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DOSSIER : SCT-7007-11

TRADUCTION OFFICIELLE

RÉFÉRENCE : 2015 TRPC 2

DATE : 20150310

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Allisun Rana et Emily Grier, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

 

 

James Tate et Ava Murphy, pour la revendicatrice (défenderesse)

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Demanderesse)

 

Brett C. Marleau et Jonathan Sarin, pour l’intimée (demanderesse)

 

 

ENTENDUE: Le 27 janvier 2015

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L’honorable W.L. Whalen

LE TRIBUNAL EST SAISI D’UNE DEMANDE DE SA MAJESTÉ LA REINDE DU CHEF DU CANADA visant à faire admettre certains documents en preuve lors de l’audience relative à l’étape de la validité de la revendication.

Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Arrêts mentionnés : Apsassin c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), (1987) 14 FTR 161, [1988] 1 CNLR 73; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25; Première nation de Doig River et Premières nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 2; Première Nation de Fairford c Canada (Procureur général), (1998), [1999] 2 CF 48, [1999] 2 CNLR (60) (CF 1re inst); London Loan & Savings Co of Canada c Brickenden, [1934] 2 WWR 545, 3 DLR 465, conf. [1933] RCS 257, 3 DLR 161; Premières nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté le Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 7; Bande Lac La Ronge et Nation crie de Montreal Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 8; R c Truscott, [2006] OJ n° 4171 (CA), 213 CCC (3d) 183; R c Arp, [1998] 3 RCS 339;  Smith c Goulet, [1974] OJ n° 2061 (CA), 50 DLR (3d) 321; R c Hawkins, [1996] 3 RCS 1043, 141 DLR (4th) 193; R c Potvin, [1989] 1 RCS 525, 68 CR (3d) 193.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22, art 13.

Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119, art 2, 30.

Doctrine cité :

David M. Paciocco & Lee Stuesser, The Law of Evidence, 6e éd. (Toronto : Irwin Law Inc, 2011).


 

TABLE DES MATIÈRES

I. GÉNÉRALITÉS  4

II. CONTEXTE DE LA REVENDICATION  4

III. DOCUMENTS VISÉS PAR LA DEMANDE  7

A. Les documents visés par la demande  7

B. Les documents relatifs à Fort Nelson et les documents tirés du SETI : contexte et positions des parties  8

1. Analyse juridique et conclusion  10

C. Les transcriptions Galibois  12

1. Positions des parties  13

2. Analyse juridique et conclusion  15

IV. résumé : ordonnance et dépens  20


 

I.  GÉNÉRALITÉS

[1]  L’intimée dans la présente revendication, Sa Majesté la Reine du chef du Canada (« demanderesse ») dépose une demande, ainsi que la demande d’autorisation nécessaire, visant à faire admettre certains documents en preuve lors de l’audience relative à l’étape de la validité de la revendication, conformément à l’alinéa 13(1)b) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22 [LTRP], et de l’article 30 des Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119 [Règles], lesquels prévoient respectivement ce qui suit :

Aux termes de la LTRP :

  13. (1) Le Tribunal a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses décisions, ainsi que pour toutes autres questions liées à l’exercice de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives; il peut :

  […]

  b) recevoir des éléments de preuve — notamment l’histoire orale — ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire, à moins que, selon le droit de la preuve, ils ne fassent l’objet d’une immunité devant les tribunaux judiciaires;

Aux termes des Règles : 

30. À moins d’être prévue par la Loi, le paragraphe 60(2) ou la partie 11, toute demande fait l’objet d’une autorisation du Tribunal avant d’être présentée. 

[2]  Les documents peuvent être admis s’ils sont pertinents. Les défenderesses (« revendicatrices ») se sont opposées à la demande au motif que les documents ne sont pas pertinents, qu’ils ont peu de valeur probante, voire aucune, et qu’ils sont préjudiciables vu la présentation tardive de la demande.

II.  CONTEXTE DE LA REVENDICATION

[3]  Les revendicatrices sont les successeures de la Bande de Fort St. John Beaver (« BFSJB »), qui a adhéré au Traité no 8 en 1900, traité aux termes duquel la BFSJB s’était vu attribuer la réserve indienne 172 (« réserve de Montney »). Cette réserve n’était pas située près de l’endroit où les membres de la BFSJB vivaient et exerçaient leurs principales activités de subsistance, soit la pêche et le piégeage; elle était donc peu utilisée. En 1940, la BFSJB a cédé les droits miniers afférents à la réserve de Montney au Canada pour qu’il les loue au profit de la BFSJB. En 1945, la BFSJB a cédé la réserve de Montney au Canada pour qu’il la vende ou la loue au profit de la BFSJB. Au même moment, le Canada a promis à la BFSJB d’acheter de nouvelles réserves à même le produit de la cession.

[4]  À l’époque, on avait besoin de terres en Colombie-Britannique (« province ») pour y établir les anciens combattants qui revenaient de la Seconde Guerre mondiale. La réserve de Montney, y compris les droits miniers, a donc été vendue au Directeur (des terres destinées aux anciens combattants) en vertu de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants. La BFSJB a accepté que le produit de la vente serve à l’achat de réserves de remplacement. À cette fin, des terres ont été arpentées et des mesures ont été prises entre 1946 et 1950 afin de créer les réserves indiennes 204, 205 et 206 (« réserves de remplacement »), que la province a officiellement transférées au Canada en juillet 1950. Cependant, la province s’est réservé les droits miniers afférents aux réserves de remplacement.

