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Abstract: MOTIFS DE JUGEMENT

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Association des Parents ayants droit de Yellowknife et al c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al, 2012 CSTN-O 43.cor 1
	Date:   2012 06 01
	Dossier:  S-1-CV 2005000108

	COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

ENTRE:

	ASSOCIATION DES PARENTS AYANTS DROIT DE YELLOWKNIFE,
	LA GARDERIE PLEIN SOLEIL, YVONNE CAREEN, CLAUDE ST-PIERRE
	et FÉDÉRATION FRANCO-TÉNOISE
	Demandeurs
	- et -

	PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et
	COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
	Défendeurs


jugement corrigé: Un corrigendum a été publié le 12 décembre, 2012; la correction a été apportée à ce document, et le texte du corrigendum est rapporté à la fin du jugement.



Recours en jugement déclaratoire et en injonction en vertu des articles 23 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Entendu à Yellowknife, TN-O, du 19 octobre 2010 au 8 décembre 2010 et les 13 et 14 janvier, 2011.

Les Motifs de Jugement Déposés:     Le 1er juin, 2012.



MOTIFS DE JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE L.A. CHARBONNEAU

Procureurs des Demandeurs:   	Me Roger J.F. Lepage
Me Francis Poulin

Procureurs des Défendeurs:	Me Maxime Faille
Me François Baril
Me Guy Régimbald

Association des Parents ayants droit de Yellowknife et al c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al, 2012 CSTN-O 43.cor 1
	Date:   2012 06 01
	Dossier:  S-1-CV 2005000108

	COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

ENTRE:

	ASSOCIATION DES PARENTS AYANTS DROIT DE YELLOWKNIFE,
	LA GARDERIE PLEIN SOLEIL, YVONNE CAREEN, CLAUDE ST-PIERRE
	et FÉDÉRATION FRANCO-TÉNOISE
	Demandeurs
	- et -

	PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et
	COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
	Défendeurs


jugement corrigé: Un corrigendum a été publié le 12 décembre, 2012; la correction a été apportée à ce document, et le texte du corrigendum est rapporté à la fin du jugement.

	MOTIFS DE JUGEMENT

I)	INTRODUCTION

[1]	Ce recours juridique met en cause l’étendue des obligations du Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTN-O) en ce qui a trait à l’éducation en français pour la minorité francophone du territoire, plus particulièrement dans sa capitale, la ville de Yellowknife.  Le recours est fondé sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, et son issue dépend de la portée et de l’étendue des droits et obligations qui découlent de cette disposition.

[2]	Le coeur du litige porte sur la suffisance et la qualité des infrastructures fournies par le GTN-O pour le programme d’éducation en français à Yellowknife, et sur le degré d’autonomie et de contrôle dont devrait disposer la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTN-O).


[3]	Les Demandeurs affirment que les Défendeurs ne se conforment pas à l’article 23 et réclament diverses mesures de redressement pour rectifier la situation.  Ces mesures de redressement concernent l’École Allain St-Cyr (ÉASC), l’école où se donne le programme d’enseignement en français langue première à Yellowknife, et les pouvoirs de gestion conférés à la CSFTN-O.  Les Demandeurs réclament aussi des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, de même qu’une ordonnance leur accordant les dépens entre avocat et client.  Ils affirment que ces mesures sont justifiées parce que les Défendeurs ont fait preuve de mauvaise foi et systématiquement violé leurs droits de façon flagrante depuis les 30 dernières années.

[4]	Les Défendeurs affirment au contraire qu’ils se sont conformés à leurs obligations constitutionnelles envers la minorité francophone de Yellowknife.  Ils affirment que les revendications des Demandeurs sont fondées sur une interprétation de l’article 23 de la Charte qui va bien au-delà de celle adoptée par la jurisprudence dans ce domaine.

[5]	Les Demandeurs sont l’Association des parents ayants droit de Yellowknife (“APADY”) (une société formée par un groupe de parents); Yvonne Careen et Claude St-Pierre (deux parents ayants droit); la Garderie Plein Soleil (une société qui opère la garderie francophone à Yellowknife); et la Fédération Franco-Ténoise, (une société qui regroupe plusieurs associations francophones des Territoires du Nord-Ouest  (TN-O), incluant l’APADY.

II)	MISE EN CONTEXTE

A.	LE CONTEXTE PROCÉDURAL

[6]	Le présent recours a été intenté en avril 2005.  En plus de mesures de redressement permanentes, les Demandeurs réclamaient alors une ordonnance interlocutoire contraignant les Défendeurs à prendre des mesures immédiates pour fournir des salles de classes supplémentaires à l’ÉASC et à assurer à ses élèves l’accès à certains espaces spécialisés.

[7]	Le 12 juillet 2005, le tribunal a accordé une Ordonnance enjoignant les Défendeurs de fournir aux Demandeurs, pour le 1er septembre 2005, les espaces suivants:

a)	l’utilisation d’un gymnase répondant pleinement aux besoins de l’école pour les cours d’éducation physique et les activités parascolaires pendant et après les heures scolaires;

b) 	l’utilisation d’un laboratoire de sciences et de locaux pour les arts industriels et ménagers;

c)	l’utilisation de deux salles de classe portatives annexées à l’école par un couloir; et

d) 	l’utilisation d’un autobus en tout temps pour transporter les élèves aux endroits plus éloignés afin de ne pas perdre du temps d’enseignement.

[8]	Suite à cette ordonnance, des négociations ont eu lieu entre les parties.  Ces négociations ont mené à une demande au tribunal de modifier son Ordonnance.  Du consentement des parties, l’ordonnance interlocutoire a été modifiée le 28 février 2006.  La modification touchait le paragraphe ayant trait aux deux salles de classes portatives.  Le paragraphe modifié se lit comme suit:

a)	les défendeurs complèteront la construction de deux salles de classe permanentes à l’École Allain St-Cyr au plus tard le 1er septembre 2007, et ce de façon compatible avec un plan d’agrandissement futur;

b)	Au courant de l’année 2007, les défendeurs complèteront les plans schématiques pour un plan d’agrandissement future [sic] qui comprendrait notamment des salles de classe additionnelles et un gymnase;

c)	les défendeurs s’engagent à assurer le réaménagement des espaces existantes, [sic] pour accommoder les besoins d’espace de l’année scolaire 2006-2007, jusqu’à concurrence de 75 000$, et ce avant le 1er septembre 2006;

d)	les parties se réuniront aux trois mois afin d’obtenir les mises à jour concernant l’évolution des engagements visés par les paragraphes de cette ordonnance;

e)	L’action est suspendue, sauf pour les fins d’obtenir des directives du tribunal concernant cette ordonnance, et sujet au droit des demandeurs, sur 60 jours de préavis aux défendeurs, de leur intention de réanimer l’action et de poursuivre leurs réclamations ayant trait au plan d’agrandissement global de l’École Allain St-Cyr.

f)	Si l’action est réanimée, les parties consentent à la nomination d’un juge de gestion du dossier conformément à la Règle 282 des Règles de la cour suprême des Territoires du Nord-Ouest.


[9]	Les Demandeurs ont signifié leur intention de réanimer le dossier.   Le dossier a fait l’objet de plusieurs conférences de gestion d’instance en 2009 et 2010.  Diverses étapes procédurales préliminaires ont été complétées en vue de préparer le procès.

[10]	Par ailleurs, un autre recours a été intenté en mai 2008  concernant l’application de l’article 23 dans les Territoires du Nord-Ouest, celui-là concernant l’école francophone dans la communauté de Hay River (Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest, Catherine Boulanger et Christian Girard c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et Commissaire des Territoires du Nord-Ouest, CV2008000133).  Les parties dans ce recours-là sont représentées par les mêmes avocats que les parties dans ce recours-ci.  Le deuxième recours a lui aussi fait l’objet de plusieurs conférences de gestion d’instance.

[11]	Étant donné que plusieurs des témoins de chacune des parties devait être appelés dans les deux procès, et que les deux recours évoquaient des questions juridiques connexes,  Les parties se sont entendues pour que les deux procès se tiennent au même moment.  Elles se sont également entendues pour que les procès  fassent l’objet d’une preuve commune.

[12]	La preuve a été entendue du 19 octobre 2010 au 8 décembre 2010, à Yellowknife.  Les représentations finales ont été présentées en janvier 2011.

B. 	LE CADRE  LÉGISLATIF

[13]	L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés est le fondement juridique du présent recours.  Cet article prévoit ce qui suit:

23(1)	Les citoyens canadiens:

a) 	dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) 	qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province

ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, au niveau primaire et secondaire, dans cette langue.

  (2)	Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

   (3)	Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province:

a)	s’exerce partout dans la province où le nombre d’enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction de la langue de la minorité;

b)	comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans les établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

[14]	Le GTN-O a la  compétence pour légiférer en matière d’éducation dans les TN-O.  Dans l’exercice de cette compétence, il s’est doté de la Loi sur l’Éducation, L.T.N.-O. 1995, ch.28 (la Loi), et de règlements qui établissent les paramètres du système d’éducation dans les TN-O.

[15]	La mise en oeuvre des droits de la minorité francophone est spécifiquement prévue dans la Loi.  Des règlements  ont été adoptés pour l’encadrer, notamment le Règlement sur l’instruction en français langue première, R-166-96, et le Règlement sur la Commission scolaire francophone, Territoires du Nord-Ouest, R-071-2000.

[16]	Le Règlement sur l’instruction en français langue première régit les paramètres de la création du programme et le degré de gestion conféré aux parents.

[17]	La première étape est la création du programme lui-même.  L’article 2 du Règlement stipule que lorsque le Ministre conclut à l’exercice du droit reconnu par l’article 23 à l’enseignement en français langue première dans un district scolaire, il ordonne à l’administration scolaire de ce district de créer un programme d’enseignement en français langue première.


[18]	Pour ce qui est de la gestion du programme, l’article 4 prévoit que si ce programme existe mais qu’un conseil scolaire francophone ou une commission scolaire francophone n’ont pas été créés, les parents (un minimum de trois) peuvent demander à l’administration scolaire de district de constituer un comité de parents francophones.  Si une telle demande est faite, l’administration scolaire de district doit  établir un tel comité.

[19]	L’article 5 prévoit qu’un comité de parents francophones qui existe depuis au moins un an peut demander à l’administration scolaire de district de constituer un conseil scolaire francophone.  Encore une fois, si une telle demande est faite, l’administration scolaire de district est tenue d’établir un conseil scolaire francophone.  Une fois ce conseil créé, certains pouvoirs, énumérés aux articles 7 et 8 du Règlement, doivent lui être délégués par l’administration scolaire de district.

[20]	L’article 84 de la Loi prévoit qu’un ou plusieurs conseils scolaires francophones peuvent demander au Ministre de créer une commission scolaire francophone de division.  L’article 9 du Règlement précise les circonstances dans lesquelles le Ministre peut décider de créer une telle commission scolaire.  Cet article prévoit deux fondements possibles pour la décision du Ministre de créer une commission scolaire francophone.  Le premier, prévu à l’alinéa 9(3)(b) du Règlement, est purement numérique: la demande peut être faite si plus de 500 élèves sont inscrits au programme dans le territoire qui relèverait de la compétence de la commission scolaire.

[21]	Si le nombre d’élèves inscrits est en bas de 500, le Ministre a quand même le pouvoir de créer une commission scolaire francophone, en vertu de l’alinéa 9(3)(a), si, sur la base des renseignements qui lui sont fournis, il est convaincu que la commission scolaire respectera les obligations d’un organisme scolaire telles que prévues dans la Loi, répondra aux normes d’enseignement fixées par le Ministre pour le programme d’enseignement, et sera en mesure d’exercer les fonctions de surintendant qui sont prévues à la Loi.  La décision n’est donc pas, dans ce cas, fondée sur le nombre d’élèves inscrits, mais plutôt sur l’évaluation du Ministre de la capacité qu’aurait la commission scolaire d’assumer le niveau supérieur de gestion prévu par la Loi.

[22]	Une fois une commission scolaire francophone créée, le Paragraphe 84(3) de la Loi prévoit que le Ministre doit lui déléguer certains pouvoirs (ceux qui sont énumérés aux articles 117 et 118), et peut lui déléguer certains autres pouvoirs (énumérés à l’article 119).


[23]	Les pouvoirs énumérés à l’article 119 sont ceux qui concernent les bâtiments, incluant le pouvoir de les construire, les entretenir, les assurer, les remplacer, ainsi que les pouvoirs qui concernent la perception d’impôts, et le droit de contracter des emprunts.

[24]	Les dispositions du paragraphe 84(3) sont essentiellement identiques à celles de l’article 81 de la Loi, qui traite de la délégation de pouvoirs par le Ministre aux administrations scolaires de districts qui sont créés pour gérer les autres programmes scolaires dans les TN-O.  En effet, l’article 81 oblige le Ministre à déléguer à ces administrations de district les pouvoirs prévus aux articles 117 et 118 mais lui laisse la discrétion de déléguer ou non les pouvoirs qui concernent les bâtiments.

C.	HISTORIQUE DU DÉVELOPPEMENT DU PROGRAMME À YELLOWKNIFE

[25]	Les grandes étapes de l’évolution du programme d’enseignement en français langue première à Yellowknife sont ressorties de la preuve présentée au procès et ne sont pas contestées.

[26]	Le programme a été instauré en 1989.  À l’origine, il était régit par une commission scolaire anglophone de Yellowknife,  le Yellowknife Education District No.1 (YK#1).  La première année, le programme a été donné dans une salle de classe de l’école Sissons, une des écoles qui relève de cette commission scolaire.

[27]	L’année suivante, des classes portatives furent installées sur le terrain de l’école Sissons, et le programme d’enseignement en français s’y est établi.  À mesure que le nombre d’élèves a augmenté, d’autres classes portatives furent ajoutées.

[28]	L’espace était limité dans ces classes portatives, ce qui présentait des défis pour le personnel enseignant et pour les élèves.  Mais pour les parents qui tenaient à ce que leurs enfants bénéficient d’une éducation en français, et pour les enseignants, c’était tout de même préférable de voir le programme d’enseignement en français se donner dans un espace distinct, plutôt qu’au sein d’une institution d’enseignement anglophone.


[29]	En 1996, une demande officielle fut faite au GTN-O pour la construction d’un bâtiment distinct pour abriter l’école.  Le bâtiment qui abrite actuellement l’ÉASC a ouvert ses portes en 1999.  La construction de cet édifice a coûté environ 3.7 millions de dollars et a été financée en partie par le GTN-O, et en partie par le gouvernement fédéral, par l’entremise du Ministère du Patrimoine Canadien.  La contribution financière du gouvernement fédéral visait les espaces qui, bien qu’au sein de l’édifice abritant l’école, auraient une vocation communautaire.

[30]	Selon les standards du gouvernement, la capacité de l’école était de 132 élèves.  Le bâtiment original était réparti sur 3 étages.  Un des étages comptait une salle pour la maternelle et une garderie; le deuxième étage avait deux salles de classes, des bureaux administratifs, et un espace ouvert (la rotonde).  Au troisième étage, il y avait trois salles de classes, une bibliothèque, et les toilettes.  Il n’y avait pas, dans cet édifice, de salles de classes spécialisées (laboratoire de science, salle pour l’enseignement des arts ménagers, arts plastiques, ou les arts industriels). Il n’y avait pas non plus de gymnase.

[31]	Suite aux ordonnances accordées dans le cadre de ce recours judiciaire, l’ÉASC a été agrandie.  Les travaux d’agrandissement découlant de ces ordonnances (“la Phase 1") ont été au-delà de ce qui avait été ordonné dans l’ordonnance initiale.  L’agrandissement a coûté environ 2.14 millions de dollars.  Le gouvernement  fédéral a également contribué financièrement à ces travaux.  Deux salles de classe ont été ajoutées, et certains espaces ont été réaménagés.  Selon les standards du gouvernement, la capacité de l’école est passée à 160 élèves suite à ces travaux d’agrandissement.

[32]	Tel que mentionné précédemment, le programme, à l’origine, était sous la gestion de la commission scolaire anglophone.  Un conseil scolaire francophone a été formé et en 1994; la commission scolaire YK#1 lui a accordé un pouvoir consultatif à la pédagogie.  La commission scolaire francophone a été créée par le Ministre de l’Éducation en 2000.  Elle portait à l’origine le nom de Commission scolaire francophone de division.  Cette commission scolaire s’est vue accorder les pouvoirs énumérés aux articles 117 et 118 de la Loi, conformément à l’article 84 de la Loi.   La commission scolaire est par la suite devenue la CSFTN-O.

III)	LA PREUVE

[33]	Comme je l’ai mentionné précédemment, les parties ont présenté une preuve commune à ce recours et au recours CV2008000133.  Certains témoignages et pièces versées en preuve concernent plus particulièrement un recours ou l’autre, mais plusieurs portent sur les deux.  Le résumé qui suit porte sur les aspects de la preuve qui sont plus particulièrement pertinents au présent  recours, mais dans mes délibérations, j’ai tenu compte de l’ensemble de la preuve présentée.


A.	La preuve des Demandeurs

1.	Les témoins

a.	Suzette Montreuil

[34]	Mme Montreuil est originaire de l’Ontario.  Elle vit à Yellowknife depuis plus de 20 ans.  Son mari est anglophone, et ils ont deux enfants, A. et R.  Elle est une ayant droit pour les fins de l’article 23 de la Charte.

[35]	Mme Montreuil est bien au fait des diverses étapes de développement qu’a connues l’ÉASC depuis ses débuts.  Elle reconnaît que l’agrandissement complété suite à l’injonction interlocutoire accordée en juillet 2005 a comblé certaines lacunes, mais considère que l’infrastructure n’est pas encore adéquate pour répondre aux besoins des élèves.

[36]	Au moment du procès Mme Montreuil était la présidente de la CSFTN-O, et elle confirmé que cette commission scolaire, bien qu’elle ne soit pas partie au présent litige, appuie les revendications des Demandeurs.

[37]	Les aspects du témoignage de Mme Montreuil qui sont les plus significatifs concernent son expérience avec la garderie, le cheminement scolaire de ses enfants, et ses observations concernant les lacunes qui existent encore à l’ÉASC.

[38]	Mme Montreuil a expliqué que son français était “très rouillé” avant que sa fille A. commence l’école.  A. a fréquenté la Garderie Plein-Soleil pendant un an avant de faire sa maternelle à l’ÉASC.  Le fils de Mme Montreuil, R., a commencé à fréquenter la garderie à l’âge de 2 ans.  Mme Montreuil s’est impliquée au Conseil d’administration de la garderie et a éventuellement occupé le poste de présidente pendant 3 ans.  Elle a expliqué que cette implication lui a permis de réapprendre sa langue.  Elle a expliqué que la garderie joue un rôle important en matière de francisation.


[39]	Mme Montreuil a aussi parlé des avantages qui découlent d’avoir la garderie située dans le même édifice que l’école.  Elle a expliqué que dans les années ‘90, la garderie a déménagé 3 fois, ce qui a non seulement représenté un travail énorme pour les gens qui la géraient, mais a aussi causé beaucoup d’incertitude.  L’intégration de la garderie au reste de la communauté scolaire a toujours été un objectif important, ce qui fut accompli lorsque la garderie a pu déménager dans l’édifice qui abrite l’ÉASC.  Mme Montreuil a expliqué que depuis que la garderie est située dans l’ÉASC, la plupart des enfants qui la fréquentent, au moment de s’inscrire à une école, s’inscrivent à l’ÉASC, ce qui n’était pas le cas auparavant.

[40]	Mme Montreuil a décrit les espaces physiques qu’occupait l’ÉASC à l’époque des classes portatives.  Ces espaces, selon elle, étaient petits et n’étaient pas adéquats.

[41]	Mme Montreuil a aussi parlé de périodes où elle a songé à changer ses enfants d’école.  Dans la mesure où son témoignage consistait à répéter des propos tenus par ses enfants ou leurs amis, les Défendeurs se sont objectés à sa recevabilité, et je traiterai de cette question plus loin.  Mais au-delà de cet aspect de son témoignage, Mme Montreuil a parlé, de son propre point de vue, du dilemme auquel elle a fait face, comme parent, par rapport au choix d’école pour ses enfants.  Cet aspect de son témoignage concerne les inquiétudes qu’elle avait, ce qu’elle a ressenti et vécu à l’époque, et à mon avis, est clairement recevable.

[42]	Mme Montreuil a expliqué que A. n’a pas eu de difficultés dans son cheminement scolaire, jusqu’à la 6e année.  En 7e année une de ses bonnes amies est déménagée à l’extérieur des TN-O.  La 8e année a été une année difficile.  En 9e année, le groupe de A. partageait une salle de classe avec les élèves de 10e année. Cette classe était située dans la rotonde, un espace qui avait été conçu pour servir d’espace communautaire, mais qui avait été réaménagé et divisé en deux parties pour créer des salles de classes supplémentaires.

[43]	Mme Montreuil a expliqué qu’elle a songé à changer A. d’école.  Mme Montreuil accordait une importance fondamentale à la langue et à ce que A. fasse sa scolarité en français, mais se sentait coupable de la priver de l’expérience et des infrastructures dont elle aurait bénéficié dans une autre école.

[44]	Finalement, la décision a été prise que A. poursuivrait sa scolarité à l’ÉASC. Elle y a étudié jusqu’en 11e année, et a ensuite gagné la place réservée aux TN-O à la prestigieuse école Lester B. Pearson.  C’est à cette école que A. a fait sa 12e année.


[45]	Le fils de Mme Montreuil, R., est né en 1995.  Il a fréquenté la garderie. Il a fait sa pré-maternelle et toute sa scolarité à l’ÉASC dans l’édifice qui l’abrite actuellement.  Au niveau scolaire, R. est fort en mathématiques et en sciences sociales.  Il est également passionné de musique et de sports.  Au moment du procès, il était en 10e année à l’ÉASC.  Mme Montreuil a expliqué que les manques en matière d’infrastructure ont eu un grand impact sur R., à cause de ses champs d’intérêts.

[46]	En expliquant son insatisfaction face aux infrastructures actuelles, Mme Montreuil a parlé du manque d’espace pour des salles de classe, qui a, entre autres, forcé la direction de l’école à réaménager la rotonde.  Elle a donné certains exemples des difficultés que cela a posées, comme le fait d’avoir un cours de musique qui se donne dans la rotonde au même moment où se donne, dans la deuxième moitié de la salle, un cours d’anglais.

[47]	Elle parlé des difficultés associées au fait que l’école n’ait pas son propre gymnase.  Elle a expliqué que cela a un impact non seulement sur les cours d’éducation physique, mais aussi sur les activités parascolaires.

[48]	Mme Montreuil a également exprimé son insatisfaction quant à la grandeur du terrain de jeu de l’ÉASC, qui selon elle est trop petit.

[49]	Mme Montreuil a aussi expliqué pourquoi elle considère qu’il y a des lacunes à l’ÉASC au niveau des espaces disponibles pour les cours optionnels (arts dramatiques, arts plastiques, musique, cours techniques).  Ces lacunes ont eu moins d’impact sur A., dont l’intérêt principal était dans les langues.  Mais selon Mme Montreuil elles ont eu un impact sur R., à cause de son intérêt pour les sports, et aussi parce qu’il a accès à moins de cours optionnels au niveau des cours techniques.  Le contraste est très grand avec ce qui est disponible aux autres écoles secondaires de Yellowknife.

[50]	Mme Montreuil a aussi souligné que le nombre limité de salles de classe oblige l’administration de l’école à avoir des classes à niveaux multiples, ce qui selon elle est problématique, particulièrement pour le niveau secondaire.


[51]	Mme Montreuil considère donc que malgré les améliorations qui ont résulté des travaux d’agrandissements de la Phase 1, la seconde phase d’agrandissement est nécessaire pour que l’ÉASC puisse offrir une programmation complète et de qualité à ses élèves.  À sa connaissance, le GTN-O négocie toujours avec Patrimoine Canada pour le financement de ce projet.  Une lettre que lui a envoyée le Ministre de l’Éducation, datée du 22 mars 2010 (la pièce #8), fait état de la situation.  Mme Montreuil estime cette lettre insatisfaisante  puisqu’elle ne propose rien de concret.

[52]	Mme Montreuil a reconnu en contre-interrogatoire qu’il doit y avoir un seuil minimum d’élèves pour justifier la construction de certains espaces spécialisés.  Le procureur des Défendeurs lui a demandé de confirmer que la position de la CSFTN-O est que l’ÉASC devrait avoir droit à des infrastructures dont aucune école des TN-O avec un nombre comparable d’élèves ne dispose. Mme Montreuil a dit que la CSFTN-O d’abordait pas la question de cette façon, mais fonde ses demandes sur le droit à l’égalité avec les écoles de la majorité à Yellowknife.

[53]	À mon avis, la crédibilité du témoignage de Mme Montreuil n’a pas été ébranlée pendant son contre-interrogatoire.  Ce n’est pas un témoin désintéressé, au contraire: visiblement, c’est une personne engagée qui travaille depuis longtemps pour faire avancer la cause qui fait l’objet de ce litige.  Par contre, elle a témoigné de façon claire, directe, et sans détour.  Je n’ai pas eu l’impression qu’elle exagérait ou tentait d’éviter de répondre aux questions.  Je considère l’ensemble de son témoignage crédible et fiable.

b.	Carmen Moore

[54]	Mme Moore est originaire de l’Île-du-Prince-Édouard.  Son mari est anglophone.  Ils se sont établis à Yellowknife en 1987.  Ils ont deux enfants, C. et M., qui au moment du procès étaient âgés de 17 et 13 ans.  Elle est une ayant droit pour les fins de l’article 23 de la Charte.

[55]	Mme Moore a toujours accordé une grande importance à ce que ses enfants, comme elle, parlent français, et a eu le soutien de son mari à cet égard.  Leurs deux fils ont fréquenté la garderie parce que c’était la seule garderie francophone à Yellowknife.  Mme Moore s’est impliquée au conseil d’administration de la garderie et a vécu les multiples déménagements dont a parlé Mme Montreuil.

[56]	Les aspects les plus significatifs du témoignage de Mme Moore concernent le cheminement scolaire de ses enfants, les lacunes qui, à son avis, demeurent dans les infrastructures de l’école, et l’impact qu’elles ont eu.


[57]	Comme ce fut le cas pour Mme Montreuil, certains aspects du témoignage de Mme Moore au sujet des propos tenus par ses enfants et leurs amis, concernant les raisons qui pourraient les pousser à vouloir quitter l’ÉASC, ont fait l’objet d’une objection de la part des Défendeurs.  Je traiterai de cet aspect dans la partie de ce jugement qui porte sur la recevabilité d’éléments de preuve.  Mais encore une fois, dans la mesure où elle a parlé de dilemmes qu’elle a vécus en tant que parent, son témoignage à mon avis est clairement recevable.

[58]	C. a été à la maternelle à l’ÉASC alors que l’école était encore située dans les classes portatives sur les terrains de l’École Sissons.  Il y avait 11 élèves dans sa cohorte en 1ère année.  Au moment du procès, C. était en 12e année, et était le seul élève de sa cohorte.  Parmi les 10 autres élèves, 6 ont quitté l’ÉASC pour d’autres écoles de Yellowknife, et les autres sont déménagés.

[59]	Mme Moore a expliqué que quand C. est arrivé en 9e année, il a été question de le changer d’école.  Ils sont allés visiter l’École Sir John Franklin, une école secondaire de Yellowknife, pour prendre des informations au sujet de son programme d’immersion.  Mme Moore a constaté que ce programme ne répondait pas à ses attentes au niveau de la promotion du français.  Les cours se déroulaient en français mais les élèves parlaient anglais dès qu’ils quittaient les salles de classe.  Mme Moore, son mari et C. ont ensemble pris la décision de ne pas changer d’école.

[60]	À la fin de sa 11e année, C. et sa famille ont appris que les 2 seuls autres élèves de sa cohorte déménageaient de Yellowknife.  Mme Moore était très attristée à l’idée que son fils soit le seul étudiant de 12e année à l’ÉASC.  Elle s’est demandé si elle devrait l’envoyer à l’École Sir John Franklin, ou l’envoyer faire sa 12e année à l’extérieur des TN-O.  Elle s’est aussi informée du programme de cours pour la 12e année à l’ÉASC.  Elle a appris que le cours de Math 30, que C. voulait prendre, allait se donner dans la même classe que Math 20.  Cette option, pour elle, n’était pas acceptable.  Elle a donc fait des démarches auprès de l’École Sir John Franklin pour permettre à C. de prendre le cours de Math 30 dans cette école.  Elle a appris que c’était possible, et qu’un cours de chimie que C. voulait prendre se donnait également le matin à l’École Sir John Franklin.

[61]	Mme Moore a donc pris des arrangements pour que C. passe ses matins dans les classes d’immersion à l’École Sir John Franklin, pour faire ces deux cours, et ses après-midi à l’ÉASC.  L’administration de l’ÉASC, au début, n’était pas en faveur de cette option, mais s’y sont éventuellement rangés.

[62]	Au moment du procès, le fils cadet de Mme Moore, M, était en 8e année.  Il a fait toute sa scolarité à l’ÉASC, à partir de la maternelle.  M. est très sportif et s’intéresse à la mécanique.  Mme Moore a expliqué qu’elle n’est pas certaine du choix qu’elle et son mari feront, tenant compte des désirs de son fils, concernant le choix d’école pour le reste de son cours secondaire.  Le fait qu’il aille à l’école en français demeure un facteur très important pour elle.  Mais elle a dit à plusieurs reprises qu’elle considère qu’avec les lacunes qui existent à l’ÉASC, dépendamment des cours que M. pourrait vouloir prendre, elle n’aura peut-être pas d’autre choix que de le changer d’école.

[63]	Mme Moore a expliqué les problèmes découlant du fait que l’ÉASC n’ait pas son propre gymnase, notamment les restrictions dans la disponibilité du gymnase de l’École William MacDonald et les plages horaires peu avantageuses qui ont été offertes à l’ÉASC, au fil des ans, pour les activités parascolaires.

[64]	Mme Moore a dit que le théâtre et la musique ne font pas partie des choix de cours à l’ÉASC.  Elle a reconnu que certaines années, certains professeurs offraient des activités de théâtre ou de musique à l’extérieur des heures de classe.  Elle a inscrit ses deux fils à des cours de musique privés.

