autorisation du Tribunal pour déposer l’affidavit de Mme Guglielmin.

C.  Affidavit de documents

[73]  L’intimée s’est plainte que la demanderesse cherchait [traduction] « à interroger la Couronne sur les processus de production de documents pour démontrer que des documents censément pertinents et non produits existent » (mémoire du droit et des arguments de l’intimée, para 22). Elle a également soutenu que la demanderesse [traduction] « cherchait à contester » l’affidavit de documents de l’intimée (mémoire du droit et des arguments de l’intimée, para 25). Elle a invoqué la décision Poitras c Twinn, 2001 CFPI 456, aux para 2 à 4, où la demanderesse souhaitait procéder à l’interrogatoire préalable du déposant de la Couronne sur la préparation et le contenu d’un affidavit de documents signé par un autre déposant de la Couronne. Le juge Hugessen a conclu que ce n’est pas parce qu’il peut être prouvé qu’un document provient d’un dossier en particulier que tous les autres documents inclus dans ce dossier sont nécessairement pertinents et doivent être produits. La demanderesse ne devrait pas, non plus, être autorisée à examiner de façon générale les dossiers de l’intimée afin de vérifier s’il existe d’autres documents pertinents qui n’ont pas été inclus dans l’affidavit de documents. La partie qui conteste un affidavit de documents doit s’acquitter d’un lourd fardeau.

[74]  L’intimée n’a pas précisé quelles parties des documents déposés par la demanderesse à l’appui de la demande étayaient sa prétention que la demanderesse souhaitait l’interroger sur son processus de production ou contester son affidavit de documents. Il est possible que l’objection soit liée à la déclaration de Mme Guglielmin, au paragraphe 16 de son affidavit, voulant qu’elle crût que le Canada avait [traduction] « en sa possession, sous son contrôle ou sous sa garde les renseignements concernant son administration et sa désignation des réserves de pêche à l’usage des Indiens visés par le Traité no 4 ». Cependant, j’ai déjà conclu que cette déclaration représentait une conclusion générale raisonnable fondée sur la logique et sur les renseignements fournis dans les parties précédentes de l’affidavit.

[75]  J’estime que la demanderesse ne conteste pas l’affidavit de documents ou le processus de production de l’intimée. Elle tente de savoir quelle est la position du Canada et s’il y a d’autres renseignements, documents ou autres, permettant d’expliquer pourquoi le Canada a décidé que certaines bandes devaient être les bénéficiaires de la RI no 80A, alors que d’autres non. De plus, seules quelques‑unes des revendicatrices ou de leurs prédécesseures avaient été appelées à participer à la cession de la RI no 80A, et les autres ne l’avaient pas été. Selon la demanderesse, cette question est au cœur même du litige et peut faire l’objet d’un interrogatoire préalable.

D.  Questions si anciennes qu’il n’en reste plus de témoin, position juridique et avis juridique

[76]  L’intimée a mis en doute l’utilité d’un interrogatoire préalable alors que son déposant n’aurait aucune connaissance personnelle des événements en question en raison de leur nature historique. Ce déposant devrait s’appuyer sur les documents déjà produits et mis à la disposition de toutes les parties. La demanderesse a répliqué que, si cet argument était admis, il ne pourrait jamais y avoir d’interrogatoires préalables dans le cadre des instances devant le Tribunal en raison de la nature historique des revendications.

[77]  Dans la décision Montana, au paragraphe 18, le juge Hugessen a rejeté l’argument, statuant que les institutions, notamment la Couronne, ont une mémoire qui se manifeste non seulement dans les documents, mais également sous d’autres formes, par exemple sous forme de pratiques et de traditions :

