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Abstract: MOTIFS AU SOUTIEN DE LA DÉCISION

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R. v. Latour, 2012 NWTTC 15
Date: 2012 10 05
Dossier no T-3-CR-2012-000282

COUR TERRITORIALE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
Intimée
-et-
HUGUES LATOUR	
Requérant

MOTIFS DE LA DÉCISION
de
L’HONORABLE JUGE CHRISTINE GAGNON

Requête entendue à : 					Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest 									le 26 septembre 2012
Décision rendue le : 					5 octobre 2012
Procureur du Requérant : 				Me Serge Petitpas
Procureur de l’Intimée :					Me Marc Lecorre


ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION MAINTENUE

R. v. Hugues Latour, 2012 NWTTC 15

Date: 2012 10 05
Dossier no T-3-CR-2012-000282

COUR TERRITORIALE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
Intimée
-et-
HUGUES LATOUR	
Requérant

MOTIFS AU SOUTIEN DE LA DÉCISION
de
L’HONORABLE JUGE CHRISTINE GAGNON
__________________________________________________________________
« L’impartialité est la qualité fondamentale des juges et l’attribut central de la fonction judiciaire »
PRÉAMBULE
[1]	L’accusé, Requérant dans la présente affaire, demande que je me récuse de son enquête préliminaire, laquelle est fixée pour audition le 21 novembre 2012, dans la ville d’Inuvik, aux Territoires du Nord-Ouest.
[2]	La requête, non appuyée d’un affidavit, fut déposée au greffe de la cour territoriale le 20 août 2012 et portée au rôle d’audience le 26 septembre 2012.

 [3]	Aucune preuve ne fut entendue lors de l’audition et aucune pièce ne fut produite, le Requérant s’en remettant au contenu du dossier de la cour, dont le juge peut prendre connaissance d’office, ainsi qu’aux principes généraux du droit.  Le Requérant a invoqué au soutien de sa requête la décision rendue dans l’affaire R. c. Bellefroid  par la Cour supérieure du Québec.
[4]	La Couronne n’a produit aucune jurisprudence et n’a présenté aucune preuve, se contentant de réfuter les arguments du Requérant.
[5]	Concernant l’absence de preuve au soutien de la requête, le procureur du Requérant plaide qu’il n’invoque pas un fait particulier, mais que la requête est plutôt fondée sur une situation de fait qu’il demande à cette cour de constater à la face même des actes de procédure au dossier.  Cette façon de procéder a déjà été considérée par la Cour suprême de l’Ontario et elle fut déclarée tout à fait acceptable .
[5]	J’aurais préféré cependant ne pas avoir à me prononcer sur ma propre capacité à être impartiale et de ce fait, un véhicule plus approprié aurait pu être de s’adresser à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest au moyen d’une requête en prohibition.  Vu l’abondance de décisions dans lesquelles un juge a eu à statuer sur sa propre capacité à juger impartialement d’une affaire, je peux donc néanmoins déterminer cette question.

LA SITUATION FACTUELLE DONNANT OUVERTURE À LA REQUÊTE
[6]	Le Requérant fait face à des accusations de production et de possession de pornographie juvénile, concernant deux présumée victimes.  Les faits se seraient produits entre le 1er et le 26 septembre 2011 dans la ville d’Inuvik aux Territoires du Nord-Ouest.
[7]	Le Requérant a comparu détenu en cour Territoriale le 20 octobre 2011 sur ces accusations et a consenti au report de son enquête sur remise en liberté à une date indéterminée.
[8]	La Couronne a choisi de le poursuivre par acte d’accusation le 26 juin 2012 après avoir déposé une nouvelle dénonciation.  Le Requérant a choisi d’être jugé par un juge de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest siégeant avec un jury et a requis que son procès se déroule en français.
[9]	Le 3 juillet 2012, l’enquête préliminaire a été fixée au 21 novembre 2012 pour audition et  le Requérant a demandé que la cour entende sa requête pour être remis en liberté provisoire le 9 août 2012 et que cette audition ait lieu en français.
[10]	Il faut préciser que pour les comparutions intérimaires, le Requérant avait tacitement renoncé à ce que les échanges soient tenus en français, l’anglais étant la langue généralement parlée aux Territoires du Nord-Ouest et devant ses tribunaux.
[11]	Cependant, pour les besoins de la cause, il faut ajouter que la Cour Territoriale des Territoires du Nord-Ouest est composée de quatre juges résidents siégeant à plein temps et de plusieurs juges adjoints, lesquels siègent au besoin.
[12]	La Cour Territoriale compte un juge résident dont la langue première est le français et qui s’exprime aussi en anglais.  Il s’agit de la soussignée.
[13]	J’ai donc entendu cette requête le 9 août 2012 à Yellowknife et je l’ai rejetée dans une décision rendue le 13 août 2012, émettant du même coup une ordonnance de détention.
[14]	Les motifs de cette décision font l’objet d’une transcription, laquelle a été versée au dossier de la Cour.
[15]	Les parties furent informées par la suite que je présiderais l’enquête préliminaire dans cette affaire.

