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Abstract: MOTIFS DE JUGEMENT

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Association des Parents ayants droit de Yellowknife et al v. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al, 2012 CSTN-O 44.
	Date:   2012 06 01
	Dossier:  S-0001-CV 2008000133

COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

ENTRE:
											
COMMISSION SCOLAIRE FRANCOPHONE, TERRITOIRES DU NORD-OUEST, CATHERINE BOULANGER et CHRISTIAN GIRARD
	Demandeurs

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et
COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
Défendeurs

- et -

FÉDÉRATION NATIONALE DES CONSEILS SCOLAIRES FRANCOPHONES DU CANADA
	Intervenante



Recours pour jugement déclaratoire et en injonction en vertu des articles 23 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
				
Entendu à Yellowknife, TN-O, du 19 octobre 2010 au 8 décembre 2010 et les 13 et 14 janvier, 2011.

Motifs de Jugement Déposés:     Le 1er juin 2012.


MOTIFS DE JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE L.A. CHARBONNEAU



Procureurs des Demandeurs:  	Me Roger J.F. Lepage
					Me Francis Poulin
	
Procureurs des Défendeurs:	Me Maxime Faille
					Me François Baril
					Me Guy Régimbald

Procureurs de l’Intervenante :	Me Mark C. Power
					Me Christian Paquette
 Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest, 2012 CSTN-O 44
Date: 2012 06 01
Dossier: S-0001-CV 2008000133

	COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

ENTRE:

COMMISSION SCOLAIRE FRANCOPHONE, TERRITOIRES DU NORD-OUEST, CATHERINE BOULANGER et CHRISTIAN GIRARD

	Demandeurs

	- et -


PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
	Défendeurs

- et -

FÉDÉRATION NATIONALE DES CONSEILS SCOLAIRES FRANCOPHONES DU CANADA
	Intervenante


	MOTIFS DE DÉCISION


I)	INTRODUCTION


[1]	Ce recours juridique met en cause l’étendue des obligations du Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTN-O) en ce qui a trait à l’éducation en français pour la minorité francophone des Territoires du Nord-Ouest (TN-O), plus particulièrement dans la ville de Hay River.  Le recours est fondé sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, et son issue dépend de la portée et de l’étendue des droits et obligations qui découlent de cette disposition.

[2]	Le litige porte sur la suffisance et la qualité des infrastructures fournies par le GTN-O pour le programme d’éducation en français à Hay River; sur le degré d’autonomie et de contrôle dont devrait disposer la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTN-O); et sur les droits respectifs du gouvernement et de la CSFTN-O concernant l’établissement de critères d’admission au programme d’enseignement en français.


[3]	Les Demandeurs réclament, en guise de réparation, une ordonnance contraignant les Défendeurs à agrandir l’École Boréale, qui est l’école où se donne le programme d’enseignement en français langue première à Hay River.  Ils réclament aussi diverses déclarations concernant l’étendue des pouvoirs de gestion de la CSFTN-O.  Ils contestent la validité constitutionnelle  de la définition du terme Aparent@ dans la Loi sur l’Éducation, et d’une directive du Ministre de l’éducation, de la culture et de l’emploi (le Ministre) qui régit les critères d’admission au programme d’enseignement en français.  Ils réclament des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, et les dépens entre avocat et client, alléguant que les Défendeurs ont fait preuve de mauvaise foi.

[4]	Les Défendeurs affirment au contraire s’être conformés à leurs obligations constitutionnelles envers la minorité francophone de Hay River.  Ils affirment que les revendications des Demandeurs sont fondées sur une interprétation de l’article 23 de la Charte qui va bien au-delà de celle adoptée par la jurisprudence dans ce domaine.

II)	MISE EN CONTEXTE

A.	LE CONTEXTE PROCÉDURAL

[5]	Ce recours a été intenté en mai 2008.  En plus des mesures de redressement permanentes évoquées plus haut, les Demandeurs réclamaient alors une ordonnance interlocutoire contraignant les Défendeurs à mettre en place un plan intérimaire pour fournir à l’École Boréale, à temps pour la rentrée scolaire de septembre 2008, trois salles de classe supplémentaires, l’accès à un laboratoire de sciences, et davantage de temps de gymnase pour les cours d’éducation physique et les activités parascolaires.


[6]	La requête en injonction interlocutoire a été entendue le 9 juillet 2008.  Le 22 juillet 2008, le tribunal a accueilli la requête. Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al., 2008 CSTN-O 53.  L’Ordonnance du tribunal enjoignait les Défendeurs de mettre en œuvre un plan intérimaire, à temps pour la rentrée scolaire en septembre 2008, pour assurer aux élèves de l’école l’accès aux choses suivantes:

a) 	du temps d’accès à des gymnase pour les activités scolaires et parascolaires qui réponde aux besoins de l’école et qui soit équitable au temps d’utilisation des autres écoles, qualitativement et quantitativement;
b) 	un laboratoire de sciences pour permettre une programmation adéquate au niveau secondaire;
c) 	trois salles de classe dans une école de niveau secondaire à Hay River, avec les aménagements nécessaires pour créer un lieu physique distinct pour les élèves.

[7]	Entretemps, le 8 juillet 2008, le Ministre a émis une directive concernant les critères d’admissibilité au programme d’enseignement en français langue première.  Cette directive prévoit que seules les personnes spécifiquement mentionnées à l’article 23 de la Charte ont le droit d’inscrire leur enfant au programme.  Ces critères sont plus restrictifs que la politique d’admission de la CSFTN-O qui régissait jusque-là les inscriptions.

[8]	Le 30 juillet 2008, les Demandeurs ont déposé une requête qui visait à amender leur Déclaration pour y ajouter une contestation de la validité constitutionnelle de la directive.  La requête réclamait aussi la suspension de la directive jusqu’à ce que la question de sa validité soit décidée sur le fond.

[9]	 Le 13 août 2008, les Défendeurs ont déposé une requête pour faire modifier l’Ordonnance du 22 juillet, au motif qu’il n’était pas possible pour eux de la mettre en œuvre.


[10]	Les requêtes des Demandeurs et des Défendeurs ont été entendues le 19 août 2008.  Le 21 août 2008 le tribunal a accueilli la requête pour modifier la Déclaration mais rejeté celle concernant la suspension de la directive.  Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al. (No 2), 2008 CSTN-O 65.  Le tribunal a aussi accueilli la requête en modification de l’Ordonnance de juillet 2008. Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al. (No 3), 2008 CSTN-O 66.  Le Paragraphe de l’Ordonnance qui prévoyait l’utilisation de salles de classe dans une école secondaire de Hay River a été remplacé par ce qui suit:

(...)

3. 	(A) 	Les Défendeurs prendront des mesures immédiates pour faire aménager trois salles de classes qui seront mises à la disposition de l’École Boréale, selon les paramètres suivants:

(i) 	l’espace sera aménagé de façon à créer un lieu distinct pour les élèves qui les utiliseront;
(ii)	les Défendeurs prendront toutes les mesures légalement disponibles pour accélérer tout processus d’appel d’offres ou de signatures de contrats requis pour mettre en œuvre cette Ordonnance;
(iii)	les salles de classes ne seront pas aménagées au sein d’une autre école à moins que les Demandeurs n’y consentent expressément par écrit par l’entremise de leur procureur;
(iv) 	les Défendeurs fourniront aux Demandeurs, au plus tard le 12 septembre 2008, un rapport écrit sur les progrès fait dans la mise en œuvre de cette Ordonnance, et continueront de fournir de tels rapports aux Demandeurs à toutes les trois semaines jusqu’à ce que les classes soient prêtes.

(B) 	D’ici à ce que les espaces décrits au Paragraphe 3 soient aménagés, les Défendeurs rendront disponibles pour l’utilisation par l’École Boréale:

(i) 	une salle de classe à l’École Diamond Jenness et deux salles de classe à l’École Princess Alexandra, ou
(ii) 	sur consentement des Demandeurs, de l’espace dans un autre lieu.

[11]	En mars 2009, les Demandeurs ont à leur tour déposé une requête demandant la modification de l’Ordonnance.  L’audition a été fixée à procéder le 27 mai 2009. Les Demandeurs ont par la suite voulu mettre cette requête en suspens.  Les Défendeurs s’objectaient à cela.  Ils exigeaient que la requête procède ou qu’elle soit retirée.  Les Demandeurs ont refusé de retirer la requête, et l’audition a procédé le 27 mai 2009 comme prévu.  Le 11 juin 2009, la requête a été rejetée. Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al. (No 5), 2009 CSTN-O 43.

[12]	En décembre 2009, suite à certains évènements concernant l’application de la directive ministérielle, les Demandeurs ont déposé une autre requête pour modifier leur Déclaration, cette fois pour y ajouter une contestation de la validité constitutionnelle de la définition de Aparent@ à l’article 2 de la Loi sur l’Éducation.  Cette définition inclut un tuteur, sauf pour les fins de l’exercice des droits prévus à l’article 23.  La requête a procédé le 8 mars 2010 et été accordée le même jour.  Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al. (No 7), 2009 CSTN-O 20.

[13]	Le recours a fait l’objet de plusieurs conférences de gestion d’instance en 2009 et en 2010.  Pendant la même période, un autre recours concernant la mise en œuvre de l’article 23 (CV2005000108) faisait aussi l’objet de conférences de gestion d’instance. Ce deuxième recours concerne l’école où se donne le programme d’enseignement en français à Yellowknife, l’École Allain St-Cyr.  Il soulève aussi  des questions concernant le droit de gestion de la CSFTN-O.  Le recours, intenté en 2005, avait été mis en suspens en 2006, puis réanimé en 2009.

[14]	Les avocats qui représentent les parties sont les mêmes dans les deux recours.  Puisque les recours évoquaient des questions juridiques connexes, quoique distinctes, et puisque plusieurs témoins de chacune des parties allaient devoir témoigner dans les deux procès, les parties se sont entendues pour que les procès se tiennent en même temps et fassent l’objet d’une preuve commune.  Ils ont été fixés à commencer le 19 octobre 2010.


[15]	Le 21 septembre 2010, la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF) a déposé une requête pour obtenir le statut d’intervenante dans le présent recours.  La FNCSF voulait être en mesure de faire des représentations juridiques au sujet de la validité constitutionnelle de la directive ministérielle de juillet 2008.  Les Défendeurs ne se sont pas opposés à cette requête, et le statut d’intervenante a été accordé à la FNCSF.

[16]	La preuve a été entendue du 19 octobre 2010 au 8 décembre 2010, à Yellowknife.  Les représentations finales ont été présentées en janvier 2011.




B. 	CONTEXTE FACTUEL

1.	Historique du programme d’enseignement en français à Hay River et de la construction de l’École Boréale

[17]	Plusieurs témoins ont parlé de la naissance et de l’évolution du programme d’enseignement en français langue première à Hay River.  Cet historique ressort également de divers documents qui ont été versés en preuve, et n’est pas contesté.


[18]	Les parents francophones de Hay River ont fait des démarches pendant un certain temps pour obtenir un programme d’enseignement en français dans cette communauté.  Ils ont demandé d’abord la création d’un programme d’immersion, demande qui a été refusée par l’administration scolaire de district, le Hay River District Education Authority (DEA).  Les parents ont par la suite demandé l’établissement d’un programme d’enseignement en français langue première, et cette demande a été accordée par le GTN-O.

[19]	Le programme d’enseignement en français a été offert pour la première fois pour l’année scolaire 1998-1999.  Les premières années, le programme était géré par le DEA.  Les cours se donnaient dans une salle de classe à l’école Princess Alexandra, une école sous la juridiction du DEA.  En 1999-2000, une autre salle de classe a été rendue disponible, pour une demi-journée, pour le niveau de la maternelle.  Le programme a continué de se donner dans les mêmes espaces en 2000-2001 et en 2001-2002.

[20]	Le Conseil scolaire francophone de Hay River a été créé en 2001. La même année, il s’est joint à la Commission scolaire francophone, qui est devenu la CSFTN-O.  Des discussions étaient déjà amorcées pour développer un projet pour la construction d’une école francophone à Hay River.


[21]	Il y avait eu, pendant l’année scolaire 2001-2001, des rénovations à l’école Princess Alexandra, et 4 salles de classe portatives avaient été installées à proximité de l’école pour accueillir les élèves pendant les rénovations.  La CSFTN-O a demandé de se les approprier pour y fournir le programme d’enseignement en français à compter de l’année 2002-2003.  Cette demande a été acceptée.  Le programme a emménagé dans les classes portatives en septembre 2002.  Trois des portatives servaient de salles de classe et l’autre servait d’espace administratif.

[22]	Le 25 novembre 2002 la CSFTN-O a écrit à la sous-ministre de l’éducation pour présenter une demande formelle pour la construction d’une nouvelle école à Hay River.  Le GTN-O a accepté de donner suite à cette de demande et a entrepris des démarches auprès du gouvernement fédéral pour que ce gouvernement apporte une contribution financière au projet, étant entendu que certains espaces dans l’édifice auraient une vocation communautaire.


[23]	Dans le processus de planification et dans les négociations avec le gouvernement fédéral, divers scénarios ont examinés.  Ces scénarios tenaient compte de diverses possibilités quant au budget qui serait disponible pour le projet de construction.  Le GTN-O proposait de contribuer $579,000 en financement, et une valeur de $552,000 de contribution « en nature ».  Le GTN-O demandait au gouvernement fédéral de contribuer $3, 071, 000 au projet de construction, pour un édifice qui aurait une superficie total de 1060 mètres carrés (correspondant à une superficie nette de 795 mètres carrés)  (pièce #18).  La CSFTN-O avait indiqué son approbation à ce projet (pièce #16).

[24]	En réponse à cette demande, le gouvernement fédéral a informé le GTN-O de son intention de contribuer une somme de $2,600, 000.00 au projet.

[25]	Le GTN-O a alors révisé le projet sur la base du budget total qui serait disponible, et développé un projet de construction pour un édifice moins grand.  Le GTN-O a demandé à la CSFTN-O d’approuver le projet révisé pour qu’il puisse aller de l’avant.  La CSFTN-O a donné cette approbation. (pièces #20 et #130)

[26]	Durant le processus de planification pour ce projet, il y a eu plusieurs réunions à Hay River avec les architectes, les commissaires de la CSFTN-O représentant Hay River, et des représentants du gouvernement.  Il y a aussi eu des sessions d’information avec les parents.


[27]	La construction a commencé en 2004 et l’École Boréale a ouvert ses portes en septembre 2005.  Cette année-là, 68 élèves y étaient inscrits, de la maternelle à la 8e année.

[28]	Suite à l’injonction interlocutoire accordée par le tribunal en 1998, le GTN-O était tenu de fournir trois salles de classe supplémentaires à l’École Boréale pour la rentrée scolaire de septembre 2008.  Les possibilités étaient limitées à Hay River.  Le GTN-O a loué des salles dans un hôtel, le Ptarmigan Inn, qui est situé à environ 1 kilomètre de l’École Boréale.  Une vingtaine d’élèves y ont suivi leurs cours pour l’année scolaire 2008-2009.

[29]	  D’autre part, le GTN-O a acheté et fait installer trois nouvelles classes modulaires.  Leur installation a été complétée pour la rentrée scolaire en 2009.

2. 	Critères d’accessibilité au programme d’enseignement en français

[30]	Les critères d’accessibilité au programme d’enseignement en français ont varié considérablement depuis la création du programme.  Pendant les premières années, il n’y avait pas de politique en place.

[31]	À la fin de l’été 2001, la commission scolaire a tenu une retraite à laquelle ont participé plusieurs commissaires, des membres de la direction des deux écoles, et le directeur de la commission scolaire.  Lors de cette retraite, il y a eu des discussions, entre autre, au sujet du développement d’une politique établissant les critères d’admission au programme.

[32]	La politique d’admission (pièce #13) a été officiellement adoptée par la CSFTN-O en 2002.  Elle se lit comme suit:

	CLIENTÈLE ET ACCÈS AU PROGRAMME
Face au tôt [sic] élevé d’assimilation des francophones dans les TN-O et à son désir de travailler vers la réparation de cette assimilation, la CSFD voit sa clientèle potentielle comme étant:

- Les enfants de niveau préscolaire inscrits dans un programme de francisation;
- Les élèves inscrits de la maternelle à la douzième année;
- Les élèves qui remplissent ces critères d’accès, mais qui ne participent pas à ces programmes;
- Les adultes, francophones de souche ou membre d’un couple exogame, désirant un programme de francisation ou d’alphabétisation.

Tout élève qui remplit les critères d’accès ci-dessous et résidant sur le territoire de sa juridiction, a le droit de s’inscrire aux programmes francophones dispensés par la CSFD, sans limitation culturelle.

- Tout enfant d’ayant droit, tel que défini par l’Article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés
- Les enfants de descendance francophone jusqu’à la troisième génération (sur déclaration assermentée ou notariée)
- Les enfants d’immigrants reçus parlant et comprenant le français

De plus, pour répondre aux besoins spécifiques des communautés francophones hors de Yellowknife:

- Les enfants de non ayants droit qui participeront et complèteront un programme de francisation au niveau de la pré-maternelle auront accès au programme de maternelle et par la suite le plein programme scolaire offert par la Commission.

Pour assurer le développement identitaire francophone des enfants inscrits à l’école francophone, le nombre d’élèves non ayant droit de cette catégorie ne devrait pas dépasser 20% la population scolaire de l’école.	

[33]	Cette politique d’admission a été en vigueur de 2002 jusqu’en juillet 2008, lorsque la directive ministérielle a été adoptée.  La directive ministérielle se lit comme suit:

(1)	À l’exception des dispositions énoncées au paragraphe (2), aucun nouvel élève ne peut être inscrit à un programme d’instruction en français langue première à moins que la Commission scolaire des Territoires du Nord-Ouest (Commission scolaire) n’ait vérifié que l’élève est admissible à ce programme, selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Pour être plus explicite, un nouvel élève ne peut être inscrit à un programme d’instruction en français langue première:

(a)	s’il est d’origine francophone mais incapable de fournir des preuves à l’appui de son admissibilité à l’instruction en français langue première, selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
(b) 	s’il n’a pas la citoyenneté canadienne

(2) 	Le ministre peut approuver l’inscription au programme d’instruction d’un 		élève qui n’est pas admissible au programme d’instruction selon l’article 23 		de la Charte canadienne des droits et libertés.


(3) 	La Commission scolaire doit vérifier l’admissibilité de chaque nouvel élève à s’inscrire à un programme d’instruction en français langue première, doit documenter son processus de vérification d’admissibilité et conserver la documentation fournie par le parent ou le tuteur de l’élève pour prouver son admissibilité.  Les renseignements sur l’admissibilité des élèves doivent être fournis au ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation dans des délais raisonnables sur demande.

(4) 	La Commission scolaire doit fournir au ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation une copie par écrit de la procédure utilisée pour vérifier l’admissibilité des élèves en matière d’inscription à un programme d’instruction en français langue première.

[34]	Un certain nombre de demandes de permissions d’inscription ont été présentées au Ministre conformément au Paragraphe (2) de la directive.  Certaines ont été accordées et d’autres refusées.


[35]	En 2009, la CSFTN-O a adopté une nouvelle politique d’admission (pièce #114) et l’a fait parvenir au Ministre.  Cette politique d’admission prévoit deux types d’admission au programme.  Le premier type concerne les personnes visées par l’article 23; elles ont le droit d’inscrire leur enfant au programme.  Le deuxième type d’admission ne peut se faire que sur permission de la commission scolaire et vise plusieurs catégories de personnes: un parent canadien qui a un ancêtre francophone canadien; un parent qui n’est pas citoyen canadien mais parle le français, ou ne parle ni le français ni l’anglais; un parent canadien qui choisit d’établir un lien authentique à la communauté francophone (le nombre total d’élèves dans cette dernière catégorie ne peut pas dépasser 10% de la population totale de l’école).

[36]	La politique inclut en annexe un document explicatif élaboré qui définit de façon plus détaillée les diverses catégories et énumère les facteurs qui doivent être considérés dans l’application de la politique pour les inscriptions sur permission.
La directive ministérielle étant toujours en vigueur, cette politique d’admission n’a pas été mise en œuvre.

II) 	LA PREUVE

[37]	Comme je l’ai mentionné précédemment, les parties ont présenté une preuve commune à ce recours et au recours CV2005000108.  Certains témoignages et pièces versées en preuve concernent plus particulièrement un recours ou l’autre, mais plusieurs portent sur les deux.  Le résumé qui suit porte sur les aspects de la preuve qui sont plus particulièrement pertinents au présent recours, mais dans mes délibérations, j’ai tenu compte de l’ensemble de la preuve présentée.


A. 	Preuve des Demandeurs


1. 	Survol des témoignages

a. 	Gérard Lavigne

[38]	M. Lavigne est originaire de l’Alberta, et y a fait une carrière en enseignement dans des écoles de niveau élémentaire et secondaire.  Il a enseigné dans des classes anglophones, dans des programmes d’immersion en français, et dans des programmes donnés en français langue première.

[39]	M. Lavigne est devenu le directeur général de la CSFTN-O au mois d’août 2002, et a occupé ces fonctions jusqu’en 2007.  Il a donc été impliqué dans les discussions entre la CSFTN-O et les représentants du Ministère de l’Éducation au sujet du projet de construction de l’École Boréale.  Il n’était plus en poste quand ce recours a été entrepris.


[40]	Au moment où M. Lavigne est entré en fonctions, la CFTN-O venait de traverser des moments difficiles.  Elle avait été créée en 2001, et cet automne-là, son directeur général est décédé dans un accident.  La CSFTN-O avait retenu les services d’un ancien fonctionnaire du Ministère de l’Éducation, Chuck Tolley, pour assurer l’intérim.  M. Tolley n’est pas francophone, mais avait été choisi à cause de l’urgence de la situation et de sa vaste expérience: il avait récemment pris sa retraite après avoir travaillé pendant plusieurs années au Ministère de l’Éducation, et en connaissait bien les rouages administratifs.

[41]	À son arrivée, M. Lavigne a passé quelques semaines avec M. Tolley pour se familiariser avec le système d’éducation des TN-O et la CSFTN-O.  Il a visité les deux écoles gérées par la CSFTN-O ainsi que certaines écoles anglophones.  Les infrastructures des écoles anglophones étaient comparables à ce qu’il avait vu dans les écoles de l’Alberta au cours de sa carrière.  Quant aux écoles gérées par la CSFTN-O, il a estimé que les installations de l’école de Yellowknife étaient incomplètes, et que celles de l’école francophone de Hay River étaient inadéquates.

[42]	 L’École Boréale venait de recevoir un espace distinct, ayant emménagé cet automne-là dans les classes portatives, mais elles étaient vieilles et endommagées.  Le personnel de l’école a d’ailleurs demandé à M. Lavigne, lors de sa visite, s’il était possible que la CSFTN-O achète de la peinture pour qu’ils puissent refaire la peinture des classes modulaires eux-mêmes pendant l’été.

[43]	M. Lavigne a décidé, avec son conseil de direction, que la CSFTN-O avait besoin de développer un plan stratégique à long terme pour identifier les besoins de la CSFTN-O, et que pour ce faire, la situation sur le terrain devait être examinée de près.  Un processus consultatif auprès de la communauté francophone a donc été enclenché.  Un chercheur a été embauché à cette fin. Ce chercheur a mené de vastes consultations et éventuellement produit un rapport intitulé « Vision 20-20 » (pièce #11).  La CSFTN-O a adopté ce rapport comme plan stratégique.

[44]	Le rapport « Vision 20-20 » a été envoyé à plusieurs organismes, incluant le Ministère, en juillet 2003 (pièce #19).  Il a servi par la suite servi de référence de base à la CSFTN-O dans ses négociations avec le gouvernement.


[45]	À l’automne 2003, la CSFTN-O a décidé de formuler ses demandes au gouvernement de façon plus ciblée.  Un document intitulé AL’égalité des chances; l’égalité des résultats@ (pièce #24) a été préparé et envoyé au gouvernement.  Son objectif était de présenter les demandes de la CSFTN-O de façon claire et convaincante.  Certaines informations contenues dans « Vision 20-20 » ont été utilisées dans la préparation de ce document, ainsi que d’autre informations, incluant des références à la jurisprudence portant sur l’article 23 de la Charte.  Ce document a été envoyé au Ministre, ainsi qu’au Ministère du Patrimoine Canadien.  M. Lavigne a expliqué que la CSFTN-O savait que le gouvernement fédéral était une des parties qui pouvait être impliquées dans le financement d’infrastructures et voulait que ce gouvernement demeure au courant des démarches de la CSFTN-O auprès des autorités territoriales.

[46]	Suite à son processus consultatif, la CSFTN-O a établi que ses besoins les plus urgents en matière d’infrastructures scolaires étaient la construction d’une école permanente à Hay River, et l’agrandissement de l’École Allain St-Cyr à Yellowknife.  Dans ses communications avec le Ministère de l’Éducation, la CSFTN-O a fait valoir cela à maintes reprises, comme en fait foi la correspondance versée en preuve.  En tant que directeur de la CSFTN-O, M. Lavigne était en contact régulier avec les fonctionnaires du Ministère de l’Éducation.  Parallèlement à cela, André Légaré, le président de la CSFTN-O, communiquait aussi régulièrement la position de la CSFTN-O au Ministre.


[47]	M. Lavigne a expliqué qu’il y a eu plusieurs rencontres entre les représentants de la CSFTN-O et des représentants du gouvernement concernant les deux écoles relevant de la commission scolaire.  Lors de ces rencontres, les représentants du gouvernement n’ont jamais contesté le contenu des rapports présentés par la CSFTN-O.  M. Lavigne avait l’impression qu’ils étaient conscients des problèmes et cherchaient des solutions.  Ils étaient notamment engagés dans des démarches auprès du Ministère du Patrimoine Canadien pour obtenir de l’aide financière en lien avec les projets concernant ces écoles.

[48]	M. Lavigne a participé à des réunions concernant la planification de la nouvelle école de Hay River.  Il a reconnu que la CSFTN-O avait donné son approbation au projet révisé qui prévoyait la construction d’un moins grand édifice, étant donné le budget disponible.  Mais il a expliqué que la CSFTN-O se sentait coincée, voulant éviter que ses élèves n’aient à continuer trop longtemps à suivre leurs cours dans les classes portatives.


[49]	Selon lui, c’est pour cette raison que la CSFTN-O a décidé d’accepter le projet tel que présenté.  Mais la CSFTN-O a suggéré que dans la planification et le design, la structure et les systèmes soient conçus de façon à permettre un agrandissement.  Selon lui, les représentants du Ministère étaient d’accord avec cette approche.  Ce que la CSFTN-O envisageait, selon lui, c’est que le GTN-O procéderait à une autre phase de construction pour ajouter d’abord un gymnase, et ensuite, des salles de classe supplémentaires.  M. Lavigne a dit que la position de la CSFTN-O a toujours été que l’École Boréale devrait être conçue pour pouvoir offrir, éventuellement, un programme d’enseignement complet de la maternelle à la 12e année.

[50]	Les élèves du programme francophone utilisaient déjà les gymnases des écoles anglophones.  Il était prévu qu’une fois la nouvelle école construite, cela continuerait.  Le DEA avait communiqué à la CSFTN-O en 2002 que les temps de gymnase accordés à la CSFTN-O devraient être attribués en fonction des besoins des écoles anglophones, et que ces écoles conserveraient en tout temps la priorité.  (Pièce #98).

[51]	Selon M. Lavigne, la CSFTN-O a fait part au Ministère de son insatisfaction concernant l’accès que les élèves de l’École Boréale avaient aux gymnases.  Pour les activités parascolaires, les plages horaires qui leur étaient allouées étaient toujours le matin très tôt.  La CSFTN-O avait communiqué au Ministre qu’elle comprenait qu’un protocole écrit d’utilisation serait développé et considérait que c’était important de le faire (pièce #16).  Selon M. Lavigne, un tel protocole n’a jamais été développé.


[52]	M. Lavigne n’était pas encore en poste quand la retraite où la politique d’admission de la CSFTN-O a été développée a eu lieu, mais il l’était quand la politique a été officiellement adoptée et mise en vigueur.  Selon lui la clause concernant la possibilité d’admettre des élèves anglophones ayant complété le programme de francisation a été incluse pour tenir compte de la situation à Hay River et pour renverser les effets de l’assimilation.

[53]	M. Lavigne a reconnu que la CSFTN-O n’a jamais exigé que les parents qui affirmaient avoir des ancêtres francophones présentent une déclaration assermentée à cet effet, même si la politique d’admission faisait état de cette exigence.

[54]	Il a aussi précisé que pendant la période où il a été en fonction à la CSFTN-O, il n’a jamais reçu de plainte de parent ayant droit concernant la politique d’admission de la CSFTN-O.

[55]	M. Lavigne a dit qu’à sa connaissance, la limite du 20% prévue dans la politique d’admission a toujours été respectée.

[56]	De temps à autre, il recevait un appel de la direction de l’école par rapport à certaines demandes d’inscription.  Il a donné l’exemple d’une situation où un élève avait été dans un programme d’immersion pendant quelques années, était déménagé à Hay River, et voulait d’inscrire à l’École Boréale.  Après avoir étudié la question, la CSFTN-O a décidé que l’élève pouvait être inscrit parce que la famille avait vécu un certain processus de francisation, même si la situation n’entrait pas dans les paramètres de la politique d’admission.  M. Lavigne a dit que ce genre de situation ne s’est pas présenté souvent.

[57]	M. Lavigne a confirmé avoir été au courant de certaines difficultés dans les relations avec le DEA.  Il y a notamment eu un incident à la fin de l’année 2004, concernant une foire aux sciences organisée à chaque année par une des écoles de Hay River.  Les élèves de l’École Boréale y avaient participé par le passé.  En décembre 2004 la directrice de l’École Boréale a été avisée que les élèves de l’école ne seraient pas invités à la foire aux sciences cette année-là.  La CSFTN-O a écrit au DEA pour demander que cette décision soit renversée.

[58]	Dans sa réponse (pièce #39) le président du DEA confirme que les élèves de l’École Boréale ne seront pas invités à la foire aux sciences, conformément à sa politique selon laquelle seuls les élèves du DEA peuvent participer aux activités parascolaires du DEA.  Il expliquait aussi de façon plus générale la position du DEA à l’égard de l’École Boréale:


There is a related issue that pertains to the Policy on Educational Partnerships, specifically, the entry criteria for the École Boréale which permits 20% of its enrolments each year to be offered to non-right holders as described in the Canadian Charter of Rights and Freedoms.  This issue dates back to the initial establishment of the French First Language program in Hay River.  The Hay River DEA has struck a special committee entitled the FFL Committee in 1998 which filed a report with Hay River DEA dated May 19, 1999.  From that committee report, came a recommendation, which became a recommendation passed by the DEA on June 9, 1999, which states as follows:

That the FPG (French Parent Group) restrict the program to right holders only, as defined in the Charter. An exception will be made for children who are enrolled in the French First Language grades 1-3		

It has long been recognized by the Hay River DEA that offering the program to non-right holders puts the École Boréale directly in competition with our school district.  For every non-right holder who enters your program, we lose a significant amount of funding.  This adversely affects our programming, staffing levels and has other education repercussions as. [sic]

Accordingly, the Hay River DEA has directed me to advise you that so long as the entry criteria for the École Boréale allows entry for non-right holders into your program, we will be limiting our dealings with École Boréale.

[59]	En contre-interrogatoire, M. Lavigne a été questionné concernant la démarche qui a mené au document « Vision 20-20 ».  Le procureur des Défendeurs lui a suggéré que l’objectif de l’exercice était de produire un outil de revendication.  M. Lavigne n’était pas d’accord avec cette façon de présenter les choses.  Il a expliqué que le but de la CSFTN-O était plutôt d’avoir une bonne compréhension de la situation sur le terrain, de façon à identifier et prioriser les besoins et développer un plan stratégique pour le court, le moyen et le long terme.

[60]	Au sujet des pouvoirs de gestion de la CSFTN-O, M. Lavigne a reconnu que sauf pour les deux autres commissions scolaires de Yellowknife, la CSFTN-O est dans la même situation que toutes les autres commissions scolaires aux TN-O, qui ne sont pas propriétaires de leurs infrastructures et n’ont pas le pouvoir de percevoir des impôts.  Il a aussi reconnu que les deux commissions scolaires de Yellowknife, même si elles sont propriétaires de leurs édifices, ne peuvent pas initier d’elles-mêmes des projets en infrastructure concernant leurs écoles, car ce type de projet doit être inscrit au Plan capital du gouvernement avant de pouvoir procéder.

[61]	M. Lavigne a été contre-interrogé au sujet de la politique d’admission de 2002, et sur la raison d’être de la limite de 20%. Il lui a été suggéré que le but de cette limite était de préserver l’intégrité linguistique et culturelle de l’école pour éviter qu’elle devienne un programme d’immersion.  M. Lavigne a répondu que pour lui, l’objectif était de respecter la mission de l’école.  Il a cependant reconnu qu’un objectif important dans la limite du nombre d’inscription d’enfants d’anglophones est de préserver le caractère français de l’école, et d’éviter de la transformer en une école d’immersion.

[62]	Il a cependant précisé que dans la réalité, la raison fondamentale de la politique n’est pas liée à la différence de capacité langagière des enfants, puisque beaucoup d’enfants d’ayants droit ont besoin d’être francisés parce que le français n’est pas la langue parlée à la maison.  Donc, selon lui, la mission de l’école par rapport aux enfants d’ayants droit et de non ayants droit est la même.  M. Lavigne a dit ne pas connaître exactement les raisons du contingentement à 20% dans la politique de 2002.

[63]	Il a expliqué qu’au jour le jour, la politique était appliquée par la direction de l’école.  Il a confirmé que dans le calcul du plafond de 20%, une fois un élève inscrit à l’école en vertu de la catégorie d’inscription « francisation », la CSFTN-O considérait que ses frères et sœurs avaient un droit absolu d’être inscrits à l’école en vertu de l’article 23.  S’ils s’inscrivaient à l’école, ils n’étaient pas comptés pour les fins du plafond de 20%.  Il a aussi expliqué que les élèves inscrits parce qu’ils avaient fait la francisation étaient considérés comme des enfants d’ayants droit après avoir passé une année dans le programme.  À partir de ce moment, ces enfants n’étaient plus comptés dans le calcul du 20%.


[64]	M. Lavigne a reconnu que la CSFTN-O ne maintenait pas de liste ou de tableau permettant de vérifier à tout moment si le plafond de 20% était respecté.  Mais il a dit que quand la population étudiante était autour de 50 élèves, c’était assez facile d’avoir un bon portrait de la situation.  M. Lavigne se fiait à la direction de l’école.

[65]	M. Lavigne a été contre-interrogé au sujet de la politique d’admission adoptée en 2009.  Il a dit l’avoir lue, mais ne pas la connaître aussi intimement que celle qu’il a eu à appliquer.  Il n’a pas été impliqué dans l’élaboration de la politique de 2009.  Il a reconnu que selon la nouvelle politique, le pourcentage d’élèves de l’école admis en vertu du programme de francisation ne peut dépasser 10%.

[66]	Au sujet du processus qui a mené à la construction de l’École Boréale, M. Lavigne a dit qu’il y a toujours eu une bonne collaboration de la part du gouvernement.  Il a reconnu que le processus de planification et de construction s’est fait rapidement, et que l’école a été construite de façon à permettre un agrandissement éventuel.


[67]	Il lui a été suggéré que l’idée était de procéder à cet éventuel agrandissement si les nombres le justifiaient.  M. Lavigne a répondu que selon lui la question était plutôt Aquand@ les nombres le justifieraient, et non Asi@ les nombres le justifiaient.  Il a expliqué que la CSFTN-O était prête à accepter la construction d’une école répondant aux besoins du niveau primaire, dans un premier temps, à cause de l’urgence de sortir les élèves des classes portatives.

[68]	Il a reconnu qu’il n’y avait aucune garantie ni engagement formel du GTN-O de procéder à un agrandissement.  Mais il a souligné que les plans schématiques qui ont été préparés ont été conçus pour que les systèmes puissent desservir une école du double de la superficie de l’école actuelle.

[69]	Il a reconnu que la CSFTN-O a approuvé le design de l’édifice, notamment le l’espace consacré au grand espace ouvert de l’atrium.  Il a expliqué que le design devait tenir compte du fait que le gouvernement fédéral avait apporté une contribution financière majeure au projet, et que donc l’édifice devait avoir des espaces à vocation communautaire.

[70]	J’accepte le témoignage de M. Lavigne.  Son témoignage a été précis, clair et mesuré.  Il a répondu à toutes les questions posées, tant dans son interrogatoire principal que dans son contre-interrogatoire.  Plusieurs aspects de son témoignage sont d’ailleurs corroborés par la preuve documentaire.  Sa crédibilité n’a pas véritablement été remise en question.  Selon moi son témoignage est fiable et digne de foi.


b. 	André Légaré

[71]	M. Légaré a été président de la CSFTN-O de 2003 à 2008.  Il était en poste quand les rapports « Vision 20-20 » et « L’égalité des chances, l’égalité des résultats » ont été préparés.

[72]	Il a expliqué que le financement pour la construction de l’École Boréale a été approuvé en 2004 et c’est alors que l’École a été mise en chantier.  Le financement disponible ne rendait pas possible la construction d’un édifice qui correspondait aux revendications de la CSFTN-O dans les rapports qu’elle avait présentés au gouvernement.

[73]	Après l’ouverture de l’école en 2005, il a continué de faire valoir la nécessité d’un agrandissement.  La CSFTN-O revendiquait 4 ou 5 salles de classe de plus, et un gymnase, pour que l’École Boréale soit comparable aux écoles de la majorité anglophone à Hay River.

[74]	Il a pris connaissance du rapport préparé par Donald Kindt en 2008 concernant l’École Boréale.  Il a constaté des lacunes dans le rapport, la plus importante étant les commentaires faits au sujet du nombre d’enfants de non ayants droits qui fréquentaient l’École Boréale.  Selon lui, il y avait aussi d’autres erreurs, plus anodines, dans le rapport de M. Kindt.

[75]	M. Légaré a dit qu’il y eu beaucoup de pourparlers concernant un agrandissement possible de l’École Boréale.  Selon lui, le gouvernement avait pris des engagements, mais ils ne se sont jamais matérialisés.

[76]	M. Légaré était en poste quand le présent recours a été intenté et quand l’injonction interlocutoire a été accordée.  Les espaces additionnels résultant de la mise en œuvre de l’Ordonnance ont, selon lui, pallié aux besoins immédiats de l’école, mais pas à tous ses besoins.


[77]	Comme le faisait M. Lavigne au niveau administratif en correspondant avec les fonctionnaires du Ministère de l’Éducation, M. Légaré a souvent écrit au Ministre pour faire part de la position de la CSFTN-O concernant ses besoins en infrastructures.  Notamment, en mars 2004, il écrivait au Ministre pour exprimer la déception de la CSFTN-O au sujet de la réponse du gouvernement au rapport « Vision 20-20 » (pièce #116).  Il y a aussi envoyé plusieurs autres lettres au sujet des revendications de la CSFTN-O concernant de l’école de Yellowknife et l’École de Hay River.

[78]	À partir de la fin de l’année 2007, et ensuite en 2008, dans les mois qui ont précédé l’adoption de la directive, il y a eu beaucoup de correspondance échangée entre M. Légaré et le Ministre au sujet des problèmes d’espace à l’École Boréale.

[79]	En septembre 2007, M. Légaré a écrit au Ministre pour demander au gouvernement de fournir des classes portatives pour répondre à la situation urgente de manque d’espace à l’École Boréale (pièce #131).  Le Ministre a répondu en décembre 2007 qu’il était trop tard pour fournir des classes portatives pour l’année scolaire 2007-2008, mais qu’un consultant avait été embauché pour examiner les besoins de l’école (pièce #120).


[80]	M. Légaré a immédiatement répondu à la lettre du Ministre, réitérant l’urgence de la situation, puisque l’École Boréale avait presque 100 élèves et le manque d’espace était criant (pièce #121).  Il a envoyé une autre lettre en janvier 2008, demandant au Ministère de s’engager à installer des classes portatives pour le début de l’année scolaire 2008-2009 (pièce #122).

[81]	M. Légaré a écrit à nouveau au Ministre, en février 2008, suite à une réunion que la CSFTN-O avait eue avec lui (pièce #123).  Dans cette lettre, il demandait au Ministre de s’assurer que les projets d’agrandissement des deux écoles de la CSFTN-O soient inclus dans le Plan capital du gouvernement.

[82]	Le GTN-O avait proposé, pour répondre aux besoins en espace pour 2008-2009, que l’École Boréale utilise, de façon temporaire, des espaces dans d’autres écoles de Hay River.  M. Légaré a écrit au sous-ministre en avril 2008 pour communiquer la position de la CSFTN-O au sujet de cette proposition (pièce #124). La CSFTN-O demandait, si cela devait se faire, que les espaces soient à l’École Diamond Jenness, que ce soient des espaces distincts, et que les élèves de l’École Boréale aient accès équitable au gymnase et au laboratoire de science, et ce, à des heures distinctes de celles où ces espaces étaient utilisés par les élèves anglophones (pièce #124).

[83]	Le 10 juin 2008, M. Légaré a reçu la lettre l’avisant de l’intention du Ministre de mettre en place une directive régissant l’accessibilité au programme (pièce #125).  M. Légaré a répondu au Ministre le 18 juin pour exprimer le désaccord de la CSFTN-O par rapport à cette directive (pièce #126).

[84]	M. Légaré a aussi reçu une copie d’une lettre datée du 26 juin 2008, envoyée par Ann Pischinger, la présidente de la commission scolaire pour la région du South Slave (South Slave Divisional Education Council) au Ministre, au soutien de la demande du DEA que le Ministre intervienne pour limiter l’accès au programme d’enseignement en français aux enfants d’ayants droit seulement.  Mme Pischinger demande en outre au Ministre d’adopter une directive à cet effet le plus rapidement possible (pièce #127).

[85]	M. Légaré a aussi reçu une copie d’une lettre datée du 19 juin 2008, envoyée au Ministre par Duff Spence, Président de la commission scolaire Yellowknife Education District #1, une des commissions scolaires anglophones de Yellowknife.  Dans cette lettre M. Spence exprime l’appui de sa commission scolaire au projet de directive.

[86]	Le 7 juillet, M. Légaré a reçu la lettre du Ministre confirmant la mise en œuvre de la directive. (pièce #128).

[87]	Selon M. Légaré, la directive ministérielle a eu un impact important.  Plusieurs parents qui avaient des enfants inscrits au programme de francisation pour les 3 et 4 ans et souhaitaient pouvoir inscrire leur enfant à l’École Boréale pour la maternelle se sont vus refuser cette option.  La majorité des demandes de permission d’inscrire des enfants de non ayants droit à l’École Boréale ont été refusées.  Ces enfants ont été inscrits dans d’autres écoles.  M. Légaré croit que la récupération de ces effectifs sera très difficile après que ces enfants auront passé quelques années dans un environnement scolaire anglophone.

[88]	La CSFTN-O avait déjà, en 2007 et 2008, eu des discussions concernant la révision possible de la politique d’admission de 2002.  Suite à la mise en œuvre de la directive ministérielle, ce travail de révision a continué.  La nouvelle politique a été approuvée par la commission scolaire en 2009.


[89]	Un des changements dans la politique est de limiter à 10% le pourcentage d’élèves qui sont admis sous permission dans la catégorie d’enfants qui ont des parents anglophones qui ont fait le choix d’établir un lien authentique avec la communauté francophone.  M. Légaré a expliqué qu’en faisant ce changement, la CSFTN-O voulait tenir compte de la directive ministérielle, et du fait que la vitalité de l’École Boréale s’était solidifiée depuis les débuts du programme d’enseignement en français.

[90]	La nouvelle politique de la CSFTN-O a été envoyée au Ministre le 21 avril 2009 par Suzette Montreuil, qui a succédé à M. Légaré à la présidence de la CSFTN-O (pièce #129).  La CSFTN-O espérait que le Ministre retirerait sa directive et permettrait à la CSFTN-O de mettre en œuvre sa nouvelle politique.  Ceci ne s’est pas produit.

[91]	En contre-interrogatoire M. Légaré a reconnu que la CSFTN-O avait approuvé le projet de construction de l’École Boréale.  Il a précisé que la CSFTN-O appuyait le projet compte tenu du budget disponible, mais que son souhait avait toujours été d’avoir éventuellement une école complète.  Ce souhait, a-t-il dit, est d’ailleurs reflété dans les plans et les maquettes qui ont été préparés dans le cadre du processus de planification.


[92]	M. Légaré a reconnu que le Ministre ne s’est jamais engagé formellement, dans les échanges de correspondance, à procéder à l’agrandissement de l’École Boréale, mais selon lui il y avait une attitude positive à l’égard des demandes de la CSFTN-O et une ouverture à approcher le gouvernement fédéral pour du financement.

[93]	M. Légaré a été contre-interrogé au sujet de l’augmentation des effectifs à l’École Boréale. Il a reconnu que cette augmentation était surtout due à l’admission d’enfants non visés par l’article 23.

[94]	M. Légaré a reconnu avoir reçu une lettre du Ministre en mai 2008 soulignant qu’il n’y avait aucune approbation en place pour le financement d’un agrandissement éventuel (pièce #132).


[95]	Il a aussi reconnu avoir reçu une lettre du Ministre en février 2008 où le Ministre exprimait de l’inquiétude concernant le nombre d’enfants de non ayants droit qui fréquentaient l’École Boréale (pièce #133).  Il lui a été suggéré que la CSFTN-O était donc au courant, avant juin 2008 quand le projet de directive lui a été annoncé, que le Ministre était préoccupé par le nombre d’enfants de non ayants droit inscrits à l’École Boréale.  M. Légaré a dit qu’il ne pensait pas que le Ministre émettrait une directive à ce sujet.

[96]	M. Légaré a été contre-interrogé aussi au sujet de sa connaissance de certains détails concernant la mise en œuvre de la directive et le processus suivi pour traiter des demandes de permission d’inscription, mais il n’a pas été en mesure d’être très précis dans ses réponses à ces questions.  Selon lui les gens Asur le terrain@ sont ceux qui ont été impliqués plus directement dans le processus de traitement de ces demandes.

[97]	Le témoignage de M. Légaré est largement corroboré par les documents qui ont été versés en preuve.  Son contre-interrogatoire a permis d’apporter des précisions sur certains sujets, mais n’a remis en question ni sa crédibilité ni la fiabilité de son témoignage.  Je considère son témoignage crédible et digne de foi.

c. 	Lorraine Taillefer

[98]	Mme Taillefer est née au Québec et a fait ses études dans le domaine de l’éducation.  Elle s’est établie à Hay River en 1990 et a occupé différents postes en enseignement dans cette communauté.  Elle a travaillé à l’École Boréale, comme directrice, et aussi comme enseignante, de 2001 jusqu’à son départ de Hay River en 2006.

[99]	Elle a parlé de la communauté de Hay River.  Selon elle, il y a beaucoup de métis dans cette communauté, et un grand nombre d’adultes qui ne parlent pas français mais dont les parents le parlaient.

[100]	Elle a parlé de son engagement dans la communauté francophone, qui s’est fait d’abord par l’entremise de l’Association franco-culturelle de Hay River.  Elle s’est impliquée au conseil d’administration.  L’Association avait des activités hebdomadaires, et organisait aussi parfois des activités de rassemblement de plus grande envergure pour des occasions spéciales.  Mme Taillefer a été surprise de constater qu’il y avait beaucoup de francophones dans la communauté qui assistaient à ces activités, même s’ils ne se voyaient pas le reste de l’année.

[101]	Le premier programme de francisation a été établi par l’Association franco-culturelle et a été très populaire.  Mme Taillefer a expliqué qu’il y avait beaucoup de gens à Hay River qui étaient d’origine francophone mais avaient perdu leur français.  Plusieurs d’entre eux avaient des enfants.  Il y avait, selon elle, un fort intérêt de revitaliser le fait français dans la communauté.

[102]	Mme Taillefer a été impliquée dans les diverses étapes de développement du programme d’enseignement en français.  Elle en est devenue la directrice quand il a commencé en 1998-1999.

[103]	Elle a parlé des bénéfices qui ont découlé du déménagement de l’école dans les classes portatives en 2002-2003.  Les portatives étaient vieilles mais les parents étaient très heureux de se retrouver dans un espace homogène.  Ils se sentaient chez eux.

[104]	Le programme de francisation était également donné dans les portatives.  Mme Taillefer a expliqué que tant l’école que les parents tenaient à ce que la clientèle du scolaire et du préscolaire soient ensemble.

[105]	Selon elle, l’atmosphère dans l’école du temps  où elle était située dans les portatives était excellente. L’homogénéité de l’espace et la prise en charge de la gestion du programme ont été très bénéfiques.  La langue de communication à l’École Boréale était le français, dans l’école même, dans les communications écrites avec les parents, et dans les assemblées.  Pour certains parents qui ne parlaient pas français, ça pouvait être difficile.  Mais pour aider ces parents, l’école a institué un système de jumelage avec des parents francophones.

[106]	Selon Mme Taillefer, tout cela a un effet très positif chez les parents, dont certains avaient perdu beaucoup de leur français et se retrouvaient dans un environnement où ils pouvaient eux-mêmes se refranciser. Mme Taillefer a donné l’exemple d’amis de longue date, avec qui elle avait toujours parlé anglais, qui lui parlaient en français dans le contexte de l’école.

[107]	Mme Taillefer n’a pas été directement impliquée dans les négociations concernant le développement des plans pour la construction du nouvel édifice; c’est la CSFTN-O qui était responsable de ces négociations.  Mais elle a fait part à la CSFTN-O de son opinion au sujet des besoins de l’école.

[108]	Elle croyait que l’espace allait rapidement manquer dans la nouvelle école.  Le nouvel édifice allait avoir 5 salles de classe, et l’année avant son ouverture, l’école utilisait déjà les 4 classes portatives comme salles de classe.  L’école avait alors les niveaux de la maternelle à la 7e année.  En ajoutant un niveau l’année suivante, elle estimait que les 5 salles de classe du nouvel édifice auraient à être utilisées dès le départ.

