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Contenu de la décision

DOSSIER : SCT-7007-11

TRADUCTION OFFICIELLE

RÉFÉRENCE : 2014 TRPC 2

DATE : 20140220

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Allisun Rana et Julie Tannahill, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

 

James Tate et Ava Murphy, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Demanderesse)

 

Brett C. Marleau et Naomi Wright, pour l’intimée (demanderesse)

 

 

AUDIENCE : les 29 et 30 mai 2013

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Patrick Smith


TABLE DES MATIÈRES

I. REVENDICATIONS  4

II. DEMANDE  4

III. CONTEXTE DES REVENDICATIONS  4

IV. APERÇU DES FAITS  6

A. Cession de la R.I. 172 de 1945  6

B. Achat des réserves de remplacement  6

C. Traitement des droits miniers après l’achat des réserves de remplacement  7

D. Séparation de bandes et création de la PNDR et des PNBR  7

E. Bref aperçu de l’affaire Apsassin  7

V. QUESTIONS À TRANCHER  9

VI. cADRE lÉGISLATIF  9

VII. ANALYSE  10

A. Partie 1 – Autorité de la chose jugée et abus de procédure  10

1. Positions des parties  10

a) Position du Canada  10

b) Position des revendicatrices  10

2. Principes de la chose jugée  11

a) Causes d’action distinctes  14

b) Dans quelles circonstances une cause d’action aurait-elle dû être présentée au cours de la procédure antérieure?  17

3. Les revendications ont-elles l’autorité de la chose jugée à la lumière de l’affaire Apsassin?  18

a) Les revendications sont-elles distinctes?  18

b) Les revendications auraient-elles dû être présentées dans le cadre de l’affaire Apsassin?  23

4. Les revendications devraient-elles être exclues pour cause d’abus de procédure?  25

B. Partie 2 – Entente de décharge et d’indemnisation  27

1. Positions des parties  28

a) Position du Canada  28

b) Position des revendicatrices  29

2. Principes d’interprétation  30

3. Les revendications devraient-elles être rejetées compte tenu de la renonciation?  34

VIII. conclusion finAle  39


 

I.  REVENDICATIONS

[1]  Les défenderesses (revendicatrices), la Première Nation de Doig River (PNDR) et les Premières Nations de Blueberry River (PNBR), affirment que la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires et contractuelles parce qu’elle aurait omis d’obtenir les droits miniers dans les réserves indiennes 204, 205 et 206 (« réserves de remplacement »), lorsqu’elle a acheté ces réserves pour l’usage et le profit des revendicatrices, et qu’elle aurait omis de corriger cette erreur une fois que celle-ci a été découverte ou d’offrir une indemnisation pour toute perte découlant de cette erreur (« revendications »).

II.  DEMANDE

[2]  La demanderesse (l’intimée dans le cadre des revendications), Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (« Canada » ou la « Couronne »), a présenté, aux termes de l’alinéa 17c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP], une demande visant la radiation des deux déclarations de revendication au motif que celles-ci sont vexatoires.

[3]  Le Canada fonde sa demande sur deux motifs : (1) les deux revendications devraient être considérées comme irrecevables par application de la doctrine de la chose jugée; et (2) les deux revendications devraient être considérées comme irrecevables en raison de l’entente de décharge et d’indemnisation (« renonciation ») conclue à la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344 [Apsassin CSC], infirmant [1993] 3 CF 28 [Apsassin CAF]; [1988] 3 CF 20 [Apsassin CF 1re inst.], collectivement l’« affaire Apsassin ».

III.  CONTEXTE DES REVENDICATIONS

[4]  Le 12 avril 1999, la PNDR a présenté sa revendication au ministre par l’entremise de la Treaty 8 Tribal Association, qui agissait en son nom. Le 23 octobre 2003, la Treaty 8 Tribal Association a présenté la même revendication au nom de la Bande indienne de la rivière Blueberry.

[5]  Le 24 novembre 2008, le directeur général de la Direction générale des revendications particulières (DGRP) a informé la PNDR que sa revendication respectait la norme minimale établie par le ministre sous le régime de la LTRP et qu’elle serait traitée comme une demande d’indemnisation, comme le prévoit la Politique sur les revendications particulières. La PNDR affirme que, selon cette lettre, sa revendication de droits miniers est réputée avoir été déposée auprès du ministre le 16 octobre 2008.

[6]  La Couronne dit que, le 26 février 2008, la PNBR a informé le Canada par écrit qu’elle retirait sa revendication.

[7]  Le 24 mai 2009, la PNDR a déposé des observations supplémentaires mettant à jour la revendication initiale. La Couronne dit que, outre un manquement allégué à l’obligation fiduciaire, les observations supplémentaires font état d’une revendication selon laquelle il existait une obligation contractuelle d’octroyer à la PNDR les droits miniers afférents aux réserves de remplacement.

[8]  Le 15 décembre 2011, la PNDR a saisi le Tribunal de sa revendication, en fondant celle-ci sur les alinéas 14b) et c) de la LTRP. Après qu’une demande de prolongation du délai pour déposer une réponse a été accordée, le 21 décembre 2011, le Canada a déposé sa réponse le 24 février 2012.

[9]  Les parties ont convenu que le Tribunal pouvait entendre la revendication en application de l’alinéa 16(1)a) de la LTRP, le ministre ayant informé, le 21 décembre 2009, la PNDR par écrit de sa décision de ne pas négocier le règlement de la revendication au motif que, selon lui, la Couronne n’avait aucune obligation légale non exécutée.

[10]  Après avoir été informées de la revendication de la PNDR, le 17 mai 2012, conformément à l’article 22 de la LTRP, les PNBR ont demandé à ce qu’on leur accorde la qualité de revendicatrices dans l’instance devant le Tribunal. La Couronne s’est opposée à cette demande. Une audience sur cette question a eu lieu par vidéoconférence, le 4 octobre 2012. Le 30 novembre 2012, le Tribunal a rendu une décision accordant aux PNBR la qualité de revendicatrices. Les PNBR ont ensuite déposé leur déclaration de revendication, le 20 décembre 2012, et la Couronne a déposé sa réponse, le 9 janvier 2013.

[11]  La Couronne a déposé son avis de demande visant la radiation des deux revendications, le 24 avril 2013.

IV.  APERÇU DES FAITS

[12]  Les revendicatrices sont les descendantes actuelles de la Bande de Fort St. John Beaver (BFSJB), qui a adhéré au Traité 8 en 1900. Selon le Traité 8, la BFSJB s’est vu attribuer la réserve indienne 172 par décret daté du 11 avril 1916.

A.  Cession de la R.I. 172 de 1945

[13]  Le 22 septembre 1945, la BFSJB a cédé la R.I. 172 au Canada pour qu’il la vende ou la loue au profit de la Bande.

[14]  Au cours de l’assemblée de 1945 qui a mené à la cession de la R.I. 172, le Canada a promis à la BFSJB de nouvelles réserves qui seraient achetées à même le produit de la cession de la R.I. 172.

B.  Achat des réserves de remplacement

[15]  En 1946, le Canada a arpenté les terres qui sont devenues par la suite les réserves de remplacement (R.I. 204, 205 et 206), qui, ensemble, totalisaient 6 194 acres. En 1947, le Canada a accepté l’offre de la province de la Colombie Britannique (province) de lui vendre les terres qui un jour constitueraient les réserves de remplacement.

[16]  Le 30 mars 1948, le Canada a vendu et cédé la R.I. 172 au Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, 1942, LC 1942, c 33, pour une somme de 70 000 $. En juin 1948, la BFSJB a adopté une résolution du conseil de bande (RCB) autorisant une dépense n’excédant pas 5 000 $ afin que le Canada puisse acheter les réserves de remplacement à même les fonds du compte en capital de la BFSJB. Le Canada a approuvé la dépense de 4 932,50 $ provenant du fonds du compte en capital de la BFSJB pour l’achat de réserves de remplacement par décret (CP 9/2300). Ces fonds ont été transférés à la province au titre du paiement des terres.

[17]  Le 25 juillet 1950, en vertu du décret CP 1655, la province a cédé au Canada l’administration et le contrôle des réserves de remplacement, à l’exception des droits miniers, que s’était réservée la province.

[18]  Le 25 août 1950, en vertu du décret CP 4092, les réserves de remplacement ont été mises de côté à titre de réserves afin d’être administrées sous le régime de la Loi sur les Indiens, LRC 1927, c 98, au profit de la BFSJB.

C.  Traitement des droits miniers après l’achat des réserves de remplacement

[19]  Croyant apparemment que les droits miniers appartenaient désormais à la Bande, le Canada a obtenu, le 8 septembre 1950, une cession des droits miniers dans les réserves de remplacement afin qu’ils puissent être loués pour l’usage et le profit de la Bande.

[20]  Le 11 octobre 1950, le Canada a confirmé la cession des droits miniers dans les réserves de remplacement à des fins de location par le décret CP 4875. Le 26 octobre 1950, le Canada a délivré des permis d’exploration minière en ce qui concerne les réserves de remplacement à Halfway River Development Co. Ltd.

[21]  La Couronne a admis que, le 26 janvier 1952, après que les permis d’exploration eurent été délivrés, la province a informé le Canada qu’elle avait conservé les droits miniers dans les réserves de remplacement au moment de la cession des terres. Après avoir examiné les titres de propriété de la province, le Canada a convenu que c’était le cas.

[22]  Le directeur de la Division des affaires indiennes a ensuite informé Halfway River Dvelopment Co. Ltd. que les droits miniers dans les réserves de remplacement appartenaient à la province et a remboursé l’entreprise minière pour les droits relatifs aux permis qu’elle avait payés au Canada.

D.  Séparation de bandes et création de la PNDR et des PNBR

[23]  En 1977, les membres de la BFSJB se sont séparés et ont formé deux nouvelles bandes : les Premières Nations de Blueberry River et la Première Nation de Doig River. La PNDR a obtenu la R.I. 206 et la moitié nord de la R.I. 204. Pour leur part, les PNBR ont obtenu la R.I. 205 et la moitié sud de la R.I. 204.

