Motifs de la demande

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DOSSIER : SCT-5001-11

RÉFÉRENCE : 2012 TRPC 1

DATE : 20120607

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE BEARDY’S ET OKEMASIS NOS 96 ET 97

Revendicatrice

 

Ron S. Maurice and Steve Carey, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Daniel J. Kuhlen et David J. Smith, pour l’intimée

 

 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade

DEMANDE d’intervention de la Première nation des Atikamekw d’Opitciwan dans le cadre de l’audition de la demande de la Couronne visant à faire radier la revendication.


I.  le contexte

[1]  La revendication de la Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 a été déposée le 11 juillet 2011. La réponse de la Couronne a été déposée le 19 août 2011.

[2]  Les faits qui se situent au cœur de la revendication ne sont pas en litige. La Couronne a conclu le Traité no 6 avec les Cris des Plaines et les Cris des Bois et d’autres tribus indiennes en 1876. Ce traité offrait aux Indiens divers avantages et leur faisait diverses promesses, dont celle de « payer à chaque personne indienne la somme de cinq dollars par tête annuellement ».

[3]  La question centrale que soulève la revendication consiste à savoir si la Couronne a violé une obligation légale en ne versant pas d’annuités aux membres de la Bande Beardy’s et de la Bande d’Okemasis durant plusieurs années à la suite de la déclaration par Louis Riel, en mars 1885, d’un gouvernement provisoire, un moment charnière dans ce que l’on appelle la Rébellion du Nord-Ouest.

[4]  Le 26 juillet 2011, la Couronne a donné avis de son intention de solliciter en vertu de l’alinéa 17a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières (la Loi) une ordonnance portant que la revendication soit entièrement radiée. Lors d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 21 octobre 2011, les avocats des parties ont déposé une proposition conjointe prévoyant, notamment, ce qui suit :

  1. le Canada convient de faire tout son possible pour déposer et signifier sa demande de radiation, le cas échéant, avant le 27 janvier 2012;

  2. la Bande convient de faire tout son possible pour fournir sa réponse à la demande du Canada avant le 24 février 2012.

[5]  Lors d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 15 février 2012, les parties ont discuté des dispositions relatives à l’audience. Le 23 février 2012, un avis d’audition de la demande de radiation de la Couronne prévoyait une audience de trois jours, commençant le 11 juin 2012.

[6]  La demande de radiation de la Couronne, de pair avec un mémoire du droit et des arguments, ont été déposés le 15 mai 2012. À cause du dépôt tardif de la demande, les observations en réponse de la revendicatrice n’ont pas encore été déposées.

[7]  La demande d’autorisation d’intervenir a été déposée le 25 mai 2012.

[8]  Les réponses de la Couronne et de la revendicatrice à la demande d’autorisation d’intervenir ont été déposées le 1er juin 2012. Les deux parties s’opposent à cette demande.

II.  L’intervention proposée

[9]  La demande de la demanderesse porte principalement sur des questions soulevées dans la demande de radiation et le mémoire du droit et des arguments que la Couronne à déposés le 15 mai 2012. Cela est forcément le cas puisque les observations en réponse de la revendicatrice, pour la raison indiquée plus tôt, n’ont pas été déposées.

[10]  La demande de radiation de la Couronne repose sur la prémisse que le paragraphe 14(1) de la Loi ne permet pas de saisir le Tribunal de revendications fondées sur le non-versement d’annuités prévues par traité, car celles-ci sont des [Traduction] « droits individuels » (mémoire du droit et des arguments de la Couronne, paragraphes 12 à 16). Dans son mémoire, la Couronne soutient que la présente revendication tombe sous le coup de l’alinéa 17a) de la Loi, lequel habilite le Tribunal à ordonner qu’une revendication soit radiée au motif qu’elle « n’est manifestement pas admissible aux termes des articles 14 […] ».

[11]  L’intervenante proposée dit, au paragraphe 9 de la demande, qu’elle entend présenter des arguments juridiques liés aux effets que la décision du Tribunal concernant la demande de radiation de la Couronne pourrait avoir sur d’autres revendications dont le Tribunal est saisi relativement à d’autres éléments d’actif que la Couronne pourrait considérer comme des « éléments d’actif individuels », plutôt que comme des éléments d’actif de la première nation. Les arguments qu’elle souhaite invoquer sur ce point seront liés à l’application de l’alinéa 17a) et du paragraphe 14(1) de la Loi comme fondement du dépôt d’une demande de radiation.