[65]	Également au sujet des choix de cours, Mme Moore a aussi  expliqué que C. a pris certains cours à distance, notamment un cours de biologie.  Elle était inquiète de cette situation, puisque C. n’avait accès ni à un laboratoire pour faire des expériences, ni à un professeur de sciences sur place.  L’expérience a été difficile, et C. a passé ce cours de justesse.

[66]	Au sujet des classes jumelées, tout en reconnaissant que l’école doit s’ajuster selon le nombre d’étudiants de chaque niveau dans la formation de ses groupes, elle est d’avis que les classes à niveaux multiples ne sont pas appropriées au niveau secondaire, particulièrement en 10e, 11e et 12e année.


[67]	Mme Moore a été contre-interrogée au sujet de plusieurs affirmations qu’elle avait faites pendant son interrogatoire principal.  Ce contre-interrogatoire a permis de clarifier certains points. Par exemple, Mme Moore avait affirmé qu’une des raisons pour lesquelles elle avait inscrit ses fils à des cours de musique était pour leur donner l’occasion de rencontrer d’autres amis, étant donné le nombre limité d’élèves à l’ÉASC.  Il est devenu clair, plus tard dans son contre-interrogatoire, que les cours de musique étaient des cours individuels, et que c’était en les inscrivant à d’autres activités qu’elle avait cherché à pallier aux petits nombres d’élèves auxquels ils étaient exposés à l’école.

[68]	À mon avis, il n’y a rien dans le contre-interrogatoire de Mme Moore qui ait ébranlé sa crédibilité.  Je tire à cet égard les mêmes conclusions que celles que j’ai tirées dans le cas de Mme Montreuil.  Mme Moore est elle aussi engagée depuis longtemps dans une cause en laquelle elle croit profondément.   Il m’est apparu clair, durant son témoignage, qu’elle ressent une frustration et une tristesse énormes face à la situation que sa famille a vécu.  Elle ressent un profond sentiment d’injustice parce qu’elle estime que ses enfants ont été pénalisés, parce qu’ils ont été à l’école en français, en n’ayant pas accès à des services qu’ils auraient eu dans les écoles anglophones à Yellowknife.  Cette frustration s’est manifestée à certains moments de son contre-interrogatoire, où elle s’est parfois engagée dans un débat avec le procureur des Défendeurs, plutôt que de simplement répondre aux questions.  Mais à mon avis, son émotion est compréhensible, et ne remet pas en question sa sincérité en tant que témoin.  Je considère l’ensemble de son témoignage est crédible et fiable.

c. 	Rachel Simmons

[69]	Mme Simmons est originaire de l’Ontario.  Elle et son mari se sont établis à Yellowknife en 1995.  Son mari est anglophone.  Ils ont deux enfants, C. et B.  Mme Simmons est une ayant droit au sens de l’article 23 de la Charte.

[70]	Mme Simmons a travaillé, en enseignement et dans des postes de direction, dans plusieurs écoles de Yellowknife, incluant l’École Sir John Franklin, l’École Sissons, et l’École William MacDonald, dont elle est actuellement la directrice.  Elle connaît bien ces écoles et a été en mesure de décrire leurs espaces physiques ainsi que les programmes qui y sont offerts.  Ces aspects de son témoignage ne sont pas particulièrement controversés.

[71]	Mme Simmons a envoyé ses deux enfants à la Garderie Plein-Soleil.   Elle a fait ce choix parce que c’était la seule garderie francophone à Yellowknife. Mme Simmons a expliqué qu’elle voulait que ses enfants parlent français, maintiennent leur culture, et puissent communiquer avec les membres de leur parenté qui sont francophones.  Pour elle, le fait que la garderie soit située à l’ÉASC a été un avantage, mais elle y aurait envoyé ses enfants même si elle avait été située ailleurs.

[72]	Les aspects les plus significatifs du témoignage de Mme Simmons  concernent les lacunes qu’elle a constatées à l’ÉASC de façon générale, et les lacunes qui concernent spécifiquement les besoins spéciaux de C.  Elle a aussi parlé de ce qu’elle a pu observer, au fil des années, quant à la fréquentation des écoles anglophones par les enfants d’ayants droit.

[73]	Comme Mme Montreuil et Mme Moore, Mme Simmons a témoigné au sujet de conversations qu’elle a eues avec son fils B., concernant un possible changement d’école.  Ceci fait partie de la preuve dont les Défendeurs contestent la recevabilité, et dont je traiterai plus loin.

[74]	Mme Simmons connaît bien plusieurs écoles anglophones de Yellowknife, pour  y avoir travaillé.  Elle considère injuste que les élèves de l’ÉASC soient privés de plusieurs infrastructures, ressources et programmes auxquelles ils auraient accès s’ils fréquentaient les écoles anglophones.

[75]	Elle estime que l’ÉASC devrait avoir son propre gymnase pour réduire la perte de temps liée à l’utilisation du Multiplex (une installation municipale où se rendent les élèves pour suivre leurs cours d’éducation physique), et aussi pour éviter que les élèves aient à se rendre dans un environnement anglophone pour suivre ces cours.

[76]	Elle estime aussi que l’école devrait avoir les espaces nécessaires pour offrir un programme varié d’Études Professionnelles et Techniques (ÉPT)  Elle a expliqué que son fils B., par exemple, est porté sur les activités manuelles, et elle croit qu’il devrait avoir accès à ce type de cours.  Il existe, dans les autres écoles, toute une variété de programmes et d’équipements qui permettent aux élèves de suivre des cours techniques de toutes sortes.

[77]	Elle estime  que la pratique des classes jumelées est acceptable au niveau primaire, mais devrait être évitée au niveau secondaire.  Elle croit que les professeurs du niveau secondaire ne devraient pas avoir à partager leur temps entre des élèves de deux niveaux.  Elle a expliqué que quand elle travaillait à l’École Sir John Franklin, elle a eu connaissance de classes jumelées pour un cours de physique, mais que l’expérience n’a pas été répétée par la suite.


[78]	Elle a aussi parlé de manques au niveau des possibilités d’enseignement de la musique et des arts plastiques, et souligné l’absence de lieux adéquats pour les rencontres organisées par l’école avec les parents.  Ces dernières se tiennent dans la rotonde, dont la moitié de l’espace est aménagé en salle de classe. Mme Simmons a expliqué que l’espace disponible pour ces réunions est très restreint.

[79]	Mme Simmons a expliqué que lorsqu’elle travaillait au programme d’immersion à l’École Sir John Franklin, le programme de recrutement incluait une soirée d’information pour les parents, qui se donnait généralement au mois de mai.  À chaque année, 2 à 3 familles dont les enfants étaient à l’ÉASC venaient à ces soirées d’information.

[80]	Elle a aussi parlé de sa connaissance d’enfants d’ayants droit qui fréquentaient les écoles anglophones où elle a travaillé.  À L’École Sissons, dans sa classe titulaire, il y avait 3 enfants d’ayants droit.  À l’École William MacDonald, elle a connaissance de 4 familles d’ayants droit dont les enfants fréquentent l’école.  Et quand elle travaillait à l’École Sir John Franklin, 2 ou 3 élèves arrivaient de l’ÉASC à chaque année.  Certains élèves dans le groupe d’immersion qui étaient aussi des enfants d’ayants droit.

[81]	 La fille de Mme Simmons, C., a des besoins spéciaux.  Mme Simmons a témoigné à ce sujet.  Des documents versés en preuve (pièces #51 à #54) font état de sa condition et des besoins qui en découlent.  J’ai ordonné au procès que ces documents soient scellés pour protéger la vie privée de C.  Je les ai lus, mais je n’y ferai pas référence de façon détaillée parce que ce n’est pas nécessaire pour traiter des questions générales que sa situation soulève.

[82]	Dès son entrée à la garderie, C. a eu des difficultés.  Elle a des difficultés de perception et, entre autres, ne connaissait pas sa propre force. Au niveau académique, elle a beaucoup de difficultés.  Elle a de la difficulté à gérer son énergie, et a souvent du mal à se concentrer quand il y a du bruit.  Par contre, elle a connu du succès dans les sports et a beaucoup bénéficié des cours de cuisine, qui, au-delà des habiletés qu’elle peut y développer, sont devenus, dans son cas, un outil pédagogique important.

[83]	Mme Simmons a pris des mesures pour obtenir de l’aide pour C. dès le début de son cheminement scolaire, et divers accommodements ont été mis en place.  Mais selon Mme Simmons, les lacunes en infrastructure à l’ÉASC ont présenté, et présentent toujours, des obstacles pour répondre efficacement à ses besoins.

[84]	Par exemple, parce qu’elle est très dérangée par le bruit, C. doit souvent quitter la salle de classe pour aller travailler dans un lieu silencieux.  Avant les rénovations de la Phase 1, il n’y avait aucun lieu physique où elle pouvait aller, à part aller dans le couloir ou se rendre à la bibliothèque.  Ni l’un ni l’autre de ces endroits n’était adéquat pour ses besoins, puisque ce sont des espaces qui sont fréquemment utilisés par d’autres élèves.  Depuis les rénovations, elle utilise le bureau d’un des membres du personnel, qui est très petit.  À titre comparatif, Mme Simmons a expliqué qu’à l’École William MacDonald, il y a deux bureaux et une salle de recherche, qui sont disponibles pour les élèves qui ont des besoins spéciaux.

[85]	Pour les cours de cuisine, l’ÉASC a une petite pièce qui contient un four, un évier, et des instruments pour mesurer les ingrédients.  Selon Mme Simmons, la salle est si petite que seulement 2 personnes peuvent s’y trouver en même temps.  À titre comparatif, la salle consacrée aux cours d’arts ménagers à l’École William MacDonald est beaucoup plus grande et contient une gamme complète d’équipements de cuisine.

[86]	Mme Simmons considère aussi que le fait que l’école n’ait pas son propre gymnase a nui à C, puisque le sport est un domaine où elle a du succès.  Il avait été recommandé qu’elle fasse du sport en sus des périodes prévues dans l’horaire régulier.  Le fait de devoir quitter l’école pour s’adonner aux activités sportives a été un désavantage, et fait en sorte qu’une partie du temps qui aurait dû être consacré à l’activité physique a été perdu.

[87]	Mme Simmons a reconnu en contre-interrogatoire que toutes les recommandations qui ont été faites dans les divers rapports psycho-éducationnels  concernant C. ont été mises en place.  Elle a aussi reconnu qu’aucun rapport ne contenait de recommandation spécifique pour ce qu’elle réclame, soit que C. ait accès à un espace individuel de travail.


[88]	Elle a aussi été contre-interrogée au sujet d’une affirmation faite dans son interrogatoire principal, soit qu’elle considérait que la salle qui servait de cuisine n’était pas sécuritaire.  Elle a reconnu qu’elle n’accepterait pas que la sécurité de sa fille soit compromise, et que si elle la laissait continuer à utiliser la salle en question, c’est qu’elle estimait que les lieux sont sécuritaires.  Elle a reconnu qu’elle considère l’endroit sécuritaire dans la mesure où une autre personne est présente dans la pièce avec C.  Elle a aussi reconnu qu’aucun danger particulier concernant l’utilisation de la cuisine n’a été identifié dans les rapports psycho-éducationnels préparés au sujet de C.

[89]	Mme Simmons a aussi dit que pour elle, changer sa fille d’école n’est pas une option, parce que l’environnement de l’ÉASC lui est familier, accueillant, et qu’elle ne pense pas que C. pourrait s’adapter à un changement d’école, fonctionner dans une école avec une population étudiante plus nombreuse, et s’adapter à un milieu scolaire anglophone.  Malgré les lacunes qu’elle a identifiées, Mme Simmons croit que l’ÉASC demeure le meilleur, voire le seul, choix  pour C.

[90]	Mme Simmons a expliqué qu’au moment du procès, 3 salles de classe de l’École William MacDonald étaient utilisées par l’ÉASC: une pour le judo, une pour la robotique et une pour les classes de santé.  L’ÉASC a également des temps de gymnase spécifiques, hors des heures de classe, pour les activités parascolaires.  Les heures d’accès au gymnase qui était en place au moment du procès, selon Mme Simmons, l’étaient seulement depuis quelques semaines.

[91]	Au sujet du partage du gymnase, Mme Simmons a expliqué que sa priorité, en tant que directrice de l’École William MacDonald, est de répondre aux besoins de ses élèves d’abord.  Les besoins d’autres écoles qui utilisent les mêmes espaces doivent selon elle venir en second lieu.

[92]	Elle a donné un exemple concret où elle a utilisé cette méthode de priorisation.  Le professeur d’éducation physique de l’École William MacDonald avait suggéré d’instituer un programme qui consiste à faire faire aux élèves de l’activité physique au tout début de la journée, entre 8:30 et 9:00.  Ce programme requiert, entre autres, l’usage du gymnase, et exige environ 15 minutes avant le début de l’activité pour l’installation d’équipement.

[93]	Mme Simmons a approuvé la mise en oeuvre de ce programme.  À cette époque, l’ÉASC avait du temps attitré pour l’utilisation du gymnase à l’École William MacDonald pour le parascolaire, tôt le matin.  Le nouveau programme a créé un conflit d’horaire.  L’accès au gymnase à ces heures a donc été retiré à l’ÉASC.

[94]	Mme Simmons a présenté sa position de façon non équivoque: si d’autres besoins en temps de gymnase devaient être identifiés pour son école, et que ces besoins entraient en conflit avec les temps de gymnase désignés pour l’ÉASC, sont approche serait de changer les temps de gymnase de l’ÉASC.


[95]	Mme Simmons a été questionnée au sujet d’un protocole d’entente entre les deux commissions scolaires, qui date de 2005, et prévoit un partage équitable des temps de gymnase entre les deux écoles (pièce #31) Mme Simmons a affirmé n’avoir jamais vu ce document avant qu’il ne lui soit présenté au procès.

[96]	Mme Simmons a reconnu qu’il y amplement d’espace à l’École William MacDonald.  L’école a pu accueillir environ 126 élèves d’une autre commission scolaire pendant 2 ans, suite à un grave incendie à leur école.  Elle a reconnu que pendant cette période, les élèves de l’autre école ont pu utiliser le gymnase et les salles de classe spécialisées de l’École William MacDonald.  Ces élèves sont maintenant retournés dans leur propre école, ce qui a libéré beaucoup d’espace et de temps d’utilisation des espaces spécialisés.

[97]	Mme Simmons a été contre-interrogée au sujet de ses négociations avec Yvonne Careen, la directrice de l’ÉASC dans le but d’arriver à une entente concernant l’utilisation par l’ÉASC des espaces à l’école William MacDonald.  Elle a reconnu que Mme Careen est une amie personnelle; qu’elles ont discuté de la question de l’utilisation des espaces; que la CSFTN-O n’était pas satisfaite du résultat de ces négociations; que la CSFTN-O s’est plainte auprès de la commission scolaire YK#1; que le surintendant adjoint de cette commission scolaire est intervenu; et que c’est suite à cette intervention que l’entente au sujet du partage des espaces, notamment le temps d’utilisation du gymnase, a été conclue.

[98]	Il a été suggéré à Mme Simmons que puisqu’elle soutient les revendications des Demandeurs, elle avait intérêt à ce que l’ÉASC n’ait pas un accès adéquat aux espaces de l’École William MacDonald.  Autrement dit, qu’elle n’a pas négocié de bonne foi avec Mme Careen, voire qu’elle a comploté avec elle, de façon à augmenter les chances de succès des Demandeurs dans le présent recours.  Les Défendeurs ont suggéré, dans leurs représentations à la conclusion du procès, que je devrais tirer cette conclusion.  Je ne suis pas prête à le faire, pour deux raisons.


[99]	Premièrement, la preuve a révélé que les problèmes pour arriver à un partage d’espace qui satisfasse aux besoins de l’ÉASC existent depuis que l’école a ouvert ses portes en 1999.  Mme Simmons n’est devenue directrice de l’École William MacDonald qu’au cours des dernières années.  J’estime qu’il est injuste de suggérer que son attitude ou ses motivations personnelles sont à la source de l’échec des négociations.  Elle et Mme Careen ne sont pas les seules gestionnaires de ces deux écoles qui ne sont pas parvenus à un partage d’espace acceptable pour toutes les parties.

[100]	Deuxièmement les enfants de Mme Simmons vont à l’ÉASC, et il est clair que l’activité physique est une chose très importante pour sa fille C.  Je n’ai aucun doute que Mme Simmons est dévouée à sa fille et cherche son meilleur intérêt.  Je pense qu’il est quelque peu farfelu de suggérer qu’elle aurait comploté avec Mme Careen pour délibérément saboter le partage d’espace, au détriment de ses propres enfants, dans le seul but d’aider, à long terme, la cause des Demandeurs.

[101]	Je conclus au contraire que Mme Simmons, comme directrice de l’École William MacDonald, et dont la responsabilité première est d’assurer la meilleure expérience éducative pour les élèves de cette école, est dans une situation très délicate, compte tenu du fait que ses propres enfants vont à l’ÉASC.  J’accepte son témoignage à l’effet que dans le cadre de son travail, elle met les intérêts de son  école au premier rang, parce qu’elle considère que c’est sa responsabilité professionnelle de le faire.  J’estime son témoignage digne de foi et fiable.

d.	Martin Deschênes

[102]	M. Deschênes est enseignant à l’ÉASC depuis septembre 2003.  À ses deux premières années il enseignait, à différents niveaux, l’éducation physique, les mathématiques, l’informatique, et des cours de sciences humaines.  Au moment du procès, il était responsable de l’enseignement de l’éducation physique à tous les niveaux, des cours d’informatique pour les niveaux de 7e à la 12e année, ainsi que certains cours de mathématiques et un cours de robotique, qui se donne dans une salle de classe à l’École William MacDonald.

[103]	M. Deschênes a expliqué qu’à son arrivée à l’école, des démarches avaient été faites auprès de l’École William MacDonald au sujet du partage possible du gymnase, mais qu’on l’avait informé à cette époque qu’il n’y avait pas d’espace disponible.  Des rencontres ont ensuite eu lieu avec les autorités municipales pour discuter de l’utilisation possible du Multiplex.  M. Deschênes a dit que ces négociations ont été difficiles.  Éventuellement l’ÉASC a obtenu deux blocs de 1 heure au Multiplex, de 1:00PM à 3:00PM, tous les jours.


[104]	Pendant les années scolaires 2003 et 2004, il n’y avait pas de transport organisé pour que les élèves se rendent au Multiplex.  M. Deschênes a expliqué que la distance à parcourir était de 10 à 15 minutes de marche, selon l’âge des élèves.  Le fait de ne pas avoir de transport compliquait évidemment le transport du matériel, qui était généralement transporté par le directeur de l’école dans sa voiture.

[105]	D’autre part, quand température extérieure était inférieure à -30 degrés Celsius, les élèves ne pouvaient pas se rendre au Multiplex à pied.  L’école avait alors recours à des taxis pour leur transport. L’utilisation de taxis a donné lieu à des problèmes.  Par exemple, en certaines occasions, le temps d’attente ayant été plus long, les élèves n’ont pas été de retour à l’école à temps pour prendre leur autobus scolaire.

[106]	Depuis l’injonction interlocutoire accordée en juillet 2005, le transport des élèves est assuré par un autobus, ce qui a amélioré la situation.

[107]	M. Deschênes a identifié plusieurs défis que présente pour lui, en tant que professeur d’éducation physique, le fait de devoir donner ses cours au Multiplex.  L’équipement auquel il a accès est très limité; donc, beaucoup d’équipement doit être transporté.  M. Deschênes a déjà demandé d’utiliser un des entrepôts du Multiplex pour y garder de l’équipement, mais quelques semaines plus tard le matériel avait disparu et n’a jamais été retrouvé.

[108]	M. Deschênes a aussi parlé de certains aspects du gymnase du Multiplex qui ne sont pas adaptés pour les élèves du primaire.  Par exemple, les paniers de ballon paniers ne sont pas mobiles, et ne peuvent pas être baissés pour répondre aux besoins des élèves plus jeunes.  Il ne peut donc pas donner de cours de ballon panier aux élèves plus petits.  Il a aussi parlé de d’autres obstacles qui se présentent à lui au plan pédagogique: il n’a pas de tableau; il ne peut pas faire d’affichage, par exemple, pour créer des activités par stations avec des affiches qui expliqueraient aux élèves ce qui doit être fait à chaque station; l’environnement du Multiplex, (son affichage, ses employés, le reste de sa clientèle), est très majoritairement anglophone.

[109]	Au niveau logistique, le fait de devoir se déplacer, même en autobus, occasionne une certaine perte de temps, et limite la quantité d’équipement qui peut être disponible.


[110]	Il a aussi parlé de d’autres contraintes qui découlent du fait qu’il y a d’autres usagers au Multiplex.  Les membres des forces armées ont accès, à tous les jours, à une salle de conditionnement physique située dans une mezzanine au-dessus du gymnase.  Cette salle n’est pas fermée, ce qui cause parfois des problèmes de bruit, à cause de la musique que les usagers utilisent en s’entraînant.  Les élèves peuvent se retrouver dans les vestiaires avec des adultes inconnus.

[111]	M. Deschênes a aussi expliqué que pour diverses raisons, la municipalité a parfois annulé les plages horaires réservées à l’ÉASC au Multiplex.  Dans certains cas, l’école était avertie d’avance, mais dans d’autres, non.  En ces occasions, il s’est  rendu au Multiplex avec  ses élèves, pour apprendre, sur place, que les lieux n’étaient pas disponibles.

[112]	Une des situations est survenue il y a quelques années, quand une autre école de Yellowknife a négocié avec la ville un arrangement pour utiliser le Multiplex, aux mêmes heures où l’ÉASC devait avoir l’usage du gymnase.  La municipalité avait alors annulé l’accès pour l’ÉASC pour cette période.  L’ÉASC s’est plaint à la municipalité et la solution préconisée a été de diviser le gymnase en deux et permettre aux deux écoles de les utiliser en même temps.

[113]	Une autre fois, le gymnase de cette même école était devait être utilisé pour un évènement communautaire, et la municipalité a annulé le temps de gymnase de l’ÉASC, sans avertir l’école, pour accorder le temps d’utilisation à l’autre école.

[114]	M. Deschênes a expliqué que dans les cas où le gymnase du Multiplex n’est pas disponible, ses options sont limitées pour offrir les cours d’éducation physique. Les activités extérieures peuvent être une option, si la température le permet, mais ne sont souvent pas viables sur une période d’une heure, surtout avec les élèves plus jeunes.  Quant aux activités qui peuvent être organisées à l’intérieur de l’ÉASC, le manque d’espace fait en sorte que les possibilités sont très limitées, et selon M. Deschênes, inadéquates.  Il a donné l’exemple de l’activité de “cup stacking”, qui consiste à construire, le plus vite possible, une pyramide avec des verres de plastique.  Il a expliqué que cette activité “compte” comme activité d’éducation physique, mais est loin d’être aussi bénéfique que ce qui peut se faire en gymnase.


[115]	M. Deschênes a aussi parlé des défis que l’absence de gymnase pose sur le plan des activités parascolaires, pour l’entraînement des équipes de sports.  Il a expliqué que les temps de gymnase offerts par l’École William MacDonald avaient longtemps été à des heures peu avantageuses, comme très tôt le matin, ou à la fin de la journée, ce qui représente un défi supplémentaire pour les élèves qui veulent participer, et pour les parents qui participent à ces activités comme bénévoles.  Pour ce qui est des activités intra murales - M. Deschênes les définit comme des activités sportives à l’intérieur des heures de cours, par opposition aux activités parascolaires, qui se font à l’extérieur des heures de cours - elles sont presque impossibles à organiser à cause de l’absence de gymnase.

[116]	En contre-interrogatoire, M. Deschênes a reconnu que la situation au Multiplex s’est améliorée depuis que le transport en autobus est organisé.  Il a aussi  reconnu que quand l’école a porté plainte au sujet du retrait de leurs heures attitrées au Multiplex, des correctifs ont été apportés.  Il a reconnu également que dans les semaines qui ont précédé le procès, il a obtenu des temps d’accès au gymnase de l’École William MacDonald pour les activités parascolaires qui sont adéquats.

[117]	Il a parlé des divers programmes hors gymnase que l’ÉASC a pu monter pour ses élèves, comme un programme de squash, de gymnastique, de soccer.  Il a reconnu que certains défis posés, au parascolaire, pour la formation et l’entraînement d’équipes, découle des petits nombres d’élèves, et non de l’absence de gymnase.  Et il a reconnu que malgré les difficultés qu’il a décrites, les élèves de l’ÉASC avaient été en mesure de remplir les critères du curriculum et d’obtenir les crédits nécessaires en éducation physique.

[118]	M. Deschênes a aussi été interrogé au sujet des difficultés de rétention des élèves au niveau secondaire  Il a dit que beaucoup d’élèves quittaient au niveau secondaire.  Les Défendeurs se sont objectés à ce qu’il exprime une opinion au sujet de la cause de ces départs.  Après avoir entendu les représentations des parties j’ai décidé que même comme témoin ordinaire, son opinion sur la cause de départs était recevable, à cause de son expérience sur plusieurs années au sein de l’école, qui a inclus un contact quotidien avec les élèves.  M. Deschênes a dit qu’à son avis, les élèves quittent l’ÉASC pour avoir accès à un choix de cours plus diversifié, des meilleurs programmes dans des domaines comme la mécanique et la musique, et plus d’accès à du temps de gymnase et des activités sportives.

[119]	Ayant décidé que cette preuve est recevable, reste à décider de sa force probante.  L’opinion de M. Deschênes est fondée en partie sur des commentaires que lui ont faits des élèves, dont la recevabilité est contestée par les Défendeurs.  À cause du lien entre la recevabilité des propos et la force probante de l’opinion de M. Deschênes, j’en traiterai en même temps que la question de recevabilité.


[120]	M. Deschênes a été contre-interrogé concernant les facteurs qui ont un impact sur les choix de cours qu’une école peut offrir.  Il a reconnu qu’au-delà du nombre de locaux qui sont disponibles, le nombre d’étudiants et le nombre d’enseignants est un facteur qui a aussi un impact.  Mais il a précisé qu’à son avis, une école devrait faire tout son possible pour offrir un maximum de choix de cours à ses étudiants, même si le nombre d’étudiants qui voudraient prendre ce cours est très limité.

[121]	Au sujet de la question des départs des élèves, M. Deschênes a reconnu que plusieurs raisons peuvent pousser un élève à quitter une école.  Il a reconnu que la ville de Yellowknife est un endroit qui a un taux de mobilité élevé.  M. Deschênes a été questionné au sujet du nombre d’élèves qui avaient quitté l’ÉASC pour d’autres écoles de Yellowknife et de ceux qui avaient quitté pour cause de déménagement.  Le procureur des Défendeurs lui a demandé si il y avait eu une diminution dans les départs pour d’autres écoles de Yellowknife depuis l’agrandissement de la Phase 1.

[122]	M. Deschênes a eu de la difficulté à répondre à ces questions, car il ne se rappelait pas précisément des nombres pour chacune des années.  Le procureur des Défendeurs lui a alors posé des questions en utilisant la liste de noms des élèves qui ont  quitté l’ÉASC au cours des années scolaires 2007-2008, 2008-2009, et 2009-2010.

[123]	M. Deschênes, une fois qu’on lui a donné ces noms, a été capable d’être beaucoup plus précis.  Pour l’année 2007-2008, sur 8 départs, M. Deschênes a dit qu’une élève était allée à l’École Sir John Franklin, 4 étaient déménagés, et pour les trois autres, il ne connaissait pas les raisons des départs.  Pour l’année 2008-2009, sur 9 départs, 7 étaient dus à des déménagements et 2 élèves sont allés à l’École Sir John Franklin.  Et pour l’année 2009-2010, sur 5 départs, 2 élèves sont allés à des écoles spécialisées à l’extérieur de Yellowknife, 2 autres sont déménagés, et M. Deschênes ne connaissait pas la raison du départ du cinquième.

[124]	Il a eu des moments dans le contre-interrogatoire de M. Deschênes où il avait tendance à s’éloigner de la question qui lui était posée et d’aborder d’autres sujets.  Sa tendance à parfois s’éloigner du sujet de la question m’a incitée à intervenir à quelques reprises pendant son témoignage pour lui rappeler l’importance de bien écouter les questions, et s’efforcer d’y répondre de façon complète, mais sans s’étendre sur d’autres sujets.


[125]	Je ne pense cependant pas que c’est un facteur qui entache la crédibilité de M. Deschênes comme témoin.  Mon impression est plutôt qu’il était passablement nerveux - il a d’ailleurs mentionné être “stressé” à quelques reprises durant son témoignage - et aussi que les questions posées évoquaient pour lui un grand nombre de sujets et de volets qu’il essayait d’inclure dans ses réponses.  Il faut dire que notamment concernant la gestion des cours d’éducation physique à l’ÉASC, on lui demandait de résumer et relater son quotidien en tant qu’enseignant sur une période de plus de 5 ans.  Il n’est pas surprenant qu’il ait eu de la difficulté, à certains égards, à le faire de façon nette et concise.

[126]	Je conclus que M. Deschênes a été honnête dans son témoignage.  Il a avoué avoir vécu des moments difficiles et frustrants au fil des années, et, comme d’autres témoins, il a des opinions bien arrêtées au sujet de l’importance de l’enseignement en français, du rayonnement de l’ÉASC dans la communauté, et des mesures qui pourraient les promouvoir.  Ce litige porte sur un environnement de travail qu’il vit quotidiennement, et il n’est pas un témoin détaché ou neutre.  Ceci étant dit, j’estime qu’il a relaté les faits dont il a été témoin au meilleur de sa connaissance. J’estime que son témoignage est digne de foi et fiable, sous réserve des questions de recevabilité et l’impact de ces questions sur la force probante de son opinion concernant la raison des départs de certains élèves.

e.	Jean Gravel

[127]	M. Gravel est enseignant.  Son épouse est francophone, et ils ont deux enfants.  Au moment du procès le plus vieux était en 5e année à l’ÉASC et l’autre était à la Garderie Plein-Soleil.  Il est un ayant droit au sens de l’article 23 de la Charte.