E.  Bref aperçu de l’affaire Apsassin

[24]  En 1978, les bandes ont déposé à la Cour fédérale une déclaration dans laquelle elles alléguaient que le Canada avait manqué à son obligation fiduciaire relativement à la cession de la R.I. 172 et à sa gestion, après la cession, de la R.I. 172 et des droits miniers. Les bandes demandaient à la Cour de déclarer ce qui suit :

  1. La cession de la R.I. 172 de 1945 était nulle et non avenue;

  2. La cession des terres de 1948 à Anciens combattants était nulle et non avenue;

  3. Subsidiairement, la cession de 1945 et la cession de 1948 sont inopérantes et sans effet en ce qui concerne les droits miniers dans la R.I. 172;

  4. Les demanderesses continuent d’avoir droit à 18 168 acres de terres de réserve aux termes du Traité 8.

[25]  Dans la déclaration initiale, les bandes demandaient également qu’un jugement déclaratoire soit rendu concernant les droits miniers dans les réserves de remplacement.

[26]  Le 10 juin 1986, avant le début du procès, les bandes ont déposé une déclaration modifiée, selon laquelle elles abandonnaient la demande visant à obtenir un jugement déclarant qu’elles avaient un intérêt bénéficiaire dans les droits miniers afférents aux réserves de remplacement.

[27]  À la Cour fédérale, le juge de première instance a brièvement commenté dans sa décision la question des droits miniers dans les réserves de remplacement. Les parties n’étaient pas du même avis quant à la portée de cette analyse.

[28]  La Cour suprême du Canada a jugé que les revendications des demanderesses au sujet de l’omission du Canada de remédier au manquement découlant de la vente de la réserve de Montney (R.I. 172) n’étaient pas prescrites en vertu de la Limitation Act, RSBC 1979, c 236 (délai de prescription de 30 ans). La cause d’action remontait au 9 août 1949, alors que le Canada a appris qu’il avait cédé par erreur les droits miniers dans la R.I. 172. La Cour a donc jugé que les bandes avaient droit d’être indemnisées pour toute perte découlant de la cession des terres détenues par le Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants à des parties privées, si la perte était survenue à compter du 9 août 1949.

[29]  À la suite de la décision de la Cour suprême du Canada, les parties ont réglé leurs différends et ont signé la renonciation, le 26 février 1998.

V.  QUESTIONS À TRANCHER

[30]  Deux questions principales doivent être tranchées. D’abord, les revendications des revendicatrices dont le Tribunal a été saisi sont-elles irrecevables par application du principe de la chose jugée, en particulier en raison de la préclusion fondée sur la cause d’action? Trois sous questions sont visées par la présente analyse :

  • Les revendications sont-elles distinctes des causes d’action soulevées dans l’affaire Apsassin?

  • Les revendicatrices auraient elles dû faire valoir leurs revendications dans le cadre de l’affaire Apsassin?

  • Si les exigences techniques de la doctrine de la chose jugée ne sont pas respectées, le Tribunal devrait il exercer son pouvoir discrétionnaire et déclarer les revendications irrecevables pour cause d’abus de procédure?

[31]  Ensuite, la seconde question à trancher a trait à la renonciation : la renonciation empêche-t-elle les revendicatrices de présenter leurs revendications?

VI.  cADRE lÉGISLATIF

[32]  La LTRP confère au Tribunal les attributions d’une cour supérieure d’archives pour trancher tout point de droit ou de fait dans les affaires relevant de sa compétence (LTRP, alinéa 13(1)a)).

[33]  Le Tribunal peut radier une revendication, avec ou sans autorisation de modifier les actes de procédure, s’il estime que la revendication est vexatoire :

17.  Le Tribunal peut à tout moment, sur demande de toute partie, ordonner la radiation de tout ou partie de la revendication particulière avec ou sans autorisation de la modifier, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(…)

c) elle est frivole, vexatoire ou prématurée;  

(…)

VII.  ANALYSE

A.  Partie 1 – Autorité de la chose jugée et abus de procédure

1.  Positions des parties

a)  Position du Canada

[34]  La Couronne soutient que les revendications fondées sur le manquement aux obligations fiduciaires et/ou contractuelles sont irrecevables en application de la doctrine de la chose jugée (préclusion fondée sur la cause d’action) parce que ces revendications ont été présentées, ou auraient dû l’être, dans l’affaire Apsassin. Le Canada fait valoir qu’aucun nouveau fait qui n’aurait pu être découvert à cette époque n’est présenté aujourd’hui et que les revendications sont liées de façon suffisante à la cession dont les Cours fédérales et la Cour suprême du Canada ont été saisies, de telle sorte que les présentes revendications devraient être considérées comme faisant partie de la même transaction.

[35]  La Couronne affirme de plus qu’aucune circonstance ne justifie le Tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de faire droit aux revendications; les revendicatrices ont été représentées par avocat pendant toute l’affaire Apsassin; elles ont choisi de modifier leurs actes de procédure en 1986 afin d’abandonner la déclaration qu’elles avaient déposée en 1978, dans laquelle elles revendiquaient un intérêt bénéficiaire dans les droits miniers afférents aux réserves de remplacement, et elles doivent maintenant accepter les conséquences de cette décision.

[36]  Si le Tribunal conclut que les éléments techniques du principe de la chose jugée ne sont pas respectés, la Couronne demande, subsidiairement, que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire de rejeter les revendications parce qu’il s’agit d’une tentative de poursuite par étapes et, donc, d’un abus de procédure.

b)  Position des revendicatrices

[37]  Les revendicatrices avancent que la doctrine de la chose jugée ne s’applique pas. Elles affirment que la revendication contenue dans les actes de procédures de 1978 et visant à ce qu’on leur reconnaisse un intérêt bénéficiaire dans les réserves de remplacement a été abandonnée après qu’elles eurent modifié leurs actes de procédure avant l’instruction de l’affaire Apsassin. Elles ajoutent que la Couronne a affirmé que les revendications visées par l’arrêt Apsassin de la CSC ne portaient que sur la R.I. 172; que les présentes revendications sont distinctes et n’ont jamais été plaidées ou jugées, et que la complexité et le caractère incertain du paysage juridique à ce moment-là ne les incitaient pas à saisir le Tribunal des présentes revendications. D’après elles, les observations du juge de première instance au sujet de l’absence de droits miniers dans les réserves de remplacement ne lient pas le Tribunal et sont strictement incidentes.

[38]  Les revendicatrices soulignent que, en dépit de certains faits qui se chevauchent, les revendications relatives aux droits miniers dans les réserves de remplacement n’étaient pas essentielles pour statuer sur l’affaire Apsassin, et qu’elles découlent de faits substantiels différents, portent sur des terres de réserve différentes et sur des allégations de manquements de la Couronne différentes. En outre, les revendicatrices affirment que les revendications sont distinctes parce qu’elles tiennent compte d’une évaluation distincte des dommages et que les dommages visés par cette évaluation n’ont pas fait l’objet d’une indemnisation dans le cadre du règlement intervenu dans l’affaire Apsassin.

[39]  Les revendicatrices affirment que le droit n’exige pas que toutes les revendications possibles soient présentées ensemble et en même temps. Elles déclarent que, dans l’affaire Apsassin, le procès de dix semaines a abordé des principes juridiques complexes qui commençaient tout juste à évoluer. Bien qu’un cadre factuel élargi fût important pour établir le contexte de l’affaire, il n’était pas pratique d’ajouter des causes d’action supplémentaires. Selon les revendicatrices, les revendications ne sont pas telles qu’elles auraient dû être présentées dans le cadre de l’affaire Apsassin ou qu’elles constituent un abus de procédure parce qu’elles sont présentées aujourd’hui.

[40]  Les revendicatrices avancent également que, si les exigences techniques de la préclusion fondée sur la cause d’action sont respectées, le Tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et permettre l’instruction des revendications de façon à prévenir une injustice, compte tenu de toutes les circonstances entourant les revendications.

2.  Principes de la chose jugée

[41]  La doctrine de la chose jugée vise essentiellement à promouvoir l’intérêt public en favorisant le caractère définitif des instances et, dans une moindre mesure, à protéger les intérêts des parties pour qu’elles ne soient pas [Traduction] « tracassées deux fois pour la même cause d’action » (Donald Lange, The Law of Res Judicata in Canada (Toronto : Butterworths, 2000) pp. 4 et 5 [Lange, Res Judicata]; Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, par 32, 34 et 50, et, au sujet de l’abus de procédure, aux par 43 et 51 [Toronto]). D’innombrables décisions appliquant la doctrine de la chose jugée rendues dans de nombreux pays mettent l’accent sur ces considérations tout en exprimant une réticence à refuser à une partie la possibilité de voir sa demande jugée sur le fond.

[42]  Dans Maynard c Maynard, [1951] RCS 346 [Maynard], la Cour suprême du Canada a adopté la définition suivante de la chose jugée en citant la décision rendue en 1843 dans Henderson v Henderson (1843), 67 ER 313 (BR) [Henderson] :

[Traduction] J’espère exprimer correctement la règle que s’est imposée la présente Cour quand j’affirme que si un point donné devient litigieux et qu’un tribunal compétent le juge, on exige des parties qu’elles soumettent toute leur cause et, sauf dans des circonstances spéciales, on n’autorisera pas ces parties à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige, mais qui ne l’a pas été pour l’unique raison qu’elles ont omis de soumettre une partie de leur cause, par négligence, inadvertance ou même par accident. Le plaidoyer de la chose jugée porte, sauf dans des cas spéciaux, non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait demandé au tribunal d’exprimer une opinion et de prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objectivement partie du litige et que les parties auraient pu soulever à l’époque, si elles avaient fait preuve de diligence. [pp 358 et 359]

[43]  La norme de preuve applicable à une demande visant la radiation d’une revendication ou d’une action consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que la doctrine de la chose jugée s’applique (Chapman v Canada (Minister of Indian and Northern Affairs), 2003 BCCA 665, par. 23 à 25; Lehndorff Management v LRS Development Enterprises (1980), 109 DLR (3d) 729 (BC CA), par. 22, avec l’accord du juge Lambert).

[44]  Il y a deux catégories de chose jugée : la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et la préclusion fondée sur la cause d’action. Dans les présentes revendications, le Canada affirme que la préclusion fondée sur la cause d’action s’applique.