LES ARGUMENTS AU SOUTIEN DE LA REQUÊTE
a)	Les arguments du Requérant
[16]	Le Requérant plaide qu’il prévoit demander à nouveau d’être remis en liberté à la conclusion de son enquête préliminaire et soutient que le fait que je me sois déjà prononcée sur sa remise en liberté dans le présent dossier soulève une apparence de partialité.  Il plaide que la procédure prévue à l’article 523(2)b) du Code criminel est de type de novo.
[17]	Il invoque le fait que j’entendrais donc vraisemblablement les mêmes représentations eu égard aux mêmes circonstances et qu’il serait inconcevable que je puisse me prononcer sur celles-ci sans laisser l’apparence que je ne serais pas susceptible d’être persuadée par la preuve et les arguments qu’il soumettrait, ni sans laisser l’apparence d’avoir des idées préconçues, préjugées et défavorables pour celui-ci.
[18]	Pour le Requérant, le problème de perception se situe dans le fait que j’entendrais l’enquête préliminaire et la requête subséquente en remise en liberté alors que dans la même affaire j’ai déjà entendu et jugé des faits, m’étant prononcée sur la nécessité de la détention du Requérant en attente de son procès.
[19]	Le Requérant plaide que la question n’est pas de savoir si je suis partiale, mais bien de déterminer si,
	« à la lumière des raisons invoquées par le(s) requérants, un homme :
	-raisonnable,
	-sensé
	-bien renseigné
	-ni scrupuleux
	-ni tatillon
	-qui étudierait la question
		-en profondeur
		-de façon réaliste
		-de façon pratique
Aurait une crainte raisonnable que je sois partial (sic) dans le présent procès.  Cet homme n’est pas nécessairement un des accusés.  Il est plutôt un membre du public ayant les caractéristiques énumérées ci-dessus.
Donc, c’est l’apparence de partialité qui est en jeu, non la partialité elle-même. »
	
b)	Les arguments de l’Intimée
[20]	La Couronne rétorque qu’il n’y a aucune apparence de partialité et cite un autre passage de R. c. Bellefroid au soutien de son argument d’administration de la justice : 	
« s’il fallait suivre le raisonnement de la défense sur cette question, une fois qu’un juge a rendu une décision de principe en droit sur une question, il ne pourrait être appelé à se prononcer de nouveau sur cette question puisqu’il n’aurait pas l’esprit ouvert. »
[21]	Ceci résulterait en des délais déraisonnables car il faudrait toujours trouver un juge qui ne connaît rien d’une cause pour en entendre le procès.  Ceci entraînerait une situation impossible à gérer dans une juridiction qui ne compte que quatre juges résidents.  Chacun des juges de cette cour entend de façon routinière des enquêtes sur remise en liberté, puis des procès impliquant les mêmes individus et chacun des juges peut se dissocier des faits et arguments entendus antérieurement pour ne juger que sur les faits mis en preuve devant lui ou elle dans un dossier.
[22]	La Couronne ajoute que les juges sont présumés être impartiaux et qu’il s’agit d’une présomption qui n’est pas facile à réfuter.
[23]	La Couronne dit que le Requérant spécule lorsqu’il prétend que les faits qu’il présentera à l’enquête sur remise en liberté seront identiques et plaide plutôt que seul un changement matériel de circonstances pourrait justifier un juge présidant l’enquête préliminaire de réviser l’ordonnance rendue en vertu de l’article 515 du Code  criminel.  Il est donc confiant que je serais en mesure d’évaluer objectivement tout changement de circonstance.