L’objection selon laquelle les faits en cause, qui font l’objet des interrogatoires préalables, sont survenus il y a trop longtemps pour que des personnes puissent en témoigner me semble spécieuse. Particulièrement lorsque les droits autochtones sont en cause, la coutume et la tradition orale peuvent être des sources fiables de faits historiques. Le déposant au cours d’un interrogatoire préalable n’est pas un simple témoin, puisqu’il est le représentant et le porte‑parole d’une partie en tant que partie. Qui plus est, les institutions peuvent également avoir une mémoire, et la Couronne en est l’exemple le plus parfait. Prétendre que la Couronne ne peut avoir de renseignements factuels sur des points si anciens qu’il n’en reste plus de témoins (en fait, quelque temps après la Première Guerre mondiale) me semble absurde. Il est notoire que les gouvernements, encore plus que la plupart des institutions, conservent des archives de ce qu’ils font, que ces archives peuvent être consultées en tout temps et qu’elles constituent une source fiable de ce qui se passait à l’époque, même aujourd’hui. Bien que la plupart de ces archives soient constituées de documents, il n’est pas inconcevable de penser que la mémoire institutionnelle puisse se manifester sous d’autres formes, par exemple sous forme de pratiques et de traditions. Si ces pratiques et traditions sont la source d’allégations de fait invoquées par ou contre la Couronne, elles peuvent certainement faire à bon droit l’objet d’un interrogatoire préalable.

[78]  Je souscris à cette analyse et rejette la plainte. Comme je l’ai déjà indiqué, je suppose que la demanderesse tente d’éviter d’être prise de court à l’audience relative à la sous‑étape. Il se peut très bien qu’il n’y ait aucun autre document pertinent à trouver ou à produire. Cependant, la demanderesse veut s’assurer qu’il n’y a aucune connaissance, information ou croyance concernant le litige provenant de sources autres que documentaires. Encore une fois, s’il n’y a pas d’autres renseignements disponibles d’une autre source, l’intimée devrait le déclarer sous serment dans le cadre d’un interrogatoire préalable. La demanderesse a le droit de connaître l’intégralité de la position de l’intimée sur la question.

E.  Questions sur les positions juridiques

[79]  Enfin, nul ne savait trop si la demanderesse pouvait poser des questions obligeant l’intimée à fournir un avis juridique. Cette question a été examinée dans la décision Six Nations of the Grand River Band of Indians c Canada (Attorney General), [2000] OJ No 1431, 48 OR (3e) 377 (C. div. Ont.). Aux termes de l’article 36.01 des Règles de l’Ontario, la partie interrogée répond aux questions légitimes à l’égard d’« une question en litige ». Aux paragraphes 9 et 11, la Cour a statué ce qui suit :

[traduction]

En ce qui concerne l’interrogatoire préalable, le paragraphe 31.06(1) exige de la partie interrogée qu’elle réponde aux questions légitimes à l’égard d’« une question en litige ». Il ressort d’une simple lecture du paragraphe que le sens du mot « question » est assez large pour englober autant une question de fait que la position prise par une partie à l’égard d’une question juridique. Chaque jour, les parties se font poser les questions suivantes lors d’un interrogatoire préalable : « Quelle est votre position sur la question de la responsabilité? Reconnaissez‑vous votre responsabilité? » Bien que les affaires auxquelles renvoie le juge Lane donnent du droit à l’interrogatoire préalable une interprétation beaucoup plus restrictive, l’expérience récente démontre qu’il existe un besoin réel, particulièrement dans les affaires complexes, de circonscrire les questions juridiques bien avant l’instruction. Pour les motifs donnés par le juge Kent, nous convenons que le paragraphe 31.06(2) devrait recevoir l’interprétation large et téléologique que celui‑ci a appliquée afin de recentrer les questions en litige.

[…]

Le Canada a plaidé de nombreuses questions de droit ou questions mixtes de fait et de droit, ce qui est tout à fait légitime dans un dossier de ce genre. Certaines de ces questions sont énoncées d’une façon vague. Le Canada fait valoir que les Règles ne prévoient aucun mécanisme par lequel le demandeur peut contraindre le Canada à confirmer ou à préciser sa position juridique à l’égard d’une question de droit avant l’instruction; cet argument n’est pas compatible avec la politique sous‑tendant les Règles, laquelle vise à encourager une communication complète et franche avant l’instruction, de façon à minimiser les coûts et à accélérer le règlement juste des demandes. En outre, cette interprétation ne s’accorde pas avec le sens ordinaire des Règles.