[109]	Elle a parlé de la différence entre la capacité théorique d’une école (calculée sur la base d’un certain nombre d’élèves pouvant occuper chacune des classes) et la réalité telle qu’elle se présente dans une petite école qui accueille un relativement petit nombre d’élèves répartis sur plusieurs niveaux.

[110]	Elle a participé à des rencontres d’information au sujet de l’école, où il était question, entre autres, d’espaces supplémentaires qui pourraient y être ajoutés dans l’avenir.  Elle a vu les maquettes préparées par les architectes (des photos de ces maquettes ont été versées en preuve, pièce #88) et des plans montrant les agrandissements éventuels, incluant un gymnase (pièce #38).  Elle se souvient qu’il  avait été question, lors de rencontres avec les architectes, de ce qui serait la meilleure configuration d’espace pour des classes supplémentaires, et le meilleur emplacement où construire le gymnase.


[111]	Mme Taillefer a témoigné au sujet des espaces de la nouvelle école, tels qu’ils étaient jusqu’à son départ en 2006.  Selon elle, c’était une très belle école, mais elle avait des  lacunes quant aux espaces, notamment les espaces spécialisés.  Selon elle il manquait aussi d’espace pour l’entreposage, et il manquait de bureaux privés.

[112]	Elle a aussi parlé des problèmes qui sont survenus dans l’utilisation par les élèves des gymnases des autres écoles.  Le directeur de la commission scolaire pour la région du Commission scolaire du district du South Slave, Curtis Brown, avait été très coopératif et avait donné des directives à son administration locale de négocier les temps d’utilisation avec l’École Boréale, mais ce n’est pas ce qui s’est produit.  Il n’y a eu aucune négociation.  Les autres écoles organisaient leur horaire et accordaient à l’École Boréale les temps qui restaient, qui n’étaient pas toujours adéquats.  L’École Boréale pouvait utiliser l’espace mais n’avait pas le droit d’utiliser le matériel.  L’École ne pouvait pas utiliser le gymnase de l’École Princess Alexandra pour les niveaux de la maternelle à la 3e année, et devait, pour ces niveaux, utiliser le gymnase de l’école Harry Camsell, qui est située un peu plus loin.

[113]	Des difficultés sont survenues également dans l’utilisation du gymnase pour les activités parascolaires.  En 2002-2003 et 2003-2004, avant que l’école emménage dans on nouvel édifice, l’accès a été refusé.  À l’automne 2004, il a été accordé.  Mais d’autres demandes d’utilisation du gymnase (pour des assemblées de parents, ou des spectacles) ont été refusées.

[114]	Mme Taillefer a témoigné au sujet du développement de la politique d’admission de la CSFTN-O.  Elle a participé à la retraite au cours de laquelle la politique a été développée. Comme j’en ai fait état au Paragraphe 32, cette politique préconisait une approche légèrement différente pour les deux écoles.  Mme Taillefer a expliqué que la politique applicable pour l’extérieur de Yellowknife visait à reconnaître le taux élevé d’assimilation à Hay River et l’importance de revitaliser la communauté francophone.  L’objectif était de permettre aux anglophones qui voulaient se joindre à la communauté francophone de participer à cette revitalisation.

[115]	Mme Taillefer a expliqué le fonctionnement du processus d’inscription du temps où elle était directrice.  La majorité des élèves qui s’inscrivaient étaient des enfants qui avaient suivi le programme de francisation en pré-maternelle, et entraient à la maternelle.


[116]	Au début, quand l’école était sous la juridiction du DEA, elle utilisait le formulaire d’inscription de l’École Princess Alexandra.  Elle a éventuellement traduit ce formulaire.  Elle ne posait pas de questions concernant l’article 23 de la Charte, mais confirmait que les parents voulaient que leur enfant suive le programme en français.  Après l’adoption de la politique d’admission elle a utilisé le formulaire développé par la CSFTN-O.  Ce formulaire a un espace où le parent indique s’il ou elle est un ayant droit et confirme vouloir se prévaloir du droit au programme.

[117]	Mme Taillefer ne faisait de vérification au sujet du statut d’un parent que si elle le jugeait nécessaire.  Elle devait souvent aider les parents à compléter le formulaire, car plusieurs étaient anglophones.  Mme Taillefer a affirmé toujours s’est assurée de ne pas dépasser la limite de 20% établie par la politique d’admission.

[118]	Mme Taillefer a dit qu’au moment de son départ en 2006, l’école manquait d’espace, particulièrement pour le niveau de la maternelle.


[119]	Les Défendeurs se sont objectés à certains aspects du témoignage de Mme Taillefer concernant des conversations qu’elle a eues avec certains élèves qui ont quitté l’École Boréale, au sujet des raisons de leurs départs.  Je traite de cette question plus loin, dans la section qui porte sur les questions de recevabilité.

[120]	Mme Taillefer a parlé de la relation entre le comité de parents francophones et le DEA.  Selon elle ces relations ont toujours été difficiles.  Au début du programme, quand il était géré par le DEA, le comité de parents avait demandé de gérer certains aspects éducatifs du programme, et l’inscription, mais le DEA a refusé de lui accorder ces pouvoirs.  C’est une des raisons pour lesquelles le Conseil scolaire francophone a décidé de se joindre à la CSFTN-O.

[121]	Il y a aussi eu des difficultés au moment de choisir l’emplacement où serait construite l’école.  Les écoles du DEA étaient regroupées dans le même secteur de la communauté, et la CSFTN-O voulait que son école fasse partie de ce quartier scolaire.  La CSFTN-O a demandé l’appui du DEA dans le choix de cet emplacement (pièce #85).  Le DEA n’était pas d’accord, car il voulait que cet espace lui demeure disponible dans sa planification à long terme (pièce #100).  Le gouvernement a quand même décidé que l’école francophone serait construite sur ce site.

[122]	Il y a eu un incident concernant le déplacement du terrain de jeu de l’École Princess Alexandra.  Ce terrain de jeu devait être déplacé à cause de la construction de l’École Boréale.  La CSFTN-O s’était apparemment engagée à réinstaller le terrain de jeu dans un autre emplacement mais est revenue sur sa décision.  Il est question de cet incident dans un courriel envoyé par M. Brown à M. Lavigne. (pièce #94).

[123]	Le témoignage de Mme Taillefer au sujet de cet incident a été plutôt vague.  Elle se souvenait que la CSFTN-O était revenue sur sa décision au sujet du déplacement du terrain de jeu, a dit qu’il y avait une raison, mais ne se souvenait pas des détails.

[124]	La question des critères  d’admission au programme d’enseignement en français semble toujours avoir été litigieuse.  Le DEA n’était pas d’accord que l’accès au programme d’enseignement en français soit donné à des personnes non visées par l’article 23.  Cet aspect du témoignage de Mme Taillefer est confirmé par certains documents émanant du DEA qui expriment son désaccord avec la politique, dont la lettre de janvier 2004 que j’ai citée plus haut, au Paragraphe 58.

[125]	Mme Taillefer a expliqué que pendant l’année scolaire 2003-2004, un élève de l’École Boréale avait demandé de se joindre à une équipe sportive d’une école du  DEA.  Le DEA a refusé et adopté une politique selon laquelle seuls les élèves des écoles du DEA pouvaient participer aux activités parascolaires de ces écoles.

[126]	Mme Taillefer a parlé de l’incident concernant la participation des élèves de l’École Boréale à la foire aux sciences.  Elle a dit que cet incident a beaucoup divisé la communauté.

[127]	Mme Taillefer a été contre-interrogée au sujet des difficultés dans les relations avec le DEA.  Il lui a été suggéré que les relations difficiles n’étaient pas seulement la faute du DEA.  Elle a été questionnée notamment au sujet de l’incident concernant le déplacement du terrain de jeu.  Elle a maintenu que les relations avaient été difficiles avec le DEA dès le début.

[128]	Au sujet de l’incident concernant la foire aux sciences, elle a reconnu que la CSFTN-O ne l’a pas porté à l’attention du Ministre.  (Mais elle a précisé en ré-interrogatoire qu’il y avait eu des plaintes et que la question a été soulevée pendant les travaux de l’Assemblée Législative).


[129]	En réponse à une question concernant les pertes de financement que le DEA essuyait parce que des élèves de non ayants droit étaient admis à l’École Boréale, Mme Taillefer a dit qu’au début le DEA ne perdait pas de financement mais s’objectait quand même à la politique d’admission parce que le DEA considérait que les enfants de non ayants droit étaient Ases@ élèves.

[130]	Elle a confirmé que la CSFTN-O a approuvé les plans de l’École Boréale.

[131]	Elle a été contre-interrogée également au sujet de la raison d’être de la limite du 20% dans la politique d’admission de la CSFTN-O.  Elle a répondu qu’elle n’était pas certaine parce qu’elle n’avait pas de souvenir précis de toutes les discussions à ce sujet lors de la retraite de 2001, mais que c’était peut-être pour éviter que l’école ne devienne une école d’immersion.


[132]	Il lui a été suggéré que la possibilité d’admettre des enfants anglophones ayant suivi le programme de francisation avait été incluse dans la politique pour Hay River parce que sans ces effectifs, l’école ne pourrait pas survivre.  Elle a nié cela.  Elle a alors été contre-interrogée au sujet d’un extrait de son résumé de preuve (fourni aux Défendeurs avant le procès conformément aux règles de procédure) qui faisait référence à la possibilité que l’école ne puisse pas survivre sans une politique d’admission plus large.  Elle a dit que le résumé de preuve était incomplet à cet égard.

[133]	  Mme Taillefer a dit que la politique de la CSFTN-O était de donner priorité aux ayants droits, et que les anglophones qui inscrivaient leur enfant en pré-maternelle en francisation étaient avertis de la possibilité que leur enfant puisse ne pas être admis à l’École Boréale pour la maternelle.  Elle n’a cependant jamais eu à refuser l’accès à un enfant anglophone qui avait suivi le programme de francisation.

[134]	Le procureur des Défendeurs a questionné Mme Taillefer au sujet des listes d’élèves pour les années où elle était en poste.  Elle a confirmé ce que M. Lavigne a expliqué concernant le statut des frères et sœurs d’un élève admis sur permission par le biais de la francisation, et le fait que ces frères et sœurs n’étaient pas comptés dans le calcul du plafond de 20%.


[135]	Mme Taillefer a reconnu que certains parents ayants droit n’envoient pas leurs enfants à l’École Boréale.  Mais l’école n’a jamais fait de campagne de recrutement.  Elle a reconnu que le manque d’espace qu’elle a décrit pour le niveau de la maternelle ne semble pas avoir nui au recrutement.

[136]	À mon avis, la crédibilité et la fiabilité du témoignage de Mme Taillefer n’ont pas été sérieusement ébranlées en contre-interrogatoire.  La différence entre le contenu de son résumé de témoignage et ce qu’elle a dit au procès, pour moi, n’est pas de nature à compromettre la fiabilité de son témoignage.  Considérant l’ensemble de son témoignage au sujet du développement de la politique d’admission lors de la retraite de 2001, il me semble clair qu’elle n’a pas un souvenir précis et détaillé des discussions.  C’est le contraire qui aurait été surprenant.

[137]	Concernant l’application de la politique, elle a expliqué comment elle avait procédé, et pourquoi, et rien n’indique qu’elle n’a pas agi de bonne foi.  Sa compréhension de la façon dont la politique était censée fonctionner pour les fins du calcul du 20% s’accorde avec le témoignage des autres témoins qui en ont parlé.


[138]	En ce a trait aux difficultés avec le DEA, les documents parlent d’eux-mêmes. Même en acceptant que certains conflits de personnalité aient pu contribuer aux difficultés, et même en présumant certains torts de la CSFTN-O concernant l’incident du terrain de jeu, l’élément principal du témoignage de Mme Taillefer à ce sujet et un fait qui ne semble pas contesté, soit le fait que les relations étaient difficiles.

[139]	J’estime donc que le témoignage de Mme Taillefer est crédible et fiable.

d. 	Michael St-John

[140]	M. St-John est originaire de l’Ontario.  Il est un ayant droit au sens de l’article 23.  Il a fait un cours universitaire en éducation.  Il est marié et a 5 enfants d’âge scolaire.

[141]	M. St-John est déménagé à Hay River en 1993. Il a travaillé pour un organisme qui offrait des programmes aux adultes qui avaient besoin d’augmenter leur niveau d’éducation.

[142]	M. St-John a été membre du DEA de 1998 à 1999.  Il y était quand les discussions concernant le projet pilote pour le programme d’enseignement en français a été présenté au DEA.  Selon lui, la plupart des membres du DEA n’étaient pas en faveur de l’établissement de ce programme.


[143]	M. St-John s’est impliqué dans le comité de parent quand le programme d’enseignement en français a commencé.  Il a dit que les relations avec le DEA étaient très difficiles.  Le comité de parents n’avait aucun pouvoir décisionnel.  Le comité de parents faisait des demandes, simples selon lui, pour soutenir les élèves et les professeurs, mais ces demandes étaient rarement acceptées.  Les membres du comité de parents assistaient aux réunions du DEA mais n’avaient pas de droit de vote, et étaient seulement là comme observateurs - même quand les discussions portaient sur le programme d’enseignement en français.

[144]	M. St-John a dit que le DEA a toujours été contre le fait de donner aux non ayants droit accès au programme d’enseignement en français.  Par contre, selon lui, il y avait beaucoup de soutien dans la communauté pour l’établissement du programme.


[145]	Il était présent à la retraite où la politique d’admission a été développée.  L’objectif de la politique était de permettre de récupérer les Agénérations perdues@, c’est à dire les gens qui avaient des grands parents francophones mais qui n’étaient pas eux-mêmes des ayants droit à cause des effets de l’assimilation.  L’objectif était aussi de permettre à des anglophones de s’intégrer à la communauté francophone et de contribuer à sa revitalisation.  Selon M. St-John, cette approche a aidé au développement du  programme scolaire, parce que quand le nombre d’élèves est trop petit, cela pose des problèmes sur le plan pédagogique.

[146]	M. St-John a témoigné au sujet de sa connaissance du nombre de familles d’ayants droit à Hay River.  Il pense qu’il y a en tout une centaine d’enfants d’ayants droit à Hay River.  Étant père de 5 enfants d’âge scolaire, il connaît plusieurs familles dans la communauté.

[147]	M. St-John était commissaire au conseil scolaire francophone de division à l’automne 2001 quand la demande a été faite pour les classes portatives et pour la construction éventuelle d’une école distincte.  Il a expliqué que malgré l’état d’usure des classes portatives, les parents préféraient s’installer dans un espace distinct pour créer un milieu scolaire qui aurait une homogénéité linguistique.


[148]	Selon M. St-John, le besoin exprimé à l’époque était d’avoir une école distincte et autonome, capable de livrer un programme complet aux niveaux primaire et secondaire.  Les parents voulaient aussi que l’édifice puisse accueillir un programme de francisation et une garderie.  En 2002-2003, ces demandes ont été évoquées dans le processus consultatif qui a mené au rapport « Vision 20-20 », et éventuellement incorporées dans AL’égalité des chances, l’égalité des résultats@.

[149]	M. St-John a fait partie des gens qui ont été consultés dans le design de l’édifice qui allait abriter la nouvelle école.  Il a expliqué que l’école proposée dans les plans, pour la CSFTN-O, ne représentait pas une école complète, mais plutôt une école qui répondrait aux besoins d’une école primaire.  Par contre, à cette époque, les élèves étaient dans les classes portatives et la situation devenait urgente.  C’est pourquoi la CSFTN-O a accepté les plans tels qu’ils étaient.  Selon M. St-John, les parents voulaient sortir les élèves des classes portatives; ils ont donc décidé d’accepter de procéder à ce qu’ils considéraient être la première phase de construction.

[150]	M. St-John a assisté à toutes les réunions de planification et de design.  Le procès-verbal de la première réunion avec les architectes en décembre 2003  confirme qu’il a exprimé l’avis que pour que l’école soit un succès, elle devait pouvoir offrir l’enseignement jusqu’à la 12e année, et avoir et un gymnase. (pièce #101).

[151]	Il a expliqué que pour lui, il semblait clair, dans les réunions, qu’un agrandissement futur faisait partie de la planification.  Par exemple, dans l’établissement du système de ventilation, des égouts, et le choix d’emplacement du terrain de jeu, les plans étaient faits pour tenir compte d’un éventuel agrandissement.  Il y a aussi eu des réunions ou des plans et maquettes montrant les espaces supplémentaires ont été présentés (pièces #38 et pièce #88) Il y avait toujours des représentants du gouvernement à ces réunions.

[152]	M. St John a interprété tout cela comme indiquant une acceptation par le gouvernement de la position de la CSFTN-O, selon laquelle l’édifice allait devoir être agrandi assez rapidement pour rencontrer les besoins de la communauté francophone.

[153]	Il a aussi fait, à l’époque, des projections concernant les inscriptions (pièce #104). Selon ces projections, l’École Boréale allait rapidement atteindre sa capacité maximale.  La CSFTN-O a aussi préparé un document faisait état de projections (pièce #105).  Dans les deux cas, les projections prévoient que l’école accueillera 15 nouveaux élèves à chaque année au niveau de la maternelle.  M. St-John a dit que la CSFTN-O considérait ce chiffre approprié, compte tenu du bassin de population.

[154]	M. St-John se souvient de la visite de Donald Kindt, le consultant engagé par le GTN-O, au début de l’année 2008. M. Kindt avait été engagé pour faire une étude des besoins à l’École Boréale et développer un Plan éducatif.  M. St-John a participé à une rencontre avec M. Kindt.  Il a été question des besoins présents et futurs de l’école.  Il a aussi été question des projections de la CSFTN-O, et de la façon dont elles avaient été établies.  La question de l’admission d’enfants de non ayants droit n’a jamais été soulevée.  M. St John a donc été étonné de voir une référence à ce sujet dans le rapport de M. Kindt (pièce #156).  Selon lui, les chiffres cités dans cette partie du rapport de M. Kindt sont erronés, notamment concernant la répartition des enfants de non ayants droit dans les diverses catégories.

[155]	M. St-John a dit que quand l’école a ouvert ses portes en septembre 2005, elle a été immédiatement utilisée à capacité.  Il considère que l’école a des lacunes et ne peut pas répondre aux besoins de ses enfants, surtout les plus vieux.  Il a notamment parlé de l’absence de gymnase et son impact sur les activités parascolaires.

[156]	Selon M. St-John, la directive ministérielle de juillet 2008 a eu pour effet de réduire les inscriptions à l’École Boréale d’environ 40%.

[157]	En contre-interrogatoire, M. St-John a reconnu que dans la demande présentée par la CSFTN-O en 2002 pour la construction d’une école francophone à Hay River (pièce #14), les projections de la CSFTN-O étaient de 7 inscriptions par année à la maternelle.  Il a aussi reconnu que le projet présenté n’incluait ni une aile secondaire ni un gymnase.

[158]	M. St-John a aussi reconnu que la CSFTN-O a approuvé, en août 2003, le projet tel qu’il était alors présenté par le gouvernement.  Il a dit que la position de la CSFTN-O avait évolué avec le temps, notamment suite au processus consultatif qui a mené au rapport Vision 20-20.

[159]	Il a été suggéré à M. St-John que si ce projet n’avait pas été dans le meilleur intérêt des parents, la CSFTN-O ne l’aurait pas approuvé.  Il a répondu que le choix des parents était entre continuer à attendre et laisser leurs enfants dans les vieilles classes portatives, ou accepter ce qui était offert à ce moment-là, compte tenu des fonds que les deux gouvernements étaient prêts à investir dans le projet.  Il a dit que c’est pour cette raison que l’approbation a été donnée, mais que la CSFTN-O  croyait que l’école serait complétée plus tard.

[160]	M. St-John a reconnu qu’il n’y avait aucun document qui démontrait un engagement du GTN-O de faire des travaux d’agrandissements immédiatement après l’ouverture de l’édifice.

[161]	M. St-John a aussi reconnu que si la CSFTN-O avait limité le droit d’admission aux enfants visés par l’article 23 de la Charte, l’école ne manquerait pas d’espace actuellement, puisque le nombre d’enfants d’ayants droit qui la fréquentent est demeuré assez stable au fil des ans.  Plusieurs questions lui ont été posées autour de ce sujet et il n’y a pas toujours répondu clairement.  Il est revenu plusieurs fois sur le rôle de revitalisation de l’école.  Il a aussi maintenu qu’en considérant la suffisance des espaces, il fallait tenir compte du nombre de niveaux, et pas seulement du nombre d’élèves.


[162]	M. St-John a été contre-interrogé au sujet d’une lettre que la CSFTN-O a envoyée au Ministre en juin 2009, demandant que 4 enfants soient exemptés de l’application de la directive ministérielle (pièce #108).  Dans cette lettre, M. Brûlot, le directeur de la CSFTN-O parle de l’importance d’assurer le maintien de la population étudiante pour maintenir la survie de l’école.  M. St-John a refusé de reconnaître qu’un des objectifs de l’admission de non ayants droit est d’assurer la survie de l’école; il a dit que l’objectif était la revitalisation de la communauté minoritaire.

[163]	Le contre-interrogatoire de M. St-John a été, par moments, laborieux.  Certaines de ses réponses n’étaient pas vraiment en lien avec la question posée.  Le procureur des Défendeurs a parfois dû poser la même question plusieurs fois avant que M. St John y réponde.  Il y a certaines questions auxquelles, à mon sens, il n’a jamais vraiment répondu.

[164]	Il est difficile pour moi d’évaluer si M. St John avait de la difficulté à comprendre les questions ou s’il évitait délibérément d’y répondre.  Mais sa façon de répondre aux questions pendant le contre-interrogatoire me fait avoir certaines réserves par rapport à son témoignage et remettre en question le bien-fondé de ses perceptions concernant les engagements pris ou non par les Défendeurs concernant un agrandissement éventuel de l’école.

[165]	Par contre, beaucoup de choses dont il a parlé sont confirmées par de la preuve documentaire (par exemple, les procès-verbaux de réunions de planification avec les architectes, la correspondance qui a été échangée à différentes étapes du processus de planification, et la correspondance envoyée au GTN-O avant et après l’ouverture de l’école). Dans cette mesure, j’accepte son témoignage, notamment  concernant le contenu des revendications qui ont été faites auprès du gouvernement.

[166]	Les projections de M. St-John sont très différentes (près du double) de celles fournies à l’origine par la CSFTN-O quand la demande pour une école francophone a été faite en 2003.  Elles semblent avoir été fondées sur sa connaissance générale de la communauté. Il a aussi dit qu’il avait consulté l’annuaire téléphonique de Hay River et remarqué que beaucoup de personnes qui avaient des noms qui semblaient être des noms francophones.  Ce genre de démarche n’est pas particulièrement fiable.  De plus, les projections de M. St John, comme celles de la CSFTN-O, semblent présumer un taux de rétention de 100%, ce qui n’est pas réaliste.  Pour toutes ces raisons, je considère que la force probante des projections est limitée.

e. 	Patrick Poisson

[167]	M. Poisson est un des professeurs à l’École Boréale. Il a commencé à y travailler en 2006.  Il enseigne l’éducation physique et un cours de santé de la maternelle à la 6e année, ainsi que le français à la classe 3e-4e année et la classe 7e-8e-9e année.


[168]	Pour les cours d’éducation physique, il utilise les gymnases des autres écoles qui sont à proximité.  Les espaces utilisés ont varié au fil des ans.  Certaines années, il utilisait le gymnase de l’École Princess Alexandra pour certains groupes et le gymnase de l’École Harry Camsell pour d’autres.  Depuis l’année 2009-2010, tous les cours se donnent au gymnase de l’École Princess Alexandra.  M. Poisson a parlé des inconvénients et problèmes rattachés à l’utilisation des gymnases de d’autres écoles.

[169]	Le premier est le manque de flexibilité dans les horaires.  Les périodes dont il dispose sont déterminées par les autres écoles.  Ces plages horaires sont le matin, ce qui selon lui n’est pas idéal: il estime que ce temps de la journée est le meilleur pour enseigner les matières académiques. S’il avait le choix il enseignerait l’éducation physique l’après-midi.  Il n’a pas ce choix.

[170]	Il a aussi parlé de la perte de temps qui résulte de fait de devoir se rendre au gymnase voisin, même s’il n’est pas loin.  Il a expliqué que même 5 minutes de marche pour se rendre au gymnase et 5 minutes de marche pour en revenir, cumulativement, représente une grosse perte en  temps d’enseignement.

[171]	Il a aussi expliqué qu’il devait transporter tout le matériel requis pour donner les cours, puisque l’École Boréale n’a pas accès aux équipements des autres écoles.

[172]	M. Poisson a dit qu’il y a des installations municipales qu’il peut utiliser, de temps à autre, comme la piscine et la patinoire.  Ces installations sont à environ 15 minutes de marche de l’école.

[173]	M. Poisson a aussi expliqué qu’il est déjà arrivé que son temps de gymnase soit annulé sans préavis.  Dans la mesure du possible, il essaie alors de faire une activité extérieure, sinon la seule option est de retourner à l’École Boréale et de donner son cours dans l’atrium.  L’atrium est une grande salle centrale autour de laquelle les salles de classes sont réparties.  Il n’est pas conçu pour donner des cours d’éducation physique, surtout qu’il sert souvent d’espace d’enseignement.

[174]	Au niveau des activités parascolaires, M. Poisson organise des activités de soccer, de la course cross-country et de l’athlétisme.

[175]	M. Poisson a expliqué que le lieu qui sert de salon pour les enseignants est un espace qui sert aussi d’espace pour l’enseignement des cours de cuisine au niveau secondaire.

[176]	En contre-interrogatoire M. Poisson a reconnu que le curriculum en éducation physique est flexible et permet de faire toutes sortes d’activités, dont plusieurs ne requièrent pas un gymnase.  Il a aussi reconnu qu’il existe à Hay River diverses infrastructures et programmes auxquels il peut avoir accès avec ses élèves.

[177]	Le procureur des Défendeurs lui a demandé s’il avait fait des démarches pour obtenir des plages horaires différentes pour les cours d’éducation physique.  Il a répondu qu’en tant qu’enseignant il considérait qu’il devait simplement travailler avec les temps de gymnase qu’on lui donne.  Mais il a dit que la direction de l’école était au courant de son insatisfaction par rapport aux plages horaires qui lui sont allouées, et qu’il soulève la question à tous les ans, au début de l’année scolaire.

e. 	Sophie Call

[178]	Mme Call était, au moment du procès, la directrice de l’École Boréale.  Elle a une formation en éducation et a travaillé en enseignement dans différents endroits avant de s’établir aux TN-O.  Son premier poste en enseignement dans les TN-O a été à l’école  de la communauté d’Aklavik, une école de la maternelle à la 12e année, qui avait environ 130 élèves.  Elle y a travaillé pour l’année scolaire 2002-2003.

[179]	Elle a été engagée pour assurer l’intérim de la direction de l’École Boréale pour l’année 2003-2004 - Mme Taillefer faisait une maîtrise cette année-là.  Mme Call a beaucoup aimé l’école et y est restée comme enseignante jusqu’au départ de Mme Taillefer en 2006.  Elle a alors assumé le poste de directrice.

[180]	Mme Call a décrit la situation de l’école quand elle était située dans les classes portatives.  Selon elle, malgré le fait que les classes étaient vieilles et qu’il manquait d’espace, l’ambiance était très positive. Les parents étaient très présents, très impliqués.  Le manque d’espace est devenu un problème plus aigu à mesure que les niveaux s’ajoutaient.

[181]	Mme Call a assisté à des rencontres d’information au sujet du projet de construction de la nouvelle école.  De ces rencontres, elle a compris que l’édifice serait construit pour accueillir les niveaux de la maternelle à la 8e année.  Mais il était aussi question d’agrandissement futur.  Elle se souvient que la tuyauterie et le système de chauffage, par exemple, allaient être conçus de façon à accommoder un agrandissement éventuel.  Elle se souvient aussi d’avoir vu des plans et des maquettes montrant où les agrandissements pourraient être situés.

[182]	Mme Call n’a pas eu de rôle dans la planification, mais elle a siégé, pour un temps, sur un comité qui avait été créé concernant le terrain de jeu.  Elle a expliqué que certaines structures de jeu de l’École Princess Alexandra avaient dû être déplacées pendant la construction, et ce comité avait été formé pour déterminer le nouvel emplacement du terrain de jeu et pour prendre des décisions au sujet des équipements à acheter.  Mme Call a éventuellement quitté ce comité.

[183]	  Dans la mesure où cette question est celle qui a soulevé une controverse avec le DEA, le témoignage de Mme Call n’a pas, à mon sens, clarifié ce qui s’est passé et qui a donné lieu au courriel de plainte de M. Brown à M. Lavigne, auquel j’ai fait référence au Paragraphe 122.

[184]	Mme Call a parlé de l’utilisation de l’espace dans la nouvelle école lors de la rentrée 2005.  L’école avait 5 salles de classe. La plus grande a été utilisée pour la pré-maternelle et la maternelle; les 4 autres étaient utilisées pour le reste des élèves, regroupés en groupes jumelés (1e et 2e année; 3e et 4e année; 5e et 6e année; 7e et 8e année).

[185]	Pour l’année 2006-2007, l’espace a été utilisé de la même façon, sauf pour l’ajout du niveau de la 9e année, qui a été ajouté au groupe de 7e-8e année.

[186]	Selon Mme Call, la situation de l’espace est devenue critique en 2007-2008, quand le niveau de la 10e année s’est ajouté.  Un espace d’enseignement a été créé dans l’atrium en installant des faux murs.  Pour les élèves qui suivaient leur cours dans la nouvelle classe aménagée dans l’atrium, les conditions étaient difficiles.  L’atrium est un grand espace ouvert, où le bruit se propage beaucoup, et sur lequel donnent toutes les salles de classe.

[187]	Mme Call a aussi dit qu’avec l’augmentation des nombres, certains groupes jumelés avaient beaucoup d’élèves, ce qui rendait l’enseignement aux deux niveaux plus difficile.

[188]	Pour l’année 2008-2009, quand l’école a eu des espaces additionnels au Ptarmigan Inn, cet espace a été utilisé pour les niveaux de la 7e à la 11e année, un total de 21 élèves.  Ces élèves devaient revenir à l’École Boréale pour suivre certains cours qui ne pouvaient pas être donnés dans les salles de l’hôtel.

[189]	Les salles au Ptarmigan Inn étaient au sous-sol et n’avaient pas de fenêtre.  Il y avait une salle de conditionnement physique accessible au public au même niveau que les salles qui servaient de classe, ce qui causait parfois des problèmes de bruit.  L’usage des salles de bain a aussi présenté un problème; l’école devait y avoir un accès exclusif au moyen d’un code mais il y a eu, de temps à autres, d’autres usagers.

[190]	Mme Call a parlé de ce qu’on lui a expliqué, à son arrivée à l’École Boréale, concernant la politique d’admission de la CSFTN-O.  Mme Taillefer et M. Lavigne lui en ont tous les deux parlé.  Elle a appliqué la politique telle qu’elle la comprenait.  Elle a consulté la commission scolaire pour certaines situations qui n’étaient pas couvertes par la politique.  Elle a refusé l’admission à certaines personnes qui n’étaient clairement pas admissibles.

[191]	Mme Call a expliqué la procédure qu’elle suivait au moment des inscriptions.  Pour les personnes qui avaient le droit de s’inscrire au programme, la procédure était assez simple, et consistait à remplir un formulaire.  Pour les personnes qui étaient admises sous permission, le processus était plus long.  Elle expliquait notamment aux parents que l’École Boréale n’était pas un programme d’immersion, que l’implication des parents était très importante, et que tout à l’école allait se passer en français.  Dans certains cas, les parents étaient moins intéressés une fois que cela leur était expliqué.

[192]	Pour les parents intéressés à inscrire leurs enfants au programme préscolaire, elle expliquait l’importance de la construction identitaire, et aussi le fait qu’à cause de la limite de 20% prévue à la politique d’admission, il était possible que les enfants puissent ne pas être admis à la maternelle même s’ils avaient fait le programme préscolaire.  Selon Mme Call ceci mettait certains parents mal à l’aise, mais plusieurs choisissaient quand même de prendre le risque.

[193]	Mme Call a expliqué que le programme préscolaire était populaire chez les ayants droit et les non ayants droit.  Selon elle, les capacités langagières des enfants étaient très semblables, qu’ils soient enfants d’ayants droit ou non, parce que très souvent, le français n’était pas la langue parlée à la maison et presque tous les enfants étaient sur le même pied et avaient besoin d’être francisés.  La grande majorité des parents ayants droit étaient en situation d’exogamie, et il y avait très peu de foyers où le français était la langue parlée à la maison.

[194]	Mme Call a créé plusieurs tableaux de listes d’élèves à partir des dossiers de l’école.  Ces tableaux indiquent le nom de l’élève, le niveau, et le « statut » de l’élève pour les fins de la politique d’admission et le calcul de la limite de 20%.  Les tableaux pour les années 2003-2004 à 2010-2011 sont la pièce #146, mais deux de ces tableaux (2007-2008 et 2010-2011) ont des erreurs que Mme Call a corrigées; les tableaux corrigés ont été versés comme pièce #144.

[195]	Mme Call a aussi préparé un grand tableau (pièce #145) qui indique le nombre d’élèves pour chacun des niveaux pour toutes les années scolaires de 2001 à 2010, et le nombre total des élèves qui ont été admis à l’école suite au programme de francisation, en vertu de la politique d’admission de 2002.

[196]	Il y a eu beaucoup de questions au sujet de ces tableaux, tant en interrogatoire principal qu’en contre-interrogatoire.  J’estime que Mme Call s’est bien expliquée concernant la façon dont elle les a préparés, et les raisons pour lesquelles certaines corrections one été apportées. Je considère ces tableaux fiables, et ils sont très utiles pour comprendre et visualiser l’évolution de la population de l’école.

[197]	Mme Call a parlé de ses rencontres avec M. Kindt en 2008.  Elle avait été avisée par la commission scolaire que M. Kindt était embauché pour faire une étude des besoins de l’école.  Il a communiqué avec elle avant de se rendre à Hay River, et lui a notamment envoyé des courriels en préparation de leur rencontre.  Elle n’a pas gardé tous les courriels mais les a conservé un dossier dans son ordinateur qui compilait l’information qu’elle a reçue de M.  Kindt avant sa venue, incluant une liste des sujets dont il voulait discuter avec elle dans la préparation de son rapport. (pièce #206).  Mme Call a dit qu’il n’a jamais été question, ni dans ses conversations avec lui ni dans les courriels qu’il lui a envoyés, de discuter des nombres d’enfants d’ayants droit et de non ayants droit à l’École Boréale.

[198]	Elle a rencontré M. Kindt en novembre 2007 et à nouveau en janvier 2008.  Elle se souvient d’avoir eu une conversation très brève avec lui concernant les nombres des enfants d’ayants droit et de non ayant droit dans l’école.  À cette époque la CSFTN-O examinait la possibilité de réviser sa politique d’admission, et Mme Call avait commencé à créer un tableau retraçant le critère selon lequel chaque élève de l’école avait été inscrit, en application de la politique d’admission.

[199]	Mme Call a remis ce tableau à M. Kindt.  Elle est certaine de lui avoir dit qu’il ne s’agissait que d’un tableau préliminaire et qu’il n’était pas complet.

[200]	Mme Call a vu le rapport préparé par M. Kindt suite à son étude (pièce #156).  À son avis plusieurs aspects du rapport démontrent que M. Kindt a bien compris ce qui lui a été expliqué au sujet des besoins en espace.  Par contre, elle  dit avoir été abasourdie de voir que le rapport traitait de la question des nombres d’enfants d’ayants droit et de non ayants droit, et faisait référence aux chiffres préliminaires qu’elle avait fournis à M. Kindt.  Les informations rapportées sont inexactes quant aux critères qui ont mené à l’admission des élèves.

[201]	De façon générale, cependant, Mme Call estime que le rapport de M. Kindt décrit bien les espaces de l’École Boréale tels qu’ils étaient lors de sa visite, la façon dont ils étaient  utilisés, les besoins de l’école et ses aspirations pour l’avenir.

[202]	Mme Call a décrit les espaces dont elle voudrait pouvoir disposer à l’École Boréale.  Elle voudrait qu’il y ait une garderie au sein de l’école, de l’espace pour le préscolaire et de l’espace pour la maternelle.  Elle pense qu’il pourrait y avoir un espace multifonctionnel pour la musique, le théâtre et les arts visuels. Elle voudrait qu’il y ait un espace pour le laboratoire d’informatique, pour qu’il ne soit pas dans l’atrium. Elle croit qu’il devrait y avoir des espaces pour les professeurs et les aides aux élèves.

[203]	Pour les élèves du niveau secondaire, elle croit qu’il doit y avoir un espace de rencontre pour les élèves; un laboratoire de science adéquatement équipé; une salle bien équipée pour l’enseignement des cours de cuisine; un espace pour l’enseignement des Études Professionnelles et Techniques (ÉPT).  Elle pense que l’école a besoin d’un gymnase équipé de douches et d’estrades.  Cet espace pourrait aussi selon elle servir de lieu de rassemblement.

[204]	Mme Call a parlé de l’utilisation des gymnases des autres écoles.  Jusqu’à l’année 2009-2010, il était difficile d’avoir du temps de gymnase pour les activités parascolaires.  Elle devait redemander à tous les quelques mois parce que la gestion de l’horaire par les autres écoles se faisait aux deux mois.  Les choses se sont améliorées, selon elle, en 2009-2010.

[205]	L’école a maintenant un meilleur accès, bien que les heures ne soient pas idéales pour les activités parascolaires.  Mme Call estime que le meilleur temps pour ce genre d’activité est immédiatement à la fin des cours. Les plages horaires dont l’école dispose actuellement sont de 5:00 à 6:30, et cela est moins avantageux pour les élèves et les parents.

[206]	En ce qui a trait à l’accès au gymnase pour d’autres activités, les difficultés persistent.  Pour le concert de Noel, l’École Boréale avait demandé d’utiliser les gymnases de l’École Princess Alexandra ou celui de Diamond Jenness, et avait offert de les louer au même prix que le coût de la location de la salle communautaire. La demande a été refusée.

[207]	Mme Call a parlé des installations dans les trois écoles anglophones de Hay River.  L’école Harry Camsell compte entre 160-170 élèves des niveaux de la maternelle à la 3e année. Cette école a un gymnase, une bibliothèque, une salle pour les arts et la musique, et une salle insonorisée pour la maternelle.

[208]	L’école Princess Alexandra a une salle multi-usage pour l’enseignement des arts ménagers, une bibliothèque, un gymnase avec estrade, un laboratoire informatique, et une salle pour les professeurs et le personnel de soutien.

[209]	L’école Diamond Jenness est l’école secondaire, et a environ 200 élèves.  Elle a un nouveau centre pour l’enseignement pour les arts industriels (qui a la même superficie que l’École Boréale), deux salles pour l’enseignement des arts ménagers, plusieurs salles insonorisées pour l’enseignement de la musique, des endroits où les élèves peuvent se regrouper, une salle pour les arts visuels, et deux laboratoires de sciences.

[210]	L’autre école à Hay River est la Chief Sunrise School, qui est une école de la maternelle à la 12e année située sur la réserve de Hay River.  Elle a environ 70 élèves. Elle une belle cuisine, un gymnase, un laboratoire informatique, une bibliothèque, des bureaux administratifs, une salle pour le personnel de soutien, une salle pour l’alphabétisation, un espace pour le préscolaire.  Cette école n’a pas, selon Mme Call, un grand nombre d’élèves entre les 10e et la 12e année.

[211]	Mme Call a confirmé que l’École Boréale n’a jamais déployé d’efforts de recrutement.

[212]	Elle a dit qu’il n’y avait pas de relation directe entre la direction de l’École Boréale et le DEA, puisque les contacts se font avec la CSFTN-O.  Elle a cependant dit que l’école « vivait le fruit » de cette relation-là.  Elle a raconté notamment qu’en août 2008, suite à l’injonction interlocutoire accordée par le tribunal, le DEA a émis un communiqué de presse très agressif concernant la décision.  Une copie de ce communiqué de presse a été distribuée dans les boîtes à lettres à Hay River.  Le document a été versé en preuve  (pièce #148). Il parle de lui-même.

[213]	Mme Call a parlé de l’impact de la directive ministérielle de juillet 2008.  La directive a eu un impact marqué sur les inscriptions à la maternelle.  Pour l’année 2008-2009, les enfants qui étaient déjà inscrits à la maternelle au moment de la mise en œuvre  de la directive ont eu la permission d’y rester.  Mais la plupart des enfants qui étaient au préscolaire en 2008-2009 et qui ont demandé une permission de s’inscrire à la maternelle en septembre 2009 n’ont pas reçu la permission du Ministre.

[214]	Mme Call a été questionnée au sujet de l’impact de l’admission d’enfants de non ayants droit sur l’école.  Elle a dit que ça n’avait jamais été un problème, et que ça avait au contraire été bénéfique parce que ça avait permis d’avoir des groupes de bonne taille, ce qui est préférable au point de vue pédagogique.  Elle a répété que le travail de francisation doit se faire pour tout le monde et il n’y a généralement pas de grandes différences, au niveau des capacités linguistiques, entre les enfants d’ayants droit et les enfants de non ayants droit.

[215]	Du point de vue culturel et identitaire, Mme Call a expliqué que les parents non ayants droit comprennent les exigences de l’école et participent beaucoup aux activités de l’école.

[216]	À différents moments de son témoignage, le procureur des Demandeurs l’a fait témoigner concernant des conversations qu’elle a eues avec certains élèves qui ont décidé de quitter l’École Boréale. Les Défendeurs s’objectent à la recevabilité de cet aspect de son témoignage.  Je traite de cette question plus loin dans la section portant sur la recevabilité d’éléments de preuve contestés.

[217]	En contre-interrogatoire, Mme Call a reconnu que ses tableaux montrent que le nombre d’élèves visés par l’article 23 est demeuré assez stable, autour de 40, depuis 2005, alors que le total d’élèves, lui, a beaucoup augmenté.  Elle a reconnu que si seuls les enfants d’ayants droit avaient été admis à l’École Boréale, il y aurait amplement d’espace pour eux.

[218]	Le témoignage de Mme Call concernant la façon dont la limite de 20% était calculée rejoint celui de Mme Taillefer et de M. Lavigne.  Une fois un élève admis par le biais de la francisation, tout frère ou sœur de cet élève était considéré par la CSFTN-O comme étant un enfant d’ayant droit.  Ces frères et sœurs n’étaient pas comptés pour les fins de la limite du 20%.

[219]	De plus, la limite du 20% ne s’appliquait pas aux personnes à qui la CSFTN-O reconnaissait un droit d’admission même si elle ne sont pas visées par l’article 23 (par exemple, quelqu’un qui a un grand-parent francophone).  Mme Call a aussi reconnu qu’elle n’a jamais demandé de déclaration assermentée à l’appui d’une demande fondée sur le critère a « ancêtre francophone » parce qu’on lui avait dit à son arrivée que ce n’était pas nécessaire.

[220]	Je n’aborderai pas ici tous les aspects du contre-interrogatoire de Mme Call qui ont porté sur les chiffres, les diverses façons de les combiner, et les pourcentages en résultant.  La preuve établit clairement que l’effet de la politique d’admission de la CSFTN-O a été de permettre à un grand nombre d’enfants non visés par l’article 23 de s’inscrire à l’École Boréale, et que ces inscriptions sont la raison principale de la croissance rapide de la population étudiante de l’école depuis son ouverture en 2005.

[221]	Mme Call a par ailleurs reconnu que les projections de la CSFTN-O prévoyant 15 nouveaux élèves par année à la maternelle ne sont pas basées sur les nombres d’enfants d’ayants droit.  Autrement dit, ces projections présument que plusieurs nouvelles inscriptions seraient pour des enfants de non ayants droit.

[222]	Le procureur des Défendeurs lui a demandé son avis concernant les classes jumelées.  Elle a reconnu que c’est une pratique répandue, mais qui pose certains défis.  Elle a reconnu que dans un affidavit préparé dans le contexte de la demande en injonction interlocutoire, elle avait parlé des effets bénéfiques du jumelage.  Elle a précisé qu’elle avait déposé cet affidavit en 2008, qu’elle avait maintenant deux années d’expérience de plus en enseignement, et qu’elle constatait de plus en plus de difficultés dans l’enseignement dans des groupes jumelés.

[223]	Mme Call a été contre-interrogée au sujet de sa rencontre avec M. Kindt, et leur discussion concernant le nombre d’enfants de non ayants droit à l’École Boréale.  Elle se souvient que le sujet a été abordé, brièvement, avec M. Kindt.  Elle reconnaît lui avoir remis le tableau qui est inclus dans son rapport daté de février 2008.  Mais elle a maintenu qu’elle lui a expliqué que le tableau était préliminaire et que le travail de compilation des chiffres n’était pas terminé.

[224]	Au sujet de l’utilisation des gymnases, Mme Call a reconnu que la situation s’était améliorée.  Dans la mesure où certains horaires ne sont pas entièrement satisfaisants elle a reconnu ne pas avoir porté plainte à la CSFTN-O.  Elle a expliqué qu’elle préférait essayer de maintenir la coopération et les négociations au niveau local.

[225]	Au sujet de l’utilisation d’espace pour les Études Professionnelles et Techniques, elle a dit avoir fait des démarches concernant la possibilité, pour l’avenir, d’utiliser les installations nouvellement construites pour l’École Diamond Jenness, et que cela semblait être une possibilité.

[226]	Le témoignage de Mme Call a été long, et son contre-interrogatoire soutenu.  Elle a répondu aux questions de façon claire et directe.  Elle n’a jamais semblé chercher à éviter une question, peu importe sur quel sujet elle portait.  Elle n’a à aucun moment adopté un ton argumentaire.  Elle m’est apparue très sincère tant en interrogatoire principal qu’en contre-interrogatoire, et je n’ai aucune réserve concernant son témoignage.  J’estime que l’ensemble de son témoignage est digne de foi et très fiable.




f. 	Catherine Boulanger

[227]	Mme Boulanger est originaire de l’Alberta.  Elle a habité à différents endroits au Canada. Son conjoint anglophone.  Ils se sont établis à Hay River en 2004.  Elle est une ayant droit au sens de l’article 23 de la Charte.

[228]	Mme Boulanger a travaillé comme agente de développement pour l’Association franco-culturelle de Hay River.

[229]	Elle a expliqué que la question du français était parfois un sujet de discorde entre elle et son conjoint.  Elle croit que s’il y avait eu un programme d’immersion à Hay River, c’est le choix que la famille aurait fait pour les enfants, en guise de compromis.  Puisque ce n’était pas une option, son conjoint a accepté que les enfants fréquentent l’École Boréale.


[230]	Mme Boulanger a expliqué que son contact avec l’École Boréale, et avec l’Association franco-culturelle, lui avaient permis de se réapproprier son identité francophone.  Elle a expliqué qu’auparavant dans son contexte familial elle avait plus ou moins abandonné l’idée du français, parce que c’était compliqué avec son mari.  Mais lors du recensement de 2006, pour la première fois, elle s’identifiée comme francophone.  Elle a dit que c’est son contact avec l’École Boréale qui lui a permis de reprendre cet héritage-là.

[231]	Ses filles C. et D. et K. sont entrées à l’École Boréale pour l’année scolaire 2004-2005.  C. était rendue au niveau de la 8e année mais ce niveau n’était pas encore offert à l’École Boréale, alors elle a répété sa 7e année pour pouvoir y aller.  D. est entrée en 5e année, et K. est entrée en maternelle.

[232]	Quand l’école est déménagée dans le nouvel édifice en 2005, Mme Boulanger a constaté une grande différence.  L’école était plus belle et plus accueillante.  Le nombre d’inscriptions a augmenté après le déménagement.

[233]	Dans les années qui ont suivi, il a commencé à y avoir un manque d’espace.  C. a été parmi les élèves qui ont suivi leurs cours dans la classe aménagée dans l’atrium. Elle a aussi fait partie du groupe d’élèves qui ont suivi leurs cours dans les salles du Ptarmigan Inn pendant l’année scolaire 2008-2009.  C. devait revenir à l’École Boréale pour suivre ses cours d’arts, car les salles au Ptarmigan Inn n’étaient pas équipées pour ces cours.

[234]	Mme Boulanger a parlé des inconvénients découlant de l’utilisation des gymnases dans les autres écoles.  Les temps réservés pour les pratiques pour les activités parascolaires étaient souvent tôt le matin.

[235]	Mme Boulanger a parlé de certaines lacunes dans les espaces à l’École Boréale.  Il n’y a pas de salle pour l’enseignement de la musique ou des arts industriels; il n’y a pas de laboratoire complet pour les sciences.

[236]	Mme Boulanger a aussi parlé de sa fille, D., qui a des besoins spéciaux.  Sa passion est la musique, ce qui est difficile à accommoder à l’École Boréale.  Des arrangements ont été faits pour qu’elle puisse suivre ses cours de musique à l’école Diamond Jenness.


[237]	Quant à sa fille cadette, K., au moment du procès, les choses allaient bien pour elle à l’École Boréale mais Mme Boulanger a dit craindre que les choses deviennent plus difficiles à mesure qu’elle va vieillir.  Elle n’est pas certaine de la garder à l’École Boréale.

[238]	Les Demandeurs ont voulu verser deux documents en preuve pendant le témoignage de Mme Boulanger. Le premier, la pièce « H », « 20 ans pour longtemps », est un dépliant préparé par l’Association franco-culturelle de Hay River pour souligner son 20e anniversaire en 2007.  Le deuxième, la pièce « K», est un rapport préparé par un consultant, à la demande de l’Association franco-culturelle, et qui porte sur les besoins de service de garderie en français dans la communauté de Hay River.  Les Défendeurs s’objectent à la recevabilité de ces deux documents en vertu des règles qui régissent la recevabilité du ouï-dire.  Je traite de la recevabilité de ces documents plus loin.