[128]	M. Gravel est venu travailler à Yellowknife pour la première fois en 1997. À cette époque il travaillait 70% du temps à l’École Sir John Franklin, et 30% du temps à l’ÉASC.  L’ÉASC, à cette époque, était dans les classes portatives situées sur le terrain de l’École Sissons.  L’année suivante il a travaillé à plein temps à l’École Sir John Franklin.  Lui et son épouse ont ensuite quitté les Territoires du Nord-Ouest.  Ils y sont revenus en janvier 2002 et depuis ce temps, M. Gravel est enseignant à plein temps à l’ÉASC.  Il a déjà enseigné l’éducation physique, et est actuellement professeur pour les sciences et les mathématiques.

[129]	À son arrivée dans la nouvelle école en 2002, il y avait une salle de classe pour les niveaux de 7e, 8e et 9e année, pour tous les sujets.  Il y avait à cette époque un service de repas chauds, qui étaient servis dans la rotonde.

[130]	L’année suivante, la rotonde a été réaménagée pour créer d’autres salles de classe; des murs mobiles y ont été installés, et le service de repas a été abandonné.  Cette année-là, l’ÉASC a conclu une entente avec l’École Sir John Franklin selon laquelle les 3 élèves de 10e année allaient suivre leurs cours à cette école.  Aux dires de M. Gravel, cette entente a été conclue parce que l’ÉASC n’avait ni les ressources humaines ni les ressources physiques pour accommoder les 3 élèves de 10e année.  Les trois élèves en question ont tous quitté l’ÉASC le semestre suivant.

[131]	M. Gravel a donné une partie de ses cours d’éducation physique dans le gymnase de l’École William MacDonald.  Il a expliqué que quand il y allait avec ses élèves, ils ne se sentaient pas bienvenus et avaient l’impression de déranger.  Parfois, si des classes de l’École William MacDonald utilisaient le gymnase au même moment, le gymnase était divisé en deux.  M. Gravel a dit que “ça fonctionnait, mais difficilement”.

[132]	Quand il n’avait pas accès au gymnase de l’école voisine, M. Gravel donnait ses cours d’éducation physique dans la rotonde.  Il estime qu’il devait faire cela pour un cours sur deux.  Il fallait alors réaménager l’espace, plier des tables, composer avec les plafonds bas.  La situation était loin d’être idéale pour l’enseignement de l’éducation physique.

[133]	M. Gravel n’enseigne plus l’éducation physique mais il a accompagné les élèves pour aller et revenir du Multiplex quand le déplacement se faisait à pied.  Il a expliqué que les 10 à 15 minutes de marche entre les deux endroits causait une perte de temps qui réduisait le temps d’enseignement.

[134]	M. Gravel a reconnu que les rénovations de la Phase 1 ont amélioré la situation à l’ÉASC mais a maintenu que des lacunes demeurent, notamment dans les espaces disponibles pour les élèves de niveau secondaire.  Il y maintenant 2 salles consacrées au niveau secondaire, dont une qui sert à la fois de salle de classe et de laboratoire de sciences.  La salle d’informatique utilisée par les élèves du secondaire est utilisée aussi par les élèves du primaire.

[135]	M. Gravel estime que l’école aurait besoin de laboratoires de sciences distincts pour le niveau primaire et le niveau secondaire, parce que les besoins que ces deux types de laboratoires doivent combler sont très différents.  Il estime que de façon générale l’école a besoin d’espaces dédiés au niveau secondaire, parce qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de vraie séparation physique entre les deux niveaux.


[136]	Questionné au sujet des choix de cours, M. Gravel a parlé de “cours optionnels obligatoires”, parce que l’ÉASC peut seulement offrir un nombre très limité de cours.  M. Gravel a reconnu que l’ÉASC ne peut pas offrir tout l’éventail de cours à options disponibles dans une école plus grande, mais il estime qu’elle devrait avoir un minimum d’espaces physiques pour offrir un programme de qualité équivalente à ce qui est offert dans les autres écoles à Yellowknife.

[137]	M. Gravel a parlé de son expérience de l’utilisation de salles de classe à l’École William MacDonald.  On lui avait donné accès à un local en 2003 mais l’arrangement n’était pas, de son point de vue, satisfaisant: il y avait une perte de temps associée au déplacement vers cette salle, les pupitres étaient mal en point, il n’y avait pas de matériel.  L’arrangement n’a pas duré un semestre, parce qu’il est arrivé à la conclusion qu’il était préférable, et plus efficace, de retourner donner son cours dans une salle de la rotonde.

[138]	M. Gravel a aussi parlé du jumelage des classes.  À l’ÉASC, il a toujours eu des groupes jumelés au secondaire, sauf une fois pour un cours de mathématiques.  Il a expliqué que les groupes jumelés présentent un gros défi tant pour les professeurs que pour les élèves.  Pour sa part, avec ce genre de groupe, il a tendance à prioriser le niveau le plus élevé.  Il estime que les classes jumelées désavantagent les élèves, parce qu’ils n’ont pas la même qualité d’enseignement que s’ils étaient dans un groupe a niveau unique, et créent une charge de travail énorme pour l’enseignant, qui doit livrer le curriculum pour 2 niveaux en même temps.  M. Gravel croit qu’il ne devrait pas y avoir de classes jumelées pour les cours académiques pour les niveaux de la 7e à la 12e année.

[139]	À la fin de son interrogatoire principal, M. Gravel a expliqué qu’il aime beaucoup l’ÉASC et que son fils adore son école. Par contre, la perspective de groupes jumelés pour les cours académiques au secondaire le préoccupe beaucoup, et pourrait le mener à considérer la possibilité de changer son fils d’école, ou même déménager, si la situation actuelle ne change pas.

[140]	En contre-interrogatoire, M. Gravel a été questionné au sujet de son point de vue concernant les classes jumelées.  Certains extraits d’un document d’information destiné aux parents et préparé par l’APADY (la pièce # 59) ont été portés à son attention.  Le document fait état des avantages qui découlent des classes jumelées, et de d’autres avantages dont les élèves qui fréquentent l’ÉASC bénéficient.


[141]	  M. Gravel a reconnu être membre de l’APADY et s’est dit généralement d’accord avec les énoncés du document.  Au sujet des groupes jumelés, il était d’accord avec les énoncés dans le contexte des niveaux d’enseignement primaire mais non au secondaire.  Il a reconnu cependant que le document ne faisait pas cette distinction.

[142]	M. Gravel a aussi reconnu que les élèves de l’ÉASC avaient un bon taux de réussite.  Quand on lui a demandé de comparer le taux de réussite de ses élèves au taux de réussite dans d’autres écoles, il a répondu qu’il n’avait jamais comparé les résultats.

[143]	M. Gravel a été contre-interrogé au sujet du problème de rétention des élèves au niveau secondaire à l’ÉASC.  Le procureur des Défendeurs lui a demandé s’il considérait que la situation se stabilisait depuis 2008, et M. Gravelle a répondu que selon ses observations l’école tendait vers la stabilisation.  Le procureur des Défendeurs a alors porté à l’attention de M. Gravel de l’information au sujet des nombres d’élèves à chacun des niveaux à l’ÉASC pour les années 2006 à 2009.  Après avoir examiné ces chiffres, M. Gravel a concédé que les effectifs de l’école au niveau secondaire se sont effectivement stabilisés depuis 2008.

[144]	Concernant la salle multi-usages ajoutée en 2008 qui sert, entre autre, de laboratoire pour les sciences, M. Gravel a reconnu que la CSFTN-O avait approuvé les plans pour l’agrandissement de 2008, et que lui-même avait assisté, à la demande du de Gérard Lavigne (qui était alors directeur général de la CSFTN-O), à une réunion où il était question du laboratoire.  Selon lui, cependant, la discussion lors de cette réunion portait sur un laboratoire qui devait être installé ailleurs dans l’école, mais que par la suite les plans avaient été changés.

[145]	M. Gravel a réitéré qu’il reconnaissait que l’ÉASC, avec ses petits nombres, ne peut pas offrir exactement les mêmes services qu’une école plus grande comme Sir John Franklin.  Mais il estime que l’ÉASC doit avoir les moyens d’offrir quelque chose d’équivalent, pour protéger la pérennité de son programme secondaire.  Selon lui, une augmentation des infrastructures améliorerait la rétention et permettrait aussi de récupérer d’autres effectifs.  Il a reconnu que son avis sur cette question repose sur des statistiques et informations qu’il a lues dans certains documents, et n’est pas le fruit de recherches ou d’une expertise personnelle à ce sujet.

[146]	Comme d’autres témoins, M. Gravel a relaté les propos tenus par certains élèves concernant leur décision de quitter l’ÉASC.  Comme M. Deschênes, il est d’avis que les lacunes en infrastructures sont à la base du problème de rétention au niveau secondaire.  Il fonde cette opinion sur les choses que les élèves lui ont dites, et sur son expérience quotidienne au sein de l’école.  La force probante de son opinion à cet égard doit faire l’objet de la même analyse que celle de M. Deschênes.

[147]	Les commentaires que j’ai faits au sujet de la crédibilité et la fiabilité du témoignage de M. Deschênes s’appliquent, à mon avis, au témoignage de M. Gravel.  Je n’ai aucune raison de douter de sa bonne foi et de son honnêteté comme témoin.  Lui non plus n’est pas un observateur neutre.  Comme dans le cas de d’autres témoins, j’ai dû intervenir pour lui rappeler que son rôle, comme témoin, n’était pas de s’engager dans un débat avec l’avocat qui lui posait des questions.  Mais ce n’est pas surprenant que cela se produise dans un procès comme celui-ci, et M. Gravel, malgré ses opinions bien arrêtées sur certains sujets, m’a semblé sincère dans ses propos.  Je considère son témoignage digne de foi.

f.	Roxane Poulin

[148]	Mme Poulin est originaire de l’Ontario.  Son mari est anglophone, et ils ont deux enfants.  Mme Poulin est une ayant droit au sens de l’article 23 de la Charte.

[149]	À la fin de son congé de maternité après la naissance de son premier enfant, M. Poulin l’a inscrit à la Garderie Plein-Soleil.  Elle s’est impliquée au conseil d’administration de la garderie, et au moment du procès, venait de terminer son dernier mandat en tant que présidente.  Son témoignage a porté sur son expérience comme parent d’enfant qui a fréquenté la garderie, ainsi que sur le fonctionnement de la garderie, ses espaces, et sa clientèle.  Il faut rappeler que la Garderie Plein-Soleil est une des Demanderesses dans le présent litige, et  réclame des espaces additionnels.


[150]	Comme parent, Mme Poulin a expliqué que le choix de la Garderie Plein-Soleil s’imposait, parce qu’elle voulait que son enfant non seulement parle français, mais vive au quotidien dans un milieu francophone et soit exposé à la culture francophone.  Pour elle, il y a une différence entre “parler français” et “être francophone”.  Elle a expliqué qu’au niveau identitaire et culturel, la garderie joue un rôle important pour les familles.  Elle permet la création d’un réseau francophone pour les parents.  Elle a parlé des effets bénéfiques de cela pour une famille exogame comme la sienne: un des impacts du contact de la famille avec la garderie a été de contribuer à l’amélioration du français de son mari.

[151]	Mme Poulin a parlé des liens entre la garderie et l’école, qui selon elle, sont excellents.  À son avis la garderie joue un rôle important pour le recrutement d’élèves pour l’école.  La transition est d’autant plus naturelle du fait que la garderie est située dans le même édifice.  La garderie offre aussi un service après-école en français, ce qui est aussi un incitatif pour les parents.  Mme Poulin a expliqué que l’année précédant le procès, tous les enfants qui avaient été à la garderie en prématernelle se sont inscrits à l’ÉASC pour la 1ère année, à part ceux dont les familles ont quitté Yellowknife.

[152]	Le lien entre la garderie et l’école va, selon Mme Poulin, au-delà du partage de l’espace physique.  Des activités communes sont organisées; les élèves de l’ÉASC sont invités à s’impliquer dans le programme après-école, les camps d’été.  Il y a une interaction régulière entre le groupe de pré-maternelle et la classe de maternelle.  Mme Poulin a parlé de “promotion mutuelle” entre les deux organismes.

[153]	Mme Poulin a parlé de l’expérience de ses propres enfants à cet égard.  Elle a expliqué que l’ interaction entre la garderie et l’école a fait que pour ses enfants, les enfants plus vieux de l’ÉASC sont devenus des modèles.  Elle a dit que les “héros” de ses enfants sont les “plus grands” de l’école, donc des francophones.  De son point de vue, ces liens et interactions contribuent grandement à créer un sens de la communauté et d’appartenance à la “famille francophone”.

[154]	L’implication de Mme Poulin au sein du Conseil d’administration, et en tant que présidente, lui ont aussi permis de parler du fonctionnement de la garderie.  La garderie tire ses revenus de diverses sources.  Les parents paient des frais; la garderie reçoit certains fonds du GTN-O et du gouvernement fédéral; et elle reçoit aussi du financement de la CSFTN-O pour le programme de francisation.

[155]	Les dépenses de la garderie sont principalement les salaires et bénéfices marginaux accordés aux employés.  À cet égard, le fait que la garderie ait des locaux gratuits dans l’ÉASC lui donne plus de flexibilité au plan financier, ce qui lui permet d’offrir de meilleures conditions d’emploi.  Ceci facilite le recrutement de personnel de qualité.  Ce recrutement se fait souvent à l’extérieur des TN-O, et les conditions d’emplois doivent être suffisamment attrayantes pour inciter les candidats à venir s’établir à Yellowknife.


[156]	Quant aux espaces, Mme Poulin a expliqué qu’à l’ouverture de l’ÉASC, la garderie occupait une des deux salles au premier étage de l’école.  À cette époque,  l’autre salle était utilisée pour la maternelle.  La garderie avait alors 30 places.

[157]	Depuis 2008, la garderie occupe les deux salles du premier étage, et offre des places supplémentaires.  La garderie offre 8 places en pouponnière, 6 places pour le groupe “18 mois à 2 ans”, 7 places pour le groupe “2 à 3 ans”, 8 places pour le groupe “3 ans”, et 9 places pour le groupe “4 ans”, pour un total de 38 places.

[158]	Une liste d’enfants inscrits à la garderie au 28 août 2009 a été versée en preuve (pièce #43).  D’après cette liste, il y avait à cette date 34 enfants d’inscrits: 8 enfants à la pouponnière, avec une place qui allait se libérer en janvier; 5 enfants dans le groupe des 18 mois à 2 ans; 6 enfants dans le groupe des 2 à 3 ans; 7 enfants dans le groupe des 3 ans; et 8 enfants dans le groupe des 4 ans.

[159]	Quant à la clientèle de la garderie, Mme Poulin a expliqué que la garderie donne la priorité aux parents qui sont des ayants droit au sens de l’article 23 de la Charte.  Par contre, si au moment où une demande est faite, il y a de l’espace à la garderie et qu’il n’y a pas de parent ayant droit sur la liste d’attente, la place est accordée à un non ayant droit.  Mme Poulin a aussi précisé que les listes d’attentes sont en évolution constante, puisque des noms s’y rajoutent à mesure que de nouvelles demandes sont faites, et d’autres noms sont enlevés si une place devient disponible mais que les parents en question ont, entretemps, pris d’autres arrangements pour leur enfant.

[160]	Mme Poulin a affirmé que la garderie ne peut actuellement pas répondre à la demande, et a toujours une liste d’attente.  Elle a affirmé dans son interrogatoire principal que depuis l’agrandissement de 2008, il y a toujours eu en moyenne de 10 à 15 noms sur la liste d’attente, surtout au niveau de la pouponnière.  Mme Poulin considère que l’espace réservé à la pouponnière devrait être plus grand.  Ce type d’espace est sujet à des normes strictes, et la garderie ne peut pas augmenter le nombre de places en pouponnières dans les espaces actuellement disponibles.


[161]	Mme Poulin a souligné l’importance de la pouponnière du point de vue du recrutement, puisqu’elle considère que c’est  la “porte d’entrée”.  La capacité de la garderie de répondre à la demande est d’autant plus importante que du point de vue des parents, ce service n’est pas facultatif: souvent, ils ne peuvent pas se permettre de mettre leur nom sur une liste d’attente en espérant qu’une place se libère.  Par conséquent, si la garderie ne peut pas répondre à la demande au moment où elle est faite, ils se tournent vers d’autres options.

[162]	Mme Poulin croit que la clientèle potentielle de la garderie est telle qu’elle pourrait, si elle avait suffisamment d’espace, combler 25 places en prématernelle et 50 places pour le groupe d’enfants plus jeunes.  En contre-interrogatoire, elle a reconnu que ces chiffres venaient, à sa connaissance, d’une étude faite sur la question, mais qu’elle n’avait pas lue personnellement.

[163]	En contre-interrogatoire, Mme Poulin a été questionnée en détail au sujet de la clientèle de la garderie.  Elle a reconnu que la garderie n’avait de processus d’enquête formelle pour déterminer le statut (ayant droit ou non ayant droit) des parents qui cherchent à y inscrire leurs enfants.  De fait, le personnel se fie à l’honnêteté des parents.  Elle a aussi expliqué que selon sa compréhension des choses, le terme “ayant droit” est sujet à interprétation, et ne correspond pas nécessairement à la façon dont le procureur des Défendeurs le définissait dans ses questions.

[164]	La liste d’enfants inscrits en août 2009 (pièce #43), à laquelle j’ai déjà fait référence, inclut des notes au sujet des parents, mais dans plusieurs cas ne permet pas de déterminer leur statut pour les fins de l’article 23 de la Charte.  Mme Poulin a dit qu’elle connaissait plusieurs de ces familles et a fourni de l’information supplémentaire à cet égard.  Ses réponses ont établi qu’il y a, sur cette liste, au moins 7 enfants dont les parents sont anglophones et ne sont pas des ayants droit.

[165]	Mme Poulin a été contre-interrogée au sujet de la différence entre ces chiffres et sa réponse à une question lors de son interrogatoire au préalable, le 30 juin 2009, concernant le nombre de parents qui avaient des enfants à la garderie dont les parents ne parlent pas français.  Mme Poulin avait répondu qu’il n’y avait qu’une seule famille dans cette catégorie.  Mme Poulin a reconnu la différence entre ce qu’elle avait répondu en juin 2009 et son témoignage au procès.  Elle a expliqué qu’en juin 2009 elle avait répondu au meilleur de sa connaissance, à ce moment- là.  Après avoir  fait des vérifications pour fournir l’information demandée suite à l’engagement pris durant son interrogatoire, elle a pris connaissance des détails qui figurent à la pièce #43.

[166]	Mme Poulin a aussi fait remarquer que la clientèle de la garderie change assez régulièrement, à cause, notamment, de déménagements.


[167]	Au sujet de son témoignage concernant le manque d’espace et les listes d’attentes, Mme Poulin a été confrontée à une demande de subvention préparée par la garderie en 2009 (pièce #44), où il est écrit que la garderie a dû “relever le défi” de combler les places supplémentaires, puisque sa liste d’attente avait diminué suite à l’augmentation de l’espace consacré à la garderie.  Mme Poulin a expliqué que ce commentaire reflétait simplement que l’ouverture de places supplémentaires à la garderie avait eu pour effet de réduire la liste d’attente à ce moment-là.

[168]	Une liste d’attente, non datée, mais qui a été fournie aux Défendeurs en août 2009, a également été versée en preuve (pièce #45).  Il a été suggéré que cette liste d’attente correspondait à l’état de la situation au mois d’août 2009, puisque c’est à cette date qu’elle a été fournie aux Défendeurs.  Mais certaines incohérences entre la liste d’attente et la pièce #43 suggèrent que soit la liste d’attente remonte à une date antérieure, soit l’un ou l’autre des documents est inexact.  Par exemple, la pièce #43 indique qu’il y a une place à combler dans le groupe des 3 ans, et une place à combler dans le groupe des 4 ans.  La liste d’attente indique pourtant qu’il y a des enfants en attente dans ces groupes d’âge, ce qui n’est pas logique, si il y avait des places à combler à cette date.  Une incohérence encore plus évidente est que l’un des noms qui apparaît sur la liste des enfants en pouponnière, H.S., figure également sur la liste d’attente.  Ces deux faits ne peuvent pas être exacts au même moment dans le temps.

[169]	Aucune preuve n’a été présentée quant à l’état de la liste d’attente au moment du procès.

[170]	J’estime que le témoignage de Mme Poulin concernant son expérience en tant que parent, à la garderie, est fiable et digne de foi.  Je considère également que son témoignage concernant le fonctionnement de la garderie est crédible et fiable.  Pour ce qui est des listes d’attentes, je trouve que la preuve est un peu incomplète.  Quant au bassin potentiel de clientèle qui utiliserait les services de la garderie et de programme préscolaire, je ne doute pas que Mme Poulin croit sincèrement en ce qu’elle a dit, mais je n’accorde pas une grande valeur probante à son témoignage sur cette question puisque son opinion semble surtout fondée sur une étude qu’elle a avoué ne pas avoir lue, et qui n’est pas en preuve.


g.	Gérard Lavigne

[171]	M. Lavigne est originaire de l’Alberta, et y a fait une carrière en enseignement dans des écoles de niveau élémentaire et secondaire.  Il a enseigné dans des classes anglophones, dans des programmes d’immersion en français, et dans des programmes donnés en français langue première.

[172]	M. Lavigne est devenu le directeur général de la CSFTN-O au mois d’août 2002, et a occupé ces fonctions jusqu’en 2007.  Il a donc été très impliqué dans les discussions entre la CSFTN-O et les représentants du Ministère de l’Éducation au sujet de l’ÉASC, et de l’évolution du dossier avant et après que le présent recours judiciaire a été intenté.

[173]	Au moment où M. Lavigne est entré en fonctions, la CFTN-O venait de traverser des moments difficiles.  Elle avait été créée un an auparavant, et presque tout de suite après être entré en poste, son premier directeur général est décédé subitement dans un accident.  La CSFTN-O avait alors retenu les services d’un ancien fonctionnaire du Ministère de l’Éducation, Chuck Tolley, pour assurer l’intérim. M. Tolley n’est pas francophone, mais avait été choisi à cause de l’urgence de la situation et de sa vaste expérience: il avait récemment pris sa retraite après avoir travaillé pendant plusieurs années au Ministère de l’Éducation, et en connaissait bien les rouages administratifs.

[174]	À son arrivée, M. Lavigne a passé quelques semaines avec M. Tolley pour se familiariser avec le système d’éducation des TN-O et la CSFTN-O.  Il a visité les deux écoles gérées par la CSFTN-O ainsi que les autres écoles à Yellowknife.  Les infrastructures des écoles anglophones étaient comparables à ce qu’il avait vu dans les écoles de l’Alberta au cours de sa carrière.  Quant aux écoles gérées par la CSFTN-O, il a estimé que les installations de l’École Boréale de Hay River étaient inadéquates, et celles de l’ÉASC, incomplètes.


[175]	M. Lavigne a  décidé, avec son conseil de direction, que la CSFTN-O avait besoin de développer un plan stratégique à long terme pour les deux écoles, et que pour ce faire, les besoins sur le terrain devaient être clairement identifiés.  Un processus consultatif auprès de la communauté francophone a été enclenché.  Un chercheur a été embauché à cette fin. Ce chercheur a mené de vastes consultations et éventuellement produit un rapport intitulé “Vision 20-20" (pièce #11).  Le rapport a été adopté comme plan stratégique par la CSFTN-O.  Il a été envoyé à plusieurs organismes, incluant le Ministère de l’Éducation, en juillet 2003 (pièce #19).  Il a servi de référence de base à la CSFTN-O dans ses négociations avec le gouvernement dans les années qui ont suivi.

[176]	À l’automne 2003, la CSFTN-O a décidé de formuler ses demandes au gouvernement de façon plus ciblée.  Un document intitulé “L’égalité des chances; l’égalité des résultats” (pièce #24) a alors été préparé et envoyé au gouvernement.   Son objectif était de présenter les demandes de la CSFTN-O de façon claire et convaincante.  Certaines informations contenues dans “Vision 20-20" ont été utilisées dans la préparation de ce document, ainsi que d’autre informations, incluant des références à la jurisprudence portant sur l’article 23 de la Charte.  Ce document a été envoyé au Ministre de l’Éducation, ainsi qu’au Ministère du Patrimoine Canadien.  M. Lavigne a expliqué que la CSFTN-O savait que le gouvernement fédéral était une des parties qui pouvait être impliquées dans le financement d’infrastructures et voulait que ce gouvernement demeure au courant des démarches de la CSFTN-O auprès des autorités territoriales.

[177]	Suite à son processus consultatif, la CSFTN-O a établi que ses besoins les plus urgents en matière d’infrastructures scolaires étaient la construction d’une école permanente à Hay River, et l’agrandissement de l’ÉASC.  Dans ses communications avec le Ministère de l’Éducation, la CSFTN-O a fait valoir cela à maintes reprises dans les années qui ont suivi, comme en font foi plusieurs lettres déposées en preuve.  M. Lavigne a envoyé plusieurs lettres aux fonctionnaires du Ministère en tant que directeur de la commission scolaire, et les personnes qui ont occupé la présidence de la CSFTN-O ont envoyé des lettres au même effet au Ministre.

[178]	M. Lavigne a expliqué qu’il y a eu des rencontres entre les représentants de la CSFTN-O et des représentants du gouvernement pour discuter des demandes de la CSFTN-O.  Selon M. Lavigne, les représentants du Ministère s’exprimaient, dans ces rencontres, en termes assez généraux par rapport aux demandes de la CSFTN-O.  Il y a eu plusieurs bons échanges, mais pas d’engagement ferme.  Lors de ces rencontres, les représentants gouvernementaux n’ont jamais contesté le contenu des rapports présentés par la CSFTN-O.  Selon lui, les gens du Ministère étaient conscients des problèmes et avaient déjà entrepris des démarches auprès du Ministère du Patrimoine Canadien pour essayer d’obtenir de l’aide financière de ce Ministère pour répondre aux demandes de la CSFTN-O.

[179]	M. Lavigne a aussi expliqué que parallèlement aux rencontres avec les fonctionnaires du Ministère, la CSFTN-O déployait aussi des efforts au niveau politique pour faire avancer ses dossiers.  La CSFTN-O savait que tout projet de construction en infrastructure devait être approuvé dans le cadre du processus gouvernemental qui définit les projets en capitalisation pour l’année.  Par conséquent, la CSFTN-O voulait sensibiliser les politiciens au sujet des besoins en éducation de la communauté francophone, et des obligations du gouvernement en vertu de l’article 23 de la Charte.  Une rencontre a donc été organisée en juin 2004 avec les Membres de l’Assemblée Législative représentant les circonscriptions électorales de la ville de Yellowknife pour les mettre au courant de la position de la CSFTN-O.

[180]	La CSFTN-O était évidemment au courant de la fondation de l’APADY, des démarches qu’elle avait entreprises, et du fait qu’elle étudiait la possibilité d’intenter un recours judiciaire.  Dès 2003, M. Lavigne fait état de la possibilité de poursuite judiciaire, et insiste sur l’importance d’agir rapidement, dans sa correspondance au Ministère (pièce #22).

[181]	L’APADY a décidé d’intenter son recours judiciaire et la CSFTN-O a décidé de ne pas s’y joindre en tant que partie demanderesse.  M. Lavigne a expliqué que la CSFTN-O visait le même objectif que les Demandeurs, soit l’agrandissement de l’ÉASC, mais voulait continuer de poursuivre ses démarches, au niveau administratif, avec le Ministère.

[182]	M. Lavigne a expliqué son rôle dans les évènements qui sont survenus après que le tribunal ait accordé l’injonction interlocutoire de juillet 2005.  Il a participé aux discussions qui ont éventuellement mené à l’entente qui a mené à la demande de modification de l’Ordonnance en janvier 2006.

[183]	Au sujet des protocoles d’entente au sujet de l’utilisation des espaces à l’École William MacDonald, il croit que les intentions étaient bonnes, mais selon lui le partage n’a pas particulièrement bien fonctionné.  Il y a eu certains problèmes avec l’équipement pour les cours techniques; les horaires étaient difficiles à organiser; les temps alloués pouvaient parfois être retirés à la dernière minute; et, plus fondamentalement, les élèves et les professeurs utilisant les espaces ne se sentaient pas “chez eux”.  M. Lavigne a dit qu’il a toujours considéré le partage d’espace était une solution intérimaire, et non une solution à long terme.

[184]	Concernant l’agrandissement de la Phase 1, prévu par l’Ordonnance modifiée, la planification s’est faite rapidement.  Il y a eu, par la suite, des retards dans la construction.  Mais il y avait à cette époque beaucoup d’activités de construction à Yellowknife et il a fallu un certain temps pour retenir les services d’entrepreneurs et mobiliser l’équipement nécessaire aux travaux. Il y eu certains problèmes dans le processus de dynamitage du site et la livraison de certains matériaux.

[185]	Quant à la deuxième partie prévue par l’Ordonnance modifiée (la préparation de plans schématiques pour la Phase 2), ce travail a été fait, et M. Lavigne a vu des plans et des maquettes qui montraient les travaux prévus.  Sa compréhension des choses, au moment de son départ de Yellowknife était que le projet se continuerait en ce sens.  Il n’a jamais pensé que l’intention du GTN-O était de procéder uniquement aux travaux de la Phase 1.

[186]	Plusieurs pièces versées en preuve pendant le témoignage de M. Lavigne sont de la correspondance envoyée par la CSFTN-O à diverses personnes au Ministère de l’Éducation, à diverses étapes du processus entre 2002 et 2006, faisant état de ses demandes concernant l’ÉASC, et des réponses reçues.  Ces documents établissent la nature des communications écrites entre la CSFTN-O et le Ministère pendant la période où M. Lavigne a occupé ses fonctions, et corroborent l’essentiel de ce dont il a parlé pendant son témoignage concernant ces questions.

[187]	   Le président de la CSFTN-O, André Légaré, a également fait parvenir plusieurs lettres au Ministre concernant les demandes de la CSFTN-O au sujet des demandes concernant les écoles de Yellowknife et de Hay River.   Plusieurs lettres échangées entre lui et le Ministre ont été versées en preuve.  Le témoignage de M. Légaré est résumé en plus de détails dans Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c.  Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest, 2012 CSTN-O 44  parce  que plusieurs aspects de son témoignage portaient sur le litige concernant l’École Boréale.  Mais j’ai tenu compte du témoignage de M. Légaré dans le cadre de ce recours-ci également.