[80]  Cette décision a été citée et approuvée par les tribunaux de partout au Canada, dont la Cour d’appel fédérale (arrêt Cherevaty c Canada, 2016 CAF 71, au para 18). J’approuve cette décision et j’ajouterai qu’il y a une différence entre un avis juridique et une position juridique. Une position juridique peut être basée sur un avis juridique. Dans le cadre d’un interrogatoire préalable, une question peut légitimement être axée sur la position juridique.

[81]  À la lumière de l’analyse et des conclusions qui précèdent, je conclus que la demande est justifiée et légitime.

F.  Meilleure forme d’interrogatoire préalable

[82]  Il faut ensuite déterminer si un interrogatoire préalable à ce stade‑ci entraînera un retard ou des frais injustifiés. Se pose aussi la question de savoir si l’interrogatoire, s’il est autorisé, devrait être fait oralement ou par écrit.

[83]  Dans la décision Montana, au paragraphe 8, le juge Hugessen a fait remarquer que la Cour devrait avoir pour politique d’encourager le recours aux interrogatoires par écrit parce qu’il est probable que ce genre d’interrogatoires prendrait moins de temps et qu’il ne serait pas nécessaire d’ajourner l’interrogatoire préalable oral pour permettre au témoin de se renseigner sur les faits appropriés :

Bien qu’habituellement les interrogatoires préalables se fassent oralement, les Règles prévoient qu’ils puissent être faits par écrit, et il me semble que la Cour devrait avoir pour politique d’encourager l’utilisation de ces interrogatoires écrits dans les cas qui s’y prêtent. Il est probable que ce genre d’interrogatoires prendrait moins de temps et supprimerait entièrement la nécessité d’ajourner la séance pour permettre au témoin de se renseigner sur les faits appropriés.

[84]  Dans la décision Haylock c Norway (Ship), 2003 CF 932, au para 7, 236 FTR 147, le protonotaire Hargrave a cité et appliqué la conclusion tirée par le juge Hugessen dans la décision Montana, statuant que les interrogatoires préalables écrits devraient nécessiter moins de temps et être moins coûteux, et tenant compte du même coup de l’article 3 des Règles des Cours fédérales, qui dispose que les règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. La LTRP et les Règles du Tribunal vont dans le même sens.

[85]  La demanderesse a invoqué le paragraphe 7 de la décision Haylock, où le protonotaire Hargrave a cité la remarque du juge Hugessen dans la décision Montana selon laquelle « habituellement les interrogatoires préalables se [font] oralement ». Elle a également renvoyé à la décision Grant c Keane, 2001 CarswellOnt 4842, où le protonotaire Beaudoin a indiqué, au paragraphe 7, que [traduction] « l’interrogatoire préalable oral constitue la procédure habituelle et est considéré comme la manière la plus efficace de procéder à un interrogatoire préalable ». Dans la décision Ozerdinc Family Trust c Gowlings, 2015 ONSC 2366, au para 19, le protonotaire MacLeod a décrit l’interrogatoire préalable oral comme étant préférable à l’interrogatoire préalable écrit, car il permettait de mieux évaluer la crédibilité et le comportement du témoin et il présentait l’avantage de la spontanéité. Il a cependant reconnu que l’interrogatoire préalable écrit était une autre option, qui pouvait être imposée.