[239]	Mme Boulanger a aussi rapporté certains propos tenus par ses filles à différents moments au sujet de leur désir de changer d’école, et leur questionnement quant à l’absence de gymnase à l’École Boréale.  Je traiterai aussi de la recevabilité de cette preuve plus loin.

[240]	En contre-interrogatoire, Mme Boulanger a reconnu que certaines des difficultés dans la programmation à l’École Boréale étaient causées  par les petits nombres, et pas seulement le manque d’espace.  Par exemple, C. n’a pas pu prendre le cours de physique parce qu’elle était la seule à s’y être inscrite.

[241]	Elle a aussi reconnu que la CSFTN-O avait certains programmes en place pour encourager la rétention d’élèves, y compris une bourse de $3,500.00 pour les élèves qui complètent leur secondaire.  Elle a aussi dit que l’école n’a aucun besoin de faire du recrutement, les parents viennent d’eux-mêmes.


[242]	Concernant l’année où C. a suivi une partie de ses cours au Ptarmigan Inn, elle a reconnu que ces espaces avaient été fournis suite à l’injonction et que même s’ils n’étaient pas parfaits, c’était la meilleure solution disponible à Hay River.

[243]	Mme Boulanger est une demanderesse dans ce recours et en ce sens n’est pas un témoin neutre ou désintéressé.  Par contre, elle m’a semblé répondre honnêtement aux questions, au meilleur de sa connaissance.  Son témoignage n’a pas toujours été des plus précis, mais dans son ensemble, sa crédibilité n’a pas vraiment été remise en question pendant le contre-interrogatoire.  J’estime que son témoignage est fiable et digne de foi.

g.	Roger Paul

[244]	M. Paul est originaire de Maniwaki, au Québec.  Il a fait ses études dans le domaine de l’éducation.  Il a une maîtrise en éducation avec une concentration en counselling scolaire et, au moment du procès, était-en en train de faire un doctorat en administration éducationnelle.


[245]	M. Paul a travaillé en éducation, en enseignement et en gestion scolaire.  Il a travaillé dans ce domaine en Ontario, dans le nord de la Province et ensuite dans la région d’Ottawa, de 1976 à 2009.  Il connaît bien le fonctionnement du système scolaire en Ontario, notamment le système qui régit les écoles de la minorité francophone dans cette province.  M. Paul a eu une très courte retraite, ayant pris sa retraite en décembre 2009, et étant devenu le directeur général de la FNCSF en janvier 2010.

[246]	M. Paul a expliqué que la FNCSF a 31 membres, et regroupe tous les conseils scolaires francophones de l’extérieur du Québec.  Son mandat est de veiller à ce que les droits de ses membres soient respectés.  Il a expliqué que la FNSCF a souvent à faire des études sur des sujets qui sont d’intérêt pour ses membres.

[247]	M. Paul a parlé de sa connaissance du fonctionnement des politiques d’admission des conseils scolaires en Ontario avec lesquelles il a eu à travailler au fil des années.  Il a expliqué que le point de départ est évidemment que tout enfant visé par l’article 23 a le droit d’être admis.  Pour les autres, (immigrants, personnes qui ont des ancêtres francophones), la décision se prend au cas par cas.


[248]	Il a aussi expliqué qu’il y a eu une évolution au sujet de l’acceptation d’enfants anglophones dans les écoles francophones.  En Ontario, au début de sa carrière, il n’était pas question de permettre aux anglophones de se joindre aux écoles francophones minoritaires.  Mais l’approche a évolué et cette possibilité est devenue acceptable.  Éventuellement, dans son conseil scolaire, cette pratique s’est développée.  Il y avait un comité d’admission qui rencontrait l’élève et le parent, posait des questions, et prenait une décision.

[249]	M. Paul a lu toutes les politiques d’admission des membres de la FNCSF.  Selon lui, plusieurs d’entre elles se ressemblent.  La clause qui permet d’admettre des enfants qui ont des grands-parents francophones est très souvent présente.  C’est la même chose pour les immigrants, sauf en Colombie-Britannique où la législation prévoit déjà que les immigrants ont le droit d’envoyer leurs enfants à l’école en anglais ou en français.  La plupart permettent aussi l’admission d’enfants anglophones.  La majorité des conseils scolaires ont un comité d’admission.


[250]	M. Paul a expliqué que, notamment à cause du présent recours juridique et un recours juridique au Yukon où la légitimité des politiques d’admission a été soulevée, la FNCSF a entrepris de réaliser une cueillette de données concernant les politiques d’admission de ses membres, et le nombre d’enfants de non ayants droits qui font partie de ses effectifs scolaires.  La possibilité d’entreprendre ce genre de travail avait déjà été discutée mais les litiges aux TN-O et au Yukon qui ont remis en question les pouvoirs des commissions scolaires au niveau de l’admission au programme ont rendu la question plus importante pour les membres de la FNSCF.  Elle a donc entrepris de faire ce travail.

[251]	Le résultat de la cueillette d’information est la pièce « L ».  Les Demandeurs veulent le verser en preuve et les Défendeurs s’objectent au motif que c’est du ouï-dire.  Je traiterai donc du témoignage de M. Paul au sujet de la méthodologie suivie, du contre-interrogatoire sur ce sujet, et de la recevabilité du document, dans la prochaine section de ces motifs.

[252]	M. Paul a aussi été contre-interrogé au sujet de certains aspects des politiques concernant l’admission d’enfants de non ayants droit. Il a reconnu que dans toutes les politiques les conseils scolaires se réservent le droit de refuser l’admission.  Il a aussi reconnu que plusieurs politiques prévoient certaines limites au nombre d’admissions.  Il lui a été suggéré que c’est parce que l’admission de non ayants droit peut poser un certain risque.  M. Paul a répondu qu’il était important pour les conseils scolaires d’être en mesure de bien intégrer les élèves.

[253]	Il a été suggéré à différents moments à M. Paul que l’admission d’un grand nombre de non ayants droit peut menacer le caractère francophone d’une école minoritaire.  Il n’était pas d’accord avec cette suggestion, ni avec les suggestions selon laquelle l’école minoritaire pouvait se transformer en école d’immersion.  Il a insisté sur le mandat particulier d’une école minoritaire, qui la distingue d’une école d’immersion.

[254]	Il a aussi expliqué qu’il n’était pas nécessaire que les enfants admis au programme aient des capacités langagières en français.  Dans son expérience dans les écoles en Ontario, les enfants admis à la maternelle qui ne parlaient pas du tout français n’avaient aucune difficulté en français après leur année de maternelle.

[255]	Il a reconnu cependant que la question se pose différemment si un enfant de non ayant droit veut se joindre à l’école minoritaire plus tard dans son cheminement scolaire.  Mais selon son expérience, la grande majorité de ceux qui le font le font au tout début de leur scolarité.


[256]	Le procureur des Défendeurs a abordé la question des ressources, et demandé à M. Paul si elles jouaient un rôle dans la décision d’admettre ou non un enfant de non ayant droit.  Il a reconnu que plusieurs politiques des conseils scolaires mentionnent la capacité d’accueil de l’école et les ressources disponibles comme faisant partie des facteurs à considérer.  Mais il a aussi dit que sans les élèves, les conseils scolaires n’ont pas les ressources, et que le problème devient circulaire, Ac’est la question de l’œuf et la poule@, a-t-il dit.

[257]	Le procureur a suggéré à M. Paul qu’un conseil scolaire est tenu de tenir compte de ses ressources quand il décide d’admettre ou non un enfant de non ayant droit.  M. Paul a répondu qu’il n’était pas d’accord avec cette suggestion.  Selon lui le conseil scolaire doit s’en remettre aux critères de sa politique d’admission.

[258]	M. Paul a sans contredit une vaste expérience en éducation dans le contexte minoritaire.  Il est également clair qu’il n’est pas un témoin désintéressé.  L’organisme dont il est le directeur général a obtenu le statut d’intervenante dans ce litige pour appuyer la position des Demandeurs concernant le droit de la CSFTN-O de gérer les admissions au programme d’enseignement en français.  Il était clair pendant le témoignage de M. Paul, surtout pendant son contre-interrogatoire, qu’il a des opinions très arrêtées sur certaines des questions soulevées dans ce litige.  Mais considérant l’ensemble de son témoignage, je ne vois rien me fasse remettre en question sa crédibilité ni la fiabilité de son témoignage.

h. 	Andrew Cassidy

[259]	M. Cassidy est né dans les TN-O.  Il s’est établi à Hay River en 1999. Sa conjointe de fait est originaire de Hay River.  Ils ont une petite fille, A.  Quand elle a eu 3 ans, ils ont décidé de l’inscrire en pré-maternelle à l’École Boréale. Ils en avaient discuté avec Mme Call l’année précédente car ils savaient que le nombre de places étaient limitées.  Mme Call leur a expliqué que si leur fille faisait deux années du programme préscolaire, elle serait éligible pour s’inscrire au programme de maternelle à l’École Boréale.  Mme Call leur a aussi parlé de la limite du 20%, et du fait qu’il n’y aurait pas de garantie que A. puisse continuer sa scolarité à l’École Boréale tant qu’elle n’aurait pas complété sa maternelle.


[260]	M. Cassidy et sa conjointe comprenaient la situation mais ont décidé d’inscrire leur fille au programme de pré-maternelle quand même.  Ils considéraient que c’était une bonne occasion pour elle d’intégrer une autre culture à un jeune âge.  D’autre part, M. Cassidy et sa famille habitent à l’extérieur de Hay River, à 24 kilomètres de la ville, où il y a un regroupement d’une douzaine de maisons.  Tous les autres enfants qui habitent à cet endroit allaient à l’École Boréale à l’époque, et M. Cassidy croyait que la transition serait plus facile pour sa fille si elle y allait aussi.

[261]	M. Cassidy a expliqué qu’il comprenait que lui et sa conjointe auraient certaines responsabilités et certains défis s’ils s’engageaient dans cette voie. Ni lui ni elle n’ont d’antécédents francophones. Il comprenait que la correspondance de l’école serait en français, et que lui et sa conjointe aurait à faire des efforts pour apprendre le français.  Ils comprenaient l’importance de s’assurer qu’il y ait du français à la maison.  Ils ont acheté des films, des livres. Ils n’ont écouté que des films en français l’année où A. était en pré-maternelle.  Ils se sont joints à l’Association franco-culturelle de Hay River.  Ils ont assisté, quand ils le pouvaient, aux activités organisées par l’Association.

[262]	Les parents de l’école, selon lui, étaient très impliqués dans les activités de l’école.  L’école était très axée sur la famille.

[263]	Selon lui, à la fin de sa première année au préscolaire, A. comptait en français, chantait des chansons en français.  À son avis, elle progressait bien.


[264]	Les documents versés en preuve établissent les tentatives qui ont été faites par la CSFTN-O et par M. Cassidy d’obtenir la permission du Ministre d’inscrire A. à l’École Boréale après l’avènement de la directive.

[265]	Le 15 juin 2009, la CSFTN-O a envoyé au Ministère une demande d’exemption pour 4 enfants, dont A.  En ce qui concerne A., la CSFTN-O indiquait qu’elle appuyait fortement la demande puisque l’enfant a déjà fait 2 ans de programme préscolaire en français.  Le 30 juin 2009, le sous-ministre a envoyé sa recommandation au Ministre de refuser les demandes.  La CSFTN-O a été avisée du refus du Ministre dans une lettre datée du 16 juillet.

[266]	En septembre 2009, M. Cassidy a appris que A. ne serait pas éligible pour s’inscrire à la maternelle à l’École Boréale.  Il a été avisé de son droit de contester la décision mais n’a pas interjeté appel de la décision du Ministre.  Il a plutôt décidé de défier la décision et d’emmener sa fille à l’École Boréale quand même le premier jour des cours.  Mme Call, qui était là pour accueillir les élèves, était surprise de le voir. M. Cassidy a reconnu qu’il avait placé le personnel de l’école dans une situation difficile.

[267]	Mme Call a accepté que A. reste à l’école ce jour-là mais a expliqué à M. Cassidy qu’elle n’avait pas le droit de l’inscrire au programme de maternelle.  La même chose s’est produite le lendemain, et le jour suivant.  Mais le troisième jour, M. Brûlot, le directeur de la CSFTN-O, s’était rendu à Hay River, a demandé de rencontrer M. Cassidy et sa conjointe, et leur a demandé d’arrêter d’emmener leur fille à l’école.

[268]	M. Cassidy et sa conjointe ont alors décidé de demander à la CSFTN-O de réinscrire leur fille au programme préscolaire pour les 4 ans.  Ils voulaient la garder à l’École Boréale.  La CSFTN-O a accepté, mais a clairement expliqué à M. Cassidy que ceci ne donnerait aucune garantie qu’elle pourrait être admise à l’école l’année suivante.


[269]	M. Cassidy a communiqué avec la CSFTN-O à nouveau en décembre 2009, lui demandant d’inscrire sa fille à la maternelle pour l’année en cours.  Il demandait qu’elle soit considérée comme ayant le droit d’y aller en vertu du Paragraphe 23(2) de la Charte, à cause de sa participation au programme préscolaire au cours des deux années précédentes.  La CSFTN-O lui a écrit pour l’aviser qu’elle ne pouvait pas traiter les années de préscolaire comme créant un droit d’aller à l’école en vertu de l’article 23, parce que le Ministère ne reconnaissait pas la pré-maternelle comme faisant partie du programme scolaire.  La CSFTN-O a avisé M. Cassidy que sa demande serait transmise au Ministre.

[270]	Le 11 janvier 2011, le Ministre a écrit à M. Cassidy pour lui confirmer la position du GTN-O concernant le statut d’un programme préscolaire pour les fins de l’article 23.

[271]	Le 12 avril 2010, la CSFTN-O a écrit au Ministre à nouveau au sujet de A., cette fois pour plaider en faveur d’une permission de l’inscrire en première année pour l’année scolaire 2010-2011.  La même demande était faite pour autre enfant qui était dans la même situation, ses parents ayant préféré eux aussi la réinscrire au programme préscolaire l’année précédente, plutôt que de l’inscrire à la maternelle dans une école anglophone.

[272]	Dans les deux cas, la CSFTN-O faisait valoir que ces deux fillettes avaient déjà passé 3 années en francisation, voulaient rester à l’École Boréale avec leurs amis et dans un environnement qui leur était devenu familier, et étaient de plus en plus traumatisées à l’idée de devoir quitter leur école.  Le 12 avril 2010, le Ministre a rejeté la demande.


[273]	Suite à ce refus, M. Cassidy et sa conjointe ont décidé, pour l’année 2010-2011, de faire l’éducation de A. à la maison plutôt que de l’inscrire dans une école anglophone. M. Cassidy a expliqué que sa petite fille est réservée et il ne voulait pas lui faire vivre la transition à l’école anglophone au cas où elle pourrait éventuellement retourner à l’École Boréale.

[274]	M. Cassidy a un frère qui habite à Yellowknife. Lui et son épouse ne sont pas des ayants droit mais leurs enfants vont à l’École Allain St-Cyr.  M. Cassidy trouve injuste que sa fille n’ait pas accès au même service.

[275]	En contre-interrogatoire, M. Cassidy a reconnu qu’il n’avait pas fait appel de la décision du Ministre en 2009, et qu’il avait plutôt choisi de défier la décision en emmenant quand même son enfant à l’École Boréale. Il a aussi reconnu ne pas avoir interjeté un appel de la décision du Ministre quand la seconde demande a été rejetée en 2010.

i. 	Jennifer Blackman


[276]	Mme Blackman est originaire de la Nouvelle-Écosse.  Elle et son mari sont déménagés à Hay River en 2006. Le père de son mari vit au Québec.  Il y a des francophones dans la famille élargie de son mari du côté paternel.

[277]	Les Blackman ont une fille, T.  Mme Blackman a expliqué que dès la naissance de T., elle et son mari voulaient qu’elle soit non seulement bilingue, mais qu’elle développe un lien avec la culture francophone, puisqu’une partie de sa famille est de cette culture.  Quand il a été question que la famille déménage à Hay River, l’existence du programme d’enseignement en français a été un des facteurs dont ils ont tenu compte en prenant leur décision.

[278]	Les Blackman ont inscrit T. au programme de pré-maternelle à l’École Boréale quand elle avait 3 ans, en septembre 2007.  Lors de l’inscription, Mme Call leur a expliqué qu’après deux ans de programme de francisation préscolaire leur fille serait éligible à s’inscrire à l’École Boréale en maternelle.  L’intention des Blackman était que T. fasse tout son enseignement primaire et secondaire en français.

[279]	En septembre 2008, ils ont inscrit T. au programme préscolaire pour les 4 ans.  Ils ont été mis au courant de la directive ministérielle de juillet 2008, et du fait que T. n’allait peut-être pas pouvoir être inscrite à la maternelle l’année suivante.  Ils ont choisi de la laisser dans le programme de pré-maternelle en espérant que le litige soit réglé par les tribunaux avant que T. soit prête à commencer la maternelle.

[280]	Mme Blackman a expliqué les démarches qu’elle et son mari ont faites pour faire en sorte que T. puisse commencer son cours primaire à l’École Boréale.  Son témoignage à cet effet est confirmé par les nombreux échanges de correspondance qui ont eu lieu en 2009 et en 2010 entre les Blackman, la CSFTN-O et le Ministère.

[281]	En mai 2009, M. Blackman a demandé à la CSFTN-O d’inscrire T. à la maternelle pour l’année 2009-2010.  La CSFTN-O a fait parvenir cette demande au Ministre.  Le Ministre a refusé d’accorder la permission d’inscription au motif que les enfants en question n’étaient pas inscrits au programme de maternelle au moment de l’adoption de la directive.  La CSFTN-O a avisé les Blackman de cette décision le 7 juillet 2009.


[282]	Le 10 août 2009, les Blackman ont écrit au Ministre pour en appeler de sa décision.  Dans cette lettre, M. Blackman parle de ses origines, et du fait qu’il y a des francophones dans sa famille élargie. Il exprime aussi sa colère et sa frustration du fait que sa fille ne puisse pas rester avec ses amis et dans un environnement scolaire qu’elle connaît.  Il explique aussi qu’il considère injuste que la directive ait un effet rétroactif.

[283]	Le Ministre a rejeté cet appel et en a avisé les Blackman dans une lettre datée du 20 août 2009.  La lettre de refus précise que la directive n’est pas appliquée rétroactivement, puisque des permissions d’inscription ont été accordées pour les enfants qui, au moment de l’adoption de la directive, était déjà inscrits à la maternelle.  Dans sa lettre, le Ministre distingue cette situation de celle où, comme T., l’enfant n’était pas inscrit à la maternelle quand la directive a été mise en place.


[284]	Le 1er septembre 2009, les Blackman ont signé un document nommant Harrison Coombs et Lorie Coombs tuteurs de T.  Mme Coombs est une ayant droit pour les fins de l’article 23.  Elle a complété le formulaire d’inscription pour inscrire T. à la maternelle l’École Boréale.  T. a donc commencé sa maternelle, mais à cause que la situation était inhabituelle, la CSFTN-O, a porté la situation à l’attention du Ministère.  Le Ministère a avisé la CSFTN-O qu’en vertu de la Loi sur l’Éducation, une personne ayant droit ne peut pas se prévaloir du droit prévu à l’article 23 pour un enfant qui est sous sa tutelle.  T. a donc dû être retirée de la maternelle.

[285]	Plutôt que de l’inscrire à la maternelle dans une école anglophone, ses parents ont eux aussi choisi de la réinscrire au programme de pré-maternelle pour l’année 2009-2010.  Ils ont continué leurs démarches pour essayer d’obtenir une permission d’admission pour qu’elle puisse être inscrite en première année à l’École Boréale en septembre 2010.

[286]	Le 27 novembre 2009, les Blackman ont fait parvenir un formulaire d’inscription à la CSFTN-O, ainsi qu’une lettre, demandant que T. soit inscrite à l’École Boréale.  Tant sur le formulaire que dans la lettre, ils invoquent le droit de le faire en vertu du Paragraphe 23(2) de la Charte, en se fondant sur les 2 années de préscolaire que T. a passées à l’École Boréale.  M. Brûlot leur a envoyé une lettre le 3 décembre 2009, au même effet que celle qu’il avait envoyée à M. Cassidy, et a transmis la demande au Ministre.

[287]	Le 11 janvier 2010, le ministère a rejeté la demande, réitérant la position du GTN-O concernant le statut d’un programme préscolaire pour les fins de l’article 23.


[288]	Le 12 avril 2010, la CSFTN-O a écrit au Ministre pour demander qu’il accorde la permission d’inscrire T. en première année pour l’année scolaire 2010-2011.  La demande de permission d’inscription pour A. Cassidy a été faite dans cette même lettre et s’appuyait sur les mêmes arguments.  Les Blackman ont aussi écrit au Ministre directement pour faire la même demande.  Le 12 avril 2010, le Ministre a rejeté la demande.

[289]	Au moment du procès, T. faisait sa première année dans une école anglophone, ses parents n’ayant pas eu d’autre choix.

[290]	Concernant la décision de signer le document de tutelle, Mme Blackman a expliqué que l’idée lui est venue parce qu’elle avait entendu parler de parents qui avaient fait cela quand leur fils avait été à une école de hockey à l’extérieur des TN-O, pour s’assurer que quelqu’un avait l’autorité de prendre des décisions à son égard dans des situations d’urgence.  Elle a expliqué que l’intention était que T. demeure chez les Coombs pendant la semaine et revienne rester à la maison la fin de semaine.

[291]	Mme Blackman a parlé des efforts qu’elle et son mari ont fait pour soutenir le processus d’apprentissage de T.  dans un environnement francophone.  Lors de l’inscription de T au programme préscolaire, ils avaient été mis au courant des attentes de l’école à l’égard des parents.  Elle et son mari ont tous deux pris des cours de français, ont acheté des livres et des films en français.  Ils se sont abonnés à l’Aquilon, le journal francophone des TN-O.  Selon elle, ils pratiquaient le français à tous les jours et le fait d’avoir de bons amis qui sont des ayants droit les aidait dans leur démarche.

[292]	T. A participé au camp d’été francophone pendant l’été 2009.  Il y avait des activités 5 jours par semaine pendant tout l’été.  Selon Mme Blackman, T. progressait très rapidement dans son apprentissage du français.


[293]	Mme Blackman a été contre-interrogée principalement au sujet de l’entente de tutelle signée en septembre 2009.  Il lui a été suggéré qu’elle et son mari n’avaient jamais eu l’intention de véritablement confier la garde de leur enfant à Mme Coombs, mais qu’il s’agissait uniquement d’un stratagème pour contourner la directive ministérielle.  Mme Blackman a reconnu que pendant le mois où elle était à la maternelle, T. n’a jamais dormi chez les Coombs.  Elle a expliqué qu’avant de la faire déménager elle et son mari voulaient voir ce qu’il allait advenir de la démarche de la CSFTN-O auprès du Ministère pour confirmer la validité de  son inscription.

[294]	La validité juridique de la tutelle n’est pas en cause dans ce recours, et je n’ai pas à en décider.  Je conclus, et selon moi Mme Blackman l’a à toutes fins pratiques avoué, que le but de la tutelle n’était pas de transférer l’autorité parentale des Blackman aux Coombs, mais de faire en sorte que T. puisse être inscrite à la maternelle malgré le refus du Ministre de lui accorder une permission d’inscription.  Toutes les démarches que les Blackman ont faites étaient en ce sens.

j. 	Lorie Steinwand

[295]	Mme Steinwand est originaire de Fort Providence.  Elle est de race métis, Elle a une très grande famille élargie du côté de sa mère.  Pendant son enfance, elle parlait couramment le français Mitchif, qui est une combinaison du français et de langues autochtones.

[296]	Mme Steinwand est déménagée à Hay River en 2007.  Selon elle, il y a une grande communauté métis à Hay River.


[297]	Mme Steinwand a deux enfants.  Elle et son mari ont décidé d’inscrire leur fille au programme de pré-maternelle à l’École Boréale.  Ils ont fait ce choix parce qu’ils voulaient que leur fille apprenne le français et soit exposée à cette culture.  Ils ont aimé l’environnement de l’école et ont décidé d’y inscrire leur fille à la maternelle pour l’automne 2009.

[298]	Au moment de l’inscription, en complétant le formulaire, Mme Steinwand s’est identifiée comme étant une ayant droit sur le formulaire d’inscription.  Elle a dit qu’elle l’a fait parce qu’elle se sentait francophone (AI felt I was French@).  On lui a expliqué qu’elle ne rencontrait pas les critères pour être une ayant droit, et que sa fille ne pourrait être admise que sur permission du Ministre.  Elle a envoyé une lettre à la CSFTN-O le 13 mai 2009, faisant état de l’histoire de sa famille, de l’importance, pour elle, de la culture et du français Mitchif.  Mr. Brûlot a écrit au Ministère le 23 juin 2009 pour demander la permission d’inscrire M. à l’École Boréale, expliquant qu’elle rencontrait les conditions de la politique d’admission de la CSFTN-O de 2009, ayant des ancêtres francophones.  Le 6 août 2009, M. Brûlot a été avisé du refus du Ministre d’accorder la permission.

[299]	Mme Steinwand n’a eu d’autre choix que d’inscrire sa fille à l’école anglophone, mais elle n’était pas satisfaite de la tournure des évènements.  Elle a demandé conseil à diverses personnes qu’elle connaissait à Fort Providence, dont le président du Conseil métis de Fort Providence.  Elle a demandé son aide dans sa démarche pour arriver à faire inscrire M. à l’École Boréale.  Elle a aussi contacté le sous-ministre de l’Éducation directement.  Elle a rédigé deux lettres en novembre 2009 faisant état de son histoire familiale.  Le 31 décembre 2009, le Ministre a accordé la permission d’inscrire M. à l’École Boréale pour le mois de janvier.

[300]	Une fois sa fille inscrite, Mme Steinwand et son mari ont déployé certains efforts pour se franciser à la maison. Ils ont acheté des livres en français, ainsi qu’un programme autodirigé pour les aider à apprendre le français.  Elle a expliqué que toutes les communications de l’école aux parents se font en français. Elle a parlé du système de jumelage qui est en place pour aider les parents qui ne parlent pas français ou ne le parlent pas beaucoup.  Elle a expliqué que le contact de sa famille avec l’École Boréale lui a permis d’accroître son contact avec la communauté francophone de Hay River.


[301]	Suite à la permission accordée par le Ministre, M. a été à la maternelle à l’École Boréale à partir de janvier 2010.  Elle a participé au camp d’été en français pendant l’été et a commencé sa première année en septembre 2011.  Au moment du procès, selon Mme Steinwand, le français de M. était meilleur que le sien.

k. 	Dr. Rodrigue Landry

[302]	Les Demandeurs ont demandé que le tribunal permette au Dr. Rodrigue Landry de témoigner en tant qu’expert dans les domaines suivants: la vitalité ethnolinguistique; l’autonomie culturelle et ses facteurs de revitalisation; le rôle de l’éducation dans la vitalité d’une communauté culturelle; les statistiques démo-linguistiques; la pédagogie en milieu minoritaire; les facteurs qui contribuent à la construction identitaire d’un élève à la communauté francophone.

[303]	Le curriculum vitae du Dr. Landry et ses annexes (pièce #1) font état de ses nombreuses recherches et publications.  Les Défendeurs, fort raisonnablement, n’ont pas contesté son expertise.

[304]	Au cours de son témoignage, le Dr. Landry a repris les grands thèmes de son rapport.  Il a expliqué en détails des modèles qu’il a développés, avec des collègues, pour illustrer certains phénomènes et concepts relevant de son domaine d’expertise, incluant le développement psycho langagier en contexte intergroupe minoritaire (annexe A); l’autonomie culturelle (annexe B); et le comportement langagier autodéterminé et conscientisé (annexe C).  Ces concepts, et les modèles qui les représentent, sont complexes et difficiles à résumer.  Mais les explications que le Dr. Landry a données à leur sujet constituent une importance toile de fond pour comprendre les opinions qu’il a émises sur certaines des questions plus concrètes qui sont soulevées dans ce litige.  Je ne ferai pas état ici de tous les sujets traités dans le rapport.  Mais je veux rappeler les grandes lignes des aspects qui, à mon avis, sont les plus significatifs.

	i) 	vitalité des communautés linguistiques et autonomie culturelle


[305]	Le Dr. Landry a expliqué qu’au-delà des individus, c’est l’organisation sociale d’un groupe linguistique minoritaire qui lui permet d’exprimer son identité collective; l’héritage et le passé commun des membres du groupe peut être à la source d’une solidarité entre les membres du groupe, mais cette solidarité relève aussi de l’idée de bâtir ce que le Dr. Landry appelle Aune communauté de destin@ fondée sur des choix volontaires pour l’avenir.

[306]	Selon le Dr. Landry, la vitalité ethnolinguistique d’une communauté dépend de facteurs démographiques, du contrôle institutionnel, et du statut de la langue et du groupe.  Il a expliqué le concept de la Adiglossie@, un concept social qui décrit les rapports entre deux groupes linguistiques et se fonde sur la répartition sociale des langues sur un territoire donné.  Il a dit que dans un cas classique de diglossie, les membres du groupe majoritaire parlent la langue dite Ahaute@, qui est celle qui a un statut supérieur, et qui domine la sphère publique.  Les membres de la minorité parlent une langue dite Abasse@, qui ne domine que les sphères d’activités de ce groupe.  Dans un contexte où les membres des deux groupes sont en contact, c’est la langue Ahaute@ qui tend à dominer.  Dépendamment d’un certain nombre de facteurs, la situation peut être plus ou moins diglossique; plus elle l’est, plus le risque d’assimilation est grand.  Par contre, certains facteurs peuvent contribuer, au contraire, à permettre à la communauté minoritaire de s’affirmer et d’avoir une  vitalité de plus en plus grande.


[307]	Le Dr. Landry a aussi traité du concept d’autonomie culturelle.  Selon lui, l’identité collective est au cœur de cette autonomie.  Cette identité dépend de trois variables, qui s’apparentent à ce dont dépend la vitalité ethnolinguistique: la démographie, le contrôle institutionnel et le statut.  Le Dr. Landry décrit ces trois composantes plus précisément comme étant la Aproximité socialisante@, la Acomplétude institutionnelle@ et la Alégitimité idéologique@.

[308]	La proximité socialisante est la composante de base, qui assure la socialisation primaire dans la langue et la culture du groupe minoritaire.  La présence d’institutions dans la communauté favorise et soutient cette socialisation primaire.  C’est particulièrement vrai pour les familles exogames, parce que selon le Dr. Landry, dans de telles familles, il y a souvent une tendance à transmettre la langue dominante au détriment de la langue minoritaire.


[309]	La complétude institutionnelle veut dire la prise en charge des institutions culturelles et sociales qui mettent la communauté minoritaire de l’avant sur la place publique, et lui permettent de se donner une entité distincte et active.  Selon le Dr. Landry, à cet égard, et même avec les meilleures intentions, les institutions bilingues n’ont jamais la même portée que les institutions gérées par la minorité, dans la langue de la minorité.  Selon le Dr. Landry, l’école est la pierre angulaire de la complétude institutionnelle.  Elle offre aussi une extension de la proximité socialisante car elle appuie les familles et la communauté pour favoriser la socialisation primaire dans la langue de la minorité.  Elle contribue à la création d’une identité dans cette langue, de réseaux dans cette langue.

[310]	La troisième composante qui a un impact sur l’identité collective est la légitimité idéologique.  Les positions idéologiques d’un gouvernement peuvent soit soutenir, soit nuire au développement de l’identité collective.  À ce sujet, le Dr. Landry aborde la question de la directive ministérielle de juillet 2008 aux paragraphes 110 à 113 de son rapport.  Selon lui, cette directive représente  une approche gouvernementale qui se veut plus Acontrôlante@ qu’ Aaidante@ pour la minorité linguistique.

[311]	Dans la mesure où les opinions exprimées par le Dr. Landry pourraient être interprétées comme suggérant la réponse à la question qui se pose dans ce litige, soit la conformité de la directive avec l’article 23 de la Charte, je n’en ai pas tenu compte.  Cependant, j’accepte que la directive, parce qu’elle enlève à la minorité une partie de son contrôle sur la gestion du programme d’enseignement, est une mesure qui ne favorise pas  le développement de l’identité collective de la minorité francophone dans les TN-O.

ii) 	impact de l’école sur la vitalité d’une communauté linguistique minoritaire


[312]	Le Dr. Landry estime, sur la base de recherches qu’il a faites au sujet des impacts de différents comportements langagiers, que les contacts langagiers à l’école agissent comme une extension de ce qui se passe dans la sphère privée (dans les familles et dans la communauté), et ce, même si l’école est une institution publique.  Ces contacts ont donc sur les jeunes un effet non seulement sur la compétence langagière mais également sur la construction identitaire.  Le Dr. Landry est d’avis que le vécu scolaire, à cet égard, est très important, et joue un rôle primordial, comme le fait la famille, dans la construction identitaire.


[313]	Le Dr. Landry traite, dans son rapport, des différences entre la mission éducative d’une école minoritaire et celle d’une école de la majorité.  Toute école, qu’elle soit de la minorité ou non, vise à assurer l’actualisation du potentiel humain de ses élèves.  Mais l’école de la minorité, on se préoccupe nécessairement aussi de la construction identitaire des élèves.  Autrement dit, la construction identitaire fait partie intégrante du programme scolaire, alors que dans une école de la majorité, l’identification de l’élève à la langue parlée à l’école est un fait qui est généralement pris pour acquis.  D’autre part, les écoles de la minorité se préoccupent également de la préparation de la relève et du leadership communautaire pour la minorité.  Le recrutement de la clientèle scolaire est un autre aspect de la mission éducative de l’école minoritaire qui ne fait pas nécessairement partie de la mission d’une école de la majorité.

[314]	Selon le Dr. Landry, pour être en mesure d’élaborer et de mettre en œuvre cette mission éducative particulière, les commissions scolaires de la minorité doivent jouir d’une autonomie complète, incluant le contrôle des budgets.

[315]	Le Dr. Landry a aussi parlé des difficultés de rétention dans les écoles minoritaires, au niveau secondaire.  Selon ses expériences et ses recherches, c’est une tendance qui s’observe dans plusieurs écoles de la minorité francophone.  À son avis, pour maximiser la rétention, il faut recruter un nombre maximal d’élèves le plus tôt possible pour favoriser la francisation; le programme primaire doit être excellent pour inciter les élèves à vouloir rester à l’école; le programme au niveau secondaire doit être attrayant pour pallier au fait que l’école ne pourra pas rivaliser avec la variété de cours et d’activités offertes dans les écoles de la majorité; et finalement, les infrastructures doivent être modernes et attrayantes pour pouvoir véritablement rivaliser avec les autres écoles.

	iii) 	taux de continuité linguistique


[316]	Le taux de continuité linguistique reflète la mesure dans laquelle la langue est transmise d’une génération à l’autre.  C’est, en fait, le contraire de l’assimilation.

[317]	Utilisant les données recueillies lors du recensement de 2006, le Dr. Landry conclut que le taux de continuité linguistique de la langue française dans les TN-O est inquiétant.  La mesure utilisée par Statistiques Canada est la langue parlée au foyer.  Selon lui, si une langue n’est pas parlée au foyer, il y a peu de chances que cette langue soit transmise à la prochaine génération.

[318]	En utilisant les chiffres concernant le nombre de répondants qui ont identifié le français comme langue maternelle, et le nombre de répondants qui ont dit parler le français le plus souvent à la maison, le Dr. Landry conclut que le taux de continuité linguistique dans les TN-O est de 42%.  Selon lui, la non utilisation de la langue française au foyer est très souvent reliée à l’exogamie, et le taux d’exogamie dans les TN-O est très élevé.

[319]	Pour le Dr. Landry, le phénomène de la non transmission de la langue française ne peut être contré que par une plus grande sensibilisation des parents aux conséquences de leurs choix langagiers, et par une plus grande complétude institutionnelle.

[320]	Concernant les pouvoirs de gestion dont dispose la CSFTN-O, le Dr. Landry a dit que le fait qu’elle n’ait pas les pleins pouvoirs sur ses infrastructures constitue un obstacle dans la réalisation de sa mission éducative. Il a réitéré que les conseils scolaires doivent jouir d’une certaine liberté pour être en mesure de remplir leur mission.

[321]	Le Dr. Landry a aussi expliqué que le manque d’espace dans une école minoritaire nuit aux conditions d’enseignement, mais qu’au-delà de cela, les lacunes dans les infrastructures ont un impact cumulatif négatif sur les élèves et les parents concernés, parce qu’elles créent chez eux une impression d’être des citoyens de seconde classe.


[322]	Il a aussi parlé de l’importance d’avoir des espaces homogènes distincts.  Il a expliqué que dans un environnement où la structure est bilingue, la langue majoritaire devient rapidement dominante.  Il a donné l’exemple d’une étude faite au Nouveau-Brunswick au sujet des écoles mixtes, dont une qui avait 95% d’élèves francophones, mais qui avait aussi des élèves anglophones qui logeaient dans une des ailes de l’école.  L’étude a démontré que la présence d’élèves anglophones avait un impact considérable sur l’ambiance scolaire, et que les élèves francophones avaient tendance à leur parler en anglais.

[323]	Le Dr. Landry a aussi été interrogé au sujet de l’importance de la garderie en milieu minoritaire.  Il a expliqué que la garderie et la maternelle sont un excellent moyen de francisation, et peuvent apporter un appui considérable aux familles exogames.  Au sujet de l’emplacement de la garderie, le Dr. Landry a dit qu’il ne connaissait pas d’études qui avaient conclu que son emplacement était un facteur significatif.  Mais il a dit que dans son expérience, la plupart des conseils scolaires cherchent à avoir la garderie au sein de l’école.

	iv) 	les nombres d’enfants visés par l’article 23

[324]	Dans son rapport et dans son témoignage, le Dr. Landry a exprimé des réserves quant à la fiabilité des résultats du recensement pour identifier le véritable nombre d’enfants visés par l’article 23 dans la communauté de Hay River.

[325]	Premièrement, les données du recensement sont arrondies de façon aléatoire, et l’impact de tels arrondissements est plus significatif pour les chiffres plus petits.

[326]	Il a aussi souligné que les questions posées dans le recensement ne tiennent compte que d’une seule catégorie de personnes visées par l’article 23, celle qui concerne la langue maternelle des parents.  Les deux autres catégories de personnes visées ne sont pas identifiables.  Le Dr. Landry estime que l’ajout de personnes de ces autres catégories pourrait augmenter le total d’ayants droit d’environ 20%.  Il souligne aussi que les données du recensement ne permettent pas d’identifier un enfant vivant dans une famille monoparentale avec le parent anglophone, mais dont l’autre parent serait francophone.  Selon lui, il pourrait y avoir jusqu’à 200 enfants d’ayants droit à Hay River, nonobstant les résultats du recensement de 2006.


[327]	Finalement, le Dr. Landry souligne que la clientèle cible pourrait augmenter encore davantage si on donnait accès au programme à des personnes qui ne sont pas strictement visées par l’article 23 (immigrants francophones qui ne sont pas citoyens canadiens; personnes dont les parents ne parlent pas français mais dont les grands-parents sont francophones).

[328]	Le Dr. Landry a dit être d’accord, jusqu’à un certain point, avec la suggestion que Al’offre crée la demande et non l’inverse@.  Mais il a reconnu que c’est très difficile de dire à quel degré.  Et il a reconnu qu’un dilemme se présente aux gouvernements quand vient le temps de décider d’investir ou non des fonds publics pour la création ou l’expansion d’écoles pour la minorité.  Il écrit dans son rapport:

Devant la question d’ouvrir une nouvelle école ou d’effectuer des rénovations coûteuses, il y a toujours un dilemme.  On peut, d’une part, en raison des petits nombres, ne pas construire l’école ou ne pas offrir de nouvelles facilités, ce qui peut contribuer à une baisse accrue des inscriptions ou les empêcher de croître, ou, d’autre part, on peut risquer de construire l’école ou de faire les rénovations importantes dans l’espoir que les chiffres augmenteront en raison des meilleures infrastructures scolaires.  L’expérience montre toutefois que, dans la plupart des cas, les nouvelles écoles (ex. les centres scolaires communautaires) ont contribué à une hausse des inscriptions scolaires, au point parfois que l’on a dû accroître les espaces disponibles par de nouvelles constructions.


[329]	En contre-interrogatoire, il a reconnu que les facteurs qui influencent les choix de fréquentation d’écoles minoritaires sont nombreux et complexes.  Il a reconnu qu’une forte proportion de couples exogames choisissent d’envoyer leurs enfants aux écoles de la majorité.  Il a aussi reconnu qu’il y a, aux TN-O, beaucoup de mouvement dans la population.

[330]	Le Dr. Landry a également reconnu qu’il ne connaît aucune étude qui a conclu que les infrastructures ont un impact sur le fait que les élèves quittent ou non une école minoritaire.  Il a cependant maintenu son opinion que c’était un des facteurs et a dit qu’il fondait cette opinion sur son expérience.  Il a reconnu qu’il ne connaissait pas de recherche scientifique qui avait spécifiquement analysé les causes des départs d’élèves des écoles minoritaires.

[331]	Au sujet de la fiabilité des statistiques générées par le recensement, le Dr. Landry a reconnu que les statisticiens tiennent compte de la taille de l’échantillon dans la détermination de la marge d’erreur des résultats.  Il a aussi reconnu que le calcul de la marge d’erreur est un processus très sophistiqué.  Mais il a maintenu son opinion que même en tenant compte de la marge d’erreur, le problème d’absence de stratification lui fait douter de la fiabilité des résultats.


[332]	Il y a eu des moments quelque peu tendus pendant le contre-interrogatoire du Dr. Landry.  Je suis intervenue pour décréter une pause parce que le contre-interrogatoire prenait des allures de débat politique entre le procureur et le témoin.  Cet état de choses a été le résultat, à mon avis, autant du ton et de la teneur des questions que du ton et de la teneur des réponses.  Mais par la suite, les choses sont rentrées dans l’ordre.

[333]	Plusieurs des recherches du Dr. Landry portent sur l’éducation en milieu minoritaire.  Visiblement, c’est non seulement pour lui un domaine d’expertise, mais aussi une passion.  Toutes les fois où il a été appelé comme témoin expert dans des procès, c’était, comme en l’espèce, dans le cadre de la preuve présentée par la partie qui cherchait à faire valoir les droits de la minorité francophone.

[334]	Mais le degré d’expertise du Dr. Landry n’est pas contesté, et j’accepte les opinions qu’il a exprimées concernant la construction identitaire, la vitalité linguistique d’une communauté minoritaire, et l’importance de l’école dans ce contexte.  Il a une vaste expertise en ce domaine et ses conclusions sont appuyées par de nombreuses recherches.


[335]	Certains aspects de son témoignage portaient sur des sujets qui n’avaient pas été identifiés spécifiquement comme des domaines d’expertise dans lesquels les Demandeurs voulaient le faire qualifier en tant qu’expert (par exemple, les facteurs qui affectent le recrutement et la rétention d’élèves en milieu minoritaire ou ceux qui influencent l’assimilation en milieu minoritaire).  Mais j’estime que ces domaines font partie intégrante des domaines pour lesquels le Dr. Landry a été qualifié pour témoigner en tant qu’expert.  Ces sujets sont inter-reliés, et, dans une certaine mesure, difficiles à dissocier les uns des autres.

[336]	En somme, étant donné son expérience et l’étendue de ses recherches, je considère le témoignage du Dr. Landry crédible et digne de foi.  Il a lui-même apporté plusieurs nuances à certains aspects de son témoignage, ce qui à mon avis ajoute à sa crédibilité en tant que témoin, et à la force probante de son témoignage.

l. 	Dr. Wilfrid Denis

[337]	Le Dr. Wilfrid Denis est sociologue, et se spécialise dans les études ethniques. Les Demandeurs ont demandé au tribunal de permettre au Dr. Denis de témoigner comme expert dans ces deux domaines.  À la conclusion du voir dire, j’ai accédé à cette demande et ai qualifié le Dr. Denis comme témoin expert dans le domaine de la sociologie et les études ethniques.  Le rapport d’expert du Dr. Denis a été versé en preuve (pièce #112).


[338]	Les Défendeurs se sont objectés à certains extraits du rapport au motif qu’ils relevaient de l’opinion juridique.  Le rapport contient diverses références à l’article 23 de la Charte et à certains aspects de la jurisprudence qui s’y rattache.  Je n’ai pas tenu compte de ces aspects de son rapport.

[339]	Le Dr. Denis a exprimé des réserves concernant les résultats du recensement, tout en reconnaissant que ces données peuvent être utiles.  Il a reconnu les utiliser régulièrement dans le cadre de ses recherches et de son travail.

[340]	Il a souligné que l’arrondissement aléatoire des résultats nuit à la fiabilité des résultats, et que ce problème est plus marqué quand il s’agit de plus petits nombres.

[341]	Il a aussi expliqué que les concept de Alangue maternelle@ et de Alangue encore comprise@ sont plus subjectifs que ce qu’on pourrait penser à première vue.  Il est d’avis que dépendamment du contexte, ceci peut mener à une sous-identification des ayants droit, particulièrement si le taux d’assimilation est élevé et que la communauté minoritaire subit une infériorisation.  Selon lui ceci qui peut rendre certains de ses membres moins disposés à s’y associer.


[342]	Le Dr. Denis a dit que les membres de la minorité francophone hors Québec font face à plusieurs défis démographiques, notamment l’assimilation, l’exogamie et la baisse du taux de natalité.

[343]	Il a aussi parlé des effets que les politiques gouvernementales peuvent avoir sur les minorités. Si ces politiques sont restrictives, elles peuvent avoir un effet démoralisant et démobilisant pour la communauté minoritaire.  Le procureur des Demandeurs lui a demandé de parler de l’effet qu’aurait, selon lui, une directive telle la directive ministérielle de juillet 2008.  Le Dr. Denis a répondu que l’effet concret de la directive dépendrait de la façon dont elle serait appliquée, mais que de toute façon il y aurait un effet immédiat sur le fonctionnement des écoles, puisque la commission scolaire ne pourrait plus gérer les admissions.  Il a expliqué qu’un des impacts pour la communauté minoritaire est de recevoir un message négatif concernant sa capacité de gestion.


[344]	Le procureur des Demandeurs a ensuite demandé au Dr. Denis de faire des commentaires concernant la politique d’admission de 2009 de la CSFTN-O.  Il s’est dit impressionné par cette politique, à cause du nombre de critères qui doivent être considérés dans la décision d’admettre ou non un enfant de non ayant droit à l’école minoritaire.  Il a expliqué que l’inclusion de personnes ayant des ancêtres francophones constitue pour lui une reconnaissance de l’importance de récupérer les générations perdues.  L’inclusion des immigrants reconnaît l’augmentation de l’immigration au Canada et son impact démographique. Et la politique reconnaît aussi que certains anglophones puissent vouloir établir un lien authentique avec la communauté francophone et contribuer à sa revitalisation.

[345]	Il a expliqué que cette ouverture et cette conception plus large de ce que peut être la communauté francophone peut contribuer à créer ce qu’il a appelé un Aentonnoir vers le haut@, où les institutions de la communauté minoritaire deviennent un moyen d’accroître ses nombres.  Sans mesures de ce genre, selon lui, c’est souvent plutôt un effet d’ Aentonnoir vers le bas@qui se produit: l’assimilation, la dénatalité et l’exogamie font que l’effectif cible diminue de plus en plus, et finit par disparaître.

[346]	Le Dr. Denis est d’avis que le taux d’assimilation dans la ville de Hay River est de 68 à 69%; pour la ville de Yellowknife, il est de 50%.  Il considère ces chiffres très inquiétants.


[347]	Il a parlé, comme l’a fait le Dr. Landry, du concept de complétude institutionnelle.  Selon lui, la complétude institutionnelle de la communauté francophone de Hay River est faible, et ce, depuis très longtemps.  Selon lui un facteur clé dans ce manque de développement communautaire a été l’absence d’une école gérée par la communauté.

[348]	Le Dr. Denis a parlé, en lien avec cela, du processus d’infériorisation des individus, et du fait que l’un des impacts sociologiques qui en découle est une incapacité à s’organiser et à revendiquer ses droits.  Éventuellement, ceci menace la pérennité de la communauté elle-même.

[349]	Selon le Dr. Denis, les deux écoles francophones dans les TN-O sont devenues le point de mire de la communauté, et jouent un rôle primordial pour susciter et promouvoir le développement et la revitalisation de la langue et la culture française.  Il écrit notamment dans son rapport:


Aux Territoires du Nord-Ouest, comme partout ailleurs au Canada à l’exception du Québec, l’école francophone est un symbole très visible au cœur de la communauté francophone en milieu minoritaire.  Elle joue un rôle instrumental et nécessaire dans la transmission générationnelle de la langue, de la culture et de l’identité et devient ainsi une institution incontournable pour assurer la pérennité de la communauté francophone.

[350]	Plus loin, il parle du dilemme auquel fait face la communauté francophone concernant ses écoles:

La communauté franco-ténoise et ses écoles font face à un dilemme très pénible.  La reconnaissance de ses droits au niveau du service éducatif qui en découle dépend en grande partie de ses nombres.  Le recrutement d’un nombre suffisant d’élèves est crucial afin d’assurer le fonctionnement des écoles francophones pour les ayants droit actuels et à venir. Par contre l’admission de non ayants-droit en trop grand nombre risque de transformer ses écoles en écoles d’immersion.

[351]	Le Dr. Denis estime que la politique d’admission de 2009 est un outil qui permettrait à la communauté minoritaire de bien gérer le risque évoqué dans l’extrait qui précède.  Selon lui la directive ministérielle crée un obstacle potentiel de plus dans l’épanouissement et la revitalisation de la communauté, surtout si elle est appliquée de façon restrictive et limite le recrutement d’effectifs pour l’école.