[5]  Le Canada ne savait pas que la province avait conservé les droits miniers dans les réserves de remplacement. Croyant qu’ils appartenaient à la BFSJB par suite du transfert consenti par la province, le Canada a obtenu de la BFSJB, en septembre 1950, qu’elle lui cède ces  droits afin qu’ils puissent être loués pour l’usage et le bénéfice de la BFSJB. Par ailleurs, comme les droits miniers  lui avaient été cédés, le Canada a accordé des permis d’exploration à une entreprise minière privée. En 1952, la province a informé le Canada qu’elle détenait les droits miniers dans les réserves de remplacement et qu’elle avait accordé des permis d’exploitation minière sur ces terres. Le Canada a immédiatement admis son erreur et a remboursé à l’entreprise minière les droits versés par celle-ci pour obtenir les permis.

[6]  En 1965, les revendicatrices ont engagé une action contre le Canada devant la Cour fédérale, alléguant que le Canada avait manqué à son obligation fiduciaire en cédant la réserve de Montney, y compris les droits miniers : Apsassin c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), (1987) 14 FTR 161, [1988] 1 CNLR 73 [Apsassin]. Elles demandaient à la Cour, comme conclusion  subsidiaire, de prononcer un jugement déclarant que le Canada avait omis d’obtenir les droits miniers afférents aux réserves de remplacement. Cette conclusion subsidiaire a été retirée avant le début de l’instance, mais le juge a quand même formulé certaines observations sur les droits miniers dans les réserves de remplacement (Apsassin, par 199 et 200). L’affaire a été portée devant tous les tribunaux d’appel, y compris la Cour suprême du Canada, qui a donné gain de cause aux revendicatrices dans l’arrêt de principe Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25. 

[7]  En l’espèce, la demanderesse a présenté une demande le 24 avril 2013 en vue de faire radier la déclaration de revendications au motif qu’elle était irrecevable par application de la doctrine de la chose jugée (préclusion fondée sur la cause d’action). Le juge Smith a rejeté la demande, concluant que les présentes revendications étaient distinctes de celles de l’affaire Apsassin et que le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas : Première Nation de Doig River et Premières nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 2. Il semblerait qu’il ait été abondamment question de l’affaire et du jugement Apsassin devant le juge Smith. Ce dernier a d’ailleurs conclu que les observations formulées par le juge de première instance dans cette affaire au sujet des droits miniers afférents aux réserves de remplacement étaient des remarques incidentes (par 73). 

[8]  Pour terminer l’historique de la présente revendication, il convient de souligner l’échéancier établi pour les mois précédant l’audience sur la validité, laquelle devrait commencer le 20 mai 2015. Le Tribunal a ordonné le dépôt et la signification de certains documents, conformément à l’échéancier suivant :

  1. l’exposé conjoint des faits, l’exposé conjoint des questions en litige et le cahier conjoint des documents, le ou avant le 26 septembre 2014;

  2. la plaidoirie écrite et la liste de la jurisprudence des revendicatrices, le ou avant le 12 décembre 2014;

  3. la plaidoirie écrite et la liste de la jurisprudence du Canada, le ou avant le 23 janvier 2015;

  4. la plaidoirie écrite produite en réponse et la liste de la jurisprudence des revendicatrices, le ou avant le 3 février 2015;

  5. les recueils de jurisprudence auxquels les revendicatrices et le Canada peuvent se reporter dans leurs observations, le ou avant le 3 février 2015.

[9]  Les parties étaient donc rendues aux derniers stades de préparation quand la demanderesse a soulevé la question de l’admissibilité. En mai 2014, les parties avaient aussi indiqué qu’elles ne feraient comparaître aucun témoin à l’étape de la validité.

III.  DOCUMENTS VISÉS PAR LA DEMANDE

A.  Les documents visés par la demande

[10]  La demanderesse cherche à faire admettre trois ensembles de documents au motif qu’ils sont pertinents, à savoir : les « documents relatifs à Fort Nelson », une série de lettres échangées entre le Canada et la province en 1956 et en 1958 au sujet de la demande faite par le Canada quant à la mise de côté d’une réserve pour la Bande esclave de Fort Nelson (une bande qui est aussi visée par le Traité n° 8 et qui était sous la responsabilité de la même agence que la BFSJB); des copies des documents de transfert de 1948 et 1949 tirés du Système d’enregistrement des terres indiennes de la Colombie-Britannique, ainsi que les décrets fédéraux y afférents, selon lesquels des réserves indiennes avaient été mises de côté pour trois bandes différentes entre 1948 et 1950 dans la même région que les réserves de remplacement (« documents tirés du SETI »); et, les transcriptions du témoignage fait sous serment par voie de commission rogatoire (admis dans Apsassin) par Joseph Andre Prudent Emile Galibois (« transcriptions Galibois »), qui était présent lors de la cession de la réserve de Montney, et qui était l’agent des Indiens responsable de la BFSJB au moment des transferts des réserves de Montney et des réserves de remplacement et des négociations qui les ont entourés.

[11]  Le 22 septembre 2014, la demanderesse a produit une liste des documents relatifs à Fort Nelson, et le 25 septembre 2014, à la suite d’un échange de correspondance concernant la pertinence des documents, les revendicatrices ont signifié leur opposition à l’admission de ces éléments de preuve. Le 26 novembre 2014, la demanderesse a avisé les revendicatrices qu’elle pourrait aussi vouloir invoquer les transcriptions Galibois, dont elle avait pris connaissance seulement le 23 septembre 2014 et dont elle avait obtenu copie le 9 octobre 2014. Les revendicatrices se sont opposées à la production des transcriptions Galibois le 3 décembre 2014. Elles n’étaient pas au courant de l’existence des documents tirés du SETI jusqu’à ce qu’elles reçoivent la présente demande, le 9 janvier 2015, et n’ont pu en obtenir des copies que peu de temps avant l’audience relative à la demande, qui a eu lieu le 27 janvier 2015.

