Motifs de la demande

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Contenu de la décision

DOSSIER: SCT-7001-12

RÉFÉRENCE: 2014 TRPC 11

DATE: 20141103

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

NATION TSLEIL-WAUTUTH

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Stan H. Ashcroft, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Défenderesse)

 

James H. Mackenzie et Naomi Wright, pour l’intimée (défenderesse)

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION LEQ’A:MEL

Intervenante (Demanderesse)

 

Jennifer Griffith et Amy Jo Scherman, pour l’intervenante (demanderesse)

 

 

Audience tenue le 24 septembre 2014

MOTIFS sur la demande

L’honorable W.L. Whalen

LE TRIBUNAL EST SAISI D’UNE DEMANDE d’intervention de la PREMIÈRE NATION LEQ’A:MEL dans le cadre de l’audience relative à la revendication de la NATION TSLEIL-WAUTUTH sur les questions découlant du calcul de l’indemnité due à la revendicatrice. 


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Arrêts mentionnés : Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 1; Canadian Labour Congress c Bhindi (1985), 17 DLR (4th) 193 (CA C.‑B.), 61 BCLR 85; American Airlines, Inc c Canada (Tribunal de la concurrence), [1989] 2 CF 88, 54 DLR (4th) 741 (CF 1re inst), conf [1989] 1 RCS 236, 92 NR 320; EGALE Canada Inc c Canada (Attorney General), 2002 BCCA 396, 170 BCAC 204; R c Watson, 2006 BCCA 234, 70 WCB (2d) 995; Re Workers’ Compensation Act, 1983, (T.-N.), [1989] 2 RCS 335, [1989] ACS n° 113; Conseil de la bande de Pictou Landing c Canada (Procureur général), 2014 CAF 21, 68 Admin LR (5th) 228; Rothmans, Benson & Hedges Inc c Canada (Procureur général), [1990] 1 CF 74, 29 FTR 267 (CF 1re inst), mod. par [1990] 1 CF 90, 45 CRR 382 (CAF); Bauer Hockey Corp c Easton Sports Canada Inc, 2014 CF 853, [2014] ACF n° 878;  Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] ACF n° 845; Khadr c Canada (Premier Ministre), 2009 CAF 186, [2009] ACF n° 1712; Whitefish Lake Band of Indians c Canada (Attorney General), 2007 ONCA 744, (2007) 87 OR (3d) 321; Clarke c Clarke, [1990] 2 RCS 795, (1990) 73 DLR (4th) 1.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22, préambule, art 2, 14, 22, 25.

Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119, art 5, 45, 46.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art 109, 363.

Doctrine cité :

Ruth Sullivan. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd (Markham, ON : Butterworths Canada, 2002)

TABLE DES MATIÈRES

I. Contexte  5

A. Les parties et la revendication  5

B. La demande d’autorisation d’intervenir  6

C. La position de la demanderesse  7

II. principes juridiques  8

A. Lois, Règles et jurisprudence  8

B. Les Règles des Cours fédérales et la jurisprudence  12

C. Les arguments de l’intimée  16

III. analyse  18

A. L’objet de la LTRP  18

B. Les règles et principes applicables  20

1. L’intérêt et l’expertise de la demanderesse  22

2. L’aide apportée au Tribunal et l’intérêt public  24

C. La conclusion et les paramètres d’intervention  26


 

[1]  La Première Nation Leq’a:mel (« demanderesse ») a demandé à obtenir la qualité d’intervenant à l’audition de la présente revendication, déposée par la Nation Tsleil-Waututh (« revendicatrice ») en vue d’être indemnisée par le Canada (« intimée ») relativement à une perte historique. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie, sous réserve des conditions énoncées.

I.  Contexte

A.  Les parties et la revendication

[2]  La demanderesse est une Première Nation établie près de Mission, en Colombie-Britannique. Bien que ses origines précèdent la Confédération, elle est une « bande » depuis l’entrée en vigueur de l’Acte des Sauvages. La revendicatrice est aussi une Première Nation établie dans la région de Burrard Inlet, entre Maplewood Flats et Deep Cove, à North Vancouver, en Colombie-Britannique. La demanderesse et la revendicatrice sont donc des « Premières Nations » au sens de l’alinéa 2a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22 [LTRP].

[3]  L’objet de la revendication est l’expropriation d’une partie de la réserve indienne n° 3 de la revendicatrice (« réserve »). En 1931, au plus fort de la Grande Dépression et sans indemniser la revendicatrice, l’intimée a exproprié 7,73 acres de la réserve pour la construction d’une autoroute. Dans sa demande d’indemnité, la revendicatrice a invoqué la compétence que l’alinéa 14(1)e) de la LTRP confère au Tribunal. L’intimée a reconnu la validité de la revendication. Par suite d’une évaluation conjointe, les parties ont convenu qu’en 1931, la juste valeur marchande des terres en question s’élevait à 31 148 $. Cependant, se fondant sur l’opinion plus récente d’un expert, la revendicatrice soutient que la véritable valeur, indépendamment de l’effet de la Grande Dépression sur les prix au moment de l’expropriation, est probablement beaucoup plus élevée, et elle a l’intention de soutenir cette position à l’audience. 

[4]  La seule question que doit trancher le Tribunal des revendications particulières (« Tribunal ») est celle du montant de l’indemnité due à la revendicatrice, soit la valeur de base des terres expropriées en 1931, ajustée à la valeur actuelle. Le Tribunal n’a encore jamais été saisi d’une revendication où le montant de base d’une indemnité a été ajusté à la valeur actuelle. La présente revendication pourrait être la première. Pour cette raison, elle risque de créer un précédent.

[5]  Le ou vers le 8 juin 2000, la revendicatrice a déposé une revendication particulière à ce sujet auprès du ministre, qui a accepté d’en négocier le règlement le 23 avril 2007. Toutefois, aucune entente n’a été conclue. Par conséquent, la revendicatrice a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal le 5 avril 2012.

B.  La demande d’autorisation d’intervenir

[6]  Dans une lettre datée du 24 février 2014, la demanderesse a demandé qu’on lui transmette l’avis prévu à l’article 22 de la LTRP afin qu’elle puisse demander la qualité d’intervenant. La demande a été présentée en application de l’article 2 de la Directive de pratique n° 6 du Tribunal, qui prévoit que la Première Nation qui n’a pas reçu l’avis en question et qui croit que la décision du Tribunal pourrait avoir des répercussions importantes sur ses intérêts peut s’adresser directement par écrit au président.

[7]  Conformément à la Directive de pratique n° 6, la demanderesse doit notamment préciser « […] les raisons […] pour lesquelles [elle] croit que la décision du Tribunal peut avoir des répercussions importantes sur ses intérêts ». Le Tribunal doit décider, dans les 10 jours, s’il donne l’avis prévu à l’article 22.

[8]  Dans sa lettre, la demanderesse expose « brièvement » les raisons pour lesquelles elle croit que la décision du Tribunal peut avoir des répercussions importantes sur ses intérêts :

[traduction] Dans l’affaire Tsleil-Waututh, les parties ne s’entendent pas sur la façon d’ajuster le montant des pertes historiques aux fins de l’indemnisation.

La Première Nation Le’qa:mel [sic] a déposé sept revendications particulières auprès de la Direction générale des revendications particulières du Canada. Le Canada a accepté de négocier le règlement de quelques-unes d’entre elles. L’une de ces revendications peut déjà être soumise au Tribunal des revendications particulières, et trois autres pourront l’être dans un avenir rapproché. 