[45]  La Cour d’appel de la Colombie Britannique a expliqué la distinction entre la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et la préclusion fondée sur la cause d’action :

[Traduction] Lorsque la cause d’action est la même, la préclusion fondée sur la cause d’action empêche la remise en cause de toute question qui a été soulevée ou qui aurait dû être soulevée dans le cadre d’une procédure antérieure. Lorsque la cause d’action dans les deux procédures est distincte, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche la remise en cause de toute question tranchée dans le cadre de la procédure antérieure. [Innes v Bui, 2010 BCCA 322, au par 19]

[46]  À la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Grandview c Doering, [1976] 2 RCS 621 [Grandview], la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a établi, dans Bjarnarson v Government of Manitoba (1987), 38 DLR (4th) 32 [Bjarnarson], un critère à quatre (4) volets devant être respecté pour que la préclusion fondée sur la cause d’action s’applique :

1.  Un tribunal compétent doit avoir rendu une décision définitive dans l’action antérieure (« caractère définitif »);

2.  Les parties au litige subséquent doivent avoir été parties à l’action antérieure ou avoir une connexité d’intérêts avec les parties à l’action antérieure (« réciprocité »);

3.  La cause d’action dans l’action antérieure ne doit pas être distincte;

4.  Le fondement de la cause d’action dans l’action subséquente a été plaidé ou aurait pu être plaidé dans l’action antérieure si les parties avaient fait preuve d’une diligence raisonnable. [par 6, résumant les principes juridiques dans Grandview]

[47]  Les parties conviennent que les deux premiers éléments du critère à quatre volets établi dans Bjarnarson sont respectés, ce qui laisse les troisième et quatrième éléments en litige.

[48]  En ce qui concerne le quatrième volet du critère, il est désormais généralement reconnu que l’expression [Traduction] « aurait pu être plaidé » a une portée trop vaste et a été remplacée par l’exigence prévoyant que la cause d’action « aurait dû être plaidée » (Hoque v Montreal Trust, (1997), 162 NSR (2d) 321 (CA) [Hoque], autorisation d’appel refusée; Erschbamer c Wallster, 2013 BCCA 76, par 14).

[49]  Dans Hoque, la Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 37 :

[Traduction] Bien qu’un grand nombre de ces précédents citent et approuvent les termes généraux employés dans Henderson v. Henderson, précité, selon lesquels toute question que les parties avaient la possibilité de soulever sera exclue, je pense néanmoins que cette proposition est un peu trop large. Il serait plus exact de dire que les questions que les parties avaient la possibilité de soulever et, dans les circonstances, auraient dû soulever, seront exclues. [Souligné dans l’original.]

[50]  Les cas où la préclusion fondée sur la cause d’action a été appliquée concernent souvent des tentatives de remise en cause de la même question à la lumière d’une nouvelle thèse ou dans un autre ressort. Dans la décision Henderson, le demandeur cherchait à obtenir des comptes de la même société de personnes que celle qui avait fait l’objet d’une décision par un autre tribunal. Dans la décision Maynard, la demanderesse a tenté de rouvrir la question de pension alimentaire au moyen de nouveaux arguments portant sur des éléments qui avaient déjà fait l’objet d’un jugement dans les procédures de divorce antérieures. Dans la décision Bjarnarson, le défendeur avait déjà été reconnu coupable d’avoir causé, par négligence, des dommages aux biens d’un voisin du demandeur par suite d’une inondation. Le nouveau demandeur a réussi à empêcher le défendeur de remettre en cause la même conduite négligente qui avait fait l’objet de la poursuite antérieure.

[51]  Bien que la remise en cause de la même question à la lumière d’une nouvelle thèse soit clairement exclue, il convient de faire preuve de prudence et d’éviter d’appliquer les principes généraux établis par la jurisprudence sans prêter suffisamment attention au contexte. Alors que le contexte factuel et le fondement de principe d’une demande fondée sur l’autorité de la chose jugée demeurent imprécis, les tribunaux font généralement preuve d’une plus grande souplesse et d’un plus grand discernement, comme ce fût le cas dans Hoque.

a)  Causes d’action distinctes

[52]  Black définit la [Traduction] « nouvelle cause d’action » comme « [une] demande ne découlant pas de la conduite, du fait ou de l’opération visé par l’acte de procédure initial, ou n’y étant pas liée » (Black’s Law Dictionary, 8e édition, sub verbo “new cause of action” « nouvelle cause d’action »).

[53]  Pour décider si deux causes d’action sont distinctes, il faut comparer les faits substantiels des deux affaires, ce qui devient difficile lorsque certains faits se chevauchent.

[54]  Dans l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies, 2001 CSC 44 [Danyluk], la Cour suprême du Canada a adopté une approche axée sur les « faits substantiels » et a défini de la façon suivante la « cause d’action » dans le contexte de la doctrine de la chose jugée :

Traditionnellement, on définit la cause d’action comme étant tous les faits que le demandeur doit prouver, s’ils sont contestés, pour étayer son droit d’obtenir jugement de la cour en sa faveur : Poucher c. Wilkins (1915), 33 O.L.R. 125 (C.A.). Pour que le demandeur ait gain de cause, chacun de ces faits (souvent qualifiés de faits substantiels) doit donc être établi. [par 54]

[55]  Dans Cliffs Over Maple Bay Investments (Re), 2011 BCCA 180, la Cour d’appel a expliqué l’approche axée sur les faits substantiels de la façon suivante :

[Traduction] Dans ce contexte, la « cause d’action » renvoie non pas au nom ou à la catégorie du délit ou du recours, mais à une situation de fait qui ouvre droit à un recours. [par 28]

[56]  En outre, dans Fournogerakis v Barlow, 2008 BCCA 223 [Fournogerakis], la Cour d’appel a déclaré ce qui suit :

[Traduction] L’idée n’est pas que les parties doivent soulever toutes les causes d’action qu’elles pourraient avoir l’une envers l’autre dans le cadre d’une procédure afin d’empêcher que la préclusion soit invoquée dans le cadre d’une procédure ultérieure; plutôt, il faut que les parties épuisent tous les recours offerts par une cause d’action donnée – tout ensemble donné de faits substantiels – dans le cadre d’une procédure où ces faits sont pour la première fois mis en cause et font l’objet d’une décision. En règle générale, une cause d’action ne peut être soulevée et tranchée qu’une seule fois. L’analyse consiste à déterminer si les faits substantiels sur lesquels portent les deux actions sont les mêmes. [par 22]

[57]  Dans l’affaire Fournogerakis, les faits se chevauchaient. Les parties prenaient part à une action portant sur des allégations de rupture de contrat. L’action a été rejetée, et Fournogerakis a intenté une nouvelle action fondée sur l’enrichissement injustifié. La Cour d’appel a conclu que la preuve n’appuyait pas la thèse selon laquelle l’ensemble des opérations contestées ne constituait qu’une seule opération parce que l’on n’avait pas prouvé que la contrepartie était la même dans chaque cas (Fournogerakis, précité, par 27 à 30).

[58]  Dans l’affaire fréquemment citée Greymac Properties c Feldman (1990), 1 OR (3d) 686 (Div. Gen.) [Greymac], la Cour a établi un corollaire à l’approche axée sur les faits substantiels : si la nouvelle demande repose sur des faits qui lui sont propres, elle est distincte.

[Traduction] Il est clair que le moyen tiré du principe de la chose jugée s’applique à chaque point qui faisait partie du litige antérieur […]

À mon avis, aucune des décisions invoquées par l’intimé ne va jusqu’à affirmer qu’une partie ne peut soulever une cause d’action distincte dans le cadre d’une procédure parce qu’elle l’a peut-être fait à l’occasion d’une procédure antérieure portant sur une question distincte. Il existe une différence importante entre, d’une part, une défense étroitement liée aux questions à trancher dans le cadre de la procédure antérieure et, d’autre part, une action distincte engagée contre une partie au litige antérieur, une action qui repose sur son propre ensemble de faits et qui aurait pu être intentée à tout moment sans faire référence aux questions en litige dans le cadre de l’action antérieure. [pp 691 et 692]

[59]  Dans Batchelor v Morden, [1985] 50 CPC 39 (C. dist. Ont.), par 11 et 12, les parties étaient engagées dans une relation contractuelle. En dépit d’un jugement antérieur, l’une des parties a été autorisée à intenter une nouvelle action fondée sur des faits qui se chevauchaient.

[60]  Dans Thandi v Burnaby (Ville), 2005 BCS 1479, par 123 [Thandi], la cour a conclu qu’il suffisait que les faits allégués dans la demande ne soient pas [Traduction] «essentiellement» les mêmes.

[61]  En somme, plusieurs des décisions de principe sur la doctrine de la chose jugée offrent un exemple clair d’une partie qui tente de débattre à nouveau d’une même question en faisant valoir une nouvelle thèse. La doctrine de la chose jugée exclut ce type de remise en cause. Cependant, une grande partie de la jurisprudence porte sur des cas qui ne sont pas si évidents, où les parties partagent certains antécédents donnant lieu à diverses causes d’action qui pourraient être considérées comme distinctes. Ainsi, dans Fournogerakis, Greymac, Thandi, précités et Batchelor, les causes d’action étaient distinctes parce que les faits substantiels, malgré certains chevauchements, différaient de façon importante.

[62]  Ces décisions appuient et clarifient l’arrêt Maynard, où la Cour, comme nous l’avons mentionné, a déclaré que la doctrine de la chose jugée s’applique [Traduction] « non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait demandé au tribunal d’exprimer une opinion et de prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objectivement partie du litige » (Maynard, précité, p 359).

b)  Dans quelles circonstances une cause d’action aurait-elle dû être présentée au cours de la procédure antérieure?

[63]  La question qui consiste à déterminer si une cause d’action aurait dû être soulevée au cours de la procédure antérieure vise à prévenir les poursuites vexatoires par étapes, un argument avancé par le Canada devant le Tribunal.

[64]  Selon la règle, il n’est pas nécessaire que toutes les causes d’action possibles soient présentées ensemble (Fournogerakis, précité; Greymac, précité). La Cour a abordé cette question dans Hoque. Hoque avait une dette hypothécaire envers Montréal Trust et avait conclu un accord de refinancement, qu’il n’a pas honoré. Montréal Trust a intenté une action forclusion à l’encontre de Hoque; le fiduciaire de Hoque n’a pas comparu à l’instance. Hoque a tenté d’engager une nouvelle action en alléguant que des actes malveillants avaient été commis pour nuire à son entreprise, que ses relations économiques avaient fait l’objet d’ingérence, que des éléments abusifs faisaient partie de l’accord de financement, qu’il y avait eu conduite abusive, que des renseignements confidentiels avaient été divulgués et qu’il souffrait de détresse psychologique.