LE DROIT
[24]	La présente procédure se fonde sur le principe fondamental, énoncé par Lord Hewart dans l’affaire R. v. Sussex Justices :
« Justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done».
[25]	Ce qui se traduirait par : la justice doit non seulement être rendue mais doit manifestement paraître avoir été rendue.
[26]	L’essence de l’impartialité est l’obligation qu’a le juge d’aborder avec un esprit ouvert l’affaire qu’il doit trancher.  Inversement, la partialité peut se définir ainsi :
« La partialité est un état d’esprit qui infléchit le jugement et rend l’officier judiciaire inapte à exercer ses fonctions impartialement dans une affaire donnée »
[27]	La question de la crainte raisonnable de partialité a été étudiée plusieurs fois et la Cour suprême du Canada s'est exprimée à ce sujet dans les arrêts majeurs R.D.S. c. Sa Majesté la Reine , Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie  et Bande indienne Wewaykum c. Canada .
[28]	Le test applicable à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie :
« la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.  Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » »
[29]	Ce test a été accepté par toutes les cours du pays et les juges de notre juridiction ont également adopté ce test dans les affaires de Werner v. The Queen , R. v. Khatib  et R. v. Heisinger .
[30]	Dans R.D.S. c. Sa Majesté la Reine, les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin ont écrit :
« Bien que les procédures judiciaires soient généralement davantage soumises aux impératifs de justice naturelle que ne le sont les instances administratives, les juges des tribunaux judiciaires, de par leur position, ont néanmoins bénéficié d’une déférence considérable de la part des cours d’appel appelées à examiner une allégation de crainte raisonnable de partialité.  C’est que les juges [TRADUCTION] «sont tenus pour avoir une conscience et une discipline intellectuelle et être capables de trancher équitablement un litige à la lumière de ses circonstances propres » : United States c. Morgan, 313 U.S. 409 (1941) à la p. 412.  Cette présomption d’impartialité a une importance considérable puisque, comme l’a fait observer Blackstone, aux pp. 21 et 22, dans Commentaires sur les lois anglaises (1823), t. 5, cité au renvoi 49 de l’article de Richard F. Devlin intitulé « We Can’t Go On Together with Suspicious Minds : Judicial Bias and Racialized Perspective in R. v. R.D.S. » (1995), 18 Dalhousie L.J. 408, à la p. 417, « la loi ne peut supposer de la faveur, de la partialité, dans un juge, qui, avant tout, s’est engagé par serment à administrer la justice avec une sévère intégrité, et dont l’autorité dépend en grande partie de l’idée qu’on a conçue de lui à cet égard ».  C’est ainsi que les cours d’appel ont hésité à conclure à la partialité ou à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité en l’absence d’une preuve concluante en ce sens. »
[31]	Le juge Vertes, alors qu’il siégeait en appel dans la cause de Werner c. la Reine, ajouta : [TRADUCTION]  « la décision de se récuser est un exercice discrétionnaire avec lequel les tribunaux supérieurs n’interviendront pas à moins qu’il n’ait été fondé sur un principe erroné ou qu’il ait occasionné un déni de justice. »
[32]	La Cour d’appel de l’Alberta s’est exprimée ainsi dans l’affaire R. v. Bolt :
[TRADUCTION]  « Il est inévitable qu’il y ait des situations où un juge d’expérience aura eu des contacts avec un accusé à plus d’une occasion.  Nous sommes confiants que les juges sont capables de purger ce fait  leur esprit et de ne décider de la culpabilité ou de l’innocence d’un accusé qu’en fonction des faits relatifs à l’infraction spécifique dont ils sont saisis.  À moins qu’une réelle partialité soit démontrée, un contact antérieur n’est pas un facteur déterminant. »
[33]	De façon plus spécifique, il est généralement accepté qu’un juge doive se récuser s’il a tiré une conclusion de fait dans le cadre d’une procédure judiciaire qui portait sur une question essentielle telle que la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, ou sur la crédibilité d’un témoin important qui pourrait être appelé à témoigner à un procès subséquent du même accusé comparaissant devant le même juge.
[34]	Par exemple, dans l’affaire R. v. Nolin , le juge présidant l’enquête préliminaire a déclaré inadmissibles certaines déclarations faites par l’accusé.  Suite à cette décision l’accusé a immédiatement ré-opté pour être jugé par un juge de la cour provinciale et a demandé au juge de convertir son enquête préliminaire en procès et de verser au procès la preuve entendue jusque-là au cours de l’enquête préliminaire.  La Couronne s’est objectée et s’est adressée en Cour supérieure afin d’empêcher ce juge d’entendre le procès, alléguant une crainte raisonnable de partialité.  La Cour supérieure a émis un bref de prohibition, que l’accusé a porté en appel.  La majorité de la Cour d’appel a déterminé qu’il y avait une crainte réelle de partialité qu’un juge au cours de la même procédure, impliquant les mêmes parties, ayant rendu une décision qui était déterminante quant à une question importante, (soit l’inadmissibilité d’une déclaration faite par l’accusé à une personne en autorité) puisse être perçu comme n’étant pas capable d’aborder ces procédures avec un esprit ouvert et un regard neuf.
[35]	L’on comprend à la lecture de ces faits qu’il s’agit d’une décision unique dans un contexte pour le moins inusité.  Pour paraphraser le juge Vertes alors qu’il s’exprimait dans l’affaire Werner : il n’y a pas de règle de droit voulant qu’un accusé ne puisse pas subir son procès plus d’une fois devant le même juge.
[36]	Dans l’affaire Lacombe, le juge du procès fut saisi d’une requête en récusation au motif qu’il avait entendu et rejeté une requête du même accusé, dans la même affaire, par laquelle il sollicitait sa mise en liberté provisoire.  Le juge DuPont a considéré la question à la lumière des quelques décisions rapportées qu’il a pu trouver sur cette situation particulière, qu’il a dite être plutôt rare.
[37]	Le juge DuPont a comparé les rôles de juge du procès et celui du juge de paix présidant l’enquête sur remise en liberté provisoire.  Il a conclu que le magistrat présidant l’enquête caution reçoit de l’information qui n’est généralement pas contentieuse.  Bien que le magistrat doive considérer certains facteurs comme le poids apparent de la preuve de la poursuite, la probabilité de condamnation et le risque de récidive, il évalue rarement des témoignages et n’a pas à se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence d’un accusé.  Le magistrat reçoit généralement une copie des antécédents judiciaires d’un accusé dans le cadre de l’enquête caution mais ce fait à lui seul ne suffirait pas à justifier sa récusation car il n’est pas rare que les antécédents judiciaires d’un accusé soient mis en preuve lors d’un procès, puisqu’ils sont admissibles dans certaines circonstances spécifiques.
[38]	Il a proposé un test pour déterminer si le fait d’avoir présidé une enquête sur remise en liberté à l’égard d’un accusé l’empêchait d’entendre ultérieurement le procès à l’égard du même individu fondé sur les mêmes faits :