[188]	En contre-interrogatoire, M. Lavigne a été questionné, entre autres, au sujet du fonctionnement de classes à niveaux multiples.  Il a reconnu que cette approche présente certains avantages et est parfois nécessaire dans la gestion de petites écoles, Il a exprimé son accord avec plusieurs des avantages décrits dans le document préparé par l’APADY à l’intention des parents, bien qu’il n’ait pas lui-même participé à la création de ce document.


[189]	Concernant la démarche qui a mené au document “Vision 20-20", le procureur des Défendeurs a suggéré à M. Lavigne que l’objectif de l’exercice était de produire un outil de revendication.  M. Lavigne n’était pas d’accord avec cette façon de présenter les choses.  Il a expliqué que le but de la CSFTN-O était plutôt d’avoir une bonne compréhension de la situation sur le terrain, de façon à identifier et prioriser les besoins, de façon à développer un plan stratégique pour le court, le moyen et le long terme.

[190]	Il a aussi été questionné au sujet des mesures qui ont été adoptées, pendant qu’il était en fonction, pour améliorer la rétention des élèves au niveau secondaire à l’ÉASC.  Une des stratégies a été de mettre un accent accru sur l’informatique, et de fournir à chaque étudiant de niveau secondaire l’accès à un ordinateur portable.  L’autre stratégie a été de créer un système de bourse pour encourager les élèves à compléter leur cours secondaire à l’ÉASC.  Ce système de bourse, destinée à aider les élèves dans leurs études post secondaires a selon M. Lavigne été très apprécié des élèves et des parents.

[191]	Au sujet de la propriété des infrastructures, M. Lavigne a reconnu que sauf pour les deux autres commission scolaires de Yellowknife, la CSFTN-O est dans la même situation que toutes les autres commissions scolaires aux TN-O, qui ne sont pas elles non plus propriétaires de leurs infrastructures.  Il a aussi reconnu que même les deux autres commissions scolaires de Yellowknife ne peuvent pas initier d’elles-mêmes des projets en infrastructure; pour ce faire, elles doivent passer par le gouvernement parce que ces projets doivent être inscrits au Plan capital du gouvernement.

[192]	Au sujet des travaux de la Phase 1, M. Lavigne a reconnu  que la CSFTN-O a été consultée dans le développement des plans et qu’il a lui-même participé à plusieurs réunions avec les architectes.  Il a confirmé que les retards dans le projet ont été dus à des facteurs hors du contrôle du gouvernement, et non à des erreurs ou de la mauvaise foi de la part des représentants du gouvernement.

[193]	Concernant la Phase 2, il a reconnu qu’aucun échéancier fixe n’avait été établi pour sa mise en oeuvre, ni d’entente écrite garantissant que les travaux seraient faits.


[194]	M. Lavigne a témoigné de façon claire, directe, et précise.  Plusieurs aspects de son témoignage sont corroborés par la preuve documentaire.  Ni sa crédibilité ni la fiabilité de son témoignage n’ont été ébranlées pendant son contre-interrogatoire.  J’estime que son témoignage est digne de foi.

h.	Yvonne Careen

[195]	Mme Careen est originaire de la Saskatchewan.  Son mari est anglophone.  Ils ont deux enfants, P. et S., qui au moment du procès, fréquentaient tous deux l’ÉASC. Mme Careen est une ayant droit au sens de l’article 23 de la Charte. Elle habite Yellowknife depuis l’année 1989.

[196]	Mme Careen a une expérience considérable en enseignement.  Elle a travaillé, comme enseignante et dans des postes de direction, à plusieurs écoles anglophones de Yellowknife.  Elle a aussi occupé un poste à la Commission scolaire catholique de Yellowknife pendant 3 ans, et dans le cadre de ses fonctions, visitait régulièrement les écoles de cette commission scolaire.  Depuis septembre 2009, elle est la directrice de l’ÉASC.

[197]	Mme Careen s’est impliquée au conseil d’administration de la garderie quand son fils P. a commencé à la fréquenter.  Mme Careen a choisi cette garderie pour ses enfants parce qu’elle voulait qu’ils soient dans un milieu francophone.  Mme Careen a expliqué que les places à la garderie se sont remplies lorsque la garderie est déménagée dans l’ÉASC.  Au moment où ses fils fréquentaient la garderie, la plupart des enfants qui allaient à la garderie étaient, selon Mme Careen, des enfants d’ayants droit.  La garderie, selon elle, permettait aux parents d’avoir un cercle de soutien francophone, et aux enfants de développer un cercle d’amis francophone.

[198]	Selon Mme Careen, la garderie, qui à cette époque avait de 28 à 30 places, ne répondait pas à tous les besoins, et il y avait des listes d’attente.

[199]	Mme Careen a expliqué que la garderie était aussi une voie importante de recrutement pour l’école.  Pour les enfants, la transition entre l’école et la garderie se faisait naturellement.  Du temps de ses enfants, la majorité des enfants qui fréquentaient la garderie s’inscrivaient, le moment venu, à l’ÉASC.  Selon elle, ça n’était pas le cas quand la garderie était située dans un autre endroit. (P. a fréquenté la garderie avant qu’elle n’emménage à l’ÉASC).


[200]	Mme Careen a exprimé son accord avec la décision d’augmenter l’espace consacré à la garderie après l’agrandissement de la Phase 1 en 2008.  L’APADY était également d’accord, parce que la garderie constitue un important bassin de recrutement pour l’école.

[201]	Mme Careen a été présidente de l’APADY, à partir de sa fondation en 2003, jusqu’en 2009.  Elle a participé aux consultations qui ont mené au rapport Vision 20-20.  L’APADY est généralement en accord avec les conclusions de ce rapport, et le contenu du document “L’égalité des chances, l’égalité des résultats”.

[202]	Mme Careen a aussi fait partie d’un comité qui a visité divers centres scolaires communautaires en Alberta et en Saskatchewan, en avril 2004.  Le comité a préparé un rapport faisant état de ses constatations (pièce #63).  Mme Careen, au nom de l’APADY, est une des cosignataires d’une lettre envoyée conjointement au Ministre de l’Éducation et au Ministre de Patrimoine Canadien, demandant leur engagement dans la création d’un centre scolaire communautaire (pièce #67).

[203]	Mme Careen a expliqué les circonstances qui ont mené à la fondation de l’APADY.  Les parents qui ont fondé l’APADY voulaient se doter d’une association de parents ayant un mandat revendicateur auprès du gouvernement.  Le témoignage de Mme Careen à ce sujet est confirmé par des documents versés en preuve, incluant la lettre ouverte qu’elle a envoyée aux parents ayants droit après la formation de l’APADY, diverses communications de l’APADY à ses membres expliquant l’évolution de la situation, et des échanges de correspondance avec le Ministère de l’Éducation et la CSFTN-O.

[204]	Mme Careen a expliqué que suite à l’injonction interlocutoire en juillet 2005 et aux discussions qui ont eu lieu au cours des mois suivants, les Demandeurs ont accepté de suspendre le présent recours parce qu’ils comprenaient que le GTN-O allait procéder non seulement à l’agrandissement de la Phase 1, mais aussi aller de l’avant avec la Phase 2 une fois les plans schématiques complétés.  Elle a dit que les Demandeurs n’auraient jamais suspendu leur recours s’ils avaient cru que les Défendeurs n’allaient pas mettre en oeuvre la Phase 2.

[205]	Mme Careen a expliqué en détail la façon dont les espaces sont utilisés à l’ÉASC.  Elle a reconnu que l’agrandissement de 2008 a amélioré la situation à certains égards, mais affirme qu’il continue d’y avoir des lacunes importantes.  Elle considère qu’il continue d’y avoir un manque d’espace à l’ÉASC.  Elle a affirmé que tous les espaces sont utilisés et que cela laisse très peu de flexibilité, notamment pour offrir un choix de cours plus variés.


[206]	Elle a parlé de l’utilisation par l’ÉASC de certains espaces à l’École William MacDonald; ces espaces incluent le gymnase, pour les activités parascolaires, et 3 salles de classe.  Mme Careen a reconnu que l’ÉASC pourrait avoir accès à d’autres salles à cette école mais que ce genre d’arrangement, pour elle, n’est pas adéquat à long terme, parce que l’utilisation d’espaces dans une école anglophone met en péril l’homogénéité du programme.  Elle a aussi expliqué que la négociation des horaires est difficile. L’ÉASC risque toujours de se voir imposer des changements, et l’ajustement des horaires de deux écoles qui n’utilisent pas nécessairement la même grille horaire pose des défis.

[207]	Au sujet de l’utilisation du gymnase, Mme Careen a expliqué les démarches qu’elle a faites, à la fin de l’année scolaire 2009-2010, pour mettre en place un horaire stable d’utilisation pour l’automne suivant.  Elle savait qu’il y aurait plus d’espace l’année suivante parce que les élèves de l’école qui avait été endommagée par le feu n’allaient plus être dans l’École William MacDonald en 2010-2011.  Il allait donc y avoir une disponibilité accrue des espaces de l’École William MacDonald.

[208]	Mme Careen a eu de la difficulté à obtenir un engagement ferme de la direction de l’École William MacDonald au sujet de l’utilisation des espaces.  Elle savait aussi que YK#1 était à faire une revue globale de l’utilisation de ses infrastructures, ce qui créait de l’incertitude.  Il avait été question de garantir à l’ÉASC l’accès au gymnase de l’École William MacDonald pour les cours d’éducation physique, mais l’engagement n’était que pour une période d’un an.  Mme Careen a expliqué sa réticence à accepter cet arrangement. Elle craignait qu’il soit difficile, si elle renonçait au temps de gymnase au Multiplex, d’être en mesure de renégocier les mêmes plages horaires si le gymnase de l’École William MacDonald devenait non disponible dans le futur.

[209]	En ce qui a trait aux discussions portant sur l’utilisation du gymnase pour les activités parascolaires, Mme Careen en a discuté avec Mme Simmons.  Quand Mme Careen a rencontré Mme Simmons pour discuter du partage du temps de gymnase, Mme Simmons était surprise d’apprendre qu’elle devait négocier avec Mme Careen sur ce sujet.  Mme Simmons avait déjà préparé son horaire d’utilisation du gymnase en fonction des besoins de son école.  Mme Careen s’est fâchée et a envoyé un courriel à la CSFTN-O et à Mme Simmons pour exprimer son insatisfaction.  Le courriel en question n’a pas été versé comme pièce, mais Mme Careen elle-même l’a qualifié d’impoli (elle utilisé le mot anglais “rude”, pour le décrire).


[210]	Suite à ce courriel, les deux commissions scolaires sont intervenues.  Deux semaines avant le début du procès, des temps de gymnase ont été offerts à l’ÉASC du mardi au vendredi après l’école, et le samedi.  Mme Careen trouve que cette entente est insuffisamment détaillée et elle a refusée de la signer.  Elle reconnaît cependant  que, comme l’a dit M. Deschênes, les plages horaires en question sont bonnes   pour les activités parascolaires.

[211]	Mme Careen a expliqué que le fait que l’ÉASC n’a pas son propre gymnase pose tout de même un défi considérable dans l’organisation d’activités sportives parascolaires.  Il rend virtuellement impossible les activités intramurales, à moins d’utiliser la rotonde, qui n’est pas un espace adéquat pour faire des activités d’éducation physique.  Elle a parlé des mesures qu’elle a prises pour offrir un éventail le plus varié possible d’activités d’éducation physique aux élèves, en utilisant des espaces communautaires.  Des activités de gymnastique, de hockey, de  squash, et de judo ont ainsi été organisées.

[212]	Concernant les classes jumelées, Mme Careen a expliqué avoir, en consultation avec ses professeurs, établi ce qu’elle considère être les meilleurs regroupements d’élèves, vu le nombre de salles de classe qui lui sont disponibles.

[213]	Elle a reconnu que les classes jumelées pouvaient présenter des avantages, tel qu’indiqué dans le document préparé par l’APADY à l’intention des parents.  Mais elle a expliqué qu’elle ne croit pas qu’il devrait y avoir des classes jumelées aux niveaux de la 10e, 11e et 12e année.  Elle a cette préoccupation pour les élèves de l’école en général, et pour ses propres enfants.  Elle considère injuste que les élèves des écoles de la majorité n’ont pas à être dans des classes jumelées pour ces niveaux, alors que ceux qui font leur études secondaires en français langue première doivent l’être.  Mme Careen a confirmé que les Demandeurs veulent avoir 6 salles de classe supplémentaires à l’ÉASC pour avoir un total de 13 salles, soit une classe par niveau de la maternelle à la 12e année.

[214]	Pour les cours d’ÉPT, Mme Careen dit qu’elle travaille à l’intérieur des paramètres limités de la situation actuelle, et du fait que l’ÉASC a très peu d’équipement et d’espace pour offrir une variété d’options à ses élèves.


[215]	Certaines mesures sont prises, dans la mesure du possible, pour pallier à ces manques.  Par exemple, l’école a loué le salon d’esthétique de l’École St-Patrick pour permettre à des élèves de suivre un cours.  Mme Careen a souligné que plusieurs de ces mesures, organisées au cas par cas avec des espaces négociés à chaque fois, sont des choses qui, dans les écoles de la majorité anglophone, font partie de la programmation régulière.

[216]	Elle a parlé de l’utilisation de la rotonde, qui selon elle, est déjà utilisée au maximum, puisqu’en plus de la salle de classe qui y est aménagée, elle sert pour le service après école, pour les rencontres de parents, certains spectacles, et sert aussi à certains égards de salle de rangement.

[217]	Au sujet de la clientèle potentielle de l’ÉASC, Mme Careen a expliqué que parce qu’elle vit à Yellowknife depuis au dessus de 20 ans, elle connaît beaucoup de gens de la communauté francophone.  Elle connaît plusieurs familles d’ayant droit dont les enfants ne fréquentent pas l’ÉASC, et estime qu’il y en a une soixantaine.  Elle a expliqué que les écoles avec qui l’ÉASC est en concurrence au niveau secondaire sont l’École Sir John Franklin et l’École St-Patrick.  Au niveau du primaire la concurrence vient des Écoles William MacDonald et l’École St-Joseph, qui ont toutes deux un programme d’immersion.

[218]	Une partie du témoignage de Mme Careen s’est fait dans le cadre du même voir dire que celui applicable à d’autres témoignages, parce que les Défendeurs s’objectent à sa recevabilité.  Ces aspects du témoignage concernent des propos tenus par son fils au sujet de son désir de quitter l’école; des propos tenus par d’autres élèves sur le même sujet; la pièce “D”, un document qui dresse une liste des élèves qui ont quitté l’ÉASC et la raison de leur départ; la pièce “E” qui inclut les réponses à un sondage que Mme Careen a mené auprès des élèves  de l’école.

[219]	Le contre-interrogatoire de Mme Careen a été long et soutenu.  Il a donné lieu à certains échanges plutôt tendus entre elle et le procureur des Défendeurs.  Mme Careen, de toute évidence, a une forte personnalité, est très engagée et est très convaincue du bien-fondé des revendications des Demandeurs dans ce litige.  Visiblement, elle est aussi habituée à plaider cette cause.  J’ai dû intervenir en quelques occasions pour lui rappeler l’importance de répondre aux questions et non d’argumenter pendant son contre-interrogatoire.


[220]	Elle a reconnu que les infrastructures ne sont pas le seul facteur qui influence le choix d’une école.  Mais elle a affirmé à plusieurs reprises que c’est un facteur important, selon elle.  Quant aux raisons des départs, elle a reconnu qu’elle n’a personnellement parlé qu’à deux élèves des raisons de leur départ de l’école.  Elle a aussi reconnu qu’il y a beaucoup de mobilité de population à Yellowknife.

[221]	Elle a confirmé que la position de l’APADY est que la définition d’ayant droit au sens de l’article 23 inclut les immigrants francophones qui ne sont pas citoyens canadiens, les anglophones qui désirent s’assimiler à la langue et la culture francophone, et les personnes qui ont des ancêtres francophones, même si eux mêmes ne parlent ni ne comprennent le français.

[222]	Mme Careen a été, à confrontée à des réponses qu’elle avait données lors de son interrogatoire au préalable, qui étaient parfois quelque peu différentes de celles données au procès.  Par exemple, lors de l’interrogatoire au préalable, elle avait reconnu que les parents étaient “très satisfaits” de la Phase 1, même s’il y avait “quelques affaires à régler”.  Sa réponse à la même question, au procès, a été plus équivoque; elle a dit que les parents étaient satisfaits parce qu’ils savaient que la Phase 2 allait aussi venir.

[223]	Les différences ne sont pas en elles-mêmes particulièrement significatives, mais elles tendent à démontrer une tendance de Mme Careen, que j’ai observée à différents moments de son témoignage, d’apporter beaucoup de nuances dans les réponse qui pouvaient nuire à la cause des Demandeurs, tout en étant très catégorique et tranchée dans les réponses qui tendaient à les aider.

[224]	Mme Careen a aussi eu tendance, par moments, à adopter un ton argumentaire dans certaines de ses réponses. Je reconnais qu’elle a été contre-interrogée longuement par le procureur des Défendeurs, et que c’est une expérience qui peut être difficile pour un témoin.  Par contre, les questions qui lui ont été posées étaient généralement appropriées pour un contre-interrogatoire.


[225]	Certains aspects de son témoignage m’ont semblé un peu contradictoires.  Par exemple, quand elle a été contre-interrogée au sujet du document préparé par l’APADY à l’intention des parents et des commentaires qui y figurent concernant  les avantages des classes jumelées, le procureur des Défendeurs lui a fait remarquer que le document ne faisait aucune distinction entre le niveau primaire et le niveau secondaire.  Mme Careen a d’abord dit que le document se voulait un outil de promotion général, qui n’était pas particulièrement axé sur le niveau secondaire.  Mais plus tard dans son contre-interrogatoire elle a dit qu’un des objectifs du document était de faire la promotion de l’école parce qu’à cette époque, l’ÉASC perdait ses étudiants au niveau secondaire.  À mon sens, il y a une certaine contradiction entre ces deux aspects de son témoignage.

[226]	Les réponses de Mme Careen quand elle a été contre-interrogée au sujet de son objectif en donnant le sondage aux étudiants (pièce “E”) ont également quelque peu évolué entre son interrogatoire principal et son contre-interrogatoire.  Les réponses aux questions à ce sujet sont pertinentes à la question de recevabilité du document, mais le sont aussi à l’évaluation de la crédibilité de Mme Careen et la fiabilité de son témoignage.

[227]	Mme Careen a dit, dans son interrogatoire principal, qu’elle avait préparé le questionnaire quand elle est devenue directrice de l’école, parce qu’elle voulait se faire une idée de l’impact de l’agrandissement de l’école et de l’impact que pourrait avoir un agrandissement futur.  Elle a reconnu qu’elle avait distribué ce questionnaire aussi au nom de l’APADY, dans le but de faire avancer le dossier de l’agrandissement de l’école.

[228]	Le préambule du questionnaire fait état du recours juridique et demande l’aide des étudiants pour faire avancer le dossier.  Le procureur des Défendeurs a suggéré à Mme Careen que ce langage avait pu influencer les élèves dans leurs réponses.  Elle a convenu que c’était peut-être le cas, mais seulement pour un ou deux étudiants.  Elle a maintenu que le but du préambule n’était pas d’influencer les réponses.  Considérant la teneur du paragraphe en question, j’ai de la difficulté à accepter cette réponse.  Le préambule demande spécifiquement l’aide des étudiants pour faire avancer le dossier.

[229]	Mme Careen a été aussi contre-interrogée au sujet de l’objectif qu’elle avait quand elle a préparé la pièce “D”. Dans son interrogatoire principal, elle avait expliqué que ce document avait été préparé pour se faire une idée des tendances quant aux départs de l’ÉASC.  En contre-interrogatoire elle a reconnu que le document avait aussi été préparé à l’intention de M. Kubica, un des témoins qui allait être appelé comme témoin expert par les Demandeurs.


[230]	Quand il a été suggéré à Mme Careen que le document avait été préparé en anglais précisément parce qu’il avait été préparé à l’intention de M. Kubica, elle a expliqué que la première version avait été faite en français, mais qu’elle avait ensuite traduit le document pour M. Kubica.  Le procureur des Défendeurs lui a demandé pourquoi, alors, le document n’avait pas été divulgué en français, et elle a répondu qu’elle n’avait pas eu le temps de le traduire.  Confrontée à l’apparente contradiction entre ceci et ce qu’elle avait dit auparavant, elle a précisé qu’elle avait commencé à rédiger le document en français, l’avait traduit en anglais et complété en anglais pour M. Kubica, et ne l’avait jamais retraduit au complet en français.

[231]	Mme Careen a expliqué que le document “D” était le fruit de conversations et consultations avec plusieurs membres du personnel. Elle a reconnu qu’il n’était pas le fruit de “exit interviews”.  Elle a aussi reconnu avoir vu une ébauche du  rapport de M. Kubica, dont la version finale a été versée en preuve au procès (le rapport est la pièce #7, ses annexes la pièce 17.1).  Dans la version finale du rapport, M. Kubica écrit:

Yvonne Careen, Directrice, Principal of l’École Allain St-Cyr, provided the available course information plans for École St-Patrick High School and student exit interviews.

[232]	Mme Careen a dit ne pas se souvenir si ces mots apparaissaient sur l’ébauche qu’elle a vue.  Elle a dit ne pas avoir vu la version finale avant qu’elle ne soit envoyée aux Défendeurs, parce qu’elle était en vacances.

[233]	Mme Careen est une des Demanderesses dans ce recours judiciaire.  Elle est engagée activement et depuis très longtemps dans les revendications concernant l’ÉASC.  Elle n’est clairement pas un témoin désintéressé.  Elle a de toute évidence, comme d’autres parents qui ont témoigné lors du procès, vécu des frustrations et des déceptions importantes.  Ce n’est pas en soi une raison de rejeter son témoignage. Je crois, en fait, que Mme Careen a témoigné sincèrement au meilleur de ses connaissances et de sa perception des choses.

[234]	 Par contre, je pense que ses perceptions quant aux engagements pris par les Défendeurs, et quant aux besoins de l’école, doivent être abordées  avec prudence.  Sa façon d’envisager les problèmes d’espace, et les réaménagements possibles, est évidemment influencée par ses convictions au sujet de ce à quoi l’ÉASC a droit.  C’est vrai pour plusieurs des témoins des Demandeurs, qui sont engagés depuis longtemps dans les revendications concernant l’ÉASC, mais j’estime que c’est particulièrement vrai pour Mme Careen.


[235]	Cependant, j’accepte, que Mme Careen, en tant que directrice de l’ÉASC, a pris, en consultation avec son personnel, les décisions concernant l’utilisation de l’espace avec l’objectif de servir le mieux possible ses élèves.  Je ne crois pas que ses décisions ont été prises de façon “stratégique” pour faire avancer le présent recours judiciaire.  Le fait que Mme Careen soit fermement engagée dans ce dossier ne fait aucun doute.  Mais ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas aussi dévouée à ses élèves et capable de faire son travail de directrice avec professionnalisme.  Je ne crois tout simplement pas qu’elle prendrait délibérément des décisions dommageables pour les élèves de l’école dans le but de favoriser la position des Demandeurs dans ce recours.  Surtout que ses propres enfants vont à l’ÉASC.

i)	Lee Kubica

[236]	Les Demandeurs m’ont demandé de permettre à M. Kubica de témoigner en tant qu’expert au sujet de deux domaines: la comparaison des programmes et infrastructures dans différentes écoles de Yellowknife, et les facteurs qui affectent la rétention d’élèves au niveau secondaire.  À la conclusion du voir dire, j’ai permis à M. Kubica de donner son opinion seulement sur la question des comparaisons des infrastructures et des programmes.  Je n’ai tenu compte que des parties de son rapport qui traitent de ce sujet.

[237]	M. Kubica a, dans son témoignage, repris les grands thèmes traités dans son rapport. Il a parlé des différences entre les espaces de l’ÉASC et ceux de l’École Sir John Franklin et l’École St-Patrick.  Je ne reviendrai pas sur les détails des différences, puisque personne ne conteste le fait que ces deux écoles ont beaucoup plus d’espaces spécialisés que l’ÉASC et sont en mesure d’offrir une beaucoup plus grande variété de cours.

[238]	M. Kubica a expliqué que de façon générale l’application des standards gouvernementaux pour l’attribution d’espace dans les écoles est basé sur le nombre cible d’inscriptions.  Plus le nombre attendu d’inscriptions est élevé, plus il y a de l’espace alloué; c’est un calcul purement mathématique, fondé sur les standards fixes.  Quand le nombre d’élèves attendus est élevé et que plus d’espace est attribué, il en découle une beaucoup plus grande flexibilité pour la création d’espaces spécialisés.  Dans les plus petites écoles, la majeure partie de l’espace doit être utilisé pour les salles de classes ordinaires.  C’est, selon M. Kubica, ce qui fait que l’ÉASC a très peu d’espace à sa disposition pour les classes spécialisées, contrairement aux deux autres écoles, qui ont une pleine gamme d’espaces spécialisés pour la musique, les arts industriels, le théâtre, les sciences.

[239]	M. Kubica a aussi parlé de l’importance d’avoir certains espaces spécifiquement adaptés au niveau secondaire.  Il a donné l’exemple du laboratoire pour les sciences.  Typiquement, les laboratoires utilisés pour les cours de sciences au niveau primaire sont des salles à usages multiples qui peuvent servir à l’enseignement de d’autres matières, tandis qu’un laboratoire de sciences pour les cours au niveau secondaire est un espace plus spécialisé.  M. Kubica a dit que le partage d’un seul laboratoire pour les cours de sciences au primaire et au secondaire cause beaucoup plus de conflits d’horaires dans l’utilisation des espaces.

[240]	Il a expliqué que la salle utilisée pour l’enseignement des sciences à l’ÉASC lui permet de remplir les exigences du curriculum, mais a des lacunes.  Les professeurs peuvent y enseigner la chimie et la physique, mais ne peuvent pas, par exemple, y enseigner la biologie.  Les élèves peuvent faire le cours à distance avec un centre basé en Alberta, mais n’ont ni laboratoire, ni professeur attitré pour ce faire.

[241]	Pour les cours optionnels, incluant les ÉPT, les élèves de l’ÉASC n’ont pas de véritable choix.  Alors que les autres écoles offrent la pleine gamme d’options pour ce genre de cours, l’ÉASC offre un programme en informatique, qui devient le “cours à option obligatoire”.

[242]	M. Kubica a également souligné l’absence de gymnase, qui est une autre différence entre l’ÉASC et les deux autres écoles.  Ceci a évidemment un impact sur les cours d’éducation physique et les activités parascolaires et intramurales, mais il a souligné qu’un gymnase est un espace qui est souvent utilisé pour d’autres fins dans une école (spectacles, assemblées d’élèves, réunions, etc).

[243]	Pour ce qui est des classes à niveaux multiples, M. Kubica a expliqué que ce phénomène existe dans certaines autres écoles mais que la différence entre l’ÉASC et les deux autres écoles secondaires c’est que tous les élèves sont dans des classes à niveaux multiples tout le temps.  Il a dit que dans les autres écoles, les niveaux sont parfois combinés, mais généralement dans des programmes non académiques; pour les cours de mathématiques et de sciences, par exemple, les deux autres écoles n’ont pas de groupes à niveaux multiples.


[244]	M. Kubica a noté que le nombre d’élèves à l’ÉASC a augmenté graduellement au cours des dernières années, mais cette augmentation est due à une augmentation du nombre d’élèves au niveau primaire (que l’ÉASC définit, pour les fins de son programme, comme se terminant à la 6e année).  Le nombre d’élèves au niveau secondaire, lui, est resté stable.

[245]	En contre-interrogatoire, M. Kubica a reconnu ne pas avoir fait de calcul de la capacité de l’ÉASC. Il a aussi reconnu ne pas avoir comparé l’ÉASC à d’autres écoles des TN-O qui ont un nombre semblable d’élèves.  Il a reconnu que si l’espace consacré à la garderie était libéré, cela créerait de l’espace supplémentaire pour l’enseignement.  Mais il a précisé que ça ne comblerait pas les besoins en espaces spécialisés.

[246]	Au sujet de son opinion selon laquelle l’ÉASC manquait de personnel, M. Kubica a reconnu que le nombre de professeurs est en partie influencé par l’espace disponible mais également par le nombre d’inscriptions.  Il a reconnu que le nombre d’inscriptions a également un impact sur le nombre de programmes qui peuvent être offerts.  M. Kubica a reconnu que même si l’ÉASC avait des espaces supplémentaires, elle ne serait jamais en mesure d’offrir la même variété de programmes que ce qui est disponible aux plus grosses écoles.  L’écart pourrait être réduit, selon lui, mais pas éliminé.

[247]	J’estime que le témoignage de M. Kubica est crédible et digne de foi.  La partie de son témoignage qui a porté sur la comparaison des  édifices, espaces et programmes n’est pas véritablement contestée, et rejoint ce que plusieurs autres témoins ont dit à ce sujet.  Ses explications concernant l’impact que les standards gouvernementaux ont sur les plus petites écoles étaient logiques et découlent des standards eux-mêmes, qui sont en preuve.  Sa crédibilité n’a pas été ébranlée pendant son contre-interrogatoire.  Il m’a semblé  honnête, réaliste et objectif en répondant aux questions qui lui ont été posées.  Il n’habite pas les TN-O et il n’est pas un témoin intéressé.

j.	Dr. Rodrigue Landry

[248]	Les Demandeurs ont demandé que le tribunal permette au Dr. Rodrigue Landry de témoigner en tant qu’expert dans les domaines suivants: la vitalité ethnolinguistique; l’autonomie culturelle et ses facteurs de revitalisation; le rôle de l’éducation dans la vitalité d’une communauté culturelle; les statistiques démo-linguistiques; la pédagogie en milieu minoritaire; les facteurs qui contribuent à la construction identitaire d’un élève à la communauté francophone.

[249]	Le curriculum vitae du Dr. Landry et ses annexes (pièce #1) font état de ses nombreuses recherches et publications.  Les Défendeurs, fort raisonnablement,  n’ont pas contesté son expertise.