[65]  Le juge Cromwell a accueilli l’action et a énuméré plusieurs facteurs visant à déterminer si les nouvelles causes d’action auraient dû être présentées au cours de la procédure de forclusion antérieure :

[Traduction] Selon mon analyse de ces décisions, aucun de ces cas n’illustre en fait ce principe général, bien qu’il existe certaines déclarations d’ordre très général selon lesquelles toutes les questions qui auraient pu être soulevées sont irrecevables en application du principe de la préclusion fondée sur la cause d’action. Dans chaque cas, la question consistait à déterminer si la partie aurait soulever le point qu’elle fait maintenant valoir dans la seconde procédure. Cela dépend de plusieurs facteurs, notamment de savoir si les nouvelles allégations sont incompatibles avec les questions qui ont été tranchées dans l’affaire antérieure, si l’affaire repose sur la même cause d’action ou sur une cause d’action distincte, s’il s’agit d’une tentative de s’appuyer sur de nouveaux faits qui auraient pu être découverts moyennant une certaine diligence raisonnable dans la procédure antérieure, si la seconde action est simplement une tentative d’imposer une nouvelle conception juridique aux mêmes faits ou si la présente action constitue un abus de procédure. [Souligné dans l’original, italiques ajoutés; par 64]

[66]  Dans Hoque, la Cour a accordé un poids immense au fait que les allégations formulées dans le cadre de la deuxième action n’étaient pas incompatibles avec l’action antérieure. Elle a également conclu à l’existence d’objectifs stratégiques généraux, notamment les objectifs stratégiques des lois applicables. La préoccupation primordiale consistait à déterminer si le fait d’accepter la cause d’action était susceptible de préserver l’intégrité de l’administration de la justice.

3.  Les revendications ont-elles l’autorité de la chose jugée à la lumière de l’affaire Apsassin?

[67]  Comme il a été noté, les parties conviennent que les éléments relatifs au caractère définitif et à la réciprocité du critère établi dans Grandview ont été respectés.

a)  Les revendications sont-elles distinctes?

[68]  J’estime que les revendications sont distinctes des causes d’action de l’affaire Apsassin, sous réserve de certaines exceptions limitées exposées plus en détail ci-dessous.

[69]  L’affaire Apsassin portait principalement sur la perte des droits miniers découlant de la cession de la R.I. 172. Dans cette affaire, la déclaration initiale déposée en 1978 à la Cour fédérale comprenait également une conclusion « subsidiaire » visant à obtenir un jugement déclaratoire concernant les droits miniers afférents aux réserves de remplacement. Cependant, en 1986, avant le début du procès, les demanderesses ont modifié leurs actes de procédure afin de supprimer la conclusion subsidiaire pour se concentrer principalement sur la R.I. 172, alléguant entre autres que la cession de la R.I. 172 de 1945 et la cession de la R.I. 172 de 1948 étaient nulles, annulables et sans effet en ce qui concerne les droits miniers dans la R.I. 172.

[70]  Si une conclusion est modifiée avant le début du procès, on ne considère pas que la conclusion ainsi modifiée a été rejetée ou tranchée par la cour et qu’elle est de ce fait irrecevable dans le cadre d’une procédure ultérieure (McNichol v Co Operators General Insurance Co, 2006 NBCA 54, par 28 et 29).

[71]  Dans Apsassin, les allégations des demandeurs au sujet des réserves de remplacement concernaient la question de la validité de la cession. Précisément, les demandeurs ont fait valoir que, lorsque le Canada a favorisé et accepté la cession et qu’il a consenti au transfert de la R.I. 172, il savait ou aurait dû savoir qu’il ne pouvait pas tenir les promesses qu’il avait faites à la BFSJB. Selon ces promesses, le Canada devait, entre autres, fournir des réserves de remplacement qu’il achèterait à même le produit de la vente de la R.I. 172. Dans la déclaration modifiée, il n’est question des réserves de remplacement que dans le contexte des attaques formulées à l’encontre de la validité de la cession de la R.I. 172.

[72]  La déclaration modifiée ne contenait aucune allégation selon laquelle il y aurait eu manquement aux obligations fiduciaires dans le cadre de l’achat ultérieur des réserves de remplacement ou de la découverte, en 1952, du fait que les droits miniers n’étaient pas compris dans l’achat; de plus, elle ne contenait aucune demande d’indemnisation fondée sur la perte des droits miniers afférents aux réserves de remplacement.

[73]  La question substantielle soulevée par l’affaire Apsassin était de savoir si les promesses faites par le Canada avaient une incidence sur la validité de la cession de la R.I. 172. À la Cour fédérale, le juge Addy a abordé la question des réserves de remplacement afin d’analyser la validité de la cession et de déterminer si les promesses effectuées au moment de la cession avaient été en fait remplies (Apsassin, CFPI, précité, par 141 à 149). Le juge Addy a conclu que la preuve ne permettait pas de confirmer qu’une promesse concernant des réserves et des droits miniers futurs avait été faite et a donc rejeté l’argument selon lequel cette promesse était susceptible d’invalider la cession de la R.I. 172. Hormis ce point, je suis d’avis que les observations formulées par la Cour fédérale à l’égard des droits miniers afférents aux réserves de remplacement étaient des remarques incidentes.

[74]  Dans les appels interjetés à la Cour d’appel fédérale et à la Cour suprême du Canada, les manquements allégués concernant l’achat et l’absence de réparation que les revendicatrices font maintenant valoir n’ont pas été abordés. À la Cour suprême du Canada, les juges majoritaires et les juges minoritaires ont traité des obligations de la Couronne concernant la R.I. 172. Le juge Gonthier a souligné que « d’autres terrains » avaient été promis au moment de la cession de 1945, et la juge McLachlin a observé que les « terres de remplacement achetées » n’incluaient pas les droits miniers, mais aucun des deux juges ne s’est intéressé aux obligations de la Couronne en ce qui a trait aux réserves de remplacement ni à la question de savoir si ces obligations avaient été remplies (Apsassin CSC, précité, par 9, 86 et 100).

[75]  L’historique des mesures prises par la Couronne et le moment où elles ont été prises sont importants. Les allégations de manquement aux obligations fiduciaires et/ou contractuelles dans le cadre des présentes revendications visent deux périodes : la période allant jusqu’à 1950 inclusivement où la Couronne a pris des mesures pour procéder à l’achat des réserves de remplacement sans les droits miniers; et la période où la Couronne n’a pas corrigé cette erreur alléguée après qu’elle eut appris en 1952 que la province s’était réservé les droits miniers. Les deux sont postérieures à la cession de 1945.

[76]  L’achat des réserves de remplacement comprenait d’autres étapes distinctes après la cession de 1945, dont les mesures supplémentaires prises par la Couronne et par la BFSJB, notamment : l’acceptation en 1947 par la Couronne de l’offre de la province; l’autorisation par la BFSJB, en vertu de la RCB de 1948, d’une dépense allant jusqu’à 5 000 $ pour l’achat de réserves de remplacement; le décret (CP 9/2300) approuvant cette dépense; et le transfert en 1950 de la province au Canada de l’administration et du contrôle des droits de superficie, mais non des droits miniers, dans les réserves de remplacement. Si ces autres étapes n’étaient pas pertinentes dans l’affaire Apsassin, elles sont essentielles pour les revendications dont a été saisi le présent Tribunal.

[77]  Le produit de la vente de la R.I. 172 était en possession de la Couronne après que la R.I. 172 eut été vendue, mais des approbations et des autorisations supplémentaires de la part de la BFSJB et de la Couronne étaient exigées. La BFSJB aurait pu demander à la Couronne d’utiliser le produit de la vente à d’autres fins, ce qui, en fait, a été le cas pour une grande partie du produit de la vente. Cela tend à démontrer qu’une opération distincte a eu lieu au moment de l’achat.

[78]  De même, il ressort clairement que la Couronne n’était pas consciente du fait que la province avait, en 1950, conservé les droits miniers dans les réserves de remplacement jusqu’à ce que ce fait ait été découvert en 1952. Si ces événements, ultérieurs à 1945, sont essentiels dans le cadre des revendications actuelles, ils n’étaient pas importants dans l’affaire Apsassin, en ce qu’ils ne permettaient pas de déterminer si la cession de 1945 de la R.I. 172 était valide ou s’il y avait eu manquement aux obligations fiduciaires.

[79]  En termes simples, la conduite de la Couronne à l’égard du produit de la vente de la R.I. 172 n’était pas en litige dans l’affaire Apsassin et elle n’était pas importante en ce qui a trait aux causes d’action sur lesquelles les tribunaux se sont prononcés dans cette affaire. Pour ce motif, les manquements découlant de l’achat et de l’absence de réparation dont a été saisi le Tribunal sont des causes d’action distinctes des causes d’action visées par l’affaire Apsassin.

[80]  Il convient également de noter que, dans l’arrêt Apsassin, la Cour suprême du Canada a estimé que l’omission de réserver les droits miniers afférents à la R.I. 172 et l’omission ultérieure de remédier à cette erreur étaient deux causes d’action distinctes exigeant un traitement distinct en vertu de la Limitation Act. Les manquements constituaient une partie essentielle des causes d’action. Cela appuie davantage la thèse selon laquelle les manquements qu’aurait commis la Couronne au cours des étapes ayant précédé l’achat des réserves de remplacement et son omission alléguée de remédier à la situation en 1952 après qu’elle eut été informée que la province n’avait pas cédé les droits miniers dans les réserves de remplacement devraient être considérés comme des causes d’action distinctes.

[81]  Enfin, les faits substantiels relatifs au calcul des dommages intérêts seraient également distincts de ceux de l’affaire Apsassin, puisque les dommages intérêts en l’espèce, s’il en est, concerneraient uniquement les réserves de remplacement, tandis que la Cour suprême du Canada a pris seulement en considération la responsabilité relative à la perte des droits miniers dans la R.I. 172. La Cour suprême du Canada a demandé aux parties de régler la question des indemnités liées à la R.I. 172 dans le cadre de l’action en dommages intérêts devant la Cour fédérale.