B.  Les documents relatifs à Fort Nelson et les documents tirés du SETI : contexte et positions des parties

[12]  Les revendicatrices soutiennent que la demanderesse a manqué à son obligation fiduciaire et/ou à ses obligations contractuelles envers elles (en tant que successeures de la BFSJB) en n’obtenant pas les droits miniers afférents aux réserves de remplacement, et en omettant de plus de corriger cette erreur ou d’indemniser la BFSJB pour le préjudice ainsi causé. La demanderesse estime ne pas avoir manqué à son obligation fiduciaire ni à ses obligations contractuelles puisque, à l’époque, la province avait pour politique générale de réserver les droits miniers afférents aux terres transférées aux fins de réserves indiennes. Par conséquent, elle soutient que son pouvoir discrétionnaire sur les terres était limité. Elle n’avait pas le choix.

[13]  À l’appui de cette position, la demanderesse affirme que, considérés dans leur ensemble, les documents relatifs à Fort Nelson et les documents tirés du SETI témoignent de l’existence de cette politique de réserve des droits miniers tant avant qu’après l’acquisition des terres par le Canada au profit de la BFSJB. Elle souligne également que, dans Apsassin, le juge de première instance a conclu (par 199) que la province avait pour « politique » de réserver les droits miniers, ce qui renforce sa thèse. Quoi qu’il en soit, la demanderesse exhorte le Tribunal à exercer le vaste pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 13(1)b) de la LTRP d’admettre des éléments de preuve, même si les documents ne seraient pas normalement admissibles devant un tribunal judiciaire – supposément pour qu’elle puisse présenter ses arguments juridiques.

[14]  Les revendicatrices s’opposent à l’admission des documents relatifs à Fort Nelson et des documents tirés du SETI au motif qu’ils ne sont pas pertinents et qu’ils ont été produits à la dernière minute, et que de ce fait, cette admission leur porterait préjudice à cause du délai ou des coûts accrus, ou les deux, qui pourraient en résulter. Selon les revendicatrices, ces documents ne sont pas pertinents parce qu’ils portent sur des réserves autres que les réserves de remplacement, et sur des moments différents, notamment après les négociations et le transfert des réserves de remplacement, alors que les circonstances étaient peut-être bien différentes. Les revendicatrices ne prétendent pas que le Canada a manqué à son obligation fiduciaire relativement à ces autres réserves; par conséquent, la façon dont ces réserves ont été traitées n’est aucunement pertinente. Les revendicatrices s’appuient donc sur la logique et le bon sens pour affirmer que les documents n’ont aucun rapport avec les faits et les allégations de la présente revendication.

[15]  Les revendicatrices prétendent également que les documents relatifs à Fort Nelson et ceux tirés du SETI ne sont pas pertinents par application des principes juridiques invoqués. Premièrement, le fiduciaire ne peut pas être dégagé de sa responsabilité à cause de l’incertitude découlant de son omission de s’être informé ou d’avoir consulté la Première Nation. Ainsi, il est sans intérêt, lors de l’examen du manquement qui a véritablement eu lieu, de se demander rétrospectivement ce qui aurait pu arriver : Première Nation de Fairford c Canada (Procureur général), (1998), [1999] 2 CF 48, [1999] 2 CNLR (60) (CF 1re inst), par 228 et 285; London Loan & Savings Co of Canada c Brickenden, [1934] 2 WWR 545, 3 DLR 465, p 550 et 551, conf. [1933] RCS 257, 3 DLR 161; Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 7, par 78. Deuxièmement, l’incapacité que peut avoir le Canada à contrôler la conduite d’un tiers (c.-à-d. la province), ce qui, selon les revendicatrices n’était pas le cas de toute façon, n’a aucune incidence sur l’application des principes relatifs à l’obligation fiduciaire et sur le pouvoir discrétionnaire absolu du Canada quant au droit de la BFSJB à l’égard de l’acquisition des réserves de remplacement : Bande Lac La Ronge et Nation crie de Montreal Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 8, par 92 (argument parallèle).

[16]  Les documents relatifs à Fort Nelson dont il est question sont huit lettres, dont deux ont été écrites en 1956 et les six autres en 1958. Les lettres de 1956 mentionnent la politique provinciale de l’époque, laquelle interdisait pour l’avenir l’aliénation de terres à des fins de réserve. Dans ces lettres, il n’est nullement question des droits miniers, mais, la province semble finalement reconnaître l’obligation de créer des réserves que lui imposait le Traité no 8, en plus d’expliquer son retard à créer des réserves au profit de la bande esclave de Fort Nelson et d’établir un processus assurant le respect du Traité no 8. La première des six lettres de 1958 a été rédigée par la province le 18 avril 1958 à l’intention du Canada. Dans cette lettre, il est question d’un certain territoire à être attribué à  la bande esclave de Fort Nelson et du fait que les terres [Traduction] « qui seront, maintenant ou ultérieurement, cédées et qui sont détenues par la Couronne provinciale, peuvent être transférées à la Couronne fédérale, la Couronne provinciale se réservant toutefois tous les droits miniers, y compris le pétrole et le gaz naturel ». Par lettres datées du 5 novembre et du 21 juillet 1958, la province confirme l’avis du procureur général que la province a le droit de se réserver les droits miniers dans toute concession de terres. Le Canada était l’auteur des autres lettres, adressées à la province. Dans ces lettres, il était précisé que la bande s’estimerait lésée si elle n’obtenait pas les droits miniers et le Canada proposait une façon possible de résoudre la question et tentait d’amener la province à changer d’avis. Il semble que le Canada ait fini par se rallier à la position de la province pour ce qui est des terres de la bande esclave de Fort Nelson.

