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DOSSIER: SCT-5004-11

RÉFÉRENCE: 2013 TRPC 3

DATE: 20130702

TRADUCTION OFFICIELLE

 

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION KAHKEWISTAHAM

Revendicatrice

 

Stephen M. Pillipow et Adam Touet, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Lauri Miller et Donna Harris, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Le 3 juin 2013

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Johanne Mainville


I.  introduction

[1]  L’intimée a produit une demande visant à obtenir une ordonnance selon laquelle les deux rapports d’expert que veut déposer la revendicatrice sont assujettis au privilège relatif aux règlements et ne sont pas admissibles au procès concernant la revendication. Il s’agit des deux rapports suivants :

·  « Kahkewistahaw First Nation 1907 Surrender Claim Social Impact Assessment Final Report », février 2001, préparé par Seven Oaks Consulting Inc. et Tim Holzkamm Consulting (le « rapport de Seven Oaks »).

·  « Kahkewistahaw Final (Amalgamated) Report » - révisé, décembre 2012, préparé par Joan Holmes & Associates Inc. (le « rapport de Joan Holmes & Associates »).

[2]  La revendicatrice conteste la demande au motif que l’intimée ne satisfait pas aux critères donnant ouverture au privilège relatif aux règlements.

[3]  Au début de l’audience relative à la présente demande, le procureur de l’intimée a avisé le Tribunal que les parties s’étaient entendues en ce qui concerne le rapport de Joan Holmes & Associates et que, par conséquent, seul le rapport de Seven Oaks était en litige.

[4]  Le 21 juin 2013, alors que la présente demande était en délibéré, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement dans l’affaire Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [Sable Offshore Energy]. Cet arrêt concerne la portée de la protection offerte par le privilège relatif aux règlements. Les parties ont été invitées à formuler des observations. 

[5]  Pour les motifs énoncés ci-dessous, je rejette la demande. J’estime que le document en litige, le rapport de Seven Oaks, ne se situe pas à l’intérieur de la sphère de protection offerte par le privilège.

II.  contexte

La revendication sur la cession de 1907

[6]  En février 1999, la revendicatrice a présenté une revendication particulière à la Direction générale des revendications particulières – Affaires indiennes et du Nord Canada, connue sous le nom de la revendication sur la cession de 1907.

[7]  Le 1er février 1999, la Première Nation Kahkewistahaw et le Canada ont conclu le [traduction] Protocole de négociation avec la Première Nation Kahkewistahaw en ce qui concerne la revendication particulière relative à la cession de 1907 (« protocole de négociation »), lequel prévoit notamment ce qui suit :

[traduction]

I  OBJET

1.01   (...) La Première Nation et le Canada conviennent de régler la revendication par des négociations et, vu la relation spéciale qui existe entre elles, les parties sont engagées à mener des négociations équitables, justes et ouvertes dans le but de régler la présente revendication.

II  PRINCIPES

2.01   Les principes généraux suivants guideront la Première Nation et le Canada dans les négociations :

a)   Toutes les négociations doivent être menées « sous toutes réserves ».

(...)

III  PRINCIPES DE NÉGOCIATION

3.01  Les parties négocieront de bonne foi dans le but d’arriver à un règlement de la présente revendication.

(...)

3.04   Les parties conviennent de partager entre elles les renseignements obtenus dans le cadre des négociations, sans toutefois divulguer les stratégies de négociation, les avis juridiques, les mandats et renseignements confidentiels de leur mandant respectif.

3.05   Le Canada et la Première Nation se réservent le droit de garder un document confidentiel, mais à moins que le document ne soit confidentiel, il peut être divulgué aux autres parties.

(...)

VI  PROTOCOLE DE NÉGOCIATION

Les négociations sont menées conformément au protocole suivant : 

(...)

6.04   Les réunions de négociation

a)   ne peuvent pas être enregistrées électroniquement par une partie, et ce, afin de favoriser les discussions franches et ouvertes, qui ont lieu « sous toutes réserves », sauf pour ce qui est des présentations ou des renseignements donnés par les aînés de la Première Nation puisqu’il est important pour cette dernière d’enregistrer ces présentations ou ces renseignements quand l’occasion se présente.(...)

  b)   (...)

c)   se déroulent « sous toutes réserves ».