[250]	Au cours de son témoignage, le Dr. Landry a repris les grands thèmes de son rapport.  Il a expliqué en détails des modèles qu’il a développés, avec des collègues, pour illustrer certains phénomènes et concepts relevant de son domaine d’expertise, incluant le développement psycho-langagier en contexte intergroupe minoritaire (annexe A); l’autonomie culturelle (annexe B); et le comportement langagier autodéterminé et conscientisé (annexe C).  Ces concepts, et les modèles qui les représentent, sont complexes et difficiles à résumer.  Mais les explications que le Dr. Landry a données à leur sujet constituent une importance toile de fond pour comprendre les opinions qu’il a émises sur certaines des questions plus concrètes qui sont soulevées dans ce litige.  Je ne ferai pas état ici de tous les sujets traités dans son rapport et dans son témoignage.  Mais je veux rappeler les grandes lignes des aspects qui, à mon avis, sont les plus significatifs.

i) 	vitalité des communautés linguistiques et autonomie culturelle

[251]	Le Dr. Landry a expliqué qu’au delà des individus, c’est l’organisation sociale d’un groupe linguistique minoritaire qui lui permet d’exprimer son identité collective; l’héritage et le passé commun des membres du groupe peuvent être à la source d’une solidarité entre les membres du groupe, mais cette solidarité relève aussi de l’idée de bâtir ce que le Dr. Landry appelle “une communauté de destin” fondée sur des choix volontaires pour l’avenir.


[252]	Selon le Dr. Landry, la vitalité ethno-linguistique d’une communauté dépend de facteurs démographiques, du contrôle institutionnel, et du statut de la langue et du groupe.  Il a expliqué le concept de la “diglossie”, un concept social qui décrit les rapports entre deux groupes linguistiques et se fonde sur la répartition sociale des langues sur un territoire donné.  Il a dit que dans un cas classique de diglossie, les membres du groupe majoritaire parlent la langue dite “haute”, qui est celle qui a un statut supérieur, et qui domine la sphère publique.  Les membres de la minorité parlent une langue dite “basse”, qui ne domine que les sphères d’activités de ce groupe.  Dans un contexte où les membres des deux groupes sont en contact, c’est la langue “haute” qui tend à dominer.  Dépendamment d’un certain nombre de facteurs, la situation peut être plus ou moins diglossique; plus elle l’est, plus le risque d’assimilation est grand.  Par contre, certains facteurs peuvent contribuer, au contraire, à permettre à la communauté minoritaire de s’affirmer et d’avoir une vitalité de plus en plus grande.

[253]	Le Dr. Landry a aussi traité du concept d’autonomie culturelle.  Selon lui, l’identité collective est au coeur de cette autonomie.  Cette identité dépend de trois variables, qui s’apparentent à ce dont dépend la vitalité ethno-linguistique: la démographie, le contrôle institutionnel et le statut.  Le Dr. Landry décrit ces trois composantes plus précisément comme étant la “proximité socialisante”, la “complétude institutionnelle” et la “légitimité idéologique” .

[254]	La proximité socialisante est la composante de base, qui assure la socialisation primaire dans la langue et la culture du groupe minoritaire.  La présence d’institutions dans la communauté favorise et soutient cette socialisation primaire.  C’est particulièrement vrai pour les familles exogames, parce que selon le Dr. Landry, dans de telles familles, il y a souvent une tendance à transmettre la langue dominante au détriment de la langue minoritaire.

[255]	La complétude institutionnelle veut dire la prise en charge des institutions culturelles et sociales qui mettent la communauté minoritaire de l’avant sur la place publique, et lui permettent de se donner une entité distincte et active.  Selon le Dr. Landry, à cet égard, et même avec les meilleures intentions, les institutions bilingues n’ont jamais la même portée que les institutions gérées par la minorité, dans la langue de la minorité.  Selon le Dr. Landry, l’école est la pierre angulaire de la complétude institutionnelle.  Elle offre aussi une extension de la proximité socialisante car elle appuie les familles et la communauté pour favoriser la socialisation primaire dans la langue de la minorité.  Elle contribue à la création d’une identité dans cette langue, de réseaux dans cette langue.

[256]	La troisième composante qui a un impact sur l’identité collective est la légitimité idéologique.  Les positions idéologiques d’un gouvernement peuvent soit soutenir, soit nuire au développement de l’identité collective.

ii) 	impact de l’école sur la vitalité d’une communauté linguistique minoritaire


[257]	Le Dr. Landry estime, sur la base de recherches qu’il a faites au sujet des impacts de différents comportements langagiers, que les contacts langagiers à l’école agissent comme une extension de ce qui se passe dans la sphère privée (dans les familles et dans la communauté), et ce, même si l’école est une institution publique.  Ces contacts ont donc, sur les jeunes, un effet non seulement sur la compétence langagière mais également sur la construction identitaire.  Le Dr. Landry est d’avis que le vécu scolaire, à cet égard, est très important, et joue un rôle primordial, tout comme la famille, dans la construction identitaire.

[258]	Le Dr. Landry traite, dans son rapport, de certaines différences entre la mission éducative d’une école minoritaire et celle des écoles de la majorité.  Toute école, qu’elle soit de la minorité ou non, vise à assurer l’actualisation du potentiel humain de ses élèves.  Mais dans une école de la minorité, on se préoccupe nécessairement aussi de la construction identitaire des élèves.  Autrement dit, la construction identitaire fait partie intégrante du programme scolaire, alors que dans une école de la majorité, l’identification de l’élève à la langue parlée à l’école est un fait qui est généralement pris pour acquis.  D’autre part, les écoles de la minorité se préoccupent également de la préparation de la relève et du leadership communautaire pour la minorité.  Un autre aspect de sa mission éducative est le recrutement de la clientèle scolaire.

[259]	Selon le Dr. Landry, pour être en mesure d’élaborer et de mettre en oeuvre cette mission éducative particulière, les commissions scolaires de la minorité doivent jouir d’une autonomie complète, incluant le contrôle de ses budgets.

[260]	Le Dr. Landry aborde aussi les difficultés de rétention de l’ÉASC au niveau secondaire.  Selon ses expériences et ses recherches, c’est une tendance qui s’observe dans plusieurs écoles de la minorité francophone.  À son avis, pour maximiser la rétention, il faut recruter un nombre maximal d’élèves le plus tôt possible pour favoriser la francisation; le programme primaire doit être excellent pour inciter les élèves à vouloir rester à l’école; le programme au niveau secondaire doit être attrayant pour pallier au fait que l’école ne pourra pas rivaliser avec la variété de cours et d’activités qui existent dans les écoles de la majorité; et finalement, les infrastructures doivent être modernes et attrayantes pour pouvoir véritablement rivaliser avec les autres écoles.

iii) 	taux de continuité linguistique


[261]	Utilisant les données recueillies lors du recensement de 2006, le Dr. Landry conclut que le taux de continuité linguistique de la langue française dans les TN-O est inquiétant.  La mesure utilisée par Statistiques Canada est la langue parlée au foyer.  Selon lui, si une langue n’est pas parlée au foyer, il y a peu de chances que cette langue soit transmise à la prochaine génération.

[262]	En utilisant les chiffres concernant le nombre de répondants qui ont identifié le français comme langue maternelle, et le nombre de répondants qui ont dit parler le français le plus souvent à la maison, le Dr. Landry conclut que le taux de continuité linguistique dans les TN-O est de 42%, et de 50.4% à Yellowknife.  Selon lui, la non utilisation de la langue française au foyer est  très souvent reliée à l’exogamie, et le taux d’exogamie dans les TN-O est très élevé.

[263]	Pour le Dr. Landry, le phénomène de la non transmission de la langue française ne peut être contré que par une plus grande sensibilisation des parents aux conséquences de leurs choix langagiers, et par une plus grande complétude institutionnelle.

[264]	En interrogatoire principal, le procureur des Demandeurs a posé des questions au Dr. Landry se rattachant spécifiquement aux prétentions avancées par les Demandeurs concernant la situation à l’ÉASC, et lui a demandé de commenter, à la lumière de son expertise, les impacts de cette situation.

[265]	Il a dit que le fait que la CSFTN-O n’ait pas les pleins pouvoirs concernant ses bâtiments constitue un obstacle dans la réalisation de sa mission éducative.  Il a réitéré que les conseils scolaires doivent jouir d’une certaine liberté pour être en mesure de remplir leur mission.

[266]	Quant au réaménagement de certains espaces communautaires, et au manque d’espace en général, le Dr. Landry a expliqué que le manque d’espace nuit aux conditions d’enseignement, mais qu’au-delà de cela, les lacunes dans les infrastructures ont un impact cumulatif négatif sur les élèves et les parents concernés, et créent une impression d’être des citoyens de seconde classe.


[267]	Il a aussi parlé de l’importance d’avoir des espaces homogènes distincts.  Il a expliqué que dans un environnement où la structure est bilingue, la langue majoritaire devient rapidement dominante.  Il a donné l’exemple d’une étude faite au Nouveau-Brunswick au sujet des écoles mixtes, dont une qui avait 95% d’élèves francophones, mais qui avait aussi des élèves anglophones qui logeaient dans une des ailes de l’école.  L’étude a démontré que la présence d’élèves anglophones avait un impact considérable sur l’ambiance scolaire, et les élèves francophones avaient tendance à leur parler en anglais.

[268]	Le Dr. Landry a aussi été interrogé au sujet de l’importance de la garderie en milieu minoritaire.  Il a expliqué que la garderie et la maternelle sont un excellent moyen de francisation, et peuvent apporter un appui considérable aux familles exogames.  Au sujet de l’emplacement de la garderie, le Dr. Landry a dit qu’il ne connaissait pas d’études qui avaient conclu que son emplacement était un facteur significatif.  Mais il a dit que dans son expérience, la plupart des conseils scolaires cherchent à avoir la garderie au sein de l’école.

iv) 	les nombres d’enfants visés par l’article 23

[269]	Le Dr. Landry a de sérieuses réserves en ce qui a trait à l’utilisation des résultats du recensement pour déterminer le nombre d’enfants visés par l’article 23 à Yellowknife.

[270]	Il estime tout d’abord que le fait que l’échantillonnage soit de 20% de la population, non stratifié pour la langue, rend les chiffres très peu fiables.  L’arrondissement aléatoire des chiffres est un autre facteur qui compromet la fiabilité des chiffres.

[271]	Le Dr. Landry a donné des exemples d’incohérences dans les résultats du recensement de 2006.  L’exemple qu’il donne dans son rapport est que pour Yellowknife, les résultats du recensement sont que 35 enfants parlent le français le plus souvent à la maison, alors que la même banque n’identifie que 15 enfants ayant deux parents francophones.  Le Dr. Landry considère que c’est une anomalie puisque selon ses recherches, la grande majorité des foyers où le français est la langue plus souvent parlée à la maison sont ceux où les deux parents sont francophones.

[272]	Je comprends l’opinion du Dr. Landry à ce sujet mais je pense aussi qu’il faut aborder ce genre d’ “incohérence” avec une certaine circonspection: il se pourrait qu’au sein d’une famille exogame, le choix familial soit de privilégier l’usage du français comme langue principale à la maison.  Je reconnais que le Dr. Landry a expliqué que c’est plus souvent qu’autrement le contraire qui se produit, c’est à dire que la langue dominante est celle qui prend le plus souvent le dessus en milieu exogame.  Mais cela ne veut pas dire que c’est impossible, et cela pourrait expliquer l’apparente discordance dans les chiffres susmentionnés.


[273]	Mais le Dr. Landry soulève d’autres raisons pour lesquelles les données de Statistiques Canada concernant le nombre d’enfants visés par l’article 23 ne reflètent pas véritablement  la clientèle potentielle de l’ÉASC.  Les questions posées dans le recensement ne tiennent compte que d’une seule catégorie de personnes visées par l’article 23, celle qui concerne la langue maternelle des parents.  Les deux autres catégories de personnes visées ne sont pas identifiables.  Le Dr. Landry estime que l’ajout de personnes de ces autres catégories pourrait augmenter les chiffres d’environ 20%.  Il souligne aussi que les données du recensement ne permettent pas d’identifier un enfant vivant dans une famille monoparentale avec le parent anglophone, mais dont l’autre parent serait francophone.

[274]	Finalement, le Dr. Landry souligne que la clientèle cible pourrait augmenter encore davantage si on donnait accès au programme - ce que plusieurs conseils scolaires francophones à travers le pays font - à des personnes qui ne sont pas strictement visées par l’article 23 (immigrants francophones qui ne sont pas citoyens canadiens; personnes dont les parents ne parlent pas français mais dont les grands-parents sont francophones).

[275]	Le Dr. Landry reconnaît qu’il n’est pas facile d’estimer les effectifs cibles pour une école francophone minoritaire.  Mais il estime que le potentiel réel de clientèle pour l’ÉASC est plus élevé que ce que suggère l’état des inscriptions actuelles.  Il conclut qu’une sensibilisation accrue des parents ayants droit, et l’amélioration des programmes et infrastructures de l’ÉASC permettraient d’accroître les effectifs de l’école.

[276]	Le Dr. Landry a dit être d’accord, jusqu’à un certain point, avec la suggestion que “l’offre crée la demande et non l’inverse”.  Mais il a reconnu que c’est très difficile de dire à quel degré.  Et il a reconnu le dilemme qui se présente aux gouvernements quand vient le temps de décider d’investir ou non des fonds publics pour la création ou l’expansion d’écoles pour la minorité.  Il écrit:


Devant la question d’ouvrir une nouvelle école ou d’effectuer des rénovations coûteuses, il y a toujours un dilemme.  On peut, d’une part, en raison des petits nombres, ne pas construire l’école ou ne pas offrir de nouvelles facilités, ce qui peut contribuer à une baisse accrue des inscriptions ou les empêcher de croître, ou, d’autre part, on peut risquer de construire l’école ou de faire les rénovations importantes dans l’espoir que les chiffres augmenteront en raison des meilleures infrastructures scolaires.  L’expérience montre toutefois que, dans la plupart des cas, les nouvelles écoles (ex. les centres scolaires communautaires) ont contribué à une hausse des inscriptions scolaires, au point parfois que l’on a dû accroître les espaces disponibles par de nouvelles constructions.

[277]	Le Dr. Landry a longuement été contre-interrogé au sujet des opinions exprimées dans son rapport et dans son témoignage.

[278]	Il a reconnu que les facteurs qui influencent les choix de fréquentation d’écoles minoritaires sont nombreux et complexes.  Il a aussi  reconnu qu’une forte proportion de parents en situation d’ exogamie envoient leurs enfants aux écoles de la majorité.  Il a aussi  reconnu qu’il y a, aux TN-O, beaucoup de mouvement dans la population.

[279]	Le Dr. Landry a aussi reconnu que le taux de fréquentation de l’ÉASC par rapport au nombre d’ayant droits à Yellowknife est très près de la moyenne canadienne. Il a reconnu que compte tenu du taux d’exogamie très élevé à Yellowknife, le succès de l’école est supérieur à la moyenne nationale.

[280]	Le Dr. Landry a reconnu qu’il ne connaît aucune étude qui a conclu que les infrastructures ont un impact sur le fait que les élèves quittent ou non une école minoritaire.  Il a cependant maintenu son opinion que c’était un des facteurs et a dit qu’il fondait cette opinion sur son expérience.  Il a reconnu qu’il ne connaissait pas de recherche scientifique qui avait spécifiquement analysé les causes des départs d’élèves des écoles minoritaires.

[281]	Au sujet de la fiabilité des statistiques générées par le recensement, le Dr. Landry a reconnu que les statisticiens tiennent compte de la taille de l’échantillon dans l’attribution de la marge d’erreur des résultats.  Il a aussi  reconnu que le calcul de la marge d’erreur est un processus très sophistiqué.  Mais il a maintenu son opinion que même en tenant compte de la marge d’erreur, le problème d’absence de stratification lui fait douter de la fiabilité des résultats.

[282]	Il y a eu des moments quelque peu tendus pendant le contre-interrogatoire du Dr. Landry.  Je suis intervenue pour décréter une pause parce que le contre-interrogatoire prenait une tournure plus proche du débat politique entre le procureur et le témoin que ce que doit un témoignage pendant un procès.  Cet état de choses était, à mon avis, autant dû au ton et le teneur des questions qu’au le ton et à la teneur des réponses.  Mais les choses sont ensuite rentrées dans l’ordre.

[283]	Plusieurs des  recherches du Dr. Landry portent sur l’éducation en milieu minoritaire.  Visiblement, c’est non seulement pour lui un domaine d’expertise, mais une passion.  Toutes les fois où il a été appelé comme témoin expert, c’est à la demande de la partie qui cherche à faire valoir les droits de la minorité  francophone.

[284]	 Mais le degré d’expertise du Dr. Landry n’est pas contesté, et j’accepte les opinions qu’il a exprimées concernant la construction identitaire, la vitalité linguistique d’une communauté minoritaire, et l’importance de l’école dans ce contexte.  Il a une vaste expertise en ce domaine et ses conclusions sont appuyées par de nombreuses recherches.

[285]	Certains aspects de son témoignage portaient sur des sujets qui n’avaient pas été identifiés spécifiquement comme des domaines d’expertise dans lesquels les Demandeurs voulaient le faire qualifier en tant qu’expert (par exemple, les facteurs qui affectent le recrutement et la rétention d’élèves en milieu minoritaire, les facteurs qui influencent l’assimilation en milieu minoritaire).  Mais j’estime que ces domaines font partie intégrante des domaines pour lesquels le Dr. Landry a été qualifié pour témoigner en tant qu’expert.  Ces sujets sont inter-reliés, et, dans une certaine mesure, difficiles à dissocier les uns des autres.

[286]	En somme, étant donné son expérience et l’étendue de ses recherches, je considère le témoignage du Dr. Landry crédible et digne de foi.  Il a lui-même apporté plusieurs nuances à certains aspects de son témoignage, ce qui à mon avis ajoute à sa crédibilité en tant que témoin, et à la force probante de son témoignage.

[287]	Les opinions exprimées par le Dr. Landry sont également appuyées par le Dr. Wilfrid Denis, un autre témoin expert appelé par les Demandeurs.

[288]	Le Dr. Wilfrid Denis a été appelé dans la deuxième vague de témoignages présentés par les Demandeurs, qui concernaient le recours juridique mettant en cause l’École Boréale et la validité d’une directive ministérielle portant sur le droit d’admission au programme d’enseignement en français.  Je comprends que les Demandeurs ont appelé le Dr. Denis surtout pour appuyer leurs prétentions dans ce litige-là.  Ils font cependant  référence au témoignage du Dr. Denis dans le mémoire de fin de procès qu’ils ont déposé pour le présent recours.


[289]	Je fais état du témoignage du Dr. Denis aux Paragraphes 337 à 359 de mes Motifs de Décision  dans  Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest, supra.  Les aspects de son témoignage qui sont pertinentes au présent recours rejoignent essentiellement les opinions exprimées par le Dr. Landry.   D’ailleurs, le Dr. Denis se fonde en partie sur les recherches du Dr. Landry pour formuler ses opinions.  Le Dr. Denis exprime le même genre de réserves que le Dr. Landry concernant la fiabilité des données issues du recensement.  Puisque je considère le témoignage du Dr. Denis fiable sur ces questions, ce témoignage appuie celui du Dr. Landry et augmente sa force probante.

k.	Extraits de l’interrogatoire au préalable de Paul Devitt

[290]	Conformément aux Règles de la Cour Suprême des Territoires du Nord-Ouest, les Demandeurs ont versé en preuve des extraits de l’interrogatoire au préalable de Paul Devitt, qui est un haut fonctionnaire du Ministère de l’Éducation (pièce #77).

[291]	Dans ces extraits, il est question, notamment, de la contribution du gouvernement fédéral aux travaux de la Phase 1, des demandes du  GTN-O au gouvernement fédéral concernant sa contribution financière pour la Phase 2 (dans les deux cas, une contribution de l’ordre de 50% selon M. Devitt).  M. Devitt n’est pas entré dans les détails des négociations, mais a confirmé que la plan soumis au gouvernement fédéral en avril 2008 était pour un agrandissement d’environ 2000 mètres carrés, dont environ le quart serait considéré comme étant des espaces scolaires et  le reste serait voué à des fins communautaires.

[292]	Les réponses de M. Devitt portent également sur la façon dont le gouvernement procède pour décider de la superficie qu’aura une école, sur les anciens et nouveaux standards que le Ministère utilise.

[293]	M. Devitt a été appelé comme témoin par les Défendeurs.  Les extraits  de son interrogatoire au préalable sont cohérents avec les choses dont il a parlé dans son témoignage au procès, dont je fais état plus loin.

2. 	Recevabilité d’éléments de preuve contestés

[294]	Les Défendeurs contestent la recevabilité de plusieurs éléments de preuve mis de l’avant par les Demandeurs, au motif qu’ils constituent du ouï-dire.

[295]	L’objection des Défendeurs concerne le témoignage de plusieurs témoins qui ont rapporté ce qu’avaient dit certains élèves au sujet des raisons pour lesquelles ils voulaient quitter, ou avaient quitté l’ÉASC.  Les Demandeurs affirment que cette preuve est recevable pour la véracité de son contenu, et établit que le manque d’infrastructures et de programmes à l’ÉASC est à l’origine d’une partie importante des pertes d’élèves au niveau secondaire.  Les Défendeurs disent qu’il s’agit de ouï-dire qui n’est pas recevable.

[296]	Les Défendeurs s’objectent aussi, pour le même motif, à la recevabilité de la pièce “D”, qui contient elle aussi de l’information concernant les raisons des départs de certains élèves.  Ils s’objectent aussi à la recevabilité de la pièce “E”, qui contient les réponses des élèves à un questionnaire portant sur la question des infrastructures de l’école.

[297]	Je dois aussi décider de l’usage qui peut être fait de la pièce #11 (“Vision 20-20") puisque les parties ne s’entendent pas sur cette question.  Les Défendeurs disent que le document est recevable comme faisant partie du contexte, des démarches entreprises par la CSFTN-O, et de ses échanges avec le gouvernement, mais sans plus.  Les Demandeurs affirment que le document devrait être utilisé pour prouver la véracité de l’information qui y est rapportée.  Encore là, la position des Défendeurs est fondée sur le fait que le contenu du document est du ouï-dire, et ne peut pas être recevable pour sa véracité.

a.  	Cadre juridique régissant la recevabilité du ouï-dire

[298]	Il faut d’abord rappeler le cadre juridique qui régit la recevabilité de la preuve par ouï-dire.

[299]	Le ouï-dire se définit comme étant une déclaration faite hors de la présence du tribunal, que l’on présente par l’entremise du témoin qui a entendu la déclaration, pour prouver la véracité de son contenu.

[300]	Ses caractéristiques déterminantes sont que, (1) la déclaration est présentée pour prouver la véracité de son contenu, et (2) le contre-interrogatoire du déclarant au moment où il fait sa déclaration n’est pas possible.


[301]	La possibilité de contre-interroger un témoin pour tester ses dires est un aspect primordial de notre système judiciaire.  Cette possibilité n’existe pas quand, plutôt que de faire témoigner une personne sur ce qu’elle sait, a observé, ou ressent, on présente ses propos par l’entremise d’une tierce personne.

[302]	La règle de base est que le ouï-dire n’est pas recevable.  Cette règle générale tient essentiellement à l’incapacité, pour la partie adverse et le juge des faits, de vérifier la fiabilité de la déclaration:

Si le déclarant n’est pas présent en cour, il peut se révéler impossible de mettre à l’épreuve sa perception, sa mémoire, sa relation au fait en question ou sa sincérité.  Il se peut que la déclaration elle-même ne fasse pas l’objet d’un compte-rendu exact. Des erreurs, des exagérations ou des faussetés délibérées peuvent passer inaperçus et donner lieu à des verdicts injustes.

R. c. Khelawon, [2006] CSC 57, para. 2

[303]	Par contre, la jurisprudence a toujours reconnu certaines exceptions à la non recevabilité du ouï-dire.  La justification pour ces exceptions était que certaines choses pouvaient pallier aux risques inhérents du ouï-dire.  La jurisprudence a donc progressivement reconnu une série d’exceptions à la règle de non recevabilité.

[304]	Éventuellement la Cour Suprême du Canada a décidé d’aborder la question de recevabilité du ouï-dire différemment.  Plutôt que de se fonder sur des catégories spécifiques d’exceptions, chacune avec leurs propres critères d’application, elle a établi des principes directeurs pour régir, dans tous les cas, la question à savoir si le ouï-dire est recevable ou non.  Ainsi est né le concept de “l’exception générale raisonnée “ à la non recevabilité du ouï-dire, qui a été développé et précisé par la Cour suprême du Canada dans plusieurs arrêts subséquents.  R. c. Khan (1990), 79 C.R. (3d) 1 (C.S.C.); R. c.  Smith (1992), 15 C.R. (4e) 133 (C.S.C.); R. c. B. (K.G.), (1993) 79 C.C.C. (3e) 257 (C.S.C.); R. c. U.(F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764, R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Parrott (2001), 150 C.C.C. (3d) 449; R. c. Mapara 2005 CSC 23; R. c. Khelawon, supra.


[305]	Les deux critères qui régissent maintenant la recevabilité du ouï-dire sont la nécessité et la fiabilité.  Pour que le ouï-dire soit  recevable, il faut que le tribunal soit convaincu qu’il est nécessaire de permettre ce type de preuve plutôt que de procéder de la façon habituelle, c’est à dire en faisant témoigner le déclarant lui-même.  Il faut aussi que le tribunal soit convaincu que la preuve en question rencontre un seuil de fiabilité suffisant.  Il ne s’agit pas ici de décider de la fiabilité ultime, ou de la valeur probante de la preuve, mais plutôt de décider si elle rencontre un seuil de fiabilité suffisant pour être versée comme preuve au procès, et sujette à être évaluée par le juge des faits.  C’est la partie qui présente la preuve qui a le fardeau d’établir, par prépondérance de preuve, que les conditions de recevabilité sont remplies.  Ici, ce fardeau repose donc sur les Demandeurs.

[306]	Le critère de la nécessité a été élaboré dans Khan, le premier arrêt de la Cour
suprême à adopter l’approche de l’exception générale raisonnée.  Ce critère a été réexaminé et raffiné dans plusieurs arrêts subséquents.

[307]	Le concept de nécessité ne signifie pas une nécessité absolue; il faut plutôt que la partie qui demande que la preuve par ouï-dire soit reçue démontre que c’est raisonnablement nécessaire de procéder de cette façon.

[308]	La nécessité ne suppose pas nécessairement la non disponibilité du témoin, mais plutôt la non disponibilité du témoignage.  Il n’y a pas de règle absolue qui régit de quelle façon la nécessité doit être démontrée.  Il faut lui donner une définition souple, susceptible d’englober différentes situations.  R. v. Smith, supra, au para. 36.

[309]	La jurisprudence démontre qu’il existe tout un éventail de situations où le critère de la nécessité est rencontré.  Ces exemples incluent les cas où le déclarant est décédé ou disparu; le déclarant n’a aucun souvenir indépendant des évènements au moment du procès; le déclarant est incapable de témoigner en raison de son trop jeune âge; le déclarant souffre d’une incapacité mentale ou psychologique; le déclarant  n’est pas contraignable comme témoin; le déclarant est disponible mais est hostile à la partie qui cherche à mettre en preuve ses déclarations; le déclarant témoigne, mais contredit une déclaration antérieure; il est établi qu’ il existe une possibilité réelle de traumatisme psychologique si le déclarant était contraint de témoigner.

[310]	Le  deuxième critère qui doit être considéré est la fiabilité.  Tout comme pour le premier critère, on doit lui attribuer un sens souple.  Il n’est pas question ici de fiabilité absolue de la preuve ni de sa force probante.  Il s’agit plutôt de déterminer si la preuve au sujet de la déclaration et des circonstances dans lesquelles elle a été faite renferme suffisamment d’indices de fiabilité pour la rendre recevable.


[311]	Ce seuil de fiabilité peut être établi de manières différentes. Parfois, les circonstances de la déclaration lui donnent une fiabilité inhérente.  Il se peut aussi que les circonstances de la déclaration soient telles qu’il n’existe pas de préoccupation réelle quant à sa véracité.  Par exemple, si la déclaration a été prise sous serment, ceci ajoute à sa fiabilité; si le déclarant a été sujet à un contre-interrogatoire au moment de la déclaration (dans le cadre d’une enquête préliminaire, par exemple), la déclaration a été testée et peut être considérée comme plus fiable.

[312]	C’est à la lumière de ces principes que la recevabilité de la  preuve par ouï-dire présentée par les Demandeurs doit être examinée.

b.  	Recevabilité de commentaires faits par des élèves

i) 	La teneur de la preuve

[313]	Il est utile de rappeler la teneur des témoignages portant sur des propos qui auraient été tenus par les élèves de l’école.  Il s’agit de propos que des parents ont entendus de leurs enfants, d’amis de leurs enfants, et de propos entendus par le personnel enseignant et la direction de l’école.  Dans tous les cas, les déclarations portent sur la raison pour laquelle ces élèves voulaient quitter l’ÉASC.

[314]	Mme Montreuil a parlé de conversations qu’elle avait eues avec sa fille; elle a déclaré avoir songé à changer sa fille d’école, et avoir eu des conversations avec elle à ce sujet alors qu’elle était en 7e année, en prévision de la 8e année.  Sa fille a parlé entre autres choses des différences entre les installations disponibles à l’ÉASC et celles de d’autres écoles.

[315]	Mme Montreuil a témoigné avoir aussi eu des conversations spécifiques avec des élèves de la cohorte de son fils au sujet des raisons de leur départ de l’ÉASC.  Sur les 18 élèves qui étaient dans son groupe en 2e-3e année, 6 ont quitté pour d’autres écoles de Yellowknife.  Elle a parlé à 2 d’entre eux; le premier a dit avoir quitté parce qu’il voulait avoir accès à plus d’activités sportives, et l’autre a dit qu’il voulait aller à une plus grande école.

[316]	Mme Moore a parlé de conversations qu’elle a eues avec ses deux fils au sujet de la possibilité de quitter l’école.  Avec le plus vieux, ils ont discuté des avantages et inconvénients de faire le secondaire a l’ÉASC plutôt qu’à l’École Sir John Franklin. Elle a dit que les infrastructures plus développées de l’École Sir John Franklin, le plus grand nombre de choix de cours et de salles spécialisées étaient au nombre des choses que son fils trouvait avantageuses à cette école.

