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DOSSIER: SCT-3001-12

RÉFÉRENCE: 2014 TRPC 1

DATE: 20140117

TRADUCTION OFFICIELLE

 

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

AUNDECK OMNI KANING

Revendicatrice (défenderesse)

 

Paul Williams, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (demanderesse)

 

Jenifer Roy et Gary Penner, pour l’intimée  (demanderesse)

 

 

ENTENDUE: Le 25 avril 2013

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Patrick Smith


TABLE DES MATIÈRES

I. bref aperçu des faits  3

A. La revendication  3

B. Les négociations  4

II. énoncé des questions en litige  4

III. dispositions législatives  6

IV. la position du canada  6

V. la position de la pnaok  7

VI. le processus de négociation des revendications particulières  8

VII. évaluation des revendications à la direction générale des revendications particulières, affaires autochtones et développement du nord canada (AADNC) 9

VIII. application du processus des revendications particulières à la revendication de la pnaok  12

IX. la communication entre le canada et la revendicatrice entre la date de l’acceptation de la revendication et la date de fermeture du dossier  14

A. Chronologie des communications entre le Canada et la PNAOK  14

X. l’interprétation du paragraphe 16(1) de la LTRP  15

A. Que signifie le mot « négocier » à l’al. 16(1)a) de la LTRP?  17

XI. l’interprétation du mot « négocier » dans un contexte autochtone  20

XII. conclusions  23

XIII. ordonnance  26


 

[1]  L’intimée (« Canada ») a présenté une demande visant à faire rejeter la revendication déposée par la revendicatrice, la Première Nation d’Aundeck Omni Kaning (« PNAOK »), au motif que le Tribunal des revendications particulières n’a pas compétence pour entendre la revendication, celle-ci ne respectant pas les conditions d’admissibilité prévues à l’al. 16(1)a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières (L.C. 2008, ch. 22) LTRP ») du fait que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le « ministre ») a offert d’en négocier le règlement.

[2]  Le Canada soulève trois arguments à l’appui de sa demande :

  • la revendicatrice a déposé une revendication en vertu du processus des revendications particulières;

  • le ministre a accepté de négocier la revendication « sous toute réserve »le 25 novembre 2011;

  • il ne s’est pas écoulé trois ans depuis la date à laquelle le ministre a avisé la revendicatrice de sa décision de négocier la revendication et le dépôt de la revendication auprès du Tribunal.

[3]  De plus, deux (2) autres questions ont été soulevées par le Canada : a) la mesure dans laquelle le privilège relatif aux règlements s’applique aux documents et aux communications échangés dans le cadre du processus de négociation au sein de la Direction générale des revendications particulières; et b) si l’allégation selon laquelle le Canada a manqué aux obligations qui lui incombent aux termes des traités lors des négociations a été dûment présentée au Tribunal puisqu’elle n’a jamais été déposée auprès du ministre, comme l’exige le par. 16(1) de la LTRP.

I.  bref aperçu des faits

A.  La revendication

[4]  Le 5 novembre 2008, la Direction générale des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a reçu une revendication de la PNAOK, laquelle contenait une allégation de mauvaise gestion de fonds en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 (« revendication »). Le 25 novembre 2011, le Canada a avisé la PNAOK que la revendication avait été acceptée aux fins de négociation.

[5]  Selon la revendication, George Abotossaway, sa femme et leur enfant mineur se sont émancipés en 1909. Un deuxième enfant est né en 1910 et un troisième, en 1912. En 1914, George Abotossaway a reçu cinq (5) parts des sommes d’argent en fiducie de la PNAOK, deux (2) d’entre elles étaient pour les deux (2) enfants nés après 1909. La valeur totale de ces deux (2) parts s’élevait à 559,63 $. Selon la revendication, les versements faits à l’égard de ces deux (2) enfants contrevenaient à l’obligation fiduciale du Canada parce que les enfants n’étaient pas membres de la PNAOK et que, par conséquent, George Abotossaway n’avait pas droit aux parts versées en leur nom.

B.  Les négociations

[6]  Le 28 mars 2012, la Couronne a offert de régler la revendication et a exigé qu’on lui fasse parvenir au plus tard le 28 juin 2012 (dans les 90 jours) une résolution du conseil de bande (« RCB ») par laquelle celui-ci acceptait l’offre. L’offre précisait que si, à cette date, la Couronne n’avait pas reçu la RCB, l’offre de règlement expirerait et le dossier serait clos sans autre avis.

[7]  Entre le 9 avril 2012 et le 12 juin 2012, le négociateur de la Direction générale des revendications particulières et l’avocat de la PNAOK ont échangé des communications relativement à l’offre du Canada. 

[8]  La revendicatrice n’a jamais adopté la RCB visant à accepter l’offre. Le conseil de bande de la PNAOK s’est réuni et a décidé de rejeter l’offre.

[9]   Le 24 juillet 2012, le Canada a écrit à la chef Patsy Corbiere pour l’aviser que le dossier avait été fermé.

[10]  Le 7 août 2012, la PNAOK a déposé la revendication auprès du Tribunal.

II.  énoncé des questions en litige

[11]  Trois (3) questions sont soulevées dans la revendication :

  1. le privilège relatif aux règlements s’applique-t-il aux communications échangées entre les parties une fois que le ministre a accepté la revendication aux fins de négociation?;

  2. le Tribunal a-t-il compétence pour entendre la revendication alors que le Canada a offert de négocier et qu’il ne s’est pas écoulé trois (3) ans depuis que l’offre a été présentée?

  3. l’allégation contenue aux paragraphes 6.3 et 6.4 de la déclaration de revendication selon laquelle le Canada a manqué à ses obligations issues de traités quand il a offert de régler la revendication a-t-elle été dûment présentée au Tribunal, puisqu’elle n’a jamais été déposée auprès du ministre comme l’exige le par. 16(1) de la LTRP?

[12]  À mon avis, il est seulement nécessaire de trancher la deuxième question en ce qui concerne la demande présentée au Tribunal. 

[13]  S’agissant de la question du privilège relatif aux règlements, les avocats ont déposé un exposé conjoint des faits qui indique quelles communications n’ont pas été contestées. De plus, le témoignage de vive voix qu’a livré le négociateur adjoint du Canada à l’audience s’est limité aux discussions d’intérêt général ou à celles portant sur le processus, le témoin évitant ainsi de parler de certaines conversations qui ont eu lieu pendant les négociations — les conversations à l’égard desquelles le privilège relatif aux règlements est invoqué.