Le Canada a intégré à sa politique de négociation des revendications particulières la règle du 80/20, de sorte que les pertes historiques sont ajustées de façon beaucoup moins favorable que le ferait l’application d’intérêts composés. 

L’affaire Tsleil-Waututh pourrait faire en sorte que le Tribunal des revendications particulières tire des conclusions qui auront valeur de précédent pour les prochaines affaires relatives aux principes juridiques applicables à l’ajustement d’une perte historique à la valeur actuelle.

[9]  Le 12 mars  2014, le Tribunal a donné à la demanderesse l’avis prévu à l’article 22 de la LTRP. Par conséquent, le 25 avril 2014, la demanderesse a déposé la présente demande d’autorisation d’intervenir. La revendicatrice était favorable à l’intervention, mais l’intimée s’y est opposée et a déposé une réponse le 12 août 2014, ce qui a mené à l’audition de la présente demande par vidéoconférence le 24 septembre 2014.

C.  La position de la demanderesse

[10]  La demanderesse a proposé de ne présenter que des arguments juridiques et théoriques sur la question de l’ajustement d’une perte historique en vertu de la LTRP, et de se fonder entièrement sur la jurisprudence et les publications sur le sujet.

[11]  Essentiellement, la demanderesse soutient que l’« ajustement » devrait reposer sur des principes d’equity prévoyant l’application d’intérêts composés au montant de base total de la perte. Dans sa demande, la demanderesse a dit croire que les parties s’appuieraient sur les données du compte en fiducie de la revendicatrice pour démontrer comment les pertes devraient être ajustées. Cependant, à l’audience, la demanderesse a admis d’emblée qu’elle ne savait pas exactement comment les parties allaient formuler leurs arguments. Elle a tout de même déclaré que sa participation aiderait le Tribunal à rendre une décision. Elle a décrit son approche de façon brève et succincte :

[traduction] La demanderesse estime que l’approche appropriée quant à l’ajustement des pertes historiques est une approche fondée sur les principes d’indemnisation en equity. Plus particulièrement, elle soutient que le Tribunal devrait adopter une approche fondée sur l’equity pour ajuster la perte historique c. à d. consentir l’application d’intérêts composés à l’ensemble de la perte. Ainsi, les intérêts composés s’attachent à 100 pour cent de la perte. (demande d’autorisation d’intervenir, par 15)

[12]  La demanderesse a aussi admis qu’elle n’avait aucun intérêt direct dans les détails sous-jacents de la revendication. Elle a plutôt un intérêt dans les principes appliqués au calcul de l’ajustement de la perte historique, qui, selon elle, risque d’avoir des conséquences sur toutes les revendications particulières d’indemnisation qui seront présentées au Tribunal, ainsi que sur celles qui font actuellement l’objet de négociation avec le gouvernement fédéral et qui pourraient faire l’objet d’un règlement en vertu de la LTRP. La demanderesse a affirmé avoir déposé sept revendications particulières auprès de la Direction des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le « ministère »), dont au moins une est maintenant admissible au titre de la LTRP.

[13]  Dans ses observations orales, la demanderesse a indiqué qu’elle n’interrogerait, ne contre-interrogerait et ne citerait aucun témoin (y compris des experts) et qu’elle n’ajouterait rien à la preuve. Elle a proposé de formuler de brèves observations

II.  principes juridiques

A.  Lois, Règles et jurisprudence

[14]  Les dispositions portant sur l’obtention de la qualité d’intervenant se trouvent dans la LTRP et dans les Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119 [Règles].

Aux termes de la LTRP :

  22. (1) Lorsqu’il estime qu’une décision peut avoir des répercussions importantes sur les intérêts d’une province, d’une première nation ou d’une personne, le Tribunal en avise les intéressés. Les parties peuvent présenter leurs observations sur l’identité des intéressés.

[…]

  25. (1) Toute personne ou première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) peut, avec l’autorisation du Tribunal, intervenir dans les procédures se déroulant devant celui-ci afin de présenter toutes observations la concernant à l’égard de ces procédures.

  (2) Pour accorder la qualité d’intervenant, le Tribunal prend en compte les facteurs qu’il estime indiqués, notamment les frais ou délais supplémentaires qui pourraient en découler.

Aux termes des Règles :

45. Dans le cadre d’une demande pour se voir reconnaître la qualité d’intervenant, l’avis de demande contient, en plus de ceux prévus à la règle 34, les renseignements suivants : 

a) les nom, adresse et numéro de téléphone de la personne et de son représentant, le cas échéant;

b) une description de la manière dont elle entend intervenir dans le cadre de l’instance et de comment cette participation peut aider le Tribunal à régler les questions soulevées par la revendication particulière;

c) le nom de la partie qu’elle entend appuyer, le cas échéant; 

d) la langue qu’elle entend utiliser à l’instance.

46. Le Tribunal peut donner des directives à un intervenant quant à sa manière d’intervenir dans le cadre de l’instance et sur la procédure qu’il devra suivre si cela permet d’apporter un règlement juste et rapide à la revendication particulière. Toutefois, avant de donner des directives, le Tribunal donne aux parties l’occasion de présenter leurs observations sur de possibles directives.

[15]  Le cadre législatif que doit suivre le Tribunal en matière d’intervention tient compte de l’objet de la LTRP. Le préambule dispose : 

Attendu : 

qu’il est dans l’intérêt de tous les Canadiens que soient réglées les revendications particulières des Premières Nations;

que le règlement de ces revendications contribuera au rapprochement entre Sa Majesté et les Premières Nations et au développement et à l’autosuffisance de celles-ci;

qu’il convient de constituer un tribunal indépendant capable, compte tenu de la nature particulière de ces revendications, de statuer sur celles-ci de façon équitable et dans les meilleurs délais;

que le droit des Premières Nations de saisir ce tribunal de leurs revendications particulières encouragera le règlement par la négociation des revendications bien-fondées;

que l’Assemblée des Premières Nations et le gouvernement du Canada ont travaillé conjointement à une proposition législative de celui-ci qui a mené à l’élaboration de la présente loi.

[16]  Le Tribunal a examiné une demande d’intervention dans la décision Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 1 [Beardy’s et Okemasis]. Selon le Traité n° 6, le Canada devait payer à chaque personne indienne la somme de cinq dollars par tête annuellement, mais, à l’époque de la rébellion de Riel, il a cessé de verser les annuités à la totalité ou à une partie des membres des bandes Beardy’s et Okemasis pendant quatre ans. La question consistait essentiellement à savoir si la Couronne avait le pouvoir de ne pas verser ces annuités. La Couronne a déposé une demande visant à radier entièrement la déclaration de revendication au motif que les annuités étaient des « éléments d’actif individuels » plutôt que des éléments d’actif des Premières Nations et que, par conséquent, elles n’ouvraient pas droit à une indemnité aux termes du paragraphe 14(1) de la LTRP. 

