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DOSSIER : SCT-5001-11

TRADUCTION OFFICIELLE

RÉFÉRENCE : 2013 TRPC 6

DATE : 20130705

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE BEARDY’S ET OKEMASIS Nos 96 et 97

Revendicatrice

 

Ron Maurice et Steve Carey, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Lauri Miller et David J. Smith, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Le 12 juin 2013

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L’honorable Harry Slade


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

R c Blais, 2003 CSC 44

R c Mohan, 1994 2 RCS 9

Nation et bande indienne de Samson c Canada, 199 FTR 125

Bande indienne de Squamish c R, 1998 144 FTR 106

Syrek c Canada, 2009 CAF 53

Lois et règlements cités :

Loi sur les Indiens, (LRC 1985, c I-5)

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, (LC 2008, c 22)

Sommaire :

Droit des Autochtones – Revendication particulière – Admissibilité de la preuve – Rapport

La présente revendication particulière découle d’événements survenus pendant, avant et après la rébellion menée par Louis Riel en 1885, et concerne le prétendu refus du Canada de verser des annuités de traités aux membres de la bande Beardy's et Okemasis. La revendicatrice soutient que le Canada a manqué à une obligation légale en refusant d’effectuer ces versements.

La Couronne reconnaît qu’à certains moments, en raison de la participation de la bande Beardy's et Okemasis aux événements ayant entouré la rébellion, des annuités découlant de traités n’ont pas été versées aux membres de la bande.

Le rapport Schwartz, en cause dans la présente demande, renferme des renseignements sur la création du Tribunal et l’étendue de sa compétence, ainsi qu’une argumentation et des opinions juridiques concernant la présente demande soumise au Tribunal. L’intimée demande l’exclusion de ce rapport, que la revendicatrice a produit pour étayer sa réponse quant à la question de la compétence à trancher par le Tribunal. L’intimée juge le rapport irrecevable parce qu’on y énonce des opinions juridiques et fait état de données historiques et de faits qu’il vaudrait mieux dégager du dossier.

Décision : La demande est accueillie en partie.

Les éléments du rapport Schwartz traitant de l’application du droit international et du droit du travail ne sont pas nécessaires et ne répondent pas au critère établi de l’admissibilité de la preuve.

Toutefois les éléments du rapport portant sur l’histoire politique et législative ayant entouré l’adoption de la Loi offrent un contexte pertinent qu’on ne peut tirer du seul examen des documents auxquels renvoie le rapport. Ces renseignements dépassent l’expérience, en tant que juge des faits, du Tribunal. Le contenu du rapport Schwartz est dans cette mesure admissible.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. la revendication  5

II. la demande  5

A. La demanderesse et la réparation demandée  5

B. L’opinion de M. Schwartz  5

1. Introduction  5

C. Observations générales  8

III. La Position des parties  8

A. La demanderesse  8

B. La défenderesse  9

IV. analyse  9

A. Droit applicable  9

B. Conclusion  10

V. ordonnance  11

VI. Annexe ‘A’  14


 

I.  la revendication

[1]  La présente revendication particulière découle d’événements survenus pendant, avant et après la rébellion menée par Louis Riel en 1885, et concerne le prétendu refus du Canada de verser des annuités de traités aux membres de la bande Beardy's et Okemasis. La revendicatrice soutient que le Canada a manqué à une obligation légale en refusant d’effectuer ces versements.

[2]  La Couronne reconnaît qu’à certains moments, en raison de la participation de la bande Beardy's et Okemasis aux événements ayant entouré la rébellion, des annuités découlant de traités n’ont pas été versées aux membres de la bande.

II.  la demande

A.  La demanderesse et la réparation demandée

[3]  Le Canada sollicite une ordonnance déclarant irrecevable en preuve, aux fins de l’instruction de la présente revendication particulière, le rapport d’expert établi par Bryan P. Schwartz.

B.  L’opinion de M. Schwartz

1.  Introduction

[4]  M. Schwartz est un avocat de pratique privée. Il compte parmi ses titres universitaires un doctorat en droit décerné par l’Université Yale, aux États-Unis. Sa thèse de doctorat portait sur la réforme constitutionnelle et les peuples autochtones. Il a également traité de questions autochtones dans de nombreux ouvrages et articles de doctrine. Il a comparu plusieurs fois devant la Cour suprême du Canada, dans des instances où était en cause l’interprétation de traités historiques.