[14]  S’agissant de la troisième question, l’avocat de la PNAOK ne l’a pas soulevée à l’audience. 

[15]  La décision relative à la présente demande pourrait revêtir une grande importance pour plusieurs autres revendications – considérées par le Canada comme étant de faible valeur – à l’égard desquelles celui-ci a présenté des offres de règlement et imposé des périodes d’acceptation qui ont expiré avant qu’il ne s’écoule trois (3) ans depuis l’acceptation de la revendication aux fins de négociation.

III.  dispositions législatives

15. (1) La première nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication si, selon le cas :

a) elle est fondée sur des événements survenus au cours des quinze années précédant la date de son dépôt auprès du ministre;

b) elle est fondée sur un accord sur des revendications territoriales conclu après le 31 décembre 1973, un accord connexe ou une loi fédérale connexe;

c) elle est fondée sur une loi fédérale ou un accord figurant à l’annexe, ou sur une loi fédérale ou un accord de mise en œuvre d’une telle loi ou d’un tel accord;

d) elle concerne la prestation ou le financement de services ou programmes relatifs à la police, à l’exécution de la réglementation, aux affaires correctionnelles, à l’éducation, à la santé, à la protection des enfants ou à l’assistance sociale, ou de tout autre service ou programme de nature similaire;

e) elle est fondée sur un accord conclu entre la première nation et Sa Majesté et prévoyant un autre mécanisme de règlement des différends;

f) elle est fondée sur des droits ou titres ancestraux, ou invoque de tels droits ou titres;

g) elle est fondée sur des droits conférés par traité relativement à des activités susceptibles d’être exercées de façon continue et variable, notamment des droits de récolte.

16. (1) La première nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication que si elle l’a préalablement déposée auprès du ministre et que celui-ci, selon le cas :

a) l’a avisée par écrit de son refus de négocier le règlement de tout ou partie de la revendication;

b) ne l’a pas avisée par écrit, dans les trois ans suivant la date de dépôt de la revendication, de son acceptation ou de son refus de négocier un tel règlement;

c) a consenti par écrit, à toute étape de la négociation du règlement, à ce que le Tribunal soit saisi de la revendication;

d) l’avisée par écrit de son acceptation de négocier un tel règlement mais qu’aucun accord définitif n’en a découlé dans les trois ans suivant l’avis.

[LTRP, supra, art. 15, 16]

IV.  la position du canada

[16]  La Couronne prétend que le Tribunal n’a pas compétence pour entendre la revendication parce que les dispositions de l’al. 16(1)a) de la LTRP n’ont pas été respectées : [traduction] « [l]e ministre n’a pas avisé la Première Nation de son refus de négocier le règlement de la revendication, comme l’exige l’alinéa 16(1)a) ».

[17]  La Couronne soutient que la période de trois ans relative aux négociations dont il est question à l’al. 16(1)d) de la LTRP ne s’est pas écoulée et que, par conséquent, comme le ministre a accepté la revendication aux fins de négociation, la revendication ne peut pas être déposée auprès du Tribunal avant novembre 2014.

[18]  La Couronne prétend également que la PNAOK s’est retirée des négociations et qu’elle n’a jamais demandé le consentement du ministre pour déposer une revendication auprès du Tribunal en vertu de l’al. 16(1)c) de la LTRP.

V.  la position de la pnaok

[19]  La PNAOK soutient que la revendication peut être déposée auprès du Tribunal en vertu de l’al. 16(1)a) de la LTRP, car en appliquant le processus de traitement accéléré des revendications de faible valeur, la Couronne a décidé de ne pas négocier un règlement; et bien que la Couronne ait participé à certains aspects des négociations, en refusant de négocier sur la teneur de la revendication, elle a décidé de ne pas négocier le règlement « de partie » de la revendication.

[20]  La revendicatrice affirme que l’avis de la décision du Canada de ne pas négocier le règlement de la revendication se retrouve dans trois (3) documents, à savoir :

  1. la lettre datée du 28 mars 2012 du négociateur adjoint Brendan Blom adressée à la chef Patsy Corbiere, dans laquelle une offre était présentée et un délai d’acceptation de l’offre de 90 jours était imposé, à l’expiration duquel le dossier serait clos;

  2. le courriel daté du 10 avril 2012 du négociateur Blom adressé à l’avocat de la revendicatrice, dans lequel M. Blom précisait que le montant de l’offre du Canada n’était pas négociable;

  3. la lettre datée du 24 juillet 2012 de Michelle Adkins adressée à la chef Patsy Corbiere pour l’aviser que son dossier avait été fermé.

[21]  En ce qui concerne l’interprétation de l’al. 16(1)a) de la LTRP, l’AOFKN prétend que le mot « négocier » doit recevoir une interprétation selon laquelle il est implicite que les négociations sont menées de « bonne foi » conformément au principe de l’honneur de la Couronne et à la protection offerte par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[22]  La PNAOK fait aussi valoir que le mot « négocier » devrait être interprété dans son sens ordinaire, lequel suppose un élément de réciprocité, de marchandage ou de compromis, et que le dossier indique que le ministre n’avait aucune intention de négocier le règlement de la revendication d’une manière qui cadre avec cette définition.

[23]  La PNAOK soutient que toute ambiguïté dans la LTRP, y compris le mot « négocier » et l’expression « de tout ou partie », doit recevoir une interprétation libérale, car la LTRP est une loi « visant les Indiens » : Nowegijick c. Ministre du Revenu national, [1983] 1 R.C.S. 29, p. 36 et 41 [Nowegijick].

VI.  le processus de négociation des revendications particulières

[24]  La pièce 1 est un document qui figure sur le site Web du ministère et qui s’intitule « Guide du processus de négociation des revendications particulières ». Ce guide définit brièvement les revendications particulières et donne un aperçu du processus de négociation au sein de la Direction générale des revendications particulières, y compris des renseignements sur les différentes étapes du processus, sur la façon dont les négociateurs parviennent à une entente sur l’indemnité à verser et sur la façon dont les intérêts des tierces parties sont pris en compte dans la négociation d’une revendication. 