[82]  Il appert cependant que la promesse de nouvelles réserves faisait partie des négociations en vue de la cession de la R.I. 172 et qu’elle a donc joué un rôle important au chapitre de la validité de la cession dans l’affaire Apsassin. Cette promesse constitue un fait substantiel qui chevauche les deux affaires.

[83]  Partant, la Couronne allègue que, malgré les différences entre les causes d’action dans l’affaire Apsassin et les revendications dont a été saisi le présent Tribunal, les revendications devraient être considérées comme faisant partie de la même transaction générale, c’est à dire la cession de la R.I. 172.

[84]  Les actes de procédure relatifs aux présentes revendications ont été rédigés de façon générale, ce qui laisse sous-entendre l’existence de multiples causes d’action en ce qui concerne les faits substantiels et les obligations fiduciaires et contractuelles. S’agissant des attentes et des obligations à l’égard des droits miniers dans les réserves de remplacement, la déclaration de revendication des revendicatrices renvoie à la cession de 1945, mais également aux faits et événements ultérieurs allant jusqu’à 1952 :

[Traduction]

42. Il ressort clairement que, initialement, la Bande de Fort St. John Beaver et le Canada ont conclu une entente au moment de la cession de la réserve de Montney selon laquelle le Canada fournissait des réserves de remplacement à la Bande.

43. En outre, il ressort clairement que les parties comprenaient que les réserves de remplacement incluaient les droits miniers, parce que :

a)  la loi en vigueur à l’époque pertinente donnait une définition de « réserve » qui comprenait les droits miniers […];

b)  la Bande de Fort St. John Beaver avait des droits miniers dans la réserve de Montney;

c)  la Bande a cédé ses droits dans la réserve de Montney à la condition de recevoir des réserves de remplacement, et, en l’absence de tout accord particulier à l’effet contraire, le Canada et la Bande devaient avoir prévu que la Bande recevrait ces réserves de remplacement aux mêmes conditions que celles qui s’étaient appliquées initialement à la réserve de Montney;

d)  la conduite ultérieure des deux parties, qui ont conclu une cession (à des fins de location) des droits miniers afférents aux réserves de remplacement, montre qu’elles avaient compris que les réserves de remplacement comprenaient les droits miniers;

e)  la conduite ultérieure du Canada, qui a délivré des permis d’exploration relatifs aux réserves de remplacement, montre que le Canada voulait que les réserves de remplacement comprennent les droits miniers et avait compris qu’elles les comprenaient. [PNDR, Déclaration de revendication, par 42 et 43; PNBR, Déclaration de revendication, par 44 et 45, qui va dans le même sens].

[85]  Les revendicatrices cherchent donc à fonder leurs allégations sur les promesses faites au moment de la cession de la R.I. 172 en 1945, et/ou, sur les transactions ultérieures intervenues entre les parties et les actes unilatéraux posés par la Couronne jusqu’en 1952.

[86]  Comme il a été mentionné précédemment, les allégations fondées sur ces derniers événements s’attachent à divers droits, obligations et décisions de la BFSJB et de la Couronne et portent ainsi sur des faits substantiels et des causes d’action très différents de ceux sur lesquels les tribunaux ont statué dans l’affaire Apsassin. Le fait que les nouvelles réserves ont été promises en 1945 était connu des parties au cours de la période allant de 1947 à 1952 et faisait partie des éléments incontestés qui ont servi de toile de fond aux transactions liées à l’achat au cours de cette période. De même, les politiques foncières provinciales antérieures à 1950 font partie du cadre factuel des présentes revendications dont a été saisi le Tribunal. Il ne fait aucun doute que ce cadre factuel chevauche celui de l’affaire Apsassin, mais, à mon avis, les points de chevauchement ne sont pas suffisamment nombreux pour que l’on puisse affirmer qu’il s’agit des mêmes faits substantiels. Un certain chevauchement est acceptable (Fournogerakis, précité; Greymac, précité; Batchelor, précité; Thandi; précité).

[87]  J’estime donc que les actes de procédure fondés sur les transactions et les événements ultérieurs à la cession de 1945 renvoient, de façon contextuelle, à la cession en ce qu’ils s’inscrivent dans les attentes sous-jacentes des parties au moment où elles ont conclu ces transactions ultérieures. Ces actes de procédure ont trait à des causes d’action distinctes. Le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’y applique pas.

[88]  Cependant, dans la mesure restreinte où les déclarations de revendication renvoient à la cession de 1945 de sorte qu’il soit allégué qu’une obligation contraignante concernant les droits miniers dans les réserves de remplacement a pris naissance lors de l’assemblée de la cession elle-même, cette cession est la même que celle visée par l’affaire Apsassin. Considérant l’affaire Grandview, il convient d’examiner si un tel argument aurait dû être formulé dans Apsassin.

b)  Les revendications auraient-elles dû être présentées dans le cadre de l’affaire Apsassin?

[89]  Dans Hoque, la Cour s’est demandé non seulement si la nouvelle cause d’action était distincte, mais aussi s’il s’agissait d’une attaque indirecte et si on lui demandait de procéder de façon incohérente par rapport à une décision antérieure, au contexte politique des revendications formulées dans le cadre de la nouvelle poursuite et à l’ensemble des effets sur l’intégrité de l’administration de la justice, en accueillant ou en rejetant la nouvelle action.

[90]  Les revendications dont nous sommes saisis ne présentent aucune incohérence par rapport à l’affaire Apsassin, non plus qu’elles ne constituent une contestation indirecte de cette affaire. En fait, les revendications visent à appliquer les principes fiduciaires que la Cour suprême du Canada a formulés dans l’arrêt Apsassin à la conduite de la Couronne au moment de l’achat des réserves de remplacement et au moment où elle a appris qu’elle n’avait pas obtenu les droits miniers y afférents.

[91]  La question consistant à déterminer si les droits miniers faisaient présumément partie de la promesse faite en 1945 au sujet des réserves de remplacement n’a jamais été tranchée par la Cour suprême du Canada ni par la Cour d’appel fédérale puisqu’il n’était pas nécessaire de le faire; comme il a été mentionné, les commentaires du juge de première instance sur les réserves de remplacement dépassaient le cadre de l’examen portant sur la validité de la cession de la R.I. 172 et sont, de ce fait, incidents.

[92]  La Couronne affirme néanmoins que les revendications sont un affront à l’intégrité de l’administration de la justice puisqu’il s’agit d’une tentative de poursuite par étapes.

[93]  Je ne suis pas d’accord. Les revendications ne visent pas un résultat incohérent par rapport à une décision antérieure non plus qu’elles cherchent à remettre essentiellement en cause les mêmes faits substantiels. Les revendicatrices ne tentent pas de débattre à nouveau de la validité de la cession. Les manquements allégués sont survenus plus tard et sont distincts. Dans les déclarations de revendication, les revendicatrices avancent plusieurs arguments à l’appui de l’obligation alléguée. La promesse générale d’offrir de nouvelles réserves – dont parle la Cour suprême du Canada – n’est pas contestée. À proprement parler, l’achat par la Couronne des réserves de remplacement et le fait qu’elle aurait manqué à ses obligations concernant les droits miniers dans les réserves de remplacement n’étaient pas pertinents dans le cadre de l’affaire Apsassin. Dans la mesure restreinte où les revendicatrices affirment que des obligations contraignantes ont pris naissance lors de l’assemblée de la cession en 1945 (à la différence des interactions ultérieures entre les parties) et que la Couronne a par la suite manqué à ces obligations, j’estime qu’il n’est pas évident et manifeste que même ces conclusions auraient dû être présentées au cours de l’affaire Apsassin.

[94]  Je souscris aux observations des revendicatrices. L’affaire Apsassin était déjà très longue (se déroulant sur une période de quelque dix semaines), coûteuse et complexe. À l’époque, le droit concernant le rôle de fiduciaire de la Couronne était en évolution et il était beaucoup moins clair qu’il peut l’être de nos jours. Il n’est pas évident, ni raisonnable de penser, que les revendications actuelles auraient dû être présentées avec les causes d’action sur lesquelles les tribunaux ont statué dans l’affaire Apsassin, ou qu’il aurait été plus efficace ou pratique de procéder ainsi.

[95]  De plus, comme nous le verrons plus loin en ce qui concerne la renonciation et la façon dont les parties définissent l’« action », il n’est pas non plus tout à fait évident que les parties s’attendaient à une décision définitive en ce qui concerne les réserves de remplacement à l’issue de l’affaire Apsassin.

[96]  En outre, la preuve disponible ne permet pas d’établir que les revendications exposeraient la Couronne à la possibilité d’une double indemnisation, ce qui est important pour l’administration de la justice. La Cour suprême du Canada a conclu à la responsabilité de la Couronne pour la perte des droits miniers dans la R.I. 172 seulement et, dans ce sens, elle a ordonné la tenue d’un procès pour dommages intérêts. L’affidavit Vanderkruyk vient étayer encore davantage la position selon laquelle l’affaire Apsassin ouvre droit à une indemnisation. Les revendications dont a été saisi le Tribunal prennent en considération la façon dont une petite partie des 70 000 $ provenant du produit de la vente a été utilisée, ce qui n’était pas visé par le processus de règlement relatif l’affaire Apsassin qui a fait suite à l’arrêt de la Cour suprême du Canada.

[97]  Le Canada ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il était évident et manifeste qu’il fallait déclarer les revendications irrecevables par application de la doctrine de la chose jugée.

[98]  [Traduction] « L’administration de la justice est non pas menacée, mais plutôt favorisée par le fait de permettre au demandeur de se faire entendre devant les tribunaux » [Rivet c BC, 2007 BCSC 731, par 126).

4.  Les revendications devraient-elles être exclues pour cause d’abus de procédure?

[99]  La doctrine de l’abus de procédure protège l’intégrité de l’administration de la justice lorsque les exigences techniques du principe de la chose jugée ne peuvent âs être établies (Toronto précité). Il s’agit principalement de déterminer si la cause d’action représente une contestation indirecte, vise à obtenir des résultats incompatibles avec une décision antérieure et avec le caractère définitif des instances (Toronto, précité).

[100]  Pour les motifs susmentionnés, les revendications dont est saisi le Tribunal ne sont pas des contestations indirectes et, si elles devaient être accueillies, elles n’entraîneraient pas de résultats incompatibles avec une décision antérieure.