[86]  Bien que l’interrogatoire oral ait déjà été la pratique habituelle sous le régime des Cours fédérales, la décision Montana semble avoir changé cette pratique au profit de l’interrogatoire écrit. Les affaires Grant et Ozerdinc ont été entendues suivant les Règles de l’Ontario, qui sont différentes des Règles des Cours fédérales. Dans le cadre de la procédure du Tribunal, je conclus que le choix dépend des circonstances. Le Tribunal devrait probablement donner la priorité à l’interrogatoire écrit, mais il devrait se demander si l’interrogatoire oral pourrait être préférable lorsqu’une partie demande cette méthode. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, et il faut toujours se rappeler que l’objectif du Tribunal est d’arriver au règlement le plus juste, rapide et économique possible de la revendication dont il est saisi.

[87]  En l’espèce, nous disposons des questions qui ont été écrites et soumises à l’avance. Elles ont été reproduites au paragraphe 5 ci‑dessus. L’intimée les a en sa possession depuis près d’un an. Il y a plus de neuf mois, elle a indiqué qu’elle était à la recherche d’une personne qualifiée pour fournir les renseignements demandés.

[88]  L’une des prétentions de l’intimée était qu’un interrogatoire préalable retarderait indûment l’instance et engendrerait des frais supplémentaires, ce qui pourrait également nuire aux autres revendicatrices. Je ne souscris pas à cette prétention. Comme je l’ai déjà mentionné, l’intimée a les questions entre les mains depuis plus de dix mois, alors que les parties ont pris le temps de chercher (sans succès) un autre moyen de régler la sous‑étape. L’intimée a eu amplement le temps d’examiner les questions et de trouver un déposant pour la représenter.

[89]  Dans ces circonstances, je ne vois pas comment il pourrait être long de répondre à un interrogatoire préalable au moyen de questions écrites ou comment un tel interrogatoire pourrait entraîner des frais injustifiés ou supérieurs à ce qui a déjà été engagé à cet égard. Il ne sera plus nécessaire de trouver un moment et un endroit pour procéder à l’interrogatoire préalable, d’attendre qu’il ait lieu ou de risquer un ajournement pour répondre à d’autres questions ou à des questions connexes auxquelles le témoin ne pourrait répondre au moment de l’interrogatoire préalable. Il ne sera pas non plus nécessaire de payer les frais afférents à l’enregistrement de l’interrogatoire et aux transcriptions, ou les frais de déplacement raisonnables du témoin interrogé. En fait, dans la présente affaire, je conclus qu’un interrogatoire préalable oral prendrait probablement plus de temps et coûterait certainement plus cher, car il faudrait prévoir la date et l’endroit pour le faire, tout en gardant aussi à l’esprit que les nombreuses autres revendicatrices auraient également le droit d’y participer. Ensuite, des transcriptions devraient être préparées et distribuées. J’estime qu’il n’y aura aucun risque de retard pour l’audience relative à la sous‑étape, qui devrait commencer le 17 septembre 2018. Comme les questions écrites sont entre les mains de l’intimée depuis si longtemps, y répondre devrait prendre moins de temps que de procéder à un interrogatoire préalable oral et ne devrait pas changer la date d’audience prévue. En l’espèce, il est donc préférable de procéder à un interrogatoire préalable au moyen des questions écrites préparées.

G.  Questions écrites

[90]  La prochaine question porte sur la légitimité des questions elles‑mêmes. L’intimée a contesté la majorité des questions en raison des sujets abordés. Cependant, il est tout de même nécessaire de se prononcer sur le caractère approprié des questions elles‑mêmes étant donné que les deux côtés ont présenté des observations à leur égard.

[91]  Je ne vois aucun problème avec la plupart des questions. À titre d’observation générale, je soulignerais que toutes les questions doivent supposer un préambule quant à la connaissance, à l’information ou à la croyance de l’intimée concernant l’objet de chaque question posée. Les questions auraient peut-être moins soulevé la controverse si elles avaient été accompagnées de ce préambule.

Question 1 :

1.  Le Canada reconnaît‑il que l’une des promesses non écrites du Traité no 4 était que le Canada établirait des postes de pêche pour les Premières Nations qui souhaitaient poursuivre la récolte traditionnelle du poisson?