  (...).

[8]  En octobre 1999, la revendicatrice a conclu un contrat avec Seven Oaks Consulting Inc. (« Seven Oaks ») aux termes duquel Seven Oaks a accepté de mener une recherche indépendante et de préparer un rapport sur les incidences sociales dont la revendicatrice dit avoir souffert après avoir perdu les terres cédées. L’intimée n’était pas partie au contrat.

[9]  Aux termes de l’article 2.9 du contrat conclu avec Seven Oaks, les documents et les renseignements obtenus ou préparés par ou pour Seven Oaks en vertu du contrat appartiennent à la revendicatrice.

[10]  Subséquemment, Seven Oaks a mené une recherche indépendante et a préparé son rapport sur les incidences sociales dont la revendicatrice aurait souffert.

[11]  Les honoraires relatifs à la préparation du rapport de Seven Oaks ont été entièrement et uniquement payés par la revendicatrice.

[12]  En 2001, dans le cadre des négociations de la revendication sur la cession de 1907, la revendicatrice a soumis à l’intimée, sous toutes réserves, le rapport de Seven Oaks daté du 13 février 2001.

[13]  Les négociations entre les parties se sont terminées en février 2003 avec le règlement de la revendication sur la cession de 1907.

La revendication particulière de 2004 sur la mauvaise gestion du compte de capital et de recettes

[14]  Le 23 décembre 2004, la revendicatrice a déposé une autre revendication particulière auprès du ministre des Affaires Indiennes et du Nord canadien, connue sous le nom de revendication particulière sur la mauvaise gestion du compte de capital et de recettes. Dans cette revendication, la revendicatrice allègue que le Canada a manqué à ses obligations fiduciales et de nature fiduciale, a violé le traité n°4 et ne s’est pas acquitté de son obligation imposée par la Loi sur les Indiens, en ce qui concerne l’administration et la dépense de l’argent des Indiens, y compris le produit de la vente provenant de la cession des terres en 1907.

[15]  Dans une lettre datée du 26 mars 2010, la revendicatrice a été informée que le ministre avait décidé de ne pas accepter sa revendication pour négociation. En conséquence de la décision du ministre, le 19 décembre 2011, la revendicatrice a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières.

[16]  La revendicatrice cherche à se fonder sur le rapport de Seven Oaks pour appuyer la présente revendication. L’intimée fait valoir que le rapport est assujetti au privilège relatif aux règlements et qu’il n’est pas admissible en l’espèce.

III.  thèse des parties

[17]  L’intimée soutient, pour les raisons suivantes, que les conditions sont réunies pour invoquer le privilège relatif aux règlements :

·  Un litige est né ou envisagé, en ce sens que la Politique sur les revendications particulières, la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, (« Loi sur le TRP ») et les Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119, (« Règles de procédure du TRP ») prévoient un processus contradictoire pour régler les revendications particulières. Le recours au Tribunal peut aussi être considéré comme un processus litigieux qui est envisagé si les négociations échouent.

·  Le rapport de Seven Oaks a été préparé et échangé entre les parties pendant les négociations « sous toutes réserves », lesquelles entendaient explicitement ou tacitement qu’il ne soit pas divulgué en cas d’échec des négociations.

·  Le rapport a été produit dans le but d’arriver à un règlement.

[18]  En se fondant sur Sable Offshore Energy, précité; Bellatrix Exploration Ltd. c. Penn West Petroleum Ltd., 2013 ABCA 10, 542 AR 83 [Bellatrix], et Brown c. Cape Breton (Regional Municipality), [2011] N.S.J. No. 164, 2011 NSCA 32 [Brown], l’intimée prétend également qu’un « privilège générique » reconnu est accordé aux communications faites pendant les négociations et que, par conséquent, ces communications bénéficient légitimement du privilège relatif aux règlements.