[17]  Les documents tirés du SETI exposent en détail les quatre transferts de réserve suivants, de la province au Canada, tels qu’ils ont été enregistrés dans le Système d’enregistrement des terres indiennes en 1948 et 1949 : réserve indienne Canim Lake 5, le 22 mars 1948; réserve indienne Nan-Tl’At 13, le 10 août 1948; réserve indienne Ulkatcho 14A le 21 décembre 1948; et, réserve indienne Canim Lake 6, le 28 décembre 1949. Les décrets fédéraux pris entre 1948 et 1950 ont confirmé la mise de côté de ces réserves au profit des bandes auxquelles elles étaient respectivement destinées. La province s’est réservé les droits miniers afférents aux terres visées par ces quatre transferts, lesquels sont aussi antérieurs au transfert des réserves de remplacement effectué le 25 juin 1950.

1.  Analyse juridique et conclusion

[18]  La règle fondamentale qui régit l’admission de tout élément de preuve est bien résumée au par 22 de l’arrêt R c Truscott, [2006] OJ No 4171 (CA), 213 CCC (3d) 183 : 

[Traduction] Une preuve est pertinente si, selon la logique et l’expérience humaine, elle rend l’existence ou l’absence d’un fait important plus ou moins vraisemblable : […] Une preuve n’est pas pertinente si elle ne rend pas le fait auquel elle se rapporte plus ou moins vraisemblable ou si le fait auquel elle se rapporte n’a pas d’importance dans la procédure.

[19]  Autrement dit, pour être admis, les éléments de preuve doivent être pertinents relativement à un fait important en litige. Comme l’expliquent David M. Paciocco et Lee Stuesser (« Paciocco et Stuesser »), à la page 27 de l’ouvrage intitulé The Law of Evidence, 6e éd (Toronto, Irwin Law Inc, 2011) : [Traduction] « [l]a preuve est pertinente lorsque, selon la logique et l’expérience humaine, elle tend d’une façon quelconque à rendre la thèse qu’elle appuie plus vraisemblable quelle ne le paraîtrait sans elle » [italiques dans l’original]. La pertinence et le caractère important ou substantiel sont les exigences fondamentales de l’admissibilité de la preuve. Évidemment, la preuve qui est pertinente peut tout de même être exclue par application d’une règle d’exclusion, comme la règle interdisant le ouï-dire, qui sera examinée dans le contexte des transcriptions Galibois.

[20]  Dans l’arrêt R c Arp, [1998] ACS n° 82, par 38, [1998] 3 RCS 339, la Cour suprême du Canada a conclu que la preuve doit simplement tendre à être pertinente et substantielle, c.-à-d. que le seuil n’est pas élevé :

Pour qu’un élément de preuve soit logiquement pertinent, il n’est pas nécessaire qu’il établisse fermement, selon quelque norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d’un fait en litige. La preuve doit simplement tendre à [Traduction] « accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige » […] En conséquence, aucune valeur probante minimale n’est requise pour qu’un élément de preuve soit pertinent. [renvoi omis]

[21]  Voici ce qu’en disent Paciocco et Stuesser (p 29) :

[Traduction] Il est important de comprendre que « [l]e critère de pertinence n’est pas élevé ». Il n’est pas nécessaire qu’un élément de preuve pertinent établisse à lui seul un fait substantiel. Pour satisfaire au critère de la pertinence, il suffit que la preuve tende logiquement vers une certaine conclusion à propos de ce fait substantiel. [renvoi omis]

[22]  Ces auteurs (p 32) font aussi une distinction entre, d’une part, la pertinence et le caractère substantiel de la preuve, et d’autre part, le poids qu’il convient de lui accorder :

[Traduction] Il importe de ne pas confondre la « pertinence » de la preuve et le « poids » qu’il convient de lui accorder. La pertinence se rapporte à la capacité de la preuve à appuyer des conclusions logiques, alors que le concept du « poids » se rapporte plutôt à la valeur « probante » de la preuve ou à son influence […] la règle de base de l’admissibilité exige que la preuve soit pertinente et substantielle, mais elle ne précise pas le poids qu’il convient de lui accorder. « L’élément de preuve jugé pertinent [relativement à une question substantielle] est généralement admissible, et il revient alors au [juge des faits] de décider du poids à lui accorder. » R. c. White, [2011] A.C.S. n° 13, par 54. 

[23]  Ayant appliqué ces principes, je conclus que les documents relatifs à Fort Nelson et ceux tirés du SETI que la demanderesse entendait produire en preuve sont suffisamment pertinents pour justifier leur admission. Tout d’abord, il ne fait aucun doute que ces documents sont exacts  en ce qui concerne les faits qu’ils révèlent au sujet des réserves particulières auxquelles ils font référence. La demanderesse souhaite démontrer que la province avait pour politique générale à l’époque de réserver les droits miniers afférents aux terres qu’elle transférait en vue de constituer des réserves indiennes. Les documents relatifs à Fort Nelson et les documents tirés du SETI font état de transferts faits au profit d’autres bandes, tant avant qu’après le transfert des réserves de remplacement en cause, et les droits miniers étaient réservés dans tous les cas. Il en ressort donc une tendance logique suffisante pour appuyer la thèse de la demanderesse selon laquelle, si la province réservait les droits miniers lors des transferts de réserve, avant et après juillet 1950, elle en aurait fait tout autant à la même époque pour ce qui est des réserves de remplacement. La question du poids et de la valeur probante de la preuve sera examinée à l’audience à la lumière de tous les autres éléments de preuve qui auront été admis, et après que le Tribunal aura reçu toutes les observations. 