[5]  Depuis 1997, M. Schwartz est conseiller principal de l’Assemblée des Premières Nations en matière d’élaboration de lois et de politiques en lien avec les revendications particulières. Il a pris part à ce titre à diverses négociations menées avec le Canada, depuis la création du Groupe de travail mixte Premières Nations – Canada sur la réforme de la politique sur les revendications, en 1998, jusqu’à l’adoption de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières.

[6]  M. Schwartz examine dans son rapport si le Tribunal a compétence pour statuer sur la revendication visant des annuités de traités non versées par l’intimée avant, pendant et après la rébellion menée par Louis Riel en 1885. Le 22 mai 2012, le Canada avait déposé une demande de rejet de la revendication, en faisant valoir les motifs suivants :

  1. Le Tribunal des revendications particulières n’a pas compétence pour statuer sur la présente revendication fondée sur le défaut de verser des annuités de traités.

  2. En vertu du paragraphe 14(1) de la Loi, on ne peut saisir le Tribunal que de revendications visant l’indemnisation de pertes collectives subies par une Première Nation, ou une bande, soit par définition un « groupe d’Indiens » détenant des biens en « commun ».

  3. Le droit à des annuités découlant d’un traité est de nature individuelle et, ainsi, le Tribunal des revendications particulières n’a pas compétence pour instruire une revendication fondée sur le défaut de verser de telles annuités.

[7]  Par lettre attestant l’entente de services et datée du 14 février 2013, les procureurs de la revendicatrice ont confié à M. Schwartz le mandat suivant :

[TRADUCTION]

Vous devrez principalement examiner dans votre rapport si une revendication particulière présentée par une Première Nation, pour cessation de versement d’annuités de traités à tous les membres d’une bande, est d’un type pouvant faire l’objet de réparation sous le régime de la Politique sur les revendications particulières du Canada (la Politique), de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières (la Loi), ou encore de la Politique et de la Loi à la fois.

Nous souhaiterions qu’en plus de se fonder sur votre expérience et vos compétences professionnelles, votre rapport passe en revue tout élément de preuve extrinsèque pertinent qui pourrait se dégager de négociations, d’audiences de comités, de tables rondes, de réunions de consultation et du hansard. Nous reconnaissons que ce n’est pas là une liste exhaustive de toutes les sources pertinentes, et vous convions donc à examiner selon votre bon jugement tout autre élément de preuve que vous pourriez juger utile en la matière.

Nous ne vous demandons pas de conclure de manière définitive dans votre rapport si la revendication relative aux annuités de traités tombe ou non sous le coup de la Politique ou de la Loi. Nous vous demandons plutôt de faire état, en fonction de vos compétences, de votre expérience et de vos recherches, de la preuve extrinsèque pertinente qui permettra au Tribunal de décider sur le fond, de manière pleinement éclairée, s’il a compétence pour trancher cette revendication.

[8]  Sous la rubrique Conceptual Models: Is the right to bring an annuities claim individual, collective or concurrent? (Modèles théoriques – le droit de présenter une revendication relative aux annuités est-il de nature individuelle, collective ou mixte?), M. Schwartz fait valoir, par analogie avec le droit international public et le droit du travail, qu’en cas de manquement, les avantages conférés par traité à des individus peuvent faire l’objet de recours de la part tant d’un bénéficiaire individuel que de la collectivité signataire du traité.

[9]  Sous la rubrique suivante, Annuities and Standing to Bring Specific Claims in Historical Context (Annuités et qualité pour présenter des revendications particulières – un contexte historique), M. Schwartz analyse, en regard de la décision rendue par un tribunal américain dans une action instituée par des membres de la nation Cayuga, la question de la qualité pour présenter une revendication fondée sur un traité. Cette analyse, ainsi que de brefs propos sur l’avancée des intérêts de la nation Cayuga par suite d’arbitrages internationaux et sur les instances au Canada où l’on a invoqué le droit à des annuités en vertu du Traité n° 19 de 1818, précède l’examen des avantages conférés à des individus par les Traités nos 1 et 6.