[25]  Le guide décrit à l’aide d’un ordinogramme les étapes habituelles du processus de négociation :

Étape 1 : La revendication est acceptée aux fins de négociation lorsque le Canada conclut qu’il a des obligations légales non respectées à l’endroit de la Première Nation;

Étape 2 : Un protocole d’entente mixte sur les négociations est établi, lequel détermine le processus et les règles de base des négociations, y compris des calendriers, des études;

Étape 3 : Études/recherche sur l’indemnité. À cette étape, les recherches et les études aident les négociateurs à établir le montant de l’indemnité qui devra être versée à la Première Nation lorsque la revendication aura été réglée;

Étape 4 : Discussions sur l’indemnité. Les négociateurs examinent les études et cherchent à établir une indemnité juste pour régler la revendication;

Étape 5 : Proposition de règlement et rédaction de l’entente de règlement finale. Les négociateurs conviennent des principales modalités du projet de règlement et rédigent l’entente;

Étape 6 : Les négociateurs paraphent l’entente de règlement. Les négociateurs de la Première Nation et du Canada paraphent l’entente;

Étape 7 : Vote de ratification de la Première Nation. Les membres de la Première Nation ont l’occasion d’accepter ou de refuser l’entente de règlement par voie de scrutin;

Étape 8 : Ratification par le Canada. Si les membres de la Première Nation approuvent l’entente, la prochaine étape est la signature de l’entente par les dirigeants de la Première Nation et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien;

Étape 9 : Mise en œuvre de l’entente. À la dernière étape du processus, la terre est transférée ou l’indemnité financière est versée, selon le cas.

VII.  évaluation des revendications à la direction générale des revendications particulières, affaires autochtones et développement du nord canada (AADNC)

[26]  Aux fins de la négociation des revendications particulières, le Canada divise les revendications en deux catégories : les revendications normales et les revendications de faible valeur.

[27]  La pièce 2 produite pendant les procédures est un exposé conjoint des faits qui décrit notamment le processus d’évaluation et d’examen des revendications, la classification des revendications — normales ou de faible valeur —, et le financement du processus de négociation.

[28]  Lorsqu’une Première Nation dépose une revendication, la Direction générale des revendications particulières effectue un examen préliminaire pour s’assurer que les documents soumis sont conformes à la « norme minimale » établie par le ministre. S’ils sont conformes, la revendication fait alors l’objet d’un examen plus approfondi.

[29]  Si les documents relatifs à la revendication sont conformes à la « norme minimale », ils sont alors envoyés au ministère de la Justice qui doit donner son avis sur la question de savoir si la revendication révèle l’existence d’une obligation légale non exécutée du gouvernement du Canada. À cette étape, la revendication est aussi envoyée à l’unité des évaluations et des mandats de la Direction générale des revendications particulières, qui doit déterminer la valeur préliminaire de la revendication. C’est à ce moment que la revendication peut être qualifiée de revendication de faible valeur, bien que la valeur préliminaire puisse être rajustée plus tard.

[30]  Lors de son témoignage, le négociateur adjoint Brendan Blom a décrit le processus entourant la classification d’une revendication :

[traduction]

LE TÉMOIN : À l’étape de la recherche et de l’évaluation d’une revendication – avant de savoir si une revendication est acceptée ou non aux fins de négociation […] s’il s’agit d’une revendication de faible valeur ou, comme nous l’appelons, d’une revendication de valeur normale, la revendication sera soumise au Comité consultatif des revendications, c’est ce qui confère à la Direction générale des revendications particulières le pouvoir de négocier, ou non, une revendication.

[Transcription du témoignage de Brendan Blom, p. 9]

[31]  Une revendication de faible valeur est une revendication que le Canada croit, au moment où la lettre d’acceptation est rédigée, pouvoir régler moyennant une indemnité de moins de trois (3) millions de dollars. Les avocats du Canada ont affirmé que cette décision respecte le document de politique du gouvernement, « La justice, enfin », qui indique qu’« [o]n fera un examen juridique accéléré des revendications de faible valeur afin de conclure rapidement si elles seront admises pour la négociation » et « [o]n fera des efforts particuliers pour négocier plus rapidement les revendications de faible valeur, qui comptent pour environ 50 p. 100 des cas présentement dans le système ».

[32]  À l’étape suivante, la Direction générale des revendications particulières envoie sa recommandation au Comité consultatif des revendications (« CCR »), lequel est composé de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La valeur préliminaire d’une revendication de faible valeur figure dans la recommandation envoyée au CCR.

[33]  Le CCR décide s’il recommande au sous-ministre adjoint principal, Traités et gouvernement autochtone, d’accepter ou de refuser la revendication aux fins de négociation.

[34]  Si la revendication est acceptée, le sous-ministre adjoint principal écrit au chef de la Première Nation pour lui confirmer que la revendication est acceptée aux fins de négociation et lui faire part des motifs de la décision et des prochaines étapes du processus.

[35]  Les revendications de valeur normale sont habituellement confiées à un négociateur principal et à un avocat du ministère de la Justice en plus d’un négociateur adjoint alors que les revendications de faible valeur sont seulement confiées à un négociateur adjoint. L’équipe de négociation des revendications de valeur normale peut aussi comprendre des membres du personnel du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ou d’autres ministères (Transcription du témoignage de Brendan Blom, p. 4 et 5).

[36]  La Première Nation qui présente une revendication de valeur normale est admissible à un financement sous forme de prêt. Ce financement n’est pas automatique et la Première Nation doit d’abord présenter une demande et ensuite signer une entente de prêt. Le financement peut servir à payer les coûts liés aux négociateurs, aux avocats, aux consultants, aux déplacements, aux salles de réunion, aux repas, à l’hébergement, aux évaluations, aux économistes, aux actuaires et à la ratification de l’accord de règlement.

[37]  Dans le cas d’une revendication de faible valeur, aucun financement n’est accordé parce que le Canada ne prévoit aucune activité de négociation importante. L’offre de règlement présentée par le Canada inclut plutôt une somme forfaitaire destinée à couvrir les frais.

[38]  En ce qui concerne les revendications de faible valeur, les offres de règlement demeurent valables pendant une période de 90 jours de façon à ce que la revendicatrice puisse examiner l’offre et prendre les dispositions nécessaires pour que le conseil de bande approuve l’offre ou adopte une résolution à cet effet.

[39]  Si l’offre n’est pas acceptée dans les 90 jours, le dossier est « fermé » et peut demeurer indéfiniment fermé, à moins que l’offre soit finalement acceptée ou qu’une revendicatrice dépose de nouveaux éléments de preuve justifiant son réexamen.