[TRADUCTION] « Je dois considérer si, lors de l’enquête sur remise en liberté provisoire, j’ai tiré des conclusions de fait, rendu une décision or fait quelque observation qui sont reliées à des questions qui sont cruciales et pertinentes dans le cadre du procès, lesquelles enfreindraient consciemment ou inconsciemment ma capacité de présider le procès de manière complètement équitable, juste et impartiale, ou qui susciterait chez une personne raisonnable, informée des circonstances pertinentes et des faits, une réelle crainte de partialité. »
[39]	Un test similaire a été adopté par le juge Binder de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans l’affaire R. v. Kochan .  Cette affaire portait également sur une demande de récusation au motif que le juge du procès avait présidé une enquête sur remise en liberté provisoire concernant le même accusé.
[40]	Ce juge ajoute à la réflexion un argument fondé sur l’administration de la justice. Le juge Binder rappelle que la fonction première du juge est de juger et qu’un juge qui accepte trop hâtivement de se récuser encourage les parties à utiliser ce moyen afin d’avoir une chance de procéder devant un juge qui serait plus enclin à décider en leur faveur.  Un recours déraisonnable à la récusation engorgerait nécessairement le système judiciaire et en retarderait indûment le cours, ce qui est fondamentalement contraire aux intérêts tant de l’accusé que de la justice.
[41]	Les mêmes arguments ont été considérés par le juge Vertes dans l’affaire Werner.  L’argument est d’autant plus pointu dans le cas présent car la Cour territoriale ne dispose que d’un seul juge d’expression française qui réside aux Territoires du Nord-Ouest et qui puisse être assigné à présider des procédures préliminaires dans un cours délai.
[42]	Le point commun de toutes ces décisions rapportées est que la demande de récusation s’est effectuée auprès d’un juge présidant ou appelé à présider un procès.
[43]	Dans la présente affaire, je suis appelée à présider une enquête préliminaire, qui peut être suivie d’une révision de la détention du Requérant.  Je n’ai pas trouvé de précédent qui m’assisterait spécifiquement à résoudre la question qui m’est soumise, bien que les décisions de R. v. Lacombe et R. v. Kochan portent sur la relation entre l’enquête caution et le procès et comparent les rôles joués par les juges présidant respectivement chaque instance.
[44]	L’importance de l’impartialité judiciaire prend tout son sens lors du procès, surtout depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne, laquelle prévoit à son article 11d) le droit d’être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire après un procès juste et public devant un tribunal indépendant et impartial.
[45]	Le préjudice au stade du procès est réel vu que le rôle du juge du procès est d’évaluer la crédibilité des témoins et de déterminer la culpabilité ou l’innocence de l’accusé.
[46]	Néanmoins, le juge a l’obligation d’agir équitablement en tout temps et la question est tout de même pertinente bien que la culpabilité ou l’innocence du Requérant ne soit pas en cause lors de procédures autres que le procès.
[47]	Il importe donc d’examiner le rôle du juge lors de l’enquête préliminaire, surtout à la lumière de l’exercice de son pouvoir en vertu de l’article 523(2)(b) du Code Criminel.
[48]	Le juge présidant une enquête préliminaire a la juridiction d’un juge de paix. Sa fonction ne requiert pas qu’il évalue la crédibilité des témoins, sauf en des cas très précis et elle se limite à déterminer s’il existe de la preuve sur chaque élément des infractions reprochées à la dénonciation et s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à un jury, ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable, de conclure à la culpabilité et il doit évaluer la preuve uniquement pour déterminer si elle peut étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse.
[49]	L’auteur Gary Trotter (maintenant juge à la Cour supérieure de l’Ontario) dans son ouvrage intitulé « The Law of Bail in Canada »  analyse cette disposition dans le chapitre portant sur la révision des ordonnances rendues en vertu de l’article 515 du Code Criminel.
[50]	Il souligne le fait que cet exercice n’a lieu que dans des circonstances limitées et spécifiques :
1)	Il survient à la fin de l’enquête préliminaire
2)	Il ne s’applique pas à des ordonnances rendues par un juge d’une cour supérieure de juridiction criminelle
3)	Il a lieu après que le prévenu ait été envoyé à son procès
[51]	L’honorable juge Trotter explique que la procédure en est une de révision de l’ordonnance de détention ou de mise en liberté et que le texte de la disposition prévoit que telle ordonnance n’est pas automatiquement annulée du fait du renvoi à procès, mais bien qu’elle puisse être rendue « sur présentation de motifs justificatifs ».
[52]	Selon lui, ceci implique que le requérant doive démontrer un changement dans ses circonstances.  Le fardeau de démontrer un changement de circonstances incomberait à la partie qui désire que l’ordonnance soit annulée et cette partie aura alors la possibilité de présenter des preuves additionnelles ou nouvelles au soutien de sa requête.  Parfois le résultat de l’enquête préliminaire peut constituer un changement de circonstances, comme par exemple le renvoi à procès sur des infractions de moindre gravité ce qui pourrait avoir un impact sur un des facteurs que le juge considèrerait lors de son examen des faits en fonction des critères de l’article 515(10) du Code criminel .
[53]	Cette interprétation est selon lui compatible avec l’esprit de la partie XVI, d’autant plus que le mécanisme traditionnel de révision prévu aux articles 520 et 521 du Code criminel peut être utilisé en tout temps par les parties jusqu’au procès,   y compris pour obtenir la révision d’une ordonnance qui pourrait être rendue en vertu de l’article 523(2)(b), qui est une mesure spécifique, ciblée et limitée.  Je suis d’accord avec cette analyse.
[54]	En effet, l’article 523 devrait être considéré comme une mesure d’exception au régime voulant qu’une ordonnance rendue en vertu de l’article 515 soit révisable par une cour supérieure en vertu de l’article 520 du Code Criminel.  Cette mesure se justifie par le fait qu’un magistrat présidant l’enquête préliminaire se trouve dans une position privilégiée pour évaluer si un changement matériel s’est produit dans les circonstances d’un prévenu, ayant entendu des témoignages et ayant statué sur la présence ou l’absence d’éléments de preuve justifiant un renvoi à procès.
[55]	Le texte du Code criminel semble toutefois exclure le pouvoir de révision lorsqu’un prévenu est libéré au stade de l’enquête préliminaire.  Présumément, si un prévenu n’est pas cité à procès concernant les faits allégués à une dénonciation, il devrait recouvrer sa liberté immédiatement et la révision n’est pas nécessaire.
[56]	Par ailleurs si ce prévenu est détenu à l’égard d’infractions qui n’ont pas fait l’objet de l’enquête préliminaire, il ne pourrait demander au magistrat de reconsidérer sa détention pour ces autres infractions car la juridiction de ce dernier est limitée par le cadre établi par l’article 523(2)(b), mais rien ne l’empêcherait de recourir à l’article 520 du Code criminel.