[17]  La demanderesse (une Première Nation du Québec) a demandé d’intervenir dans la demande de radiation. Elle entendait « présenter des arguments juridiques liés aux effets que la décision du Tribunal concernant la demande de radiation de la Couronne pourrait avoir sur d’autres revendications dont le Tribunal est saisi relativement à d’autres éléments d’actif que la Couronne pourrait considérer comme des “éléments d’actif individuels”, plutôt que comme des éléments d’actif de la première nation » (Beardy’s et Okemasis, par 11). Comme l’a fait remarquer le Tribunal, la demanderesse n’a pas décrit ou précisé les « éléments d’actif individuels » qui, selon elle, relevaient de la compétence du Tribunal (Beardy’s et Okemasis, par 18).

[18]  En ce qui concerne l’expérience et l’expertise de la demanderesse, le juge Slade a souligné ce qui suit : 

L’intérêt de l’intervenante proposée à l’égard de la question visée par la demande de radiation de la Couronne reflète le fait qu’elle a saisi le Tribunal de plusieurs revendications et qu’elle a acquis de l’expérience dans la présentation de revendications au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, comme le prévoit la Politique sur les revendications particulières du gouvernement fédéral.  (Le paragraphe 16(1) de la Loi indique : « [l]a première nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication que si elle l’a préalablement déposée auprès du ministre […] »). C’est cette politique qu’invoque la Couronne aux paragraphes 38 et 39 de son mémoire comme fondement de l’interprétation de la Loi. [Beardy’s et Okemasis, par 12]

[19]  Lorsqu’il a accueilli la demande, le juge Slade a d’abord affirmé que les tribunaux avaient une compétence inhérente pour traiter de telles demandes (Beardy’s et Okemasis, par 16, citant Canadian Labour Congress c Bhindi (1985), 17 DLR (4th) 193, par 19 (C.A. C.-B.), 61 BCLR 85). Il faisait bien sûr référence au pouvoir inhérent du Tribunal de régir sa propre procédure. Dans American Airlines, Inc c Canada (Tribunal de la concurrence), [1989] 2 CF 88, aux par 14 et 16, 54 DLR (4th) 741 (CF 1re inst), conf. [1989] 1 RCS 236, 92 NR 320, qui portait sur l’appel d’une demande d’intervention présentée en application de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, LC 1986, ch 26, la Cour d’appel fédérale a précisément reconnu ce principe. Le juge en chef Iacobucci a indiqué ce qui suit :

Pour trancher cette question, il est intéressant de partir du principe largement accepté suivant lequel les tribunaux judiciaires et administratifs sont maîtres de leur propre procédure. C’est en vertu de ce principe que les tribunaux se sont également vu reconnaître l’autorité ou le pouvoir inhérent de permettre les interventions aux conditions qu’ils estiment adaptées aux circonstances.

[...] 

Ce principe de la compétence et du pouvoir inhérent de la cour sur sa propre procédure est à ce point essentiel à son bon fonctionnement et à celui de la justice qu’il ne peut, à mon avis, être écarté que par une disposition clairement exprimée de sa loi constitutive ou d’une autre loi applicable.

[20]  Le juge Slade ne s’est pas livré à une longue analyse dans Beardy’s et Okemasis. Après avoir cité les articles 22 et 25 de la LTRP, il a simplement fait remarquer que le libellé du paragraphe 25(1) permettait d’accorder à toute personne ou Première Nation l’autorisation d’intervenir « dans les procédures […] la concernant » (Beardy’s et Okemasis, par 15 [souligné dans l’original]). Il a aussi dit que la LTRP ne définissait pas ce qu’étaient les intérêts qui justifieraient la production d’un avis aux termes du paragraphe 22(1) (ibid). Il n’a pas expressément examiné ni mentionné les Règles du Tribunal ni celles des Cours fédérales, ou de tout autre tribunal. Il s’est plutôt penché sur d’autres cas de demande d’intervention, plus précisément sur les décisions EGALE Canada Inc c Canada (Attorney General), 2002 BCCA 396, par 7, 170 BCAC 204, et R c Watson, 2006 BCCA 234, par 3, 70 WCB (2d) 995, où les facteurs suivants avaient été pris en compte :

 Le demandeur doit avoir un intérêt direct dans le litige;

• Le demandeur doit pouvoir contribuer de manière utile à l’examen des questions en litige ou apporter à l’égard de ces dernières une perspective différente de celle des parties.  Il doit pouvoir aider le tribunal à trancher les questions dont il est saisi;

• Si l’affaire soulève une question de droit public, la qualité d’intervenant peut être accordée même si le demandeur n’y a pas d’intérêt direct;

• L’affaire doit comporter une dimension qui met légitimement en jeu les intérêts de l’éventuel intervenant;

• L’intervenant proposé ne doit pas se substituer aux parties que le litige touche directement. 

[21]  Le juge Slade n’a pas examiné en détail la question de l’application de ces facteurs et il a semblé accepter le fait que la demanderesse n’avait pas d’intérêt direct dans la revendication (Beardy’s et Okemasis, par 18). Il a reconnu que l’intérêt revendiqué par la demanderesse résidait dans l’effet que pourrait avoir la décision du Tribunal sur d’autres revendications dont il sera saisi relativement à des éléments d’actifs autres que des annuités prévues par traité, que la Couronne pourrait aussi considérer comme des « éléments d’actif individuels ». La nature de ces éléments d’actif n’était pas précisée, mais la demanderesse entendait faire valoir que ces annuités relevaient de la compétence du Tribunal en vertu du paragraphe 14(1) de la LTRP. Le juge Slade a conclu que cela suffisait à répondre à l’exigence des « intérêts » que comporte le paragraphe 25(1), que l’interprétation du paragraphe 14(1) de la LTRP était une « question la [Première Nation] concernant » et que l’exigence de la common law selon laquelle l’affaire doit comporter une dimension qui met légitimement en jeu les intérêts de l’intervenant proposé était respectée (Beardy’s et Okemasis, par 18).

[22]  Le juge Slade a aussi directement répondu à l’argument selon lequel l’intérêt de la demanderesse résidait dans le précédent que la revendication risquait de créer et dans son effet sur les procédures dans lesquelles elle pourrait être directement partie, c’est-à-dire un « intérêt fondé sur un précédent », qui, selon la Cour suprême du Canada, ne satisfera habituellement pas au critère d’intervention fondé sur l’« intérêt » (Beardy’s et Okemasis, par 19, citant Renvoi : Workers’ Compensation Act, 1983, (T.-N.), [1989] 2 RCS 335, [1989] ACS n° 113 [Renvoi :  Workers’ Compensation]). Il a conclu que l’intérêt de la demanderesse résidait dans la question plus générale de savoir si des éléments d’actif individuels, mais subordonnés à une association avec une Première Nation, relèvent de la compétence du Tribunal. Il a ensuite conclu que le point de vue de la demanderesse sur la portée du paragraphe 14(1) « peut être informatif » et peut aider le Tribunal à trancher la demande de radiation de la Couronne. Par conséquent, le juge Slade a accordé la qualité d’intervenant à la demanderesse.

B.  Les Règles des Cours fédérales et la jurisprudence

[23]  Comme l’a indiqué l’intimée en l’espèce, l’article 5 des Règles du Tribunal permet à ce dernier de renvoyer « par analogie » aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 :

  5. Le Tribunal peut compléter toute question de procédure par analogie avec les Règles des Cours fédérales.

[24]  L’intimée a attiré l’attention sur l’alinéa 109(2)b) des Règles des Cours fédérales et a précisé que le libellé de cette disposition était très similaire à celui de l’article 45 des Règles du Tribunal :

109.  (1) Autorisation d’intervenir – La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.