[24]  Les arguments juridiques avancés par les revendicatrices, selon lesquels les documents en question ne sont pas pertinents en raison des principes juridiques résumés précédemment, ne sont pas compromis par l’admission des documents et devraient être pris en considération à l’audience, lorsque le Tribunal disposera de toutes les observations. La demanderesse fait valoir un argument juridique contradictoire auquel les documents relatifs à Fort Nelson et les documents tirés du SETI fournissent un fondement factuel. Il est préférable d’apprécier les arguments juridiques contradictoires soulevés par les parties et les éléments de preuve qui les sous-tendent à l’audience, et non dans le contexte d’une demande. 

[25]  La plainte des revendicatrices au sujet du dépôt tardif des documents est bien fondée. Cependant, je ne crois pas que leur admission entraînera un retard important, dans le cas où les revendicatrices souhaiteraient effectuer d’autres recherches ou modifier, suivant les directives du Tribunal, les observations écrites qu’elles ont déposées. Personne n’a contesté la bonne foi de la demanderesse quant à la façon dont ces documents particuliers ont été portés à son attention; je ne crois donc pas que le retard à les déposer ait été délibéré ou ait procédé d’une toute autre intention malveillante. La plainte des revendicatrices portait sur le dépôt tardif et la pertinence. Je suis convaincu que, dans ces circonstances, on peut remédier au préjudice qu’elles pourraient subir en accordant un bref ajournement (si nécessaire) et/ou une ordonnance quant aux dépens. 

C.  Les transcriptions Galibois

[26]  La demanderesse a aussi demandé l’admission d’une copie des transcriptions du témoignage sous serment de M. Galibois recueilli par commission rogatoire les 13, 14, 15 et 16 avril 1981. M. Galibois a été l’agent des Indiens pour la BFSJB du 15 septembre 1945 à mars 1961. Son témoignage a été admis en preuve lors de l’instruction de l’affaire Apsassin parce qu’il est décédé le 22 avril 1985 et qu’il ne pouvait pas témoigner à l’audience.

1.  Positions des parties

[27]  La demanderesse s’intéresse au témoignage de M. Galibois, étant donné qu’il porte sur les circonstances entourant la cession des droits miniers et l’octroi des permis d’exploitation minière afférents aux réserves de remplacement, et qu’il a été livré alors que ces questions étaient encore en litige dans l’affaire Apsassin. Soulignant que M. Galibois a témoigné alors que les revendicatrices cherchaient toujours à obtenir un jugement déclaratoire relativement aux droits miniers afférents aux réserves de remplacement (c.-à-d. des revendications dont la nature s’apparente à la revendication dont le Tribunal est saisi), la demanderesse énonce sa position sur l’admissibilité des transcriptions Galibois au paragraphe 31 de ses observations écrites : 

[Traduction] Les transcriptions Galibois sont des éléments de preuve pertinents et l’intimée demande qu’elles soient jugées admissibles. Elles comportent le témoignage sous serment de M. Galibois à propos des circonstances entourant la cession de la RI 172 en 1945, la sélection, la négociation et l’acquisition des réserves de remplacement, et la cession des droits miniers y afférents en 1950 et l’octroi subséquent des permis relatifs à ces réserves de remplacement. On y trouve aussi les explications de M. Galibois quant à savoir pourquoi il avait supposé que les droits miniers étaient inclus dans les réserves de remplacement. [renvoi omis]

[28]  Citant Smith c Goulet, [1974] OJ n° 2061 (CA), par 24, 50 DLR (3d) 321, les revendicatrices prétendent que leur droit de contre-interroger le témoin lors de la première instance n’a pas été respecté. Comme l’affaire Apsassin portait principalement sur la perte des droits miniers dans la réserve de Montney, alors que le jugement déclaratoire à l’égard des réserves de remplacement n’avait été demandé qu’à titre subsidiaire (du temps où il faisait partie des conclusions recherchées), demande qui a finalement été retirée, les revendicatrices affirment qu’elles n’avaient pas suffisamment de raisons de contre-interroger M. Galibois sur la question des droits miniers dans les réserves de remplacement. Il s’agissait peut-être d’une demande subsidiaire faite sans conviction ou dans un dessein stratégique, de sorte qu’elle ne méritait pas un examen sérieux. Aussi, comme l’affaire Apsassin portait sur les droits miniers afférents à la réserve de Montney, les questions substantielles sur lesquelles a porté le témoignage de M. Galibois ne sont pas essentiellement les mêmes que celles sur lesquelles porte la présente revendication.

[29]  Les revendicatrices renvoient également à la conclusion du juge Smith (par 69) selon laquelle l’affaire Apsassin portait sur la perte des droits miniers dans la réserve de Montney. Elles soutiennent que, si les droits miniers dans les réserves de remplacement avaient été au cœur de l’affaire Apsassin, on aurait pu s’attendre à un contre-interrogatoire [Traduction] « rigoureux » du témoin sur la question. Elles citent les propos du juge de première instance dans Apsassin (par 29) selon lesquels « les avocats ont en général interrogé les témoins comme ils l’auraient fait au cours des interrogatoires préalables » — c.-à-d. moins vigoureusement qu’au procès. Les revendicatrices arrivent donc à la conclusion qu’il serait très préjudiciable que d’admettre les transcriptions Galibois en preuve dans le cadre de la présente revendication. De plus, comme cet élément a été présenté à la dernière minute, son admission serait contraire à l’objectif du Tribunal qui consiste à « permet[tre] un règlement juste, rapide et économique de la revendication particulière » (Règles, art 2).