[92]  La question 1 aurait pu être rédigée de la sorte : Le Canada a‑t‑il une connaissance, une information ou une croyance quant à savoir s’il y avait des promesses non écrites sous‑tendant le Traité no 4 voulant que le Canada établisse des postes de pêche pour les Premières Nations qui souhaitaient poursuivre la récolte traditionnelle du poisson? La question 1 vise à obtenir des renseignements factuels et peut‑être aussi une position juridique, ce qui est légitime. À l’alinéa 3a) de sa réponse à la demande, le Canada s’est opposé à cette question, soutenant qu’elle en soulevait une nouvelle à un moment dans l’instance où la plupart des témoins avaient déjà témoigné et où il n’y avait aucune possibilité de poser des questions. Cependant, la demanderesse a fourni des transcriptions partielles du témoignage de cinq témoins qui avaient témoigné à ce sujet, notamment lors d’un contre‑interrogatoire mené par l’intimée. Je conclus donc que la question 1 est légitime.

[93]  En examinant toutes les questions proposées, j’ai tenté de les rédiger de la même manière en y ajoutant le préambule suggéré.

Questions 2 à 5 :

2.  Quelle était la politique du Canada relativement à la mise de côté de réserves à titre de postes de pêche pour les bandes indiennes habitant sur le territoire visé par le Traité no 4?

3.  Comment le Canada a‑t‑il décidé quelles bandes avaient droit à ce que des réserves de pêche soient mises de côté pour leur compte? Quels critères ont été utilisés? Pourquoi des réserves de pêche ont‑elles été mises de côté pour certaines bandes et pas pour d’autres? Le Canada a‑t‑il fait une distinction entre les bandes enclavées et celles dont les réserves bordent les lacs?

4.  Comment le Canada a‑t‑il décidé quand mettre de côté des réserves de pêche?

5.  Comment le Canada a‑t‑il décidé où mettre de côté des réserves de pêche?

[94]  Ces questions semblent être très directes pour demander au Canada s’il a une connaissance, une information ou une croyance quant à l’attribution de la RI no 80A. Il s’agit de questions légitimes lors d’un interrogatoire préalable.

Question 6 :

6.  Le Canada reconnaît‑il qu’il avait l’obligation d’agir de manière juste et rationnelle en mettant de côté des réserves? Si non, pourquoi?

[95]  Cette question semble destinée à obtenir un avis juridique plutôt qu’une position juridique. Elle semble également inutile. Il va sans dire que le Canada avait des obligations lorsqu’il concluait et exécutait des traités et lorsqu’il appliquait les dispositions de la Loi sur les Indiens; et en remplissant ces obligations, il avait certainement l’obligation d’être juste et rationnel. Pourrait‑on répondre à cette question autrement que par l’affirmative? Selon moi, la question est inappropriée parce qu’elle manque de précision, de clarté et de motivation. Il ne s’agit pas d’une question légitime pouvant être posée lors d’un interrogatoire préalable.

Questions 7 à 11 :

7.   Pourquoi la RI no 80A a‑t‑elle été mise de côté à titre de poste de pêche?

8.  Pourquoi la RI no 80A a‑t‑elle été mise de côté à titre de poste de pêche pour les Indiens de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle?

9.  La RI no 80A a‑t‑elle été mise de côté pour des bandes en particulier? Le cas échéant, pourquoi certaines bandes ne figuraient‑elles pas dans la liste au moment de son arpentage?

10.   Si le Canada affirme que la RI no 80A n’a pas été mise de côté en partie pour la Première Nation de Little Black Bear, est‑ce qu’une réserve de pêche l’a alors déjà été?

11.  Si le Canada dit qu’une réserve de pêche n’a jamais été mise de côté pour Little Black Bear, pour quels motifs a‑t‑il été décidé que Little Black Bear ne recevrait pas un poste de pêche?

[96]  À l’instar des questions 2 à 5, ces questions semblent directes et constituent des questions légitimes lors d’un interrogatoire préalable.