(2)  Avis de requête – L’avis d’une requête présentée pour obtenir l’autorisation d’intervenir : 

a)  précise les noms et adresse de la personne qui désire intervenir et ceux de son avocat, le cas échéant;

b) explique de quelle manière la personne désire participer à l’instance et en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance.

(3) Directives de la Cour – La Cour assortir l’autorisation d’intervenir de directives concernant :

a)  la signification de documents;

b)  le rôle de l’intervenant, notamment en ce qui concerne les dépens, les droits d’appel et toute question relative à la procédure à suivre.

[25]  Comme l’alinéa 109(2)b) des Règles des Cours fédérales exige que la demande d’autorisation d’intervenir soit faite par requête, les dispositions des Règles des Cours fédérales qui s’appliquent aux requêtes entrent aussi en jeu, plus particulièrement l’article 363, que voici :

363. Preuve – Une partie présente sa preuve par affidavit, relatant tous les faits sur lesquels elle fonde sa requête qui ne figurent pas au dossier de la Cour.

[26]  L’intimée a demandé au Tribunal d’appliquer les facteurs énoncés dans l’arrêt Conseil de la bande de Pictou Landing c Canada (Procureur général), 2014 CAF 21, 68 Admin LR (5th) 228 [Pictou]. Dans cet arrêt, Amnistie internationale et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations demandaient à intervenir dans l’appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a annulé le refus du ministère d’accorder le financement demandé pour les dépenses associées aux soins fournis à un adolescent atteint d’incapacité. La bande avait réussi à faire annuler la décision du ministère, mais celui-ci a interjeté appel. La principale question était savoir si la Cour fédérale avait choisi la bonne norme de contrôle et si elle l’avait appliquée correctement. C’est alors que les éventuels intervenants ont demandé à participer à l’appel, comme le juge Stratas l’a expliqué : 

[traduction] Les parties requérantes ont toutes deux l’intention de placer le principe de financement dans le contexte de la jurisprudence relative à l’article 15 de la Charte, des instruments internationaux, des ententes et de la jurisprudence en matière de droits de la personne, en général, et d’autres questions contextuelles. Bien que l’appelant et les intimés invoquent certains de ces éléments, à mon avis, la Cour sera mieux servie par un examen plus approfondi à cet égard. [Pictou par 23]

[27]  Le juge Stratas a reconnu que les facteurs à prendre en compte pour déterminer s’il convient d’accorder la qualité d’intervenant avaient été énoncés dans la décision clé Rothmans, Benson & Hedges Inc. c Canada (Procureur général), [1990] 1 CF 74, 29 FTR 267 (CF 1re inst), mod. [1990] 1 CF 90, 45 CRR 382 (CAF) [Rothmans] (Pictou, par 5, 9). Ces facteurs n’étaient pas exhaustifs, et il n’était pas nécessaire qu’ils soient tous présents. Ils peuvent être résumés de la façon suivante : 

  1. La personne qui se propose d’intervenir est-elle directement touchée par l’issue du litige?

  2. Y a-t-il une question relevant de la compétence des tribunaux et un véritable intérêt public?

  3. S’agit-il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

  4. La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?

  5. L’intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée?

  6. La Cour peut-elle statuer sur le fond de l’affaire sans autoriser l’intervention?

[28]  Le juge Stratas a conclu que cette formulation classique des facteurs pertinents était insuffisante : 

[traduction] À mon avis, il y a lieu de modifier cette liste de facteurs de common law dressée il y a plus de vingt ans dans Rothmans, Benson & Hedges, en raison des changements survenus en matière de contentieux : R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654. Pour les motifs qui suivent, il semble y avoir une divergence entre plusieurs facteurs établis dans Rothmans, Benson & Hedges et les véritables questions qui sont en jeu dans le cadre des requêtes en intervention portées aujourd’hui devant la Cour. Rothmans, Benson & Hedges fait aussi abstraction d’autres considérations qui, au fil du temps, se sont vu attribuer une plus grande importance dans les décisions des Cours fédérales en matière de pratique et de procédure. En fait, il est possible d’affirmer que les facteurs énoncés dans Rothmans, Benson & Hedges n’ont pas tenu compte des différentes façons de comprendre à l’époque la valeur de certaines interventions : Philip L. Bryden, « Public Intervention in the Courts » (1987) 66 R. du B. can. 490; John Koch, « Making Room: New Directions in Third Party Intervention » (1990) 48 U. T. Fac. L. Rev. 151. Il est temps de peaufiner la liste de facteurs dressée dans la décision Rothmans, Benson & Hedges. [Pictou, par 6]

[29]  Il les a donc reformulés de la façon suivante :

[traduction]

I.  La personne qui désire intervenir s’est-elle conformée aux exigences procédurales particulières énoncées au paragraphe 109(2)? La preuve présentée à l’appui est-elle précise et détaillée? […]

II.  La personne qui désire intervenir a-t-elle un intérêt véritable dans l’affaire dont la Cour est saisie, de sorte que la Cour a l’assurance qu’elle possède les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires et qu’elle les consacrera à ladite affaire ?

III.  En participant au présent appel comme elle entend le faire, la personne qui désire intervenir fournira-t-elle à la Cour d’autres précisions et perspectives utiles qui aideront vraiment celle-ci à prendre une décision?

IV. Est-il dans l’intérêt de la justice d’autoriser l’intervention? Par exemple, l’affaire dont la Cour est saisie comporte-t-elle une dimension publique importante et complexe, de sorte que la Cour doit prendre connaissance d’autres points de vue que ceux exprimés par les parties à l’instance? La personne qui désire intervenir a-t-elle participé à des procédures antérieures concernant l’affaire?

V.  L’intervention désirée répond-elle aux impératifs de l’article 3 des Règles, à savoir de permettre « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible »? L’intervention doit-elle être assortie de conditions qui permettraient de répondre aux impératifs de l’article 3 [des Règles des Cours fédérales]? [Pictou, par 11]

[30]  Le juge Stratas a reconnu que sa reformulation pouvait être controversée et qu’elle pouvait avoir peu de valeur jurisprudentielle :

[traduction] Je tiens donc à préciser que je suis un simple juge des requêtes et que mes motifs ne lient pas mes collègues de la Cour. C’est à eux qu’il appartient de décider du bien-fondé de ces motifs. [Pictou, par 8]

[31]  D’ailleurs, le juge Harrington a soulevé ce point dans Bauer Hockey Corp c Easton Sports Canada Inc 2014 CF 853, [2014] ACF n° 878 : 

Je mentionne en passant que dans Pictou le juge Stratas a déclaré au paragraphe 11 qu’il siégeait seul en qualité de juge des requêtes et que ses motifs ne liaient pas ses collègues. Il convient de noter que la Cour d’appel est très réticente à infirmer ses propres décisions. Dans Miller c Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, au paragraphe 8, 220 DLR (4th) 149, la Cour a déclaré :

Les valeurs de certitude et de cohérence sont très près du cœur même de l’administration de la justice dans un système de droit et de gouvernement fondé sur la primauté du droit. En conséquence, une formation de notre Cour ne devrait pas s’écarter d’une décision d’une autre formation simplement parce qu’elle considère que l’affaire s’est soldée par une décision erronée.