ANALYSE ET APPLICATION DU DROIT AUX FAITS DE LA PRÉSENTE REQUÊTE
[57]	J’ai effectivement entendu la demande de remise en liberté du Requérant en août 2012 à l’égard de l’affaire dont je suis maintenant saisie au stade de l’enquête préliminaire et au terme de mon enquête j’ai décidé qu’il était nécessaire de le détenir afin de garantir sa présence devant le tribunal.
[58]	Lors de cette enquête, j’ai entendu essentiellement les représentations des procureurs et les faits soumis n’étaient pas contentieux, mis à part le témoignage du père du Requérant, qui était présenté comme caution.
[59]	Mon rôle à l’enquête préliminaire se limitera à déterminer si la preuve justifie un renvoi à procès et n’impliquera aucune décision quant à la culpabilité ou l’innocence du Requérant.  Si la preuve ne justifie pas de renvoi à procès et que je libère le Requérant à l’égard de cette dénonciation, je n’aurai pas compétence pour entendre une requête en révision de l’ordonnance de détention et la question est donc académique.
[60]	Si à l’issue de l’enquête préliminaire, je renvoie le Requérant à procès, j’aurai compétence pour décider si un changement de circonstances s’est produit justifiant une révision de l’ordonnance que j’ai rendue le 13 août dernier.
[61]	Appliquant le test proposé par le juge DuPont dans l’affaire Lacombe, modifié pour les besoins de la cause, je dois considérer si, lors de cette enquête sur remise en liberté provisoire du 9 août 2012 et dans ma décision du 13 août 2012, j’ai tiré des conclusions de fait, rendu une décision or fait quelque observation qui sont reliées à des questions qui seraient cruciales et pertinentes dans le cadre d’une nouvelle enquête portant sur la remise en liberté du Requérant, lesquelles enfreindraient consciemment ou inconsciemment ma capacité de présider la nouvelle enquête de manière complètement équitable, juste et impartiale, ou qui susciterait chez une personne raisonnable, informée des circonstances pertinentes et des faits, une réelle crainte de partialité.
[62]	Il n’a été ni allégué ni prouvé que j’aie tiré de telles conclusions ou fait quelque observations en ce sens.  Le fait que j’aie présidé l’enquête sur remise en liberté antérieurement ne m’empêche pas d’être saisie de l’enquête préliminaire.  Je ne vois rien qui puisse m’empêcher d’aborder cette procédure avec un esprit neuf.
[63]	Je suis capable de me dissocier de toute information reçue antérieurement dans le cadre de l’enquête sur la remise en liberté tenue en août dernier et de m’en tenir à la preuve que j’entendrai lors de l’enquête préliminaire.