Question 12 :

12.  Si aucune réserve de pêche n’a jamais été mise de côté pour Little Black Bear, le Canada convient‑il qu’il avait et qu’il continue d’avoir l’obligation de mettre de côté une réserve de pêche pour Little Black Bear?

[97]  Le fait que la question porte sur l’« obligation » du Canada peut avoir fait craindre que l’intimée ait été appelée à exprimer un avis juridique, ou même à admettre une responsabilité. Cependant, considérant que la demanderesse devrait disposer d’une certaine marge de manœuvre, je crois que la question peut être reformulée de la sorte : Si aucune réserve de pêche n’a jamais été mise de côté pour Little Black Bear, le Canada a‑t‑il une connaissance, une information ou une croyance selon laquelle il avait et continue d’avoir l’obligation de mettre de côté une réserve de pêche pour Little Black Bear? Reformulée ainsi, la question ne pose aucun problème.

H.  Demande de Standing Buffalo

[98]  Standing Buffalo demande à ce que les parties soient autorisées à poser des questions découlant des réponses de l’intimée. Je ne suis pas disposé à le permettre. La demande est trop vague, ouverte et tardive. Je crains qu’elle ne prolonge le processus et ne menace la date d’audience prévue. Si une autre revendicatrice voulait poser des questions, elle aurait dû les formuler et les présenter de la façon adéquate.

V.  Conclusion

[99]  Pour tous ces motifs, la demande est accueillie. L’interrogatoire préalable se déroulera en fonction des questions écrites, avec les modifications indiquées. La question 6 ne sera pas permise. Les autres revendicatrices ne pourront pas poser de questions découlant des réponses de l’intimée.

[100]  La question des dépens sera examinée à la fin de la sous‑étape, à la demande de la demanderesse.

W. L. WHALEN

L’honorable W. L. Whalen

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid‑Triantafyllos


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20180403

Dossier : SCT‑5001‑13

OTTAWA (ONTARIO), le 3 avril 2018

En présence de l’honorable W. L. Whalen

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE KAWACATOOSE, PREMIÈRE NATION DE PASQUA, PREMIÈRE NATION DE PIAPOT, PREMIÈRE NATION DE MUSCOWPETUNG, PREMIÈRE NATION DE GEORGE GORDON, PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN ET PREMIÈRE NATION DE DAY STAR

Revendicatrices (Défenderesses)

et

PREMIÈRE NATION DE STAR BLANKET

Revendicatrice (Défenderesse)

et

PREMIÈRE NATION DE LITTLE BLACK BEAR

Revendicatrice (Demanderesse)

et

PREMIÈRE NATION DAKOTA DE STANDING BUFFALO

Revendicatrice (Défenderesse)

PREMIÈRE NATION DE PEEPEEKISIS

Revendicatrice (Défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Défenderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats des revendicatrices (défenderesses) PREMIÈRE NATION DE KAWACATOOSE, PREMIÈRE NATION DE PASQUA, PREMIÈRE NATION DE PIAPOT, PREMIÈRE NATION DE MUSCOWPETUNG, PREMIÈRE NATION DE GEORGE GORDON, PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN ET PREMIÈRE NATION DE DAY STAR

Aucune comparution

Knoll & Co. Law Corp.

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRE NATION DE STAR BLANKET

Représentée par Me Aaron B. Starr et Me Galen Richardson

McKercher LLP, avocats

ET À :

Avocat de la revendicatrice (demanderesse) PREMIÈRE NATION DE LITTLE BLACK BEAR

Représentée par Me Aaron Christoff

Maurice Law, avocats

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRE NATION DAKOTA DE STANDING BUFFALO

Représentée par Me Mervin C. Phillips et Me Leane Phillips

Phillips & Co., avocats

ET À :

Avocate de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRE NATION DE PEEPEEKISIS

Représentée par Me Michelle Brass

Brass Law

ET AUX :

Avocates de l’intimée (défenderesse)

Représentée par Me Lauri M. Miller et Me Donna Harris,

Ministère de la Justice

 

 

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