[30]  Les revendicatrices mettent aussi en doute la fiabilité des transcriptions Galibois parce qu’elles sont incomplètes. L’enregistrement vidéo du témoignage de M. Galibois n’a pas été produit. La preuve et les autres témoignages présentés dans Apsassin ne sont pas non plus disponibles. Les transcriptions Galibois n’ont été portées à l’attention des revendicatrices qu’un peu plus de deux semaines avant la date prévue du dépôt de leurs observations écrites. Les revendicatrices soutiennent que cela leur est préjudiciable puisqu’elles étaient déjà alors bien avancées dans leurs préparatifs. Elles devront probablement apporter des ajustements aux documents qu’elles ont déjà déposés. Cela pourrait aussi entraîner un retard important puisque la preuve et le dossier de l’affaire Apsassin devront ensuite être examinés.

[31]  En outre, les revendicatrices soulignent que la demanderesse a indiqué, dès le 10 juillet 2012 (alors qu’elle préparait la demande de radiation qui a mené à la conclusion relative à l’autorité de la chose jugée tirée par le juge Smith le 20 février 2014), qu’elle avait obtenu et divulgué tous les actes de procédure, transcriptions et observations finales produits dans le cadre de l’affaire Apsassin, ce qui s’est révélé faux bien que les revendicatrices se soient fiées à cette déclaration. Les revendicatrices affirment que la demanderesse aurait dû soulever la question lorsqu’elle a présenté sa demande de radiation, alors que  la preuve et les conclusions de l’affaire Apsassin faisaient l’objet d’un examen attentif.

2.  Analyse juridique et conclusion

[32]  Les principes juridiques dont il a été question précédemment au sujet de l’admissibilité de la preuve s’appliquent aussi à l’admissibilité des transcriptions Galibois. Cependant, d’autres principes entrent en jeu puisque les transcriptions Galibois constituent un témoignage antérieur présenté pour établir la véracité de son contenu et sont donc, à proprement parler, une preuve par ouï-dire. Nul ne conteste la règle applicable en cette matière bien qu’elle puisse donner lieu à différentes applications. Paciocco et Stuesser ont bien résumé le critère applicable à cet égard (p 138 et 139) : 

[Traduction]

En common law, un témoignage rendu dans une instance antérieure est admis comme preuve de la véracité de son contenu dans une autre instance si :

  le témoin n’est pas disponible;

  les parties, ou les personnes qui agissent en leur nom, sont essentiellement les mêmes;

  les questions substantielles auxquelles se rapportent la preuve sont essentiellement les mêmes; et

  la personne contre qui le témoignage doit être présenté a eu l’occasion de contre-interroger le témoin lors de l’instance antérieure. [italiques dans l’original]

[33]  Dans l’arrêt R c Hawkins, [1996] 3 RCS 1043, p 1089, 141 DLR (4th) 193, la Cour a fait remarquer que, même si le témoignage antérieur proposé satisfait au critère, le juge a, en vertu de la common law, le pouvoir discrétionnaire résiduel d’exclure le témoignage s’il juge que sa valeur probante est faible ou que l’autre partie ou le processus judiciaire lui-même pourrait subir un préjudice indu. 

[34]  Je suis convaincu que les transcriptions Galibois respectent les conditions d’admissibilité relatives aux transcriptions d’audiences antérieures. Le témoin n’est pas disponible puisqu’il est décédé. Les revendicatrices en l’espèce sont les mêmes que dans l’affaire Apsassin. Au moment où M. Galibois a rendu son témoignage par voie de commission rogatoire, les revendicatrices cherchaient à obtenir un redressement à l’égard des droits miniers dans les réserves de remplacement. Il n’importe aucunement qu’elles l’aient fait par voie de demande subsidiaire. Dès lors qu’elle est présentée, et jusqu’à ce qu’elle soit retirée, la demande subsidiaire doit être prise au sérieux. Je conclus également que c’est ce qui ressort des transcriptions Galibois elles-mêmes. 

[35]  Bien que son témoignage ait porté essentiellement sur les événements survenus entre le moment où la réserve de Montney (y compris les droits miniers) a été cédée et celui où le Canada en a disposé, M. Galibois s’est attardé sur la question de la constitution des réserves de remplacement et des droits miniers y afférents. Par ailleurs, la majeure partie de la dernière journée de l’audience a été consacrée à la question des droits miniers dans les réserves de remplacement et à l’exploration pétrolière et gazière dans la région. À mon avis, les revendicatrices ont eu une possibilité réelle et suffisante de contre-interroger M. Galibois et elles s’en sont prévalues. La question n’est pas de savoir si elles le contre interrogeraient aujourd’hui de façon différente. Il s’agit plutôt de savoir si l’affaire antérieure et la présente espèce soulèvent des questions suffisamment semblables pour que la partie adverse soit justifiée de procéder à un contre-interrogatoire. Au moment où M. Galibois a été contre-interrogé, la question de la réparation pour la perte des droits miniers dans les réserves de remplacement avait déjà été soulevée, quoi qu’à titre de conclusion subsidiaire. Après avoir examiné les transcriptions Galibois, je suis convaincu que les revendicatrices avaient des raisons suffisantes de  procéder à un contre-interrogatoire sur la question, et elles l’ont fait. Encore là, il ne s’agit pas de savoir si elles ont exercé leur droit, mais plutôt si elles ont eu une possibilité réelle ou suffisante de contre-interroger le témoin (R c Potvin, [1989] 1 RCS 525, 68 CR (3d) 193; Paciocco et Stuesser, p 139 à 141). 