CONCLUSION
ATTENDU QUE le Requérant demande par requête que je me récuse de l’enquête			         préliminaire fixée au 21 novembre 2012 au motif que j’ai 				         entendu et rejeté sa demande de mise en liberté provisoire 				         relativement aux mêmes faits sous-tendant l’enquête 				         préliminaire;
ATTENDU QUE le Requérant a le fardeau de démontrer qu’une					         personne raisonnable, sensée et bien renseignée qui étudierait la 			         question en profondeur, aurait une crainte raisonnable que je 			         sois partiale dans les présentes procédures;
ATTENDU QUE seule l’appréhension raisonnable de partialité a été invoquée et,
ATTENDU QUE d’autre part, aucune preuve n’a été présentée qui démontrerait 			         une réelle partialité;
ATTENDU QUE le Requérant ne s’est pas déchargé de son fardeau;
EN CONSÉQUENCE, la requête est rejetée.



Christine Gagnon, JCT
Datée ce 5 octobre 2012, dans la ville de
Yellowknife, aux Territoires du Nord-Ouest
                                                    Date: 2012 10 05
            Dossier:T-3-CR-2012 000282


DEVANT LA COUR TERRITORIALE DES
TERRITOIRES DU NORD-OUEST



DANS L’AFFAIRE DE:

LA REINE

- et-


HUGUES LATOUR



MOTIFS DE LA DÉCISION DE
L’HONORABLE JUGE CHRISTINE GAGNON

R. v. Latour, 2012 NWTTC 15 	
   
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