[12]  L’intérêt de l’intervenante proposée à l’égard de la question visée par la demande de radiation de la Couronne reflète le fait qu’elle a saisi le Tribunal de plusieurs revendications et qu’elle a acquis de l’expérience dans la présentation de revendications au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, comme le prévoit la Politique sur les revendications particulières du gouvernement fédéral. (Le paragraphe 16(1) de la Loi indique : « [l]a première nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication que si elle l’a préalablement déposée auprès du ministre […] »). C’est cette politique qu’invoque la Couronne aux paragraphes 38 et 39 de son mémoire comme fondement de l’interprétation de la Loi.

[13]  L’intervenante proposée soutient que ses arguments aideront le Tribunal à décider si le législateur, en adoptant le paragraphe 14(1) de la Loi, avait l’intention [Traduction] « […] de limiter la compétence du Tribunal aux pertes découlant des éléments d’actif détenus en commun par une première nation. À titre de première nation francophone, la Première Nation des Atikamekw d’Opitciwan jettera une lumière nouvelle sur l’importance de la différence entre les versions française et anglaise du paragraphe 14(1) de la Loi ».

[14]  La demanderesse soutient, au paragraphe 12 de sa demande : [Traduction] « Les procureurs soussignés n’ont pas eu l’avantage de lire la réponse de la revendicatrice (l’intimée) à la demande de radiation, mais aucune des parties n’a invoqué jusqu’ici un argument important à propos de l’interprétation du paragraphe 14(1) de la Loi et du fait de savoir si cette disposition limite la compétence du Tribunal aux pertes découlant des éléments d’actif qu’une première nation détient en commun ».

III.  analyse

[15]  Le texte du paragraphe 22(1) de la Loi est le suivant :

22.(1) Lorsqu’il estime qu’une décision peut avoir des répercussions importantes sur les intérêts d’une province, d’une première nation ou d’une personne, le Tribunal en avise les intéressés. Les parties peuvent présenter leurs observations sur l’identité des intéressés.

La Loi ne définit pas ce que sont les « intérêts » qui justifieraient la production d’un avis aux termes du paragraphe 22(1).

Le texte du paragraphe 25(1) de la Loi est le suivant :

25.(1) Toute personne ou première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) peut, avec l’autorisation du Tribunal, intervenir dans les procédures se déroulant devant celui-ci afin de présenter toutes observations la concernant à l’égard de ces procédures. [Non souligné dans l’original.]

Le texte du paragraphe 25(1) confère au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est d’accorder l’autorisation d’intervenir.

[16]  Les demandes d’intervention dans une instance soumise à un tribunal peuvent être autorisées sur le fondement de la compétence inhérente de ce tribunal (Canadian Labour Congress c. Bindi (1985), 17 D.L.R. (4th) 193 (C.A.C.-B.), au paragraphe 19). Les principes régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’a le tribunal d’accorder le statut d’intervenant sont d’une certaine utilité lorsqu’il s’agit de décider s’il convient, dans une affaire particulière, d’accorder ce statut. Je me reporte au passage suivant, extrait de l’arrêt EGALE Canada Inc c. Canada (Attorney General), 2002 BCCA 396 :

[Traduction]

[7] En règle générale, avant d’autoriser un demandeur à intervenir, le tribunal devrait examiner si ce demandeur a un intérêt direct dans le litige ou s’il peut contribuer de manière utile à un examen des questions en litige ou apporter à l’égard de ces dernières une perspective différente de celle des parties. Lorsqu’une demande d’intervention est déposée relativement à une question de droit public, cette demande peut être autorisée même si le demandeur n’a pas un intérêt direct dans l’appel.