[19]  L’intimée ajoute que les exceptions au privilège relatif aux règlements sont étroitement définies par les tribunaux et que les faits de l’espèce n’étayent pas une telle exception.

[20]  Enfin, elle fait valoir que le Canada n’a pas renoncé au privilège en ce qui concerne le rapport de Seven Oaks, que le privilège est conjoint et  qu’ on ne peut y renoncer unilatéralement.

[21]  En revanche, la revendicatrice plaide ce qui suit :

·  L’intimée n’a pas satisfait aux trois conditions nécessaires pour donner lieu au privilège relatif aux règlements.

·  Subsidiairement, si le rapport de Seven Oaks est assujetti au privilège relatif aux règlements, ce que conteste la revendicatrice, ce rapport tombe sous le coup d’une exception au motif que l’intérêt du public à divulguer les documents l’emporte sur l’intérêt qu’a le public à préserver le privilège.

IV.  analyse

a)  Principes généraux

[22]  L’alinéa 13(1)b) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, prévoit ce qui suit :

13. (1) Le Tribunal a, pour (…) la production et l’examen des pièces, (…) les attributions d’une cour supérieure d’archives; il peut :

b) recevoir des éléments de preuve (...) ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire, à moins que, selon le droit de la preuve, ils ne fassent l’objet d’une immunité devant les tribunaux judiciaires;

(…)

[23]  Il est bien établi en droit que le privilège relatif aux règlements existe afin de protéger les efforts déployés de bonne foi pour arriver à un règlement et pour encourager les parties à négocier de façon libre et sincère afin d’accroître les chances de conclure un règlement et d’éviter les procédures coûteuses : Sable Offshore Energy, précité, par. 12 et 13; Bellatrix, précité; Ross River Dena Council c. Canada (A.G.), 2009 YKSC 4, [2009] 2 C.N.L.R. 334 [Ross River], conf. 2009 YKCA 8, [2009] 3 C.N.L.R. 361; Hansraj c. Ao, 2002 ABQB 385, 4 Alta L.R. (4th) 124, infirmée pour d’autres motifs 2004 ABCA 223, 34 Alta L.R. (4th) 199; Middlekamp c. Fraser Real Estate Board (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 276 (CA) [Middlekamp]; Myers c. Dunphy, 2005 NLTD 166, 251 Nfld & P.E.I.R. 157, conf. 2007 NLCA 1, 262 Nfld & P.E.I.R. 173; Alan Bryant, Sidney Lederman et Michelle Fuerst, éd., Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 3e éd (Markham : LexisNexis Canada, 2009), p. 1030 [Bryant et al., « Law of Evidence »].

[24]  Il est aussi établi que trois conditions doivent être réunies pour invoquer le privilège relatif aux règlements, lesquelles sont formulées dans la jurisprudence : Bellatrix, précité, par. 26;  R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, p. 286. Ces conditions ont été résumées comme suit dans l’ouvrage de Bryant et al., « Law of Evidence », §14.322, à la p. 1033: 

[traduction]

  un différend prêtant à litige doit être né ou être envisagé;

  la communication doit être faite sous la réserve explicite ou tacite qu’elle ne soit pas divulguée au tribunal en cas d’échec des négociations;

  la communication doit avoir pour but d’en arriver à un règlement à l’amiable.

[25]  S’agissant de la distinction entre le privilège « générique » ou « général » et le privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas », le juge en chef Lamer écrit ce qui suit à la p. 286 de l’arrêt R. c. Gruenke, précité :