[40]  Quand on lui a demandé ce que le mot « fermé » signifiait, le négociateur adjoint a répondu ce qui suit :

[traduction] Essentiellement, cela signifie que les ressources, les ressources internes consacrées au dossier seront réaffectées à d’autres revendicatrices. Et, dans la base de données des revendications particulières sur le site Web du ministère, le dossier sera désigné comme fermé.

[Transcription du témoignage de Brendan Blom, p. 36]

VIII.  application du processus des revendications particulières à la revendication de la pnaok

[41]  Pendant l’audience, l’avocat de la revendicatrice a demandé au négociateur adjoint si le processus de négociation des revendications particulières décrit précédemment avait été suivi en ce qui concerne la revendication déposée par la PNAOK. Voici un résumé de ce témoignage :

Étape 1 : Nul ne conteste que l’étape 1 a été suivie — la revendication a été acceptée aux fins de négociation.

Étape 2 : (Établissement d’un protocole d’entente mixte sur les négociations) Quand on lui a demandé si l’étape 2 du processus de négociation avait été suivie, M. Blom a répondu par la négative parce que les réunions avec la revendicatrice n’étaient pas prévues et elles ne devaient pas avoir lieu :

  [traduction]

Q. L’étape 2 est ainsi décrite : « Établissement d’un protocole d’entente mixte sur les négociations ».

A-t-elle été suivie?

R. Non.

Q. Pourquoi pas?

R. Parce que normalement, dans le cadre d’une revendication de valeur normale ou dans une revendication plus complexe où on s’attend à une plus longue série de discussions et de réunions, un protocole d’entente sur les négociations peut aider à établir des lignes directrices qui guideront les parties tout au long de ces réunions et discussions. Dans la présente affaire, on ne s’attendait pas à autant de réunions.

Q. Des réunions étaient-elles prévues?

R. Non.

Q. Alors, il n’était pas nécessaire d’établir un protocole d’entente sur les négociations? Il n’était pas censé y avoir de réunions, n’est-ce pas?

R. Exact.

[Transcription du témoignage de Brendan Blom, p. 14]

Étape 3 : (Études/recherches sur l’indemnité) Les recherches et les études aident les négociateurs à établir le montant de l’indemnité qui devrait être versée. La revendicatrice n’est pas consultée et elle ne participe pas au calcul de la valeur préliminaire d’une revendication de faible valeur ou à la classification de la revendication comme revendication de faible valeur.

Quand on lui a demandé si cette étape avait été suivie, le négociateur adjoint Blom a répondu :

  [traduction]

Q. Est-ce que cela a été fait?

R. Je dirais que, pendant l’étape de la négociation, non, ça n’a pas été fait. Avant […] avant l’acceptation, il y a l’étape des études et des recherches, au cours de laquelle on fait des recherches sur les faits historiques de la revendication.

Q. Mais, ces recherches permettent de déterminer s’il existe une obligation légale non exécutée, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Cependant ici, nous parlons de recherches sur l’indemnité qui aideraient les négociateurs à établir le montant; y en a-t-il eu?

R. Non, sauf pour la recherche qui a été faite à l’étape des recherches et de l’évaluation.

Q. La revendicatrice a-t-elle participé à cette recherche?

R. Ça aurait concerné la présentation initiale de la revendication.

[Transcription du témoignage de Brendan Blom, p. 15]

Étape 4 : (Discussions sur l’indemnité) À cette étape, les négociateurs examinent les études et cherchent à établir une indemnité juste pour régler la revendication.

Quand on lui a posé des questions sur cette étape, le négociateur adjoint Blom a répondu que [traduction] « de toute évidence, aucun consensus n’a été atteint » (Transcription du témoignage de Brendan Blom, p. 16). Quand il a décrit la mesure dans laquelle on avait abordé la question de l’indemnité avec la revendicatrice, M. Blom a répondu que [traduction] « avec M. Williams, quelques appels téléphoniques ont eu lieu […] et quelques courriels ont aussi été échangés » (Transcription du témoignage de Brendan Blom, p. 17).

Étape 5 : (Proposition de règlement et rédaction d’une entente de règlement finale) Les négociateurs conviennent des principales modalités d’un projet de règlement et rédigent ensuite le projet. Cette étape n’a pas été suivie.

Étape 6 : (Les négociateurs paraphent l’entente de règlement) Monsieur Blom a convenu que cette étape n’a pas été suivie.

Étape 7 : (Vote de ratification de la Première Nation) Comme l’a expliqué la chef Corbiere dans son témoignage, le conseil de bande a examiné l’offre de règlement et l’a rejetée. 

[42]  Quatre des neuf (9) étapes décrites dans le processus de négociation des revendications particulières ont été suivies en ce qui concerne cette revendication.

IX.  la communication entre le canada et la revendicatrice entre la date de l’acceptation de la revendication et la date de fermeture du dossier

[43]  Après que le Canada eut déterminé que la revendication déposée par la PNAOK était une revendication de faible valeur, il a jugé approprié d’appliquer le processus de règlement accéléré et a confié la revendication à un négociateur adjoint et à un avocat.

[44]   La première communication écrite de la Direction générale des revendications particulières adressée à la revendicatrice, après la lettre d’acceptation du sous-ministre adjoint, était une lettre datée du 28 mars 2012 contenant une offre de règlement.

[45]  L’offre de règlement précisait que le Canada devait recevoir, dans les 90 jours (28 juin 2012), une résolution dans laquelle le conseil de bande (RBC) acceptait l’offre et qu’à défaut de recevoir la RCB dans le délai prescrit, l’offre de règlement expirerait et le dossier serait clos.