[352]	Le Dr. Denis a précisé que dans la mesure où la communauté francophone minoritaire fait le choix de s’ouvrir à une clientèle cible qui inclut des personnes qui ne parlent pas français, il est important pour elle de bien gérer la situation et de s’assurer que les ressources sont en place pour les intégrer.


[353]	En contre-interrogatoire, le Dr. Denis a reconnu que les données issues du recensement sont plus fiables si le formulaire long est utilisé pour toute la population d’une communauté donnée.  Mais il a précisé que l’échantillonnage ne change rien aux facteurs subjectifs qui peuvent mener à une sous-identification des ayants droit.  Il a aussi reconnu que même si les données du recensement ne sont pas parfaites, elles constituent quand même un outil de base pour les chercheurs.

[354]	Il a reconnu que le taux d’immigration dans les TN-O n’est pas aussi élevé que dans certaines autres parties du Canada, et que la plupart des immigrants choisissent de s’établir en milieu urbain.  Il a aussi reconnu que dans les autres juridictions au Canada les immigrants n’ont pas non plus de droit automatique de s’inscrire dans une école de la minorité.

[355]	Il a reconnu que contrairement à ce qu’il a écrit au paragraphe 34 de son rapport, l’effet de la directive ministérielle n’est pas d’interdire aux personnes ayant des ancêtres francophones d’inscrire leur enfant à l’école francophone, mais plutôt, que ces personnes peuvent le faire, mais sur permission du Ministre.

[356]	Il a reconnu que l’admission d’un trop grand nombre de non parlants français dans une école minoritaire peut causer des problèmes.  Concernant des pourcentages précis qui ne devraient pas être dépassés, le Dr. Denis ne s’est pas clairement prononcé.  Il a affirmé que tout dépendait des programmes disponibles pour la francisation.

[357]	Le procureur des Défendeurs lui a suggéré que si l’école en est au point de devoir franciser toute une classe, elle devient une école d’immersion.  Le Dr. Denis n’était pas d’accord.  Il a précisé que la distinction entre une école d’immersion et une école francophone tient plutôt aux différences entre leurs missions respectives et la nature du programme qu’elles offrent.

[358]	Le Dr. Denis a reconnu ne pas avoir vu, avant son témoignage, la politique d’admission de 2002.  Après l’avoir lue, il a reconnu qu’elle était moins détaillée et  se prêtait plus à une application mécanique que celle de 2009.


[359]	J’estime que le témoignage du Dr. Denis est crédible et digne de foi.  Il a apporté plusieurs nuances pendant son témoignage, et les opinions qu’il a exprimées sont bien motivées et étayées par de nombreuses recherches.  Ses conclusions concernant les facteurs qui contribuent à l’assimilation d’une communauté minoritaire, ou qui au contraire, l’aident à se revitaliser, rejoignent ce que le Dr. Landry a dit concernant ces sujets.

m. 	Extraits de l’interrogatoire au préalable de Paul Devitt

[360]	Les Défendeurs ont versé en preuve, conformément aux règles de procédure civile, des extraits de l’interrogatoire au préalable de M. Devitt.  M. Devitt a été appelé comme témoin par les Défendeurs.  Aucune incohérence n’a été relevée entre ses réponses dans son interrogatoire au préalable et son témoignage au procès.  J’aborde le témoignage de M. Devitt plus loin, aux Paragraphes 463 à 497.

2. 	Questions de recevabilité

[361]	La recevabilité de plusieurs éléments de preuve présentés par les Demandeurs est contestée par les Défendeurs au motif qu’il s’agit de ouï-dire.  Il est donc utile de rappeler le cadre juridique qui régit la recevabilité de la preuve par ouï-dire.

a. 	Cadre juridique régissant la recevabilité du oui dire

[362]	Le ouï-dire se définit comme étant une déclaration faite hors de la présence du tribunal, que l’on présente par l’entremise du témoin qui a entendu la déclaration, pour prouver la véracité de son contenu.

[363]	Ses caractéristiques déterminantes sont que, (1) la déclaration est présentée pour prouver la véracité de son contenu, et (2) le contre-interrogatoire du déclarant au moment où il fait sa déclaration n’est pas possible.

[364]	La possibilité de contre-interroger un témoin pour tester ses dires est un aspect primordial de notre système judiciaire.  Cette possibilité n’existe pas quand, plutôt que de faire témoigner une personne sur ce qu’elle sait, a observé, ou ressent, on présente ses propos par l’entremise d’une tierce personne.

[365]	La règle de base est que le ouï-dire n’est pas recevable.  Cette règle générale tient essentiellement à l’incapacité, pour la partie adverse et le juge des faits, de vérifier la fiabilité de la déclaration:


Si le déclarant n’est pas présent en cour, il peut se révéler impossible de mettre à l’épreuve sa perception, sa mémoire, sa relation au fait en question ou sa sincérité.  Il se peut que la déclaration elle-même ne fasse pas l’objet d’un compte-rendu exact. Des erreurs, des exagérations ou des faussetés délibérées peuvent passer inaperçus et donner lieu à des verdicts injustes.

R. c. Khelawon, [2006] CSC 57, para. 2

[366]	Par contre, la jurisprudence a toujours reconnu certaines exceptions à la non recevabilité du ouï-dire.  La justification pour ces exceptions était que certaines choses pouvaient pallier aux risques inhérents du ouï-dire.  La jurisprudence a donc progressivement reconnu une série d’exceptions à la règle de non recevabilité.


[367]	Éventuellement la Cour Suprême du Canada a décidé d’aborder la question de recevabilité du ouï-dire différemment.  Plutôt que de se fonder sur des catégories spécifiques d’exceptions, chacune avec leurs propres critères d’application, elle a établi des principes directeurs pour régir, dans tous les cas, la question à savoir si le ouï-dire est recevable ou non.  Ainsi est né le concept de Al’exception générale raisonnée@ à la non recevabilité du ouï-dire, qui a été développé et précisé par la Cour suprême du Canada dans plusieurs arrêts subséquents.  R. c. Khan (1990), 79 C.R. (3d) 1 (C.S.C.); R. c. Smith (1992), 15 C.R. (4e) 133 (C.S.C.); R. c. B. (K.G.), (1993) 79 C.C.C. (3e) 257 (C.S.C.); R. c. U.(F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764, R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Parrott (2001), 150 C.C.C. (3d) 449; R. c. Mapara 2005 CSC 23; R. c. Khelawon, supra.

[368]	Les deux critères qui régissent maintenant la recevabilité du ouï-dire sont la nécessité et la fiabilité.  Pour que le ouï-dire soit recevable, il faut que le tribunal soit convaincu qu’il est nécessaire de permettre ce type de preuve plutôt que de procéder de la façon habituelle, c’est à dire en faisant témoigner le déclarant lui-même.  Il faut aussi que le tribunal soit convaincu que la preuve en question rencontre un seuil de fiabilité suffisant.  Il ne s’agit pas ici de décider de la fiabilité ultime, ou de la force probante de la preuve, mais plutôt de décider si elle rencontre un seuil de fiabilité suffisant pour être versée comme preuve au procès, et sujette à être évaluée par le juge des faits.  C’est la partie qui présente la preuve qui a le fardeau d’établir, par prépondérance de preuve, que les conditions de recevabilité sont remplies.  En l’espèce, ce fardeau repose donc sur les Demandeurs.

[369]	Le critère de la nécessité a été élaboré dans Khan, le premier arrêt de la Cour suprême à adopter l’approche de l’exception générale raisonnée.  Ce critère a été réexaminé et raffiné dans plusieurs arrêts subséquents.

[370]	Le concept de nécessité ne signifie pas une nécessité absolue; il faut plutôt que la partie qui demande que la preuve par ouï-dire soit reçue démontre que c’est raisonnablement nécessaire de procéder de cette façon.

[371]	La nécessité ne suppose pas nécessairement la non disponibilité du témoin, mais plutôt la non disponibilité du témoignage.  Il n’y a pas de règle absolue qui régit de quelle façon la nécessité doit être démontrée.  Il faut lui donner une définition souple, susceptible d’englober différentes situations.  R. v. Smith, supra, au para. 36.

[372]	La jurisprudence démontre qu’il existe tout un éventail de situations où le critère de la nécessité est rencontré.  Ces exemples incluent les cas où le déclarant est décédé ou disparu; le déclarant n’a aucun souvenir indépendant des évènements au moment du procès; le déclarant est incapable de témoigner en raison de son trop jeune âge; le déclarant souffre d’une incapacité mentale ou psychologique; le déclarant n’est pas contraignable comme témoin; le déclarant est disponible mais est hostile à la partie qui cherche à mettre en preuve ses déclarations; le déclarant témoigne, mais contredit une déclaration antérieure; il est établi qu’ il existe une possibilité réelle de traumatisme psychologique si le déclarant était contraint de témoigner.

[373]	Le deuxième critère qui doit être considéré est la fiabilité.  Tout comme pour le premier critère, on doit lui attribuer un sens souple.  Il n’est pas question ici de fiabilité absolue de la preuve ni de sa force probante.  Il s’agit plutôt de déterminer si la preuve au sujet de la déclaration et des circonstances dans lesquelles elle a été faite renferme suffisamment d’indices de fiabilité pour la rendre recevable.

[374]	Ce seuil de fiabilité peut être établi de manières différentes. Parfois, les circonstances de la déclaration lui donnent une fiabilité inhérente.  Il se peut aussi que les circonstances de la déclaration soient telles qu’il n’existe pas de préoccupation réelle quant à sa véracité.  Par exemple, si la déclaration a été prise sous serment, ceci ajoute à sa fiabilité; si le déclarant a été sujet à un contre-interrogatoire au moment de la déclaration (dans le cadre d’une enquête préliminaire, par exemple), la déclaration a été testée et peut être considérée comme plus fiable.

[375]	C’est à la lumière de ces principes que la recevabilité de la preuve par ouï-dire présentée par les Demandeurs doit être examinée.

b. 	Propos des élèves


i) 	la teneur de la preuve

[376]	Mme Boulanger a témoigné au sujet de conversations qu’elle a eues avec ses filles concernant, notamment, leur désir de changer d’école pour diverses raisons.  Il y a une année (Mme Boulanger n’a pas précisé laquelle) où sa fille D. lui demandé de changer d’école.  Elle trouvait difficile de devoir aller suivre ses cours de musique à l’École Diamond Jenness; cette année-là, elle prenait aussi 2 cours par correspondance.  Cette année scolaire a été difficile, et Mme Boulanger était résignée au fait que D. quitterait l’École Boréale.  Mais D. a finalement décidé d’y rester.

[377]	  Mme Boulanger a aussi dit que son autre fille, K., demandait parfois pourquoi l’École Boréale n’avait pas son propre gymnase, et elle trouvait difficile de lui répondre.

[378]	Mme Call a témoigné au sujet de conversations qu’elle a eues avec 2 élèves au cours de l’été 2009.  Ces élèves avait fait leur 10e année à l’École Boréale l’année précédente, et faisaient partie de ceux qui avait suivi leurs cours au Ptarmigan Inn.


[379]	Ces deux élèves ont décidé d’aller faire leur 11e année à l’École Diamond Jenness.  Mme Call a parlé de ce qu’ils lui ont dit au sujet de cette décision.  Le premier avait des inquiétudes concernant les choix de cours qui lui seraient disponibles en 11e année, et voulait vivre un Avrai secondaire@, avec plus d’élèves, et plus d’activités.  Le deuxième élève lui a expliqué qu’il voulait un vrai espace de secondaire, plus d’élèves, et l’accès à plus d’équipes sportives.

[380]	Mme Call a parlé de 4 autres élèves qui ont quitté l’École Boréale après l’année scolaire 2009-2010.  Elle a surtout parlé aux parents de deux de ces élèves, qui ont parlé de la vie parascolaire et du plus grand choix de cours à l’École Diamond Jenness.

[381]	Mme Taillefer a aussi témoigné au sujet de pertes d’élèves du temps où elle était directrice de l’école.  Elle a dit que plusieurs de ces pertes étaient dues à des déménagements, mais que 2 élèves avaient quitté à cause du manque d’accès à un gymnase pour les activités sportives parascolaires.  Mme Taillefer a discuté des raisons des départs de ces élèves avec leurs parents.


[382]	M. St John a aussi témoigné à l’effet que son fils le plus âgé est très sportif et a demandé de changer d’école, pas pour aller à Diamond Jenness mais pour aller dans une école à l’extérieur des TN-O où il y aurait des programmes sportifs supérieurs.  Deux autres de ses fils lui ont aussi demandé de changer d’école. M. St John a dit que dans les conversations, le sujet du gymnase revient souvent.

ii) 	Analyse

[383]	Les Demandeurs veulent que je déclare ces éléments de preuve recevables pour établir la véracité de leur contenu, c’est à dire la raison pour lesquelles ces élèves ont voulu quitter l’École Boréale ou l’ont effectivement quittée.

[384]	Les Demandeurs ont demandé que des éléments de preuve similaires soient déclarés recevables dans le recours CV2005000108.  J’ai conclu que ces éléments de preuve ne sont pas recevables en vertu de l’exception générale raisonnée en matière de ouï-dire.  Association des Parents ayants droit de Yellowknife et al. c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al., 2012 CSTN-O 43, paras. 327-351.  Les mêmes principes s’appliquent ici, et j’arrive à la même conclusion, essentiellement pour les mêmes motifs.

[385]	  Selon moi, le critère de la nécessité n’est pas établi.  Comme dans le cas du recours CV2005000108, il est question ici d’un relativement petit nombre d’élèves  et il n’y a aucune preuve qui suggère qu’il n’aurait pas été possible de les faire témoigner eux-mêmes au sujet des raisons qui les ont poussés à quitter l’école.


[386]	Pour ce qui est de la fiabilité, la preuve concernant les circonstances des conversations est plutôt vague, sauf pour le témoignage de Mme Call, qui est assez précis.  Mais on ne peut pas présumer d’emblée qu’un adolescent dirait nécessairement tout le fond de sa pensée à ses parents ou à sa directrice d’école, même en présumant qu’il l’aime bien, concernant les raisons pour lesquelles il ou elle désire changer d’école.  Quant aux conversations que les témoins ont eues avec des parents d’élèves concernant les départs, il s’agit de double ouï-dire qui est encore moins fiable.

[387]	Pour les fins des présents motifs, j’adopte l’essentiel de l’analyse élaborée dans les motifs auxquels j’au fait référence au Paragraphe 384.  Je conclus que la preuve concernant les propos d’élèves et de parents concernant les départs, tels que rapportés par les témoins au procès, n’est pas recevable.

c.  	Usage qui peut être fait du document « Vision 20-20 » (pièce # 11)

[388]	Le document Vision 20-20, dont M. Lavigne et d’autres témoins ont parlé, a été versé en preuve pendant le témoignage de Mme Montreuil, qui était la présidente de la CSFTN-O au moment du procès.  Les parties ne s’entendent pas au sujet de l’usage qui peut en être fait dans le cadre de ce recours.  Je rappelle que le document est un rapport préparé par un consultant qui a été engagé en 2003 par la CSFTN-O pour faire une analyse globale des besoins en éducation de la communauté francophone des TN-O, pour permettre à la CSFTN-O d’identifier ses priorités et élaborer un plan stratégique.  Le rapport final fait état de consultations avec de nombreuses personnes, relate l’histoire du développement du programme en français langue première dans les TN-O, et fait référence à des études menées par d’autres chercheurs sur des sujets pertinents à l’éducation en français dans les TN-O.
Les Demandeurs affirment que ce document est recevable pour prouver la véracité de l’ensemble de son contenu

[389]	Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je vois mal comment ce document pourrait être utilisé pour prouver la véracité de son contenu.  L’auteur du rapport n’a pas témoigné au procès.  Le rapport est un condensé d’opinions et de faits relatés par un grand nombre de personnes. Certaines, dont Mme Montreuil, ont témoigné au procès. Plusieurs autres n’ont pas témoigné.  Le rapport contient aussi des renseignements tirés de d’autres sources, dont des études menées par des gens qui n’ont pas témoigné non plus.

[390]	Je ne répéterai pas ici ce dont j’ai déjà fait état dans mon analyse des principes qui régissent l’exception générale raisonnée à la non recevabilité du ouï-dire.  Mais la pièce #11 ne rencontre absolument pas les critères établis par la jurisprudence.  Je reconnais que vu l’ampleur du sujet et le nombre de personnes consultées dans le cadre de cette étude, des considérations d’ordre pratique donnent certaines munitions aux Demandeurs pour rencontrer le critère de la nécessité.  Mais pour moi, il est clair que le seuil de fiabilité nécessaire pour rendre cette preuve recevable pour la véracité de son contenu n’a pas été établi.


[391]	Il est vrai que Mme Montreuil, M. Lavigne, et d’autres personnes qui ont témoigné au procès, font partie des personnes consultées pendant le processus qui a mené à ce rapport, ainsi que dans le processus de rétroaction qui a été suivi avant que le rapport soit finalisé.  Mais sans le témoignage de l’auteur du document, la majeure partie de la preuve qui porte sur la fiabilité du document est elle-même du ouï-dire, car elle est venue de témoins qui n’en ont pas connaissance personnelle.

[392]	Je conclus donc que la pièce #11 ne peut pas, en vertu de nos règles de preuve, établir la véracité de son contenu.  Cela ne veut pas dire pour autant que le document n’est pas pertinent ou utile pour les fins du présent recours.  Le document a été communiqué au GTN-O, et explique en détails les assises sur lesquelles les revendications de la CSFTN-O sont fondées.  Les représentants de la CSFTN-O y ont maintes fois fait référence dans leur correspondance et leurs discussions avec les représentants du GTN-O.  Le document est recevable pour établir que les Défendeurs connaissaient les revendications des Demandeurs, et leur fondement factuel et juridique.

d. 	La Pièce « H »

[393]	La pièce « H » est dépliant qui a été préparé pour le compte de l’Association Franco-culturelle de Hay River à l’occasion de son 20e anniversaire en 2007.  Il retrace le rôle qu’a joué l’Association dans l’établissement du premier programme de francisation et la création du programme d’enseignement en français.  Le dépliant contient des témoignages de gens qui étaient impliqués à l’époque.  Les Demandeurs veulent que ce document soit versé en preuve pour établir la véracité de son contenu.

[394]	À mon avis ce document n’est pas recevable pour faire preuve de son contenu, pour les mêmes raisons que le document « Vision 20-20 » ne l’est pas.  Mais de toute façon, en ce qui concerne la création du programme de francisation et le programme scolaire, l’historique général est établi par d’autres éléments de preuve, notamment les témoignages de Mme Taillefer et de Mme Boulanger.

e. 	La Pièce « K »


[395]	La pièce « K » est intitulée « Étude de besoins pour la mise sur pied d’une garderie francophone à Hay River, Territoires du Nord-Ouest ».  Cette étude a été commandée par l’Association franco-culturelle de Hay River et date de septembre 2008.

[396]	Les Demandeurs veulent que ce document soit versé en preuve pour faire preuve de son contenu.  Les Défendeurs s’y objectent parce que c’est du ouï-dire.

[397]	En ce qui a trait à l’exception générale raisonnée, je considère ce document analogue au rapport « Vision 20-20 ».  Pour les motifs que j’ai évoqués en traitant de la recevabilité de ce rapport, à mon avis, la pièce « K » n’est pas non plus recevable.

[398]	Les Demandeurs s’appuient également sur l’article 47 de la Loi sur la Preuve, R.S.W.T. 1988, c. E-8 pour affirmer que le document est recevable.  Cet article prévoit que:

47.	(1)	Au présent article, Aaffaires@ s’entend de toute affaire, profession, occupation ou tout métier, qu’ils soient exercés ou exploités en vue d’un profit ou non.

(2)	L’enregistrement d’un acte, état ou d’un événement dans le cadre des affaires est admissible en preuve, dans la mesure où il est pertinent, dans les cas suivants:

a)	celui qui a la garde de l’enregistrement ou une autre personne compétente témoigne de sa nature, de son mode de préparation et du fait qu’il a été établi dans le cours usuel et ordinaire des affaires, au moment de l’acte, de l’état ou de l’évènement, ou dans un court délai après ceux-ci;


b) 	de l’avis du tribunal, les sources d’information, le mode et le moment de la préparation justifiaient son admission.

[399]	Pour qu’un document soit admissible, les conditions des deux alinéas doivent être remplies. La version française de la disposition pourrait être ambigüe à cet égard, mais le mot Aand@ apparaît à la fin de l’alinéa (a), dans la version anglaise, ce qui est beaucoup plus clair : pour être recevable, le document doit donc avoir été préparé dans le cours usuel des affaires.  Or, le témoignage de Mme Boulanger n’est pas à cet effet.  Il ne fait pas partie des activités usuelles et courantes de l’Association franco-culturelle de commander des études de ce genre.  Je ne peux donc pas me rendre à l’argument des Demandeurs que l’étude de besoins en garderie est recevable en vertu de l’article 47.  Selon moi, ce document n’est donc pas recevable.

f. 	La Pièce « L »

i) 	la preuve concernant la pièce « L »

[400]	La pièce « L » est la compilation de données obtenues par la FNCSF auprès de ses  membres, concernant leur politique d’admission au programme d’enseignement en français, et la proportion de leurs effectifs qui sont des enfants de non ayants droit.


[401]	Il est clair que le contenu de ce document est du ouï-dire.  La question est de savoir si cette preuve est néanmoins admissible en vertu de l’exception générale raisonnée.

[402]	M. Paul a expliqué la méthode qui a été suivie pour produire le document.  La FNCSF a développé un questionnaire détaillé et l’a fait parvenir à ses membres avec des instructions précises.  La première partie du questionnaire dresse un portrait global, et la deuxième demande des données pour chacune des écoles.

[403]	Avant de procéder à la cueillette de données, la FNCSF a rencontré les directions générales pour s’assurer d’une bonne compréhension du questionnaire et du but de l’exercice.  Le questionnaire a été envoyé, dans chaque conseil scolaire, à la personne qui est responsable des données dans le conseil scolaire.  Les données individuelles concernant les écoles devaient être validées par la direction de l’école.  Et le directeur général de chaque conseil scolaire était responsable de signer le produit final qui allait être remis à la FNCSF.

[404]	Quant aux diverses politiques d’admission, elles ont été envoyées à la FNCSF par les conseils scolaires. Selon M. Paul, ces politiques sont également toutes disponibles sur des sites web.

[405]	En contre-interrogatoire, M. Paul a reconnu que la pièce « L » n’est pas un document final.  Il a précisé que la cueillette de données n’a pas été faite spécifiquement à cause du présent recours, parce que cette question était d’intérêt pour les membres de la FNCSF depuis un certain temps déjà.  M. Paul a précisé que le rapport sera accessible au public quand il sera dans sa forme finale.  Les noms des élèves n’apparaîtront pas dans la version qui sera rendue publique.


[406]	M. Paul a reconnu que l’information contenue dans les tableaux de la pièce « L » sont nécessairement dérivés de d’autres documents primaires.  Il a reconnu que la FNCSF n’a pas vérifié les informations à partir des documents primaires.  Il a souligné qu’il aurait été difficile de le faire puisque les conseils scolaires sont des conseils autonomes et indépendants.

	ii) 	analyse

[407]	Comme j’en ai fait état précédemment, la recevabilité de ce document doit être décidée à la lumière des principes établis par la Cour suprême du Canada au sujet de l’exception générale raisonnée.


[408]	Le premier critère est la nécessité.  À mon avis, il est clairement établi en l’espèce.  Cette fois, je suis entièrement d’accord avec les Demandeurs: il aurait été impossible pour eux de faire témoigner chaque directeur de chaque école sous la juridiction des 31 conseils scolaires qui sont membres de la FNCSF pour témoigner au sujet de leurs effectifs scolaires.

[409]	Je suis également satisfaite que le critère de la fiabilité est rencontré.  Le témoignage de M. Paul établit que la FNCSF a pris des mesures pour s’assurer que les directeurs des conseils scolaires comprenaient le questionnaire et le processus.  Le fait que les données compilées par les conseils scolaires aient dû être validées par la direction de chaque école confère une fiabilité accrue aux données recueillies.  L’obligation pour le directeur du conseil scolaire de signer la compilation avant qu’elle ne soit envoyée à la FNCSF ajoute aussi un niveau de contrôle et de fiabilité au processus.  Et il n’y a rien dans la preuve qui suggère que la FNCSF n’a pas bien compilé l’information qu’elle a reçue.

[410]	Les Défendeurs n’ont pas eu accès aux documents primaires, ni n’ont eu la possibilité de contre-interroger les personnes qui ont fourni l’information qui se retrouve dans les tableaux.  Mais la preuve révèle que le processus suivi pour recueillir l’information était suffisamment rigoureux pour lui donner le seuil de fiabilité nécessaire pour que le document soit reçu en preuve.

[411]	  Pour ces motifs je déclare la pièce « L » recevable.

g. 	La pièce « Q »

[412]	La pièce « Q » est une note datée du 1er décembre 2009, envoyée au Ministre par son sous-ministre de l’Éducation.  Cette lettre concerne la demande présentée par Mme Steinwand au Ministre pour qu’il permette que sa fille soit inscrite à l’École Boréale.  Le Ministre avait rejeté la demande présentée par Mme Steinwand à l’origine.  Mme Steinwand  a envoyé au Ministère de l’information supplémentaire, incluant le fait qu’elle parlait le français Mitchif couramment quand elle était enfant.

[413]	Dans sa note, le sous-ministre recommande que la permission d’inscrire l’enfant soit accordée, même si il n’existe pas d’obligation juridique de le faire.  Le sous-ministre signale que la décision est une question de politique ministérielle, mais qu’elle pourrait créer certaines attentes chez des parents ayant des ancêtres francophones.

[414]	Les Défendeurs prétendent que cette note n’est pas recevable en preuve parce qu’elle contient un avis juridique et est sujette au privilège protégeant le secret du délibéré.

[415]	Le privilège protégeant le secret du délibéré est bien établi : un juge ne peut être contraint de témoigner au sujet de son  processus décisionnel. Les tribunaux ont reconnu une protection semblable aux membres de tribunaux administratifs.  Même si le secret du délibéré n’est pas le même pour les tribunaux administratifs que pour les cours de justice, le secret demeure la règle et ne peut être levé que si la partie qui cherche à le faire peut faire état de raisons sérieuses de croire que les règles de justice naturelle n’ont pas été suivies dans le processus.  Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales),[1992] 1 R.C.S. 952, p.965.

[416]	Je suis loin d’être convaincue que le même raisonnement soit applicable en l’espèce, mais je n’ai pas à décider de la question.  À mon avis, les Défendeurs ont renoncé à tout privilège qui pourrait s’appliquer à ce document.  En effet, plusieurs autres documents du même genre ont été versés en preuve sans objection de la part des Défendeurs.  La pièce #204 inclut plusieurs notes du sous-ministre au Ministre, concernant des demandes de permission d’inscription: celle du 30 juin 2009, concernant les enfants Blackman, Cassidy, Low, et Reinjes; celle du 27 juillet 2009 concernant la première demande pour l’enfant Steinwand; celle du 25 septembre 2009 concernant l’enfant Levenson.

[417]	La pièce « Q » est de même nature que ces autres documents.  Évidemment, le contenu de ces notes varie d’une fois à l’autre selon les situations, mais essentiellement, elles sont de même nature: elles sont les recommandations au Ministre concernant la décision à prendre.


[418]	Il est vrai que les commentaires du sous-ministre dans la pièce « Q » précisent que la décision de permettre l’admission de l’enfant est une décision qui relève de la politique ministérielle, et non d’un principe de droit. Mais ce commentaire ne fait pas de la note un avis juridique.  D’ailleurs, les Défendeurs ne soulèvent pas ici le privilège entre avocat et client.

[419]	Je conclus que la nature du document n’est pas un empêchement à ce qu’il soit versé en preuve.

[420]	Indépendamment de la question concernant le privilège, le document n’est admissible que s’il est pertinent.  Selon moi, il l’est.  Ce recours n’est pas une demande en contrôle judiciaire des décisions prises par le Ministre dans l’application de la directive, mais plutôt sur le pouvoir du Ministre de l’adopter en premier lieu.

[421]	Cependant, l’application de la directive, les circonstances qui ont mené à sa mise en œuvre, toute comme la politique d’admission de la CSFTN-O et la façon dont elle a été mise en œuvre, font partie du contexte dans lequel la question de fond - qui, du gouvernement ou de la commission scolaire minoritaire, a le droit de décider de l’accès au programme d’enseignement en langue minoritaire – doit être examinée.  De plus, l’application de la directive peut être pertinente dans le choix des mesures de redressement à accorder si je conclus que sa mise en œuvre constitue une violation de l’article 23.


[422]	Je conclus donc que la pièce « Q » est recevable.

h.  	Les pièces « F » et « G »

[423]	La pièce « F » est le questionnaire d’un sondage envoyé par la CSFTN-O aux parents et aux enfants des deux écoles francophones. La pièce « G » inclut les réponses à ce sondage.

[424]	Ces documents ont fait l’objet de très peu de preuve.  Ils ont seulement été soulevés pendant le contre-interrogatoire d’Yvonne Careen, la directrice de l’École Allain St-Cyr, dans le cadre du recours CV2005000108.  Mme Careen avait témoigné, entre autres, au sujet d’un sondage remis à certains élèves de l’école.  Les Défendeurs se sont objectés à la recevabilité des résultats de ce sondage, mais ont posé des questions à Mme Careen au sujet des pièces « F » et « G » pour faire valoir que ces documents suggéraient que les réponses données au sondage de Mme Careen n’étaient pas particulièrement fiables.

[425]	Étant donné que j’ai décidé, dans le cadre du recours CV2005000108, que le sondage de Mme Careen n’est pas recevable, et en l’absence de preuve établissant un fondement pour la recevabilité des pièces « F » et « G », je n’ai pas tenu compte de ces documents dans mes délibérations.

B. 	La preuve des Défendeurs

1. 	Survol des témoignages

a. 	Brian Nagel

[426]	M. Nagel est un haut fonctionnaire du Ministère des travaux publics du GTN-O.  Il a au-dessus de 20 ans d’expérience de travail au sein de ce ministère.  Dans ses fonctions actuelles, il est responsable de plusieurs dossiers concernant la gestion des infrastructures immobilières du GTN-O.


[427]	Il a expliqué que le GTN-O est propriétaire de plusieurs infrastructures, y compris environ 670 infrastructures majeures (hôpitaux, aéroports, écoles, centres médicaux).  Dans le cadre de ses fonctions M. Nagel est responsable de la planification financière reliée à l’entretien et la réparation de ces édifices (ce programme s’appelle le ADeferred Maintenance Program@).  Un tel programme est nécessaire parce que les besoins en entretien et réparations dépassent de beaucoup le budget qui peut y être consacré à chaque année.  Il doit donc y avoir une évaluation régulière et une priorisation de ces besoins.

[428]	M. Nagel est également responsable de la gestion du Plan capital (ACapital Plan@), et impliqué dans son développement.  Le plan est le document qui identifie les budgets attribués par le gouvernement pour les projets en immobilisation.  Il est le fruit d’un processus qui inclut plusieurs étapes.

[429]	M. Nagel préside un comité, sur lequel tous les ministères sont représentés, dont le mandat est d’examiner les projets proposés par les divers ministères.  Les ministères fournissent un document justificatif à l’appui des projets qu’ils mettent de l’avant.

[430]	Puisque le budget en immobilisation n’est jamais suffisant pour financer tous les projets proposés, des priorités doivent être établies.  La priorisation des projets se fait à l’aide d’une série de critères, appelés filtres primaires et secondaires.  La pièce #78 énumère et définit ces critères.  M. Nagel les a expliqués et donné des exemples de leur application.


[431]	Le comité présidé par M. Nagel évalue chaque projet à la lumière de ces critères et lui attribue une cote.  C’est ainsi que sont identifiés les projets qui ont le plus haut taux de priorité.  Ce sont ceux-là qui sont inclus dans l’ébauche de plan qui est préparée par son comité.

[432]	Cette ébauche est étudiée par un autre comité (« Deputy Minister Steering Committee »), sous la présidence du sous-ministre des Finances.  Tous les sous-ministres de ministères qui sont responsables d’immeubles siègent sur ce comité.  Le comité révise l’ébauche de plan, et le renvoie, avec des recommandations et des approbations, au comité  présidé par M. Nagel. L’ébauche de plan est alors révisée à la lumière des recommandations faites par les sous-ministres.  Le plan révisé est soumis à nouveau au comité des sous-ministres, qui le transmet ensuite au Ministère des Finances.  Le plan est ensuite soumis au Conseil du trésor du GTN-O (le AFinancial Management Board@).  Ultimement, il doit être approuvé par l’Assemblée Législative.


[433]	La pièce #79 est le Plan capital pour l’année 2011-2012.  Ce document contient les détails des projets en immobilisation qui ont été approuvés.  Les pages 8-1 à 8-8 concernent les projets qui sont du ressort du Ministère de l’Éducation.  La liste comprend des projets d’envergures variées.  Par exemple, un des projets concerne les deux écoles d’Inuvik et se chiffre à 115 millions de dollars; un autre, concernant une école de Hay River, se chiffre à 29 millions de dollars; d’autres, comme le remplacement du plancher du gymnase d’une autre école dans une autre communauté, se chiffre à $400,000.00

[434]	M. Nagel a expliqué que plusieurs projets présentés dans le processus qui a mené au plan de 2011-2012 n’ont pas été retenus.  Le total des coûts des projets examinés par son comité était d’environ 220 millions de dollars, ce qui est beaucoup plus élevé que le budget que le gouvernement avait mis de côté pour les projets en immobilisation.  L’inclusion ou la non inclusion d’un projet dépend du niveau de priorité qui lui est ultimement attribuée, en fonction des filtres primaires et secondaires.

[435]	M. Nagel a donné des exemples de projets qui ont été soumis pour le plan de 2011-2012, mais qui n’ont pas été retenus.  Entre autres, il y avait deux projets concernant des écoles de Yellowknife, soient l’École Sissons et l’École Allain St-Cyr.  Aucun projet n’a été présenté pour l’agrandissement de l’École Boréale.

[436]	En contre-interrogatoire, M. Nagel a été questionné au sujet de la cote de priorité qu’a reçue le projet concernant l’École Allain St-Cyr quand il a été étudié par le comité.  Au niveau des filtres primaires, il a dit que ce projet était dans la catégorie #5, AProgram Need of Requirement@, et la catégorie #4 AFinancial Investment@.  La contribution d’une tierce partie à un projet (le gouvernement fédéral, par exemple) est un facteur qui augmente la cote de priorité dans la catégorie #4.

[437]	Le procureur des Demandeurs a posé beaucoup de questions à M. Nagel au sujet des cotes de priorités que son comité avait attribuées à divers projets concernant des écoles des TN-O par les années passées.  Il lui a aussi posé des questions au sujet des budgets associés à ces projets.  M. Nagel n’a pas été en mesure de répondre à ces questions car il ne se souvenait pas des détails de chacun de ces projets.  À mon avis ce n’est pas surprenant.


[438]	Le procureur des Demandeurs a présenté à M. Nagel des extraits des 3 derniers Plans capitaux du GTN-O.  Ces extraits incluent la liste de projets du ressort du Ministère de l’Éducation  pour chacun des plans (pièce #80).  Le montant total budgété pour les projets en éducation est beaucoup plus élevé dans les plans de 2009-2010 et de 2010-2011 que dans celui de 2011-2012.

[439]	M. Nagel a reconnu que les filtres primaires et secondaires ne contiennent aucun critère qui élève la cote d’un projet qui concerne un programme d’enseignement en langue minoritaire.

[440]	J’estime que le témoignage de M. Nagel est fiable et digne de foi.  Je pense que son incapacité à répondre à certaines questions concernant les détails de projets passés est compréhensible, considérant le nombre de projets que son comité est appelé à réviser chaque année.


b. 	Margaret Melhorne

[441]	Mme Melhorne était, au moment du procès, sous-ministre des Finances et secrétaire du Conseil du trésor, et occupait ce poste depuis 2 ans.  Elle avait précédemment occupé d’autres postes au Ministère des Finances. Elle y a travaillé pendant au-dessus de 20 ans.

[442]	Mme Melhorne a témoigné au sujet de la situation financière du GTN-O, et plus particulièrement, de l’impact qu’a eu la crise économique de 2008.  Au début de la crise, le gouvernement avait prévu, pour l’année 2009, une réduction considérable de l’activité économique dans le secteur privé, et conséquemment, une diminution des revenus du gouvernement découlant de l’impôt payé par les compagnies.  Cette prévision s’est avérée exacte.


[443]	Mme Melhorne a expliqué que la réponse du GTN-O à la crise a été, entre autres, de faire des investissements considérables dans des projets  en infrastructures, pour atténuer l’impact de la baisse de ces activités dans le secteur privé.  Le gouvernement fédéral avait d’ailleurs, pour relancer l’économie, rendu disponible des sommes importantes pour les projets en infrastructures.

[444]	Ainsi, en 2009, le budget des projets capitaux du GTN-O a été d’environ 425 millions de dollars, et en 2010, de 220 millions de dollars (ces chiffres n’incluent pas le budget de la société du logement (AHousing Corporation@), qui est géré séparément).  Selon Mme Melhorne, le tiers des budgets de ces projets est venu du gouvernement fédéral.  Ces dépenses en capitaux étaient de loin supérieures à celles des années antérieures.

[445]	Mme Melhorne a aussi parlé des intentions du gouvernement pour l’avenir concernant ses dépenses en capitaux. Elle a expliqué que la stratégie du GTN-O d’augmenter son budget à ce niveau était en réponse à la situation économique mais que cette stratégie ne peut pas être maintenue sur une longue période.  Au moment du procès, le Plan capital qui venait d’être approuvé se chiffrait à 126 millions de dollars. L’intention du gouvernement est de compléter les projets en cours et de revenir, à court terme, à un budget en projets capitaux de 75 millions de dollars par année.

[446]	Mme Melhorne a expliqué que le GTN-O n’avait pas beaucoup de flexibilité pour augmenter ses dépenses parce qu’il ne prévoit pas une augmentation de revenus à court terme, et estime que dans le contexte économique actuel, une augmentation des impôts ne serait pas une bonne stratégie.  Le gouvernement peut faire des emprunts, mais a des contraintes à cet égard, puisqu’il a une limite d’emprunt qui est fixée par le gouvernement fédéral.  La pièce #81 est un document préparé par Mme Melhorne qui explique la situation et ses projections concernant la limite d’emprunt et où le GTN-O se situe.

[447]	Mme Melhorne a aussi précisé qu’il y a beaucoup de besoins en infrastructures dans les TN-O à l’heure actuelle qui ne sont pas comblés, faute de budget.

[448]	En contre-interrogatoire, Mme Melhorne a été questionnée sur certains aspects du Plan capital 2011-2012.  Elle a reconnu qu’il inclut des dépenses en éducation de 126 millions de dollars.


[449]	Elle a aussi confirmé que 80% du budget du GTN-O vient de paiements de transferts du gouvernement fédéral.  Par conséquent, certaines fluctuations dont elle a parlées, comme la diminution des revenus en impôts prélevés des corporations, par exemple, n’affectent que 20% du budget total du gouvernement.

[450]	Le procureur des Demandeurs a aussi présenté à Mme Melhorne la retranscription d’un discours fait par le Ministre des Finances dans le cadre des travaux de l’Assemblée Législative (pièce #82).  Ce discours a été fait en 2010, le lendemain de la présentation du Plan capital 2011-2012.  Le Ministre fait état de prévisions de croissance économique pour les années 2010 et 2011, parle de signes encourageants au niveau de la reprise économique.  Il fait état des investissements que le GTN-O en matière d’infrastructures.  Il fait aussi état du fait que la situation de l’économie mondiale demeure incertaine et que le gouvernement devra faire preuve de discipline dans la gestion de ses dépenses.  À mon avis, les remarques du Ministre sont cohérentes avec le témoignage de Mme Melhorne sur ces sujets.

[451]	J’estime que Mme Melhorne est un témoin crédible et digne de foi.

c.	David Dolson

[452]	M. Dolson est un employé de Statistiques Canada depuis 32 ans.  Depuis 12 ans, il travaille sur le recensement qui est fait par le gouvernement fédéral à tous les 4 ans.  Il a expliqué la méthodologie suivie par Statistiques Canada lors du recensement de 2006, le plus récent au moment du procès.  Il a expliqué certaines différences entre la méthodologie utilisée en 2006 et celle utilisée lors des deux recensements précédents, en 1996 et en 2001.

[453]	Deux formulaires sont utilisés pour le recensement; un formulaire long et un formulaire abrégé.  Le formulaire abrégé ne contient qu’une seule question concernant la langue (cette question demande d’identifier la langue apprise en premier lieu et encore comprise par le répondant).  Le formulaire long pose plus de questions au sujet de la langue (par exemple, la langue le plus souvent parlée à la maison), et au sujet des origines culturelles et ancestrales.

[454]	M. Dolson a dit que lors du recensement de 2006, dans la ville de Hay River, le formulaire long a été utilisé pour 100% des résidents.  Selon lui, cette pratique a été suivie pour toutes les communautés des TN-O à l’exception de Yellowknife et Inuvik.

[455]	La pièce #158 montre les résultat des recensements de 1996, 2001 et 2006 en ce qui concerne le nombre d’enfants qui avaient au moins un parent dont le français est la langue maternelle.  Le document identifie également combien de ces enfants sont d’âges scolaires.  Pour la ville de Hay River, les résultats sont les suivants: en 1996, un total de 65 enfants, dont 40 d’âge scolaire; en 2001, un total de 30 enfants, dont 30 d’âge scolaire; et en 2006, un total de 40 enfants, dont 25 d’âge scolaire.

[456]	M. Dolson a expliqué que les résultats du recensement sont arrondis de façon aléatoire.  Ceci explique que les chiffres des résultats rapportés finissent tous par « 0 » ou « 5 », et qu’il y a certaines anomalies dans les totaux.

[457]	Le contre-interrogatoire de M. Dolson a été relativement bref, et ni la crédibilité ni la fiabilité de son témoignage n’ont été remis en question.


[458]	Dans leur mémoire de fin de procès, les Demandeurs remettent en question le témoignage de M. Dolson à l’effet que le formulaire long a été utilisé pour 100% des foyers à Hay River, parce que le Dr. Landry et le Dr. Denis ont tous les deux exprimé des doutes et de la surprise quand il leur a été suggéré que c’était le cas.  Je reconnais que le Dr. Landry et le Dr. Denis travaillent tous deux régulièrement avec les données de Statistiques Canada, et sont impliqués dans les études post censitaires de Statistiques Canada.  Mais M. Dolson est employé par Statistiques Canada, il a été appelé comme témoin pour présenter les résultats du recensement de 2006, et je n’ai aucune raison de douter de la fiabilité de ce qu’il a dit, sous serment, concernant la procédure qui a été suivie pour le recensement de 2006.

[459]	Je conclus qu’il a présenté les résultats du recensement et en a expliqué la méthodologie générale au meilleur de ses connaissances.

d.	Vishni Perris


[460]	Mme Perris travaille pour le Bureau des statistiques des TN-O.  Durant son témoignage, un document a été versé en preuve  (pièce #163),  qui dresse une liste d’ Aindicateurs sociaux@, pour le Canada et les TN-O.  Les Aindicateurs sociaux@ incluent, par exemple, le taux de graduation, le taux de mortalité infantile, la proportion des personnes qui fument, le taux de crime violents.  Selon les données rapportées dans ce document, le pourcentage des personnes de 18 ans et plus qui ont gradué du secondaire aux TN-O est inférieur au pourcentage canadien.  D’autres indicateurs suggèrent que certains problèmes sociaux sont plus aigus dans les TN-O que dans le reste du Canada (par exemple, le taux de crimes violents est beaucoup plus élevé, ainsi que le taux de mortalité relié aux homicides, suicides et accidents).

[461]	Les Défendeurs ont voulu verser un autre document en preuve durant le témoignage de Mme Perris (la pièce « Z »).  Les Demandeurs contestent la recevabilité de ce document.  J’en traite plus loin, avec les autres questions ayant trait à la recevabilité d’éléments de preuve présentés par les Défendeurs.

[462]	Le témoignage de Mme Perris n’est pas particulièrement controversé, et j’estime qu’elle est un témoin crédible et fiable.

e. 	Paul Devitt

[463]	M. Devitt est un haut fonctionnaire du Ministère de l’Éducation. Il est à l’emploi de ce ministère depuis plus de 20 ans.  Dans ses fonctions actuelles, il est responsable des services corporatifs du Ministère, ce qui inclut la gestion des finances, des politiques, et la planification des infrastructures.

[464]	M. Devitt a parlé du processus qui a mené à la construction de l’École Boréale  Il a dit que quand l’école a été construite, le gouvernement n’avait pas l’intention de procéder, à court terme, à un agrandissement.  Il a expliqué que par souci d’efficacité, dans la planification de construction de nouveaux édifices, son Ministère envisage généralement qu’une nouvelle école comblera les besoins pour une période d’au moins 10 ans.  Selon lui, la pratique habituelle, dans la construction de nouveaux édifices, est de prévoir, dans le design, la possibilité d’agrandissement futur.

[465]	Selon M. Devitt, le gouvernement ne s’est jamais engagé à procéder à un agrandissement de l’École Boréale.  C’était une possibilité pour l’avenir, si les nombres le justifiaient.  Il a dit qu’il était prévu que le nombre d’inscriptions serait le facteur principal dans la décision de procéder ou non à un agrandissement.

[466]	La capacité de l’école lors de son ouverture était de 110 élèves.  Selon les standards utilisés par le Ministère, une école accueillant ce nombre d’élèves n’a pas droit à un gymnase, ni autres espaces spécialisés.  Il était donc prévu que les élèves de l’École Boréale utiliseraient le gymnase et certaines autres infrastructures des écoles anglophones avoisinantes.  C’est d’ailleurs une des raisons qui a mené au choix d’emplacement de l’école, malgré l’opposition du DEA.

[467]	M. Devitt a parlé des standards qui donnent au Ministère les lignes directrices au sujet des espaces scolaires.  De nouveaux standards ont été adoptés en juillet 2005 (pièce #162) et ont changé certaines choses.  Selon les standards actuels, une école qui accueille 150 élèves a droit à un gymnase de 550 mètres carrés.

[468]	M. Devitt a expliqué que l’École Boréale est plus grande que ce que prévoyaient les standards en vigueur à l’époque de sa construction.  Et si elle était construite selon les standards actuels, elle aurait droit à encore moins d’espace, compte tenu du nombre d’élèves qu’elle est conçue pour accueillir.

[469]	Selon M. Devitt, la CSFTN-O a été étroitement consultée dans la planification de la construction de l’École Boréale.  La preuve documentaire confirme cela.

[470]	M. Devitt a parlé de la formule de financement utilisée par le gouvernement pour établir le budget attribué pour les professeurs dans les écoles. La pièce #185 fait état des ratios professeurs-élèves pour chacune des commissions scolaires des TN-O.  M. Devitt a expliqué que le ratio professeur-élèves de la CSFTN-O est plus avantageux que celui des autres commissions scolaires, parce que le gouvernement fédéral fournit du financement pour l’enseignement en milieu minoritaire.

[471]	M. Devitt a expliqué qu’il avait une très bonne relation avec le directeur de la CSFTN-O, et s’attendait à ce qu’il lui fasse part de toute difficulté concernant l’utilisation des gymnases des écoles anglophones par les élèves de l’École Boréale.  À ce qu’il sache, le partage des infrastructures fonctionne bien et il n’a jamais reçu de plaintes.

[472]	M. Devitt a dit qu’il avait été vaguement au courant de la politique d’admission de la CSFTN-O.  Il avait compris que cette politique limitait le nombre d’élèves de non ayants droit à 20% de l’effectif total de l’école.  Le Ministère n’a jamais fait de vérification concernant l’application de cette politique.

[473]	M. Devitt a confirmé que les services de M. Kindt ont été retenus par le Ministère à l’automne 2007 pour faire une étude des besoins de l’École Boréale.  Il a dit que la raison pour laquelle M. Kindt avait été engagé était que le taux d’utilisation de l’école était très élevé.  Il a dit que quand il a expliqué à M. Kindt les attentes du Ministère au sujet de son étude, il lui a spécifiquement demandé d’examiner la question des inscriptions.

[474]	Dans son rapport, M. Kindt a fait état du nombre d’élèves de l’école dont les parents ne sont pas des ayants droit.  M. Devitt a dit que cette information a soulevé l’inquiétude du Ministère au sujet de l’utilisation de l’école.  Le Ministère a conclu qu’il devait établir une politique pour réglementer la question des inscriptions.  C’est ce qui a mené au développement de la directive ministérielle.  M. Devitt a dit ne pas avoir eu connaissance de pressions faites par le DEA pour l’adoption d’une telle directive.

[475]	M. Devitt a dit que le Ministère n’avait mis de l’avant aucune proposition, dans le cadre du processus de planification du Plan capital du gouvernement, pour un agrandissement de l’École Boréale.  Le Ministère de l’Éducation considère que les nombres, à l’heure actuelle, ne justifient pas un agrandissement.

[476]	Il a reconnu que fondamentalement, les standards utilisés dans l’attribution des espaces pour les écoles sont basés sur les nombres.  Ainsi, le droit à des espaces spécialisés tels un gymnase, une salle de musique, une salle pour les arts industriels, dépend des projections au sujet du nombre d’élèves qui fréquenteront l’école.  M. Devitt a confirmé que les standards sont des lignes directrices, et que le Ministre peut décider d’accorder à une école des espaces plus grands que ce que les standards prévoient.  Mais il a précisé qu’à sa connaissance, le Ministre n’a jamais accordé une telle permission.