Avant de plonger dans une analyse des questions soulevées dans le présent pourvoi, j’estime qu’il est important de clarifier la terminologie utilisée en l’espèce. Les parties ont eu tendance à établir une distinction entre deux catégories : un privilège prima facie « général » de common law ou un privilège « générique », d’une part, et un privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas », d’autre part. Les premiers termes sont utilisés pour désigner un privilège qui a été reconnu en common law et pour lequel il existe une présomption à première vue d’inadmissibilité (lorsqu’il a été établi que les rapports s’inscrivent dans la catégorie) à moins que la partie qui demande l’admission ne puisse démontrer pour quelles raisons les communications ne devraient pas être privilégiées (c.-à-d., pour quelles raisons elles devraient être admises en preuve à titre d’exception à la règle générale). De telles communications sont exclues non pas parce que l’élément de preuve n’est pas pertinent, mais plutôt parce qu’il existe des raisons de principe prépondérantes d’exclure cet élément de preuve pertinent. (...) L’expression privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas » est utilisée pour viser des communications à l’égard desquelles il y a une présomption à première vue qu’elles ne sont pas privilégiées (c.-à-d., qu’elles sont admissibles). L’analyse de chaque cas a généralement comporté une application du « critère de Wigmore » (…), qui constitue un ensemble des critères pour déterminer si des communications devraient être privilégiées (et, par conséquent, ne pas être admises) dans des cas particuliers. En d’autres termes, l’analyse de chaque cas exige que les raisons de principe d’exclure des éléments de preuve par ailleurs pertinents soient évaluées dans chaque cas particulier.

[26]  Dans le récent arrêt Sable Offshore Energy, précité, les appelantes ont conclu des ententes de type Pierringer avec quelques défenderesses dans un litige faisant intervenir plusieurs parties. Les défenderesses non parties aux règlements ont cherché à connaître les sommes convenues aux règlements. Elles ont soutenu que les sommes convenues devraient faire l’objet d’une exception au privilège, car elles disent avoir besoin de ces renseignements pour la conduite de leur litige. 

[27]  Dans Sable Offshore Energy, précité, au par. 12, la juge Abella conclut au nom de la cour, que le privilège relatif aux règlements est un privilège générique et, « [c]omme pour les autres privilèges génériques, il bénéficie d’une présomption prima facie d’inadmissibilité, mais cette présomption souffre d’exceptions [traduction] “quand les considérations de justice que pose l’espèce le requièrent” (Rush & Tompkins Ltd. c. Greater London Council, [1988] 3 All E.R. 737 (H.L.), p.740) ».

[28]  La juge Abella confirme aussi que « [l]es négociations en vue d’un règlement sont protégées depuis longtemps par la règle de la common law suivant laquelle sont inadmissibles les communications faites “sous toutes réserves” au cours des négociations », le principe étant que les discussions tenues lors des négociations seront plus transparentes et donneront par le fait même de meilleurs résultats si les parties savent que leur contenu ne pourra pas être dévoilé par la suite : Sable Offshore Energy, précité, par. 13. La juge Abella cite le juge en chef McEachern dans Middelkamp, précité, pour expliquer ceci :

(…) [traduction] l’intérêt que porte le public au règlement des différends requiert généralement que les documents créés et les communications échangées « sous toutes réserves » au cours des négociations en vue d’un règlement restent assujettis au privilège. Je qualifierais ce privilège de « général, prima facie, de la common law, ou ‘générique’ », parce qu’il découle des négociations en vue d’un règlement et protège la catégorie des communications échangées durant cette initiative valable.

  À mon sens, ce privilège empêche que les documents créés et les communications échangées en vue d’un règlement soient divulgués tant aux autres parties aux négociations qu’aux tiers, et il touche également l’admissibilité de la preuve, qu’un règlement intervienne ou non. Il en est ainsi parce que, comme je l’ai déjà dit, une partie qui présente une proposition de règlement à l’amiable ou qui répond à une telle proposition n’exerce habituellement aucun contrôle sur l’utilisation que peut faire la partie adverse des documents en question. Écarter cette protection serait contraire à l’intérêt public qui favorise les règlements amiables. [Italiques ajoutés; par. 19-20].