[317]	Mme Moore a aussi parlé de conversations avec son fils cadet.  Elle a expliqué que ce dernier a souvent demandé de changer d’école. Il s’intéresse à la mécanique et voudrait avoir l’occasion de prendre des cours pratiques dans ce domaine pour décider si c’est vraiment ce qu’il veut faire.  Il ne peut pas prendre ce genre de cours à l’ÉASC, alors qu’ils seraient disponibles à l’École Sir John Franklin.

[318]	Mme Moore a parlé d’une conversation qu’elle a entendue entre son fils et un de ses amis qui avait décidé de quitter l’école; elle a précisé qu’elle n’avait pas entendu toute la conversation, mais que dans la partie qu’elle a entendu, l’ami en question a dit qu’il voulait aller à l’autre école pour pouvoir se faire plus d’amis.

[319]	Elle a aussi parlé de la cohorte de son fils aîné, dont le nombre a diminué à partir de la 7e année.  Elle a dit que dans des conversations entre son fils et ses amis, quand ils se voyaient hors de l’école, un sujet qui revenait dans les discussions était  l’heure des pratiques sportives matinales pour les activités parascolaires à l’ÉASC.

[320]	Mme Simmons a témoigné au sujet de conversations qu’elle a eues avec son fils.  Il lui a souvent exprimé le désir de changer d’école.  Il lui a parlé entre autres vouloir avoir accès à des salles pour les cours spécialisés, et une meilleure accessibilité aux installations sportives.

[321]	M. Deschênes a témoigné avoir eu plusieurs conversations avec d’anciens élèves de l’ÉASC au sujet des raisons de leur départ de l’école.  Il n’a pas été en mesure de parler de circonstances précises des conversations qu’il a eues avec ces élèves, il n’en avait qu’un souvenir général.  Des questions lui ont été posées à l’aide des listes d’élèves  des 3 dernières années et il en a identifié 2 avec qui il se rappelait avoir eu des conversations spécifiques au sujet de leur départ.  Un élève lui a dit qu’il voulait plus d’options pour les activités sportives et la compétition, et l’autre lui a dit vouloir apprendre l’anglais plus rapidement.

[322]	M. Gravel a lui aussi entendu les élèves parler des raisons de leur départ pour d’autres écoles, notamment au niveau de la 7e et 8e année.  Selon lui ces raisons incluaient les lacunes au niveau des infrastructures, le plus grand accès aux choix de cours, et le fait que l’école primaire et secondaire soient ensemble.

[323]	M. Gravel a seulement pu nommer un élève (qui est un des deux identifiés par M. Deschênes) de qui il a entendu de tels propos; il ne se rappelait pas du nom des autres.


[324]	Mme Careen a dit avoir eu des conversations avec certains étudiants qui ont quitté l’école, incluant le même élève que celui identifié par M. Deschênes et M. Gravel.  Cet élève a parlé du fait que l’autre école avait de  meilleures installations sportives.  Elle a parlé à un autre élève qui lui a dit avoir quitté l’ÉASC parce que les choix académiques étaient meilleurs à l’autre école.

[325]	Mme Careen a aussi  expliqué qu’au fil des années, la question des manques à l’ÉASC ont fait l’objet de beaucoup de discussions parmi les parents.

[326]	M. Lavigne a lui aussi eu des conversations les élèves qui ont changé d’école. Ceci s’est produit à la fin de l’année 2003.  C’est l’année  où il y avait seulement 3 élèves au niveau secondaire à l’ÉASC et l’essai a été fait de les envoyer suivre certains de leurs cours à l’École Sir John Franklin.  Un de ces élèves est déménagé l’année suivante, et les 2 autres ont transféré à l’École Sir John Franklin.  M. Lavigne a parlé à ces élèves de leur expérience et des raisons de leur départ.  Selon lui, ils lui auraient dit que leur expérience de partage de temps entre les deux écoles n’avait pas été positive; ils ne se sentaient appartenir à ni l’une ni l’autre des écoles.

ii) 	Analyse

[327]	Concernant le témoignage de parents rapportant les propos de leurs enfants, au moment où les Défendeurs se sont objectés, le procureur des Demandeurs a fait valoir que l’objection devrait être rejetée parce qu’un parent peut rapporter les propos de son propre enfant sur un sujet de ce genre.  À mon avis les règles de preuve n’appuient pas cette prétention.  Il n’existe pas d’exception à la non recevabilité du ouï-dire fondée sur le lien parental.

[328]	Un parent peut bien sûr parler de ses observations et inquiétudes par rapport à ses enfants, y compris des inquiétudes concernant l’école que ses enfants fréquentent.  Le parent témoigne alors au sujet de ses propres sentiments et de ses propres réactions face à une situation donnée.


[329]	Mais permettre à un parent de témoigner au sujet de ce que son enfant lui a dit pour en  prouver la véracité, et la motivation pour l’enfant d’agir de telle ou telle façon, est une toute autre chose.  La recevabilité de telles déclarations doit être examinée au même titre que toute autre preuve par ouï-dire, à la lumière des principes établis par la jurisprudence.  C’est aussi le cas pour les propos rapportés par les enseignants et le personnel de direction.

[330]	Concernant le critère de la nécessité, la situation qui se présente en l’espèce  n’est analogue à aucun des exemples où les tribunaux ont conclu que le critère de nécessité était établi.  Les déclarants ne sont pas des enfants en bas âge qui sont trop jeunes pour témoigner.  Il n’y a aucun élément de preuve suggérant qu’ils seraient incapables de témoigner pour d’autres raisons, ou que de témoigner leur causerait un traumatisme.  La preuve a révélé que certains d’entre eux, au contraire, étaient à Yellowknife au moment du procès et auraient pu être appelés comme témoins.   Certains déclarants ne sont plus à Yellowknife, mais aucune preuve n’a été présentée au sujet de leur disponibilité.  Je rappelle que le fardeau de prouver que les critères de recevabilité et de nécessité sont remplis repose sur la partie qui présente la preuve.

[331]	Les Demandeurs se fondent exclusivement sur des considérations d’ordre pratique pour affirmer que le critère de la nécessité est rencontré en l’espèce.  Ils soulignent que d’appeler tous les déclarants comme témoins aurait demandé trop de temps et trop de ressources.  Cet argument n’est pas convaincant.  Comme j’en ai fait état en résumant les témoignages sur cette question, il n’y a pas un grand nombre de déclarants qui ont été identifiés spécifiquement par les témoins.  Les faire témoigner n’aurait pas pris un temps disproportionné ou déraisonnable.

[332]	Je reconnais qu’il y a des situations où des considérations d’ordre pratique font en sorte qu’il est raisonnablement nécessaire de recourir à la preuve par ouï-dire.  Mais à mon avis la preuve est insuffisante pour établir cela en l’espèce.

[333]	Mais même si j’acceptais la position des Demandeurs que le critère de la nécessité est rencontré, j’estime de toute façon que les la preuve n’a pas établi que la preuve a le seuil de fiabilité nécessaire pour être recevable.

[334]	La preuve concernant les circonstances dans lesquelles les propos ont été tenus, et dans certains cas, la nature exacte des propos, est plutôt floue.  Ce disant, je ne critique pas les témoins qui ont parlé de ces conversations.  Personne ne s’attendrait à ce que les parents ou enseignants aient noté ou enregistré les propos des élèves au moment où les commentaires ont été faits.  Personne ne pouvait savoir, à ce moment-là, qu’ils auraient à en témoigner des années plus tard dans le cadre d’un procès.

[335]	Mais leur souvenir de ce qui a été dit, et des circonstances, n’est pas très précis.  Puisque les indices de fiabilité d’une déclaration découlent en grande partie des circonstances où cette déclaration a été faite, il est très difficile d’évaluer la fiabilité lorsque la preuve de ces circonstances est imprécise ou limitée.

[336]	L’autre problème, du point de vue de la fiabilité, vient du fait que comme l’ont reconnu tous ces témoins, il est fort possible qu’un adolescent ne confie pas tout le fond de sa pensée à ses parents.  Je ne pense pas que l’on puisse affirmer que de façon générale, les échanges entre parents et enfants sont empreints d’une fiabilité inhérente telle qu’ils peuvent être tenus pour véridiques.

[337]	C’est également le cas, peut-être même à plus forte raison, en ce qui concerne les membres du personnel de l’école.  Leur lien avec l’école et leur engagement au programme d’enseignement en français langue première, peut très bien avoir eu un impact sur ce que les élèves ou anciens élèves choisiraient de leur dire au sujet des raisons de leur départ, et ce, même s’ils ont une très bonne relation avec le personnel de l’école.

[338]	Je ne pense donc pas que les circonstances de ces déclarations et de ces conversations leur attribuent une fiabilité inhérente.  Et il a peu d’éléments dans la preuve qui permettent de procéder à une vérification suffisante de la véracité et l’exactitude des propos rapportés.

[339]	Les Demandeurs ont semblé suggérer dans leurs représentations que la véracité de ces déclarations n’est pas véritablement contestée, et que ceci est un argument pour permettre qu’elles soient reçues en preuve.  Mais ce n’est pas du tout le cas.  Le sujet même de ces déclarations - la relation de cause à effet entre la qualité des infrastructures de l’ÉASC et les pertes d’effectifs - est un fait qui est vivement contesté par les Défendeurs dans ce litige.

[340]	Les Demandeurs ont également plaidé que la question de recevabilité doit être décidée en tenant compte de la nature de ce recours, et du fait qu’il ne s’agit pas ici d’un procès criminel.


[341]	Pour moi, le fait que le litige mette en cause des droits individuels ou des droits collectifs n’a pas d’impact sur les règles de preuve comme telles.  Certes, la nature du droit invoqué a nécessairement un impact sur ce qu’une partie doit établir pour avoir gain de cause - les faits à prouver.  Mais à mon sens cela n’a aucun impact sur la façon de les établir - les règles de preuve.  Ce sont deux questions distinctes.

[342]	Pour ce qui est de la différence entre l’application de la règle dans une affaire criminelle et dans une affaire non criminelle, il est vrai que la jurisprudence qui a élaboré des principes de l’exception générale raisonnée est issue d’affaires criminelles.  Certaines considérations qui sont propres au droit criminel, notamment les mesures destinées à protéger les droits des accusés, ne s’appliquent dans les affaires civiles, et ceci peut avoir un impact sur les règles de recevabilité.

[343]	Dans leur ouvrage sur la preuve, Sopinka, Lederman et Bryant soulèvent cette question: ils écrivent:

6.95. Is the standard of proof to establish admissibility less in civil cases, where the ultimate burden of proof is only on a balance of probabilities and other considerations such as expediency and the crippling costs of litigation come into question?  Adams J., in Clark v. Horizon Holidays Ltd, in considering a wrongful dismissal case, had regard to the general flexibility in respect to the admission of hearsay evidence in the determination of such disputes as follows:

This is a wrongful dismissal case where alternative dispute resolution systems abound.  All of these forums freely admit hearsay evidence in the name of informality, expediency and the reduction of costs. Indeed those systems have arisen in reaction to the austere formalism of courts.  In my view, Khan and Smith signal a willingness in the judiciary to design procedures and evidentiary rules to enhance the accessibility, and therefore the relevance, of our courts

Sopinka, Lederman & Bryant, The Law of Evidence in Canada, 3rd edition, at p.257.

[344]	Ces commentaires, il me semble, ne s’appliquent pas à un litige comme celui-ci.  Certes, il ne s’agit pas d’une affaire en droit criminel, où la liberté de l’accusé est en jeu, mais les conséquences potentielles de ce litige pour les Défendeurs sont énormes.  Je ne crois pas que la nature du litige soit une raison d’assouplir les règles de recevabilité de la preuve.


[345]	Les Demandeurs citent l’affaire Lavoie et al. c. Attorney General of Nova Scotia et al, (1988) 47 D.L.R. 4th 586 (C.S.N.-É.) au soutien de leur prétention concernant la recevabilité  du ouï-dire dans le contexte d’un recours mettant en jeu des droits linguistiques.  Dans cette affaire, le tribunal a accepté de la preuve par ouï-dire pour établir que très peu de parents enverraient leur enfant à l’école minoritaire si cette école était établie à un certain endroit.  Mais il y a d’importantes distinctions entre cette affaire et ce recours.  Premièrement, dans Lavoie, l’autre partie ne s’était pas objectée à la recevabilité de la preuve.  Deuxièmement, il semble  que le tribunal ait été satisfait que la preuve ait le résultat d’un sondage en bonne et due forme.  Troisièmement, la seule autre façon de présenter la preuve aurait été de faire témoigner tous les ayants droits.  Quatrièmement, la preuve, dans ce cas, portait sur l’établissement des nombres de personnes qui enverraient leurs enfants à l’école minoritaire si elle était construite en un certain lieu.  Ce type de fait, à mon avis, est très différent d’un fait comme celui que les Demandeurs veulent établir ici par l’entremise de la preuve par ouï-dire.

[346]	Je fais aussi remarquer que Lavoie est une décision qui a été rendue avant que la Cour suprême du Canada n’établisse les principes de l’exception générale raisonnée.  Le juge n’avait donc pas le bénéfice des principes énoncés par la Cour suprême du Canada concernant l’approche à adopter pour décider de la recevabilité d’une telle preuve.

[347]	L’exception raisonnée à la règle interdisant la preuve par ouï-dire n’a pas été développée pour des raisons de commodité ni des raisons purement pratiques.  Elle a été développée autour de principes se rapportant aux raisons de base pour lesquelles le ouï-dire n’est généralement pas permis: le fait que ce genre de preuve ne permet pas à la partie adverse de tester sa fiabilité.

[348]	Dans les circonstances, à mon avis, les Demandeurs n’ont pas établi que les critères de nécessité et de fiabilité sont rencontrés.  Je déclare donc non recevables, pour faire preuve de leur véracité, tous les propos tenus par les élèves dont il a été question dans les témoignages au procès.

[349]	Les Demandeurs disent que subsidiairement, ces aspects du témoignage sont recevables pour prouver que les commentaires ont été faits.

[350]	Pour ce qui est de ce que les déclarants ont dit à leurs parents, il est vrai que ces propos peuvent expliquer en partie l’état d’esprit des parents (pourquoi, par exemple, ils ont considéré à changer leur enfant d’école).  J’accepte le témoignage des parents que les propos ont été tenus, et j’accepte que ceci a contribué aux hésitations qu’ils ont pu avoir de laisser leurs enfants à l’ÉASC.  Mais c’est le seul usage, et il est très limité, qui peut être fait de cette preuve.


[351]	Quant aux propos entendus par M. Deschênes et de M. Gravel, ils ont nécessairement influencé leur opinion au sujet de la cause des départs.  Je conclus que leur opinion est en grande partie fondée sur ce que les élèves leur ont dit.  La fait que les  propos ne soient pas recevable réduit donc considérablement la force probante qui peut être attribuée à ces opinions.

c. 	La pièce “D”

[352]	La pièce “D” est un document intitulé “Students from École Allain St-Cyr who left prior to graduation from 2002 to 2010".  Mme Careen a expliqué durant son témoignage qu’elle avait préparé cette liste en consultant plusieurs personnes, certaines qui travaillent encore à l’ÉASC, et d’autres qui y ont travaillé par le passé et ont connu les élèves qui ont quitté.

[353]	Mme Careen a dit dans son interrogatoire principal qu’elle s’était engagée dans cet exercice pour avoir un portrait clair de la situation qui avait prévalu au niveau des pertes subies par l’ÉASC au niveau secondaire au fil des ans. En contre-interrogatoire, elle a reconnu qu’un autre objectif était de fournir de l’information à un des deux experts dont les Demandeurs avaient retenu les services pour les fins du procès, M. Kubica.  Un des sujets dont les Demandeurs avaient demandé à M. Kubica de traiter dans son rapport était la question des problèmes de rétention à l’ÉASC au niveau secondaire.  Au début de son rapport (pièce #7), M. Kubica mentionne qu’il a consulté, entre autres, ce qu’il appelle des “exit interviews” fournis par Mme Careen.

[354]	Il me semble clair, à la lumière de la preuve, que les “exit interviews” auxquels M. Kubica fait référence est la pièce “D”.  Il est également clair que la pièce “D” n’est pas le produit d’entrevues de départ avec les élèves concernés.  C’est plutôt une compilation de ce dont différents membres du personnel de l’école se souviennent au sujet des raisons pour lesquelles les élèves ont quitté l’école.


[355]	Le tableau inclut, pour les années scolaires 2003-2004 à 2009-2010, les noms des élèves qui ont quitté l’ÉASC, et dans la colonne de droite, la raison du départ.  Cette colonne indique si l’élève est déménagé ou a transféré à une autre école de Yellowknife.  Dans la plupart des cas où il y a eu transfert à une autre école de Yellowknife, des détails supplémentaires sont notés concernant la raison du départ.  On note, par exemple, que l’élève voulait un choix de cours plus varié; voulait avoir accès à plus d’activités sportives; voulait avoir plus de choix de cours au niveau académique.

[356]	Les Demandeurs demandent que la pièce “D” soit  versée comme pièce de preuve, pour la véracité de son contenu, c’est à dire pour établir que les raisons notées sur le tableau sont effectivement les raisons pour lesquelles ces élèves ont quitté l’ÉASC.  La recevabilité de cette pièce doit être analysée à la lumière des principes de l’exception générale raisonnée.

[357]	Pour ce qui est du critère de la nécessité, pour plusieurs des élèves dont les noms figurent au tableau, aucune preuve n’a été présentée au sujet de l’endroit où ils habitent maintenant.  Aucune preuve n’a été présentée non plus au sujet de leur disponibilité à témoigner au procès pour expliquer eux-mêmes les raisons qui les ont poussés à quitter l’ÉASC.  Les Demandeurs s’appuient, encore une fois, sur des considérations d’ordre pratique pour soutenir que le tableau est recevable pour faire preuve des raisons qui ont poussé ces élèves à partir.

[358]	Il est question ici d’un assez grand nombre d’élèves.  Le tableau en identifie au-dessus de 50.  La moitié d’entre eux auraient changé d’école pour avoir accès à de meilleures infrastructures, de meilleurs programmes, ou les deux.  Ceci donne un certain poids à la position des Demandeurs concernant la nécessité.

[359]	Mais je n’ai pas à tirer de conclusion ferme au sujet de ce critère parce qu’à  mon avis, encore une fois la preuve est nettement insuffisante pour établir le seuil de fiabilité nécessaire pour rendre le document recevable.

[360]	Le tableau a été préparé par Mme Careen, mais elle n’était pas à l’école quand la majorité des élèves mentionnés dans le tableau ont quitté.  L’information qui s’y trouve est le fruit de consultations avec plusieurs personnes essayant ensemble de se rappeler des différentes cohortes d’élèves et des raisons de leur départ.  L’information inscrite sur le tableau est non seulement du ouï-dire venant de Mme Careen, mais le serait également venant des personnes qu’elle a consultées.  On parle donc ici de double ouï-dire, possiblement du triple ouï-dire, dépendamment de la façon dont les personnes que Mme Careen a consultées ont obtenu l’information en question.


[361]	Dans la plupart des cas, on ne sait pas exactement ce qui a été dit, par qui (l’élève ou les parents), quand, ni dans quelles circonstances.  Je dis “dans la plupart des cas” parce que certains des élèves sont ceux à qui Madame Careen a parlé, et d’autres sont dont il a été question dans les témoignages de M. Deschênes et M. Gravel.  Mais ceci représente une très faible proportion des personnes dont les noms sont sur ce tableau.

[362]	Pour la grande majorité des élèves, on ne sait pas quelle personne, ni combien de personnes, ont fourni de l’information qui a servi à identifier la raison des départs. On ne sait pas non plus sur quoi les personnes consultées ont tiré leurs conclusions  - leur impression du moment?  Une conversation avec l’élève?  Une conversation avec des amis de l’élève?  Une rencontre avec les parents?  La preuve présentée ne répond pas à ces questions.

[363]	La démarche de Mme Careen était très certainement valable, pour ses fins en tant que directrice de l’école, dans la mesure où elle voulait compiler et conserver de l’information pour comprendre le passé le mieux possible et essayer de prendre des dispositions et mettre en place, si possible, des mesures pour enrayer le phénomène des départs.  La compilation d’information venant de personnes ayant travaillé à l’ÉASC, et sa tentative de recréer et préserver la “mémoire collective” au sujet d’évènements ayant touché l’école, était une démarche utile.  Il n’y a rien d’inapproprié à ce que Mme Careen utilise ensuite cette information dans le cadre de son travail comme directrice de l’école.

[364]	Mais il y a un monde entre l’utilisation de ce genre d’information pour des fins administratives, et son utilisation pour faire preuve de son contenu dans un procès.

[365]	Dans la vie de tous les jours - fort heureusement! - les gens ne sont pas limités, dans leurs décisions, par les principes du droit de la preuve.  Ils prennent constamment des décisions sur la foi d’informations obtenues de d’autres personnes, sans nécessairement remonter à la source de l’information.  Mais le tribunal n’a pas cette liberté dans le cadre d’un procès.

[366]	Je conclus que la pièce “D” n’est pas recevable.

d.	La pièce “E”


[367]	La pièce “E” est un document qui inclut les réponses fournies par les élèves à un questionnaire que Mme Careen leur a distribué au début de l’année scolaire en 2009.  Mme Careen a expliqué dans son interrogatoire principal que quand elle a assumé la direction de l’école en 2009, elle a décidé de consulter les élèves pour savoir quel impact l’agrandissement de la Phase 1, et la perspective d’agrandissement de la Phase 2, avait eu sur la rétention des élèves.  Elle voulait aussi savoir à quels cours techniques les élèves étaient intéressés.

[368]	Elle a préparé un questionnaire qu’elle a distribué elle-même dans les salles de classes à tous les élèves de la 7e à la 11e année (cette année là il n’y avait pas d’élève en 12e année).  Elle a expliqué aux élèves le but de l’exercice, et leur a donné environ 30 minutes pour compléter le questionnaire individuellement.

[369]	Le questionnaire se lit comme suit:

Jeudi 24 septembre 2009

Chers élèves du secondaire,

L’APADY est devant les tribunaux pour avoir la Phase 2 de l’agrandissement de l’École Allain St-Cyr. C’est un travail ardu. Nous vous demandons votre aide afin de pouvoir faire avancer ce dossier si important.

Réponds aux questions suivantes:

1.	Est-ce que le fait que l’École Allain St-Cyr soit agrandie (aile secondaire) et qu’on attend un deuxième agrandissement (gymnase, salles de classe, et autres) vous a encouragé à rester à l’école?

2.	Si tu avais la chance de fréquenter le KCTC - Kimberlite Career and Technical Centre - quels cours est-ce que tu voudrais suivre?

Charpenterie (7e à 12e)				oui		non
Entraînement à l’industrie minière (9e à 12e)	oui		non
Génie et technologie - multi station lab (10e et 11e)	oui		non
Coiffure (7e à 12e)					oui		non
Lego Robotiques (6e à 9e)				oui		non

Merci bien!				Yvonne Careen, Présidente -APADY


[370]	La pièce “E” comporte 32 pages.  Les 5 premières pages sont une retranscription dactylographiée des réponses à la première question, et les autres pages sont des copies des formulaires complétés par les élèves.

[371]	Mme Careen a été contre-interrogée au sujet de son objectif en faisant remplir le questionnaire aux élèves.  Elle a expliqué qu’elle l’avait fait en tant que directrice de l’école, mais qu’elle avait aussi pris cette démarche au nom de l’APADY, et qu’elle l’avait fait ouvertement puisque son titre de présidente de l’APADY figurait au bas du questionnaire.

[372]	Elle a été contre-interrogée au sujet de la différence entre sa description de l’objectif dans son interrogatoire principal et cette description dans son contre-interrogatoire.  Pour les fins de la question de recevabilité du document, la différence n’est pas particulièrement pertinente, puisqu’elle a éventuellement reconnu avoir pris cette démarche au nom de l’APADY.

[373]	Contre-interrogée au sujet du préambule aux questions, Mme Careen a reconnu que ce préambule avait peut-être pu influencer 1 ou 2 étudiants, sans plus.  Il lui a été suggéré que le but du préambule était d’influencer les réponses des élèves, mais a maintenu que c’était simplement un préambule.  Elle a reconnu que les questions auraient pu être posées sans inclure le préambule sur le formulaire.

[374]	La recevabilité de la pièce “E” est régie par les mêmes principes que celles des autres éléments de preuve par ouï-dire dont j’ai déjà traité.

[375]	Le nombre d’élèves en cause ici est moindre que ce qui était le cas pour la pièce “D”, mais est quand même assez élevé.  Il est clair que certains d’entre eux sont toujours à Yellowknife, et les Demandeurs n’ont pas présenté de preuve pour établir qu’ils n’étaient pas disponibles ou disposés à témoigner au procès.  Les Demandeurs se fondent, ici encore, sur des considérations d’ordre pratique pour justifier la nécessité de permettre que les réponses des élèves soient reçues en preuve par voie de ouï-dire.

[376]	Je conclus, ici encore, que même si le critère de la nécessité était rencontré, celui de la fiabilité ne l’est pas.  Il est vrai que les réponses sont écrites de la main des élèves.  La preuve établit que ce sont leurs réponses aux questions.  Ici, la justesse des propos rapportés n’est pas remise en question.  Mais cela n’est pas nécessairement garant de la fiabilité du contenu des réponses.


[377]	Les élèves ont reçu ce questionnaire de la directrice de leur école. Le questionnaire est également signé par elle, en tant que présidente de l’APADY.  Le préambule fait spécifiquement référence au présent recours et demande l’aide des élèves “pour faire avancer” le dossier.

[378]	C’est un fait que malgré ce préambule, certains élèves ont fourni des réponses qui n’avancent pas la position des Demandeurs. Certains ont  répondu qu’ils seraient restés à l’école de toute façon et ne sont pas influencés par la possibilité d’agrandissement futur.  Une autre affirme carrément qu’elle n’aime pas l’école et va la quitter pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’absence de gymnase.

[379]	Il est donc clair que le préambule n’a pas influencé tous les répondants à mettre l’accent sur les infrastructures et répondre d’une manière qui allait aider l’APADY dans le recours judiciaire.

[380]	Mais chaque personne est différente.  Le fait que certains élèves n’aient pas été influencés ne veut pas dire qu’aucun ne l’a été.

[381]	À cause du contenu du préambule, je conclus que l’objectif principal de la  démarche, en ce qui concerne les questions portant sur la Phase 1 et la Phase 2, était  de recueillir de l’information pour renforcer la position que les Demandeurs dans ce recours, spécifiquement le lien de causalité entre la nature des infrastructures et la rétention des élèves.

[382]	La position d’autorité de Mme Careen vis à vis ces élèves, le préambule du questionnaire, et le fait que le questionnaire, à sa face même, n’était pas anonyme, sont des éléments qui contribuent à remettre en question la fiabilité des réponses données, même si elles sont écrites de la main des élèves.

[383]	J’en reviens ici au coeur de la question, et des raisons pour lesquelles la preuve par ouï-dire n’est généralement pas recevable, tels que résumées dans l’extrait de l’arrêt Khelawon, que j’ai cité plus haut au Paragraphe 302.  Si un ou plusieurs de ces élèves avaient témoigné au procès, les Défendeurs auraient pu leur poser des questions; leur demander si le préambule du questionnaire les a influencés; leur demander s’ils étaient complètement à l’aise de répondre avec franchise, connaissant l’engagement de leur directrice d’école dans ce litige.  Mais la présentation de cette information par voie de ouï-dire prive les Défendeurs de toute occasion de tester la preuve.  Et ce, je le rappelle, concernant un fait qui est vivement contesté par les Défendeurs.

[384]	Je conclus que la pièce “E” n’est pas recevable.  Les pièces “F” et “G”, qui concernent un sondage fait par la CSFTN-O auprès des parents et élèves des deux écoles francophones, ont été soulevées par le procureur des Défendeurs pendant le contre-interrogatoire de Mme Careen, parce qu’il voulait suggérer que les résultats n’étaient pas nécessairement cohérents avec le contenu de la pièce “E”.  Il y a eu très peu de preuve concernant le sondage de la CSFTN-O durant le procès.  Ayant déclaré la pièce “E” non recevable, et puisque la preuve n’a pas selon moi établi un fondement juridique pour que les pièces “F” et “G” soit déclarées recevables, je n’en ai pas tenu compte dans mes délibérations.

e. 	Usage qui peut être fait du document “Vision 20-20" (pièce # 11)

[385]	Le document Vision 20-20, dont M. Lavigne et d’autres témoins ont parlé, a été versé en preuve pendant le témoignage de Mme Montreuil, mais les parties ne s’entendent pas au sujet de l’usage qui peut en être fait dans le cadre de ce recours. Je rappelle que le document est le rapport préparé par un consultant qui a été engagé en 2003 par la CSFTN-O pour faire une analyse globale des besoins en éducation de la communauté francophone des TN-O, pour permettre à la CSFTN-O d’identifier des priorités et élaborer un plan stratégique.  Le rapport final fait état de consultations avec de nombreuses personnes, se réfère à l’histoire du développement du programme en français langue première dans les TN-O, et se réfère à des études menées par d’autres chercheurs sur des sujets pertinents à l’éducation en français dans les TN-O.

[386]	Les Demandeurs affirment que ce document est recevable pour prouver la véracité de l’ensemble de son contenu.  Les Défendeurs s’y opposent.

[387]	Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je vois mal comment ce document pourrait être utilisé pour la véracité de son contenu.  Le document a été mis en preuve pendant le témoignage de Mme Montreuil, en sa capacité de présidente de la CSFTN-O.  L’auteur du document, lui, n’a pas témoigné au procès.

[388]	Même si l’auteur avait témoigné, la grande majorité du contenu est un condensé d’opinions et de faits relatés par un grand nombre de personnes - y compris certaines personnes qui ont témoigné au procès, dont Mme Montreuil elle-même, mais incluant un éventail beaucoup plus large de personnes.  D’autres renseignements inclus dans le rapport viennent de documents et études préparés par d’autres personnes - comme l’étude faite par Angéline Martel - qui n’ont pas témoigné non plus.