[477]	M. Devitt a été questionné au sujet du processus qui a mené aux changements dans les standards en 2005, notamment sur l’augmentation du seuil requis, en termes de nombre d’élèves, pour qu’une école ait droit à un gymnase.  Il a expliqué que le Ministère avait fait des recherches, examiné ce qui se faisait dans d’autres juridictions, et éventuellement développé les nouveaux standards et une nouvelle approche dans l’attribution des espaces scolaires.  Le procureur des Demandeurs lui a demandé si les gens qui ont développé les nouveaux standards avaient tenu compte de l’article 23 de la Charte en les établissant.  M. Devitt a répondu qu’ils avaient tenu compte des besoins de tous les étudiants. Le procureur lui a demandé s’ils avaient tenu compte des obligations juridiques du gouvernement en vertu de l’article 23 et M. Devitt a dit qu’il n’avait pas de réponse différente à donner que celle donnée à la question précédente.  Il a réitéré que les standards du Ministère s’appliquent uniformément à toutes les écoles des TN-O.

[478]	M. Devitt a reconnu que les deux écoles francophones des TN-O sont les seules à partager un gymnase avec une autre école, mais a souligné que plusieurs écoles utilisent un gymnase qui est aussi utilisé par la communauté.  Il a aussi reconnu que plusieurs des petites communautés des TN-O ont un gymnase qui est souvent un gymnase communautaire annexé à l’école.

[479]	M. Devitt a reconnu que de façon générale, le coût de l’instruction par élève est plus élevé dans les petites écoles des TN-O que dans les grandes, et que cette réalité n’est pas propre aux écoles francophones minoritaires.

[480]	M. Devitt a expliqué que le Ministère a la capacité technique de recueillir des données au sujet des élèves qui s’inscrivent dans les écoles des TN-O.  Présentement le Ministère, par exemple, recueille l’information à savoir si les élèves sont autochtones ou non autochtones.  Il a reconnu qu’il serait possible de  recueillir d’autres données, par exemple, si un élève a des ancêtres francophones.

[481]	En contre-interrogatoire, il a été suggéré à M. Devitt que le gouvernement a toujours su que des enfants de non ayants droit seraient acceptés à l’école francophone de Hay River, puisque même les premiers documents faisant état du projet le mentionnent  (pièce #97).  M. Devitt a dit qu’il ne savait pas si cette question avait été discutée à l’origine.

[482]	Le procureur des Demandeurs lui a demandé sur quoi était basée la présomption du gouvernement que la nouvelle école allait combler les besoins pour une période de 10 ans.  Il a répondu que de façon générale le Ministère décide de la grandeur de l’édifice sur la base des inscriptions et des projections d’inscriptions futures, et fait la planification du projet de sorte que l’édifice réponde adéquatement aux besoins pour cette période.

[483]	M. Devitt a confirmé que le GTN-O n’avait pas fait d’études pour déterminer le nombre d’ayants droit dans les T.N.-O. ou à Hay River.

[484]	Il a été interrogé au sujet d’une lettre envoyée au DEA par le Ministre de l’Éducation (pièce #103) en octobre 1999.  Cette lettre faisait suite à une résolution adoptée par le DEA visant à empêcher l’école francophone d’admettre des enfants de non ayants droit à son programme.  Dans sa lettre, le Ministre traite entre autres de du droit de la commission scolaire francophone de déterminer qui a accès à son programme.  La lettre fait état d’un avis juridique reçu par le Ministère à ce sujet.  M. Devitt a affirmé ne pas avoir été au courant de cet avis juridique au moment où la directive ministérielle a été développée.

[485]	Le procureur a des Demandeurs a questionné M. Devitt au sujet des circonstances qui ont mené à l’adoption de la directive.  M. Devitt a dit ne pas se souvenir de toutes les conversations. Il a dit que suite au rapport de M. Kindt, sa division avait conclu à l’existence d’un vide dans les politiques (« policy gap ») qui devait être comblé.  La situation a été examinée, la directive a été développée, et a éventuellement été soumise au bureau du Ministre.

[486]	M. Devitt a dit que la directive avait été rédigée par un employé de sa division.  Concernant le processus suivi pour l’élaborer, M. Devitt a dit que l’employé en question avait fait des recherches et consulté le ministère de la justice.  M. Devitt a été incapable de donner plus de précisions quant au type de recherches qui ont été faites.  Le procureur des Demandeurs lui a demandé pourquoi il n’avait pas consulté la CSFTN-O avant de conclure qu’il y avait un vide dans les politiques. M. Devitt a répondu que la CSFTN-O a été consultée en temps opportun (“at appropriate times”).  Il pensait avoir discuté de la question avec M. Brûlot mais n’était pas certain.

[487]	M. Devitt a dit avoir été au courant que la CSFTN-O avait une politique d’admission, mais  ne l’a pas lue avant d’arriver à la conclusion qu’une directive devait être mise en place.  Il savait que la politique permettait d’admettre des enfants de non ayants droit mais ne savait pas combien il y en avait à l’École Boréale.  Il a aussi reconnu avoir été au courant que la pratique d’admettre des enfants de non ayants droit existe ailleurs au Canada.

[488]	M. Devitt a dit qu’il ne se souvient pas à qui il a communiqué le projet de directive.  Il a dit qu’il ne se souvenait pas si la Commission scolaire pour la région du South Slave avait spécifiquement demandé au Ministre d’adopter une directive concernant les inscriptions au programme d’enseignement en français.

[489]	M. Devitt a reconnu avoir été au courant du fait que le DEA avait exprimé, par le passé, sa désapprobation au sujet de la politique de la CSFTN-O permettant d’admettre des enfants de non ayants droit à l’École Boréale.

[490]	M. Devitt a parlé de la relation contractuelle entre son Ministère et M. Kindt.  Il a confirmé que le Ministère retient régulièrement les services de M. Kindt dans la préparation de plans éducatifs et a une entente de service avec lui depuis plusieurs années.  Les services de M. Kindt ont d’ailleurs été retenus suite à l’injonction interlocutoire de juillet 2008  pour évaluer les possibilités concernant sa mise en œuvre.

[491]	M. Devitt a dit que M. Kindt  n’avait pas été impliqué dans les discussions concernant le développement de la directive.  Le rôle de M. Kindt était de faire l’étude de besoins et de préparer le plan éducatif pour l’École Boréale.  M. Devitt a rencontré M. Kindt  pour discuter de l’élaboration du plan éducatif.  Il ne se souvient pas s’il lui a parlé spécifiquement de la politique d’admission de la CSFTN-O, mais a dit qu’il est possible que le sujet ait été soulevé.


[492]	Le témoignage de M. Devitt m’a semblé assez clair et direct sur la plupart des sujets qui ont été abordés dans son interrogatoire principal et dans son contre-interrogatoire, notamment au sujet du processus de négociation et de planification de la construction de l’École Boréale, l’application des standards du Ministère, et les consultations avec la CSFTN-O.  J’estime que son témoignage est fiable concernant ces questions.

[493]	J’ai cependant des réserves en ce qui concerne son témoignage au sujet des circonstances entourant l’adoption de la directive ministérielle.  Sur ce sujet, le témoignage de M. Devitt a été plutôt vague.  Considérant que la validité de la directive est une des questions en litige dans ce recours, j’ai trouvé surprenant qu’il ne soit pas en mesure d’être plus précis.

[494]	Par exemple, il a  pu donner très peu de détails quant aux étapes qui ont été suivies dans l’élaboration de la directive.  Il est responsable de la division qui l’a développée, mais semblait en savoir très peu au sujet des recherches qui ont été faites pendant ce processus ou des facteurs dont on a tenu compte en la rédigeant.

[495]	Je trouve aussi pour le moins étonnant que M. Devitt ne se souvienne pas à qui le projet de directive a été communiqué.  Il n’a pas été très précis non plus concernant ses consultations avec la CSFTN-O.  Il a dit avoir consulté la CSFTN-O en temps opportun (“at appropriate times”) et croyait avoir parlé à M. Brûlot mais n’en était pas certain.  Compte tenu du fait que le sujet allait nécessairement être controversé, je trouve étonnant que son souvenir soit si peu précis.

[496]	La directive de juillet 2008 n’était pas une directive de routine.  Elle modifiait drastiquement un régime de gestion des admissions au programme d’enseignement en français qui était en place depuis 7 ans.  Elle s’inscrivait dans un contexte très litigieux.  Au moment de son adoption la CSFTN-O avait déjà intenté son recours judiciaire demandant un agrandissement de l’École Boréale.  La validité de la directive a été immédiatement contestée.  Dans de telles circonstances, je me serais attendue à beaucoup plus de précision dans le témoignage de M. Devitt.  Surtout qu’il a été en mesure d’être très précis sur plusieurs autres sujets.

[497]	Je conclus qu’en ce qui concerne les circonstances entourant l’adoption de la directive ministérielle, l’objectif qui était recherché et les considérations qui sont entrées en jeu lors de son développement, le témoignage de M. Devitt n’est pas particulièrement fiable.

f. Janet Grinsted

[498]	Mme Grinsted est la directrice des opérations et du développement en matière d’éducation au Ministère de l’Éducation, depuis 2001.  Avant cela, elle occupait un poste dans une division du Ministère qui s’occupait de politiques et de planification.  Dans le cadre de ses fonctions actuelles, entre autres choses, elle compile de l’information reçue des commissions scolaires concernant la performance académique des élèves.

[499]	Selon elle, la performance académique des élèves de l’École Boréale est très bonne, tout comme celle des élèves de l’école francophone de Yellowknife. Elle se compare avantageusement à la performance des élèves des autres écoles des TN-O.

[500]	Mme Grinsted a parlé de discussions qui ont eu lieu entre son Ministère et la CSFTN-O, à l’automne 2010, au sujet de la possibilité de recueillir certaines informations au sujet des élèves, au moment de leur inscription.  Le Ministère proposait d’inclure des questions au formulaire pour établir si l’élève faisait partie d’une des trois catégories de personnes énumérées à l’article 23 de la Charte.

[501]	La pièce #203 inclut les questions que le Ministère proposait de poser, et la réponse de la CSFTN-O.  Dans cette réponse, Mr. Brûlot explique que la CSFTN-O considère que les questions sont trop limitées, et que sa commission scolaire ne participera pas à une collecte d’information à moins que l’éventail de questions posées soit plus large.  Le courriel de M. Brûlot donne des exemples de questions que la CSFTN-O voudrait voir incluses dans le questionnaire.

[502]	Mme Grinsted a été contre-interrogée concernant son rôle dans le développement et la mise en œuvre de la directive ministérielle de juillet 2008.  Elle était en congé de septembre 2007 à septembre 2008, et n’a pas participé à l’élaboration de la directive.  Elle en a appris l’existence quand elle est revenue au travail.

[503]	Mme Grinsted se souvient d’avoir accordé une entrevue à la radio de Radio-Canada concernant la directive ministérielle. Ceci faisait suite à une entrevue qu’avait accordée M. Blackman sur le même sujet.  Mme Grinsted ne se souvient pas précisément de ce qu’elle a fait pour se préparer à cette entrevue mais elle pense qu’elle a lu la directive et discuté avec ses collègues.

[504]	Le procureur des Demandeurs a référé Mme Grinsted à une transcription de l’entrevue et lui a demandé si elle reflète bien ce qu’elle a dit.  Mme Grinsted a dit qu’elle ne se souvenait pas précisément de ce qu’elle avait dit mais qu’elle ne voyait aucune erreur manifeste dans la transcription.  Selon la transcription, elle aurait dit, notamment, que la directive avait été mise en place pour limiter l’accès au programme d’enseignement en français aux enfants d’ayants droit suite aux plaintes du DEA concernant l’accès au programme par les enfants de non ayants droit et des pertes d’élèves et de financement qui en découlaient pour le DEA.  La transcription n’a pas été versée en preuve.

[505]	Le procureur des Demandeurs a demandé à Mme Grinsted quelle est sa compréhension, aujourd’hui, de la raison d’être de la directive. Elle a répondu que ce qu’elle comprenait était que la directive avait été émise à cause d’inquiétudes concernant le nombre de non ayants droit qui suivaient le programme d’enseignement en français et que ceci affectait l’intégrité du programme (“the character of the program”, a-t-elle dit dans son témoignage).  Elle a aussi dit qu’elle savait que le DEA avait exprimé des inquiétudes (“concerns”) concernant la situation, parce qu’ils perdaient des élèves, et donc du financement.

[506]	Mme Grinsted a aussi été questionnée concernant son rôle dans le traitement des demandes de permission d’inscription faites au Ministre en vertu de la directive.  Elle a expliqué que les demandes de permission sont acheminées à sa division par le bureau du sous-ministre, avec une demande de recommandation.  C’est parfois elle qui rédige les projets de réponse.

[507]	Mme Grinsted a reconnu qu’aucun critère n’a été développé pour l’application de la directive.  Chaque demande est étudiée au cas par cas.  Les facteurs qui sont considérés incluent le fait que l’élève a des ancêtres francophones et la connaissance du français par les parents.  Mme Grinsted a reconnu qu’il n’y a pas non plus de procédure spécifique d’appel.

[508]	J’estime que le témoignage de Mme Grinsted est digne de foi. Il y a des détails dont elle ne se souvenait pas, mais ce n’est pas étonnant.  À mon avis, elle a fait de son mieux pour répondre aux questions et n’a pas essayé de les éviter.

g. Donald Kindt

[509]	M. Kindt habite dans les TN-O depuis plus de 30 ans et a fait sa carrière dans le domaine de l’éducation. Il a d’abord travaillé comme enseignant, puis au Ministère de l’Éducation dans la coordination des curriculum, et ensuite comme surintendant adjoint d’une des commissions scolaires anglophone de Yellowknife.

[510]	Depuis plus de 10 ans, il est consultant dans le domaine de l’éducation, et a fait beaucoup de travail en matière de planification d’infrastructures scolaires.  Il a notamment travaillé à l’élaboration des plans pour l’École St-Patrick, une école secondaire de Yellowknife.  M. Kindt a une expérience considérable dans la planification d’infrastructures scolaires et des standards applicables dans les TN-O.

[511]	Les Défendeurs ont demandé au tribunal de qualifier M. Kindt comme témoin expert pour donner son opinion dans quatre grands domaines: (1) la suffisance des installations actuelles de l’École Boréale pour répondre aux besoins, à l’heure actuelle et pour les prochains 4-5 ans; (2) une comparaison, au point de vue des infrastructures et des programmes, entre l’École Boréale et les écoles de grandeur semblable dans les TN-O ainsi que certaines écoles minoritaires à l’extérieur des TN-O; (3) dans quelle mesure le regroupement des niveaux primaire et secondaire dans une même école est acceptable et dans quelle mesure cette pratique est courante dans les TN-O et ailleurs au Canada, et; (4) les causes des départs d’élèves des écoles de la minorité francophone vers les écoles anglophones, et la part que le manque d’infrastructures et de programmes joue dans ce phénomène.

[512]	M. Kindt a été contre-interrogé, au cours du voir dire, au sujet de ses relations contractuelles avec le GTN-O.  Il a confirmé que 50 à 70% de ses contrats sont avec le gouvernement, et que ceci représente environ 50% de son revenu.  Il a aussi reconnu avoir été nommé par le GTN-O pour siéger sur certains tribunaux administratifs.

[513]	Les Demandeurs se sont opposés à ce que M. Kindt soit qualifié comme témoin expert, pour plusieurs raisons.  Ils ont plaidé que ses relations contractuelles avec le GTN-O jettent un doute considérable sur son objectivité.  Ils ont aussi fait valoir que l’implication directe de M. Kindt comme consultant pour le compte du Ministère dans l’étude des deux écoles faisant l’objet de ces recours font de lui un témoin factuel, et qu’il n’est donc pas approprié qu’il témoigne également comme expert.

[514]	Concernant son témoignage proposé au sujet de la comparaison entre les écoles, les Demandeurs ont fait valoir que ce témoignage n’est pas pertinent puisque la comparaison doit se faire avec les écoles avec lesquelles l’École Boréale est en concurrence.  Quant à son témoignage proposé au sujet de la cause des départs des élèves, les Demandeurs ont fait valoir que les motifs que j’ai donnés pour refuser de permettre à M. Kubica de témoigner sur ces sujets dans le contexte du recours CV2005000133 sont tout aussi applicables à M. Kindt.

[515]	À la conclusion du voir dire j’ai décidé de permettre à M. Kindt de témoigner comme expert au sujet des trois premiers domaines seulement.  J’ai conclu que les préoccupations soulevées par les Demandeurs quant à son objectivité étaient pertinentes à la force probante de son témoignage mais n’étaient pas un obstacle à ce qu’il soit qualifié en tant que témoin expert.  La preuve présentée dans le cadre du voir dire a été versée au procès,  incluant son rapport d’expert (pièce #155).

[516]	M. Kindt a expliqué la nature de son travail  dans la planification d’infrastructures scolaires.  Le gouvernement retient souvent ses services pour l’élaboration  de « plans  éducatifs » (“Educational Plan”).  Il  rencontre les parents, les élèves, les professeurs, les membres de l’administration, pour déterminer leurs aspirations et leurs besoins, et ensuite les aider à établir des priorités à l’intérieur des limites prévues par les standards du Ministère au sujet des infrastructures.  Dans ce genre de processus, bien qu’engagé par le gouvernement, M. Kindt se voit comme le porte-parole, et même le défenseur (il a utilisé plusieurs fois le mot “advocate”) des utilisateurs de l’école, pour les aider à présenter leur point de vue au gouvernement.

[517]	Il a expliqué que c’est toujours un défi de prendre la mesure des souhaits des gens et de formuler un plan qui répond à ces souhaits tout en étant réalisable dans les paramètres créés par les standards  gouvernementaux et les budgets disponibles.

[518]	M. Kindt a été engagé comme consultant, à la fin de l’année 2007, pour faire une étude de besoins à l’École Boréale.  Il a discuté avec M. Devitt dans la préparation de ce processus.  Il a aussi communiqué avec Mme Call pour préparer leurs rencontres.

[519]	En interrogatoire principal M. Kindt a expliqué que dans la préparation de plans éducatifs, le Ministère lui fait part de certains paramètres. Dans le cas de l’École Boréale on lui avait demandé d’examiner la situation et d’élaborer un plan éducatif pour que l’école ait une capacité d’accueil de 150 élèves.

[520]	M. Kindt s’est rendu à quelques reprises à Hay River. Il a visité l’école, rencontré les élèves, discuté avec la direction.  Il a préparé un rapport détaillé, daté du 15 février 2008 (pièce #156).  Ce rapport fait état de ses constatations sur les lieux, et des observations des élèves et parents qu’il y a rencontrés.  Il inclut en annexe l’horaire d’utilisation de l’atrium.

[521]	Le rapport fait état des projections du Ministère de l’Éducation. Ces projections présument 10 inscriptions par année à la maternelle et utilisent la « méthode de survie des cohortes » pour faire les projections aux autres niveaux. Cette méthode calcule, en utilisant une moyenne faite à partir de données connues sur une période de 4 ans, la proportion des élèves qui continueront à l’école au niveau suivant, à chaque année.    M. Kindt conclut que selon ces projections, il serait approprié que l’école ait une capacité d’accueil de 150 élèves.  Il souligne cependant que si les enfants de non ayants droit n’ont pas accès à l’école, les projections devraient être révisées à la baisse.

[522]	Le rapport de M. Kindt fait aussi état des projections de la CSFTN-O, qui présument qu’il y aura 15 inscriptions à la maternelle à chaque année plutôt que 10.

[523]	M. Kindt a dit que dans ses discussions avec Mme Call, elle lui a parlé des inscriptions des enfants de non ayants droit et de la politique d’admission de la CSFTN-O.  Elle lui a donné un tableau qui indique les nombres d’élèves qui sont des enfants d’ayants droit et ceux qui ont été admis à l’École en vertu des autres critères prévus dans la politique d’admission.  M. Kindt ne se souvient pas que Mme Call lui ait dit que ce tableau n’était qu’une ébauche ou un document préliminaire.  Il a dit que Mme Call avait été très ouverte avec lui et qu’au moment de la conversation. Il a dit qu’il ne savait pas que le sujet était controversé.  Il a maintenu qu’il a fait état de ce sujet dans son rapport simplement parce qu’il  a été soulevé dans  ses discussions avec Mme Call.

[524]	M. Kindt est retourné à l’École Boréale en 2010 pour la préparation de son rapport d’expert en vue du procès.  Il a constaté les changements effectués suite à l’injonction interlocutoire.

[525]	Dans son témoignage, il a parlé des cours d’Études Professionnelles et Techniques (ÉPT).  Il a expliqué qu’il recommande généralement aux petites écoles d’essayer de développer une niche de spécialisation.  Dans le cas de l’École Boréale il estime que les élèves ont un bon choix de cours.  Il a dit que pour les cours d’ÉPT dites « sales » (menuiserie, mécanique, soudure), la meilleure façon pour une petite école d’offrir ce choix aux élèves est de forger des partenariats dans la communauté, ou avec d’autres écoles.

[526]	Dans son rapport d’expert M. Kindt décrit et commente les espaces de l’École Boréale et la façon dont ils sont utilisés.  Il conclut que d’un point de vue pédagogique, l’école a besoin de meilleurs espaces pour l’enseignement des arts culinaires, qui est, selon lui le cours technique le plus populaire dans les TN-O.  Il estime que la petite cuisine située dans le salon des professeurs est inadéquate pour donner ces cours, et que de toute façon les professeurs ont besoin d’un espace à eux.

[527]	M. Kindt est d’avis que la salle actuellement utilisée comme laboratoire pour les sciences a besoin d’améliorations, incluant de l’espace de rangement pour l’équipement, une hotte, et de meilleures installations pour l’accès à l’eau.

[528]	M. Kindt a expliqué que dans ses conversations avec Mme Call, elle s’est dite satisfaite de l’utilisation des gymnases des autres écoles, quoique l’École Boréale ne dispose pas toujours de la flexibilité qu’elle souhaiterait avoir.

[529]	Il estime que le nombre d’heures consacrées à l’éducation physique doit être augmenté, mais souligne que cela ne veut pas nécessairement dire que toutes les heures additionnelles doivent nécessairement être en gymnase.

[530]	Concernant les ÉPT « sales », M. Kindt suggère un partenariat avec l’École Diamond Jenness et l’utilisation du nouveau centre des métiers.  Il évoque la possibilité que les élèves de l’École Boréale suivent ces cours en anglais. Il souligne que dans les autres provinces, la tendance est de regrouper les élèves de plusieurs écoles pour rendre les cours d’ÉPT viables.

[531]	M. Kindt soulève la possibilité que l’École Boréale reconfigure ses niveaux (par l’inclusion de la 7e année dans le niveau primaire), compte tenu des nombres d’élèves inscrits à chaque niveau, de l’espace disponible et de la grandeur des classes.

[532]	M. Kindt parle aussi de l’augmentation de capacité de l’école qui pourrait résulter de la récupération des espaces utilisés par le programme préscolaire.

[533]	M. Kindt a effectué une comparaison entre l’École Boréale et certaines autres écoles.  Selon lui, le meilleur comparateur dans les TN-O est l’école Kalemi Dene, parce qu’elle a sensiblement le même nombre d’élèves.  Il a aussi fait une analyse des infrastructures disponibles dans 6 écoles à l’extérieur des TN-O (2  écoles en Alberta, 2 en Saskatchewan et 2 au Manitoba).

[534]	À la page 40 de son rapport, il dresse un tableau comparatif entre l’École Boréale et ces 7 écoles. Il conclut que les installations de l’École Boréale se comparent à celles de ces écoles, malgré certaines différences.  5 écoles ont leur propre gymnase et les 2 autres ont un accès à un gymnase; 4 écoles ont un laboratoire informatique et les 2 autres n’en ont pas; la plupart n’ont pas d’atelier ou d’équipement pour l’enseignement des ÉPT « sales »;  la plupart (5) n’ont pas de salle pour l’enseignement des arts ménagers; la plupart (5) ont un laboratoire pour les sciences.

[535]	M. Kindt a aussi exprimé son opinion concernant le regroupement, sous le toit d’une même école, des niveaux primaire et secondaire.  Aux TN-O, 78% des écoles accueillent les niveaux de la maternelle à la 11e ou la 12e année.

[536]	En Colombie-Britannique, en Alberta, et Saskatchewan et au Manitoba, le pourcentage des écoles où tous les niveaux sont regroupés est plus élevé que celui des écoles secondaires distinctes.  C’est également vrai pour les écoles francophones minoritaires, sauf en Colombie-Britannique, où le pourcentage d’écoles secondaires est plus élevé.  M. Kindt estime que le nombre plus élevé d’élèves francophones en Colombie-Britannique explique probablement que cette province a plus d’écoles secondaires francophones distinctes.

[537]	M. Kindt conclut donc que le fait d’avoir une seule école qui regroupe tous les niveaux de la maternelle à la 12e année n’a rien d’inhabituel, et est en fait la norme dans les TN-O et dans les provinces de l’ouest, pour les écoles qui ont une population étudiante comparable à celle de l’École Boréale.  M. Kindt est donc d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une aile secondaire distincte pour le niveau secondaire.

[538]	M. Kindt a été contre-interrogé au sujet des discussions qu’il a eues avec M. Devitt quand ses services ont été retenus pour préparer le plan éducatif de l’École Boréale en 2008.  Il a dit ne pas avoir reçu de mandat écrit (« terms of reference ») de M. Devitt.

[539]	M. Kindt a dit qu’il était au courant de la politique d’admission de la CSFTN-O. Il a dit que c’est probablement M. Devitt qui lui en a parlé.  Le procureur des Demandeurs lui a demandé si M. Devitt lui avait dit que la politique d’admission était un point de tension entre la CSFTN-O et le DEA.  M. Kindt a répondu « not in those words, but I was aware it was an issue. My bottom line was capacity ».

[540]	Le procureur lui a demandé pourquoi il avait inclus l’information au sujet du nombre d’enfants de non ayants droit dans son rapport. Il a répondu qu’il ne pensait pas que c’était un sujet controversé. Il a dit que M. Devitt ne lui avait pas demandé d’examiner cette question, mais qu’il a inclus l’information parce qu’elle lui a été remise.  Il a maintenu qu’il n’y avait pas d’ « agenda », sur ce sujet.

[541]	Le procureur lui a demandé s’il avait eu des discussions avec le DEA. M. Kindt a répondu qu’il se souvenait d’avoir parlé au directeur de l’École Diamond Jenness au sujet de la disponibilité des espaces, mais ne se souvenait pas d’avoir parlé au DEA. Le procureur a alors attiré son attention sur la page 65 du rapport de février 2008 qui fait état de discussions avec le DEA.  M. Kindt a reconnu que s’il en avait fait mention dans son rapport, c’est que la rencontre avait eu lieu.

[542]	Cet extrait du rapport fait état de la position du DEA concernant la politique d’admission, et indique que le DEA sera ouvert aux partenariats si la politique d’admission de la CSFTN-O est clarifiée, parce que cette politique  est  perçue comme mettant l’École Boréale en concurrence avec les écoles du DEA.  M. Kindt a affirmé avoir pris ces commentaires « avec un grain de sel ». Il a dit qu’il considérait que c’était du « political posturing ».  Il a reconnu que si le DEA refusait de s’engager dans des partenariats, cela rendrait difficile la situation pour les gens sur le terrain.

[543]	Le procureur a demandé à M. Kindt s’il avait tenu compte du fondement constitutionnel des revendications de la CSFTN-O quand il a préparé le rapport de 2008.  M. Kindt a réitéré qu’il s’était fié aux paramètres dont lui avait fait part M. Devitt (le développement d’un plan pour une école qui aurait une capacité d’accueil de 150 élèves).

[544]	M. Kindt a expliqué que normalement, après avoir préparé plan éducationnel, il fait circuler l’ébauche de son rapport pour recueillir de la rétroaction avant que le rapport devienne un rapport final.  Ce fait est d’ailleurs mentionné dans le processus décrit dans les documents envoyés à Mme Call (pièce #206).  Cependant, M. Kindt n’a pas envoyé son ébauche de rapport à l’École Boréale.  Il pense que les gens du Ministère lui ont dit qu’ils s’occuperaient de faire.

[545]	Il a reconnu qu’une employée du Ministère a communiqué avec lui pour lui demander si les données qu’il avait incluses dans le rapport concernant les nombres d’enfants de non ayants droit étaient exactes.  Il a vérifié ses calculs mathématiques pour compter les enfants dans les diverses catégories apparaissant au tableau que Mme Call lui avait fourni et a confirmé au Ministère l’exactitude des chiffres. Il n’a pas communiqué avec Mme Call pour confirmer l’exactitude des chiffres.

[546]	Le procureur des Demandeurs a demandé à M. Kindt pourquoi il avait écrit dans le rapport de 2008, que la question de la politique d’admission devait être réglée.  Il a répondu qu’il a jugé bon de soulever la question (« flag the issue ») puisque selon sa compréhension, la politique de la CSFTN-O était de limiter à 20% le nombre d’enfants de non ayants droit et les chiffres fournis par Mme Call suggéraient que le pourcentage était plus élevé. Il a maintenu que les commentaires dans le rapport à ce sujet ne se voulaient pas négatifs ou dérogatoires, mais qu’il estimait que le sujet devait être abordé à cause de  son impact potentiel sur les nombres.

[547]	M. Kindt a reconnu n’avoir jamais enseigné en français.  Son expérience d’enseignement dans les écoles de Yellowknife a  toujours été dans des écoles qui avaient des gymnases.  Il  n’a jamais occupé de poste de directeur d’école.

[548]	Mais M. Kindt a de toute évidence une vaste expérience en matière de planification d’infrastructures scolaires dans les TN-O.  Il a travaillé sur la planification de plusieurs projets majeurs.  Il connaît bien les rouages du Ministère de l’Éducation et les standards qui s’appliquent dans le design et la construction des écoles.

[549]	Dans l’évaluation de sa crédibilité et de la fiabilité de son témoignage, j’ai tenu compte des liens professionnels et contractuels qu’il entretient avec les Défendeurs.  Ce lien ne peut pas être ignoré et doit être examiné soigneusement pour évaluer s’il a pu influencer son témoignage.

[550]	Les TN-O sont une juridiction qui, à plusieurs égards, est unique,  à cause de ses particularités géographiques et sociales.  Il peut y avoir des ressemblances entre la réalité des TN-O et celles des 2 autres territoires, ou celle des régions isolées des provinces, mais c’est tout de même ceux et celles qui y vivent et y travaillent qui ont l’expérience la plus directe avec ces réalités.

[551]	Or, il faut reconnaître que dans une juridiction comme la nôtre, il serait difficile pour une personne d’acquérir le genre d’expérience et de connaissances dont M. Kindt dispose en matière d’infrastructures en éducation sans jamais avoir fait affaire, d’une façon ou d’une autre, avec le gouvernement, soit en tant qu’employé, ou en tant que consultant.

[552]	Je conclus que la crédibilité de  M. Kindt  n’est pas nécessairement entachée par ses liens professionnels  avec le gouvernement.  Mes observations pendant son témoignage me portent plutôt à conclure que les opinions qu’il données au sujet des infrastructures étaient sincères, et n’ont  pas été influencées par des motifs inappropriés.

[553]	J’ai cependant certaines réserves au sujet de la force probante de certaines de ses opinions, principalement parce que son expérience de travail, quoique vaste, n’inclut pas une expérience d’enseignement ou d’administration d’une école qui opère dans un contexte francophone minoritaire.  Il connaît très bien les standards utilisés par le Ministère de l’Éducation, et je ne remets nullement en question sa compétence en matière de planification et d’infrastructures scolaires de façon générale.  Mais il est clair que pour lui, chaque école est unique et a des besoins spéciaux, et les besoins spéciaux d’une école de la minorité francophone ne sont qu’un exemple de besoins spéciaux parmi tant d’autres, que l’on doit tenter d’accommoder à l’intérieur des standards et paramètres établis par le Ministère de l’Éducation.

[554]	Certains aspects de son opinion démontrent son manque de familiarité avec la mission et les particularités d’une école minoritaire. Par exemple, il suggère que pour mieux utiliser les espaces, la configuration des niveaux primaire et secondaire pourrait être réaménagée à l’École Boréale.  Ceci ignore que la CSFTN-O puisse avoir des raisons pédagogiques, propres à son programme, de définir les programmes primaire et secondaire de la façon dont elle le fait.

[555]	Il suggère aussi la possibilité que les élèves de l’École Boréale suivent leurs cours d’ÉPT en anglais, et explique que le regroupement des élèves de plusieurs écoles est une stratégie utilisée dans les autres provinces pour assurer la viabilité de ces cours.  En faisant ces suggestions, M. Kindt ne semble pas tenir compte de la mission d’une école minoritaire, ni de  l’importance que les élèves évoluent dans un environnement homogène en français.

[556]	Il y a un domaine où j’ai suffisamment de réserves au sujet du témoignage de M. Kindt pour l’écarter complètement.  Ceci concerne la controverse au sujet des commentaires dans son rapport de 2008 concernant le nombre d’enfants de non ayants droit à l’École Boréale.

[557]	Le témoignage M. Kindt a été plutôt vague concernant les discussions qu’il a eues avec M. Devitt au sujet de la politique d’admission de la CSFTN-O, et la question des nombres, quand ses services ont été retenus.  Mais il a dit qu’il était au courant de la politique d’admission.  Il a aussi été plutôt vague dans sa description de la façon dont le sujet des nombres d’enfants de non ayants droit est venu dans ses conversations avec Mme Call.

[558]	M. Kindt a dit qu’il ne savait pas que la question de la politique d’admission et des nombres de non ayants droit était controversée.  Je trouve cette affirmation très surprenante, considérant la preuve sur ce sujet.

[559]	Comme j’en ai fait état précédemment, quand il a été contre-interrogé, M. Kindt a d’abord dit qu’il ne pensait pas avoir rencontré un représentant du DEA lors de sa visite à Hay River.  Ce n’est que lorsque son attention a été attirée sur cette partie de son rapport qu’il a reconnu avoir eu cette rencontre.  Le rapport indique que le représentant du DEA a parlé de la politique d’admission de la CSFTN-O comme étant un obstacle aux partenariats entre les deux commissions scolaires.  M. Kindt a dit qu’il n’avait pas pris ce commentaire particulièrement au sérieux.

[560]	J’ai beaucoup de difficulté avec ces réponses.  Même en acceptant que M. Kindt ne savait peut-être pas, au départ, que la question était controversée, je ne vois pas comment il aurait pu ne pas savoir qu’elle l’était après sa conversation avec le représentant du DEA.

[561]	Visiblement, il a estimé que les nombres figurant au tableau de Mme Call suggéraient qu’il y avait plus d’enfants de non ayants droit que la limite de 20% prévue à la politique d’admission.  Il a jugé la question suffisamment importante pour inclure cette information dans son rapport.  Pourtant, après avoir fait ces constatations, il ne semble pas avoir cherché à approfondir ou clarifier la question avec Mme Call.  Il n’y a pas de preuve qui suggère qu’il ait tenté d’approfondir la question avec la CSFTN-O non plus.

[562]	  Pourtant, M. Kindt a bien reconnu dans son rapport que cette question concernant les admissions devait être « réglée », à cause de son impact sur les nombres, et donc, sur la portée d’un agrandissement éventuel de l’école.  Je trouve très étonnant, dans ce contexte, qu’il maintienne qu’il ne considérait pas cette question comme étant controversée, puisqu’il note à quelques reprises dans son rapport son impact sur les projections et les besoins futurs de l’école.  Je trouve difficile de croire que l’importance du sujet lui ait complètement échappé.

[563]	Il aurait dû être encore plus évident que la question était importante quand le Ministère a demandé à M. Kindt de confirmer l’exactitude des chiffres dans son ébauche de rapport concernant les nombres d’enfants de non ayants droit à l’école.  Encore là, il n’a pas jugé bon de communiquer avec Mme Call pour s’assurer de l’exactitude des chiffres.

[564]	Pour moi, tous ces facteurs entachent la fiabilité du témoignage de M. Kindt concernant cette question.  Au mieux, il a très mal saisi, mal compris et mal évalué les conversations qui ont porté sur le sujet, tant celles avec Mme Call que celles avec le représentant du DEA.

[565]	En ce qui concerne les discussions entre Mme Call et M. Kindt concernant cette question, j’accepte le témoignage de Mme Call. Je conclus qu’elle a bel et bien dit à M. Kindt que l’information dans le tableau qu’elle lui a remis était incomplète et qu’il restait du travail à faire.

h. Extraits de l’interrogatoire au préalable de Philippe Brûlot

[566]	Philippe Brûlot était le directeur général de la CSFTN-O au moment du procès.  Il était en poste en 2008 quand ce recours a été intenté et quand la directive ministérielle  est entrée en vigueur.  Il n’a pas été appelé comme témoin au procès, mais il est le signataire de plusieurs lettres versées en preuve concernant la mise en œuvre de la directive et les demandes de permission d’inscription.  Les Défendeurs ont versé en preuve des extraits de son interrogatoire au préalable (pièce #207)

[567]	Plusieurs des faits relatés dans ces extraits ont été établis par d’autres éléments de preuve au sujet du développement de l’école francophone à Hay River, comme le déménagement dans les classes portatives, le choix de l’emplacement de la nouvelle école et l’approbation par la CSFTN-O du projet de construction de l’édifice.

[568]	M. Brûlot a confirmé que les classes à niveaux multiples sont une pratique courante dans les petites écoles.  Il a aussi reconnu que ce n’est pas simplement pour des raisons de manque d’espace qu’on jumelle des niveaux.

[569]	Il a précisé que dans la mesure où la CSFTN-O demande 13 salles de classe pour l’École Boréale et croit que ces salles pourraient être comblées, elles seraient comblées avec des enfants d’ayants droit et des enfants de non ayants droit qui seraient admis sur permission de la CSFTN-O.

[570]	M. Brûlot a aussi dit que pour assurer la protection identitaire de l’école, la CSFTN-O visait à ce qu’il y ait un maximum de 40% d’élèves qui, au moment de leur admission à l’école étaient des non ayants droit, et que sur ce nombre, au moins 20% soient des élèves ayant des ancêtres francophones.  Mais c’était une politique officieuse qui ne faisait pas partie de la politique écrite.

[571]	M. Brûlot a aussi confirmé que suite à l’adoption de la directive ministérielle, il a tenu une rencontre publique avec les parents où il a clairement expliqué les paramètres de la directive et le fait que de compléter le programme de pré-maternelle ne donnait pas à un enfant un droit automatique d’inscription à la maternelle.  La majorité des parents ont assisté à cette rencontre.

2. 	Questions de recevabilité


a. 	La pièce « Z »

[572]	Pendant le témoignage de Mme Perris, les Défendeurs ont voulu verser en preuve des projections qu’elle a préparées en utilisant les résultats du recensement de 2006 ainsi que certaines projections démographiques élaborées par le Bureau territorial des statistiques.

[573]	Mme Perris a expliqué que le Bureau territorial des statistiques fait régulièrement des projections concernant différents sujets, incluant les fluctuations dans la population des TN-O.  Ce faisant, le Bureau tient compte de plusieurs facteurs, comme les tendances historiques, le taux de mortalité et de naissance, la migration des personnes.

[574]	Selon les résultats du recensement de 2006, le nombre d’enfants entre 5 et 17 ans dans les TN-O était de 8,325.  Ce nombre d’enfants, pour Hay River, était de 735, dont 25 avaient au moins un parent a identifié le français comme sa langue maternelle.

[575]	Utilisant ces données, et les projections territoriales concernant l’évolution de la population en général, Mme Perris a fait des projections concernant ce que sera le nombre d’enfants ayant au moins un parent ayant identifié le français comme étant sa langue maternelle pour les années 2014 et 2019.

[576]	Mme Perris a fait ces projections sur une base purement mathématique.  Le Bureau des statistiques prévoit qu’en 2014, le nombre d’enfants entre 5 et 17 ans sera de 7,692 dans les TN-O, dont 608 à Hay River.  Pour 2019, la projection est qu’il y aura 8,082 enfants entre 5 et 17 ans dans les TN-O dont 552 à Hay River.  Mme Perris a présumé que la proportion d’enfants avec au moins un parent qui a le français pour langue maternelle resterait stable, utilisé le pourcentage issu du recensement de 2006, et appliqué ce même pourcentage aux chiffres projetés, pour la population générale, pour 2014 et 2019.  Utilisant ce pourcentage, elle a calculé que le nombre d’enfants avec au moins un parent ayant le français pour langue maternelle sera 21 en 2014 et 19 en 2019.

[577]	Les Demandeurs s’objectent à la recevabilité de ce document, en disant qu’il s’agit d’un témoignage d’opinion.

[578]	Lors des conférences de gestion d’instance en prévision du procès, le procureur des Défendeurs avait soulevé la question des statistiques qu’il entendait présenter en preuve, justement pour clarifier si les Demandeurs s’objecteraient à ce que cette preuve soit présentée par un témoin ordinaire plutôt que par un témoin expert.  Il avait été question plus précisément, dans ces discussions, des résultats du recensement de 2006.  Le procureur des Demandeurs avait alors indiqué qu’il ne s’objecterait pas à ce que les résultats soient mis en preuve par l’entremise d’un témoin ordinaire, mais avait précisé que la fiabilité des chiffres, elle, serait contestée.

[579]	En s’objectant à ce que la pièce « Z » soit versée en preuve, les Demandeurs soulignent que leur position concernant la recevabilité des statistiques s’appliquait uniquement aux statistiques.  Selon eux, il n’avait jamais été question de preuve de projections dans les conférences de gestion d’instance.  Les Demandeurs font valoir qu’ils ne se sont jamais engagés à concéder la recevabilité de preuve de projections par l’entremise d’un témoin ordinaire.


[580]	Je suis d’accord avec les Demandeurs qu’il y a une distinction entre une preuve purement statistique, comme le résultat du recensement, et une preuve de projections.  Et je crois qu’il est exact de dire qu’il n’a pas été question spécifiquement de projections dans les conférences de gestion d’instance.  Je ne pense pas qu’il y ait eu mauvaise foi de la part de qui que ce soit, mais plutôt qu’il y eu un malentendu quant à l’étendue de la preuve que les Défendeurs voulaient présenter au moment où ils ont soulevé cette question.

[581]	Par contre, plusieurs autres documents versés en preuve dans ce procès incluent des projections, certaines présentées par les Défendeurs et d’autres par les Demandeurs.  Ces documents ont dans tous les cas été versés en preuve par l’entremise de témoins ordinaires.

[582]	Dans la mesure où Mme Perris est la personne qui a préparé les projections et a été en mesure d’expliquer la méthode qu’elle a suivie, je ne crois pas que son témoignage à ce sujet soit, à proprement parler, un témoignage d’opinion.  La question est beaucoup plus, à mon avis, quelle force probante peut être attribuée à ces projections.  Je déclare donc la pièce « Z » recevable.

b. 	La pièce « AA »

[583]	La pièce « AA » est un document qui dresse la liste des écoles des TN-O, de leur capacité, leur nombre d’inscriptions et leur taux d’utilisation.  Les Défendeurs ont voulu verser ce document en preuve pendant le témoignage de M. Devitt.  Les Demandeurs s’objectent à ce que le document soit versé en preuve au motif qu’il ne faisait pas partie des documents qui leur ont été divulgués avant le procès.  Le procureur des Demandeurs affirme avoir vu ce document pour la première fois le jour même du témoignage où les Défendeurs ont essayé de le verser en preuve.

[584]	Le procureur des Défendeurs a répondu que plusieurs documents versés en preuve par les Demandeurs lui ont également été fournis pendant le procès et non avant, et que ceci est normal étant donné la nature dynamique d’un procès.


[585]	Le procureur des Défendeurs n’a pas expliqué ce qui, dans le déroulement du procès, a rendu nécessaire l’usage de ce document, ni à quel moment cette décision a été prise.  Le document est daté du 15 janvier 2010 et traite du taux d’utilisation des écoles dans les TN-O et à Yellowknife en particulier.  Ce sujet a été abordé par d’autres témoins pendant le procès, notamment pendant le témoignage de M. Huculak, qui a eu lieu plusieurs jours avant celui de M. Devitt.  Il n’y a donc pas vraiment d’explication satisfaisante pour la non divulgation de ce document.

[586]	Cependant, je reconnais que certains documents versés en preuve par les Demandeurs ont également été fournis aux Défendeurs pendant le procès.  Dans plusieurs cas il s’agissait de mises à jour de documents déjà divulgués, mais il n’en reste pas moins que cela rendait difficile pour les Défendeurs d’en vérifier le contenu.

[587]	Dans les circonstances, je déclare la pièce « AA » recevable, malgré sa divulgation tardive.

c. 	La pièce « BB »

[588]	La pièce « BB » est un document de 7 pages que les Défendeurs ont également voulu verser en preuve durant le témoignage de M. Devitt.  Il s’agit de descriptions des écoles des communautés de Colville Lake, Dettah, Jean Marie River, Kakisa, Nahanni Butte, Trout Lake et Wrigley.  Les documents incluent un plan de l’école, le nombre d’élèves aux différents niveaux, et des renseignements concernant l’année de construction et les taux d’utilisation.


[589]	Les Demandeurs s’objectent à ce que ces documents soient versés en preuve, encore une fois parce qu’ils ne leur ont pas été divulgués au préalable.  Le procureur des Demandeurs a ajouté que lors de l’interrogatoire au préalable de M. Devitt, il avait demandé, par voie d’engagement, qu’on lui fournisse les plans des écoles de grandeur comparable à l’École Boréale de Hay River, et qu’en réponse à cet engagement, on ne lui a fourni que quelques plans.  Il estime donc qu’il serait injuste de permettre aux Défendeurs de présenter une preuve plus détaillée que ce qui lui a été fourni en réponse à cet engagement.

[590]	Les documents qui composent la pièce « BB » sont datés du 6 octobre.  Il me semble qu’il était assez clair, avant l’ouverture du procès, que l’une des questions en litige, tant dans ce recours que dans le recours CV2005000108, était le comparateur qui devait être utilisé pour déterminer si les deux écoles francophones des TN-O offraient une égalité réelle aux élèves qui la fréquentent par rapport aux écoles de la majorité.


[591]	Dans la mesure où les Défendeurs avaient l’intention de présenter de la preuve au sujet de d’autres écoles dans les TN-O pour étoffer cet argument, cette preuve aurait dû être divulguée.  Surtout que les Demandeurs avaient expressément demandé que leur soit divulgués les plans de certaines écoles dans le cadre des interrogatoires au préalable.  Il aurait été d’autant plus important, dans les circonstances, de divulguer aux Demandeurs tout plan d’école qu’ils comptaient verser en preuve.

[592]	Je suis d’accord avec le procureur des Défendeurs qu’il faut laisser aux parties à un procès une certaine latitude, car c’est un exercice dynamique et parfois complexe.  Ce fut certainement le cas pour ce procès-ci.  Par contre, les règles de procédure civiles sont établies pour éviter que l’une ou l’autre des parties soit prise par surprise.

[593]	Dans les circonstances, je conclus que la pièce « BB » n’est pas recevable.



d.	La pièce « CC »


[594]	La pièce « CC » est un rapport préparé par le bureau de la Vérificatrice générale du Canada au sujet du domaine de l’éducation dans les TN-O.  Le procureur des Défendeurs s’est référé à ce rapport durant le témoignage de Mme James, la directrice de l’école Kalemi Dene à N’Dilo.  Elle a confirmé qu’elle était au courant de ce rapport.  Il a porté plus particulièrement son attention sur un graphique qui apparaît à la page 16 du rapport, et qui montre que les taux de graduation dans les TN-O sont beaucoup plus élevés chez les élèves non autochtones que chez les élèves autochtones.  Ce taux, pour les élèves non autochtones, est nettement plus élevé que la moyenne territoriale, alors que pour les élèves autochtones il est nettement moins élevé.  Cette tendance s’observe de façon continue entre les années 1994-95 et 2007-2008.  Mme James a confirmé que ces données correspondent à ce qu’elle a pu observer pendant sa carrière, et qu’elles illustrent certains obstacles et défis qui continuent à exister pour plusieurs élèves autochtones.

[595]	Mme Grinsted a pour sa part témoigné que le Ministère de l’Éducation a fourni au bureau de la Vérificatrice générale plusieurs des informations qui ont été utilisées dans la préparation de ce rapport.  Mme Grinsted a aussi dit que le tableau qui montre les taux de graduation pour les TN-O lui semble être un reflet de la situation et de l’information qui est en possession du Ministère.

[596]	Les Demandeurs s’objectent à la recevabilité du rapport.  À mon avis cette objection est sans fondement, puisque le document a été déposé à l’Assemblée Législative, ce qui en fait un document public qui est recevable en vertu de la  Loi sur la Preuve, R.S.N.W.T. 1988, c. E-8.  Je déclare la pièce « CC » recevable.


III) 	ANALYSE

[597]	Les Demandeurs allèguent plusieurs violations de l’article 23.  Selon eux, l’École Boréale n’est pas conforme aux exigences de l’article 23 parce qu’elle n’assure pas aux élèves qui la fréquentent une égalité réelle par rapport aux élèves qui fréquentent les écoles de la majorité à Hay River.  Par ailleurs, ils affirment que le GTN-O ne respecte pas le droit de gestion de la CSFTN-O, et ce, à plusieurs égards.

[598]	Les Demandeurs réclament, en vertu du Paragraphe 24(1) de la Charte, diverses mesures de redressement en guise de réparation juste et convenable pour ces violations, incluant un certain nombre de déclarations, des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, et une ordonnance de dépens entre avocat et client.

[599]	Avant d’aborder plus précisément les violations alléguées par les Demandeurs, il convient de rappeler les principes généraux que la jurisprudence a établis concernant la mise en œuvre de l’article 23.

A.  	L’article 23

[600]	L=article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés est le fondement juridique du présent recours.  Cet article prévoit ce qui suit:

23(1)	Les citoyens canadiens:

(a) 	dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

(b) 	qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province

ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, au niveau primaire et secondaire, dans cette langue.

	(2)	Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

	(3)	Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province:

(a)	s=exerce partout dans la province où le nombre d’enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction de la langue de la minorité;

(b)	comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans les établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

[601]	L’objet général de l’article 23 est de maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu’elles représentent; il vise à favoriser l’épanouissement de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces et les territoires où elles ne sont pas parlées par la majorité.  Mahé c. Alberta [1990] 1 R.C.S. 324, para. 31.