[36]  Sept témoins, dont M. Galibois, ont présenté un témoignage par voie de commission rogatoire. J’ai lu les 278 pages des transcriptions Galibois et, à mon avis, M. Galibois a été interrogé de façon rigoureuse et vigoureuse. L’avocat de M. Galibois a soulevé de nombreuses objections, dont la plupart ont été retenues, et M. Galibois a été contre-interrogé pendant une bonne partie des quatre jours d’audience. Il se peut que les autres témoins n’aient pas été interrogés autant en profondeur ou pendant aussi longtemps, surtout s’ils ne s’exprimaient pas bien en anglais, voire pas du tout. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que les revendicatrices ont eu une possibilité suffisante de contre-interroger le témoin et qu’elles ont exercé ce droit. Je conclus donc que les transcriptions Galibois satisfont au critère permettant d’admettre un témoignage antérieur, qui est résumé ci-dessus (par 32). 

[37]  Monsieur Galibois a témoigné sous serment; cet important élément de fiabilité a donc aussi été respecté. Le juge de première instance a accepté son témoignage à l’audience et l’a soupesé dans ses motifs, accordant du poids aux souvenirs qu’avait M. Galibois quant aux détails entourant la cession de la réserve de Montney (Apsassin, par 154). Le témoignage de M. Galibois recueilli par commission rogatoire était pertinent et substantiel en ce qui concerne les principales questions en litige dans l’affaire Apsassin. Cependant, le juge de première instance a remarqué que la mémoire de M. Galibois était [Traduction] « floue sur certains faits » qui ont suivi l’assemblée sur la cession, ce qui est aussi une source de préoccupation, comme je l’expliquerai ci-dessous. 

[38]  Je suis convaincu que les transcriptions Galibois réfutent l’objection relative à la preuve par ouï-dire en satisfaisant aux exigences de la règle applicable aux témoignages antérieurs, mais j’estime qu’elles ne respectent pas les conditions fondamentales d’admissibilité qui ont été examinées et appliquées à l’égard des documents relatifs à Fort Nelson et des documents tirés du SETI. Elles sont incomplètes à plusieurs égards, dont je traiterai plus loin, et par conséquent, elles ne sont pas pertinentes et substantielles. 

[39]  Les transcriptions Galibois sont loin d’être complètes. Trente-trois documents ont été produits en preuve lors du témoignage de M. Galibois et ce dernier a été interrogé sur chacun d’eux. Cependant, aucun de ces documents n’a été produit avec les transcriptions dans le cadre de la présente demande. Lors de l’instruction, les avocats de la demanderesse, qui présentaient alors leurs observations orales, ont fait remarquer que la plupart des pièces documentaires figuraient probablement dans le cahier conjoint des documents produit dans le cadre de la revendication. Cette remarque a toutefois été peu utile puisqu’elle n’a pas été confirmée et que le cahier conjoint des documents ne faisait pas partie des documents dont disposait le Tribunal lors de l’instruction de la demande. Par conséquent, si l’on se fie seulement à la transcription, M. Galibois a livré un témoignage décousu. Son témoignage a aussi été enregistré sur bande vidéo. Dans l’affaire Apsassin, le juge de première instance a formulé des observations sur l’importance et l’incidence de l’enregistrement vidéo (par 29 et 30) :

Enfin, et ce qui est peut-être plus important, il est manifeste qu’il est arrivé souvent dans le cas des témoins qui ont déposé en anglais que la transcription, même si elle rapportait fidèlement les paroles échangées, ne transmettait pas au lecteur le sens véritable des réponses données par les témoins et les conclusions qu’il fallait en tirer […] 

Après avoir lu la transcription des diverses dépositions, j’ai été très surpris de constater dans quelle mesure certaines de mes impressions originales quant aux conséquences des témoignages se sont modifiées ou ont complètement changé après avoir vu les enregistrements magnétoscopiques.

Monsieur Galibois s’est exprimé en anglais tout au long de son témoignage. En somme, les transcriptions Galibois sont incomplètes à plusieurs égards importants. 

[40]  Le témoignage de M. Galibois sur la création des réserves de remplacement, la nature et l’ampleur de l’exploration pétrolière et gazière dans la région, et la question de la réserve des droits miniers afférents aux réserves de remplacement par la province présentait aussi de graves lacunes. M. Galibois a été longuement interrogé sur ces questions, mais il avait peu ou pas de souvenirs personnels à ce sujet. Plusieurs documents lui ont été présentés et il ne se rappelait presque pas des documents ni des évènements sur lesquels ils portaient. En fait, la plupart de ces documents semblaient le concerner directement, soit qu’il les avait reçus ou rédigés ou qu’il en avait obtenu copie. Il n’a pas nié les avoir écrits ou reçus, selon le cas, et il a offert son interprétation quand on lui a demandé. Cependant, j’estime que ces documents sont plus éloquents que l’interprétation, ni utile ni fiable, qu’a pu faire M. Galibois, trente ans plus tard de ces documents ou des faits et événements sous-jacents, dont il ne se souvenait pas. Même si ses souvenirs de l’assemblée sur la cession de la réserve de Montney étaient clairs, ces événements ont déjà fait l’objet de litiges, qui ont donné lieu à des conclusions de fait et de droit exécutoires. Il n’y a aucune raison de réexaminer une question qui a déjà été traitée à fond ou de prendre le risque de s’aventurer dans une voie longue et coûteuse qui ne mènera nulle part dans le contexte de la présente revendication. 