[101]  Les revendications ne visent pas à contester le caractère définitif des conclusions tirées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apsassin au sujet des droits miniers dans la R.I. 172, ni la validité de la cession.

[102]  Bien qu’une partie ait le droit de ne pas être tracassée deux fois pour la même cause d’action, cette protection ne s’applique pas lorsque les causes d’action sont suffisamment distinctes pour constituer le fondement d’une autre demande. J’ai conclu que les manquements allégués dans le cadre de l’achat de réserves de remplacement étaient distincts.

[103]  Les revendicatrices cherchent en fait à s’appuyer sur les promesses faites au moment de la cession, mais les revendications sont très différentes de celles présentées dans l’affaire Apsassin, et, pour les motifs que j’ai déjà mentionnés, je ne saurais conclure que ces arguments auraient dû être avancées dans l’affaire Apsassin. La doctrine de l’abus de procédure n’est pas stricte. L’efficacité et la commodité du caractère définitif des instances ne sont pas l’enjeu principal de la doctrine de l’abus de procédure, bien qu’il s’agisse de facteurs à considérer (Toronto, précité). Plutôt, la principale considération est l’intégrité de l’administration de la justice.

[104]  S’agissant de l’administration de la justice, j’ai déjà expliqué pourquoi les revendications devraient pouvoir faire l’objet, dans leur intégralité, d’une instruction sur le fond.

[105]  Permettre l’instruction des revendications relève des pouvoirs en matière de procédure conférés par l’alinéa 17c) de la LTRP et à l’objet de la loi décrit dans le préambule, à savoir :

qu’il est dans l’intérêt de tous les Canadiens que soient réglées les revendications particulières des Premières Nations;

que le règlement de ces revendications contribuera au rapprochement entre Sa Majesté et les Premières Nations et au développement et à l’autosuffisance de celles-ci […]

[106]  Compte tenu des différences importantes en ce qui concerne les faits substantiels et ceux de l’affaire Apsassin, des motifs liés à l’intégrité de l’administration de la justice mentionnés ci-dessus, de l’objet et de la politique qui sous-tendent le processus des revendications particulières et la LTRP, et du lourd fardeau dont il faut s’acquitter pour que les revendications soient rejetées pour ce motif, on ne peut pas dire que celles-ci constituent un abus de procédure.

B.  Partie 2 – Entente de décharge et d’indemnisation

[107]  À la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Apsassin, les parties au litige ont conclu un accord de règlement, qui a été signé le 27 février 1998. Conformément à cet accord, les revendicatrices ont également signé une renonciation, le 26 février 1998. L’accord de règlement a ensuite été approuvé et incorporé au jugement prononcé par la Cour fédérale du Canada qui ordonnait le versement de dommages intérêts aux revendicatrices (Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1998] ACF no 1952).

[108]  L’interprétation de l’expression [Traduction] « relativement à l’action » qui figure aux clauses 2a) et b) de la renonciation est en litige. La clause 2 de la Renonciation (Recueil de documents des revendicatrices, vol. 8, document 50) précise ce qui suit :

a)  [Traduction] de libérer définitivement le Canada et ses ministres, représentants officiels, fonctionnaires, employés, mandataires et leurs successeurs et ayants droit de toute procédure connue ou non, de quelque nature que ce soit, en droit, en equity ou autrement, que les bandes et leurs membres, leurs héritiers, descendants, représentants légaux, successeurs et ayants droit respectifs ont pu, peuvent, ou pourraient engager, à l’encontre du Canada et de ses ministres, représentants officiels, fonctionnaires, employés, mandataires, successeurs et ayants droit, relativement à l’action;

b)  de ne faire valoir aucun argument, connu ou non, et de quelque nature que ce soit, en droit, en equity ou autrement, que les bandes et leurs membres, leurs héritiers, descendants, représentants légaux, successeurs et ayants droit respectifs ont pu, peuvent ou pourraient avoir à l’avenir à l’encontre du Canada et de ses ministres, représentants officiels, fonctionnaires, employés, mandataires, successeurs et ayants droit relativement à :

(i) l’action;

[…][par 2]

[109]  Le mot « action » est expressément défini à la clause 1a) de la renonciation :

[Traduction] […] toutes les revendications présentées dans le cadre de la poursuite no T 4178 78 et qui figurent dans la déclaration modifiée datée du 17 décembre 1985 et déposée le 10 juin 1986, et l’arrêt de la Cour suprême du Canada, daté du 14 décembre 1995, et modifié le 23 mai 1996 dans CSC no 23516; [par 1a)]

1.  Positions des parties

a)  Position du Canada

[110]  Le Canada allègue que la renonciation le décharge de ses obligations « relativement à » la cession de la R.I. 172. Il avance qu’il est libéré de sa responsabilité à l’égard des revendications parce qu’elles étaient connues au moment où la renonciation a été signée et qu’elles sont pertinentes pour la cession de la R.I. 172 et ont un lien rationnel avec celle-ci.

[111]  Étant donné que l’existence des revendications était connue au moment où la renonciation a été signée, le Canada fait valoir que, si les parties avaient voulu les exclure de la renonciation, elles auraient utilisé un libellé explicite pour ce faire. Le Canada prétend que, si les parties avaient eu l’intention de restreindre la renonciation aux seules conclusions figurant dans la déclaration modifiée de 1986 et à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Apsassin, elles auraient employé un libellé plus restreint, par exemple « dans l’action ».

[112]  Le Canada affirme également que l’interprétation qu’il propose trouve appui dans l’interprétation de la clause 2 dans son ensemble. Il soutient que, puisque cette disposition libère le Canada de sa responsabilité à l’égard des revendications « inconnues », aucune interprétation raisonnable ne peut être limitée aux seules conclusions figurant dans la déclaration modifiée de 1986 et à celles sur lesquelles les tribunaux ont statué dans l’affaire Apsassin.

[113]  Le Canada avance que l’expression « relativement à » s’entend de ce qui est pertinent pour l’objet du litige ou de ce qui y est rationnellement lié. Il soutient que les revendications auraient dû être présentées au cours du procès Apsassin puisque aucun nouvel élément de preuve n’était nécessaire pour ce faire, ce qui prouve qu’un lien factuel important existe entre les deux procédures. Le Canada signale également que le recours par les demanderesses d’éléments de preuve liés à la conservation des droits miniers afférents aux réserves de remplacement par la province laisse entendre que le Canada avait une obligation fiduciaire de réserver les droits miniers afférents à la R.I. 172. Selon le Canada, toute obligation postérieure à la cession est rationnellement liée à la décision concernant la cession dans l’affaire Apsassin.

[114]  Le Canada fait valoir que les circonstances de l’espèce appuient l’interprétation qu’il préconise, notamment que les parties ont pris part à un procès long et complexe au sujet de la cession de la R. I. 172; que les revendicatrices étaient conscientes des présentes revendications et qu’elles ont choisi de ne pas les présenter; et que le préambule de la renonciation laisse voir une intention de le libérer de responsabilité à l’égard de toutes les revendications [Traduction] « qui découlent de l’action ou qui y sont liées » (attendu C).

[115]  Enfin, le Canada soutient qu’il est dans l’intérêt de la justice de confirmer la renonciation afin de conférer un caractère définitif à l’instance relative à la cession de la R.I. 172, ce qui permettrait de mettre fin à la longue contestation juridique sur laquelle les cours ont statué dans l’affaire Apsassin.

b)  Position des revendicatrices

[116]  Les revendicatrices font valoir que la renonciation définit expressément le mot « action » comme englobant toutes les revendications présentées dans le cadre de l’affaire Apsassin, et qui figurent dans la déclaration modifiée déposée en 1986, qui ne comportait aucune revendication sur les droits miniers afférents aux réserves de remplacement. Elles avancent que le mot « action » renvoie aussi au jugement de la Cour suprême du Canada, qui ne contient aucune conclusion ni constatation quant à la question des droits miniers afférents aux réserves de remplacement.

[117]  Les revendicatrices soutiennent que l’application des principes adéquats d’interprétation au libellé de la renonciation, compte tenu des mots utilisés dans l’ensemble du document et du contexte dans lequel elle a été négociée, appuie la position selon laquelle la renonciation ne s’applique pas aux revendications dont a été saisi le Tribunal en ce qui concerne la perte des droits miniers dans les réserves de remplacement. Comme le précise le mémoire conjoint des arguments et du droit des revendicatrices :

[Traduction]

La renonciation visait à régler définitivement toute revendication, connue ou non, passée, présente ou future, en ce qui concerne la cession, la vente et le transfert de la R.I. 172, ce qui comprend la perte des droits miniers dans la R.I. 172. Le préambule et la définition restreinte d’« action » contenue dans la renonciation appuient cette position. De plus, le cadre factuel étaye cette interprétation, étant donné que les négociations et l’accord entre les parties quant à la somme de 147 000 000 $ afin de régler le litige semblent avoir été fondés sur leur appréciation respective des seuls droits miniers afférents à la R.I. 172. [par 116]

[118]  Les revendicatrices soutiennent que les circonstances de l’espèce tendent à indiquer que l’indemnité que les demanderesses ont reçue était liée seulement à la R.I. 172, ce qui dénote l’intention des parties au moment où elles ont signé la renonciation. Les revendicatrices affirment que cette interprétation est la plus juste et la plus raisonnable et que, par conséquent, elle devrait être considérée comme celle qui traduit le mieux les intentions des parties.

2.  Principes d’interprétation

[119]  L’interprétation d’une renonciation est guidée par le droit des contrats et est régie par le texte écrit. Dans l’arrêt Bank of British Columbia Pension Plan v Kaiser, 2000 BCCA 291, par 17 [Kaiser], la Cour d’appel a énuméré les principes qu’il convient d’appliquer au moment d’interpréter une renonciation. Ils sont tirés de l’ouvrage de Anthony Gordon Guest, ed., Chitty on Contracts, vol 1 (London : Sweet & Maxwell Ltd, 1994) :

[Traduction]

[…]

1. Aucune formulation particulière n’est nécessaire pour constituer une renonciation valide. Il suffit que les mots dénotent une intention évidente de renoncer à une revendication ou de se libérer d’une obligation.

2. Les règles habituelles d’interprétation des contrats écrits s’appliquent également aux renonciations, de sorte qu’une renonciation sera interprétée, généralement, en fonction de l’objet particulier que l’on voulait atteindre.