[389]	Je ne répéterai pas ici ce dont j’ai déjà fait état dans mon analyse des principes qui régissent l’exception générale raisonnée à la non recevabilité du ouï-dire.  Mais à mon avis, la pièce #11 ne rencontre absolument pas les critères établis par la jurisprudence.  Je reconnais que vu l’ampleur du sujet et le nombre de personnes consultées dans le cadre de cette étude, certaines considérations d’ordre pratique pourraient donner certaines munitions aux Demandeurs pour rencontrer le critère de la nécessité.  Mais la preuve est nettement insuffisante pour établir le seuil de fiabilité nécessaire pour le rendre recevable.

[390]	Il est vrai que Mme Montreuil, M. Lavigne, et d’autres personnes qui ont témoigné au procès, font  partie des personnes consultées pendant le processus qui a mené à ce rapport, ainsi que dans le processus de rétroaction qui a été suivi avant que le rapport soit finalisé.  Mais sans le témoignage de l’auteur du document, la majeure partie de la preuve qui porte sur la fiabilité du document est elle-même une preuve par ouï-dire, car elle est venue de témoins qui n’en ont pas connaissance personnelle.

[391]	Je conclus donc que la pièce #11 ne peut pas, en vertu de nos règles de preuve, établir la véracité de son contenu.  Cela ne veut pas dire pour autant que le document n’est pas pertinent ou utile pour les fins du présent recours.  Le document a été communiqué au GTN-O, et explique en détails les assises sur lesquelles les revendications de la CSFTN-O sont fondées.  Les représentants de la CSFTN-O, et des Demandeurs dans le présent recours, y ont maintes fois fait référence dans leur correspondance et leurs discussions avec les représentants du GTN-O tout au long de ce processus.  Le document est donc recevable pour établir la connaissance, de la part des Défendeurs, des revendications des Demandeurs, et de leur fondement factuel et juridique.

f.	La pièce “C”


[392]	Durant le témoignage de M. Lavigne, les Demandeurs lui ont présenté la pièce “C”, un document de 55 pages intitulé “Affirmer l’éducation en français langue première  fondements et orientations”.  C’est un document élaboré par le gouvernement de l’Alberta qui fait état de son programme d’enseignement en français langue première,  Le document est de nature publique, pourrait être  recevable.  Sa pertinence est toutefois douteuse.  Le document établit la politique et l’approche suivie dans une autre juridiction au sujet de la mise en oeuvre de l’article 23.  Je ne vois pas en quoi l’approche préconisée en Alberta a une valeur probante quelconque dans la détermination des questions que je dois trancher dans ce recours.  Je n’ai donc pas tenu compte de la pièce “C” dans mes délibérations.

B. 	La preuve des Défendeurs

1. 	Résumé des témoignages

a. 	Brian Nagel

[393]	M. Nagel est un haut fonctionnaire du Ministère des travaux publics du GTN-O.  Il a au-dessus de 20 ans d’expérience de travail au sein de ce ministère.  Dans ses fonctions actuelles, il est responsable de plusieurs dossiers concernant la gestion des infrastructures immobilières du GTN-O.

[394]	Il a expliqué que le GTN-O est propriétaire de plusieurs infrastructures, y compris environ 670 infrastructures majeures (hôpitaux, aéroports, écoles, centres médicaux).  Dans le cadre de ses fonctions M. Nagel est responsable de la planification financière reliée à l’entretien et la réparation de ces édifices (ce programme s’appelle le “Deferred Maintenance Program”) Un tel programme est nécessaire parce que les besoins en entretien et réparations sont beaucoup plus grands que le budget qui peut y être consacré à chaque année.  Il doit donc y avoir une évaluation régulière et une priorisation de ces besoins.

[395]	M. Nagel est également responsable de la gestion du Plan capital (“Capital Plan”), et impliqué dans son développement.  Le plan identifie comment le budget que le gouvernement attribue aux projets en immobilisations sera utilisé.  Il est le fruit d’un processus qui inclut plusieurs étapes.

[396]	M. Nagel préside un comité, sur lequel tous les ministères sont représentés, qui examine toutes les demandes.  Les ministères fournissent un document justificatif à l’appui des projets qu’ils mettent de l’avant.

[397]	Puisque le budget en immobilisation n’est jamais suffisant pour inclure tous les projets dans le plan, des priorités doivent être établies.  Cette exercice de priorisation se fait à l’aide d’une série de critères, appelés filtres primaires et secondaires.  La pièce #78 énumère et définit ces critères.  M. Nagel les a expliqués et donné des exemples de leur application.  Il a d’ailleurs participé à leur élaboration.


[398]	Le comité présidé par M. Nagel évalue chaque projet à la lumière de ces critères et lui attribue une cote.  C’est ainsi que sont identifiés les projets qui ont le plus haut taux de priorité.  Ce sont ceux-là qui sont inclus dans l’ébauche de plan qui est préparée par son comité.

[399]	Cette ébauche est étudiée par un autre comité (“Deputy Minister Steering Committee), celui-là présidé par le sous-ministre des Finances.  Tous les sous-ministres de ministères qui sont responsables d’immeubles siègent sur ce comité.  Le comité révise l’ébauche de plan, et le renvoie, avec des recommandations et des approbations, au comité  présidé par M. Nagel. L’ébauche de plan est alors révisée à la lumière des recommandations faites par les sous-ministres.  Le plan révisé est soumis à nouveau au comité des sous-ministres, qui le transmet ensuite au Ministère des Finances.  Le plan est ensuite soumis au Conseil du trésor du GTN-O (le “Financial Management Board”).  Ultimement, il doit être approuvé par l’Assemblée Législative.

[400]	La pièce #79 est le Plan capital pour l’année 2011-2012.  Ce document contient les détails des projets en immobilisation qui ont été approuvés.  Les pages 8-1 à 8-8 concernent les projets qui sont du ressort du Ministère de l’Éducation.  La liste comprend des projets d’envergures variées.  Par exemple, un projet concernant les deux écoles d’Inuvik se chiffre à 115 millions de dollars; un autre, concernant une école de Hay River, se chiffre à 29 millions de dollars; d’autres, comme le remplacement du plancher du gymnase dans une autre école, se chiffre à $400,000.

[401]	M. Nagel a expliqué que plusieurs projets présentés dans le processus qui a mené au plan de 2011-2012 n’ont pas été retenus.  La valeur totale des projets examinés par son comité était d’environ 220 millions de dollars.  L’inclusion ou la non inclusion d’un projet dépend de la priorité qui lui est ultimement attribuée, en fonction des filtres primaires et secondaires.

[402]	M. Nagel a parlé de certains projets qui avaient été soumis pour 2011-2012, mais qui n’ont pas été retenus.  Entre autres, il y avait deux projets concernant des écoles de Yellowknife, soient l’École Sissons et l’ÉASC.


[403]	M. Nagel a dit que selon lui, la construction d’un gymnase à l’ÉASC est un projet qui se chiffrerait à environ 11 millions de dollars.  Il a expliqué que la seule façon de l’absorber dans le cadre actuel du budget en immobilisation serait d’éliminer un autre projet.

[404]	En contre-interrogatoire, M. Nagel a été questionné au sujet de la cote de priorité qu’a  reçue le projet concernant l’ÉASC quand il a été étudié par le comité.  Au niveau des filtres primaires, il a dit que ce projet était dans la catégorie #5, “Program Need of Requirement” et la catégorie #4 “Financial Investment”.  Dans le cadre de la catégorie #4, la contribution d’une tierce partie (le gouvernement fédéral, par exemple) est un facteur qui augmente la cote de priorité.

[405]	Le procureur des Demandeurs a posé beaucoup de questions à M. Nagel au sujet des cotes de priorités que son comité avait attribuées à divers projets concernant des écoles des TN-O par les années passées.  Il lui a aussi posé des questions au sujet des budgets associés à ces projets.  M. Nagel n’a pas pu répondre à ces questions car il ne se souvenait pas des détails de chacun de ces projets.  À mon avis ce n’est pas surprenant.

[406]	Le procureur des Demandeurs a présenté à M. Nagel des extraits des 3 derniers Plans capitaux du gouvernement montrant la liste de projets relatifs au Ministère de l’Éducation inclus dans chacun d’eux (pièce #80).  Les montants budgétés pour ces projets sont beaucoup plus élevés dans les plans de 2009-2010 et de 2010-2011 que dans celui de 2011-2012.

[407]	M. Nagel a dit que pour chaque projet soumis au comité, le Ministère qui le présente prépare un document intitulé “project substantiation sheet” qui explique le projet, et pourquoi il devrait être approuvé.  Il est certain qu’il y en aurait eu un  pour le projet concernant l’ÉASC mais n’avait pas le document avec lui au moment de son témoignage.  Il ne se souvenait pas si le document faisait référence aux obligations constitutionnelles du gouvernement concernant le droit à l’éducation.

[408]	M. Nagel a aussi reconnu que les filtres primaires et secondaires ne contiennent aucun critère qui élève la cote d’un projet qui concerne un  programme d’enseignement en langue minoritaire.

[409]	J’estime que le témoignage de M. Nagel est fiable et digne de foi.  Je pense que son incapacité à répondre à certaines questions concernant les détails de projets passés est compréhensible, considérant le nombre de projets que son comité est appelé à réviser chaque année.


b. 	Margaret Melhorne

[410]	Mme Melhorne était, au moment du procès, sous-ministre des Finances et secrétaire du Conseil du trésor, et occupait ce poste depuis 2 ans.  Elle avait précédemment occupé d’autres postes au Ministère des Finances. Elle y travaillé au- dessus de 20 ans.

[411]	Mme Melhorne a témoigné au sujet de la situation financière du GTN-O, et plus particulièrement, de l’impact qu’a eu la crise économique de 2008.  Au début de la crise, le gouvernement avait prévu, pour l’année 2009, une réduction considérable de l’activité économique dans le secteur privé, et conséquemment, une diminution des revenus du gouvernement découlant de l’impôt payé par les compagnies.  Cette prévision s’est avérée exacte.

[412]	Mme Melhorne a expliqué que la réponse du GTN-O à la crise a été, entre autres, de faire des investissements considérables dans des projets d’infrastructures, pour contrecarrer l’impact de la baisse de telles activités dans le secteur privé.  Le gouvernement fédéral avait d’ailleurs, pour relancer l’économie, rendu disponible des sommes importantes pour les projets en infrastructures.

[413]	Ainsi, en 2009, le budget des projets capitaux du GTN-O a été d’environ 425 millions de dollars, et en 2010, de 220 millions de dollars (ces chiffres n’incluent pas le budget de la société du logement (“Housing Corporation”), qui est géré séparément).  Selon Mme Melhorne, le tiers des budgets de ces projets est venu du gouvernement fédéral.  Ces dépenses en capitaux étaient de loin supérieures à celles des années antérieures.  Mme Melhorne a parlé de façon générale de certains des domaines où les argents ont été dépensés.

[414]	Mme Melhorne a aussi parlé des intentions du gouvernement pour l’avenir au niveau de ses dépenses en capitaux.  Elle a expliqué que la stratégie du GTN-O d’augmenter son budget à ce niveau était en réponse à la situation économique mais ne pouvait pas être maintenue sur une longue période.  Au moment du procès le Plan Capital qui venait d’être approuvé se chiffrait à 126 millions de dollars. L’intention du  gouvernement est de compléter les projets en cours et de revenir à un budget en projets capitaux de 75 millions de dollars par année.

[415]	Mme Melhorne a expliqué que le GTN-O n’avait pas beaucoup de flexibilité pour augmenter ses dépenses parce qu’il ne prévoit pas une augmentation de revenus à court terme, et estime que dans le contexte économique actuel, une augmentation des impôts ne serait pas une bonne stratégie.  Le gouvernement peut faire un emprunt, mais a des contraintes à cet égard,  puisqu’il a une limite d’emprunt qui est fixée par le gouvernement fédéral.  La pièce #81 est un document préparé par Mme Melhorne qui explique la situation et ses projections concernant la limite d’emprunt et où le GTN-O se situe.

[416]	Mme Melhorne a aussi précisé qu’il y a beaucoup de besoins en infrastructures dans les TN-O à l’heure actuelle qui ne sont pas comblés, faute de budget.

[417]	En contre-interrogatoire, Mme Melhorne a été questionnée sur certains aspects du Plan capital 2011-2012.  Elle a reconnu qu’il inclut des dépenses en éducation de 126 millions de dollars.

[418]	Elle a aussi confirmé que 80% du budget du GTN-O vient de paiements de transferts du gouvernement fédéral.  Par conséquent, les fluctuations reliées à la diminution des impôts prélevés des corporations, par exemple, n’affectent que 20% du budget total du gouvernement.

[419]	Le procureur des Demandeurs a aussi présenté à Mme Melhorne la retranscription d’un discours fait par le Ministre des Finances dans le cadre des travaux de l’Assemblée Législative (pièce #82).  Ce discours a été fait en 2010, le lendemain de la présentation du Plan capital 2011-2012.  Le Ministre fait état de prévisions de croissance économique pour les années 2010 et 2011, parle de signes encourageants au niveau de la reprise économique.  Il fait état des investissements que le GTN-O a faits en matière d’infrastructures.  Il fait aussi état du fait que la situation de l’économie mondiale demeure incertaine et que le gouvernement devra faire preuve de discipline dans la gestion de ses dépenses.  À mon avis, il y a cohérence entre les remarques du Ministre et le témoignage de Mme Melhorne sur ces sujets.

[420]	J’estime que Mme Melhorne est un témoin crédible et digne de foi.


c.	Metro Huculak

[421]	M. Huculak était au moment du procès le directeur de la Commission scolaire YK#1, et occupait ce poste depuis 6 ans.  Il a passé une partie de sa carrière en enseignement en Alberta, où il a aussi occupé des postes de direction d’école et de direction de commission scolaire.

[422]	L’École William MacDonald est une des écoles de la Commission scolaire YK#1.  M. Huculak a parlé de son achalandage au cours des dernières années.  Il a expliqué qu’au moment du procès, eu égard au nombre d’élèves qui la fréquentent, près de la moitié du temps d’utilisation du gymnase  (20 périodes sur 48, sur un cycle de 6 jours), pourrait être utilisé par l’ÉASC.  Il a dit avoir fait cette offre à la CSFTN-O mais que l’offre n’a pas été acceptée complètement, parce que la direction de l’ÉASC voulait conserver son temps au Multiplex.

[423]	M. Huculak a expliqué que l’École William MacDonald a une salle pour les arts, une salle de musique, une salle pour les arts ménagers et une salle pour les arts industriels.  Ces installations sont parfois utilisées par les élèves de d’autres écoles si leurs écoles n’ont pas de salles spécialisées.  L’accès à ces salles a été offert à la CSFTN-O.

[424]	Pour l’accès au gymnase pour les activités parascolaires, M. Huculak a dit avoir demandé à sa directrice de rencontrer la directrice de l’ÉASC, et d’impliquer les professeurs d’éducation physique, pour arriver à un partage équitable du temps disponible.  Il a confirmé qu’il y avait eu une intervention de sa commission scolaire, suite à une plainte de la CSFTN-O au sujet des temps qui avaient été offerts à l’ÉASC.  Il s’est dit prêt à intervenir à nouveau si la CSFTN-O n’était pas satisfaite des arrangements.

[425]	M. Huculak a aussi parlé des besoins en infrastructure de certaines des écoles qui sont sous sa juridiction.  Il a expliqué qu’il reste des travaux à faire à l’école Mildred Hall, et que l’École Sissons, qui est la plus vieille de Yellowknife, a besoin d’être rénovée.  Il a confirmé que le Ministère de l’Éducation a demandé du financement pour l’École Sissons dans le cadre du développement du Plan capital 2011-2012, mais le projet n’a pas été approuvé.

[426]	M. Huculak a parlé de l’École Kalemi à N’Dilo, qui a une capacité de 125 élèves.  L’école n’a ni  gymnase, ni salle de musique, ni salle pour les arts industriels.


[427]	M. Huculak a parlé de l’utilisation que font les écoles de sa commission scolaire du Multiplex.  Les écoles qui ont des élèves de la maternelle à La 8e année l’utilisent de façon complémentaire pour un programme spécifique (“Athletic Excellence Program”), qui vise à permettre à tous les élèves de pratiquer certaines activités comme le hockey, le soccer, la gymnastique, et le patinage de vitesse.

[428]	Le procureur des Défendeurs a posé des questions à M. Huculak au sujet de son expérience en Alberta, plus précisément ses observations concernant les problèmes de rétention qui existaient à une école relativement petite (elle avait 97 élèves aux niveaux de 11e, 11e et 12e année).  M.  Huculak y a travaillé pendant un an et a dit qu’il y avait un problème de rétention à cette école. Plusieurs élèves la quittaient pour aller à une autre école secondaire, beaucoup plus grosse, qui avait de 700 à 800 élèves.

[429]	Le procureur des Demandeurs s’est objecté à ce que M. Huculak exprime son opinion, en tant que témoin ordinaire, concernant la raison des départs de ces écoles.  J’ai rejeté l’objection et lui ai permis d’exprimer une telle opinion, pour les mêmes motifs qui m’ont amenée à permettre à M. Deschênes et M. Gravel d’émettre leur opinion sur le même sujet.  M. Huculak a dit que la raison principale était que ces élèves voulaient avoir accès au plus grand éventail d’activités qui leur seraient disponibles dans une plus grande école, et avaient plusieurs amis qui allaient à la plus grande école.

[430]	Le procureur des Défendeurs a aussi demandé à M. Huculak de témoigner au sujet de choses que lui auraient dites les élèves qui quittaient les écoles où il a travaillé en Alberta, concernant les raisons de leur départ.  Les Défendeurs affirmaient que, si je devais déclarer recevable la preuve par ouï-dire concernant les raisons évoquées par les élèves dans le cas de l’ÉASC, je devrais également déclarer recevables les propos rapportés par M. Huculak.  Puisque j’ai déclaré la preuve des Demandeurs non recevable, et qu’à mon avis les mêmes principes sont tout autant applicables aux commentaires rapportés par M. Huculak, je déclare cet aspect de son témoignage non recevable également.

[431]	En contre-interrogatoire, M. Huculak a reconnu que toute les écoles de sa commission scolaire ont un gymnase, et n’utilisent donc le Multiplex que pour des activités complémentaires.

[432]	Il a expliqué qu’une des raisons pour lesquelles sa commission scolaire ne pouvait pas s’engager, en 2010, à partager ses espaces au-delà d’une année était l’éventualité que le projet de rénovation de l’École Sissons procède.  Si ce projet avait été approuvé, les élèves de cette école auraient dû utiliser un autre établissement pendant les rénovations, et la commission scolaire devait se garder une flexibilité dans l’utilisation de ses espaces.  Puisque le projet n’a pas été approuvé, il a dit  que la commission scolaire pourrait maintenant engager l’utilisation de ses espaces pour une période plus longue qu’une seule année.

[433]	M. Huculak n’avait pas connaissance du premier protocole d’entente au sujet du partage des espaces entre l’ÉASC et l’École William MacDonald (pièce #31).  Il n’avait jamais vu ce document avant le procès.  Mais il était au courant de l’entente signée de août 2005 concernant l’utilisation par l’ÉASC de certains espaces à l’École William MacDonald.

[434]	M. Huculak a reconnu que l’École William MacDonald est une école qui a été identifiée comme ayant besoin de rénovations.  Il a confirmé que si cela devait se produire ses élèves devraient nécessairement aller à une autre école pendant les rénovations.  Il a reconnu qu’il n’y a pas de professeur à l’École William MacDonald qui peut enseigner les arts industriels et les arts ménagers en français.  Mais en ré-interrogatoire il a dit que si l’ÉASC avait un professeur disponible pour donner les cours en français, les espaces pourraient leur être disponibles pour enseigner ces cours.

[435]	M. Huculak a reconnu que de façon générale, la priorité de sa commission scolaire est d’assurer les services à ses propres élèves. Il a aussi reconnu que les horaires d’une école sont faits par la direction, mais a ajouté que la commission scolaire peut, en cas de besoin, donner certaines directives à son personnel de direction.

[436]	J’estime que M. Huculak est un témoin crédible et digne de foi. Il m’a semblé sincère quand il décrivait sa façon d’envisager le partage d’espace des écoles de sa commission scolaire avec d’autres écoles, et j’accepte son témoignage qu’il est disposé à coopérer avec les autres commissions scolaires.


d. 	Angela James

[437]	Mme James est la directrice de l’école Kalemi Dene à N’Dilo.  Cette école a ouvert ses portes en 1998 et avait à l’origine 15 élèves. En 2010, elle en comptait 100, de la maternelle à la 12e année.

[438]	L’édifice qui abrite l’école actuelle a été construit très récemment.  Mme James croit que le coût de la construction s’est élevé à environ 9 millions de dollars.  Auparavant, l’école était située dans des vieilles classes portatives, les mêmes d’ailleurs qui avaient été utilisées par l’ÉASC.

[439]	L’école est située au centre de N’Dilo. Cette communauté est située sur l’extrémité nord de Latham Island, qui est elle-même dans les limites de la ville de Yellowknife. Comme l’a dit Mme James, il faut une dizaine de minutes, au plus, pour se rendre en voiture de l’école Kalemi Dene au centre-ville de Yellowknife.

[440]	Mme James a décrit les lieux physiques de l’école.  Elle n’a pas de gymnase. Les élèves utilisent le gymnase communautaire qui est près de l’école.  Ils y ont accès à tous les après-midi et certaines matinées si il n’est pas utilisé par d’autres usagers.  Ils n’ont pas de laboratoire de sciences, et Mme James a dit que pour l’instant le besoin n’est pas encore pressant, mais augmentera quand l’école développera ses niveaux supérieurs au secondaire.  L’école n’a pas de bibliothèque attitrée mais les livres sont conservés dans une des salles de classe et selon elle, cela fonctionne bien.

[441]	Mme James a expliqué que les classes à niveaux multiples présentent de grands avantages à son école.  Plusieurs élèves arrivent en maternelle avec certains manques et déficits, notamment au niveau du langage et la croissance, et ils progressent plus lentement.  Elle a expliqué que pour ces élèves il est avantageux de passer plusieurs années avec le même professeur.  Elle a aussi expliqué que l’école choisit de ne pas mettre l’accent sur les niveaux, et ce qui  évite de mettre de la pression sur les élèves.  Les élèves travaillent et progressent à leur rythme, selon le niveau où ils sont rendus, et elle considère que cela fonctionne mieux.

[442]	Mme James a parlé des défis particuliers auxquels sont confrontés plusieurs des élèves qui vont à son école.  Plusieurs d’entre eux doivent surmonter toutes sortes de difficultés, parfois des situations difficiles à la maison, et divers traumatismes. Mme James est très fière de son école et de son personnel, et avec raison.  En juin 2010, l’école a eu ses 4 premiers gradués de 12e année.


[443]	Mme James n’a pas été contre-interrogée par le procureur des Demandeurs. J’estime son témoignage crédible et digne de foi.

e.	David Dolson

[444]	M. Dolson est un employé de Statistiques Canada depuis 32 ans.  Depuis 12 ans, il travaille sur le recensement qui est mené par le gouvernement fédéral à tous les 4 ans.  Il a expliqué la méthodologie suivie par Statistiques Canada lors du recensement de 2006, le plus récent au moment du procès.  Il a expliqué certaines différences entre la méthodologie utilisée en 2006 et celle utilisée lors des deux recensements précédents, en 1996 et en 2001.

[445]	Deux formulaires sont utilisés pour le recensement; un formulaire long et un formulaire abrégé.  Le formulaire abrégé ne contient qu’une seule question concernant la langue (cette question demande d’identifier la langue apprise en premier lieu, et encore comprise).  Le formulaire long pose plus de questions au sujet de la langue (par exemple, la langue le plus souvent parlée à la maison), et au sujet des origines culturelles et ancestrales.

[446]	Lors du recensement de 2006, dans la ville de Yellowknife, le formulaire abrégé a été utilisé pour 80% des résidents, et le formulaire long a été utilisé pour 20% des résidents.

[447]	La pièce #158 montre les résultat des recensements de 1996, 2001 et 2006 en ce qui concerne le nombre d’enfants qui avaient au moins un parent dont le français est la langue maternelle.  Le document identifie également combien de ces enfants sont d’âges scolaires.  Pour la ville de Yellowknife, les résultats sont les suivants: en 1996, un total de 380 enfants, dont 285 d’âge scolaire; en 2001, un total de 355 enfants, dont 270 d’âge scolaire; et en 2006, un total de 295 enfants, dont 245 d’âge scolaire.


[448]	M. Dolson a expliqué que les résultats du recensement sont arrondis de façon aléatoire (d’où le fait que tous les  chiffres rapportés  dans les résultats finissent par “0" ou “5").  Il a aussi  reconnu que la fiabilité des résultats est moins grande quand l’échantillon de personnes sondées est petit.  Mais il a expliqué que Statistiques Canada tient compte de ce fait en calculant la marge d’erreur attribuée aux résultats.  Pour les résultats des données de 2006, il a expliqué que la marge d’erreur est de “plus ou moins 80, dans 19 cas sur 20", ce qui est une assez grande marge d’erreur.

[449]	Le contre-interrogatoire de M. Dolson a été relativement bref, et ni la crédibilité ni la fiabilité de son témoignage n’ont été remis en question.  Il a présenté les résultats du recensement et en a expliqué la méthodologie générale au meilleur de ses connaissances.  Je considère son témoignage fiable et digne de foi.

f.	Vishni Perris

[450]	Mme Perris travaille pour le Bureau des statistiques des TN-O.  Durant son témoignage, un  document  a  été  versé en preuve (pièce #163), qui dresse une liste d’ “indicateurs sociaux”, pour le Canada et les TN-O.  Les “indicateurs sociaux” incluent, par exemple, le taux de graduation, le taux de mortalité infantile, la proportion des personnes qui fument, le taux de crime violents.  Selon les données rapportées dans ce document, le pourcentage des personnes de 18 ans et plus qui ont gradué du secondaire aux TN-O est inférieur au pourcentage canadien.  D’autres indicateurs suggèrent que certains problèmes sociaux sont plus aigus dans les TN-O que dans le reste du Canada (par exemple, le taux de crimes violents est beaucoup plus élevé, ainsi que le taux de mortalité relié aux homicides, suicides et accidents).

[451]	Les Défendeurs ont voulu verser un autre document en preuve durant le témoignage de Mme Perris (la pièce “Z”). Les Demandeurs contestent la recevabilité de ce document.  J’en traite plus loin, avec les autres questions ayant trait à la recevabilité d’éléments de preuve présentés par les Défendeurs.

[452]	Le témoignage de Mme Perris n’est pas particulièrement controversé, et j’estime qu’elle est un témoin crédible et fiable.

g.	Paul Devitt

[453]	M. Devitt est un haut fonctionnaire du Ministère de l’Éducation. Il est à l’emploi de ce ministère depuis plus de 20 ans.  Dans ses fonctions actuelles, il est responsable des services corporatifs du Ministère, ce qui inclut la gestion des finances, des politiques, et la planification des infrastructures.


[454]	M. Devitt a parlé du processus qui a mené à la construction de l’ÉASC.  Il a dit que quand l’école a été construite, le gouvernement n’avait pas l’intention de procéder, à court terme, à un agrandissement.  Il a expliqué que par souci d’efficacité, dans la planification de construction de nouveaux édifices, son Ministère envisage généralement qu’une nouvelle école comblera les besoins pour une période d’au moins 10 ans.

[455]	Selon M. Devitt, la capacité de l’école lors de son ouverture était de 132 élèves.  Ce chiffre tient compte du fait que l’école avait 6 salles de classe, chacune pouvant accueillir 22 élèves.  Il a aussi confirmé que selon les standards utilisés par le Ministère, une école accueillant ce nombre d’élèves n’a pas droit à un gymnase, ni autres espaces spécialisés.  Il était donc prévu que les élèves de l’ÉASC utiliseraient le gymnase et certaines autres infrastructures à l’extérieur de leur école.

[456]	M. Devitt a parlé des standards qui donnent au Ministère les lignes directrices au sujet des espaces scolaires.  Ceux qui sont  actuellement en vigueur ont été adoptés en juillet 2005 (pièce #162) et ont changé certaines choses.  Selon les standards actuels, une école qui accueille 150 élèves, a droit à un gymnase de 550 mètres carrés.

[457]	M. Devitt a expliqué qu’au moment où l’ÉASC a été construite, sa superficie totale était plus grande que ce que prévoyaient les standards du gouvernement, à cause de la contribution financière du gouvernement fédéral.  Selon lui la commission scolaire francophone a été impliquée tout au long du processus de planification pour la construction de l’école.

[458]	M. Devitt a également parlé de la formule de financement utilisée par le gouvernement pour établir le budget attribué pour les professeurs dans les écoles. La pièce #185 fait état des ratios professeurs-élèves pour chacune des commissions scolaires des TN-O.  M. Devitt a expliqué que le ratio professeur-élèves de la CSFTN-O est plus avantageux que celui des autres commissions scolaires, et que ceci  est dû au fait que le gouvernement fédéral fournit du financement pour l’enseignement en milieu minoritaire.  La pièce #186 compare les ratios professeurs-élèves de l’ÉASC et celui des écoles d’une des autres commissions scolaires de Yellowknife.  Le ratio de l’ÉASC est plus avantageux.


[459]	M. Devitt a également témoigné au sujet de l’achalandage dans diverses écoles.  La pièce #188 indique le taux d’occupation dans les écoles de Yellowknife sur plusieurs années.  Pour les deux dernières années qui figurent au tableau, (2005-2006 et 2006-2007), le taux d’occupation de l’ÉASC était inférieur à celui de plusieurs écoles, dont l’École Sir John Franklin et l’École St-Patrick.  Le taux d’occupation actuel de l’École Sir John Franklin, notamment, est très élevé.

[460]	M. Devitt a confirmé que le Ministère de l’Éducation avait mis de l’avant le projet d’agrandissement de la Phase 2 dans le processus de développement du Plan capital 2011-2012, mais le projet n’a pas été retenu par le comité qui fait la priorisation des projets.  Il ne figure donc pas actuellement dans le Plan capital du GTN-O.

[461]	En contre-interrogatoire, M. Devitt a reconnu que le Ministère de l’Éducation n’a pas fait d’études ou de recherches pour établir le nombre d’ayants droit dans les TN-O.