[41]  Monsieur Galibois se souvenait d’une lettre potentiellement importante que lui avait fait parvenir, le 22 février 1952, un géologue d’une des compagnies pétrolières ou gazières qui exploraient la région. La lettre précisait que la province prétendait toujours détenir les droits d’extraction du pétrole dans les réserves de remplacement. M. Galibois a reconnu avoir été surpris quand il a lue cette lettre pour la première fois et il a affirmé n’avoir pris aucune mesure par la suite. Dans son témoignage, M. Galibois a aussi déclaré qu’il n’était pas du tout au courant de la question des droits miniers ou qu’il n’avait appris qu’en 1952 que des travaux d’exploration pétrolière étaient réalisés dans la région, alors que son gendre qui travaillait pour une compagnie pétrolière l’en a informé. Cependant, il appert de l’exposé conjoint des faits déposé par les parties que le surintendant des terres de la province a avisé le Canada, par lettre datée du 26 janvier 1952, que les droits miniers dans les réserves de remplacement avaient été réservés par la province, ce que le sous-ministre fédéral a admis, de même que l’erreur commise par le gouvernement fédéral, dans une lettre datée du même jour et adressée au sous-ministre des Mines de la province. Le Canada a donc aussi reconnu que les droits miniers avaient été réservés et qu’il avait eu tort d’octroyer des permis d’exploration, et il a remboursé, le 4 février 1952, l’entreprise concernée des frais qu’il avait perçus à cet égard. La lettre adressée à M. Galibois, dont aucune copie n’a été présentée au Tribunal, n’est pas nécessaire pour établir que le Canada a commis une erreur et, quoi qu’il en soit,  il semble que cette lettre soit davantage une demande de renseignements concernant des faits dont M. Galibois ne savait rien. De plus, les dates des lettres susmentionnées indiquent que le Canada a été informé avant M. Galibois, sans doute parce que c’est lui qui détenait le pouvoir.

[42]  En tant qu’agent des Indiens, M. Galibois recevait ses directives d’Ottawa, et non l’inverse. Cela semble évident au point de justifier qu’on en prenne connaissance d’office, même si M. Galibois a affirmé la même chose et s’est décrit comme [Traduction] « l’intermédiaire entre les Indiens, le ministère [et] mon propre bureau […] J’étais un intermédiaire. Je n’étais pas appelé à prendre des décisions, mais à exposer les causes comme elles m’étaient présentées » (transcriptions Galibois, p 236, lignes 20 à 30 et p 237, lignes 1 à 3; voir aussi p 234, lignes 1 à 16). M. Galibois n’était pas celui de qui émanaient les décisions ministérielles. Il rapportait les événements et faisait sans doute des recommandations, mais les décisions importantes étaient prises à un niveau supérieur. Comme il l’a dit, il s’attendait à recevoir des directives d’Ottawa « à tout moment » (transcriptions Galibois, p 234, lignes 15 et 16). Je suis donc d’avis que ses « hypothèses » sur la nature des droits miniers dans la province importent peu pour la présente revendication.

[43]  Pour toutes ces raisons, je conclus que les transcriptions Galibois ne sont pas suffisamment pertinentes pour justifier leur admission en preuve dans le cadre de la présente revendication. Même si elles étaient pertinentes, ce   que je ne suis pas prêt à conclure en l’espèce, elles ont une valeur probante très faible, voire  nulle, en ce qui concerne la question des droits miniers afférents aux réserves de remplacement. L’admission  des transcriptions Galibois en l’espèce obligerait procéder à un examen du dossier Apsassin, ce qui entraînerait des délais et des dépenses peu susceptibles de favoriser le règlement de la revendication puisque la demande de jugement déclaratoire présentée dans Apsassin a finalement été retirée et que l’audience a surtout porté sur l’aliénation de la réserve de Montney et de ses droits miniers. En parvenant  à cette conclusion, je n’évalue pas la preuve. Ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas grand chose à évaluer.

[44]  Il ne fait aucun doute que, dans certaines circonstances, le Tribunal peut exercer le vaste pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 13(1)b) de la LTRP afin d’admettre des éléments de preuve qui seraient par ailleurs irrecevables par l’application ordinaire de la loi, mais je ne crois pas que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire soit justifié en l’espèce. Je ne vois pas en quoi il serait avantageux d’admettre en l’espèce des éléments de preuve qui ne sont ni pertinents ni probants pour les motifs déjà exposés. Je refuse donc d’exercer ce pouvoir discrétionnaire

IV.  résumé : ordonnance et dépens

[45]  En résumé, il est confirmé que la demanderesse est autorisée à présenter la présente demande. Elle peut déposer en preuve les documents relatifs à Fort Nelson et les documents tirés du SETI en les versants au cahier conjoint des documents. Cependant, la demande visant à admettre en preuve les transcriptions Galibois est rejetée.

[46]  Compte tenu du succès partagé des parties dans la présente demande, je ne suis pas disposé à les inviter à formuler des observations sur la question des dépens ou à rendre une ordonnance quant aux dépens. Cependant, si les revendicatrices ont besoin que l’instance soit ajournée pour qu’elles puissent examiner les documents relatifs à Fort Nelson et les documents tirés du SETI et pour effectuer d’autres recherches par suite de leur admission, elles peuvent, dans les 15 jours suivant la publication des présents motifs, demander la tenue d’une conférence de gestion de l’instance pour pouvoir saisir le Tribunal de la question. Le Tribunal acceptera aussi le dépôt d’observations sur la question des frais engagés par les revendicatrices pour modifier les observations écrites qu’elles avaient déjà déposées. 

W. L. WHALEN

L’honorable W.L. Whalen

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20150310

Dossier : SCT-7007-11

OTTAWA (ONTARIO), le 10 mars 2015

En présence de l’honorable W.L. Whalen

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

et

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Demanderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocates de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Représentée par Allisun Rana et Emily Grier

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Représentée par James Tate et Ava Murphy

ET AUX :

Avocats de l’intimée (demanderesse)

Représentée par Brett C. Marleau et Jonathan Sarin

Ministère de la Justice

 

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