L’instance appropriée devrait être la Cour suprême du Canada. Miller permet d’affirmer que la décision antérieure doit être manifestement erronée pour que la Cour l’infirme. La Cour suprême a toutefois mis en doute la pratique exigeant une telle retenue (Phoenix Bulk Carriers Ltd c Kremikovtzi Trade, 2007 CSC 13, au paragraphe 3, [2007] 1 RCS 588). [par 22]

[32]  Au moment de l’audition de la présente demande, le critère établi dans Pictou n’avait pas encore été examiné par la Cour d’appel fédérale, de sorte que, à proprement parler, l’arrêt Rothmans est probablement le précédent qu’il convient d’appliquer. Néanmoins, l’arrêt Pictou a été suivi, notamment dans la décision Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] ACF n° 845 [Huruglica]. J’estime que les facteurs énoncés dans Pictou sont utiles, car ils sont bien formulés et réfléchis. En comparant les facteurs exposés dans Rothmans et ceux exposés dans Pictou, le caractère véritable des questions en litige m’a semblé plus clair.

C.  Les arguments de l’intimée

[33]  En résumé, l’intimée s’oppose essentiellement à la demande parce que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait un intérêt (direct ou non) ou que sa participation aiderait le Tribunal à atteindre l’objectif de l’article 2 de ses Règles : 

2.  Les règles sont interprétées et appliquées de façon à permet [sic] un règlement juste, rapide et économique de la revendication particulière, tout en tenant compte de la diversité culturelle et de l’unicité de celle-ci. 

[34]  L’intimée s’est demandé si la demanderesse pouvait avoir un intérêt « direct » ou « véritable » à l’égard de l’issue de la revendication, étant donné que la décision du Tribunal pourrait avoir une incidence sur toutes les demandes d’indemnisation. Elle a fait valoir qu’un tel intérêt était trop général pour le qualifier d’intérêt direct au sens du paragraphe 25(1) de la LTRP et de l’alinéa 45b) des Règles du Tribunal.

[35]  L’intimée a aussi déclaré que le libellé du paragraphe 25(1) de la LTRP et de l’alinéa 45b) des Règles du Tribunal limitent les interventions aux questions expressément soumises au Tribunal dans le cadre des procédures se déroulant devant lui, ce qui exclut les observations portant seulement sur des théories ou des principes généraux. Quoi qu’il en soit, le Tribunal n’était saisi d’aucune revendication de la demanderesse, ce qui, selon l’intimée, était une caractéristique distinctive de l’affaire Beardy’s et Okemasis et de l’appréciation que le juge Slade a faite de l’« intérêt direct ». L’intimée a ajouté qu’il était purement conjectural de laisser entendre que l’une ou l’autre des revendications particulières faisant l’objet de négociations avec le ministre aboutiraient devant le Tribunal. La demanderesse a peut-être un intérêt « jurisprudentiel » ou « fondé sur un précédent », mais cela ne saurait en soi, justifier de lui accorder la qualité d’intervenant (Khadr c Canada (Premier ministre), 2009 CAF 186, par 8, [2009] ACF n° 1712). Même un intérêt dans une affaire semblable ne répondrait pas nécessairement à la condition de l’intérêt et ne saurait déclencher l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal (Renvoi : Workers’ Compensation, par 11). En fait, la demanderesse n’a aucun lien avec les faits particuliers à l’origine de la revendication sur lesquels elle pourrait fonder et présenter une demande d’indemnisation. L’intérêt de la demanderesse est donc trop éloigné.

[36]  L’intimée a aussi soutenu que la demanderesse n’a guère fourni d’information, voire pas du tout, sur les arguments juridiques qu’elle ferait valoir à l’appui de son modèle d’indemnisation. La demanderesse a seulement dit qu’elle prévoyait se concentrer sur la question des intérêts composés, s’agissant d’ajuster une perte historique à la valeur actuelle, et qu’elle se fonderait sur la jurisprudence et les publications sur le sujet, mais elle n’a donné aucun détail. Sans renseignements ni précisions sur les arguments que la demanderesse prévoit soulever ou sur la méthode qu’elle souhaite adopter, il est impossible de savoir quels sont ces arguments, en quoi ils aideront le Tribunal ou constitueront pour lui un apport précieux, ou encore, comment ils pourront lui apporter une nouvelle perspective qui lui permettra de rendre une décision.

[37]  L’intimée a souligné que les parties ont l’intention de présenter une preuve complexe avec l’aide de témoins experts sur la question de l’indemnisation. Les parties et leurs experts apporteraient au Tribunal une aide pleine et entière. De plus, rien ne donne à penser que la revendicatrice ne pourrait pas utilement faire valoir les arguments proposés par la demanderesse. D’ailleurs, dans ses observations orales relatives à la demande, la revendicatrice a indiqué qu’elle se fonderait sur Whitefish Lake Band of Indians c Canada (Attorney General), 2007 ONCA 744, (2007) 87 OR (3d) 321 [Whitefish], un arrêt de principe sur la question des intérêts composés en equity dans les cas de pertes historiques touchant les Premières Nations. 

[38]  En résumé, l’intimée a soutenu que la demanderesse doit fournir une description de la manière dont elle entend participer à l’instance ou des renseignements à cet égard. Cette description — notamment de la nature des répercussions de la question en litige sur les intérêts de la demanderesse — devra permettre au Tribunal de déterminer si, et dans quelle mesure, l’intervenante peut l’aider. Les arguments proposés par la demanderesse et les renseignements sur la façon dont ils peuvent aider le Tribunal sont tellement incomplets et vagues que le Tribunal ne peut pas déterminer si l’intervention demandée peut servir les intérêts de la justice. L’intimée a déclaré que la demanderesse n’a absolument pas satisfait aux facteurs de Beardy’s et Okemasis ou de Pictou. Elle n’a donc pas réussi à démontrer comment son intervention allait apporter une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

III.  analyse

A.  L’objet de la LTRP

[39]  Pour arriver à une décision, il me faut commencer par l’objet de la LTRP et le contexte dans lequel la revendication et la demande ont été présentées (voir paragraphe 15 ci-dessus). En examinant cet objet, je reconnais moi aussi le pouvoir inhérent du Tribunal de gérer sa propre procédure et le fait que la réparation demandée est hautement discrétionnaire. Mon analyse des Règles et les facteurs que j’examinerai plus loin sont aussi été éclairés par l’objet de la LTRP.

[40]  L’objet primordial de la LTRP, qui reconnaît qu’il est dans le meilleur intérêt de tous les Canadiens que les revendications particulières soient réglées, est de contribuer au rapprochement entre Sa Majesté et les Premières Nations. De toute évidence, il y a matière à rapprochement. Le terme « revendication particulière » est un terme bien établi qui renvoie en général aux demandes d’indemnisation pécuniaire présentées par une Première Nation contre Sa Majesté relativement à la gestion des terres et d’autres éléments d’actif lui appartenant, et au respect des traités. Pendant des décennies, les revendications particulières ont été une grande source de frustration entre les Premières Nations et Sa Majesté, comme les parties le savent sans doute. On peut trouver un bref historique de ces revendications sur le site Web du Tribunal à l’adresse suivante : www.sct-trp.ca. Le préambule de la LTRP reconnaît cette situation ainsi que la nécessité de favoriser le règlement et la réconciliation par l’instauration d’un processus décisionnel indépendant.