[17]  On trouve un énoncé semblable dans l’arrêt R. c. Watson, 2006 BCCA 234 :

[Traduction]

[3] […] [I]l est clair que lorsque le demandeur n’a pas un intérêt « direct » dans le litige, le tribunal doit examiner la nature de la question qui lui est soumise (et, notamment, s’il s’agit d’une question de droit « public »), si l’affaire comporte une dimension qui met légitimement en jeu les intérêts de l’éventuel intervenant, la mesure dans laquelle le demandeur représente un point de vue particulier ou une « perspective » qui peut être utile au tribunal et si ce point de vue aidera le tribunal à trancher les questions en litige ou si, comme il a été signalé dans Ward c. Clark, l’intervenant proposé risque de « se substituer aux parties que le litige touche directement ». […]

[18]  L’intervenante proposée ne revendique pas un intérêt direct dans l’affaire visée par la demande de radiation. L’intérêt qu’elle revendique réside dans l’effet que la décision du Tribunal pourrait avoir sur d’autres revendications dont il est saisi et qui ont trait à d’autres éléments d’actif que la Couronne pourrait considérer comme des « éléments d’actif individuels » (demande d’autorisation d’intervenir, au paragraphe 9). Même si la demande ne décrit pas les éléments d’actif à l’égard desquels l’intervenante pourrait revendiquer un intérêt que l’on pourrait caractériser ainsi, il est évident qu’elle considère que ces intérêts tombent sous le coup de la Loi. Ses observations seront axées sur l’interprétation du paragraphe 14(1) de la Loi ainsi que sur son application aux éléments d’actif, autres que les annuités prévues par traité, que l’on peut qualifier d’individuelles. Cela, selon moi, répondrait à l’exigence des « intérêts » que comporte le paragraphe 25(1) de la Loi. L’interprétation du paragraphe 14(1) est, dans le cas d’une première nation, une question « la concernant ». Cela répond à l’exigence de la common law selon laquelle l’affaire doit comporter une dimension qui met légitimement en jeu les intérêts de l’intervenant proposé.

[19]  Un intérêt dans une instance donnant lieu à un précédent qui se répercutera sur d’autres instances auxquelles l’auteur d’une demande d’intervention est directement partie a été décrit par la Cour suprême du Canada comme un intérêt fondé sur un précédent. Cet intérêt, à lui seul, ne satisfera habituellement pas au critère d’intervention fondé sur l’« intérêt » (Renvoi : Workers’ Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989] 2 R.C.S. 335).

[20]  L’intérêt de l’intervenante proposée ne réside pas dans l’issue d’une décision du Tribunal à propos de la question de savoir si les revendications de traité concernant le non-versement d’annuités prévues par traité relèvent de la compétence du Tribunal. Son intérêt réside dans la question plus générale de savoir si un intérêt qui peut être de nature individuelle, mais qui est subordonné à une association avec une première nation, peut excéder la compétence du Tribunal. Son point de vue sur la présente affaire peut être informatif lorsqu’il s’agit de déterminer la portée du paragraphe 14(1) dans les cas où une revendication faisant valoir l’existence d’intérêts individuels à l’égard d’éléments d’actif est subordonnée à l’appartenance à une première nation.

[21]  Je conclus que l’intervenante proposée a satisfait au critère d’intervention, en ce sens qu’elle fera valoir un point de vue qui sera peut-être utile au Tribunal pour trancher la demande de radiation de la Couronne.

[22]  En conséquence, LA COUR ORDONNE :

  1. La demanderesse est autorisée à intervenir. Elle peut, avant le 11 juin 2012 au plus tard, déposer un mémoire des faits et du droit, d’une longueur maximale de vingt pages, sur les questions énoncées à la partie VI de la demande.

  2. La date d’audience du 12 juin 2012 ne sera pas reportée.

  3. Les parties sont autorisées à traiter de tout autre procédure ou acte de procédure consécutif, dont le dépôt de documents en réponse à ceux que déposera l’intervenante, au moment de l’audition de la demande de radiation.

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade

Président, Tribunal des revendications particulières


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20120607

Dossier : SCT-5001-11

OTTAWA (ONTARIO), le 7 juin 2012

En présence de l’honorable Harry Slade, président

ENTRE :

BANDE BEARDY’S ET OKEMASIS NOS 96 ET 97

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice la BANDE BEARDY’S ET OKEMASIS NOS 96 ET 97

Représentée par Ron S. Maurice et Steve Carey

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Daniel J. Kuhlen et David J. Smith

 

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