3. Les tribunaux interpréteront une renonciation ayant un libellé de portée générale à la lumière des circonstances existant au moment de sa signature et eu égard à son contexte et au préambule dans le but de donner effet à l’intention de la partie signataire.

4. Particulièrement, elle ne sera pas interprétée de façon à s’appliquer à des faits dont la partie qui renonce n’avait pas connaissance au moment de sa signature ou à des éléments qu’elle ne pouvait avoir envisagés à ce moment-là.

5. L’interprétation de toute renonciation particulière sera nécessairement fonction de sa formulation et de son libellé particuliers. [Soulignement ajouté : pp 1074 et 1075]

[120]  Les parties contractantes recourent au préambule pour restreindre le sens de termes généraux. S’agissant de l’interprétation d’un document dans son ensemble, [Traduction] « il est particulièrement important de garder à l’esprit, au moment d’interpréter une renonciation, que les passages essentiels sont souvent écrits en termes généraux. On se reporte donc fréquemment au préambule afin de déterminer les points particuliers auxquels les parties ont, à l’évidence, prêté attention afin de restreindre l’application de termes généraux » (White v Central Trust (1984), 54 RNB (2d) 293 (CA) [White], le juge La Forest, par 32).

[121]  De même, la Cour d’appel a expliqué, dans l’arrêt Kaiser, que, du fait que les renonciations, en particulier, sont souvent rédigées en termes généraux, les effets limitatifs du préambule sont particulièrement importants et les termes généraux devraient être limités à ce qui était envisagé par les parties :

[Traduction] […]

Comme dans d’autres documents écrits, il faut tenter de trouver la signification d’une renonciation à l’aide des mots utilisés par les parties. Bien qu’il puisse être utile de faire appel au contexte dans lequel la renonciation a été signée pour interpréter les mots, il ne faut pas oublier que les mots utilisés ont préséance. Comme dans d’autres situations également, le document doit être lu dans son ensemble. Il est particulièrement important de garder à l’esprit, au moment d’interpréter une renonciation, que les passages essentiels sont écrits en termes généraux. On se reporte donc fréquemment au préambule afin de déterminer les points particuliers auxquels les parties ont, à l’évidence, prêté attention afin de restreindre l’application de termes généraux.

Comme l’a déclaré lord Westbury dans l’arrêt London and South Western Railway Co. v. Blackmore (1870), L.R. 4 H.L. 610, rendu par la Chambre des lords, à la p. 623 : [Traduction] « Les termes généraux utilisés dans une renonciation sont toujours limités à la chose ou aux choses qu’envisageaient particulièrement les parties au moment où la renonciation a été faite ». [par 18]

[122]  Citant les mêmes commentaires formulés par lord Westbury, le juge La Forest a déclaré dans White, confirmés dans Hannan v. Methanex Corp, [1998] BCJ No 318, par 39; Xu v. Ching, 2008 BCSC 1796, par 28 :

[Traduction] En se référant à ce qui était envisagé par les parties, lord Westbury n’ouvre pas, bien évidemment, la porte à la présentation d’éléments de preuve de ce qui traversait leur esprit et encore moins à l’éventualité de tirer des conclusions à ce sujet. De telles considérations ne sont pertinentes qu’en matière d’influence indue, d’erreur, de fraude et ainsi de suite, ce qui n’a aucune application en l’espèce. Ce que l’extrait cité signifie, c’est que, au moment de déterminer ce qu’envisageaient les parties, les termes utilisés dans un document ne devraient pas être examinés en vase clos. Le contexte particulier dans lequel le document a été signé pourrait tout aussi bien contribuer à la compréhension des mots utilisés. Il est parfaitement approprié, et il pourrait même être nécessaire, d’analyser les circonstances de l’espèce afin d’évaluer ce sur quoi les parties s’engageaient par contrat. [White, par 33]

[123]  Habituellement, une conclusion selon laquelle les mots ont été employés d’une façon générale doit précéder la prise en considération des circonstances de l’espèce.

[124]  L’étendue des circonstances de l’espèce ou du cadre factuel a été expliquée dans PC Devlin Law Corp v. 403827 BC Ltd, 2011 BCSC 1255 :

[Traduction] Les circonstances de l’espèce qui donnent lieu à un contrat sont communément appelées « cadre factuel ». La définition fréquemment citée de « cadre factuel » provient de Prenn v. Simmonds, [1971] 3 All E.R 237 (HL), par 241 :

[...] preuve du contexte factuel connu par les parties à la date du contrat, ou avant celle-ci, y compris la preuve de l’origine et, objectivement, de l’objet de la transaction.

Dans Penderville Apts. Development Partnership v. Cressey Development Corp., [1990] 43 B.C.L.R. (2d) 57, 39 C.P.C. (2d) 18 (BCCA), le juge Southin a déclaré ce qui suit :

Le contexte ne comprend pas les motifs pour lesquels les parties veulent qu’une disposition ou qu’un libellé particuliers soient utilisés dans un document ou qu’un sujet particulier y soit abordé. Le contexte est l’origine, le but et l’objet de l’ensemble de la transaction, le genre de considération qui a déjà été énoncé dans les attendus des instruments.

Il ressort de la jurisprudence que le seul élément de preuve admissible, qui permettra d’établir le cadre factuel, est non pas la preuve de ce qui a été dit au cours des négociations ou les ébauches des accords, mais l’accord définitif qui atteste un consensus. Prenn v. Simmonds, par 240. [Italiques ajoutés; par 27 à 29]

[125]  Dans Abundance Marketing Inc v. Integrity Marketing Inc, [2002] OTC 731 (C.S.J. Ont), par 11 à 16, la Cour a expliqué en détail l’utilisation des éléments de preuve en ce qui concerne les circonstances de l’espèce.

[Traduction] Les éléments de preuve extrinsèques sont irrecevables si un document est clair et sans ambiguïté à première vue. Si certains documents sont des modèles de rédaction et pourraient être décrits ainsi, il reste que le verbiage de nombreux documents peut semer la confusion et l’ambiguïté. Aujourd’hui « les mots n’ont pas un sens immuable ni absolu, ils tirent leur signification de leur contexte ». Voir S.M. Waddams, The Law of Contracts, 3e édition (Toronto, Canada Law Book), page 215.

Le degré de clarté et d’absence d’ambiguïté pourrait varier, et une telle appréciation ne saurait être faite indépendamment du contexte. Autrement, cela pourrait entraîner des situations absurdes où des questions reposant sur des erreurs factuelles sont présumément réglées.

[…] [extrait de White, également cité ci-dessus, omis] […]

Le contexte a été défini par le juge Lane dans Trans Canada Pipelines Ltd. v. Potter Station Power Ltd. Partnership, (2002) O.J. no 42 (C.S.J. Ont.) au paragraphe 35 : « Le contexte consiste en deux éléments : l’analyse du contexte à des fins personnelles et le contexte des mots dans lequel se trouve le passage difficile à interpréter ».

Le contexte ou le cadre factuel peut être dégagé de ce qui suit :

a)   les échanges entre les parties qui ont mené à la création d’un document, sous forme verbale ou imprimée (c’est à dire la correspondance ou les courriels);

b)   a création réelle du document, qu’il soit le fruit de consultations ou d’une analyse;

c)   la conduite des parties avant, pendant et après la signature du document;

d)   toute circonstance personnelle d’une partie qui aurait une incidence sur la compréhension du document, par exemple la scolarité, le sens des affaires ou du droit de la partie.

Cette analyse contextuelle, dans la mesure où elle s’attache aux intentions et aux attentes des parties, doit être objective. Lord Wilberforce, dans l’arrêt Reardon Smith Lime Ltd. v. Hansen Tangen (1976) 3 All E.R. 570 (H.L.), a dit ceci, à la page 574 :

« Lorsqu’il est question des intentions des parties au contrat, il faut s’exprimer en des termes objectifs  les parties ne peuvent elles-mêmes témoigner directement sur ce qu’étaient leurs intentions; il faut déterminer ce que l’on peut considérer comme étant l’intention qu’une personne raisonnable aurait eue si elle avait été mise dans la situation des parties. De même, lorsqu’il est question d’objectif ou d’objet, ou de fin commerciale, il faut s’exprimer objectivement sur l’intention qu’aurait eue une personne raisonnable dans la situation des parties. » (Cité par le juge Wilkinson dans la décision Cinabar Enterprises Ltd. v. Bertelson, ibid. par. 51.)

[126]  Plus les termes utilisés dans une renonciation sont généraux, plus il devient important pour un tribunal d’examiner les circonstances de l’espèce afin de déterminer ce qu’envisageaient les parties au moment où elles ont signé la renonciation.

[127]  Lorsqu’un document est réellement susceptible de plusieurs interprétations, « la plus raisonnable, celle qui assure un résultat équitable, doit certainement être choisie comme l’interprétation qui traduit l’intention des parties » (Consolidated Bathurst Export Ltd c Mutual Boiler, [1980] 1 RCS 888, p 901 [Consolidated Bathurst]).

[128]  L’objectif général consiste à arrêter « une interprétation qui, vu l’ensemble du contrat, tend à traduire et à présenter l’intention véritable des parties au moment où elles ont contracté » (Consolidated Bathurst, précité, p 889).

3.  Les revendications devraient-elles être rejetées compte tenu de la renonciation?

[129]  En signant la renonciation, les parties avaient comme intention de mettre définitivement terme à la longue période de poursuites dans l’affaire Apsassin.

[130]  Les parties conviennent que l’« action » à laquelle fait référence la renonciation était celle décrite dans la déclaration modifiée déposée en 1986 dans l’affaire Apsassin. Dans la renonciation, les parties ont défini de façon très précise l’« action » de façon à ce qu’elle ne vise pas la revendication connue, celle relative à la perte des droits miniers afférents aux réserves de remplacement. Si on se réfère précisément à la déclaration modifiée, contrairement à la déclaration de revendication initiale de 1978, la définition d’« action » choisie par les parties tend à indiquer que les conclusions sur les réserves de remplacement contenues dans la déclaration de revendication de 1978 ne devaient pas être visées ni régies par la renonciation.

[131]  Le fait de prendre en considération le document dans son ensemble pourrait permettre d’éclairer l’intention des parties, notamment les mots « relativement aux » à la clause 2 de la renonciation.