[41]  C’est sur cette toile de fond que le Tribunal a été créé grâce à un effort historique déployé par l’Assemblée des Premières Nations et le gouvernement du Canada, dont l’objectif était de constituer un tribunal indépendant capable, compte tenu de la nature particulière de ces revendications de statuer sur celles-ci dans les meilleurs délais, conformément aux principes juridiques. Le mandat du Tribunal consiste également à encourager le règlement par la négociation des revendications bien-fondées. Les principes juridiques élaborés et appliqués par le Tribunal visent à offrir un cadre qui facilitera le règlement, non seulement par jugement, mais aussi par négociation, ce qui, espérons-le, devrait réduire ou éliminer les recours à la justice.

[42]  Le préambule de la LTRP reconnaît aussi « qu’il est dans l’intérêt de tous les Canadiens que soient réglées les revendications particulières des Premières Nations ». Autrement dit, il est dans l’intérêt public national de résoudre les tensions historiques entre les Premières Nations du Canada et l’ensemble de la société canadienne au moyen du règlement équitable et rapide des revendications particulières. À mon avis, l’intérêt public est divisé en deux : a) l’intérêt du peuple canadien dans son ensemble; et, b) l’intérêt des Premières Nations en tant que partie importante de la société canadienne dans son ensemble. L’objectif consiste à désamorcer les tensions, à dissiper les impressions d’injustice et à soulager les frustrations persistantes qu’ont créées les revendications particulières non réglées. La présente revendication remonte à plus de 80 ans. Je suis persuadé que la revendicatrice est d’avis qu’elle a été traitée de manière injuste pendant toutes ces années et qu’elle ne disposait d’aucun recours efficace pour régler son différend ou pour parvenir à un règlement juste et indépendant. Il existe possiblement des centaines de revendications particulières non réglées parmi les centaines de Premières Nations du Canada. 

[43]  La LTRP est aussi un outil important d’accès à la justice, accès que le préambule de la LTRP qualifie de « droit » des Premières Nations :

Attendu […] que le droit des Premières Nations de saisir ce tribunal de leurs revendications particulières encouragera le règlement par la négociation des revendications bien-fondées;

Il est notoirement évident que de nombreuses Premières Nations disposent de ressources limitées. Dans le cadre de son mandat de faciliter l’accès à la justice, le Tribunal doit (et peut être avant tout) répondre aux besoins de ces communautés.

[44]  Vu le double objectif de rapprochement et d’accès à la justice que vise le règlement des revendications historiques des Premières Nations, j’estime que, à ce moment ci et pour ce qui est d’accorder la qualité d’intervenant, l’approche du Tribunal devrait être libérale et souple. La LTRP est clairement une loi réparatrice et, pour cette raison, le droit appuie l’adoption d’une approche libérale qui donnera effet à son objet (voir Clarke c Clarke, [1990] 2 RCS 795 (1990), par 21, 73 DLR (4th) 1; voir généralement Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd (Markham, ON: Butterworths Canada, 2002) p 382 et 383). La LTRP et les Règles doivent être interprétées de manière libérale afin de permettre la réalisation de leur objet. Cela ne signifie pas que l’on doive écarter les normes d’analyse juridique, surtout lorsqu’il risque d’y avoir un préjudice, un retard ou un gaspillage important. Cependant, les Premières Nations devraient pouvoir bénéficier d’une audience complète et équitable, qui s’accorde avec l’objectif de règlement et de rapprochement de la LTRP. La procédure du Tribunal devrait avoir pour effet d’encourager les Premières Nations à obtenir justice de manière efficace, efficiente et en temps opportun, et non pas les décourager. L’équité, l’accès à la justice et la primauté du droit sont des principes fondamentaux de la démocratie canadienne. 

B.  Les règles et principes applicables

[45]  Tout comme le juge Slade dans Beardy’s et Okemasis, je ne vois aucune raison de me fonder sur les Règles des Cours fédérales, par analogie ou autrement. L’article 109 des Règles des Cours fédérales ne diffère pas vraiment, sur le fond, de l’article 45 des Règles du Tribunal sauf dans la façon dont la demande d’intervention doit être présentée. Selon la procédure de la Cour fédérale, la qualité d’intervenant doit être demandée au moyen d’une requête, ce qui déclenche l’application des Règles des Cours fédérales concernées (et de la jurisprudence), qui exigent la production d’un affidavit à l’appui dont la forme et le contenu sont prescrits. En revanche, les Règles du Tribunal n’exigent pas que des affidavits soient produits à l’appui de la requête. Sous le régime de la LTRP, la seule façon d’obtenir la qualité d’intervenant est de demander au Tribunal d’envoyer l’avis prévu à l’article 22 (voir paragraphe 6 ci-dessus). Il s’agit d’une caractéristique distinctive importante qui soustrait le demandeur aux règles procédurales régissant les requêtes et les affidavits. La procédure du Tribunal, telle qu’elle est énoncée dans la Directive de pratique n° 6 et les Règles, est bien  moins formelle. En gardant cela et les objectifs de la LTRP à l’esprit, j’estime que le seuil de preuve ou de justification nécessaire pour convaincre le Tribunal de délivrer l’avis prévu à l’article 22 ne devrait pas être élevé, car cet avis offre seulement à l’intervenant le moyen de saisir le Tribunal de la question. Il n’y a pas d’autre moyen. De plus, les renseignements exigés par la Directive de pratique n° 6 sont très précis, simples et peu nombreux. Une Première Nation qui désire obtenir la qualité d’intervenant n’a qu’à fournir suffisamment de renseignements pour justifier la présentation d’une demande d’intervention au Tribunal si les parties participantes s’opposent à son intervention.

[46]  Bien qu’il ne soit pas nécessaire de renvoyer aux Règles des Cours fédérales, l’analyse faite par la Cour fédérale des facteurs à examiner dans le cadre des requêtes en intervention est utile. Il en va de même de l’analyse que le Tribunal a faite de ces facteurs dans Beardy’s et Okemasis. Ces examens judiciaires se concentrent sur les questions souvent soulevées dans de telles situations et favorisent l’adoption d’une approche raisonnée à cet égard. L’arrêt Pictou ne fait peut-être pas autorité, mais l’analyse faite par le juge Stratas est tout de même utile, comme je l’ai déjà mentionné. Par conséquent, j’ai examiné les facteurs énoncés par la cour dans l’arrêt Pictou, même si je l’ai fait au regard de l’objet de la LTRP et du mandat du Tribunal.

[47]  En raison des différences procédurales entre les Règles des Cours fédérales et les Règles du Tribunal, je ne suis pas convaincu que le premier facteur énoncé dans Pictou, lequel exige une preuve précise et détaillée, s’applique aux revendications particulières. Comme nous l’avons vu, la requête étayée d’une preuve par affidavit, avec tout ce que cela suppose, n’a rien à voir avec la procédure du Tribunal. S’il faut procéder par voie de demande, celle-ci peut être présentée sans affidavit ni aucune formalité. À mon avis, il s’agit d’une différence importante. L’intervenant présente habituellement ses observations par écrit sous forme de mémoire, et il peut aussi présenter des observations orales à l’audience (comme ce fut le cas en l’espèce). La participation de l’intervenant doit néanmoins être faire l’objet d’un examen et être justifiée et c’est à cette étape que les facteurs établis par les tribunaux peuvent s’avérer utiles, même si ces facteurs doivent être examinés en gardant l’objet de la LTRP à l’esprit.