[29]  La juge Abella ajoute que le privilège protège les négociations en vue d’un règlement, qu’un règlement intervienne ou non. Il convient de souligner que les renseignements en cause sont un élément clé du contenu de négociations fructueuses. Elle écrit ce qui suit :

[18]  Puisque la somme négociée constitue un élément clef du « contenu de négociations fructueuses », et reflète les admissions, offres et compromis faits au cours des négociations, elle est elle aussi protégée par le privilège. Je sais que dans certaines décisions plus anciennes, les tribunaux n’ont pas appliqué le privilège à l’entente (voir Amoco Canada Petroleum Co. c. Propak Systems Ltd., 2001 ABCA 110, 281 A.R. 185, par. 40, citant Hudson Bay Mining and Smelting Co. c. Wright (1997), 120 Man. R. (2d) 214 (B.R.)), mais il vaut mieux à mon avis adopter une approche qui favorise avec plus de vigueur le règlement amiable en en protégeant le contenu.

[soulignements ajoutés.]

[30]  En ce qui concerne les exceptions au privilège, la juge Abella écrit ce qui suit :

[19]  (...) Pour en bénéficier, le défendeur doit établir que, tout compte fait, [TRADUCTION] « un intérêt public opposé l’emporte sur l’intérêt public à favoriser le règlement amiable » (Dos Santos Estate c. Sun Life Assurance Co. of Canada, 2005 BCCA 4, 207 B.C.A.C. 54, par. 20). (...)

[31]  Enfin, l juge Abella affirme qu’elle ne voyait, dans le fait de ne pas dévoiler les sommes convenues aux ententes, aucun préjudice tangible qui l’emporte sur l’intérêt du public à ce que les règlements amiables soient favorisés. Elle ajoute qu’elle ne voyait pas non plus en quoi la connaissance des sommes convenues aux ententes influe matériellement sur l’aptitude des défenderesses non parties au règlement à connaître et à présenter leurs arguments (voir par. 20 et 27).

[32]  Les communications faites ou transmises pendant la période où les parties participent à des discussions relatives à un règlement ne sont pas toutes protégées par le privilège relatif aux règlements : Bellatrix, précité, par. 38.

[33]  S’agissant de la protection accordée aux communications en vue d’un règlement, le juge Steel de la Cour d’appel du Manitoba conclut ce qui suit dans l’arrêt Histed c. Law Society (Manitoba), 2005 MBCA 106 (C.A. Man.) [en son cabinet], par. 37, cité dans [2007] M.J. No. 460, 2007 MBCA 150, [2008] 2 W.W.R. 189, par. 35 :

[traduction] La protection accordée aux communications en vue d’un règlement est moins stricte que celle conférée par le privilège des communications entre avocat et client. Elle n’est pas considérée comme une règle de droit substantielle ou comme un droit civil fondamental. Par conséquent, selon toute vraisemblance, le tribunal soupèsera les intérêts pour déterminer si les circonstances justifient une demande de production ou, comme en l’espèce, si elles justifient de s’écarter du principe de la publicité des débats judiciaires.

b)  Application des principes

[34]  En l’espèce, je dois tenir compte du privilège de common law relatif aux règlements reconnu par les tribunaux et du protocole de négociation signé par les parties. 

[35]  Dans son affidavit daté du 19 avril 2013, et produit au nom de l’intimée, Alois James Gross, négociateur à la Direction générale des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (maintenant le ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord) déclare ce qui suit :

[traduction]

(...)

3. Les parties ont conclu un protocole de négociation et ont convenu que toutes les discussions et les communications pendant les négociations de la revendication particulière sur la cession de 1907 seraient faites sous toutes réserves. Il était aussi convenu que la revendication pourrait faire l’objet d’un litige si l’affaire n’était pas réglée pendant les négociations.

(...).

[36]  Le protocole de négociation, qui s’appliquait aux négociations relatives à la revendication sur la cession de 1907, prévoit en fait que les négociations doivent être menées « sous toutes réserves ».

[37]  Amanda Louison était la chef d’équipe des négociations de l’équipe de négociation de la Première nation Kahkewistahaw pendant les négociations de la revendication sur la cession de 1907. Dans son affidavit daté du 24 avril 2013, et produit pour le compte de la revendicatrice, Mme Louison déclare avoir participé à la préparation du protocole de négociation et ajoute ce qui suit : 

[traduction]

(...)