A.  Chronologie des communications entre le Canada et la PNAOK

[46]  Voici un résumé des communications entre le Canada et l’avocat de la PNAOK :

  • 25 nov. 2011 — lettre avisant la PNAOK que la revendication avait été acceptée aux fins de négociation, que [traduction] « l’indemnisation sera fonction des critères d’indemnisation figurant dans la politique ci-jointe », et que la PNAOK devait faire parvenir une résolution dans laquelle le conseil de bande acceptait les modalités de la lettre;

  • 28 mars 2012 — lettre du Canada (négociateur adjoint Brendan Blom), laquelle renfermait une offre visant à régler la revendication et décrivait les modalités, notamment l’obligation de présenter une RCB avant le 28 juin 2012, à défaut de quoi l’offre « expirerait »et le Canada « fermerait »le dossier;

  • 9 avril 2012 — Monsieur Williams, avocat de la PNAOK, a laissé à M. Blom un message vocal dont la teneur est protégée par le privilège relatif aux règlements;

  • 10 avril 2012 — Monsieur Blom a répondu au message vocal par un courriel dans lequel il donnait [traduction] « d’autres détails sur l’indemnité financière offerte ». Bien que la majeure partie de son courriel ait été expurgée, on peut notamment lire que [traduction] « nous ne prévoyons pas de négociations importantes ni de financement sous forme de prêt ».M. Blom poursuit en offrant de discuter davantage du dossier;

  • 11 mai 2012 — conversation téléphonique entre M. Williams et M. Blom dont la teneur est protégée par le privilège relatif aux règlements;

  • 8 juin 2012 — courriel dans lequel M. Williams demande à M. Blom de confirmer par écrit ce dont ils avaient discuté au téléphone, [traduction] « c’est-à-dire qu’aucun changement ne peut être apporté à l’offre du Canada »;

  • 12 juin 2012 — courriel dans lequel M. Blom précise à M. Williams que la PNAOK n’avait [traduction] « pas présenté au Canada des arguments ou des éléments de preuve qui justifieraient un réexamen ou une réévaluation de l’offre de règlement »;

  • 24 juillet 2012 — lettre dans laquelle le Canada avisait la PNAOK que le dossier avait été [traduction] « fermé »et que « si [elle] désir[ait] réexaminer l’offre d’indemnité du Canada et reprendre les discussions en vue d’un règlement, [elle pouvait] communiquer avec M. Blom ».

[47]  La PNAOK a déposé la revendication auprès du Tribunal le 7 août 2012. 

X.  l’interprétation du paragraphe 16(1) de la LTRP

[48]  Essentiellement, le Canada allègue dans son avis de demande visant à faire rejeter la revendication que le Tribunal n’a pas compétence pour entendre la revendication parce que les exigences législatives énoncées à l’al. 16(1)a) de la LTRP n’ont pas été respectées. Dans son avis de demande, la demanderesse affirme que [traduction] « [l]e ministre n’a pas avisé la Première Nation que la revendication n’était pas acceptée aux fins de négociation, comme l’exige l’alinéa 16(1)a) ». De plus, la demanderesse prétend que [traduction] « [l]a revendication a été acceptée aux fins de négociation, que des négociations ont eu lieu, qu’une offre a été présentée et que la Première Nation revendicatrice s’est retirée des négociations ».

[49]  Nul ne conteste que les exigences de l’al. 16(1)b) de la LTRP ont été respectées et qu’il ne se sera pas écoulé trois ans depuis le dépôt de la revendication (25 novembre 2014). Il n’est pas contesté non plus que les al. 16(1)c) et d) de la LTRP s’appliquent.

[50]  Par conséquent, le Canada prétend, au paragraphe 16 de son avis de demande, que la Première Nation revendicatrice ne peut pas déposer la présente revendication tant que trois ans ne se seront pas écoulés depuis la date à laquelle le ministre a avisé la Première Nation que la revendication avait été acceptée aux fins de négociation […] ».

[51]  La position de la revendicatrice est ainsi résumée au paragraphe 3 de sa réponse à l’avis de demande du Canada :

[traduction]

a)  le Canada a décidé en réalité de ne pas s’engager dans un processus de négociation; et en fait, il n’y a eu aucune négociation relativement à la revendication;

b)  le Canada a décidé de ne pas négocier de bonne foi;

c)  il a été décidé de ne pas négocier l’élément essentiel d’une partie de la revendication – le montant de l’indemnité; et il n’y a eu aucune négociation relativement à cette partie de la revendication;

d)  il a été décidé de ne pas négocier l’élément essentiel d’une autre partie de la revendication – le montant des frais de la revendicatrice associés aux négociations et au règlement – et il n’y a eu aucune négociation relativement à cette partie de la revendication;

e)  un avis écrit de la décision de ne pas s’engager dans un processus de négociation a été transmis par l’effet combiné de la déclaration figurant dans la lettre datée du 25 novembre 2011 selon laquelle « l’analyse de la revendication faite par le Canada permet de croire qu’elle pourrait être réglée au cours d’un processus de négociation accéléré »; de l’offre unilatérale, accompagnée d’un ultimatum, contenue dans la lettre du 28 mars 2012; du courriel de Brendan Blom indiquant qu’aucun prêt ne serait consenti parce qu’il n’y aurait « aucune activité de négociation importante » et de la confirmation, contenue dans la lettre du 24 juillet 2012, selon laquelle le dossier a été fermé;

f)  on trouve une preuve écrite de la décision de ne pas négocier de bonne foi, transmise à Aundeck Omni Kaning, principalement dans les lettres du 28 mars 2012 et du 24 juillet 2012 : ensemble, ces lettres font état d’une offre unilatérale « à prendre ou à laisser », assortie d’un ultimatum portant que le dossier serait fermé si la revendicatrice n’acceptait pas l’offre;

g)  en ce qui concerne les décisions de ne pas négocier le montant de l’indemnité et le montant des frais de la revendicatrice, deux parties distinctes de la revendication, ces décisions étaient implicites, mais ressortaient à l’évidence de l’offre non négociable présentée dans les lettres des 28 mars et 24 juillet 2012. 

A.  Que signifie le mot « négocier » à l’al. 16(1)a) de la LTRP?

[52]  La règle du sens ordinaire qui relève de l’interprétation législative repose sur trois principes généraux : 

[traduction]

(1)  Il est présumé que le sens ordinaire d’un texte législatif est le sens voulu ou le plus approprié. En l’absence d’un motif tendant à l’écarter, le sens ordinaire des mots est retenu;

(2)  Même lorsque le sens ordinaire d’un texte législatif semble clair […] ainsi que des conséquences qu’aurait l’adoption de ce sens. [Les tribunaux] doivent tenir compte de tous les éléments indiquant l’intention du législateur;

(3)  À la lumière de ces considérations supplémentaires, le tribunal peut adopter une interprétation qui modifie ou écarte le sens ordinaire des mots. Cette interprétation doit toutefois être plausible; c’est-à-dire qu’elle doit donner aux mots un sens qu’ils peuvent raisonnablement avoir.

[Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd (Toronto : Butterworths Canada, 1994), p.7]

[53]  Le mot « négocier » n’est pas défini dans la LTRP et les définitions possibles varient de la simple communication à la communication d’où ressort un élément de réciprocité, de marchandage ou de compromis. Selon la définition la plus souvent citée dans la jurisprudence canadienne, le mot « négocier » signifie [traduction] « s’entretenir (avec quelqu’un) dans le but de régler une affaire d’un commun accord; discuter d’un problème en vue d’arriver à un règlement ou un compromis » (Westward Farms c. Cadieux (1982), 138 D.L.R. (3d) 137 (C.A. Man.); International Corona Resources Limited c. Lac Minerals (1986), 53 O.R. (2d) 737 (H.C.J.)).

[54]  Bien qu’il ne fasse aucun doute que le sens ordinaire ou l’interprétation littérale est une approche bien établie en matière d’interprétation législative, le tribunal examinera aussi l’objet d’une loi pour mieux comprendre et déterminer l’intention du législateur.

[55]  L’objet d’une loi et les circonstances qui entourent son adoption constituent des considérations pertinentes dont il faut tenir compte dans l’interprétation d’un mot ou d’une phrase dans une loi : (ECG Canada Inc c. MRN, [1987] 2 CF 415, cité dans l’ouvrage de Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths Canada, 1994), p. 4 [Sullivan, « Construction of Statutes »).

[56]  Le mot « négocier » a été défini de plusieurs façons par les tribunaux canadiens, et ce, en fonction des circonstances factuelles de chaque cas.

[57]  Par exemple, dans une affaire d’assurance, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu :

[traduction] […] le mot « négocier » signifie se mettre d’accord en communiquant ou en discutant. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un élément de marchandage ou d’échange.

[Commercial Union Life Assurance Co. of Canada c. John Ingle Insurance Group Inc., [2002] O.J. No. 3200, par. 52]

[58]  Dans d’autres domaines, des notions comme celles d’« effort raisonnable » et de « bonne foi » sont des éléments que doit comporter la négociation. Par exemple, dans une affaire d’expropriation, où il était simplement question d’un règlement [traduction] « en vertu d’une entente » dans la loi municipale pertinente, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu que la « bonne foi » doit être implicite (Gravelbourg c. Smith [1983], 149 D.L.R. (3d) 176 (SKQB)).

[59]  En matière d’expropriation, il a été établi que la « bonne foi » exige un « effort honnête » (Baziuk et al. c. City of Edmonton, [1976] 1 Alta LR (2d) 371, par. 10).

[60]  Dans un cas où la loi pertinente obligeait l’administration expropriante à faire un [traduction] « effort raisonnable », la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu qu’un ultimatum qui ne laisse « aucune place à la négociation » ne satisfaisait pas à la norme :

[traduciton] Les offres présentées par Saskatchewan Telecommunications pouvaient essentiellement être considérées comme des ultimatums. Elles ne laissaient aucune place aux compromis, aucune place aux négociations. Elles ne laissaient voir aucune intention en ce sens. Les offres, comme l’a dit l’avocat général et secrétaire, étaient simplement « à prendre ou à laisser ». De telles offres, en l’absence d’une preuve qui les justifie, ne sauraient être interprétées comme une tentative raisonnable d’obtenir la terre par voie d’achat, comme le prévoit le paragraphe 5(1).

[Foster c. Saskatchewan Telecommunications, [1978] 92 D.L.R. (3d) 450 (CA)]

[61]  Dans le domaine du travail, les notions d’« effort raisonnable » et de « bonne foi » dans les négociations sont incorporées dans plusieurs codes du travail provinciaux (George Adams, Canadian Labour Law, 2e éd., feuilles mobiles (consulté le 23 mai 2013), (Aurora, Ont : Canada Law Book, 2006), par. 2.3880)).

[62]  Alors que les dispositions législatives sont moins explicites dans le contexte des relations de travail, la Cour suprême du Canada a affirmé que la « bonne foi » dans les activités de négociation était implicitement prévue par la Charte canadienne des droits et libertés (annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982, 1982, ch. 11 (R.-U.) :

[40] […] les activités de négociation en contexte de relations du travail protégées par l’al. 2d) [de la Charte] comprennent la négociation de bonne foi de questions importantes liées à l’exécution des fonctions (par. 94; voir aussi par. 93, 130 et 135) [dans Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391]). Il ne suffit pas de pouvoir présenter des observations à l’employeur, mais ce dernier est également tenu de les prendre en considération dans le cadre d’un processus d’examen et d’échange.

[Ontario (PG) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, par. 40 [Fraser]]

[63]  Dans l’arrêt Fraser, précité, la Cour a interprété les dispositions législatives en cause, lesquelles faisaient partie d’un régime de relations du travail distinct destiné aux travailleurs agricoles, à la lumière du contexte constitutionnel. La Loi prévoyait que l’employeur doit donner à une association d’employés une occasion raisonnable de présenter des observations, et qu’il est tenu de les écouter ou de les lire et d’informer l’association qu’il les a lues (Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles, L.O. 2002, ch. 16, par. 5 (1), (6), (7) [LPEA]). La Cour a conclu que l’examen de « bonne foi » de ces observations était implicite dans la LPEA : 

[…] une loi doit s’interpréter de manière que ses dispositions aient un sens et un objet. Il nous faut donc déterminer la raison d’être des exigences énoncées aux par. 5(6) et (7). Une seule explication peut être trouvée à l’obligation imposée à l’employeur d’écouter ou de lire les observations présentées par les employés : s’assurer que l’employeur considère effectivement ces observations. Une simple obligation d’écoute ou de lecture passive ne permettra pas de réaliser cet objectif. Pour s’acquitter de son obligation, l’employeur doit examiner les observations. De plus, il doit le faire de bonne foi : une attitude fermée rend l’examen sans objet.

[Fraser, précité, par. 103]

[64]  La Cour suprême a aussi souligné que « le Parlement et les législatures veulent respecter la Charte », et qu’au moment où la LPEA a été adoptée, la Cour avait déjà clairement indiqué que l’exercice véritable du droit de s’associer exige que « […] l’employeur [examine] de bonne foi les observations de ses employés. Il faut résoudre en conséquence toute ambiguïté de la LPEA »  (Fraser, ibid, par. 104).

[65]  Ces exemples, qui sont tirés de décisions en matière de commerce, d’expropriation et de relations du travail, démontrent que le sens et le contenu des activités de négociation varient selon les différents contextes politiques et constitutionnels et tiennent compte des différences dans la nature des intérêts ou droits en jeu. Il faut dûment prendre en considération le contexte dans lequel s’inscrit une négociation prévue par la loi pour donner à ce mot l’interprétation qu’il convient de lui donner.