[132]  Le préambule restreint la portée générale des mots contenus dans une renonciation. Le paragraphe A du préambule renvoie aux revendications précisées dans la déclaration modifiée qui, à la différence de la déclaration initiale, ne comprenait pas de revendication visant la perte des droits miniers dans les réserves de remplacement.

[133]  Le paragraphe B du préambule fait référence à l’arrêt de la Cour suprême du Canada et souligne ce qui suit :

[Traduction] [l]a Cour suprême du Canada a ordonné que les demanderesses aient droit à des dommages intérêts de la part de la défenderesse par suite du manquement par celle-ci à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait relativement aux droits miniers dans la réserve indienne 172 qui ont été cédés au Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants après le 9 août 1949 [...]

[134]  Dans le paragraphe C du préambule, les parties ont indiqué que le Canada avait offert de régler « toutes les revendications qui découlent de l’action ou qui y sont liées » et que le règlement conclu était « fondé sur l’offre du Canada ».

[135]  Dans le paragraphe E du préambule, il est précisé que l’audience relative à l’évaluation des dommages intérêts découlant des manquements à l’obligation de fiduciaire constatés par la Cour suprême du Canada a été ajournée afin que des discussions visant un règlement puissent avoir lieu.

[136]  En conjonction avec la définition d’« action », le préambule laisse croire que les parties entendaient que les mots « relativement à l’action » à la clause 2 de la renonciation aient exclusivement pour effet de limiter la responsabilité de la Couronne découlant des manquements aux obligations qui lui incombaient à l’égard de la R.I. 172.

[137]  Le Canada était représenté au moment où la renonciation a été négociée et rédigée. Si les parties avaient voulu libérer la Couronne de toutes les revendications concernant des droits miniers afférents aux réserves de remplacement, elles auraient pu, et elles auraient dû, rédiger expressément la renonciation de façon à donner effet à cette intention.

[138]  La reconnaissance par les parties, dont il est question au paragraphe C du préambule, selon laquelle le Canada avait offert de régler toutes les toutes les revendications « qui découlent de l’action ou qui y sont liées » n’est pas suffisamment claire pour que l’on puisse croire à une « intention évidente de renoncer » à toute cause d’action possible liée aux droits miniers dans les réserves de remplacement (Kaiser, précité). Ce paragraphe décrit ce qu’a offert le Canada pour parvenir à un règlement, et non ce à quoi les parties ont convenu de renoncer, et, comme le paragraphe B du préambule le laisse entendre, le processus de règlement visait seulement les dommages intérêts découlant de la perte des droits miniers dans la R.I. 172

[139]  Par conséquent, après avoir examiné le document dans son ensemble, je ne suis pas convaincu par l’argument du Canada que les mots « relativement aux » contenus dans la renonciation tendent à indiquer une « intention évidente » des parties de s’assurer que la renonciation englobe les revendications liées à la perte des droits miniers afférents aux réserves de remplacement. Bien que la Cour suprême du Canada ait interprété les mots « relativement aux » comme ayant une portée générale dans l’arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd c Canada (Procureur général), [1999] 1 RCS 743, il reste que les circonstances de cette affaire exigeaient d’interpréter les dispositions législatives liées à une infraction de nature environnementale. Les mêmes mots pourraient véhiculer un sens restreint dans un contexte différent.

[140]  Dans une affaire où l’interprétation d’une renonciation était en litige, le juge La Forest, plus tard juge à la Cour suprême du Canada, a estimé que les mots [Traduction] « relativement à la succession » avaient un sens clairement restreint, de sorte qu’il a accueilli la poursuite pour enrichissement injustifié entamée par les personnes déshéritées en l’espèce (White, précité, par 34 et 35).

[141]  De même, il n’est pas justifié de sortir les mots « relativement à » en cause dans Henderson, précité, et dans Nowegijik c Canada, [1983] 1 RCS 29, par 39, du contexte de ces affaires et de leur attribuer un sens très large. Je ne suis pas convaincu que le fait d’élargir le sens de « relativement à l’action » pour l’appliquer à toute affaire à laquelle la Couronne prétend que ces mots s’appliquent est rationnellement lié à l’« action ».

[142]  Je conclus que la renonciation, lue dans son ensemble, est suffisamment claire, de sorte que la prise en considération des circonstances de l’espèce n’est pas nécessaire. Cependant, si je devais examiner les circonstances de l’espèce, comme les parties me pressent de faire, je tirerais alors les mêmes conclusions au sujet de la signification de « relativement à l’action ».

[143]  Comme le préambule lui-même l’indique, les circonstances de l’espèce étaient le règlement de l’affaire Apsassin. Déjà décrite amplement, cette affaire n’a pas abordé la question de la responsabilité qui pourrait résulter de l’absence des droits miniers dans les réserves de remplacement. Comme le paragraphe B du préambule l’indique, la Cour suprême du Canada a conclu que les appelants avaient droit à des dommages intérêts « relativement aux droits miniers dans la réserve indienne 172 ».

[144]  Aucun élément de preuve ne permet de déterminer pourquoi une personne raisonnable, dans les circonstances où se trouvaient les demanderesses, aurait accepté de renoncer à sa revendication connue concernant les droits miniers afférents aux réserves de remplacement. Rien ne permet de croire que les parties envisageaient de renoncer à la revendication connue concernant les droits miniers afférents aux réserves de remplacement au moment où elles ont signé la renonciation.

[145]  La Couronne a soulevé des questions quant à l’importance qui pourrait être accordée aux éléments de preuve présentés par les revendicatrices au sujet des pertes pour lesquelles les demanderesses dans l’affaire Apsassin ont été indemnisées lors le règlement de cette affaire.

[146]  L’alinéa 13(1)b) de la LTRP précise que le Tribunal peut « recevoir des éléments de preuve […] ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire, à moins que, selon le droit de la preuve, ils ne fassent l’objet d’une immunité devant les tribunaux judiciaires ». Le Canada n’a pas soulevé d’objection quant à l’admissibilité de ces éléments de preuve en raison d’une immunité; il a plutôt restreint son objection à l’application du droit général de la preuve, auquel je ne suis pas lié par exemption légale.

[147]  Les éléments de preuve contestés sont contenus dans l’affidavit Vanderkryuk, qui a été présenté à la Cour fédérale à l’appui du règlement dans l’affaire Apsassin. L’affidavit Vanderkryuk indique que la Cour suprême du Canada a accordé des dommages intérêts relativement à 6,75 sections de la R.I. 172, ce qui, à l’audition de la présente demande, a été décrit comme représentant environ un tiers des terres de la R.I. 172, à l’égard desquelles les revendicatrices avaient perdu les droits miniers. L’affidavit Vanderkryuk précise également que les parties dans l’affaire Apsassin disposaient de rapports d’experts sur les dommages intérêts relatifs aux droits miniers dans la R.I. 172 seulement.

[148]  Cet élément de preuve appuie mon opinion selon laquelle le processus de règlement relatif à l’affaire Apsassin ne portait que sur la R.I. 172 et non sur la revendication connue concernant les droits miniers afférents aux réserves de remplacement. Cet élément de preuve n’est pas important, sauf qu’il corrobore l’interprétation que j’ai donnée, ci-dessus, de la renonciation considérée dans son ensemble.

[149]  Je conclus qu’il n’était pas dans l’intention des parties que la renonciation vise la plainte des revendicatrices selon laquelle les droits miniers n’étaient pas inclus dans l’achat des réserves de remplacement. Étant donné la durée et le coût de ce litige, et les efforts qui y ont été déployés, ainsi que le montant de l’indemnité qui en a découlé, il est raisonnable de conclure que les parties entendaient que les mots « relativement à l’action » désignent les causes d’action fondées sur la validité de la cession de la R.I. 172, sa vente et la perte des droits miniers dans la R.I. 172. En l’espèce, il est peu plausible que les parties aient voulu que ces mots visent une autre revendication d’une valeur potentiellement très importante qu’elles connaissaient déjà, qui était fondée sur une réserve différente et des manquements allégués différents, et qu’il aurait pu être facile de viser au moyen d’un libellé plus précis.

[150]  Même si les mots étaient considérés comme réellement ambigus, ce qui n’est pas le cas à mon avis, l’interprétation la plus raisonnable et juste reflètera de la meilleure façon possible les intentions des parties (Consolidated Bathurst, précité). Il serait injuste d’empêcher que les revendications soient instruites sur le fond et de refuser l’accès au Tribunal aux revendicatrices sur le fondement de conjectures selon lesquelles les mots « relativement à l’action » devaient englober les revendications visant les droits miniers afférents aux réserves de remplacement, compte tenu du libellé de la renonciation, des circonstances de l’espèce et des dommages intérêts en jeu.

[151]  Les parties n’entendaient pas que les revendications concernant les droits miniers afférents aux réserves de remplacement soient visées par la renonciation au moment où le document a été signé. Cette conclusion est fondée sur le libellé précis employé dans les paragraphes A, B et E du préambule, sur la définition d’« action » de la renonciation et sur le libellé de la clause 2.

[152]  Si l’on examine la demande en supposant qu’il existe une ambiguïté supplémentaire concernant les mots « relativement à l’action », les circonstances de l’espèce appuient alors le même résultat. Si l’on applique le raisonnement de Consolidated Bathurst pour dissiper toute ambiguïté qui subsiste, la conclusion la plus raisonnable et juste est que les parties n’avaient pas l’intention que la plainte des revendicatrices concernant les droits miniers dans les réserves de remplacement soit visée par la renonciation.

VIII.  conclusion finAle

[153]  La demande du Canada est rejetée.

[154]  Les parties pourront chacune déposer des observations écrites ne devant pas dépasser cinq pages sur la question des dépens dans les 30 jours suivant la publication de la présente décision.

PATRICK SMITH

L’honorable Patrick Smith

Tribunal des revendications particulières du Canada

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20140220

Dossier : SCT-7007-11

OTTAWA (ONTARIO), le 20 février 2014

En présence de l’honorable Patrick Smith

ENTRE :

PREMIÈRE ANTION DE DOIG RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

et

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice (Défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Demanderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX:

Avocates de la revendicatrice la PREMIÈRE NAITON DE DOIG RIVER

Représentée par Allisun Rana et Julie Tannahill

Rana Law, avocates

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice les PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Représentée par James Tate et Ava Murphy 

Ratcliff & Company LLP

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Brett C. Marleau et Naomi Wright

 

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