7.   Aux termes du contrat conclu avec Seven Oaks, tous les documents et renseignements obtenus ou préparés par ou pour Seven Oaks en vertu du contrat appartiennent à la revendicatrice. Les parties voulaient que la revendicatrice ne soit pas limitée quant à l’utilisation ou à la divulgation de ces documents ou renseignements.

(...)

[38]  Ainsi, la revendicatrice et les auteurs du rapport de Seven Oaks voulaient qu’elle ne soit pas limitée quant à l’utilisation ou à la divulgation du rapport.

[39]  Il convient également de noter que M. Gross n’a pas déclaré dans son affidavit que les parties avaient convenu que tous les documents produits pendant les négociations allaient demeurer confidentiels ou privilégiés. Il n’y a rien non plus dans le protocole de négociation à cet égard.

[40]  Au contraire, l’article 3.04 du protocole de négociation prévoit que [traduction] « [l]es parties conviennent de partager entre elles les renseignements obtenus dans le cadre des négociations, sans toutefois divulguer les stratégies de négociations, les avis juridiques, les mandats et renseignements confidentiels de leur mandant respectif ». De plus, l’article 3.05 prévoit que « [l]e Canada et la Première Nation se réservent le droit de garder un document confidentiel, mais à moins que le document ne soit confidentiel, il peut être divulgué aux autres parties ».

[41]  Par conséquent, le protocole de négociation prévoit expressément les cas où un document demeurerait confidentiel ou pourrait autrement être divulgué aux autres parties. Il ressort implicitement des articles 3.04 et 3.05 du protocole de négociation que le droit d’une partie de garder un document confidentiel appartient à la partie d’où provient le document. 

[42]  De plus, compte tenu de la preuve au dossier, je ne suis pas disposée à conclure que durant les négociations de la revendication sur la cession de 1907, les parties voulaient, expressément ou implicitement, que toutes les communications faites ou tous les documents transmis pendant les négociations demeurent confidentiels et ne soient pas divulgués au tribunal en cas d’échec des négociations.

[43]  Enfin, la preuve ne permet pas d’établir que le rapport de Seven Oaks a été préparé dans le but d’arriver à un règlement.

[44]  Le document en question n’est pas le genre de document qui se situe habituellement dans la sphère de protection du privilège : Gay (Guardian ad litem of) c. Unum Life Insurance Co. of America, [2003] N.S.J. 442, 219 N.S.R. (2d) 175. Il s’agit d’un rapport d’expert que seule la revendicatrice a commandé et payé.

[45]  L’intimée n’a pas été en mesure de faire valoir des décisions où une partie a obtenu gain de cause en invoquant le privilège relatif aux règlements pour contester l’admissibilité d’un rapport d’expert commandé et payé par la partie qui cherchait à le faire admettre en preuve. Les décisions qui ont été portées à mon attention font état d’une situation où une partie ou un tiers cherche à utiliser un rapport d’expert commandé et payé par l’autre partie ou conjointement par les deux parties : Ross River Dena Council c. Canada (A.G.), 2009 YKSC 4, [2009] 2 C.N.L.R. 334, conf. 2009 YKCA 8, [2009] 3 C.N.L.R. 361; Bande des Blood c. Canada (Ministre des Affaires Indiennes et du Nord canadien) [2003] A.C.F. n° 1794, [2003] CF 1397, [2004] 2 R.C.F. 60.

[46]  Le privilège vise à empêcher une partie d’utiliser les aveux faits contre l’autre partie : D. Paciocco et L. Struesser, The Law of Evidence, précité, p. 250. En tenant compte de cet objectif, j’estime que le privilège ne peut pas empêcher une partie d’utiliser son propre rapport d’expert qu’elle a elle-même commandé et payé.