XI.  l’interprétation du mot « négocier » dans un contexte autochtone

[66]  L’interprétation du mot « négocier », au par. 16(1) de la LTRP, dans un contexte autochtone doit être conforme à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, aux principes de réconciliation et de « bonne foi », ainsi qu’à l’honneur de la Couronne. Il convient d’adopter une interprétation libérale et généreuse à l’égard des ambiguïtés, lesquelles devraient être résolues en faveur des Premières Nations.

[67]  Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 confirme l’existence de droits ancestraux et de droits issus de traités et fournit le cadre constitutionnel permettant de concilier la souveraineté de Sa Majesté avec la préexistence de sociétés autochtones distinctes occupant le territoire (R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, par. 42).

[68]  Le règlement des revendications particulières commande une approche qui soit compatible avec la protection constitutionnelle conférée aux droits issus de traités. Quand il est question d’interpréter une loi, il faut présumer que le Parlement voulait respecter la Loi constitutionnelle de 1982 (Fraser, précité, en général et au par. 104).

[69]  La meilleure façon de respecter le principe de réconciliation est la négociation de « bonne foi », comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Delgamuukw :

[...] la Couronne a l’obligation morale, sinon légale, d’entamer et de mener ces négociations de bonne foi. En fin de compte, c’est au moyen de règlements négociés — toutes les parties négociant de bonne foi et faisant les compromis qui s’imposent — processus renforcé par les arrêts de notre Cour, que nous pourrons réaliser ce que, dans Van der Peet, précité, au par. 31, j’ai déclaré être l’objet fondamental du par. 35(1), c’est-à-dire « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté ». Il faut se rendre à l’évidence, nous sommes tous ici pour y rester.

[Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 186]

[70]  La notion de « bonne foi » est aussi implicite quand l’honneur de la Couronne est en jeu, comme c’est le cas dans le processus de négociation et de règlement des revendications autochtones, y compris les revendications particulières. 

La Cour est également d’avis que l’honneur de la Couronne commande qu’elle tienne des négociations de bonne foi menant à un règlement équitable des revendications autochtones. Cette obligation de négocier de bonne foi, implicite dans l’article 35 [de la Loi constitutionnelle de 1982] […]

[Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), [2006] 2 C.N.L.R. 18, par. 45 (C.F. 1re inst.]

[71]  La Cour suprême a fait remarquer que « l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu’elle transige avec les Indiens » (R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456) et qu’il ne « s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes » (Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511).

[72]  Récemment, la Cour fédérale a conclu que « [...] l’obligation de négocier de bonne foi […] découle [sic] l’honneur de la Couronne » (Mohawks of the Bay of Quinte c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [2013] CF 669).

[73]  Les dispositions législatives ou les expressions ambigües « visant les Indiens » devraient recevoir une interprétation libérale, et « toute ambiguïté doit profiter aux Indiens » : 

[…] [L]es traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et […] toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. […] Dans l’affaire Jones v. Meehan, 175 U.S. 1 (1899), on a conclu que les traités avec les Indiens [TRADUCTION] « doivent … être interprétés non pas selon le sens strict de [leur] langage … mais selon ce qui serait, pour les Indiens, le sens naturel de ce langage ». […] Il faut, je crois, dans des cas de ce genre, tenir compte du fond et du sens manifeste et ordinaire des termes employés, plutôt que de recourir à la dialectique judiciaire. À mon avis, on doit éviter de donner à l’article une interprétation trop sensible. 

[Nowegijick, précité, p. 36 et 41]

[74]  La LTRP ne définit pas le mot « négocier », ce qui laisse place à l’ambiguïté dans l’interprétation de ce mot. Le Canada et la revendicatrice ont adopté des interprétations très divergentes et des points de vue très différents quant à savoir si le ministre a décidé de refuser de négocier le règlement « de tout ou partie » de la revendication.

[75]  Une ambiguïté est [traduction] « [u]ne incertitude quant à la signification ou à l’intention, par exemple dans une […] disposition législative » (Black’s Law Dictionary, 8e édition, Bryan A. Garner, éditeur en chef, Minnesota, 2004, p. 88). En matière d’interprétation des lois, l’ambiguïté est aussi définie comme [traduction] « […] le sens incertain de tout mot, phrase ou disposition législative » (Black’s Law Dictionary, ibid, citant Rupert Cross, Statutory Interpretation, (1976) p.76 et 77).

[76]  Au paragraphe 16 de l’avis de demande du Canada, la demanderesse soutient que [traduction] « [l]a revendication a été acceptée aux fins de négociation, que les négociations ont eu lieu, qu’une offre a été présentée et que la Première Nation revendicatrice s’est retirée des négociations ».

[77]  La PNAOK prétend qu’en qualifiant sa revendication de revendication de faible valeur et en décidant de recourir au processus de négociation accéléré et de présenter une seule offre et un ultimatum, le Canada voulait en fait laisser savoir qu’il n’y aurait pas de négociation. Au paragraphe 46 de sa réponse à l’avis de demande du Canada, la revendicatrice a indiqué qu’[traduction] « [e]n présentant une offre ferme et non négociable et en fermant le dossier dès lors que l’offre n’a pas été acceptée, le Canada a décidé de ne pas négocier la revendication d’Aundeck Omni Kaning. Les communications que le Canada a envoyées à Aundeck Omni Kaning satisfont aux exigences de l’alinéa 16(1)a) en ce qui concerne l’avis écrit ».

[78]   Après que la PNAOK eut déposé sa revendication, la Direction générale des revendications particulières a immédiatement déterminé qu’il s’agissait d’une revendication de faible valeur et qu’il convenait d’appliquer le processus de règlement accéléré.

[79]  Comme il est décrit dans la pièce 2, pendant le processus d’évaluation initiale visant à déterminer si la revendication révélait l’existence d’une obligation légale non exécutée de la part du Canada, la revendication a été transmise à l’unité des évaluations et des mandats  de la Direction générale des revendications particulières afin que celle-ci établisse sa valeur préliminaire. C’est à cette étape que la revendication devait être classée dans la catégorie des revendications de faible valeur ou dans celle des revendications de valeur normale.