1.  L’intérêt et l’expertise de la demanderesse

[48]  Je vais d’abord examiner la nature de l’intérêt de la demanderesse dans la revendication. Doit-elle avoir un « intérêt direct » comme dans Rothmans? Qu’est-ce qu’un « intérêt direct »? Voilà une question sur laquelle les tribunaux se penchent depuis des années, et la réponse semble dépendre des circonstances et du contexte de l’affaire. Comme l’a expliqué le juge Stratas dans Pictou, l’adjectif « direct » est un ajout des tribunaux. Ce mot n’apparaît pas dans les Règles des Cours fédérales ni dans les Règles du Tribunal. Le juge Stratas l’a interprété comme signifiant « véritable ». Dans Beardy’s et Okemasis, l’intérêt de la demanderesse n’était certes pas direct, et le juge Slade a appliqué l’exigence selon laquelle l’affaire doit comporter une dimension qui met légitimement en jeu les intérêts de l’intervenant proposé (par 18). Dans cette affaire, les observations de la Première Nation demanderesse étaient axées sur l’interprétation du paragraphe 14(1) de la LTRP, une question la concernant, et selon le juge Slade, répondaient donc à la condition relative à l’ « intérêt ». J’estime que le juge Slade a pleinement exercé son pouvoir discrétionnaire et le pouvoir inhérent du Tribunal de gérer sa propre procédure pour arriver à cette conclusion.

[49]  L’examen judiciaire de la nature de l’intérêt d’un intervenant proposé permet de conclure que le Tribunal doit être convaincu que les questions factuelles ou juridiques en litige auront une incidence réelle sur l’intervenant. L’intérêt de l’intervenant ne doit pas seulement être un intérêt théorique ou fondé sur un intérêt général, ni avoir aucune incidence réelle ou pratique, actuelle ou future, sur le demandeur. Comme le juge Sopinka l’a demandé au par 13 du Renvoi : Workers’ Compensation, l’intervenant proposé avait-il un « enjeu précis » dans le résultat?

[50]  Le libellé de la LTRP à ce sujet est également pertinent. Selon l’article 22 de la LTRP, s’il estime qu’une décision quant à la revendication « peut avoir des répercussions importantes » sur les intérêts d’une Première Nation, le Tribunal doit en aviser celle-ci. Par conséquent, la nature des répercussions sur les intérêts de la Première Nation peut être plus importante que la nature des intérêts en soi. Voilà un autre élément distinctif de l’approche de la Cour fédérale et il est particulièrement important en raison de son origine législative. Une décision peut avoir des « répercussions importantes » sur les intérêts d’un intéressé, qu’ils soient directs ou indirects, et qu’ils découlent de la jurisprudence ou autre.

[51]  Il est vrai que la demanderesse n’a encore saisi le Tribunal d’aucune revendication, mais je ne crois pas que cela devrait l’empêcher d’obtenir la qualité d’intervenant. Le juge Slade a convenu qu’il était possible de respecter la condition relative à l’intérêt lorsque l’intérêt revendiqué réside dans l’effet que la décision du Tribunal pourrait avoir sur d’autres revendications dont il est saisi (par 18). Bien qu’un intérêt « jurisprudentiel » ou « fondé sur un précédent » ne réponde pas, à lui seul, à la condition relative à l’intérêt, rien ne permet de conclure que la présence d’un tel intérêt empêchera l’intéressé d’obtenir la qualité d’intervenant. En fait, la présence d’un intérêt « jurisprudentiel » ou « fondé sur un précédent » peut ajouter du poids à une demande lorsque les autres facteurs sont respectés (par exemple, Huruglica, par 7).

[52]  La demanderesse a déposé sept revendications particulières auprès du ministère. Nul ne conteste qu’elles puissent toutes aboutir devant le Tribunal si les négociations ne se concluent pas par un règlement. L’indemnité est la réparation sollicitée dans les revendications présentées au Tribunal. L’indemnité est au cœur de la présente revendication. L’objet énoncé de la LTRP consiste à « encourag[er] le règlement par la négociation des revendications bien-fondées » (voir paragraphe 15 ci-dessus). Autrement dit, on s’attend à ce que les décisions du Tribunal en matière d’indemnisation guident les négociations des revendications particulières avec le ministère. La présente décision relative à l’indemnité risque d’avoir un impact réel sur la dynamique et la direction des négociations des revendications particulières au niveau du ministère. Elle risque d’entraîner une baisse des recours en justice et de modifier le climat dans lequel se déroulent les négociations, ce qui aiderait le Canada et les Premières Nations à savoir s’ils doivent négocier les questions d’indemnisation, et de quelle façon. Or, cela pourrait accélérer le traitement des revendications particulières et contribuer au rapprochement sans avoir recours à la justice.

[53]  Plus particulièrement, et pour la même raison, la décision sur la présente revendication pourrait aussi avoir une incidence réelle sur les sept revendications particulières de la demanderesse. Cette décision pourrait faciliter les négociations de ces revendications et éliminer ou réduire le temps et les frais consacrés aux procédures judiciaires. La décision pourrait avoir une valeur de précédent qui est plus que théorique quant à ses répercussions sur la demanderesse. Si le Tribunal décidait d’appliquer (ou non) des intérêts composés, cela aurait des répercussions importantes sur les intérêts de la demanderesse, car les négociations entourant le règlement de ses revendications particulières seraient probablement appréciées en fonction de la décision. Cette décision aurait probablement aussi une valeur de précédent pour les futures décisions du Tribunal et, pourrait donc devenir la décision sur laquelle la demanderesse et d’autres Premières Nations se fonderaient pour décider de l’opportunité et de la façon de se prévaloir de la LTRP. Les revendications particulières de la demanderesse qui font actuellement l’objet de négociations, celles qu’elle pourrait présenter ultérieurement et celles qui pourraient prendre naissance seront donc vraisemblablement touchées. Il n’est pas difficile de conclure, comme je le fais, que les répercussions seront importantes, ce qui m’incite fortement à accueillir la requête en intervention de la demanderesse, telle qu’elle l’a proposée.

[54]  De façon plus générale, la demanderesse est une Première Nation qui a un intérêt bénéficiaire sur au moins une réserve. Depuis plus de cent ans, la demanderesse, ses membres et ses réserves sont assujetties à la Loi sur les Indiens, en sa version actuelle ou antérieure. La Loi sur les Indiens s’applique au peuple et aux terres de la demanderesse depuis longtemps de façon continue, directe et très réelle. La demanderesse jouit, sans aucun doute, d’une grande expérience, et même d’une certaine expertise, en ce qui concerne la Loi sur les Indiens puisque sa communauté et ses terres de réserve y sont assujetties. Je suis persuadé qu’elle possède une connaissance approfondie et une vaste expérience à cet égard. Le fait qu’elle ait les capacités et les ressources nécessaires pour se consacrer à l’intervention qu’elle propose est renforcé par le fait qu’elle a mené à bien la présente demande, ainsi que par sa longue expérience des questions concernant la Loi sur les Indiens et par les sept revendications particulières qu’elle a déposées et qui font actuellement l’objet de négociations, lesquelles pourraient toutes être touchées par l’issue de la présente décision.