[47]  La Cour d’appel fédérale a formulé des observations au sujet de la protection de la confidentialité des communications faites dans le cadre des négociations en vue d’un règlement dans Société Radio-Canada c. Paul [2001] ACF n° 542, 2001 CAF 93, 198 D.L.R. (4th) 633, lorsque le juge Sexton a écrit ce qui suit :

[28]  Notre Cour a également formulé des observations au sujet de la protection de la confidentialité. Dans l’arrêt Bertram c. Canada, voici ce que le juge Hugessen a déclaré, après avoir examiné la jurisprudence relative à l’exclusion des communications faites « sous toutes réserves » : 

Selon moi, il ressort clairement de ces citations que les tribunaux ont le souci d’éviter aux parties d’être mises dans l’embarras par des tentatives de concession ou de compromis, voire des aveux de faiblesse. En bref, ce que les parties disent contre leur intérêt durant des négociations est dit sous toutes réserves, en ce sens que les déclarations ne peuvent être utilisées par la suite contre elles : [1996] 1 C.F. 756, par. 26.

[soulignements ajoutés]

[48]  Amanda Louison déclare au paragraphe 11 de son affidavit que [traduction] « [l]e rapport de Seven Oaks ne contient aucune admission, concession, offre de règlement ou compromis, ni aucun renseignement ou conseil quant aux offres de règlement ou aux négociations ». Cette déclaration n’a pas été contredite.

[49]  Après examen du rapport de Seven Oaks, je confirme la déclaration de Mme Louison. Le rapport n’énonce d’aucune façon la position du Canada sur le bien-fondé de la revendication relative à la cession de 1907, ou sur la présente revendication. Il ne vise pas à exposer des aveux de faiblesse. Autrement dit, rien dans le rapport [traduction] n’« indique qu’il y a des tentatives de compromis ou de négociation », « ce qui est l’intérêt que le privilège vise à protéger » et « une caractéristique essentielle de toute discussion en vue d’un règlement » : Bellatrix, précité, par. 24 et 35; Exploration Ltd c. Penn West Petroleum Ltd., 2013 ABCA 10, 542 A.R. 83.

[50]  Dans son affidavit, M. Gross affirme ce qui suit :

[traduction]

(...)

4.   La revendicatrice a renvoyé aux conclusions énoncées dans l’évaluation des incidences sociales de la revendication de la Première nation Kahkewistahaw sur la cession de 1907, datée de février 2001, préparée par Seven Oaks Consulting et Tim Holzkamm Consulting pendant les négociations en vue d’un règlement relativement à la revendication particulière sur la cession de 1907. La revendicatrice m’a donné une copie du rapport et a renvoyé à certaines conclusions énoncées dans le rapport pour appuyer sa position relativement au montant de l’indemnité. La revendicatrice a demandé au Canada d’envisager l’ajout d’un montant pour compenser les pertes qui, selon le rapport, ont eu des incidences sociales sur elle, et cela s’inscrivait dans les discussions en vue d’un règlement.

(…).

[51]  Il convient de noter que M. Gross ne déclare pas que le rapport de Seven Oaks contient des renseignements ou des énoncés qui iraient contre les intérêts du Canada. Le fait que la revendicatrice a demandé au Canada, pendant les négociations, de tenir compte des conclusions énoncées dans le rapport de Seven Oaks pour appuyer sa position et que cela s’inscrivait dans les discussions en vue d’un règlement entre les parties, ne prouve pas qu’il y a eu un compromis. 

[52]  En fait, le rapport de Seven Oaks a été utilisé lorsque la revendicatrice a déposé sa revendication particulière relative à la mauvaise gestion de son compte de capital et de recettes auprès de la Direction générale des revendications particulières, sans que le Canada ne s’y oppose. 

[53]  Le dépôt du rapport de Seven Oaks dans le cadre de la présente revendication ne changera rien aux négociations en vue d’un règlement relativement à la revendication sur la cession de 1907 puisque ces négociations sont terminées. En outre, rien n’indique que l’utilisation de ce rapport créera un préjudice tangible pour l’intimée.

[54]  Contrairement à la situation qui prévalait dans l’arrêt Sable Offshore Energy, précité, le dossier de preuve de la présente demande ne montre pas que le rapport d’expert en question était un « élément clef du “contenu de négociations fructueuses”, et refl[était] les admissions, offres et compromis faits au cours des négociations ».