[10]  Sous la rubrique The History of Specific Claims Policy Statements and Statutes (Historique des énoncés de politique et des lois en matière de revendications particulières), ensuite, M. Schwartz retrace l’évolution des divers énoncés de politique et textes législatifs ayant porté sur les revendications particulières, puis fait ressortir l’éclairage que cela jette sur la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. Puis, M. Schwartz renvoie à la jurisprudence canadienne sur la qualité pour agir en matière de revendications relatives aux annuités, en vue d’inscrire en contexte, et de décrire dans une certaine mesure, les diverses mesures prises par le gouvernement avant d’en arriver à la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. Sous la rubrique suivante, Justice at Last (La justice, enfin), un lien est établi entre, d’une part, le rapport de comité sénatorial de décembre 2006 intitulé Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire et, d’autre part, les discussions alors tenues entre les représentants de l’Assemblée des Premières Nations et du Canada, ainsi que les dispositions législatives expresses, soit celles de la Loi, qui ont donné suite au rapport.

[11]  Dans sa Conclusion, enfin, M. Schwartz est loin d’avancer une quelconque opinion sur les questions de fond à trancher par le Tribunal dans le cadre de la demande du Canada en annulation.

C.  Observations générales

[12]  On aborde deux thèmes principaux dans le rapport :

  1. une argumentation juridique, fondée sur le droit international et le droit du travail, en faveur de la qualité pour agir concomitante des membres individuels d’une nation autochtone et de cette nation elle-même, lorsque le Canada, partie adverse, n’a pas accordé des avantages auxquels les membres avaient droit à titre individuel;

  2. la chronologie des événements survenus et des actions prises de concert par les organisations autochtones et le gouvernement du Canada pour arriver à la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, ainsi que l’examen, dans ce contexte, de l’intention du législateur quant à la capacité de présenter des revendications particulières au Tribunal en invoquant le défaut de paiement d’annuités découlant de traités.

[13]  Le principe de la qualité pour agir concomitante n’imprègne que dans une faible mesure – sans toutefois y être simplement posé – la deuxième partie du rapport.

III.  La Position des parties

A.  La demanderesse

[14]  La demanderesse soutient

  1. que le rapport Schwartz constitue une opinion juridique sur la question à trancher par le Tribunal, soit celle de savoir si l’on doit interpréter la Loi comme conférant compétence au Tribunal pour se prononcer sur des revendications qui mettent en cause des annuités de traités;

  2. que l’énoncé et l’analyse dans le rapport Schwartz des événements qui ont conduit à l’adoption de la Loi sont inutiles, le Tribunal pouvant tirer ses propres conclusions des documents cités.

B.  La défenderesse

[15]  La défenderesse dans le cadre de la demande (la revendicatrice) affirme pour sa part que le rapport Schwartz est admissible à titre d’opinion d’expert, puisqu’il renferme des renseignements nécessaires sur l’historique de la Loi et sur le contexte politique dans lequel on l’a rédigée. Cela aidera le Tribunal, soutient-elle, à tirer des conclusions quant à l’intention du législateur, au paragraphe 14(1) de la Loi et, à la question de savoir si la revendication relève ou non de sa compétence.

IV.  analyse

A.  Droit applicable

[16]  Dans R c Mohan, 1994 2 RCS 9, [Mohan] la Cour suprême a énoncé comme suit, aux paragraphes 17 à 21, le test concernant l’admissibilité de la preuve d’expert :

L’admissibilité de la preuve d’expert repose sur l’application des critères suivants:

a) la pertinence;

b) la nécessité d'aider le juge des faits;

c) l'absence de toute règle d'exclusion;

d) la qualification suffisante de l'expert.

[17]  Dans Bande indienne de Squamish c R, 1998 144 FTR 106, (CFPI) [Mathias], la Cour fédérale a rejeté deux rapports d’expert en fonction des critères établis dans l’arrêt Mohan. Elle a déclaré qu’elle n’avait nul besoin de l’aide d’un expert pour interpréter les dispositions de la Loi sur les Indiens et pour tirer des conclusions sur l’effet probable de ces dispositions. La Cour a en outre conclu qu’un rapport présenté comme une opinion d’expert et se composant dans une large mesure d’arguments juridiques était irrecevable dans sa totalité, puisqu’il ne l’aidait pas dans son rôle de juge des faits.

[18]  Dans Nation et bande indienne de Samson c Canada, 2001 199 FTR 125, [Samson], la Cour fédérale s’est penchée sur le critère de la nécessité énoncé dans Mohan et a fait remarquer que, par suite de précisions apportées dans Mathias, « lorsqu’il s’agit d’une question qui relève des connaissances et de l’expérience du juge des faits, point n’est besoin du témoignage d’un expert et, à ce moment-là, aucune opinion d’expert ne sera admise ».