[602]	L’article 23 a un objectif réparateur.  Il crée un droit pour le groupe minoritaire, et une obligation correspondante pour les gouvernements: l’obligation de changer ou de créer d’importantes structures institutionnelles. Mahé, supra, paras 36-37.

[603]	Les droits créés par l’article 23 ne sont pas absolus: ils doivent être compris et interprétés selon le critère de l’échelle variable.  Le seuil minimum de cette échelle est prévu à l’alinéa 23(3)(a) (Al’instruction@), et le seuil maximum est décrit à l’alinéa 23(3)(b) (Ale droit à l’instruction dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés par les fonds publics@).  La disposition garantit le type et le niveau de droits et de services qui sont appropriés pour assurer l’instruction de la langue de la minorité au nombre d’élèves en question.  Mahé, supra, para.38.

[604]	Lorsque la question qui se pose est de savoir si le nombre d’élèves justifie un certain niveau de service, la norme numérique doit être précisée par l’examen des faits propres à chaque situation.  Le nombre pertinent, pour les fins de cette analyse, est le nombre de personnes qui se prévaudront éventuellement du service, c’est à dire un nombre se situant approximativement entre la demande connue et le nombre  total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service.  Mahé, supra, para.78; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, para.32.

[605]	La justification au niveau des nombres doit prendre en considération deux facteurs: les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d’élèves, et le coût des services envisagés: c’est l’autre aspect du caractère non absolu du droit créé par l’article 23.  Par contre, étant donné le caractère réparateur de la disposition, les considérations pédagogiques pèsent plus lourd que les exigences financières quand il s’agit de déterminer si le nombre d’élèves justifie la prestation des services concernés.  Mahé, supra, paras 79-80.


[606]	À cause de son caractère réparateur, l’article 23 ne vise pas à renforcer le statu quo par l’adoption d’une conception formelle de l’égalité qui traiterait de la même façon les groupes majoritaires et minoritaires de langue officielle.  Les besoins pédagogiques des enfants de la minorité linguistique ne doivent donc pas être évalués uniquement par référence aux besoins pédagogiques des enfants de la majorité linguistique.  Arsenault-Cameron, supra, para. 31.

[607]	L’article 23 crée pour la minorité linguistique le droit à une certaine mesure de gestion et de contrôle.  Dès 1990, la Cour suprême du Canada expliquait pourquoi cette gestion et ce contrôle sont nécessaires:

[L’objet de l’article 23] est de préserver et promouvoir la langue et la culture de la minorité partout au Canada. Selon moi, il est indispensable à cette fin que, dans chaque cas où le nombre le justifie, les parents appartenant à la minorité linguistique aient une certaine mesure de gestion et de contrôle à l’égard des établissements d’enseignement où leurs enfants se font instruire.  Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l’épanouissement de leur langue et de leur culture.  Ils sont nécessaires parce que plusieurs questions de gestion (programmes d’études, embauchage et dépenses, par exemple) peuvent avoir des incidences sur les domaines linguistiques et culturels.  Je tiens pour incontestable que la vigueur et la survie de la langue et de la culture de la minorité peuvent être touchés de façons subtiles mais importantes par les décisions prises sur ces questions.  Pour ne donner qu’un seul exemple, la plupart des décisions relatives aux programmes d’études influent visiblement sur la langue et la culture des élèves de la minorité.

En outre, comme l’indique le contexte historique dans lequel l’article 23 a été adopté, les minorités linguistiques ne peuvent pas toujours être certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles. Cette carence n’est pas nécessairement intentionnelle: on ne peut attendre de la majorité qu’elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d’instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité.

(...)


Si l’article 23 doit redresser les injustices du passé et garantir qu’elles ne se répètent pas dans l’avenir, il importe que les minorités linguistiques aient une certaine mesure de contrôle sur les établissements d’enseignement qui leur sont destinés et sur l’instruction de leur langue.
Mahé, supra, paras 51-52.

[608]	Dix ans plus tard, la Cour suprême réaffirmait ces principes, soulignant à nouveau que le droit à la gestion et au contrôle est essentiel pour redresser les injustices du passé et que les besoins spécifiques de la minorité constituent la première considération dans toute décision touchant les questions d’ordre linguistique et culturel.  La Cour suprême précisait également qu’il n’était pas possible de donner les détails exhaustifs de ce qui est inclus dans le droit de gestion et de contrôle, à cause du critère de l’échelle variable des droits et du besoin d’adapter les modalités à la situation particulière de chaque province et chaque territoire.  Arsenault-Cameron, supra, paras 45-46.


[609]	La Cour suprême du Canada a également reconnu que les gouvernements doivent disposer de pouvoirs discrétionnaires les plus vastes possibles dans le choix des moyens à prendre pour remplir leurs obligations.  Mahé, supra, para. 96.  L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, cependant, n’est pas sans limite: il est restreint par le caractère réparateur de l’article 23, les besoins particuliers de la communauté linguistique minoritaire, et le droit des représentants de la minorité de gérer les établissements d’enseignement de la minorité.  Arsenault-Cameron, supra, para. 44.

[610]	Les provinces et territoires ont un intérêt légitime dans le contenu des normes qualitatives des programmes d’enseignement, et peuvent réglementer le contenu de ces programmes, de même que la taille des établissements, le transport, et les regroupements d’élèves.  Mais dans la mesure où ces éléments influent sur la langue et la culture, leur réglementation doit tenir compte de la situation particulière de la minorité et de l’objet de l’article 23.  Arsenault-Cameron, supra, para. 53.

[611]	La jurisprudence reconnaît également qu’un gouvernement peut décider d’accorder plus de pouvoirs de gestion à la minorité linguistique que ce qui est requis par l’article 23.  La disposition crée un seuil minimum que le gouvernement doit respecter; il ne crée pas plafond ou de limite maximale.  Mahé, supra, para. 65.


[612]	De bien des façons, le présent recours est différent de plusieurs autres qui ont été entrepris en vertu de l’article 23.  Il ne concerne pas une inaction complète du gouvernement, puisqu’une école a été construite spécifiquement pour répondre aux besoins de la minorité francophone de Hay River.  Le litige entre les parties porte sur la suffisance des installations fournies.  L’évaluation de cette question requiert une analyse de ce constitue l’égalité réelle, dans les circonstances qui prévalent à Hay River, compte tenu du critère de l’échelle variable.

[613]	Le recours soulève aussi une question fondamentale, et nouvelle, au sujet de la portée du droit de gestion: celle à savoir qui, du gouvernement ou de la CSFTN-O, a le pouvoir de décider des critères d’admission au programme d’enseignement en français.  Dans le contexte qui prévaut à Hay River, cette question est indissociable de celle qui concerne la suffisance des espaces.

[614]	Je vais donc d’abord aborder la question de la validité constitutionnelle de la directive ministérielle.

B. 	La directive ministérielle

[615]	Les Défendeurs prétendent que le Ministre a le pouvoir d’émettre une directive comme celle qu’il a émise en juillet 2008 parce que ce pouvoir est essentiel pour lui permettre de s’assurer que les ressources  engagées par le gouvernement pour se conformer à ses obligations constitutionnelles envers les ayants droit sont utilisées à cette fin, et non pour donner des services à des non ayants droit.  Ils affirment qu’un tel pouvoir, loin d’être incompatible avec l’article 23, est conforme à son objet, soit la protection des droits reconnus à un groupe défini et limité d’individus.

[616]	Les Demandeurs et l’Intervenante affirment pour leur part que l’établissement de critères d’admission au programme d’enseignement en langue minoritaire relève du pouvoir exclusif dont la commission scolaire minoritaire dispose en vertu de son droit de gestion.


[617]	La validité de la directive ministérielle est une question strictement juridique.  Elle est analogue à une question touchant le partage des pouvoirs entre deux paliers de gouvernement.  En ce sens, les raisons pour lesquelles la directive a été adoptée et la façon dont elle a été appliquée, bien que faisant partie du contexte et pouvant avoir un impact sur les mesures de redressement qui pourraient éventuellement être ordonnées, ne sont pas des facteurs pertinents pour déterminer sa validité juridique.  La même chose est vraie pour la teneur de la politique d’admission de la CSFTN-O et la façon dont elle a été appliquée de 2001 à 2008.


[618]	Les tableaux préparés par Mme Call démontrent bien que la croissance de la population de l’École Boréale, depuis son ouverture en 2005, n’est pas principalement due à une augmentation du nombre d’enfants d’ayants droit qui la fréquentent; ce nombre est demeuré stable.  La population étudiante a augmenté suite à l’inscription à l’école de plusieurs élèves dont les parents ne sont pas des personnes visées par l’article 23.

[619]	Il est évident que les critères d’accès à un programme d’enseignement en langue minoritaire ont un impact sur les ressources du gouvernement. Si les critères d’admission sont plus généreux, le gouvernement risque de devoir consacrer plus de ressources au programme.  Si les critères sont plus stricts, le gouvernement risque de devoir y consacrer moins de ressources.

[620]	Il est aussi clair que le gouvernement a un intérêt légitime dans l’utilisation de ses ressources.  La question fondamentale est donc de savoir, quant à l’établissement de critères d’admission, si le droit de gestion de la CSFTN-O a préséance sur celui du gouvernement de limiter ses dépenses.  Dans la mesure où la jurisprudence reconnaît qu’il y a, de part et d’autres, des intérêts légitimes à considérer, il faut, selon moi, se tourner vers l’objet de l’article 23 pour répondre à cette question.

[621]	À mon avis, l’objet de l’article 23, et particulièrement son caractère réparateur, suggère que c’est à la communauté minoritaire que doit revenir le pouvoir de décider des critères d’admission au programme d’enseignement en langue minoritaire.


[622]	Le droit de gestion existe même quand les nombres ne justifient pas la création d’une commission scolaire indépendante.  Dans Mahé, la Cour suprême a conclu que même si le gouvernement de l’Alberta n’était pas obligé de créer un conseil scolaire indépendant, les parents appartenant à la minorité linguistique devaient avoir le pouvoir exclusif de prendre les décisions concernant l’instruction dans la langue minoritaire dans les écoles.  Mahé, supra, para. 99.

[623]	Cette reconnaissance par la Cour suprême du Canada d’une exclusivité des pouvoirs est importante.  Elle signale que dans la mesure où un sujet fait partie du champ de compétence de la minorité, les gouvernements ne peuvent pas y substituer leur point de vue.  Cette protection est nécessaire pour éviter que la minorité linguistique soit à la merci de décisions prises par la majorité qui, parfois, peut ne pas comprendre les préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité.

[624]	Concernant la portée du droit de gestion, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il est essentiel à la réalisation de l’objet de l’article 23 que le groupe linguistique minoritaire ait un contrôle sur les aspects de l’éducation qui concernent ou qui touchent sa langue et sa culture.  Mahé, supra, para. 57.

[625]	La question est donc: Aest-ce que la gestion des admissions au programme d’enseignement minoritaire est un aspect de l’éducation qui concerne ou touche la langue et la culture du groupe minoritaire?@  Selon moi, la réponse est Aoui@.


[626]	L’aspect réparateur de l’article 23 est fondamental, et n’exige pas seulement que les mesures prises pour assurer la mise en œuvre des droits linguistiques minoritaires maintiennent le statu quo.  L’objectif n’est pas uniquement de ne pas répéter les erreurs qui ont mené à l’érosion des communautés linguistiques minoritaires.  Il s’agit aussi pour les gouvernements de faire ce qu’il faut, là où c’est possible, pour réparer ces injustices.  Selon moi, cette réparation passe notamment par un renversement des effets de l’assimilation et par la revitalisation de la communauté minoritaire.

[627]	Il me semble qu’un moyen efficace de renverser les effets de l’assimilation peut parfois être de rendre l’enseignement en langue minoritaire accessible à des personnes qui n’y ont pas strictement droit.  Mais il est crucial que ceci soit fait d’une façon qui ne compromet pas l’homogénéité du programme et tient compte de la capacité de l’école d’intégrer ces effectifs.

[628]	  À mon avis, il revient à la minorité, et non au gouvernement, de décider dans quelle mesure le programme d’enseignement en langue minoritaire peut contribuer à la revitalisation de la communauté tout en protégeant l’intégrité de son programme.  Pour moi, c’est un aspect de l’éducation qui touche nettement la langue et la culture, et donc, est du ressort exclusif de la commission scolaire.  La commission scolaire est d’ailleurs beaucoup mieux placée que le gouvernement pour prendre les décisions concernant l’admission de personnes qui veulent se prévaloir du service même s’ils n’y ont pas strictement droit.

[629]	Dans les faits, la politique d’admission de la CSFTN-O a effectivement contribué à la revitalisation du fait francophone à Hay River.  La preuve a révélé que c’est une communauté où le taux d’assimilation est élevé.  Et ce n’est guère étonnant: jusqu’à relativement récemment, il n’y avait ni programme de francisation pour la petite enfance, ni programme d’enseignement en français dans cette communauté.

[630]	Comme l’ont expliqué le Dr. Landry et le Dr. Denis, l’absence de structures institutionnelles limite beaucoup la possibilité pour une communauté minoritaire de maintenir sa vitalité.  Plus le taux d’assimilation est élevé, plus le nombre de personnes titulaires des droits garantis par l’article 23 diminue,  moins les droits sont exercés, et plus ils continuent à s’éroder.  C’est un cycle qui peut être très dévastateur pour une petite communauté : le statut d’ayant droit peut se perdre en une seule génération.  C’est ce qui serait peut-être arrivé aux filles de Mme Boulanger si l’École Boréale n’avait pas existé.  C’est Al’entonnoir vers le bas@ dont a parlé le Dr. Denis.

[631]	Une des façons de revitaliser la communauté est de donner accès au programme d’enseignement en français à un plus large éventail de personnes, pour augmenter les nombres et créer l’effet contraire, soit un Aentonnoir vers le haut@.

[632]	C’est ce qui s’est passé à Hay River.  La revitalisation de la communauté minoritaire a commencé avec la création de l’Association franco-culturelle en 1987.  Cette revitalisation a eu un effet progressif.  Les membres de la communauté minoritaire ont commencé à réclamer des services.  Ces demandes ont mené à la création du programme de francisation, et, éventuellement, à celle du programme scolaire.


[633]	L’École Boréale, même du temps où elle était encore dans les classes portatives, est rapidement devenu un moteur de la revitalisation du fait francophone à Hay River.  L’école a eu un impact non seulement sur les enfants qui la fréquentent mais aussi sur leurs parents.  Par exemple, Mme Taillefer a parlé de gens qu’elle connaissait depuis longtemps dans la communauté et qui lui avaient toujours parlé anglais mais qui, dans le contexte de l’école, se sont mis à lui parler français.


[634]	Le programme de francisation au préscolaire et la politique d’admission de la CSFTN-O ont donné accès au programme d’enseignement en français à plusieurs enfants qui, autrement, n’y auraient pas eu accès.  Ceci a contribué à franciser non seulement les enfants, mais aussi leurs parents.  Et cela a commencé à créer le phénomène Ad’entonnoir vers le haut@ qui peut renverser les effets de l’assimilation.

[635]	  Il n’y a aucun doute que l’existence de l’École Boréale et la politique d’admission de la CSFTN-O ont bel et bien eu pour effet de créer de nouveaux ayants droit. L’école a connu une croissance rapide et a connu un succès phénoménal.  Mais c’est loin d’être une abomination, et c’est loin d’être contraire à l’article 23: bien au contraire, c’est plutôt un excellent exemple de revitalisation et de réalisation de l’objet même de l’article 23.  En intégrant des nouveaux membres et en récupérant des générations perdues (ou en voie de se perdre), la communauté se revitalise, ce qui renverse les effets de l’assimilation.  Il me semble que c’est exactement ce que peut représenter, d’un point de vue concret, la réparation des torts du passé.

[636]	Il n’est pas contraire à l’objet de l’article 23 que les décisions de la CSFTN-O aient pour effet d’éventuellement créer des droits pour des personnes qui ne font pas partie, au départ, de la communauté minoritaire.  Le Paragraphe (2) de l’article 23 prévoit spécifiquement cette possibilité, puisque les frères et les sœurs d’un enfant qui fréquente l’école minoritaire acquièrent éventuellement le droit d’y avoir accès aussi.  Et il est bien établi par la jurisprudence que l’article 23 n’accorde pas une protection constitutionnelle uniquement aux membres de la communauté linguistique minoritaire. Abbey c. Conseil de l’éducation du comté d’Essex (1989), 42 O.R. (3d) 490 (C.A. Ont.); Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen 2009 CSC 47, au para. 27.

[637]	Dans Abbey, la Cour d’appel de l’Ontario a expliqué en quoi le fait de donner des droits à des personnes qui ne font pas partie de la communauté minoritaire est conforme à l’objet de l’article 23, et bénéfique pour la minorité :

		Même si le principal objet de l’article 23 est la protection de la langue et la culture 		de la minorité linguistique par la voie de l’instruction, il n’est pas interdit 				d’interpréter le paragraphe 23(2) selon son sens ordinaire, même si cela équivaut à 		accorder des droits à des personnes qui ne sont pas membres de la minorité 			linguistique.  Plus il y aura de personnes qui pourront parler couramment les deux 		langues officielles du Canada, plus ce sera facile pour les minorités linguistiques de 		s’épanouir au sein de la collectivité.
		Abbey, supra, p.8

[638]	Les Défendeurs font valoir que les gouvernements doivent avoir un droit de regard sur les admissions pour être en mesure d’intervenir si une commission scolaire gère mal les admissions et ce, au détriment des ayants droit.  Selon moi cet argument ne tient pas. La commission scolaire est la représentante des ayants droit et exerce en leur nom les pouvoirs de gestion.  L’argument des Défendeurs revient à dire que le Ministre doit avoir le pouvoir de protéger les ayants droit contre eux-mêmes.  Selon moi, ceci est contraire à la nature même du pouvoir de gestion qui leur est conféré : sur les questions qui ont un impact sur la langue et la culture, les ayants droit ont un pouvoir de gestion exclusif, et quand une commission scolaire existe, elle exerce ces pouvoirs en leur nom.


[639]	D’ailleurs il n’y a, en l’espèce, aucune preuve qui suggère que l’intégrité linguistique de l’école ou l’homogénéité de son programme étaient menacées par la présence d’enfants de non ayants droit à l’École Boréale.  Au contraire, les témoins ont expliqué qu’en raison du taux élevé d’exogamie à Hay River, la plupart des enfants d’ayants droit avaient autant besoin d’être francisés que les enfants de non ayants droit et que de fait, il était très difficile de distinguer les deux groupes au sein de l’école.

[640]	  Il n’y a absolument rien dans la preuve qui indique que la présence d’enfants de non ayants droit à l’École Boréale ait compromis son caractère francophone.  Et le témoignage de M. Paul concernant ce qu’il a observé dans certaines écoles minoritaires en Ontario qui accueillent des enfants de non ayants droit est au même effet.

[641]	Il n’y a aucune preuve non plus que même un seul ayant droit de Hay River se soit plaint du nombre d’enfants de non ayants droit dans l’école, ou ait exprimé un désaccord avec la politique d’admission de la CSFTN-O ou avec sa façon de la gérer.  Les seules critiques de la politique d’admission sont venues de l’extérieur, manifestement à cause qu’elle crée une concurrence aux écoles du DEA.

[642]	Il n’y a aucune preuve non plus que des enfants d’ayant droit se sont vus refuser l’accès à l’école à cause du manque d’espace.


[643]	La preuve a aussi établi qu’il est avantageux, sur le plan pédagogique, d’avoir une certaine masse critique d’élèves.  Il est difficile d’imaginer qu’il aurait été plus avantageux pour les enfants d’ayants droit, sur le plan pédagogique, d’être dans une école avec beaucoup moins d’élèves, tout en étant répartis sur 13 niveaux, même si cela leur aurait donné plus d’espace.

[644]	Le témoignage de M. Paul  et la pièce « L », confirment d’ailleurs que la situation qui prévaut à Hay River n’est pas hors norme par rapport à ce qui se vit dans les écoles minoritaires francophones ailleurs au Canada.  La plupart des conseils scolaires francophones ont des politiques d’admission qui leur permettent d’accueillir des enfants de non ayants droit dans leurs écoles.  Les critères et mécanismes varient d’une juridiction à l’autre, mais le fait de pouvoir accepter des personnes autres que celles visées par l’article 23 est la norme dans le contexte canadien, pas l’exception.


[645]	D’autre part, les données recueillies par la FNCSF démontrent bien qu’il n’est pas inhabituel que le nombre d’élèves qui ne sont pas des enfants d’ayants droit forme un pourcentage élevé des effectifs de l’école.  M. Paul et le Dr. Denis ont tous deux affirmé que le caractère francophone d’une l’école n’est pas déterminé par le pourcentage d’enfants d’ayants droit qui la fréquentent.  Ils ont dit que le caractère francophone tient à sa mission, à ses programmes, et à sa capacité d’intégrer ses élèves.  J’accepte leur témoignage à cet effet.  Ces témoignages rejoignent d’ailleurs entièrement ce dont les témoins ont fait état en parlant de l’École Boréale.

[646]	La nécessité pour le Ministre de pouvoir contrôler les admissions pour protéger les ayants droit contre eux-mêmes n’est donc pas, selon moi, un argument convaincant.  Quant à la nécessité de donner au Ministre un certain contrôle sur l’expansion d’une école de façon à contrôler les coûts, bien que le contrôle des dépenses soit un objectif légitime, il doit selon moi céder le pas au droit de la minorité de contrôler, en matière d’éducation, les questions qui ont un impact sur sa langue et sa culture.

[647]	 Les Défendeurs se fondent sur certains arrêts de la Cour suprême du Canada, issus de la province de Québec, à l’appui de leur position concernant la directive ministérielle.  Selon moi ces arrêts n’appuient pas la position des Défendeurs, pour deux raisons : premièrement, ils ne portent pas sur le droit de gestion de la minorité, et deuxièmement, dans la mesure où ils concernent les pouvoirs du gouvernement, ceux-ci sont examinés dans le contexte très unique, du point de vue linguistique, qui prévaut au Québec.

[648]	Dans Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 15, des parents francophones du Québec réclamaient le droit d’envoyer leurs enfants à l’école de la minorité anglophone.  La Cour suprême a confirmé que l’objet de l’article 23 n’était pas d’instaurer un système de libre choix pour tous les parents concernant la langue d’enseignement pour leurs enfants, mais bien de garantir à la minorité linguistique de chaque province et territoire l’accès à certains services.  Le droit d’un parent de la majorité d’envoyer son enfant à une école minoritaire est une question complètement différente de celle qui concerne le droit de la minorité de décider qui aura accès à ses écoles.  Les Demandeurs ne revendiquent pas le libre choix pour les parents de choisir la langue d’enseignement pour leur enfant. Ils disent simplement que la décision de donner ou non accès au programme aux non ayants droit revient à la commission scolaire et non au Ministre.

[649]	L’arrêt Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général) 2005 CSC 14 porte sur une disposition de la Charte de la langue française qui exigeait que, pour pouvoir se prévaloir du droit à l’éducation en anglais conformément au Paragraphe 23(2) de la Charte, un enfant devait avoir fait la majeure partie de son parcours éducatif en anglais.  La Cour suprême a conclu que le gouvernement du Québec avait le droit de légiférer sur ce sujet, mais précisé qu’une telle loi, et son interprétation, devaient être conformes à l’article 23. La Cour a conclu que le parcours éducatif de l’enfant devait être évalué de façon qualitative, et que le Ministre ne pouvait pas tenir uniquement compte du nombre d’années passées par l’enfant dans les écoles françaises et anglaises pour décider s’il avait acquis le droit d’aller à l’école en anglais.

[650]	Dans la mesure où cet arrêt reconnaît un pouvoir au gouvernement de fixer des critères qui touchent au droit d’admission au programme d’enseignement minoritaire, il ne faut pas perdre de vue que l’exercice des droits prévus à l’article 23 s’inscrit dans un contexte complètement différent au Québec que dans le reste du Canada.  La Cour suprême a d’ailleurs bien pris soin de le souligner :

L’application de l’art. 23 est contextuelle.  Elle doit tenir compte des disparités très réelles qui existent entre la situation de la communauté linguistique minoritaire du Québec et celle des communautés linguistiques minoritaires des territoires et des autres provinces.  Le gouvernement provincial appelé à légiférer en matière d’éducation doit disposer de latitude suffisante pour assurer la protection de la langue française tout en respectant les objectifs de l’art.23.  Comme l’a souligné le juge Lamer dans le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man), p.851, « il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province ».

		Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), supra, para. 34.

[651]	Il va sans dire que dans le contexte des TN-O, l’accès aux écoles minoritaires francophones par des personnes qui ne font pas partie de cette minorité ne menace d’aucune façon la survie de la langue anglaise.

[652]	De plus, dans Solski, ce n’était pas la commission scolaire minoritaire qui contestait le droit du gouvernement de fixer des critères pour l’admission au programme minoritaire : c’étaient des parents qui n’étaient pas d’accord avec la position du Ministre concernant le critère et son interprétation.  La Cour n’a donc pas eu à se pencher sur le droit de gestion des ayants droit dans le contexte de cette affaire.

[653]	Quant à l’arrêt Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, selon moi, il n’est pas particulièrement utile non plus pour appuyer la thèse des Défendeurs. Encore une fois, il n’était pas question du droit de gestion d’une commission scolaire par rapport aux pouvoirs du gouvernement. Il était question, comme dans Solski, de la façon dont le parcours scolaire d’un enfant doit être évalué pour les fins de déterminer son droit d’accès à l’école anglophone.  La Cour suprême a réitéré ce qu’elle avait déjà dit au sujet de l’importance d’une évaluation qualitative, et non simplement quantitative, du parcours scolaire de l’enfant.  Elle a aussi précisé que le gouvernement ne pouvait pas exclure certaines institutions d’enseignement (les écoles privées) pour les fins de cette évaluation.

[654]	Les Défendeurs soulignent une mise en garde faite par la Cour concernant la création de nouvelles catégories d’ayants droit :

(...) notre Cour a rappelé que cette disposition ne précise pas de période minimale que l’enfant devrait passer dans un programme d’enseignement de la minorité pour bénéficier des droits reconnus par la Constitution (Solski, para.41).  Toutefois, un court passage dans une école de la minorité ne témoigne pas d’un engagement réel et ne peut suffire, à lui seul, à obtenir le statut d’ayant droit visé à la Charte canadienne. À cet égard, notre Cour met en garde contre les parcours scolaires artificiels destinés à contourner les objectifs de l’art.23 et à créer des catégories nouvelles catégories d’ayants droit dont l’existence dépend de la seule discrétion des parents :
Compte tenu des objectifs de l’art.23, il ne suffit pas qu’un enfant soit inscrit depuis quelques semaines ou quelques mois à un programme donné pour qu’il soit possible de conclure que cet enfant ainsi que ses frères et sœurs sont admissibles aux programmes d’enseignement dans la langue de la minorité au Québec. [Solski, para.39]

	Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, supra, para. 29.

[655]	Cette mise en garde concerne les risques associés à la création de nouvelles catégories d’ayants droit à la discrétion des parents.  Ici, il n’est pas question de cela.  La question qui se pose concerne le pouvoir de la commission scolaire en tant que représentante de l’ensemble des parents ayants droit.  D’autre part, et surtout, cette mise en garde a été faite dans le cadre d’un litige qui, comme c’était le cas dans l’arrêt Solski, s’inscrivait dans le contexte linguistique très particulier qui existe dans la province de Québec, où il est reconnu que la protection de la langue française, majoritaire dans cette province mais minoritaire dans le contexte plus large du pays et du continent, est une préoccupation importante pour le gouvernement.

[656]	Je conclus donc que ces arrêts récents de la Cour suprême du Canada n’ont modifié d’aucune façon les conclusions ressortant des arrêts Mahé et Arsenault-Cameron concernant le droit de gestion dont bénéficient les ayants droit.  Ils confirment que l’article 23 ne confère pas des droits uniquement aux membres de la communauté linguistique minoritaire, et l’importance de tenir compte du contexte spécifique de chaque juridiction dans la mise en œuvre de l’article 23.

[657]	Je conclus que parce que les critères d’admission au programme d’enseignement en français ont un impact significatif sur la langue et la culture de la communauté minoritaire, il relève du pouvoir exclusif de la commission scolaire de les établir.  En interdisant à la CSFTN-O d’appliquer sa politique d’admission, en restreignant l’accès au programme aux ayants droit, et en s’arrogeant le pouvoir exclusif de décider dans quelle mesure d’autres personnes peuvent avoir accès au programme, le Ministre a usurpé un pouvoir exclusif de la CSFTN-O.  Selon moi, la directive ministérielle est contraire à l’article 23 et n’est pas valide.




C. 	La validité constitutionnelle de la définition de Aparent@ à l’article 2 de la Loi sur l’Éducation

[658]	Le Paragraphe 2(2) de la Loi sur l’Éducation définit le terme Aparent@ de façon très large.  Cette définition inclut non seulement le père ou la mère, mais un certain nombre d’autres personnes, incluant, par exemple, quelqu’un qui a la garde légale de l’enfant, ou quelqu’un qui est chargé de veiller sur l’enfant dans le cas où ses parents sont à l’extérieur des TN-O et où la commission scolaire en a été avertie par écrit.

[659]	  Cependant, cette définition ne s’applique pas pour les fins de l’article 72 de la Loi, qui traite du droit à l’instruction en français :

72. 	Les élèves dont les parents ont le droit reconnu par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés de faire instruire leurs enfants en français ont le droit de recevoir cette instruction en conformité avec les règlements partout dans les territoires où s’exerce ce droit.

[660]	L’effet de la définition du mot « parent » et de l’article 72  est qu’un parent ayant droit peut se prévaloir du droit protégé par l’article 23 à l’égard de ses propres enfants, mais ne peut pas le faire à l’égard d’un enfant dont il a la garde légale résultant d’une tutelle.  C’est à cause de ces dispositions de la Loi que l’inscription de T. Blackman à l’École Boréale par Mme Coombs n’a pas été jugée valide.  Les Demandeurs affirment que la définition plus restreinte du terme « parent », pour les fins de l’exercice du droit protégé par l’article 23, est inconstitutionnelle.


[661]	Mme Coombs n’est pas une partie à ce litige, et je ne suis pas saisie ici d’une demande en contrôle judiciaire relativement à la décision du Ministre de refuser l’inscription de T.  La question qui se pose est simplement si la définition, telle qu’elle est rédigée dans la Loi, contrevient à l’article 23.

[662]	Le mécanisme de la tutelle peut être utilisé dans plusieurs circonstances, et pour plusieurs raisons.  Une tutelle peut s’étendre sur une très longue période, ou sur une période plus courte.  La signature d’une entente de tutelle n’implique pas nécessairement une intention d’intégrer l’enfant, à long terme, dans le milieu social, culturel et langagier de son tuteur ou de sa tutrice, même s’il peut y avoir des situations où c’est le cas.

[663]	Comme il en a été question dans la preuve, il arrive à des parents de confier la tutelle de leur enfant mineur à un autre adulte dans des situations où cet enfant va, pour une raison ou pour une autre, habiter loin du foyer familial pour un certain temps.  La tutelle est alors un moyen de s’assurer qu’un adulte responsable ait l’autorité légale de prendre des décisions concernant l’enfant (par exemple, si une décision doit être prise rapidement au sujet d’une intervention médicale).  Il y a d’autres situations où la garde légale d’un mineur est confiée à un tuteur à plus long terme.

[664]	À mon avis, le fait d’exclure les tuteurs de la définition de Aparent@ pour les fins de l’article 23 n’est pas contraire à l’objet de cette disposition.  Au contraire, cette définition restrictive peut même servir à en promouvoir les objectifs et protéger la minorité.

[665]	Dans la section précédente de ces motifs, j’ai conclu qu’il relève du droit de gestion de la commission scolaire de décider des critères d’accès au programme d’enseignement en français parce que l’accès au programme est une question qui touche la langue et la culture.  J’ai aussi conclu qu’il était compatible avec l’objet  réparateur de l’article 23 de permettre aux ayants droit de donner accès au programme d’enseignement à des gens qui n’y auraient pas strictement droit, dans une optique de revitalisation de la communauté, et pour renverser les effets de l’assimilation.

[666]	Pour être en mesure de mettre en œuvre ces objectifs, selon moi, il est important que la commission scolaire ait le maximum de discrétion et de contrôle dans la décision d’admettre ou ne pas admettre à l’école un enfant qui n’a pas le droit absolu d’y être.  La commission scolaire doit pouvoir évaluer sa capacité d’intégrer l’élève, compte tenu de toutes les circonstances, et prendre une décision au cas par cas en ce qui concerne l’admission d’enfants de non ayants droit.

[667]	En l’espèce, la famille Blackman et Mme Coombs ont essayé d’utiliser le mécanisme de la tutelle pour contourner la directive ministérielle.  La même stratégie pourrait être utilisée pour contourner la politique d’admission de la CSFTN-O si elle refusait l’admission à un enfant de non ayant droit.  Par exemple, un parent pourrait n’avoir aucune intention de s’intégrer à la communauté francophone mais vouloir simplement utiliser l’École Boréale comme substitut à un programme d’immersion. Ce parent pourrait faire ce que les Blackman ont fait et confier temporairement la garde de son enfant à un ayant droit.  Dans cette éventualité, la CSFTN-O n’aurait aucune discrétion en la matière.  La possibilité qu’une telle situation survienne est peut-être mince, mais fait partie du contexte dont on doit tenir compte en examinant la validité constitutionnelle de cette disposition.

[668]	Il est fort logique que pour la plupart des fins, dans le contexte de la Loi, le tuteur d’un enfant ait les mêmes droits et les mêmes responsabilités que le parent d’un enfant.  Il en va autrement de l’exercice des droits conférés par l’article 23.  Étant donnée la portée du droit protégé par cette disposition, il me semble que la définition plus restrictive du mot « parent », dans ce contexte, est justifiée.  Un adulte est susceptible d’avoir la garde légale d’un mineur en vertu d’une tutelle pour tellement de raisons et dans tellement de contextes que la restriction des conséquences qui en découlent pour les fins de l’article 23 n’est pas contraire à l’objet de la disposition.

[669]	La disposition ne contrevient pas non plus au droit de gestion de la CSFTN-O. Contrairement à la directive ministérielle, la définition n’a pas pour effet d’interdire l’admission d’un enfant de non ayant droit dont le tuteur est un ayant droit.  Elle ne fait que préciser les circonstances où le droit d’inscription est reconnu.  Cela ne limite en rien le pouvoir de la CSFTN-O de décider si elle permettra l’inscription.  Il appartiendrait à la CSFTN-O de décider, dans une situation de tutelle, si l’enfant peut être inscrit ou non.

D. 	La non délégation à la CSFTN-O par le Ministre de l’Éducation des pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi

[670]	Les Demandeurs affirment que la décision du Ministre de ne pas déléguer à la CSFTN-O les pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi sur l’éducation contrevient au droit de gestion protégé par l’article 23.  Les pouvoirs énumérés à l’article 119 concernent la gestion des bâtiments et terrains (le droit les acquérir, de les entretenir, ainsi que le droit de contracter des emprunts, y compris des emprunts garantis par des hypothèques).  Les Demandeurs réclament un certain nombre de déclarations pour confirmer l’étendue du droit de gestion de la CSFTN-O.


[671]	Pour tout organisme scolaire créé en vertu de la Loi, le Ministre a le pouvoir, mais non l’obligation, de déléguer ces pouvoirs à une administration scolaire.  L’article 119 ne s’applique donc pas exclusivement à la CSFTN-O.  Mais les Demandeurs prétendent qu’en ce qui concerne la commission scolaire minoritaire, cette absence de délégation de pouvoirs contrevient au droit de gestion protégé par l’article 23.

[672]	La position des Demandeurs est qu’en créant la CSFTN-O, le GTN-O a nécessairement reconnu que les nombres d’ayants droit dans les TN-O justifiaient l’attribution du plus haut niveau de gestion possible dans l’application du critère de l’échelle variable, et que ce degré maximal de gestion implique dans tous les cas le droit d’être propriétaire des infrastructures et de les gérer de façon complètement autonome.


[673]	À mon avis, la jurisprudence ne supporte pas cette position.  Au contraire, les arrêts qui portent sur l’article 23 ont établi que son application doit être flexible et adaptée aux circonstances.  La position des Demandeurs concernant le droit de gestion, que je considère être essentiellement une approche du Atout ou rien@, va à l’encontre de ces principes.

[674]	Toutes les commissions scolaires dans les TN-O sont dans la même situation que la CSFTN-O, à part les deux commissions scolaires anglophones de Yellowknife.  Ces dernières sont propriétaires de leurs édifices, pour des raisons historiques.  La preuve sur ce sujet n’a pas été très détaillée.  Mais les pouvoirs de ces deux commissions scolaires ne découlent pas d’une décision du GTN-O de les traiter différemment des autres.  Et la preuve a établi que même ces commissions scolaires n’ont pas une autonomie complète en ce qui concerne leurs infrastructures, même si elles en sont propriétaires.  Les projets en capitaux qui concernent les écoles qui relèvent de ces commissions scolaires sont mis de l’avant par le Ministère de l’Éducation et soumis au processus de développement du Plan capital du gouvernement, au même titre que les projets concernant les écoles qui relèvent de la CSFTN-O ou des autres conseils scolaires.


[675]	L’autonomie complète concernant les infrastructures, que réclament les Demandeurs, est une chose dont aucune autre commission scolaire dans les TN-O ne dispose.  La jurisprudence reconnaît qu’il faut parfois traiter la minorité différemment de la majorité pour atteindre l’objectif de l’égalité réelle.  Mais elle reconnaît aussi l’importance de laisser au gouvernement la plus grande discrétion et la plus grande flexibilité possible dans le choix des moyens pour remplir ses obligations à l’égard de la minorité linguistique.

[676]	Le Dr. Landry a expliqué que plus la commission scolaire a d’autonomie dans la gestion de ses infrastructures, plus elle peut efficacement promouvoir les objectifs réparateurs de l’article 23.  J’accepte ce fait, mais je ne crois pas que cela signifie que juridiquement, l’autonomie complète est requise dans tous les cas.

[677]	Pour moi, le Règlement sur l’instruction en français langue première reflète bien la flexibilité qui est exigée des gouvernements dans la mise en œuvre des objets de l’article 23.


[678]	L’article 9 du Règlement prévoit que le Ministre peut créer une commission scolaire francophone si un seuil numérique est atteint (plus de 500 élèves sont inscrits au programme).  Mais il reconnaît aussi que le Ministre peut le faire, même si ce seuil numérique n’est pas atteint, s’il est satisfait que la commission scolaire respectera les obligations d’un organisme scolaire et répondra aux normes du gouvernement en matière d’enseignement.  L’effet de cette disposition est de permettre au Ministre de créer une commission scolaire pour la minorité même si le nombre d’ayants droit est relativement modeste.  Le Règlement reconnaît que le nombre d’inscriptions est une raison de créer une commission scolaire, mais pas la seule raison.

[679]	En l’espèce, le Ministre s’est prévalu de cette possibilité.  Le nombre d’élèves inscrits au programme d’enseignement en français au moment de la création de la CSFTN-O était en en deçà de 500 (il l’est d’ailleurs toujours).  La décision du Ministre de créer une commission scolaire était donc nécessairement fondée sur l’alinéa 9(3)(a) du Règlement.

[680]	La décision de créer une commission scolaire n’est pas sans conséquence.  La Loi prévoit l’obligation pour le Ministre de lui déléguer nombre de pouvoirs.  Elle implique donc, selon moi, une reconnaissance que les nombres justifient un certain degré de gestion.


[681]	La première conclusion que les Demandeurs me demandent de tirer est que la décision des Défendeurs de créer une commission scolaire constitue un aveu qu’ils avaient une obligation constitutionnelle de le faire.  Cet argument ne tient pas compte du cadre législatif que je viens d’évoquer.  Il ne tient pas compte non plus de la jurisprudence qui reconnaît qu’un gouvernement peut être proactif et aller au-delà de ses strictes obligations constitutionnelles en ce qui concerne le droit de gestion.

[682]	Mais même si les Demandeurs ont raison, le vrai problème se situe au niveau de la deuxième proposition qu’ils avancent, soit qu’en vertu de l’article 23, si les nombres justifient la création d’une commission scolaire, ils justifient aussi nécessairement que lui soit attribuée une autonomie complète au niveau des infrastructures.

[683]	Le critère de l’échelle variable veut dire que les nombres ont un impact sur la nécessité de créer une commission scolaire minoritaire, mais ils ont aussi un impact sur le degré d’autonomie qui doit lui être accordé.

[684]	Il n’est pas compatible avec la jurisprudence de prétendre que toute commission scolaire, qu’elle soit responsable de 100 élèves ou de 10,000 élèves, doive nécessairement avoir exactement le même pouvoir de gestion et le même niveau d’autonomie par rapport au gouvernement.

[685]	Cette interprétation, si elle était retenue, pourrait nuire à la mise en œuvre des objectifs de l’article 23 plutôt que de les promouvoir.  Une approche aussi rigide pourrait avoir un effet dissuasif sur les gouvernements et les inciter à éviter le plus possible de créer des commissions scolaires minoritaires dans le but de conserver un meilleur contrôle sur les finances publiques.  Cela aurait pour effet de priver les ayants droit, dans certains cas, de plusieurs autres bénéfices qui découlent du fait d’avoir leur propre commission scolaire.

[686]	À mon avis, une approche plus nuancée est plus compatible avec le critère de l’échelle variable et la flexibilité que la jurisprudence reconnaît aux gouvernements dans la mise en œuvre de l’article 23.

[687]	 Selon moi, ce n’est pas le fait de créer la commission scolaire minoritaire qui détermine l’étendue du droit de gestion qu’elle doit avoir, ce sont les nombres.  La création d’une commission scolaire n’entraîne donc pas une série de conséquences prédéterminées au sujet de l’étendue de son droit de gestion.

[688]	À mon avis les Demandeurs n’ont pas établi qu’en vertu du critère de l’échelle variable, le droit de gestion de la CSFTN-O doit nécessairement inclure les pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi, et les autres pouvoirs qu’ils réclament.  Je ne suis donc pas satisfaite que la décision du Ministre de ne pas déléguer à la CSFTN-O constitue une violation de l’article 23.

[689]	Ceci dit, la création d’une commission scolaire minoritaire crée des obligations pour le gouvernement, et a des conséquences sur la façon dont il doit procéder à l’égard des ayants droit, notamment dans les processus décisionnels concernant les infrastructures.  Le gouvernement doit être conséquent avec lui-même: s’il décide de créer une commission scolaire minoritaire, il doit reconnaître son rôle dans la gestion du programme d’enseignement en français, incluant l’identification de ses besoins.

[690]	Le gouvernement se doit donc de travailler étroitement avec la commission scolaire minoritaire en ce qui a trait aux programmes et aux infrastructures.  Le gouvernement a intérêt à prendre en très sérieuse considération les besoins qu’elle identifie.  La jurisprudence reconnaît que la commission scolaire est souvent la mieux placée pour évaluer ses besoins pédagogiques.  Dans la mesure où il prend des décisions qui ne rencontrent pas les demandes de la commission scolaire, le gouvernement doit être en mesure de justifier ses raisons de ne pas le faire.

E.  La conformité de l’École Boréale aux exigences de l’article 23


[691]	La question fondamentale à laquelle le tribunal doit répondre au sujet des infrastructures actuelles de l’École Boréale est à savoir si elles sont suffisantes pour offrir aux élèves qui la fréquentent une égalité réelle par rapport aux élèves de la majorité anglophone.  Cette question générale en soulève plusieurs autres.
	
1. 	Le point de comparaison qui doit être utilisé dans l’analyse
	
[692]	Il faut d’abord décider ce qui doit servir de point de comparaison dans cette analyse.  Les Demandeurs affirment que ce sont les écoles anglophones de Hay River.  Les Défendeurs affirment que cette approche est erronée parce que ces écoles ont un nombre d’élèves beaucoup plus élevé que l’École Boréale.  Ils estiment que la comparaison doit plutôt se faire avec des écoles, aux TN-O ou ailleurs, qui ont un nombre comparable d’élèves.
	
[693]	Cette question est fondamentale, car de bien des façons, le reste de l’analyse en dépend.  Pour y répondre, il faut à mon avis en revenir aux objectifs fondamentaux de l’article 23, qui sont de maintenir les deux langues officielles au Canada, le français et l’anglais, et de favoriser l’épanouissement de ces langues, et des cultures qu’elles représentent, partout au pays.

[694]	Une des raisons d’être de l’obligation de fournir des infrastructures qui accordent une égalité réelle aux élèves de la minorité, c’est de leur permettre de faire leur scolarité dans leur langue, car c’est une des façons de contrer l’assimilation.  Le Dr. Landry a parlé de l’importance cruciale de l’école en tant qu’institution en milieu minoritaire.  Les parents qui ont témoigné au procès ont parlé de l’importance qu’ils accordaient au fait de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école en français, pour assurer la préservation de leur langue et de leur culture.
	
[695]	La réalité, à Hay River, c’est que les élèves de la minorité francophone ont le choix entre fréquenter l’École Boréale ou fréquenter une des écoles anglophones. Les parents et leurs enfants n’ont pas à choisir entre l’École Boréale et l’École Kalemi Dene; ou entre l’École Boréale et les écoles de Norman Wells, Inuvik, Paulatuk ou Kakisa.  Ils n’ont pas non plus à choisir entre l’École Boréale et une école francophone minoritaire de l’Alberta ou de la Saskatchewan.  Toute comparaison avec ces écoles est complètement dissociée de la réalité du choix concret, tel qu’il se présente dans la réalité, pour les membres de la minorité.
	
[696]	Pour cette raison, ce sont les écoles de la majorité anglophone à Hay River qui doivent servir de principal comparateur dans l’analyse portant sur l’égalité réelle, parce que ce sont ces écoles qui représentent « l’autre option » pour les élèves de la minorité francophone.  Même sans programmes d’immersion, ces écoles représentent l’autre option pour les parents.  C’est pourquoi ce sont elles, et non d’autres écoles des TN-O ou d’ailleurs, qui doivent servir de comparateur pour les fins de l’analyse.

2. 	Les approches préconisées par les parties dans la façon d’évaluer des différences entre les infrastructures majoritaires et minoritaires

[697]	Comme dans le cas du recours CV2005000108, les positions des parties dans ce litige sont très polarisées.  Les Demandeurs affirment que l’article 23 crée pour les Défendeurs une obligation d’agrandir l’École Boréale de sorte qu’elle ait toutes les salles spécialisées et équipements, et même plus, que ce qui existe dans les écoles anglophones de Hay River, sans égard aux différences dans les nombres d’élèves et sans égard aux coûts.  Pour leur part les Défendeurs affirment que puisque l’École Boréale est conforme aux standards du gouvernement qui régissent toutes les écoles des TN-O, elle est conforme à l’article 23.
	
[698]	Selon moi, ni l’une ni l’autre de ces approches ne respecte les paramètres de l’article 23.  L’approche des Demandeurs ignore dans une large mesure le critère de l’échelle variable.  Celle des Défendeurs est basée sur une approche formelle de l’égalité qui ne correspond pas aux exigences de la jurisprudence concernant le concept d’égalité réelle.
	
a.	L’approche préconisée par les Demandeurs au sujet de l’égalité réelle
	
[699]	L’approche des Demandeurs ne tient pas compte du fait que les droits protégés par l’article 23 ne sont pas absolus.  En affirmant que l’École Boréale devrait avoir toutes les installations dont disposent des écoles qui ont une population étudiante beaucoup plus grande, ils évacuent de l’analyse le critère de l’échelle variable, tel que défini par la Cour suprême du Canada:
	
	L’idée du critère variable signifie simplement que l’art. 23 garantit le type et le niveau de droits et de services qui sont appropriés pour assurer l’instruction dans la langue de la minorité au nombre d’élèves en question.
	     	Mahé, supra, para.39
	
[700]	Je rappelle que la Cour suprême a établi il y a longtemps que la justification par le nombre requiert une considération de ce que constituent les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d’élèves visés, et le coût des services envisagés.  Au sujet des coûts, la Cour suprême a précisé:
	
Le second facteur, soit le coût des services, n’est pas explicitement pris en compte normalement pour déterminer si une personne se verra ou non accorder un droit prévu par la Charte.  Dans le cas de l’art. 23, cependant, cette considération s’impose. À la différence d’autres dispositions, l’art. 23 ne crée pas un droit absolu.  Il accorde plutôt un droit dont l’exercice est assujetti à des contraintes pécuniaires, car il n’est pas financièrement possible d’accorder à chaque groupe d’élève, si petit soit-il, les mêmes services que ceux donnés à un groupe important d’élèves visés par l’art.23.
	
		Mahé, supra, para.80.

[701]	Le niveau de services auxquels la minorité francophone de Hay River a droit doit donc être établi en tenant compte des besoins pédagogiques, compte tenu des nombres et du coût des services envisagés.  Le fait de construire une école pour la minorité, et de créer une commission scolaire, n’entraîne pas comme conséquence que cette école doit nécessairement offrir une identité de services par rapport à celles de la majorité, sans égard aux nombres.  Cette approche du « tout ou rien », que j’ai rejetée en analysant la position des Demandeurs concernant le droit de gestion concernant les bâtiments, n’est pas conforme à l’analyse flexible et hautement factuelle mandatée la jurisprudence.
	
b. 	L’approche des Défendeurs
	
[702]	L’approche des Défendeurs, elle, est de préconiser une attribution d’infrastructures pour les écoles de la minorité qui fonctionne exactement de la même façon que l’attribution d’infrastructures pour les élèves de la majorité.
	
[703]	Dans l’attribution des espaces scolaires, le Ministère de l’Éducation utilise des standards qui déterminent la superficie des espaces auxquels l’école a droit, tant pour les salles de classes que pour les espaces spécialisés.  Les calculs sont faits en tenant compte des inscriptions et des projections d’inscriptions.
	