2.  L’aide apportée au Tribunal et l’intérêt public

[55]  Je suis donc convaincu que la demanderesse a un intérêt très réel dans la question principale en l’espèce et qu’elle a une vaste expérience et une expertise en ce qui concerne le contexte législatif à l’origine de la présente revendication. Cependant, offre-t-elle une perspective susceptible d’aider le Tribunal à rendre une décision juste?

[56]  La demanderesse a admis que son intérêt ne résidait pas dans les faits particuliers sur lesquels repose la demande d’indemnisation en l’espèce. Elle a reconnu qu’il appartenait aux parties de rassembler les faits et les règles de droit qui faciliteraient le règlement de l’affaire. L’intention de la demanderesse est de se concentrer sur les principes généraux d’indemnisation en equity, et plus particulièrement sur l’application d’intérêts composés au montant total de la perte de base, plutôt que l’approche 80/20 qui, selon elle, est habituellement proposée par le Canada à l’étape des négociations et qui devrait aussi être soumise au Tribunal. La demanderesse n’a présenté aucune jurisprudence ni aucune publication pour démontrer le bien‑fondé de son argument. Cependant, je ne crois pas qu’il soit nécessaire ou réaliste d’obliger la demanderesse à fournir autant de détails ou à donner un meilleur aperçu des observations qu’elle entend présenter.

[57]  Si j’ai bien compris la demanderesse, elle a l’intention de se borner à présenter des observations « générales » sur les principes d’equity applicables en matière d’indemnisation sous le régime de la LTRP, et plus particulièrement sur la pertinence d’appliquer des intérêts composés au montant de la perte devant être ajusté. Le Tribunal connaît la théorie de l’indemnisation en equity, qui suppose l’application d’intérêts composés, comme il en est question dans Whitefish. À ma connaissance, cette décision fait partie des rares décisions sur la question qui s’appliquent aux demandes historiques d’indemnisation des Premières Nations. Elle est rarement citée. Comme je l’ai déjà fait observer, Whitefish a été invoqué dans le cadre de la demande; il est donc évident que les parties connaissent cet arrêt. La revendicatrice a déclaré qu’elle avait l’intention d’invoquer Whitefish. J’admets que les principes soulevés dans Whitefish se prêtent à l’exploration juridique. Je ne suis pas convaincu qu’il y a quoi que ce soit à ajouter sur le sujet, ou qu’il est nécessaire pour la demanderesse de présenter ses arguments, même de manière sommaire. La description faite par la demanderesse de la nature des observations qu’elle envisage de présenter suffit pour l’instant. J’estime qu’il est plus approprié qu’elle présente une argumentation complète à l’audience sur l’indemnisation, à la lumière de la preuve qui aura alors été présentée, qu’à ce stade-ci de la procédure.

[58]  Dans Pictou, la question relativement à laquelle l’intervention a été demandée était la norme de contrôle applicable en appel. La norme de contrôle est une notion du droit sur laquelle les tribunaux se penchent régulièrement depuis des décennies. Cette notion est abordée dans chaque appel et demande de contrôle judiciaire. La jurisprudence est bien établie à cet égard, de sorte que le critère de la nouvelle perspective et de l’aide apportée au Tribunal peut être très différent et beaucoup plus limité que celui applicable à la question dont le Tribunal est saisi.

[59]  Étant donné que le Tribunal n’a été saisi d’aucune revendication impliquant l’ajustement d’une perte historique reconnue, ni déterminé comment les intérêts doivent être calculés, il n’existe à ce jour aucun précédent sur le sujet. Le Tribunal n’a aucune opinion à cet égard. Je suis convaincu que la perspective générale proposée par la demanderesse peut offrir un contexte utile dans des circonstances factuelles plus restreintes. Il s’agit d’une caractéristique distinctive importante.

[60]  Je suis convaincu que l’intérêt public sera aussi servi si le Tribunal bénéficie du point de vue général de la demanderesse, à condition que son intervention ne cause aucun retard, gaspillage de ressources ou autre préjudice, et qu’elle n’entrave pas sérieusement le déroulement de l’instance. Il est particulièrement important que le Tribunal soit bien informé puisque ses décisions ne sont pas susceptibles d’appel (quoiqu’elles soient susceptibles de révision judiciaire) (LTRP, art 34). À ce stade de l’existence du Tribunal, les principes d’indemnisation ne devraient pas seulement s’appliquer aux faits particuliers d’une affaire donnée, mais aussi de façon plus générale. Comme le juge Phelan l’a dit dans Huruglica : « […] la question […] transcendait les parties et les faits de [l’]affaire » (par 4). Ce pourrait être le cas en l’espèce. Pour cette raison, il pourrait être utile d’avoir un point de vue général.

C.  La conclusion et les paramètres d’intervention

[61]  Je conclus donc que le Tribunal pourrait bénéficier d’un point de vue général fondé sur les principes de l’equity et de la prise en considération d’autres méthodes de calcul des intérêts. Les principes d’equity sont au cœur des questions relatives au bien-fondé des revendications et permettent de déterminer s’il existait une obligation fiduciaire. Ces principes peuvent également être utiles à l’étape de l’indemnisation, de sorte qu’il peut être important que le Tribunal puisse entendre les observations à cet égard.

[62]  Compte tenu de la participation limitée proposée par la demanderesse (aucun interrogatoire, aucun contre-interrogatoire, aucune preuve d’expert ni aucun autre élément de preuve, que de brèves observations écrites, et peut-être orales), je ne vois pas comment l’intervention qu’elle propose pourrait entraver de manière significative le déroulement efficace et rapide de la procédure.

[63]  Cependant, le Tribunal craint d’être saisi d’autres demandes, et que d’autres interventions puissent compromettre le déroulement de l’audience et influer sur les coûts. Le Tribunal se réserve donc le droit de modifier les conditions de l’intervention de la demanderesse si d’autres intervenants se manifestent et obtiennent la qualité d’intervenant.

[64]  Pour toutes ces raisons, LE TRIBUNAL ORDONNE :

[65]  La demanderesse a l’autorisation d’intervenir à l’audience d’indemnisation de la présente revendication, à la condition que l’intervenante :

  1. puisse déposer un mémoire écrit du droit d’au plus 20 pages;

  2. puisse présenter des observations orales d’une durée maximale de 30 minutes;

  3. ne puisse pas reprendre les observations des parties;

  4. ne présente aucun nouvel élément de preuve;

  5. ne présente, n’interroge ni ne contre-interroge aucun témoin;

  6. n’ait pas le droit de présenter une demande interlocutoire;

  7. n’ait pas le droit d’interjeter appel d’une ordonnance rendue dans la présente procédure;

  8. n’ait le droit de réclamer des dépens aux parties dans la présente procédure.

W.H. WHALEN

L’honorable W.H. Whalen

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20141103

Dossier : SCT-7001-12

OTTAWA (ONTARIO), le 24 septembre 2014

En présence de l’honorable W.H. Whalen

ENTRE :

NATION TSLEIL-WAUTUTH

Revendicatrice (Défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (Défenderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À:

Avocat de la revendicatrice (défenderesse) NATION TSLEIL-WAUTUTH

Représentée par Stan H. Ashcroft

Ashcroft & Company

ET AUX :

Avocats de l’intimée (défenderesse)

Représentée par James M. Mackenzie et Naomi Wright

Ministère de la Justice

ET AUX :

Avocates de l’intervenante (demanderesse)

Représentée par Jennifer Griffith et Amy Jo Scherman

Donovan & Company

 

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