[19]  Dans Syrek c Canada, 2009 CAF 53, enfin, la Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel il n’y a pas lieu d’admettre les témoignages d’opinion sur les questions de droit (aux paragraphes 28 et 29).

B.  Conclusion

[20]  On ne tire aucune conclusion dans le rapport Schwartz sur la question de savoir si le Tribunal a compétence, en vertu de l’alinéa 14(1)a) de la Loi, pour statuer sur une revendication fondée sur le non-paiement d’annuités aux membres d’une Première Nation. L’auteur du rapport conclut, toutefois, en fonction de son analyse de l’histoire politique et législative entourant la Loi, ainsi que des règles de droit international public et de droit du travail applicables, qu’il est loisible au Tribunal de se déclarer compétent. Je conclus que dans cette mesure, le rapport ne satisfait pas au critère de la nécessité. Il serait plus indiqué de présenter cette composante du rapport sous forme d’observations sur la question.

[21]  Examinons maintenant si est admissible en preuve la partie du rapport Schwartz qui traite de l’histoire politique et législative qui a entouré l’adoption de la Loi.

[22]  Selon le critère de Mohan, la preuve en cause doit être pertinente.

[23]  Dans l’arrêt R c Blais, 2003 CSC 44 [Blais], la Cour suprême a souligné l’importance de la méthode contextuelle dans l’interprétation des lois :

Le point de départ de notre analyse est le principe selon lequel une loi — y compris les lois ayant un caractère constitutionnel — doit être interprétée selon le sens des mots utilisés, considérés dans leur contexte et à la lumière de l’objet qu’ils sont censés réaliser : E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87. Comme l’a fait observer P. A. Côté, dans la troisième édition de son traité,« [u]ne interprétation qui dissocie la formule légale de son contexte global d’énonciation risque de conduire à des absurdités » : Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 367.

[24]  La question est ainsi de savoir, aux termes de l’arrêt Mohan, si la preuve donne des renseignements qui, « selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » (au paragraphe 26).

[25]  L’exposé de l’histoire politique et législative ayant conduit à l’adoption de la Loi offre un contexte pertinent, que ne ferait pas ressortir le seul examen des documents cités dans le rapport. Ces renseignements dépassent l’expérience en tant que juge des faits du Tribunal. Dans cette mesure, le contenu du rapport Schwartz est admissible.

[26]  La jurisprudence citée dans cette partie du rapport relève de l’analyse contextuelle et est ainsi admissible.

V.  ordonnance

[27]  La demande est accueillie en partie.

[28]  Une copie du rapport Schwartz où sont précisés les éléments admissibles et non admissibles est jointe à titre d’annexe A aux présents motifs. L’intimée peut produire en preuve un rapport révisé qui renferme les parties admissibles du rapport Schwartz. On peut y ajouter du texte dans la mesure requise pour rendre le rapport plus cohérent et lisible.

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade

Tribunal des revendications particulières Canada

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


 

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20130705

Dossier : SCT-5001-11

OTTAWA (ONTARIO), le 5 juillet 2013

En présence de l’honorable Harry Slade

ENTRE :

BANDE BEARDY’S ET OKEMASIS NOS 96 ET 97

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À :

Avocats de la revendicatrice BANDE BEARDY’S ET OKEMASIS NOS 96 ET 97

Représentée par Ron Maurice et Steve Carey

Maurice Law Barristers & Solicitors

550, 11e avenue Sud-Ouest, bureau 800

Calgary AB T2R 1M7

Téléphone : 403-266-1201

Télécopieur : 403-266-2701

rmaurice@mauricelaw.com

scarey@mauricelaw.com

ET À :

Avocats de l’intimée

Représentée par Lauri Miller et David J. Smith

Ministère de la Justice

123, 2e avenue Sud, 10e étage

Saskatoon SK S7K 7E6

Téléphone : 306-975-6781

Téléphone : 306-975-6070

Télécopieur : 306-975-6780

lauri.miller@justice.gc.ca

david.smith@justice.gc.ca

 


VI.  Annexe ‘A’

***L’annexe ‘A’ n’est pas disponible dans le présent format.***

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