[704]	Les standards ont été révisés en 2005 et à certains égards, l’approche à l’attribution d’espace a changé.  Auparavant, ils fonctionnaient surtout selon un seuil numérique: le nombre d’élèves déterminait le droit à certains espaces, comme un gymnase ou d’autres espaces spécialisés.
	
[705]	Les nouveaux standards sont fondés sur les nombres, mais l’approche est différente à certains égards.  Pour les espaces récréatifs comme un gymnase, l’approche du seuil est encore applicable : les écoles conçues pour accueillir entre 150 et 300 élèves ont droit à un gymnase de 500 mètres carrés; celles conçues pour accueillir entre 300 et 600 élèves ont droit à un gymnase de 850 mètres carrés; celles qui sont conçues pour accueillir entre 50 et 150 élèves n’ont pas droit à un gymnase mais ont droit à 70 mètres carrés d’espace récréatif.
	
[706]	Pour d’autres types d’espaces spécialisés (laboratoires, salles pour la musique, les arts, les arts industriels), les standards ne fixent plus un seuil numérique rattaché à un nombre fixe d’élèves.  Ils attribuent plutôt un certain nombre de mètres carrés par élève pour ce type d’espace.  Ceci détermine l’espace total qui sera accordé à l’école pour les espaces spécialisés.  Les standards prévoient une allocation en espace de 0.5 mètres carrés par élève, plus 1 mètre carré supplémentaire par élève entre la 7e et la 12e année.

[707]	D’après le témoignage de M. Devitt, il n’y a eu aucune considération, dans le processus de révision des standards, de la spécificité d’une école minoritaire, ni des obligations constitutionnelles du gouvernement à cet égard.  Les réponses données par M. Devitt durant son contre-interrogatoire démontrent qu’il estime qu’une école minoritaire  doit être sujette aux mêmes standards que ceux qui s’appliquent aux écoles majoritaires.
	
[708]	À mon avis, les écoles minoritaires seront nécessairement défavorisées par ces  standards.  La première raison est que par définition, elles seront toujours plus petites que les écoles de la majorité.  Elles risquent donc de ne pas avoir les effectifs pour pouvoir être dotées d’espaces spécialisés.  Elles seront limitées à des salles à usages multiples. Cette solution, souvent préconisée pour les petites écoles, est une solution partielle, mais pas une solution complète, surtout au niveau secondaire, où le niveau de spécialisation des espaces est plus élevé.  C’est encore pire si les espaces à usages multiples sont utilisés à la fois par les élèves du primaire et ceux du secondaire, puisque les besoins sont très différents.  Par exemple, un laboratoire de sciences utilisé au niveau primaire est très différent de ce qui est requis au niveau secondaire.
	
[709]	Au-delà du nombre total d’élèves, un autre facteur qui a un énorme impact sur l’attribution des espaces en vertu des standards est le pourcentage d’effectifs secondaires.  Pour les espaces spécialisés, les standards prévoient, pour un élève de niveau secondaire, trois fois plus d’espace par élève que ce qui est prévu pour un élève au niveau primaire.  Cette approche a un impact très désavantageux sur les écoles minoritaires, parce que ces écoles ont tendance à perdre une partie de leurs effectifs au niveau secondaire.

[710]	L’École Boréale n’existe pas depuis très longtemps, mais on peut constater, à la lecture des tableaux préparés par Mme Call, que malgré sa grande popularité et sa croissance rapide, elle a des difficultés de rétention de ses effectifs au niveau secondaire.

[711]	Ce phénomène n’est pas unique.  Il se vit également à l’École Allain St-Cyr.  Et le Dr. Landry a expliqué qu’il se produit fréquemment dans les écoles de la minorité francophone.  Indépendamment de ce qui cause ce phénomène de migration, il est établi que le phénomène existe.  Le résultat est que, comme c’est le cas à l’École Boréale, une forte proportion des effectifs des écoles minoritaires est concentrée au niveau primaire.
	
[712]	La méthode de calcul selon la survie des cohortes procède essentiellement sur la base de la théorie que le passé est garant de l’avenir.  Les nombres projetés au niveau secondaire pour une école minoritaire risquent fort d’être bas, ce qui, en retour, a un impact sur les espaces qui seront accordés.

[713]	Une autre grande différence dans l’impact des standards, et la plus significative selon moi, est en lien avec le fait que l’on présume, pour les petites écoles, que certains espaces à l’extérieur de l’école même seront être utilisés pour combler les lacunes résultant de la taille modeste de l’école ou l’absence de salles spécialisées.  La preuve a révélé qu’à Yellowknife, par exemple, les salles spécialisées de l’École William Macdonald sont utilisées par les élèves de d’autres écoles qui n’ont pas ces installations.  La commission scolaire concernée maximise donc l’utilisation de ses espaces.

[714]	  Au premier abord, on peut comprendre la logique de chercher à maximiser l’usage d’infrastructures existantes plutôt que d’en construire des nouvelles pour des petits nombres d’élèves.  C’est un moyen légitime d’utiliser les ressources efficacement.

[715]	L’utilisation d’espaces hors de l’école pose des inconvénients (perte de temps, défis logistiques, et autres inconvénients) qui affectent les écoles majoritaires et minoritaires de la même façon.  Mais il y a un impact qui est significatif et qui ne touche que l’école minoritaire : l’érosion de l’homogénéité linguistique de l’environnement scolaire.

[716]	 Dans une école minoritaire, cette homogénéité linguistique est très importante.  J’accepte l’opinion du Dr. Landry concernant l’importance de l’école comme institution en milieu minoritaire, et l’importance pour une école minoritaire d’avoir ses propres espaces distincts.  D’ailleurs, ce fait a été reconnu par la Cour suprême du Canada:
	
	Comme des locaux doivent avoir des limites précises pour être placés sous le contrôle du groupe linguistique minoritaire, il semblerait s’ensuivre un droit à des établissements dans des lieux physiques distincts. Comme l’a affirmé [la Cour d’appel]:
	
	[Traduction] Pour ceux “de la minorité”, les établissements devraient être, dans la mesure du possible, distincts par rapport à ceux dans lesquels l’instruction en anglais est offerte.  Je ne mets pas en doute l’importance du milieu dans le domaine de l’éducation, Les élèves de langue française devraient vivre en français dans la cour de récréation, à l’occasion des activités hors-programme ainsi que dans la classe.  Le français devrait être la langue utilisée dans le cadre de l’administration et du fonctionnement de l’établissement, y compris l’affichage.	
	
	Cette conclusion est également compatible avec la reconnaissance du fait que les écoles de la minorité jouent un rôle à la fois comme centres culturels et comme établissements d’enseignement.
	
	Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art.79(3), (4) et (7) [1993] R.C.S. 839, paras 24-25.
	
[717]	L’impact, pour une école minoritaire, de devoir envoyer ses élèves dans un milieu anglophone pour avoir accès à certains services, ne se compare pas à l’impact que cette approche a sur les élèves d’une école anglophone qui vont utiliser des salles et équipements dans une autre école anglophone.

[718]	Finalement, il faut comprendre que dans les TN-O, dans la majorité des cas, les écoles qui ont une population comparable à celle de l’École Boréale sont dans des petites communautés oj les parents et élèves n’ont pas de choix entre plusieurs écoles.  Donc, même si l’école doit partager des espaces ou se passer de certaines infrastructures, il n’y a pas de risque que cela devienne un facteur qui contribue à la migration des élèves vers une autre école de la communauté, puisqu’il n’y en a pas.  C’est différent à Hay River: les élèves et les parents ont un choix.
	
[719]	Il a beaucoup été question de rétention d’élèves au procès, particulièrement au niveau secondaire.  Les Demandeurs affirment qu’il y a un lien de causalité direct entre les lacunes en infrastructure et les problèmes de rétention des élèves au niveau secondaire à l’École Boréale.  Ils affirment la même chose au sujet de l’École Allain St-Cyr.
	
[720]	Je ne suis pas convaincue que la preuve ait établi le lien de causalité que les Demandeurs allèguent – que les pertes d’élèves au secondaire sont dues principalement à l’insuffisance des infrastructures.  Le témoignage du Dr. Landry n’est pas à cet effet; son opinion est beaucoup plus nuancée.  Il a dit que le choix d’école et la rétention d’élèves, dans le contexte minoritaire, sont des phénomènes  complexes qui sont influencés par de nombreux facteurs.  Il a aussi reconnu qu’il n’y avait pas d’études qui, à sa connaissance, avait examiné le lien entre la rétention d’élèves et les infrastructures.

[721]	Il a cependant dit que les infrastructures et les programmes disponibles sont parmi les facteurs qui affectent la rétention et le recrutement.  J’accepte son opinion à cet égard.  D’ailleurs, il y a une certaine preuve circonstancielle qui appuie cette opinion dans ce litige. Les inscriptions à l’École Boréale ont augmenté après le déménagement dans le nouvel édifice en 2005.  Et dans le cas de l’École Allain St-Cyr, il y eu une augmentation des inscriptions quand l’école a emménagé dans son édifice actuel, et une stabilisation des effectifs au niveau secondaire après que des travaux d’agrandissement aient été effectués en 2008.
	
[722]	Je conclus donc que les infrastructures sont un des facteurs qui peuvent avoir une influence sur le recrutement et la migration d’élèves.  Je reviens donc à ce que je disais précédemment.  La plupart des petites écoles des TN-O qui doivent composer avec des limites d’espace et des lacunes au niveau des programmes, n’ont pas de concurrence dans la communauté : les parents n’ont pas d’autre choix d’école dans la communauté, donc la possibilité de changer d’école, à moins de déménager, n’existe tout simplement pas.  L’École Boréale est dans une situation différente de celles de ces autres petites écoles : parce qu’à Hay River, les parents ont une autre option.

[723]	Pour toutes ces raisons, selon moi, l’application mécanique des standards du Ministère ne suffit pas pour assurer une égalité réelle aux membres de la minorité en matière d’éducation.  L’article 23 crée une obligation pour les Défendeurs de faire une analyse plus nuancée et faire certains ajustements pour assurer aux élèves de la minorité une égalité réelle par rapport aux élèves de la majorité.

[724]	Les standards permettent d’ailleurs de tels ajustements: ils prévoient que le Ministre peut permettre une allocation d’espace supérieure à ce que les standards établissent.  M. Devitt a dit qu’à sa connaissance, une telle permission n’a jamais été accordée par le Ministre.  Selon moi, l’attribution des espaces à une école minoritaire est une des situations où le Ministre doit se prévaloir de cette option et ne pas analyser les besoins en espace strictement sur la base des standards.


[725]	L’approche des Défendeurs de traiter les écoles minoritaires de façon identique aux écoles majoritaires ressort également du processus d’attribution de budgets pour les projets en immobilisations du gouvernement, dans le développement du Plan capital.  Les filtres primaires et secondaires qui sont utilisés pour accorder une priorité aux différents projets n’incluent aucune considération reflétant les obligations constitutionnelles du gouvernement en vertu de l’article 23.
	
[726]	M. Nagel, qui connaît bien les filtres et le processus en général, a expliqué qu’il revient au Ministère concerné de faire valoir ce genre de considérations dans la présentation du projet au comité qui établit les priorités.  Mais l’outil principal de priorisation dans les investissements ne tient pas compte des considérations particulières découlant de l’obligation du gouvernement de mettre en œuvre les droits protégés par l’article 23.  Ce mécanisme gouvernemental (qui est très important puisqu’il sert de fondement à l’établissement des budgets) traite donc lui aussi les projets concernant les écoles minoritaires exactement de la même façon que les écoles majoritaires.
	
[727]	Je reconnais que les Défendeurs ont établi qu’à certains égards, l’École Boréale est avantagée par rapport à d’autres écoles, par exemple quant au ratio professeurs-élèves.  L’édifice actuel est plus grand que ce à quoi l’école aurait droit en vertu des standards du Ministère.  Mais ces conditions avantageuses ne résultent pas d’un choix des Défendeurs de traiter cette école minoritaire de façon différente ou préférentielle: elles résultent de contributions du gouvernement fédéral, qui a divers programmes pour soutenir les minorités linguistiques au pays.
	
[728]	Certains diront qu’il n’y a rien d’injuste à ce que l’attribution d’espace et l’octroi de budgets soient déterminés de la même façon pour une école francophone minoritaire que pour une école de la majorité.  Certains diront même que c’est d’agir autrement qui créerait une injustice.  De bien des façons, c’est ce débat qui est au cœur du litige.
	
[729]	On peut comprendre les arguments de part et d’autre, mais d’un point de vue juridique, la réponse au débat est tout simplement que la question a été tranchée par la Cour suprême du Canada.  Elle a déjà décidé que l’application des normes qui sont utilisées pour décider des besoins de la majorité ne suffit pas pour réaliser les objectifs de l’article 23.  En appliquant à l’école minoritaire les mêmes paramètres qu’ils appliquent à toute autre école, les Défendeurs, il me semble, font exactement ce que la Cour suprême du Canada a dit de ne pas faire:
			
	Comme nous l’avons dit, l’art.23 a un caractère réparateur. Il n’a pas pour objet de renforcer le statu quo par l’adoption d’une conception formelle de l’égalité qui viserait principalement à traiter de la même façon les groupes majoritaires et minoritaires de langue officielle Mahé, précité, à la p.378.  L’utilisation de normes objectives pour évaluer les besoins pédagogiques des enfants de la majorité linguistique, ne tient pas compte des exigences particulières des titulaires des droits garantis par l’art. 23.	
		Arsenault-Cameron, supra, para.31
	
[730]	Je conclus que quand il est question de décider des espaces et infrastructures qui seront attribués à une école minoritaire, les Défendeurs ne peuvent pas se contenter d’appliquer les standards généraux, mais doivent plutôt aborder la question en tenant compte des besoins spéciaux de la minorité, et faire les ajustements nécessaires pour respecter leurs obligations en vertu de l’article 23.

3. 	Analyse de l’infrastructure actuelle à la lumière du critère de l’échelle variable
	
a. La capacité de l’école
	
[731]	Selon M. Kindt, la capacité actuelle de l’École Boréale est de 126 élèves.  Les Demandeurs affirment que pour être en mesure de rencontrer les besoins présents et futurs de l’École Boréale, sa capacité devrait être augmentée à 195 élèves.

[732]	La capacité d’accueil que doit avoir une école minoritaire doit être fondée sur la justification par le nombre.  Cette analyse doit tenir compte des besoins actuels de l’école, mais aussi de son potentiel d’expansion par rapport à la demande connue au moment où l’analyse est faite.  Dans Mahé, en parlant de la justification par le nombre, la Cour suprême a dit:
	
	À mon sens, le chiffre pertinent aux fins de l’art. 23 est le nombre de personnes qui se prévaudront en définitive du programme ou de l’établissement envisagés.  Il sera normalement impossible de connaître le chiffre exact, mais on peut avoir une idée approximative en considérant les paramètres dans lesquels il doit s’inscrire- la demande connue relative au service et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service.
	
		Mahé, supra, para.78.
	
[733]	Dans Arsenault-Cameron, la Cour Suprême a apporté des précisions supplémentaires:	
	
	Comme le juge en chef l’a souligné dans Mahé, précité, la méthode du “critère variable” appliquée à l’art. 23 signifie que la norme numérique devra être précisée par l’examen des faits propres à chaque situation qui est soumise aux tribunaux.  Le nombre pertinent est le nombre de personnes qui se prévaudront éventuellement du service, c’est-à-dire un nombre se situant approximativement entre la demande connue et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service.
	
		Arseneault-Cameron, supra, para.32
	
[734]	Ces commentaires ont été faits dans un contexte oj la question qui se posait était de savoir, dans Mahé, si le gouvernement avait l’obligation de créer une commission scolaire autonome, et dans Arsenault-Cameron, si le gouvernement avait l’obligation de construire une école primaire dans une certaine région de l’Île-du-Prince-Édouard.  Selon moi, cette analyse s’applique aussi quand il s’agit de déterminer, comme c’est le cas ici, dans quelle mesure un gouvernement a l’obligation d’agrandir une infrastructure existante.
	
[735]	Les Défendeurs affirment que ce sont les résultats du recensement de 2006  qui devraient être utilisés pour déterminer la clientèle-cible du programme d’enseignement en français langue première à Hay River.  Selon ces résultats, au moment du recensement, le nombre total d’enfants à Hay River dont au moins un parent avait le français comme langue maternelle était de 40, dont 25 étaient d’âge scolaire.

[736]	Il est clair que si on s’en tient à ces chiffres,  l’École Boréale telle qu’elle existe actuellement est amplement suffisante pour répondre aux besoins des enfants visés par l’article 23.

[737]	Mais selon moi, il y a de bonnes raisons de ne pas utiliser les résultats du recensement pour établir ce que devrait être la capacité de l’École Boréale.

[738]	Premièrement,  la preuve me satisfait qu’il existe de bonnes raisons de douter de la fiabilité de ces résultats. Même en acceptant le témoignage de M. Dolson à l’effet que le formulaire long a été utilisé lors du recensement de 2006 pour tous les foyers à Hay River, le Dr. Landry et le Dr. Denis ont parlé de plusieurs facteurs qui rendent les résultats peu fiables.

[739]	L’arrondissement aléatoire des chiffres, par exemple, fausse nettement les résultats. On le voit bien dans les données de 2006, où le total d’enfants à Hay River (40) ne correspond pas au total des deux autres chiffres qui sont censés représenter le nombre d’enfants en bas de 5 ans (10) et le nombre d’enfants d’âge scolaire (25). On retrouve d’autres anomalies du même genre dans les résultats du recensement des autres années.

[740]	Le Dr. Landry a aussi fait remarquer que le recensement ne permet pas d’identifier les gens qui appartiennent aux trois catégories d’ayants droit prévus par  l’article 23: seuls les gens qui appartiennent à la première catégorie (ceux dont la première langue apprise et encore comprise est le français) sont identifiés par le processus.  Les enfants qui seraient visés par l’article 23 en vertu des deux autres catégories (un enfant dont un des parents a reçu son instruction primaire en français, ou dont un frère ou une sœur reçoit ou a reçu son instruction au primaire ou au secondaire en français) ne sont pas inclus dans le résultat.
	
[741]	Le Dr. Landry a estimé, dans une étude récente portant sur les enfants d’ayants droit francophones au Canada, que l’ajout de ces deux critères pouvait représenter une augmentation d’environ 20% par rapport aux chiffres issus du recensement.  Il a aussi fait aussi remarquer que le recensement ne permet pas d’identifier un enfant issue de couple exogame qui vit, suite à une séparation, avec son parent anglophone.  Ce facteur est significatif dans une communauté comme Hay River oj le taux d’exogamie est très élevé.
	
[742]	D’autre part, le Dr. Denis a parlé de facteurs sociologiques qui peuvent mener à une sous-identification des ayants droits.  Il a expliqué que dans une communauté où le taux d’assimilation est élevé, certaines personnes dont le français est la langue maternelle risquent de ne pas s’identifier comme tel.  Le témoignage de Mme Boulanger corrobore l’opinion du Dr. Denis sur ce sujet.  Sa langue maternelle est le français, et pourtant le recensement de 2006 est le premier où elle s’est identifiée comme tel.

[743]	La preuve me satisfait donc qu’il y a de bonnes raisons de croire que les résultats du recensement ne donnent pas un portrait fiable du nombre d’ayants droit qui habitent à Hay River.

[744]	La deuxième raison pour laquelle je pense qu’il ne faut pas se limiter aux chiffres du recensement concerne la situation particulière qui prévaut à Hay River, le haut taux d’assimilation et l’impact mesurable que le programme d’enseignement en français a déjà eu dans cette communauté.  Il est clair que déjà, l’École Boréale a joué un rôle important dans la revitalisation de la communauté minoritaire à Hay River.  Je ne vois pas pourquoi l’évaluation des besoins futurs de la communauté ne tiendrait pas compte du fait que l’école continuera à jouer ce rôle et avoir cet effet.

[745]	La preuve  est à l’effet qu’il y a un fort taux d’assimilation à Hay River.  Elle démontre aussi que l’ouverture de l’École Boréale a déjà contribué de façon substantielle à la revitalisation de la communauté.  Tout porte à croire que ce processus de revitalisation va continuer, si on lui en donne la chance.  L’effet de cette revitalisation, nécessairement, est de créer de nouveaux ayants droit.

[746]	La position des Défendeurs semble présumer que la création de nouveaux ayants droit, dans la mesure où elle a pour effet de contraindre les gouvernements à engager des dépenses supplémentaires, est contraire à l’article 23 parce que cette disposition vise des catégories de personnes soigneusement délimitées.  Selon moi c’est une approche beaucoup trop restrictive, qui fait complètement abstraction du caractère réparateur de la disposition.  Comme j’en ai fait état dans mon analyse de la validité de la directive ministérielle, le libellé de la disposition et la jurisprudence sont à l’effet qu’une des conséquences de l’article 23 est de créer de nouveaux ayants droit et d’accorder des droits en matière d’éducation en langue minoritaire à des gens qui ne font pas partie de la minorité linguistique.

[747]	La création d’un certain nombre de nouveaux ayants droit n’est pas contraire à l’objet de l’article 23, particulièrement dans une communauté où le taux d’assimilation est élevé.  Au contraire, c’est un mécanisme par lequel les effets de l’assimilation peuvent être renversés et les torts du passés partiellement réparés. L’assimilation réduit le nombre d’ayants droit.  Il est logique que le renversement du phénomène résulte en une augmentation du nombre d’ayants droit.

[748]	En vertu de la politique d’admission de 2009, qui devient opérante à cause de ma décision concernant la directive ministérielle, la CSFTN-O recommencera à pouvoir, dans certains cas, admettre des enfants de non ayants droit à son programme, tenant compte des critères détaillés qu’elle s’est donnés pour évaluer les demandes.  Considérant l’intérêt qu’a continué de susciter le programme préscolaire, même après l’entrée en vigueur de la directive, il est raisonnable de prévoir que le nombre d’inscriptions au programme de maternelle, qui a chuté pour des raisons évidentes après l’adoption de la directive, va recommencer à croître.

[749]	Dans certains cas, et dans certaines communautés, il est parfaitement raisonnable et approprié de mesurer l’effectif cible en tenant compte uniquement du nombre d’ayants droit qui sont dans la communauté. Mais dans une petite communauté qui n’a jamais eu de services d’enseignement en français, dont le taux d’assimilation est élevé, et où la preuve établit que la présence d’une école a effectivement contribué à commencer à renverser les effets de l’assimilation, il est raisonnable de tenir compte du potentiel de revitalisation en décidant de ce que devrait être l’infrastructure scolaire pour répondre aux besoins futurs.  Selon moi, une telle approche est compatible avec l’extrait cité plus haut de l’arrêt Arsenault-Cameron, où la Cour suprême a dit que la norme numérique doit « être précisée par l’examen des faits propres à chaque situation qui est soumise aux tribunaux ».
	
[750]	Dans son rapport d’expert, M. Kindt conclut qu’étant donnée la capacité de l’École Boréale et l’état actuel de ses inscriptions, il y a suffisamment d’espace, mathématiquement pour une certaine expansion, mais il ne précise pas dans quelle mesure.  Sa conclusion est mathématiquement exacte (la capacité de l’école est de 120 élèves et au moment du procès, il y en avait un total de 85 d’inscrits de la maternelle à la 12e année), mais est d’une utilité limitée pour déterminer si un agrandissement est nécessaire pour répondre aux besoins de l’école à long terme.

[751]	Les Défendeurs n’ont fait aucune étude dans le passé pour essayer d’établir le nombre d’ayants droit dans la ville de Hay River.  Ils n’ont pas non plus fait d’études pour évaluer combien de personnes ont des grands parents ou des arrières grands-parents qui étaient francophones mais qui ont perdu leur langue.  Ils n’ont  pris aucune mesure pour essayer de mesurer le potentiel de revitalisation de la communauté francophone à Hay River.  Ceci étant le cas, ils ne peuvent utiliser le manque d’information précise comme arme contre les revendications des Demandeurs.

[752]	Les Demandeurs ont le fardeau de prouver les faits sur lesquels reposent leurs revendications, mais en matière de droits linguistiques, la jurisprudence reconnaît qu’il y a des limites à ce que les tribunaux devraient exiger de la parts de personnes cherchant à faire reconnaître leurs droits :
	
	La province a l’obligation de promouvoir activement des services éducatifs dans la langue de la minorité et d’aider à déterminer la demande éventuelle.  Cette obligation (..) a été reconnue par le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man) [citation omise] La province ne peut pas se soustraire à son obligation constitutionnelle en invoquant une preuve numérique insuffisante, surtout si elle n’est pas prête à faire ses propres études ni à recueillir et présenter d’autres éléments de preuve sur la demande connue et éventuelle.
	 	
		Arsenault-Cameron, supra, para 34.


[753]	Selon moi, l’information la plus fiable et la plus utile pour évaluer les besoins futurs, doit être fondée sur ce qui s’est passé à Hay River depuis que le programme d’enseignement en français existe.  Cette expérience démontre un grand intérêt pour le programme, non seulement de la part des parents visés par l’article 23, mais de d’autres personnes qui, pour diverses raisons, veulent s’intégrer à la communauté francophone et ont démontré un engagement authentique de le faire.  Les faits passés constituent un bon point de départ pour évaluer ce qui risque de se produire à l’avenir.

[754]	Dans son rapport de 2008, M. Kindt a examiné les projections du GTN-O et de la CSFTN-O.  En utilisant les projections du GTN-O, il avait conclu qu’une capacité de 150 élèves serait appropriée pour répondre aux besoins à long terme de l’École Boréale.  Il avait souligné que selon les projections de la CSFTN-O, l’école pourrait avoir une clientèle encore plus considérable, allant jusqu’à 195 élèves de maternelle à la 12e année.

[755]	Les deux différences principales entre les projections du GTN-O et celles de la CSFTN-O sont que celles du GTN-O prévoient 10 inscriptions par année à la maternelle, et évaluent le reste des nombres selon la méthode de survie des cohortes; celles de la CSFTN-O présument 15 inscriptions par année à la maternelle, et, selon le tableau qui figure à la p. 87 du rapport de 2008 de Mr. Kindt  (pièce #156), semblent présumer un taux de rétention de 100%.

[756]	À mon avis, les projections de la CSFTN-O sont trop optimistes.  La projection d’accueil de 15 nouvelles inscriptions en maternelle à chaque année est trop élevée.  Il n’y a jamais eu ce nombre d’inscriptions à la maternelle depuis les débuts de l’école (ces nombres ont fluctué entre  5 et 12).  D’autre part, un certain nombre de nouvelles inscriptions continueront nécessairement à être des inscriptions sur permission de la CSFTN-O (par opposition à des inscriptions d’enfants d’ayants droit).  La politique d’admission de 2009 est plus restrictive que celle de 2002 et aura un impact sur le nombre d’enfants de non ayants droit qui pourront être admis à l’école.  Dans la politique de 2002 la permission d’inscription de la commission scolaire était requise seulement pour les enfants inscrits suite au programme de francisation, tandis qu’en vertu de la politique de 2009 elle est requise pour tout enfant dont le parent n’est pas inclus dans une des catégories de l’article 23.  De plus, le pourcentage maximum d’enfants de parents anglophones acceptés sur la base de leur participation au programme de francisation a été réduit de moitié,  passant de 20% à 10%.   Ceci aura un impact sur le nombre d’inscriptions à la maternelle.

[757]	L’autre raison qui me porte à conclure que les projections de la CSFTN-O sont trop optimistes est que même en améliorant la rétention, il est hautement improbable que l’école arrive à retenir tous ses élèves, compte tenu des divers facteurs qui ont un impact sur la rétention des élèves, particulièrement au niveau secondaire.  Des projections basées sur un taux de rétention de 100% ne sont tout simplement pas réalistes.

[758]	Par contre, j’estime que les projections du GTN-O doivent être révisées à la hausse, parce qu’elles ne tiennent pas compte du fait que le taux de rétention pourrait être amélioré, particulièrement au niveau secondaire.

[759]	Comme je l’ai mentionné précédemment, dans son rapport de 2008, M. Kindt estimait, sur la foi des projections du GTN-O, qu’une école avec une capacité de 150 élèves était justifiable.  Les membres de la minorité que M. Kindt a rencontrés, s’appuyant sur leurs propres projections, avait fait valoir à M. Kindt que la capacité de l’école pourrait être de 195 élèves, et c’est ce que les Demandeurs revendiquent dans le présent recours.

[760]	  Pour les raisons dont je viens de faire état, je conclus que la capacité de l’École Boréale devrait en fait être entre ces deux chiffres.  Comme l’a expliqué le Dr. Landry, l’évaluation des effectifs cibles d’une école n’est pas un exercice simple.  Ma conclusion est loin de relever de la science exacte, mais à la lumière de l’ensemble de la preuve et des projections, je conclus qu’il a été établi que l’École Boréale devrait avoir une capacité d’accueil de 160 élèves.
	
b.	Les espaces spécialisés
	
[761]	Les Demandeurs font valoir que l’École Boréale doit disposer de tous les espaces spécialisés qui existent dans les écoles de la majorité, pour l’enseignement de la musique, des arts, du théâtre, et des arts industriels; ils exigent aussi une cafétéria, un salon étudiant, et des espaces qui puissent être consacrés aux élèves avec des besoins spéciaux.

[762]	Il n’est pas contesté qu’il y a de nettes différences entre les espaces spécialisés qui sont disponibles aux écoles anglophones de Hay River et ceux qui sont disponibles à l’École Boréale.  Mais il est aussi établi que les écoles anglophones ont un effectif cible beaucoup plus élevé et accueillent plus d’élèves.  Pour les raisons évoquées plus haut, je ne suis pas d’accord avec la prétention des Défendeurs selon laquelle l’École Boréale devrait être équipée d’installations identiques à celles des écoles de la majorité.  Mais je ne suis pas non plus d’accord avec l’approche des Défendeurs, qui se fondent sur les standards généraux pour dire que les installations actuelles sont conformes aux exigences de l’article 23.
	
[763]	La question n’est pas de savoir si l’École Boréale est conforme aux standards du Ministère, mais si, dans les circonstances, elle assure une égalité réelle aux élèves de la minorité.  La réponse à cette question requiert une analyse nuancée qui tient compte des infrastructures disponibles pour la majorité, en utilisant le comparateur que j’ai identifié (les écoles avec lesquelles l’École Boréale est en concurrence à Hay River), mais en tenant compte aussi des différences dans les nombres, des besoins pédagogiques de la minorité, de l’importance pour elle d’avoir des espaces scolaires distincts, et des coûts.

[764]	Dans mes conclusions concernant la capacité que l’école devrait avoir, je suis arrivée à une conclusion différente de celle de M. Kindt en grande partie parce qu’il n’a pas semblé tenir compte du potentiel d’augmentation de la clientèle suite à l’impact revitalisateur de l’école.  Ce n’est pas particulièrement étonnant, puisque M. Kindt n’a pas d’expertise dans le domaine de l’éducation en milieu minoritaire.  Il a donc simplement abordé la question de l’espace comme il l’aurait fait avec n’importe quelle autre école.

[765]	Son opinion concernant les espaces spécialisés reflète également cette approche, en ce sens que les solutions qu’il préconise passent souvent par l’utilisation d’espaces à l’extérieur de l’école, et même, pour les ÉPT dites « sales », par la possibilité que les élèves de l’École Boréale suivent leurs cours en anglais.

[766]	J’estime, pour cette raison, que son opinion n’a pas une grande force probante dans l’identification des solutions aux lacunes qui existent, mais je crois que les opinions qu’il exprime concernant les espaces spécialisés sont très utiles pour identifier les lacunes. Par exemple, il a conclu qu’il devrait y a avoir une augmentation du temps alloué à l’éducation physique; il a conclu qu’il n’était pas approprié que la petite cuisine dans la salle des professeurs serve pour l’enseignement des arts ménagers, surtout que les cours de cuisine sont parmi les cours techniques les plus populaires aux TN-O; il a conclu que l’École Boréale devrait avoir une salle attitrée pour l’enseignement de l’anglais; et il a noté certaines lacunes dans la salle qui sert de laboratoire de sciences.

[767]	Dans la mesure où M. Kindt estime qu’une réorganisation des espaces actuels, combinée avec une utilisation accrue d’espaces à l’extérieur de l’école, pourrait pallier aux lacunes qui existent, je ne suis pas d’accord avec lui.  Mais j’accepte son opinion concernant l’identification des lacunes elles-mêmes. Selon moi elles correspondent aussi à ce que les gens qui sont à l’école au jour le jour ont expliqué concernant les difficultés auxquelles ils font face.

[768]	Ceci étant dit, les Demandeurs demandent au tribunal d’ordonner la construction d’un grand nombre d’espaces.  Pour les raisons que j’ai déjà évoquées, j’estime que ces demandes ne sont pas toutes justifiées selon l’application du critère de l’échelle variable.  D’autres, selon moi, le sont.

		(i) le gymnase

[769]	À mon avis, la preuve établit que l’absence de gymnase à l’École Boréale a eu, au fil des ans, un impact important sur le programme d’éducation physique et sur les activités parascolaires dont ont pu bénéficier les élèves.

[770]	Il est évident que la situation a été, à certaines époques, particulièrement problématique à cause des tensions entre la CSFTN-O et le DEA.  Il va sans dire que si une commission scolaire a une position officielle de non-partenariat avec une autre, cela pose un obstacle dans la théorie du partage des espaces.

[771]	J’accepte que plus récemment, les choses se sont améliorées. Mme Call a réussi à établir des ponts avec certains de ses homologues des écoles anglophones pour que le partage d’installations fonctionne mieux.  Mme Call a tout de même dit que malgré cette amélioration, elle aimerait avoir plus de flexibilité dans la détermination des horaires.

[772]	Un gymnase est une infrastructure d’une grande importance pour n’importe quelle école.  Il est utilisé par tous les élèves de l’école. Il peut facilement être utilisé à tous les jours durant les heures d’écoles, en plus d’être utilisé après les heures d’école.  L’importance de l’activité physique régulière et son intégration dans le programme scolaire, au-delà des exigences strictes du curriculum, ne fait aucun doute.

[773]	Parce que l’École Boréale n’a pas son propre gymnase, elle ne dispose d’un espace homogène distinct pour aucune de ces activités.  Cela crée une érosion importante de l’homogénéité linguistique de l’école, et nuit considérablement à sa mission en tant qu’école minoritaire.  Selon moi le degré d’érosion est énorme, et inacceptable, si les élèves de la minorité ont à tous les jours ou presque à sortir de leur école pour utiliser les espaces où la langue usuelle est celle de la majorité.  Le Dr. Landry a parlé de l’importance pour l’école d’avoir ses espaces distincts et j’accepte son opinion à cet égard.  Cette opinion s’accorde d’ailleurs avec la jurisprudence en matière de droits linguistiques scolaires.

[774]	D’autre part, un gymnase est utilisé pour beaucoup plus que les cours d’éducation physique et les activités sportives parascolaires.  Il sert aussi de lieu de rassemblement, pour les assemblées de parents, les spectacles, et les activités spéciales.  À l’heure actuelle l’École Boréale doit soit utiliser l’atrium, soit louer des espaces communautaires pour ce genre d’activités.

[775]	Parce que l’École Boréale n’a pas son propre gymnase, elle n’a pas la flexibilité de modifier ses horaires, d’organiser des activités ou programmes spéciaux, sans d’abord avoir à négocier avec d’autres écoles dont la direction, c’est compréhensible, est d’abord et avant tout préoccupée par les besoins de ses propres élèves.

[776]	Il est facile de dire que la CSFTN-O n’a qu’à se plaindre au Ministère si elle n’est pas satisfaite des arrangements.  Mais Mme Call a expliqué qu’elle a préféré essayer de régler les problèmes localement, sans impliquer les commissions scolaires, pour maintenir la meilleure collaboration possible sur le terrain.  Son hésitation à enclencher des processus officiels de plaintes est fort compréhensible, compte tenu du contexte et de l’historique de relations tendues entre la CSFTN-O et le DEA.  Je comprends parfaitement que pour le meilleur intérêt des élèves et des professeurs, la direction de l’École Boréale préfère éviter les plaintes officielles et la confrontation.

[777]	Les Défendeurs ont fait valoir que la preuve a révélé une amélioration dans la situation qui règne à Hay River, du point de vue des relations entre les écoles.  Tout le monde semble d’accord là-dessus. Mais il ne faut pas oublier que depuis que la directive ministérielle est en place, la source même de la controverse a largement été éliminée, puisque la CSFTN-O n’a pas été en mesure d’appliquer sa politique d’admission.  Il est difficile de savoir quel genre de réaction soulèvera la décision du tribunal écartant la directive ministérielle, mais il n’est pas impossible qu’elle donne lieu à une certaine recrudescence de cette controverse.

[778]	Certes, les coûts de construction d’un gymnase sont élevés. Mais il faut aussi remettre les choses en perspective.  Selon les standards du Ministère, une école qui accueille une population étudiante entre 150 et 300 élèves a droit à un gymnase.  Sur la base de ma décision concernant la capacité d’accueil que l’École Boréale devrait avoir, il n’est pas hors norme qu’elle ait un gymnase.  Même selon les paramètres que le Ministère avait donnés à M. Kindt quand ses services ont été retenus en 2008 (que la capacité éventuelle de l’École Boréale soit augmentée à 150 élèves), l’école aurait eu droit à un gymnase.

		(ii) les cours d’arts culinaires

[779]	Selon moi, l’École Boréale doit disposer d’un espace adéquat pour l’enseignement des cours de cuisine et d’arts ménagers.  Ce cours est très populaire, et il est inacceptable qu’il soit actuellement donné dans ce qui est censé être le salon des professeurs.  D’une part, la cuisine dans cet espace n’est pas adéquate pour donner ce genre de cours et d’autre part, les professeurs ont besoin d’un espace à eux qui n’est pas utilisé également pour l’enseignement.

		(iii) le laboratoire de sciences

[780]	M. Kindt a identifié des lacunes dans la salle qui sert de laboratoire de sciences; les ajustements devront être faits à cet espace pour qu’il puisse faire œuvre de véritable laboratoire pour l’enseignement des sciences au niveau secondaire.

		(iv) une salle dédiée pour l’enseignement de l’anglais langue seconde

[781]	J’accepte aussi les conclusions de M. Kindt concernant l’importance d’avoir une salle consacrée exclusivement à l’enseignement de l’anglais.

		(v) la musique et les arts plastiques

[782]	Selon moi, l’École Boréale devrait avoir une salle à usages multiples qui puisse servir pour l’enseignement de la musique et des arts plastiques.  Selon moi les nombres ne justifient pas une salle consacrée exclusivement à l’enseignement de la musique et une autre pour les arts, mais l’ajout d’une salle à usage multiple donnerait à la direction de l’école une partie de la flexibilité dont elle a besoin pour améliorer ses programmes.  Cela contribuerait aussi  et éviter que les élèves aient à aller suivre leurs cours de musique à l’extérieur de l’école.
	
		(vi) les Études Professionnelles et Techniques

[783]	En ce qui concerne les Études Professionnelles et Techniques dites “sales”, les nombres ne justifient pas de contraindre les Défendeurs à dédoubler les installations qui viennent d’être construites pour l’École Diamond Jenness.  Même en présumant une amélioration de la rétention au niveau secondaire, il ne serait pas  financièrement responsable de contraindre le gouvernement à construire un second centre des métiers pour l’usage exclusif de l’École Boréale.  Les coûts seraient disproportionnels aux nombres d’élèves qui utiliseraient ces espaces, puisque qu’ils ne serviraient qu’à certains élèves du niveau secondaire.  Pour ce type de cours l’École Boréale devra utiliser le centre des métiers existant.
	
[784]	Cette solution n’est pas idéale, parce qu’elle compromet dans une certaine mesure l’homogénéité de l’école, mais à mon avis, c’est celle qui s’impose, à la lumière de l’application du critère de l’échelle variable.  Toutes les écoles, ne peuvent pas être en mesure d’offrir la pleine gamme de cours techniques aux élèves du secondaire à l’intérieur de leurs murs.  C’est une réalité, non seulement pour les écoles de la minorité mais parfois aussi pour celles de la majorité.
	
[785]	Cependant, l’École Boréale devra avoir accès à un budget pour pouvoir retenir les services d’un professeur pour enseigner ce type de cours en français, si la demande est là.  Il est possible que le recrutement d’un tel professeur soit difficile, mais l’école devrait au moins avoir cette possibilité.  À mon avis, l’approche de départ ne devrait pas être que les élèves suivent ces cours en anglais.  Ultimement, évidemment, il appartiendra à la direction de l’école de décider comment procéder.  Mais dans la mesure oj elle déciderait, par exemple, que la demande est suffisante pour offrir un cours de menuiserie une certaine année, elle doit disposer du budget nécessaire  pour pouvoir au moins essayer d’engager une personne qualifiée pour donner ce cours en français.
	
[786]	L’École Boréale devra évidemment avoir un accès équitable au centre des métiers.  Les Défendeurs devront s’en assurer.

(vii) autres espaces

[787]	Selon moi, les autres revendications spécifiques des Demandeurs ne sont pas justifiées en application du critère variable.  Nul doute qu’une école parfaite ou idéale aurait tous ces espaces, mais l’article 23 ne crée pas le droit à une école parfaite.

[788]	Par exemple, je ne crois pas qu’il soit justifié d’ordonner que l’école ait une salle de classe pour chaque niveau.

[789]	La preuve révèle que les classes jumelées sont la norme dans les petites écoles.  L’Association des Parents Ayants Droit de Yellowknife a d’ailleurs fait état de certains de ces avantages dans un document promotionnel qu’elle a préparé à l’intention des parents de Yellowknife.  Même les témoins des Demandeurs reconnaissent que les classes jumelées sont monnaie courante, et acceptables au niveau primaire.

[790]	La preuve n’établit pas qu’il est nécessaire pour une école d’avoir, sans égard aux nombres, une classe par niveau.  Les écoles de la majorité à Hay River ont des niveaux simples à cause du nombre d’élèves qu’elles accueillent.  Les nombres à l’École Boréale ne justifient pas cela.  De plus, la nécessité de jumeler les classes ne découle pas seulement de l’espace disponible. Elle est parfois simplement une conséquence du fait que le nombre d’élèves est limité.
	
[791]	Je tiens aussi compte du fait que la preuve révèle que la performance des élèves de l’École Boréale au niveau académique est excellente, et au-dessus de la moyenne territoriale.  Il est possible que ceci soit dû aux ratios plus avantageux élèves-professeurs, et à l’attention personnalisée que reçoivent les élèves.  Mais d’après la performance des élèves, il semble clair que les défis posés par le fait d’avoir des classes à niveaux multiples au secondaire sont contrebalancés par d’autres facteurs.
	
[792]	Les Demandeurs font valoir que l’École doit avoir une aile secondaire distincte.  À mon avis, l’article 23 ne garantit pas le droit à des espaces complètement distincts pour le niveau secondaire.  Le Dr. Landry a expliqué qu’il était bénéfique, dans les écoles allant de la maternelle à la 12e année, d’avoir une certaine séparation, ou au moins une zone de transition entre les niveaux primaire et secondaire, et je comprends les avantages que cela peut avoir, particulièrement du point de vue des élèves.  Mais je ne crois pas que cela soit une exigence qui découle de l’article 23.  Il appartiendra aux personnes impliquées dans la planification des nouveaux espaces, et ensuite à la direction de l’école, de prendre les décisions concernant la façon dont ces espaces seront organisés.

c.	Devoir de vigilance de la part des Défendeurs	

[793]	Comme je l’ai évoqué plus haut, les Défendeurs se devront d’être vigilants pour s’assurer que l’École Boréale ait un accès équitable aux espaces des autres écoles, que ce soit pour les espaces qui auront à être utilisés sur une base intérimaire pendant les travaux d’agrandissement, ou pour ceux qui seront utilisés à plus long terme, comme le centre des métiers.

[794]	 Il ressort très clairement de la preuve que les relations entre le DEA et la CSFTN-O ont parfois été difficiles.  Il y eu des époques où non seulement il n’y avait pas de coopération active, mais une politique officielle selon laquelle le DEA avait résolu d’avoir le moins de contact possible avec l’École Boréale.

[795]	  Le DEA a réagi assez vivement quand le tribunal a accordé la première injonction interlocutoire en juillet 2008, comme en fait foi le communiqué de presse qu’ils ont distribué dans toutes les boîtes à lettres de Hay River en 2008.  Je reconnais que cette réaction a sûrement été due en partie au fait que la première ordonnance prévoyait que le DEA devrait libérer 3 salles de classes dans son école secondaire pour le bénéfice des élèves de l’École Boréale.

[796]	Mais au-delà de cela, la correspondance versée en preuve démontre une forte opposition du DEA au fait que des enfants de non ayants droit puissent fréquenter l’École Boréale.  Il n’est pas impensable que le DEA réagisse de façon négative à la l’invalidation de la directive ministérielle qui redonnera à la CSFTN-O le droit d’inscrire des enfants de non ayants droit à ses écoles.  Il est à souhaiter que dans l’intérêt de tous les élèves, chacun s’efforcera, de part et d’autre, de s’ajuster à la nouvelle réalité et de collaborer le mieux possible, au-delà des différences d’opinions.  Mais les Défendeurs, ultimement, ont la responsabilité de s’assurer du partage équitable des installations et équipements dont ils sont propriétaires, surtout qu’ils ont fait valoir que le partage des espaces était une solution viable et adéquate.
	
d. 	La preuve concernant le contexte économique et social dans les TN-O
	
[797]	Comme je l’ai mentionné plusieurs fois déjà, les droits garantis par l’article 23 ne sont pas absolus.  Dans leur mise en œuvre, les coûts doivent être considérés, et j’ai tenu compte de ce facteur, dans la section précédente, en décidant dans quelle mesure les revendications des Demandeurs devaient être accordées.  Je veux cependant ajouter quelques commentaires au sujet des coûts et du contexte particulier des TN-O, compte tenu de certaines représentations qui ont été faites à ce sujet.
	
[798]	Les Défendeurs ont présenté de la preuve, par l’entremise de Mme Melhorne, au sujet de la situation financière du GTN-O.  Mme Melhorne a parlé de l’impact de la crise économique sur les TN-O, et les mesures de relance adoptées par le GTN-O, incluant une augmentation de ses dépenses en projets d’infrastructures au cours des dernières années.  Elle a expliqué que le gouvernement voulait maintenant réduire considérablement ce budget.  Elle a aussi parlé des divers besoins auxquels doit répondre le gouvernement.
	
[799]	Mais la défense des Défendeurs n’est pas fondée sur l’article 1 de la Charte.  Ils n’ont pas plaidé, dans le cadre de ce recours, qu’ils ne sont pas en mesure de se conformer à l’article 23 parce qu’ils doivent répondre à d’autres besoins.
	
[800]	J’accepte que les besoins du GTN-O en infrastructures sont considérables.  J’accepte aussi que le gouvernement n’a pas des ressources illimitées quand il planifie son budget et décide du montant qui sera consacré aux infrastructures.
	
[801]	Il y a eu des allusions, dans la preuve, au fait que si le tribunal ordonnait aux Défendeurs d’engager des dépenses pour les écoles minoritaire, certains autres projets en infrastructures devraient nécessairement être abandonnés.  Je n’accepte pas que cette conséquence soit inévitable.
	
[802]	Le GTN-O dispose de la capacité de faire des emprunts.  Il peut préférer ne pas le faire, mais la possibilité est là.  Le GTN-O peut aussi réorganiser son budget et augmenter les montants qui seront consacrés aux projets capitaux.  Le gouvernement a décidé de revenir à une allocation en budget pour les projets capitaux qui est nettement plus modeste que ce qui a été dépensé depuis plusieurs années. Il a l’option d’effectuer une réduction plus graduelle de ses allocations pour les projets capitaux.  Les gouvernements ont le pouvoir de faire des ajustements à leur budget si nécessaire.
	
[803]	Je suis bien au fait que le contexte social des TN-O est très particulier.  Le territoire est immense, plusieurs communautés sont petites et isolées les unes des autres géographiquement.  Le Territoire a 11 langues officielles, dont 9 langues autochtones.  En chiffres absolus dans le contexte canadien et encore plus dans un contexte mondial, les langues autochtones sont parlées par un très petit nombre de personnes.  Il y a d’importantes différences entre la situation de la minorité francophone des TN-O et celle des communautés autochtones, mais il y a aussi certains parallèles concernant les défis reliés à la préservation de la langue et l’érosion culturelle.  Les besoins et les aspirations sont là de part et d’autres dans ces communautés. La légitimé des aspirations de l’une n’enlève rien à la légitimité des aspirations de l’autre.

[804]	  Mais il faut comprendre que sur le plan juridique, la langue française bénéficie d’une protection constitutionnelle que les autres langues officielles du territoire n’ont pas.  Et il ne faut pas oublier non plus qu’en terme d’investissements, le GTN-O n’a pas porté seul la responsabilité financière pour la construction des infrastructures scolaires de la minorité francophone jusqu’à ce jour, contrairement à ce qui est le cas pour toutes les autres infrastructures scolaires des TN-O.

[805]	Le critère de l’échelle variable reconnaît la réalité dont les Défendeurs ont fait état dans leurs représentations (le fait que les gouvernements ne disposent pas de budgets illimités et qu’ils doivent établir des priorités).  L’analyse concernant les coûts est difficile.  Quand il s’agit de dresser des priorités, la comparaison de besoins dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, le transport, est un exercice qui, je le reconnais, est difficile et parfois déchirant.
	
[806]	Quand il est question de droits linguistiques, de risque s’assimilation, et de vitalité culturelle, il est beaucoup plus difficile de mesurer et visualiser les impacts de lacunes dans les services que lorsqu’il est question d’hôpitaux ou de routes.  C’est un des dangers qui guette une minorité linguistique: de voir ses demandes refusées, ou considérées comme étant déraisonnables ou exagérées face à d’autres besoins criants et immédiats auxquels les gouvernements doivent répondre.  Mais un des objectifs de l’article 23 est de protéger les minorités linguistiques contre ce genre de raisonnement, et de leur donner un outil efficace pour faire valoir leurs droits.

e.	Le statut constitutionnel de la garderie et du programme de pré-maternelle

[807]	Outre les espaces supplémentaires à des fins scolaires, les Demandeurs cherchent à obtenir des déclarations du tribunal concernant des espaces qu’ils veulent voir accordés, au sein de l’École Boréale, pour une garderie et pour le programme de pré-maternelle.