[55]  Pour les motifs énoncés ci-dessus, j’estime que l’intimée n’a pas établi le privilège relatif aux règlements en ce qui concerne le rapport de Seven Oaks. Vu ma conclusion, je n’ai pas à déterminer s’il y a des exceptions en l’espèce. Cependant, il convient de faire quelques commentaires sur l’intérêt public qui sous-tend le privilège relatif aux règlements.

[56]  À propos de la divulgation des communications assujetties au privilège relatif aux règlements, les auteurs D. Paciocco et L. Struesser ont écrit ce qui suit à la page 251 de l’ouvrage intitulé The Law of Evidence, précité :

[traduction] (...) La règle est fondée sur l’intérêt public dans le but d’éviter que soient invoqués à titre d’aveu des propos tenus lors des négociations en vue d’un règlement. En d’autres termes, le privilège protège les aveux : voir, par exemple, Unilever plc c. The Proctor & Gamble Co, [2001] 1 All E.R. 783 (C.A.). Par conséquent, dans toute la jurisprudence, quand une communication faite dans le cadre d’un règlement risque d’être utilisée au préjudice de son auteur, les tribunaux ont toujours veillé à ce que la communication soit protégée : R. c. Lake [1997] O.J. No. 5447 (Div. gén.); R. c. Steinhoff, [2003] O.J. No. 3398 (C.J.); R. c. Bernard 2002 ABQB 747.

Par contre, quand la communication n’est pas censée être utilisée contre son auteur et que ce dernier ne subit que peu de préjudice, voire aucun, l’objectif impérieux d’intérêt public qui sous-tend la règle n’entre alors pas en jeu et les tribunaux sont davantage portés à écarter le privilège : R. c. Bernardo, [1994] O.J. No. 1718 (Div. gén.); R. c. Delorme (2005), 198 C.C.C. (3d) 431 (S.C.T.N.-O.); R. c. Lake [1997] O.J. No. 5447; Forest Protection Ltd c. Bayer A.G. [1998], 98 C.P.R. (3d) 187, par. 24 (CAN-B).

[57]  L’utilisation du rapport de Seven Oaks dans le cadre de la présente revendication n’ira certainement pas à l’encontre de l’intérêt qu’a le public à promouvoir les discussions en vue d’un règlement. Le rapport a été payé uniquement par la revendicatrice et ne révèle aucun renseignement confidentiel au bénéfice de l’intimée. De plus, son admissibilité contribuera au traitement rentable et rapide de la présente revendication devant le Tribunal, ce qui correspond aux objectives de la Loi sur le TRP.

[58]  Pendant l’audience, l’intimée a affirmé pour la première fois que le rapport de Seven Oaks n’est pas pertinent et qu’il ne satisferait pas aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c. Mohan [1994] 2 R.C.S. 9, en ce qui concerne l’admission d’un rapport d’expert. L’intimée n’a pas exposé en détail ses arguments sur ce point au motif qu’elle n’avait pas tous les renseignements nécessaires pour faire l’analyse.

[59]  Cette question soulevée par l’intimée est prématurée et n’exige pas qu’une décision soit rendue pour le moment.

V.  conclusion

[60]  Je conclus que le rapport de Seven Oaks n’est pas assujetti au privilège relatif aux règlements. Par conséquent, la demande de l’intimée est rejetée.

JOHANNE MAINVILLE

L’honorable Johanna Mainville

Tribunal des revendications particulières Canada

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20130702

Dossier : SCT-5004-11

OTTAWA (ONTARIO), le 2 juillet 2013

En présence de l’honorable Johanne Mainville

ENTRE :

PREMIÈRE NATION KAHKEWISTAHAW

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION KAHKEWISTAHAW

Représentée par Stephen M. Pillipow et Adam Touet

Woloshyn & Company

ET AUX:

Avocates de l’intimée

Représentée par Lauri Miller et Donna Harris

Ministère de la Justice

 

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