[80]  La PNAOK n’a pas été consultée au moment de l’établissement de la valeur préliminaire et de la classification de la revendication à titre de revendication à faible valeur. On ignore comment cette décision a été prise ni quels renseignements ont été pris en considération pour y arriver puisque le Canada a présenté une demande de privilège relatif aux règlements. Le Canada a toutefois reconnu que la Première Nation revendicatrice n’est pas consultée à cette étape du processus ni informée de la façon dont la Direction générale des revendications particulières et ses négociateurs arrivent à leurs décisions.

XII.  conclusions

[81]  En décidant d’accélérer le processus de règlement de la revendication et en concluant qu’il s’agissait d’une revendication de faible valeur, le Canada a unilatéralement exclu toute consultation ou discussion portant sur les aspects essentiels « de tout ou partie » de la revendication, y compris sa valeur ou la façon dont elle a été calculée. Comme le démontrent les courriels datés du 10 avril et du 12 juin 2012 qu’a envoyés M. Blom à l’avocat de la revendicatrice, le Canada n’avait pas l’intention de discuter de son offre de règlement.

[82]  La position adoptée par le Canada dès le départ et la classification de la revendication à titre de revendication de faible valeur reflétaient essentiellement une offre unique « à prendre ou à laisser » qui devait être acceptée dans les 90 jours. On ne sait pas exactement ce qui justifierait le Canada de réviser son offre parce que la revendicatrice n’est pas au courant des renseignements sur lesquels celui-ci s’est fondé pour arriver à son offre, et qu’il a refusé de divulguer la preuve dont il s’est servi pour l’élaborer.

[83]  Je n’accepte pas l’argument du Canada selon lequel son offre pouvait, en théorie, faire l’objet de discussions, même une fois que le dossier ait été fermé, si de nouveaux éléments de preuve étaient produits. Ne sachant pas sur quels éléments de preuve reposait l’offre au départ, comment la Première Nation pourrait-elle savoir ce qui constitue une nouvelle preuve?

[84]  Au-delà des communications échangées entre le Canada et l’avocat de la PNAOK, il était clair pour la chef Corbiere que l’offre ne laissait aucune place à la discussion.

Q. Pensiez-vous que l’offre était négociable?

R. Non.

Q. Pourquoi?

R. En raison du contenu de la lettre.

[Transcription, interrogatoire principal de la chef Patsy Corbiere, p. 47, lignes 18 à 24]

[85]  À mon avis, ne pas négocier sur le fond, de façon conforme à l’honneur de la Couronne, ce qui signifie de bonne foi, revenait à décider de ne pas négocier le règlement « de tout ou partie » de la revendication, au sens de l’al. 16(1)a) de la LTRP.

[86]  Le Canada prétend que le processus de traitement accéléré des revendications vise à accélérer le processus de règlement, mais ce processus a en fait empêché la tenue de négociations valables. En n’offrant pas un processus véritable et en refusant de discuter, le Canada n’a pas agi de « bonne foi » ni préservé l’honneur de la Couronne ni respecté les principes consacrés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[87]  Je souscris aux commentaires formulés par le juge Melvin de la Cour suprême de la C. B. dans Chemainus First Nation c. British Columbia Assets and Lands Corporation, [1999] 3 CNLR 8, selon lesquels [traduction] « […] bien que la Couronne ne soit pas assujettie à une obligation légale de négocier ou de parvenir à une entente, lorsqu’elle amorce des négociations, elle doit le faire de bonne foi » (voir aussi : Mohawks of the Bay of Quinte c. Ministre des Affaires indiennes et Nord canadien, [2013] CF 669, par. 45).

[88]  Lors de sa plaidoirie finale, l’avocate du Canada a soutenu que la LTRP confère au ministre un pouvoir discrétionnaire considérable pour décider s’il convient d’accepter une revendication ou d’en négocier ou non le règlement — c’est à dire essentiellement, qu’il [traduction] « contrôle la situation ».

[89]  Je ne suis pas d’accord. Cette position, tout comme le processus utilisé par la Direction générale des revendications particulières pour régler les revendications de faible valeur, et peut-être bien d’autres, est, à vrai dire, paternaliste, intéressée, arbitraire et irrespectueuse des Premières Nations. Elle ne préserve pas l’honneur de la Couronne, ni le principe implicite de « bonne foi » nécessaire dans toutes les négociations que le Canada entreprend avec les Premières Nations. Une telle position ne laisse pas place aux principes de réconciliation, d’accommodement et de consultation que la Cour suprême a, dans plusieurs décisions, décrit comme étant le fondement de la relation du Canada avec les Premières Nations.

[90]  Des négociations de « bonne foi » ne peuvent être fermes, sinon ce ne serait pas des négociations. Le manque de souplesse non seulement limite toute forme de discussions constructives, mais compromet ou invalide le processus en plus de le rendre inéquitable.

[...] La consultation qui exclurait dès le départ toute forme d’accommodement serait vide de sens. Le processus envisagé ne consiste pas simplement à donner aux Mikisew l’occasion de se défouler avant que la ministre fasse ce qu’elle avait l’intention de faire depuis le début. […]

[Première nation crie Mikisew c. Canada, [2005] 3 R.C.S. 388, par. 54]

[91]  En décidant de recourir au processus applicable aux revendications de faible valeur, en présentant une offre de règlement sans possibilité de discussion, en refusant de discuter ou d’expliquer l’offre et en imposant un délai de 90 jours avant de fermer le dossier, le Canada, et plus particulièrement le ministre, a décidé qu’il ne négocierait pas le règlement de la revendication et en avisé la revendicatrice.

[92]  Par conséquent, je conclus que le ministre a avisé la revendicatrice de sa décision de ne pas négocier le règlement « de tout ou partie » de la revendication. Je suis donc d’avis que la revendicatrice a satisfait aux exigences de l’al. 16(1)a) de la LTRP, et que sa revendication peut être déposée auprès du Tribunal.

XIII.  ordonnance

[93]  La demande du Canada est rejetée.

[94]  Les avocats pourront présenter des observations écrites d’au plus trois (3) pages sur la question des dépens dans les 30 jours suivant la publication de la présente décision.

PATRICK SMITH

L’honorable Patrick Smith

Tribunal des revendications particulières Canada

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20140117

Dossier : SCT-3001-12

OTTAWA (ONTARIO), le 17 janvier 2014

En présence de l’honorable Patrick Smith

ENTRE :

AUNDECK OMNI KANING

Revendicatrice (défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée (demanderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À :

Avocat de la revendicatrice AUNDECK OMNI KANING

Représentée par Paul Williams

Avocat

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Jennifer Roy et Gary Penner

Ministère de la Justice

 

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