[808]	Pour la garderie, ils recherchent une déclaration selon laquelle la CSFTN-O a le droit d’accorder des espaces à une garderie qui pourrait accueillir jusqu’à 30 enfants dans les espaces communautaires.  Dans le cadre du recours CV2005000108, j’ai rejeté la prétention des Demandeurs selon laquelle la Garderie Plein-Soleil, située dans l’École Allain St-Cyr, jouirait d’une protection constitutionnelle.  L’article 23 crée un droit à l’instruction aux niveaux primaire et secondaire.  Je ne vois pas comment son libellé pourrait être interprété comme incluant un service de garderie, même avec la plus généreuse des interprétations.  À ma connaissance, il n’y a aucune jurisprudence qui attribue à une garderie en milieu minoritaire un statut constitutionnel.

[809]	Quant au programme de pré-maternelle, les Demandeurs affirment que parce que la politique de la CSFTN-O inclut la pré-maternelle dans son programme primaire, le programme de pré-maternelle est compris dans l’article 23 et les Défendeurs ont une obligation de fournir des espaces pour ce programme.  Cette position a également été avancée dans le cadre du recours CV2005000108 et je l’ai rejetée.

[810]	La CSFTN-O a le droit d’établir un programme de pré-maternelle.  Mais je suis incapable de souscrire à l’argument selon lequel ce faisant, elle lui attribue un statut constitutionnel.  Le GTN-O a compétence en matière d’éducation, et il lui revient de définir les paramètres de ce qui constitue le programme scolaire primaire et secondaire.  À mon avis, le droit de gestion de la CSFTN-O ne lui donne pas le pouvoir de créer un programme scolaire qui dépasse les paramètres fixés par le gouvernement.

[811]	Ainsi, selon moi, le seul fondement juridique qui est disponible aux Demandeurs pour réclamer une ordonnance du tribunal concernant les espaces pour les programmes préscolaires dans le cadre de ce recours est d’établir que cela constitue une mesure réparatrice convenable et juste au sens du Paragraphe 24(1) de la Charte.

IV. 	LES MESURES DE REDRESSEMENT

[812]	Ayant conclu que les Défendeurs ne se sont pas conformés à l’article 23, je dois décider des mesures de redressements qui sont appropriées dans les circonstances.

[813]	Les Demandeurs en réclament plusieurs.  Ils réclament d’abord une ordonnance contraignant les Défendeurs à agrandir l’École Boréale. Ils réclament que soient spécifiquement attribués, au sein de l’école, des espaces pour une garderie pour le programme de pré-maternelle.  Ils réclament des dommages intérêts compensatoires et punitifs, ainsi que les dépens entre avocat et client, parce qu’ils affirment que les Défendeurs ont fait preuve de mauvaise foi.  Finalement, ils demandent au tribunal de demeurer saisi du dossier pour veiller à la mise en œuvre de ses ordonnances.
	
[814]	L’article 24(1) de la Charte accorde au tribunal un large pouvoir discrétionnaire d’accorder des mesures de redressement en réponse à la violation d’un droit constitutionnel:
	
	24 (1) 	Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
	
	
[815]	Le tribunal doit exercer ce pouvoir discrétionnaire en se fondant sur une appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits, et sur l’application des principes juridiques pertinents.  L’approche doit être souple et tenir compte des besoins en cause.  Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, paras. 52-59.
	
[816]	Puisque j’ai conclu qu’à certains égards, l’École Boréale ne répond pas aux exigences de l’article 23, je vais accorder aux Demandeurs une déclaration détaillée concernant les espaces qui devront y être aménagés.  Je dois décider si d’autres mesures de redressements sont également justifiées dans les circonstances.
	
A. 	Mesures de redressement concernant la garderie et la pré-maternelle
	
[817]	Pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, je ne considère pas que les programmes préscolaires bénéficient d’une protection constitutionnelle en vertu de l’article 23.  Selon moi, les Défendeurs n’ont pas, au premier abord, l’obligation de fournir à la minorité des espaces pour ces programmes à même les fonds publics.  Reste à déterminer s’il est approprié d’ordonner qu’ils le fassent, dans les circonstances particulières en l’espèce, en guise de mesure réparatrice.
	
[818]	L’édifice qui abrite l’École Boréale a toujours eu une vocation à la fois scolaire et communautaire.  C’est le fondement de la contribution financière du gouvernement fédéral à sa construction, puisque le gouvernement fédéral n’a aucune responsabilité de financer directement des espaces scolaires.

[819]	Les Demandeurs affirment d’abord que l’espace utilisé pour la maternelle ne devrait pas être compté dans le calcul de la capacité de l’école.  Puisque la maternelle fait partie du programme scolaire, je ne vois pas pourquoi les espaces utilisés pour ce niveau ne seraient pas comptés dans le calcul de la capacité de l’école, puisque la vocation scolaire de l’édifice qui abrite l’École Boréale est d’offrir un programme de la maternelle à la 12e année.
	
[820]	En ce qui a trait à l’octroi d’espaces spécifiques pour les programmes préscolaires, il faut rappeler le contexte de la construction de l’école, et les conséquences qui en découlent.  Le gouvernement fédéral a fourni une somme importante pour construire l’édifice qui abrite l’École Boréale.  Une approche coopérative, selon laquelle les ressources des deux niveaux de gouvernement sont combinées pour répondre aux besoins de la minorité linguistique, est très souhaitable.  C’est une des façons de créer pour la minorité des institutions qui font véritablement œuvre de centre scolaire communautaire, avec tous les bénéfices qui en découlent.

[821]	 Il n’est évidemment ni possible ni souhaitable de faire une analyse de l’édifice au mètre carré pour identifier quels espaces ont été financés par quel gouvernement, et à quel usage ils seront voués.  Ceci étant dit, la vocation communautaire de l’édifice doit être reconnue.  L’expulsion du programme préscolaire de l’École Boréale pour pallier au manque d’espace serait tout à fait inappropriée.  Le gouvernement est propriétaire de l’édifice malgré la contribution importante du gouvernement fédéral à sa construction, mais il doit s’assurer d’en respecter la vocation communautaire : il ne peut pas permettre que les besoins scolaires empiètent continuellement sur les espaces qui sont censés être disponibles pour des fins communautaires.
	
[822]	Le processus par lequel les gouvernements négocient les détails du financement n’est pas une science exacte.  Il semble, à la lumière de la preuve, qu’une certaine « créativité » est de mise pour maximiser la contribution du gouvernement fédéral.  Je dis cela parce qu’il est évident que l’École Boréale est d’abord et avant tout une école, et pourtant, le gouvernement fédéral a contribué plus de la moitié des coûts de sa construction.

[823]	La preuve révèle qu’il y eu un tel empiètement des espaces communautaires pour des fins scolaires à l’École Boréale.  Une partie de l’atrium a dû été réaménagée en salle de classe à partir de l’année scolaire 2007-2008.  La CSFTN-O a porté ce fait à l’attention du Ministre.  Les Défendeurs n’ont pas pris de mesures d’eux-mêmes pour fournir des espaces supplémentaires à l’école.  Ils ne l’ont fait qu’une fois contraints par l’ordonnance du tribunal.

[824]	L’atrium, un grand espace ouvert qui peut rapidement devenir très bruyant, n’est pas un espace scolaire adéquat.  Il n’a pas été conçu à cette fin.  Toutes les salles de classe ouvrent sur cet espace, ce qui crée du mouvement, de la circulation et du bruit à chaque fois qu’un groupe d’élèves quitte sa classe.
	
[825]	Le fait que les Défendeurs aient sciemment laissé perdurer cette situation d’empiètement des espaces scolaires sur les espaces voués à des fins communautaires est, selon moi, une raison pour laquelle il est convenable et juste que les mesures de redressements ordonnées incluent une ordonnance les contraignant à fournir certains espaces communautaires à l’école.

[826]	L’autre raison pour laquelle j’estime qu’il est convenable et juste d’ordonner que les Défendeurs fournissent de l’espace supplémentaire pour fins préscolaires est la réparation, dans une certaine mesure, des torts causés par la directive ministérielle.  J’aborde cette question plus en détail dans mon analyse de la question des dommages-intérêts et des dépens, mais il est clair que plusieurs enfants qui avaient suivi le programme préscolaire offert par la CSFTN-O à l’École Boréale, n’ont pas reçu la permission de s’inscrire à l’École Boréale une fois la directive en place.

[827]	Ces enfants, leurs parents, l’école, et les membres de la communauté minoritaire avaient investi considérablement de temps et d’énergie à l’intégration des enfants et de leur famille à la communauté francophone.  Ces efforts ont été réduits à néant par le refus du Ministre de leur accorder une permission d’inscription.  Il est loin d’être clair que l’intégration de ces élèves et de ces familles est encore possible aujourd’hui.  Il est donc juste, selon moi, que mon ordonnance contribue à aider à réparer ces pertes d’effectifs en contraignant les Défendeurs à contribuer spécifiquement au programme préscolaire en fournissant des espaces à cette fin.   C’est une façon pour les Défendeurs de contribuer au processus de revitalisation qu’ils ont sérieusement entravé en usurpant les pouvoirs de gestion de la CSFTN-O par l’entremise de la directive ministérielle.
	
[828]	Selon moi, dans les circonstances, une mesure de redressement concernant les espaces consacrés au programme de pré-maternelle est tout à fait appropriée.  Ce programme a un lien étroit avec l’école et peut contribuer de façon importante à la réalisation des objectifs de l’article 23, notamment la revitalisation de la communauté par le biais de la francisation.  Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de l’Ontario dans Abbey dans l’extrait cité plus haut au Paragraphe 637, l’augmentation du nombre de personnes qui parlent le français est bénéfique pour la communauté francophone minoritaire.

[829]	J’ai plus de difficulté concernant la déclaration que les Demandeurs recherchent concernant l’espace pour une garderie, pour un nombre fixe d’enfants. Il n’y a pas de fondement suffisant dans la preuve pour accorder cette mesure de redressement.  Il y a très peu de preuve concernant la question de la garderie dans le contexte de la ville de Hay River. Les Demandeurs ont voulu verser en preuve une étude de besoins préparée pour le compte de l’Association franco-culturelle de Hay River, mais ayant déclaré cette preuve non recevable, je ne peux évidemment pas en tenir compte.

[830]	Il y eu beaucoup de preuve au procès concernant les effets bénéfiques de la Garderie Plein-Soleil pour la communauté minoritaire à Yellowknife.  Il y a aussi eu de la preuve d’expert concernant l’importance de la garderie en milieu minoritaire de façon générale.  Dans le recours CV2005000108, j’ai ordonné que l’agrandissement de l’édifice inclue des espaces additionnels pour la Garderie Plein-Soleil, mais la preuve dans ce dossier était fort différente. La Garderie existe déjà, est au sein de l’école depuis plusieurs années, et les Demandeurs ont pu présenter de la preuve concernant son taux d’achalandage et ses listes d’attentes.

[831]	  Mais dans le présent recours, je ne dispose pas du même genre de preuve concernant la situation et les besoins à Hay River, et j’estime ne pas avoir de fondement pour accorder aux Demandeurs une mesure de redressement concernant une éventuelle garderie au sein de l’École Boréale.  Le pouvoir conféré au tribunal par le Paragraphe 24(1) est large et discrétionnaire, mais il doit néanmoins être exercé en tenant compte des faits prouvés dans le litige.

[832]	De toute façon, la CSFTN-O n’a pas besoin d’une déclaration du tribunal pour décider de l’usage qui sera fait des espaces communautaires au sein de l’École Boréale.  À Yellowknife, des espaces ont été consacrés à la Garderie Plein-Soleil dans l’École Allain St-Cyr depuis le début, et cet espace a été augmenté suite à l’agrandissement de l’école en 2008.  La CSFTN-O a fait cela de son propre chef, sans ordonnance du tribunal.

[833]	Il est cependant fort possible que l’atrium ne soit pas un espace adéquat pour une garderie, compte tenu que c’est un espace ouvert où le bruit se propage.  Mais il appartient à la CSFTN-O et à la direction de l’école de prendre de genre de décisions.

B. 	Les dommages-intérêts et les dépens

[834]	Les Demandeurs réclament des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, ainsi que des dépens entre avocat et client.  Ils réclament ces mesures de redressement parce qu’ils affirment que les Défendeurs ont fait preuve de mauvaise foi.  Les Défendeurs avancent une toute autre interprétation des faits.  Avant d’analyser les principes applicables en la matière, je propose de faire état de mes conclusions de faits concernant la conduite des Défendeurs.
	
1. La conduite des Défendeurs
	
[835]	Tout d’abord, je reconnais que ce recours et le recours CV2005000108 soulèvent certaines questions qui sont novatrices, notamment concernant le statut constitutionnel des programmes préscolaires, et la portée du droit de gestion, notamment en ce qui concerne le pouvoir de gérer les inscriptions au programme d’enseignement en langue minoritaire.

[836]	Il faut rappeler que les Demandeurs n’ont pas eu gain de cause sur toutes les questions juridiques soulevées par ce litige.  Et bien que je leur aie donné raison et conclu que l’École Boréale ne répond pas aux exigences de l’article 23, je ne vais pas leur accorder tous les espaces additionnels qu’ils réclamaient.

[837]	Je conclus aussi que de façon générale, les Défendeurs ont, à l’origine, répondu convenablement à la demande pour un programme d’enseignement en français à Hay River. Ils ont mis de l’avant un projet, créé une commission scolaire minoritaire, pris des mesures pour faire construire une école distincte en consultation avec la minorité, et ont soutenu la CSFTN-O malgré certaines oppositions venues du DEA, par exemple concernant l’emplacement de la nouvelle école.  Ainsi, contrairement aux faits dans certains litiges qui ont mis en cause l’article 23, les Défendeurs ici n’ont pas nié à la communauté minoritaire le droit à des services.

[838]	Cependant, à mon avis, il ressort de la preuve que les Défendeurs ont appliqué une conception de l’égalité qui a été rejetée il y a longtemps, par la Cour suprême du Canada dans Arsenault-Cameron, comme je l’ai fait remarquer au Paragraphe 729,  l’approche des Défendeurs d’appliquer aux écoles de la minorité les mêmes standards que ceux qui s’appliquent aux écoles majoritaire, va à l’encontre d’un principe qui est établi depuis longtemps au sujet de ce que veut dire l’égalité réelle.

[839]	Mais l’aspect de la conduite des Défendeurs qui est le plus problématique, selon moi, concerne la création de la directive ministérielle et certains aspects de sa mise en œuvre.  Je reconnais que  la question juridique que la directive soulève est novatrice dans le contexte de l’interprétation du droit de gestion. Mais j’estime que les circonstances de sa mise en œuvre soulèvent des questions troublantes.

[840]	Dans leurs représentations, les Défendeurs ont fait valoir que la directive a été rendue nécessaire par une croissance trop rapide de l’École Boréale.  Ils affirment qu’il n’était pas normal qu’une toute nouvelle école ait des problèmes d’espace si rapidement.  Ils affirment que l’intervention du Ministre a été rendue nécessaire par l’application irresponsable par la CSFTN-O de sa politique d’admission.  Les Défendeurs ont fait valoir que l’objectif de la directive était la protection des ayants droit.

[841]	Mais la preuve qu’ils ont présentée n’appuie pas ces prétentions.  De fait, la preuve concernant le développement de la directive est très nébuleuse.  M. Devitt, qui est celui qui a donné les instructions de la développer, a pu donner très peu de détails concernant la recherche qui a été faite, les considérations qui ont été examinées, et de façon générale, le processus suivi pour développer la directive.

[842]	Les Défendeurs ont été surpris de la croissance rapide de l’École Boréale.  M. Devitt a dit que le Ministère s’attend généralement à ce qu’un nouvel édifice suffise aux besoins pour une période de 10 ans.  Même s’il est vrai que les inscriptions à l’École Boréale ont augmenté rapidement, selon moi, il était irréaliste pour les Défendeurs de s’attendre à ce que l’édifice suffise aux besoins de la minorité pendant 10 ans.

[843]	Premièrement, le projet initial était pour la construction d’une école plus grande.  La CSFTN-O a accepté la réduction de la superficie de l’édifice à cause des contraintes de budget et parce qu’elle tenait à ce que le projet aille de l’avant, mais a continuellement communiqué au GTN-O l’importance de planifier un agrandissement à court terme.  M. Lavigne en parlait dans sa correspondance avant même que la construction de l’école ne soit terminée.  Jamais les Défendeurs n’ont indiqué qu’il ne serait pas question d’agrandir l’école avant 10 ans.  Jamais ils n’ont exprimé à la CSFTN-O leur désaccord par rapport à ce qu’elle prévoyait concernant ses effectifs et ses besoins.

[844]	Dans les circonstances particulières de la communauté de Hay River, il était tout à fait prévisible que cette nouvelle école, qui offrait pour la première fois un service d’enseignement en français dans une communauté qui avait subi les effets de l’assimilation, allait susciter de l’intérêt et croître rapidement.  C’était d’autant plus prévisible qu’à son ouverture, elle recevait les niveaux de la maternelle à la 8e année. Il était à prévoir qu’en ajoutant un niveau supplémentaire par année pendant 4 années consécutives, l’espace allait rapidement manquer.  Au-delà de la capacité théorique fondée sur le nombre d’élèves que peut accueillir une salle de classe, il faut tenir compte du nombre de niveaux que l’école doit accommoder.  L’école allait rapidement devoir répondre aux besoins de la maternelle à la 12e année, ce qui aurait nécessairement un impact sur ses espaces.  La CSFTN-O a fait valoir tout cela de nombreuses fois dans ses communications avec le Ministère.

[845]	Les Défendeurs n’auraient donc pas dû être pris par surprise qu’il y ait des besoins en espace si tôt après l’ouverture de l’école.  La CSFTN-O avait toujours dit que ça serait le cas.

[846]	Puis, en 2006 et 2007, la CSFTN-O a continué à faire part au gouvernement, et de façon de plus en plus pressante, des problèmes d’espace qui se présentaient à l’École Boréale.  Les Défendeurs n’ont pas agi rapidement en réponse à ces plaintes. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2007 qu’ils ont pris des mesures pour retenir les services de M. Kindt.

[847]	Quant à la politique d’admission de la CSFTN-O qui permettait l’inscription d’enfants de non ayants droit, ce n’était certainement pas un secret.  Il semble que les représentants du Ministère ne s’en préoccupaient pas outre mesure; M. Devitt ne croit pas l’avoir lue avant 2008.  Les représentants du Ministère avaient de toute évidence mal compris à quelles catégories d’inscription le plafond de 20% s’appliquait, mais ils étaient au courant que des enfants de non ayants droit pouvaient s’inscrire à l’école.  Les Défendeurs n’ont aucune excuse de ne pas avoir été au courant, et compris, la politique d’admission, surtout que le DEA s’en était plaint au Ministre.

[848]	Les Défendeurs ont semblé reconnaître, pendant plusieurs années, que la question des admissions était du ressort de la CSFTN-O et non du gouvernement.  Les Défendeurs n’ont jamais demandé des informations à la CSFTN-O concernant leur politique d’admission. 	Même après avoir reçu le rapport de M. Kindt, il n’y a pas de preuve qui suggère qu’ils ont donné à la CSFTN-O une occasion de s’expliquer, ni entrepris des discussions concernant la raison d’être de la politique d’admission ou son impact sur le caractère francophone de l’école.

[849]	Comme j’en ai déjà fait état dans ces motifs, j’ai certaines réserves concernant le témoignage de M. Kindt et celui de M. Devitt quant aux discussions qu’ils ont eues avant que M. Kindt aille à Hay River, surtout au sujet de la politique d’admission et des nombres.  Il aurait semblé logique, si le Ministère était préoccupé de la croissance rapide de l’école et était au courant de la politique d’admission, qu’il ait demandé à M. Kindt d’examiner cette question.  Mais M. Devitt et M. Kindt ne semblait avoir de souvenir que cette question précise ait été soulevée dans leurs discussions, autrement que de façon très brève.  Cela me semble très curieux.

[850]	Évidemment, dans les faits, la question a effectivement été abordée lors du séjour de M. Kindt à Hay River.  Et malgré le fait qu’elle ait occupé très peu de temps dans ses discussions avec Mme Call, cet aspect de son rapport est devenu le point focal de l’attention du Ministère.

[851]	La réaction des Défendeurs au rapport de M. Kindt est très révélatrice.  Le rapport fait état de diverses lacunes dans les espaces de l’École Boréale et fait plusieurs recommandations.  Mais les Défendeurs semblent avoir porté toute leur attention sur un aspect du rapport en particulier : celui traitant du nombre d’enfants de non ayants droit qui étaient à l’école.  Dans sa lettre à M. Légaré en février 2008, c’est le sujet que le Ministre a relevé et ce, avant même que la CSFTN-O ait vu l’ébauche du rapport.

[852]	Il y a très peu de preuve suggérant une consultation ou un dialogue entre le Ministère et la CSFTN-O concernant la question des admissions, après que le rapport ait été préparé.  M. Devitt a dit qu’il y avait eu des consultations pendant que la directive était en développement, mais il n’a été capable de n’en fournir aucun détail.  Et comme je l’ai déjà mentionné, bien que la directive ait été élaborée dans sa division, il n’était pas particulièrement au courant des recherches qui ont été faites et des facteurs qui ont été considérés dans son développement.

[853]	La lettre de juin 2008 qui annonce l’intention de mettre en œuvre la directive parle de « problèmes dans les inscriptions à l’École Boréale », alors qu’il n’y a aucune preuve de plaintes d’ayants droit au Ministère à ce sujet.  Mais cette lettre a été envoyée quelques semaines après que le recours juridique de la CSFTN-O ait été intenté.  Je trouve difficile de croire que c’est une coïncidence.

[854]	 M. Devitt a dit dans son témoignage que la directive ministérielle était en réponse à un « vide politique » (« policy gap »).  J’estime au contraire qu’il n’y avait pas de « policy gap » au moment de l’adoption de la directive ministérielle.  Bien au contraire : il y avait une politique en place, qui l’était depuis plusieurs années, et le Ministre a simplement décidé de l’écarter.  Ce qui a été mis en place pour la remplacer n’était pas une politique d’admission : c’était une politique d’exclusion, assortie d’un pouvoir discrétionnaire absolu pour le Ministre d’y déroger.

[855]	Pour moi, la conclusion qui s’impose face à cette série d’évènements est que l’objectif de la directive ministérielle était de mettre un frein immédiat à la croissance de l’École Boréale, principalement pour éviter que les Défendeurs aient à engager des fonds pour son agrandissement, en réponse au recours judiciaire intenté par les Demandeurs.

[856]	Les Défendeurs ont fait valoir que ceci a été fait pour protéger les ayants droit.  Je n’accepte pas cette prétention.  Il n’y a aucune preuve que des parents ayants droit s’étaient plaints au sujet de la présence d’enfants de non ayants droit à l’école.  Il n’y a aucune preuve suggérant que leur présence était néfaste pour l’homogénéité de l’école.  Je crois plutôt que l’objet véritable de la directive était de freiner la croissance de la population étudiante de l’école pour réduire les chances que les Défendeurs soient contraints de l’agrandir.  Je conclus que la directive était tout simplement une réponse musclée au recours judiciaire intenté par les Demandeurs.

[857]	Je suis renforcée dans cette conclusion par le fait qu’il n’y a aucune preuve suggérant que le Ministre ait manifesté une ouverture quelconque quand la CSFTN-O lui a fait parvenir sa nouvelle politique d’admission en 2009.  Si la préoccupation du Ministre avait été la protection des ayants droit, les nouveaux critères, beaucoup plus élaborés, et la réduction de la limite de non ayants droit pouvant être à l’école, auraient dû le rassurer, ou, au minimum, servir de point de départ à un dialogue.  Mais 2 ans plus tard au moment du procès, la directive était toujours en place et la CSFTN-O n’avait toujours pas pu mettre en œuvre sa nouvelle politique d’admission.

[858]	La façon dont la directive a été appliquée me porte aussi à croire que son objet n’était pas la protection des ayants droit, mais plutôt de restreindre le plus possible l’inscription de nouveaux élèves.  Le contenu de certaines des lettres du Ministre concernant les demandes d’exemptions révèle des principes d’application parfois confus, parfois incohérents et parfois contradictoires.

[859]	Par exemple, dans certains cas, l’explication donnée pour le refus est simplement que le parent n’est pas un ayant droit.  Avec égards, ce raisonnement est complètement circulaire.  De dire aux gens « vous devez demander une permission d’inscription si vous n’êtes pas un ayant droit », et répondre ensuite, quand ils demandent cette permission, « vous ne pouvez pas avoir la permission d’inscription parce que vous n’êtes pas un ayant droit » est pour le moins kafkaïen.

[860]	Dans une autre lettre, celle-là envoyée par le Ministre à Paul Delorey, un membre de l’Assemblée Législative qui était intervenu pour demander au Ministre de revenir sur sa décision concernant T. Blackman, le Ministre affirme que le critère qu’il utilise pour décider s’il accordera une permission en vertu de la directive est celui du meilleur intérêt de l’enfant.  Il écrit :

It might be seen as a good thing and relatively inconsequential to allow non-right holders access to École Boréale, but in fact there are negative consequences that need to be considered. For that reason I have directed that enrolments at École Boréale be restricted to the children of “right holders” and any exemptions to this rule are made only under situations where it is clearly in the best interest of the child to attend École Boréale


[861]	Il  est pour le moins ironique que le Ministre fasse référence à ce critère du «meilleur intérêt de l’enfant » dans le cas du refus de permission à l’enfant Blackman.  Dans sa lettre demandant au Ministre une permission d’inscription pour cette enfant et l’enfant Cassidy en juin 2010, Mme Montreuil, la présidente de la CSFTN-O, faisait valoir que la situation de ces deux enfants était exceptionnelle.  Après avoir rappelé ce qui s’était produit après le refus du Ministre de permettre leur inscription à la maternelle en septembre 2009 (les parents avaient préféré réinscrire les enfants au préscolaire plutôt que de les inscrire à la maternelle à l’école anglophone), Mme Montreuil implore justement le Ministre de tenir compte de leur meilleur intérêt :
	
When [A.C. and T.B.] finished their second “francization” year, an application was submitted for them to be admitted to the kindergarten program at École Boréale, and a request for exemption was sent to you.  That request was refused.  The little girls were very upset at having to leave their friends, because they had been at the school for two years and had now become Francophones.

The parents made the decision to have their children repeat prekindergarten, so that they could further improve their French and continue to see their friends.
	
These little girls, who have become Francophones, have now been at our school for almost three years. In September 2010 they will have to enter grade 1. The prospect of leaving the school that they have been attending for almost three years, and leaving their friends, is becoming really traumatic for them. They are only children!
	
The honourable Jackson Lafferty has the power, through his directive, to grant an exemption. We are asking him to kindly consider these two cases from a humanitarian perspective, because it is clear that, for the girls’ well-being, we adults must see to their needs.  These children must not fall victim to our differences of opinion.

The admission criteria of our policy are concerned, above all, with the well-being of the child. We are asking the honorable Minister to kindly also consider only the well-being of these children, who would be very upset to lose their friends, lose the French that they have learned so well, and leave their familiar surroundings to go to a different school.

[862]	La réponse du Ministre semble entièrement fondée sur le fait que les parents ne sont pas des ayants droit et sur la préoccupation d’éviter de créer un précédent :

As you know, both students are not children of French First Language education right-holders. To allow them to enroll because their friends are enrolled in École Boréale or because of their attendance at a French language preschool would set a precedent that could cause challenges, both for the Department of Education, Culture and Employment and for the Commission scolaire francophone.  It is unfortunate that these students will have to change schools, but that is not an uncommon transition.  As you indicate in your letter, the parents were aware of this situation two years ago and chose to continue to have their children participate in the “francization” program at École Boréale.

[863]	Ce n’est donc clairement pas le critère du « meilleur intérêt de l’enfant » qui a guidé la décision du Ministre dans ce cas, contrairement à ce qu’il a affirmé dans sa lettre à M. Delorey.

[864]	Selon moi il y a aussi eu des incohérences dans le traitement des demandes qui invoquaient des liens familiaux francophones, ou l’existence d’ancêtres francophones.  Le Ministre s’est tantôt laissé persuader par ces arguments, et tantôt non.  Les arguments de Mme Steinwand concernant sa culture, ses ancêtres, et son lien avec le français Mitchif, ont convaincu le Ministre de renverser sa décision et de lui accorder une permission d’inscription pour sa fille.

[865]	Par contre, Barbara Low, également une métis, expliquait dans sa demande de permission qu’elle a des ancêtres francophones originaires de la Nouvelle-Écosse. Elle parle de l’expérience très positive de son petit-fils à l’École Boréale et du fait que cette expérience lui a permis de reprendre contact avec la partie francophone de sa culture.  Dans sa réponse à Mme Low, le Ministre s’en remet simplement au fait que Mme Low n’est pas une ayant droit :

Although I understand your desire to have your grandson attend École Boréale, admission is restricted to the children of the French First 	Language education right holders, as defined by section 23 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms.

As [R.]’s only connection to the French First Language that you mention is through one of his great grandparents, it is clear he does not meet the requirements of section 23.


[866]	Il y a très peu de preuve concernant les considérations qui ont été étudiées avant l’émission de la directive, et aucune preuve suggérant que le droit de gestion de la CSFTN-O ou les objets de l’article 23 ait même été considérés dans l’analyse.  Aucune information n’a été communiquée aux parents par le Ministère pour leur dire quels renseignements ils devraient soumettre à l’appui de leur demande de permission d’inscription, quels critères seraient considérés par le Ministre, ou quelle procédure ils devaient suivre s’ils désiraient en appeler de la décision du Ministre.

[867]	Essentiellement, la procédure et les critères qui étaient en place depuis plusieurs années ont été remplacées du jour au lendemain par une interdiction absolue concernant l’inscription d’enfants de non ayants droit, assortie d’une possibilité d’exemption sans critères d’application et sans qu’une procédure claire soit établis. La directive n’a pas comblé un « policy gap » : elle en a créé un.

[868]	Il a été suggéré que la directive a été mise en place à cause de pressions politiques de la part du DEA.  Il y a certains éléments de preuve qui pourraient supporter cette théorie, comme la correspondance de soutien envoyé au Ministre par le DEA avant l’adoption de la directive, même si personne ne semble savoir comment le DEA avait été mis au courant du projet de directive.  Malgré tout, j’hésite à tirer la conclusion que la directive a été mise en œuvre pour apaiser le DEA.  Le DEA avait manifesté son désaccord avec la politique d’admission de la CSFTN-O bien avant 2008.  Selon moi, c’est plutôt la perspective de devoir agrandir l’école, perspective intensifiée par le commencement du recours juridique, qui a précipité la décision d’adopter la directive.

[869]	L’argument des Défendeurs selon lequel la directive vise à protéger les ayants droit contre les effets négatifs du manque d’espace serait plus convaincant si les Défendeurs avaient pris des mesures pour pallier à ce manque d’espace en plus de mettre en œuvre la directive.  Mais ils ont maintenu qu’il n’y avait pas de problème d’espace lors de la requête en injonction interlocutoire, et ils ont continué de la maintenir au procès.

[870]	La preuve démontre l’effet immédiat qu’a eu la directive sur l’École Boréale.  Depuis qu’elle est en vigueur, les inscriptions à la maternelle ont diminué considérablement.  La récupération de ces effectifs sera difficile. Malheureusement, la directive a mis un frein abrupt à un processus de revitalisation qui avait pris des années à se développer et qui était en plein essor à Hay River.

[871]	C’est à la lumière de ces conclusions que doit se faire l’analyse concernant les dommages-intérêts et dépens que les Demandeurs réclament.

2. Les dommages-intérêts

[872]	La discrétion accordée aux tribunaux par le Paragraphe 24(1) de la Charte n’exclut pas que des dommages-intérêts soient accordés, en sus de mesures réparatrices déclaratoires, quand une violation d’un droit constitutionnel a été établie.
	
[873]	Les principes applicables concernant l’octroi de dommages intérêts dans un litige mettant en cause des droits linguistiques ont été examinés par ce tribunal dans Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, 2006 NWTSC 20.  Ce recours était fondé sur la Loi sur les Langues Officielles, L.R.T.N.-O 1988, c. O-1, et non sur la Charte, mais la disposition de cette loi qui traite des mesures de redressement a un libellé très semblable à celui du Paragraphe 24(1), et le tribunal a conclu que les mêmes principes s’appliquaient.  L’analyse du tribunal concernant les principes qui régissent l’octroi de dommages intérêts compensatoires (Paragraphes 902-908) et punitifs (Paragraphes 937-938) a été endossée par la Cour d’appel. (Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 05, pp.93-94.)  Ce sont ces principes que j’ai appliqués en l’espèce.
	
[874]	Règle générale, les tribunaux n’accordent pas de dommages-intérêts pour le préjudice subi par l’adoption d’une loi qui est, plus tard, déclarée inconstitutionnelle, à moins que la preuve ne révèle un comportement clairement fautif, de l’abus de pouvoir ou de la mauvaise foi.  Autrement dit, un gouvernement bénéficie d’une immunité limitée, pourvu qu’il agisse de bonne foi.  Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405.
	
[875]	Ce principe s’applique aussi lorsque, plutôt qu’une loi, c’est une action gouvernementale qui est jugée inconstitutionnelle. Wynberg c. Ontario, (2006) 269 D.L.R. (4e) 435 (C.A. Ont.).

[876]	Comme je l’ai dit précédemment, la question juridique soulevée par la directive ministérielle n’avait jamais été étudiée par les tribunaux auparavant. C’est un facteur à considérer pour déterminer si des dommages-intérêts sont indiqués.

[877]	Je constate également qu’il a plusieurs exemples dans la jurisprudence oj les tribunaux ont conclu à des violations flagrantes de l’article 23, accordé des jugements déclaratoires et enjoint les gouvernements de prendre des mesures pour rectifier la situation, sans toutefois aller jusqu’à octroyer des dommages-intérêts.  Arsenault-Cameron, supra; Doucet-Boudreau, supra.

[878]	La violation d’un droit constitutionnel est évidemment, en soi, quelque chose de sérieux.  Mais les violations en l’espèce ne sont ni plus flagrantes ni plus sérieuses que celles constatées par les tribunaux dans ces autres affaires.  Je conclus que des dommages-intérêts ne sont pas indiqués.
	
3. Les dépens
	
[879]	De façon générale, l’octroi de dépens entre avocat et client n’est pas la norme.  C’est une mesure exceptionnelle, généralement réservée aux situations oj une partie a fait preuve de conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante.  Young v. Young, [1993] 4 R.C.S. 3.  Dans de tels cas, les dépens sont un moyen pour le tribunal de sanctionner la conduite de la partie en question.
	
[880]	Cependant, dans le contexte d’un litige mettant en cause des droits constitutionnels, les dépens peuvent être une forme de réparation juste et convenable en vertu du Paragraphe 24(1) de la Charte.  Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire pour le tribunal de conclure à une conduite répréhensible ou outrageante.  Les dépens entre avocat et client peuvent être accordés dans la mesure oj un défendeur a enfreint les droits garantis par la Constitution sans motif légitime, et ce, même en l’absence de mauvaise foi. Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, supra, para.63;  Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 05, p.83.

[881]	C’est le cas ici.  Je ne suis pas prête à conclure que les Défendeurs ont agi de mauvaise foi, compte tenu que la question juridique concernant la validité de la directive ministérielle était une nouvelle question dans l’interprétation de l’étendue du droit de gestion protégé par l’article 23.  Par contre, je conclus que la motivation principale des Défendeurs pour mettre en place cette directive n’était pas légitime.  Ils ont réagi aux demandes d’espace de façon drastique, et sans tenir compte de l’objet de l’article 23.  Ils ont abruptement retiré à la CSFTN-O un pouvoir qu’elle exerçait depuis plusieurs années et fait preuve de très peu de flexibilité pour minimiser l’impact de la directive sur des gens qui avaient, avant son adoption, manifesté un désir authentique de s’intégrer à la communauté francophone minoritaire de Hay River et faire partie de son processus de revitalisation.

[882]	Pour moi, l’approche des Défendeurs sur cette question a été complètement incompatible avec l’objet de l’article 23 et son caractère réparateur.  Sa démarche semble avoir été fondée sur le principe qu’il était inapproprié que la politique d’admission de la CSFTN-O ait pour effet de créer de nouveaux ayants droit, alors qu’il est bien établi dans la jurisprudence que l’article 23 peut avoir précisément cet effet, et donner des droits à des parents qui ne font pas partie de la minorité linguistique.

[883]	 Selon moi, cette réponse agressive des Défendeurs, destinée à éviter des dépenses, et ce, au dépend des objectifs réparateurs de l’article 23, et sans tenir compte du contexte plus global de la communauté de Hay River, doit être sanctionnée par le tribunal.  Une ordonnance accordant aux Demandeurs les dépens entre avocat et client est une façon de le faire.
	
C. 	Demande que le tribunal reste saisi du dossier
	
[884]	Les Demandeurs insistent pour que le tribunal se déclare saisi du dossier et assure un contrôle et une supervision des mesures de redressement ordonnées.  La Cour suprême du Canada a reconnu que le tribunal a cet outil à sa disposition dans le cadre des larges pouvoirs discrétionnaires que lui attribue le Paragraphe 24(1) de la Charte.  Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3
	
[885]	Je reconnais l’existence de ce pouvoir mais j’estime qu’il devrait être exercé avec une grande prudence.  Les juges dissidents dans Doucet-Boudreau ont dit (et les juges de la majorité ne les ont pas contredit pas sur ce point):
	
	[le rôle des tribunaux] consiste essentiellement à dire le droit et à accorder à des demandeurs les réparations sous forme de jugement déclaratoire, d’interprétation ou d’ordonnance qui sont nécessaires pour remédier aux atteintes à des droits conférés par la Constitution ou par la loi, dont sont responsables les autorités publiques.  Au-delà de ces fonctions, une attitude de retenue est d’autant plus justifiée qu’il existe au Canada (...) une tradition de respect des interprétations et des ordonnances judiciaires de la part des gouvernements et des fonctionnaires.
	
	Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), supra, para.106.
	
[886]	Les Demandeurs disent qu’il est nécessaire pour le tribunal de rester saisi du dossier sur la base de la même interprétation des évènements que celle sur laquelle est fondée leur demande de dommages-intérêts, c’est à dire, que les Défendeurs ont fait preuve de mauvaise foi à l’égard de la communauté francophone minoritaire des TN-O depuis plusieurs décennies.
	
[887]	Comme je l’ai déjà indiqué, je ne suis pas d’accord avec cette façon de décrire les agissements des Défendeurs.  À mon avis ils ont eu tort dans leur façon de répondre aux demandes de la CSFTN-O pour l’École Boréale, et la solution qu’ils ont préconisée était mal avisée.  Ils ont aussi, selon moi, fait fausse route dans leur application du concept de l’égalité réelle.
	
[888]	Mais contrairement aux faits qui ont mené à plusieurs litiges mettant en cause l’article 23, les Défendeurs ont tout de même pris des mesures, et engagé des dépenses considérables, pour la mise en œuvre de l’article 23 dans les TN-O.
Ils ont construit deux écoles.  Ils ont créé une commission scolaire francophone.
Ils n’ont pas nié ou ignoré leurs obligations constitutionnelles découlant de l’article 23.  Ils les ont simplement, selon moi, interprétées de façon indûment restrictive.
	
[889]	Mais surtout, les Défendeurs se sont conformés aux ordonnances du tribunal.  Pour l’École Allain St-Cyr, les travaux résultant de l’ordonnance du tribunal ont été complétés en retard, mais la preuve a établi que ces retards n’étaient pas dus à de la mauvaise foi.  En ce qui concerne l’École Boréale, les Défendeurs se sont conformés à l’ordonnance interlocutoire les enjoignant de fournir des espaces additionnels et ont opté pour une installation permanente plutôt que temporaire.
	
[890]	Dans Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, 2006 NWTSC 20, en refusant de se déclarer saisie du dossier, malgré la complexité de ses ordonnances, la juge Moreau a dit:
	
	Il est vrai que les demandeurs ont dû chercher à obtenir un règlement judiciaire en raison de l’inaction du GTN-O qui persiste à certains égards depuis plusieurs années. De plus le GTN-O avait à sa disposition plusieurs rapports et recommandations qui faisaient essentiellement des mêmes conclusions que les conclusions de la Cour.  Cela dit, le présent jugement est le premier à jeter un regard approfondi sur la nature et l’étendue des droits linguistiques garantis par la [Loi sur les langues officielles] des TN-O.  Je n’ai pas de raison de croire que le GTN-O ne respectera pas mes ordonnances.
	
	Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, supra, para. 978.
	
[891]	Je n’ai pas moi non plus de raison de croire que les Défendeurs ne se conformeront pas à mes ordonnances, surtout qu’ils se sont conformés aux ordonnances interlocutoires rendues dans ce recours et dans le recours portant sur l’École Allain St-Cyr.
	
[892]	Le Paragraphe 24(1) de la Charte confère un pouvoir discrétionnaire considérable aux tribunaux, mais les mesures de redressement ordonnées doivent tenir compte de la nature du droit en cause.  La jurisprudence qui porte sur l’article 23 reconnaît le rôle et l’intérêt des gouvernements d’avoir une discrétion large dans la mise en œuvre de ces droits.  En l’espèce, j’ai conclu que cette discrétion n’avait pas été exercée en conformité avec la Charte, mais cela ne veut pas dire qu’il est approprié de créer une tutelle judiciaire pour superviser la façon dont les Défendeurs mettront en œuvre les mesures de redressement ordonnées.
	
[893]	Dans l’ordre normal des choses, dans notre démocratie constitutionnelle, un tribunal ne devrait rester saisi d’une affaire que dans des situations exceptionnelles.  À mon avis, il n’est pas nécessaire de le faire dans le cadre de ce recours.
	
	
	
	
	
	
V) 	CONCLUSION
	
[894]	Pour tous ces motifs, j’ordonne les mesures de redressement suivantes en vertu du Paragraphe 24(1) de la Charte:

1.	L’édifice qui abrite l’École Boréale sera agrandi selon les paramètres suivants :
a.	l’école aura une capacité d’accueil de 160 élèves

b.	outre les salles de classe permettant d’atteindre cette capacité, 	l’agrandissement doit comprendre, au minimum : 	

	(i)	un gymnase de 500 mètres carrés ou plus, avec vestiaires, 		douches, estrade, et bureau pour le préposé au gymnase;

	(ii)	un espace adéquatement équipé pour l’enseignement de 			cours de cuisine et d’arts ménagers;

	(iii)	une salle multi-usage pour l’enseignement de la musique 		et des arts;

	(iv)	un laboratoire pour l’enseignement des sciences au niveau 		secondaire avec les équipements conformes aux standards 		applicables (incluant un cabinet de rangement pour les 			produits, accès à l’eau, hotte);

(v)	une salle attitrée pour l’enseignement de l’anglais langue 		seconde;

(vi)	une salle fermée pour le travail individuel pour répondre 			aux besoins des élèves ayant des besoins spéciaux;

2.	L’espace de l’atrium ne sera pas compté pour les fins du calcul de la capacité de l’école.

3.	L’agrandissement de l’édifice devra en outre inclure un espace pouvant accueillir jusqu’à 15 enfants pour les fins du programme de pré-maternelle.

4.	Dans les 21 jours suivant le dépôt des présents motifs, ou à une date ultérieure sur consentement écrit des Demandeurs par l’entremise de leur procureur, des représentants des Défendeurs rencontreront des représentants des Demandeurs pour établir un échéancier et entreprendre la planification des travaux.  Les Défendeurs fourniront par la suite des mises à jour écrites aux Demandeurs ou à la Commission scolaire francophone, Territoires du Nord-Ouest, au minimum à tous les 45 jours.

5.	Les Défendeurs prendront toutes les mesures légalement disponibles pour accélérer les processus d’appels d’offre et autres processus budgétaires nécessaires à la mise en œuvre de cette Ordonnance.

6.	Les Défendeurs s’assureront que les travaux soient complétés à temps pour la rentrée scolaire de septembre 2015.

7.	Les Défendeurs s’assureront que l’École Boréale ait un accès équitable au centre des métiers de l’École Diamond Jenness pour les cours d’Études Professionnelles et Techniques, et fourniront le financement nécessaire, sur demande de la CSFTN-O, pour retenir les services d’un professeur francophone pour l’enseignement de ces cours.

8.	D’ici à ce que les travaux d’agrandissement soient complétés, les Défendeurs s’assureront que l’École Boréale ait un accès équitable, qualitativement et quantitativement, aux espaces suivants :


a.	un gymnase pour les activités scolaires et parascolaires;

b.	les espaces requis pour l’enseignement des arts ménagers;

c.	les espaces requis pour l’enseignement des arts plastiques et des arts visuels;

d.	les espaces requis pour l’enseignement des arts de la scène et de la musique;

e.	des salles de classe supplémentaires, au besoin.


9.	Les Demandeurs ont droit à leurs dépens, sur la base procureur-client.

[895]	En vertu du Paragraphe 24(1) de la Charte, je déclare la directive ministérielle du 7 juillet 2008 inopérante parce que contraire à l’article 23 de la Charte.


Fait à Yellowknife, TN-O, ce
1er jour de juin 2012.



	


									L.A. Charbonneau
									          J.C.S.

Procureurs des Demandeurs:  	 	Me Roger J.F. Lepage
						Me Francis Poulin
	
Procureurs des Défendeurs:		Me Maxime Faille
						Me François Baril
						Me Guy Régimbald

Procureurs de L’Intervenante :		Me Mark C. Power
						Me Christian Paquette	

S-0001-CV 2008000133




COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

ENTRE:
							
COMMISSION SCOLAIRE FRANCOPHONE, TERRITOIRES DU NORD-OUEST, CATHERINE BOULANGER et CHRISTIAN GIRARD
Demandeurs

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et
COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
Défendeurs

- et -

FÉDÉRATION NATIONALE DES CONSEILS SCOLAIRES FRANCOPHONES DU CANADA
	Intervenante


 MOTIFS DE JUGEMENT DE
L’ HONORABLE JUGE L.A. CHARBONNEAU




TABLE DES MATIÈRES

I)	INTRODUCTION	3
II)	MISE EN CONTEXTE	4
A.	LE CONTEXTE PROCÉDURAL	4
B. 	CONTEXTE FACTUEL	8
1.	Historique du programme d’enseignement en français à Hay River et de la construction de l’École Boréale	8
2. 	Critères d’accessibilité au programme d’enseignement en français	10
II) 	LA PREUVE	12
A. 	Preuve des Demandeurs	13
1. 	Survol des témoignages	13
a. 	Gérard Lavigne	13
b. 	André Légaré	20
c. 	Lorraine Taillefer	24
d. 	Michael St-John	31
e. 	Patrick Poisson	36
e. 	Sophie Call	37
f. 	Catherine Boulanger	46
g.	Roger Paul	48
h. 	Andrew Cassidy	51
i. 	Jennifer Blackman	54
j. 	Lorie Steinwand	57
k. 	Dr. Rodrigue Landry	59
l. 	Dr. Wilfrid Denis	66
m. 	Extraits de l’interrogatoire au préalable de Paul Devitt	70
2. 	Questions de recevabilité	70
a. 	Cadre juridique régissant la recevabilité du oui dire	70
b. 	Propos des élèves	73
c.  	Usage qui peut être fait du document « Vision 20-20 » (pièce # 11)	75
d. 	La Pièce « H »	76
e. 	La Pièce « K »	77
f. 	La Pièce « L »	78
g. 	La pièce « Q »	80
h.  	Les pièces « F » et « G »	82
B. 	La preuve des Défendeurs	82
1. 	Survol des témoignages	82
a. 	Brian Nagel	82
b. 	Margaret Melhorne	85
c.	David Dolson	87
d.	Vishni Perris	88
e. 	Paul Devitt	89
f. Janet Grinsted	95
g. Donald Kindt	97
h. Extraits de l’interrogatoire au préalable de Philippe Brûlot	107
2. 	Questions de recevabilité	108
a. 	La pièce « Z »	108
b. 	La pièce « AA »	110
c. 	La pièce « BB »	110
d.	La pièce « CC »	112
III) 	ANALYSE	112
A.  	L’article 23	113
B. 	La directive ministérielle	117
C. 	La validité constitutionnelle de la définition de Aparent@ à l’article 2 de la Loi sur l’Éducation	127
D. 	La non délégation à la CSFTN-O par le Ministre de l’Éducation des pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi	129
E.  La conformité de l’École Boréale aux exigences de l’article 23	133
1. 	Le point de comparaison qui doit être utilisé dans l’analyse	133
2. 	Les approches préconisées par les parties dans la façon d’évaluer des différences entre les infrastructures majoritaires et minoritaires	134
a.	L’approche préconisée par les Demandeurs au sujet de l’égalité réelle	135
b. 	L’approche des Défendeurs	136
3. 	Analyse de l’infrastructure actuelle à la lumière du critère de l’échelle variable	142
a. La capacité de l’école	142
b.	Les espaces spécialisés	148
c.	Devoir de vigilance de la part des Défendeurs	155
d. 	La preuve concernant le contexte économique et social dans les TN-O	156
e.	Le statut constitutionnel de la garderie et du programme de pré-maternelle	158
IV. 	LES MESURES DE REDRESSEMENT	159
A. 	Mesures de redressement concernant la garderie et la pré-maternelle				160
B. 	Les dommages-intérêts et les dépens	163
1. La conduite des Défendeurs	163
2. Les dommages-intérêts	172
3. Les dépens	173
C. 	Demande que le tribunal reste saisi du dossier	174
V) 	CONCLUSION	177
   
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