[462]	Il a reconnu que fondamentalement, les standards utilisés dans l’attribution des espaces pour les écoles sont basés sur les nombres.  Ainsi, le droit à des espaces spécialisés tels un gymnase, une salle de musique, une salle pour les arts industriels, dépend des projections au sujet du nombre d’élèves qui fréquenteront l’école.  M. Devitt a confirmé que les standards sont des lignes directrices, et que le Ministre de l’Éducation peut décider d’aller au-delà de ce qu’ils permettent.  Il a précisé qu’à sa connaissance, le Ministre n’a jamais accordé une telle permission.

[463]	M. Devitt a été questionné au sujet du processus qui a mené aux changements dans les standards en 2005, notamment sur l’augmentation du seuil requis pour qu’une école ait droit à un gymnase.  Il a expliqué que le Ministère avait fait des recherches, examiné ce qui se faisait dans d’autres juridictions, et éventuellement développé des nouveaux standards et une nouvelle approche dans l’attribution des espaces scolaires.  Le procureur des Demandeurs lui a demandé si les gens qui ont développé les nouveaux standards avaient tenu compte de l’article 23 de la Charte en les établissant.  M. Devitt a répondu qu’ils avaient tenu compte des besoins de tous les étudiants. Le procureur lui a alors demandé s’ils avaient tenu compte des obligations juridiques du gouvernement en vertu de l’article 23 et M. Devitt a dit qu’il n’avait pas de réponse différente à donner que celle donnée à la question précédente.  Il a réitéré que les standards du Ministère s’appliquent uniformément à toutes les écoles des TN-O.


[464]	M. Devitt a reconnu que les deux écoles francophones des TN-O sont les seules à partager un gymnase avec une autre école, mais a souligné que plusieurs écoles utilisent un gymnase qui est aussi utilisé par la communauté.  Il a aussi reconnu que plusieurs des petites communautés des TN-O ont un gymnase qui est souvent un gymnase communautaire annexé à l’école.

[465]	M. Devitt a reconnu que de façon générale, le coût de l’instruction par élève est plus élevé dans les petites écoles des TN-O que dans les grandes, et que cette réalité n’est pas propre aux écoles francophones minoritaires.

[466]	M. Devitt a expliqué que le Ministère a la capacité technique de recueillir des données au sujet des élèves qui s’inscrivent dans les écoles des TN-O.  Présentement le Ministère, par exemple, recueille l’information à savoir si les élèves sont autochtones ou non autochtones.  Il a reconnu qu’il serait possible de  recueillir d’autres données, par exemple, si un élève a des ancêtres francophones.

[467]	 Concernant la Phase 2, M. Devitt a dit que les négociations se poursuivent avec le gouvernement fédéral.  Il a expliqué que le projet qui fait l’objet de négociations actuellement coûterait environ 11 millions de dollars.  Dans le projet présenté pour les fins du Plan capital 2011-2012, la contribution du gouvernement fédéral s’élevait à 3 millions de dollars.	

[468]	Le procureur des Demandeurs a voulu poser des questions à M. Devitt au sujet des détails de l’état des négociations qui sont en cours avec le gouvernement fédéral au sujet de la Phase 2.  Les Défendeurs se sont objectés à ces questions pour protéger la confidentialité des négociations, et j’ai maintenu cette objection.  Mais j’ai permis que soient posées certaines questions d’ordre général.  M. Devitt a dit que le GTN-O cherche à obtenir du gouvernement fédéral une contribution pour environ 50% du coût des travaux.  Il a dit que ce sont des contributions de cet ordre que le GTN-O avait cherché à obtenir par le passé.  Il estime que les négociations progressent et ne sont pas une perte de temps.

[469]	M. Devitt a confirmé que la position du Ministère est que l’ÉASC est suffisamment grande pour répondre aux besoins de ses élèves à l’heure actuelle, mais que le Ministère va quand même continuer à négocier avec le gouvernement fédéral en vue de procéder, éventuellement, à des travaux d’agrandissement.


[470]	M. Devitt a été questionné sur la façon dont le Ministère calcule la capacité de l’ÉASC.  Il a dit que le Ministère ne tenait pas compte de l’espace qui avait été créé à l’origine pour la garderie, ni de certains espaces communautaires.  Mais il a précisé que les calculs du Ministère quant à la capacité de l’école et de la superficie des espaces scolaires ne sont pas reliés aux détails du financement de la construction.  Selon lui, le processus est le suivant: le financement du  gouvernement fédéral est négocié, en tenant compte des espaces qui auront une vocation communautaire, en tout ou en partie; une fois le budget établi, la planification concernant l’étendue du projet est faite en fonction du budget total. Le financement fédéral n’est cependant pas assorti de conditions quant à l’utilisation éventuelle des espaces.

[471]	M. Devitt a confirmé que le GTN-O n’est ni propriétaire du Multiplex, ni propriétaire des écoles des deux autres commissions scolaires de Yellowknife.

[472]	M. Devitt a aussi été contre-interrogé au sujet de la relation contractuelle qui existe entre le Ministère de l’Éducation et Donald Kindt, que les Défendeurs ont appelé comme témoin expert.  M. Devitt a confirmé que les services de M. Kindt sont retenus de façon régulière dans le processus de planification d’espaces scolaires, et que le GTN-O a, depuis plusieurs années, une entente de service avec lui.

[473]	Comme j’en ai fait état en résumant la preuve présentée par les Demandeurs, ils ont déposé divers extraits de l’interrogatoire au préalable de M. Devitt.  Aucune incohérence n’a été soulevée entre ses réponses au procès et ses réponses lors de l’interrogatoire au préalable.  Le contre-interrogatoire a permis de clarifier certaines choses concernant la position des Défendeurs, mais, sur la plupart des domaines dont a parlé M. Devitt, n’ont pas, à mon sens, remis en question sa crédibilité.

[474]	Comme ce fut le cas pour plusieurs autres témoins, les questions posées à M. Devitt portaient sur ce recours juridique, mais aussi sur le  recours  CV2008000133. Ce recours porte sur la suffisance des infrastructures à l’École Boréale de Hay River, mais aussi sur la validité d’une directive ministérielle, adoptée en juillet 2008, qui régit l’accessibilité au programme d’enseignement en français.  Dans mes motifs de décision concernant ce recours, je fais état de mes réserves au sujet du témoignage de M. Devitt concernant les circonstances qui ont mené à l’adoption de cette directive.  Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest, supra, paras 493-497.

[475]	J’ai tenu compte de ces réserves dans mon évaluation de la crédibilité et la fiabilité du témoignage de M. Devitt en général.  J’en arrive à la conclusion que de façon générale, son témoignage concernant les faits pertinents à ce recours est crédible et fiable.  D’ailleurs, plusieurs aspects de son témoignage sont appuyés par des documents qui ont été versés en preuve.


h.	Janet Grinsted

[476]	Mme Grinsted est la directrice des opérations et du développement en matière d’éducation, au Ministère de l’Éducation, depuis 2001.  Avant cela, elle occupait un poste dans une division du Ministère qui s’occupait de politiques et de planification.  Dans le cadre de ses fonctions actuelles, entre autres choses, elle compile de l’information reçue des commissions scolaires concernant la performance académique des élèves.

[477]	Selon elle, la performance académique des élèves de l’ÉASC est très bonne. Les élèves de cette école qui fonctionnent au niveau qui correspond à leur âge dans une proportion plus élevée que les élèves des autres écoles de Yellowknife.

[478]	M. Grinsted a aussi été interrogée au sujet de discussions qui avaient eu lieu entre son ministère et la CSFTN-O, à l’automne 2010, au sujet de la possibilité d’obtenir certaines données au moment de l’inscription des élèves.  Le Ministère proposait de poser certaines questions au moment de l’inscription pour identifier les élèves visés par l’article 23.  La pièce #203 inclut les questions que le Ministère proposait de poser, et la réponse de la CSFTN-O.  Dans cette réponse, le directeur général de la CSFTN-O, Philippe Brûlot, explique que la commission scolaire considère que les questions sont trop limitées, et que la commission scolaire ne participera pas à une collecte d’information à moins que l’éventail des questions posées soit  plus large.  Le courriel de M. Brûlot donne plusieurs exemples de questions que la CSFTN-O voudrait voir incluses dans le questionnaire.

[479]	Le contre-interrogatoire de Mme Grinsted a surtout porté sur des questions concernant la directive ministérielle de juillet 2008, et les demandes de permissions d’inscription qui ont été présentées suite à son adoption.  Ces aspects de son témoignage concernent l’autre recours, et je n’en traiterai pas ici.

[480]	En ce  qui concerne  son témoignage sur les sujets qui sont pertinents au présent recours, il n’y a rien dans le contre-interrogatoire de Mme Grinsted, ni dans son témoignage en général, qui a ébranlé sa crédibilité.  J’estime que le témoignage de Mme Grinsted est crédible et fiable.




i.	Donald Kindt

[481]	M. Kindt habite dans les TN-O depuis plus de 30 ans et a fait sa carrière dans le domaine de l’éducation, d’abord comme enseignant, puis au sein du Ministère de l’Éducation, et ensuite comme gestionnaire pour une des commissions scolaires anglophones de Yellowknife.

[482]	Depuis plus de 10 ans, il est consultant dans le domaine de l’éducation, et a fait beaucoup de travail en matière de planification d’infrastructures scolaires.  Il a notamment travaillé à l’élaboration des plans pour l’École St-Patrick.  Il ne fait aucun doute que M. Kindt a une expérience considérable dans la planification d’infrastructures scolaires et des standards applicables dans les TN-O.

[483]	Les Défendeurs ont voulu faire qualifier M. Kindt comme témoin expert pour donner son opinion sur quatre sujets: (1) la suffisance des installations actuelles de l’ÉASC pour l’enseignement maintenant et pour les prochains 4-5 ans; (2) une comparaison, au point de vue des infrastructures, entre l’ÉASC et les écoles de grandeur semblable dans les TN-O ainsi que des écoles minoritaires à l’extérieur des TN-O; (3) le bien-fondé d’avoir les niveaux primaires et secondaires dans la même école, et dans quelle mesure cette pratique existe dans les TN-O et ailleurs au Canada, et; (4) les causes des départs d’élèves des écoles de la minorité francophone vers les écoles anglophones, et la part que le manque d’infrastructures et de programmes joue dans ce phénomène.

[484]	Les Demandeurs se sont opposés à ce que M. Kindt soit qualifié comme témoin expert, pour plusieurs raisons.  Ils ont plaidé que ses relations contractuelles avec le Ministère de l’Éducation jetaient un doute considérable sur sa capacité de faire preuve de l’objectivité qui est requise pour un témoin expert.  Ils ont aussi fait valoir que l’implication directe de M. Kindt comme consultant pour le compte du Ministère dans l’étude des deux écoles faisant l’objet de ces recours faisait de lui un témoin factuel, et qu’il ne pouvait pas témoigner également comme expert.  Concernant la comparaison entre les écoles, les Demandeurs ont fait valoir que ce témoignage n’était pas pertinent puisque les comparaisons devraient se faire avec les écoles avec lesquelles l’ÉASC est en concurrence.  Quant à son témoignage proposé au sujet de la cause des départs des élèves, les Demandeurs ont fait valoir que les motifs que j’ai donnés pour refuser de permettre à M. Kubica de témoigner sur ces sujets étaient tout aussi applicables à M. Kindt.

[485]	À la conclusion du voir dire j’ai décidé de permettre à M. Kindt de témoigner comme expert au sujet des trois premiers domaines seulement.  J’ai conclu que les préoccupations soulevées par les Demandeurs étaient pertinentes à la force probante de son témoignage mais n’étaient pas un obstacle à ce qu’il soit qualifié en tant que témoin expert.  La preuve présentée dans le cadre du voir dire a été versée au procès,  incluant son rapport d’expert (pièce #157).

[486]	M. Kindt a expliqué la nature de son travail  dans la planification d’infrastructures scolaires.  Le gouvernement retient ses services pour l’élaboration  de “plans  éducatifs” (“Educational Plan”).  Il  rencontre les parents, les élèves, les professeurs, les membres de l’administration, pour déterminer leurs aspirations et leurs besoins, et ensuite les aider à établir des priorités à l’intérieur des limites prévues par les standards du Ministère au sujet des infrastructures.  Dans ce genre de processus, bien qu’engagé par le gouvernement, M. Kindt se voit comme le porte-parole, et même le défenseur (il a utilisé plusieurs fois le mot “advocate”) des utilisateurs de l’institution, pour les aider à présenter leur point de vue au gouvernement.

[487]	Il a expliqué que c’est toujours un défi de prendre la mesure des souhaits des gens et de formuler un plan qui répond le mieux possible à ces  souhaits tout en étant réalisable dans les paramètres fixés par le gouvernement.

[488]	M. Kindt a été impliqué dans ce genre de processus pour l’ÉASC en décembre 2005 et janvier 2006.  Les paramètres qu’il avait reçus du gouvernement pour cette étude incluaient l’ajout d’un gymnase, de salles de classe, une salle à usage multiples, ainsi que d’autres espaces; la capacité totale de l’école devait être augmentée à 245 élèves.

[489]	Le rapport que M. Kindt a préparé suite à ce processus a été versé en preuve (pièce #160), ainsi qu’une lettre que M. Kindt a envoyé à M. Devitt lui faisant part de divers scenarios pour l’utilisation des espaces existants de l’école, et l’utilisation d’éventuels espaces supplémentaires (pièce #161).

i) 	opinion de M. Kindt concernant la suffisance des espaces


[490]	M. Kindt a visité l’ÉASC en mars 2010.  Il a aussi eu des discussions avec Mme Careen concernant l’utilisation des espaces actuels.  Il est donc au fait des changements qui sont survenus depuis que la préparation de son rapport de 2006.  Son rapport d’expert parle des ajouts faits dans le cadre de la Phase 1, et dresse un portrait de l’utilisation actuelle des espaces.

[491]	M. Kindt identifie un certain nombre de lacunes dans la programmation et les espaces actuels à l’ÉASC, mais conclut qu’il serait possible d’y remédier en faisant des rénovations mineures, en réaménageant les espaces actuels.  Par exemple, il suggère d’ajouter un évier dans la salle de classe qui n’en a pas pour permettre que cette salle puisse devenir une salle à usages multiples, notamment pour les  cours d’arts.  Il suggère de démanteler la salle de classe de la rotonde pour retourner la rotonde à sa vocation originale, et possiblement agrandir les espaces de la cuisine, qui y sont adjacents.

[492]	Son rapport fait état de “perception de manque d’espace” (“perceived space crunch”)  résultant de la décision de rendre l’ancienne salle de classe maternelle disponible pour la garderie.  Il explique que si les espaces consacrés à la garderie étaient disponibles pour l’école, sa capacité augmenterait de 36 élèves, soit 18 par salle, mais que des rénovations seraient nécessaires pour réaménager les espaces actuellement consacrés à la pouponnière.

[493]	Selon M. Kindt, l’ÉASC doit augmenter le temps consacré à l’éducation physique. Mais à son avis, il ne faut pas penser que “activité d’éducation physique” veut nécessairement dire  “temps en gymnase”.  Selon lui  l’enseignement de l’éducation physique doit être abordé de façon plus flexible.  Il identifie plusieurs options, à part la construction d’un gymnase, pour augmenter le temps d’éducation physique, comme l’usage accru des installations sportives municipales, et un changement au système d’horaire pour réduire la perte de temps due aux déplacements pour se rendre au gymnase du Multiplex.

[494]	Il estime également que l’école a des lacunes sérieuses au niveau des espaces pour l’enseignement de la cuisine et des arts ménagers.  Son témoignage rejoint l’opinion de Mme Simmons au sujet des installations existantes.  M. Kindt a expliqué que selon son expérience les cours d’arts culinaires sont parmi les plus populaires dans les écoles des  TN-O.  Il estime que la cuisine devrait être agrandie et rénovée, ce qui pourrait se faire à même la rotonde, si la salle de classe qui s’y trouve actuellement était démantelée.


[495]	M. Kindt estime que l’ÉASC offre une bonne programmation en Études Spécialisées et Techniques.  Pour offrir une gamme plus vaste de cours, comme des cours de mécanique ou de menuiserie, par exemple, il estime que le partage d’espaces dans la communauté et des partenariats avec l’entreprise privée devraient être considérés.  Il souligne que le défi n’est pas tant le manque d’espaces que l’ÉASC pourrait utiliser à l’extérieur de l’école, mais la difficulté de trouver des professeurs qui puissent offrir ces cours en français.

[496]	M. Kindt conclut que d’un point de vue pédagogique, les espaces et infrastructures de l’ÉASC à l’heure actuelle sont suffisants, et qu’il est possible de remédier aux lacunes existantes autrement qu’en agrandissant l’école.

ii)	comparaison de l’ÉASC avec des écoles de grandeur semblable

[497]	Selon M. Kindt, la meilleure école à laquelle comparer l’ÉASC est l’école Kalemi Dene, parce qu’elle a sensiblement le même nombre d’élèves.  Il analyse l’infrastructure des deux écoles dans son rapport et conclut qu’elles sont comparables.  Chacune des écoles a des avantages que l’autre n’a pas (par exemple, l’ÉASC a de meilleures installations pour l’enseignement des sciences, mais l’école Kalemi Dene a de meilleurs espaces pour l’enseignement des arts ménagers).

[498]	M. Kindt fait aussi état dans son rapport de recherches qu’il a faites concernant les infrastructures d’écoles de la minorité francophones dans d’autres provinces.  Selon lui, les écoles francophones en Colombie-Britannique sont trop grosses, comparativement à l’ÉASC, pour les comparer.  Il identifie certaines écoles en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, dont le nombre d’élèves est comparable au nombre d’élèves à l’ÉASC.  Après avoir comparé les installations disponibles dans chacune d’elles il arrive à la conclusion qu’à part l’absence de gymnase, l’ÉASC est dans une situation semblable à celle de ces écoles.  La plupart de ces écoles ont un gymnase, mais la plupart d’entre elles, comme l’ÉASC, n’ont pas d’espaces spécialisés pour les arts industriels et ménagers.

iii) 	regroupement des niveaux primaire et secondaire dans la même école

[499]	Dans son rapport d’expert M. Kindt fait état des diverses écoles dans les TN-O qui regroupent les niveaux primaire et secondaire.  Aux TN-O, 78% des écoles accueillent les niveaux de la maternelle à la 11e ou la 12e année.


[500]	En Colombie-Britannique, en Alberta, et Saskatchewan et au Manitoba, le pourcentage des écoles où tous les niveaux sont regroupés est plus élevé que celui des écoles secondaires distinctes.  C’est également vrai pour les écoles francophones minoritaires, sauf en Colombie-Britannique, où le pourcentage d’écoles secondaires est plus élevé.  M. Kindt estime que le nombre plus élevé d’élèves francophones en Colombie-Britannique explique probablement que cette province a plus d’écoles secondaires francophones distinctes.

[501]	M. Kindt conclut donc que le fait d’avoir une seule école qui regroupe tous les niveaux de la maternelle à la 12e année n’a rien d’inhabituel, et est en fait la norme dans les TN-O et dans les provinces de l’ouest, pour les écoles qui ont une population étudiante comparable à celle de l’ÉASC.  M. Kindt est donc d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une aile secondaire distincte pour le niveau secondaire.

iv)	autres commentaires

[502]	Le procureur des Défendeurs a demandé à M. Kindt de commenter spécifiquement les diverses revendications des Demandeurs dans le cadre de ce recours.  Dans ses réponses concernant les espaces spécialisés (salle de musique, d’arts, etc.) M. Kindt a souligné l’importance pour les petites écoles de développer une “niche” qui leur est propre et de faire des choix.  Il a expliqué qu’il n’est plus dans les normes d’inclure une cafétéria dans les écoles.  Il a dit qu’il ne connaissait aucune école qui était conçue pour avoir nécessairement une classe par niveau, sans égard aux nombres.

[503]	En ce qui concerne les élèves qui ont des besoins spéciaux, l’approche établie par le Ministère, conformément à l’article 8 de la Loi sur l’Éducation, est le concept d’instruction universelle, qui consiste à intégrer ces élèves le plus possible au reste de l’école.  À cause de cela, selon  M. Kindt, la pratique n’est plus d’avoir une classe spécialement désignée pour ces élèves, mais plutôt d’aménager des espaces plus petits pour le travail individuel, au besoin.

[504]	Il a été questionné au sujet de différences entre le contenu de son rapport de 2006 au sujet de l’ÉASC et le rapport d’expert présenté au procès.  En révisant les deux documents, il est important, selon moi, de tenir compte des différents contextes dans lesquels ils ont été préparés, notamment les paramètres qui avaient été donnés à M. Kindt quand il a fait les consultations et préparé le rapport de 2006.


[505]	M. Kindt a témoigné comme expert dans le cadre des deux recours, et a donc été contre-interrogé au sujet de son implication avec les deux écoles.  Plusieurs des questions qui lui ont été posées en contre-interrogatoire portaient sur son travail concernant l’École Boréale.  Je n’en traiterai pas ici, mais comme pour les autres personnes dont le témoignage concerne les deux recours, j’ai tenu compte de l’ensemble de son témoignage pour évaluer sa crédibilité et la fiabilité de son témoignage, ainsi que son témoignage dans le cadre du voir dire.

[506]	M. Kindt a reconnu n’avoir jamais enseigné en français.  Son expérience d’enseignement dans les écoles de Yellowknife a  toujours été dans des écoles qui avaient des gymnases.  Il  n’a jamais occupé de poste de directeur d’école.

[507]	Mais M. Kindt a de toute évidence une vaste expérience en matière de planification d’infrastructures scolaires dans les TN-O.  Il a travaillé sur la planification de plusieurs projets majeurs.  Il connaît bien les rouages du Ministère de l’Éducation.

[508]	Il a expliqué pendant le voir dire qu’entre 50% et 70% de ses contrats, en tant que consultant, viennent du GTN-O, et que ceci correspond à environ 50-60% de ses revenus.  Les liens professionnels et contractuels qu’il entretient avec les Défendeurs ne peuvent pas être ignorés.

[509]	Par contre, les TN-O sont une juridiction qui, à plusieurs égards, est unique,  à cause de ses particularités géographiques et sociales.  Il peut y avoir des ressemblances entre la réalité des TN-O et celles des 2 autres territoires, ou celle des régions isolées des provinces, mais c’est tout de même ceux et celles qui y vivent et y travaillent qui ont l’expérience la plus directe avec ces réalités.  Et il faut reconnaître que dans une juridiction comme la nôtre, il serait difficile pour une personne d’acquérir le genre d’expérience et de connaissances dont M. Kindt dispose sans jamais eu à faire affaire, d’une façon ou d’une autre, avec le gouvernement, soit en tant qu’employé, ou en tant que consultant.

[510]	Je ne pense donc pas que la crédibilité de  M. Kindt  est automatiquement entachée du fait qu’une partie importante de son revenu vient de contrats avec le gouvernement.  Mes observations pendant son témoignage me portent à conclure que les opinions qu’il données étaient sincères, et n’ont  pas été influencées par des motifs inappropriés.


[511]	Cela dit, j’ai certaines réserves au sujet de la  force probante de certaines des opinions qu’il a exprimées, principalement parce que son expérience de travail, quoique vaste, n’inclut pas une expérience d’enseignement ou d’administration d’une école qui opère dans un contexte francophone minoritaire.  Il connaît très bien les standards utilisés par le Ministère de l’Éducation, et je ne remets nullement en question sa compétence en matière de planification et d’infrastructures scolaires de façon générale.  Mais il est clair que pour lui, chaque école est unique et a des besoins spéciaux, et les besoins spéciaux d’une école de la minorité francophone ne sont qu’un exemple de besoins spéciaux parmi tant d’autres, que l’on doit tenter d’accommoder à l’intérieur des standards et paramètres établis par le Ministère de l’Éducation.     Je reviendrai sur cette question plus loin dans ces motifs.

2. 	Recevabilité d’éléments de preuve contestés

a. 	La pièce “Z”

[512]	Pendant le témoignage de Mme Perris, les Défendeurs ont voulu verser en preuve des projections qu’elle a préparées en utilisant les résultats du recensement de 2006 ainsi que certaines projections démographiques élaborées par le Bureau territorial des statistiques.

[513]	Mme Perris a expliqué que le Bureau territorial des statistiques fait régulièrement des projections concernant différents sujets, incluant les fluctuations dans la population des TN-O.  Ce faisant, le Bureau tient compte de plusieurs facteurs, comme les tendances historiques, le taux de mortalité et de naissance, la migration des personnes.

[514]	Selon les résultats du recensement de 2006, le nombre d’enfants entre 5 et 17 ans dans les TN-O était de 8,325.  Ce nombre d’enfants, pour Yellowknife, était de 735, dont 245 avaient au moins un parent ayant identifié le français comme sa langue maternelle.

[515]	Utilisant ces données, et les projections territoriales concernant l’évolution de la population en général,  Mme Perris a fait des projections concernant ce que sera le nombre  d’enfant ayant au moins un parent ayant identifié le français comme étant sa langue maternelle pour les années 2014 et 2019.


[516]	Mme Perris a fait ces projections sur une base purement mathématique.  Le Bureau des statistiques prévoit qu’en 2014, le nombre d’enfants entre 5 et 17 ans sera de 7,692 dans les TN-O, dont 3,262 à Yellowknife.  Mme Perris a présumé que la proportion d’enfants avec au moins un parent qui a le français pour langue maternelle restera stable, utilisé le pourcentage issue du recensement de 2006, et appliqué ce même pourcentage aux chiffres projetés, pour la population générale, pour 2014 et 2019.  Utilisant ce pourcentage, elle a calculé que le nombre d’enfants avec au moins un parent ayant le français pour langue maternelle sera de 234 en 2014 et de 261 en 2019.

[517]	Les Demandeurs s’objectent à la recevabilité de ce document, en disant qu’il s’agit d’un témoignage d’opinion.

[518]	Lors des conférences de gestion d’instance en prévision du procès, le procureur des Défendeurs avait soulevé la question des statistiques qu’il entendait présenter en preuve, justement pour clarifier si les Demandeurs s’objecteraient à ce que cette preuve soit présentée par un témoin ordinaire plutôt que par un témoin expert.  Il avait été question plus précisément, dans ces discussions, des résultats du recensement de 2006.  Le procureur des Demandeurs avait alors indiqué qu’il ne s’objecterait pas à ce que les résultats soient mis en preuve par l’entremise d’un témoin ordinaire, mais que la fiabilité des chiffres, elle, serait contestée.

[519]	En s’objectant à ce que la pièce “Z” soit versée en preuve, les Demandeurs soulignent que leur position concernant la recevabilité des statistiques s’appliquait uniquement aux statistiques.  Selon eux, il n’avait jamais été question de preuve de projections dans les conférences de gestion d’instance.  Les Demandeurs font valoir qu’ils ne se sont jamais engagés à concéder la recevabilité de preuve de projections par l’entremise d’un témoin ordinaire.

[520]	Je suis d’accord avec les Demandeurs qu’il y a une distinction entre une preuve purement statistique, comme le résultat du recensement, et une preuve de projections.  Et je crois qu’il est exact de dire qu’il n’a pas été question spécifiquement de projections dans les conférences de gestion d’instance.  Je ne pense pas qu’il y ait eu mauvaise foi de la part de qui que ce soit, mais plutôt qu’il y eu un malentendu quant à l’étendue de la preuve que les Défendeurs voulaient présenter au moment où ils ont soulevé cette question.

[521]	Par contre, plusieurs autres documents versés en preuve dans ce procès incluent des projections, certaines faites par les Défendeurs, d’autres faites par les Demandeurs.  Ces documents ont dans tous les cas été versés en preuve par l’entremise de témoins ordinaires.


[522]	Dans la mesure où Mme Perris est la personne qui a préparé les projections et a été en mesure d’expliquer la méthode qu’elle a suivie, je ne crois pas que son témoignage à ce sujet soit, à proprement parler, un témoignage d’opinion.  La question est beaucoup plus, à mon avis, quelle force probante peut être attribuée à ces projections.  Je déclare donc la pièce “Z” recevable.

b.	La pièce “CC”

[523]	La pièce “CC” est un rapport préparé par le bureau de la Vérificatrice générale du Canada au sujet du domaine de l’éducation dans les TN-O.  Le procureur des Défendeurs s’est référé à ce rapport durant le témoignage de Mme James.  Elle a confirmé qu’elle était au courant de ce rapport.  Il a porté plus particulièrement son attention sur un graphique qui apparaît à la page 16 du rapport, et qui montre que les taux de graduation dans les TN-O sont beaucoup plus élevés chez les élèves non autochtones que chez les élèves autochtones.  Ce taux, pour les élèves non autochtones, est nettement plus élevé que la moyenne territoriale, alors que pour les élèves autochtones il est nettement moins élevé.  Cette tendance s’observe de façon continue entre les années 1994-95 et 2007-2008.  Mme James a confirmé que ces données correspondent à ce qu’elle a pu observer pendant sa carrière, et qu’elles illustrent certains obstacles et défis qui continuent à exister pour plusieurs élèves autochtones.

[524]	Mme Grinsted a pour sa part témoigné que le Ministère de l’Éducation a fourni au bureau de la Vérificatrice générale plusieurs des informations qui ont été utilisées dans la préparation de ce rapport.  Mme Grinsted a aussi dit que le tableau qui montre les taux de graduation pour les TN-O lui semble être un reflet de la situation et de l’information qui est en possession du Ministère.

[525]	Les Demandeurs s’objectent à la recevabilité du rapport.  À mon avis cette objection est sans fondement, puisque le document a été déposé à l’Assemblée Législative, ce qui en fait un document public qui est recevable en vertu de la  Loi sur la Preuve, L.T.N.-O. 1988, c. E-8.  Je déclare la pièce “CC” recevable.

c. 	La pièce “AA”


[526]	La pièce “AA” est un document qui dresse la liste des écoles des TN-O, de leur capacité, leur nombre d’inscriptions et leur taux d’utilisation.  Les Défendeurs ont voulu verser ce document en preuve pendant le témoignage de M. Devitt.  Les Demandeurs s’objectent à ce que le document soit versé en preuve au motif qu’il ne faisait pas partie des documents qui leur ont été divulgués avant le procès.  Le procureur des Demandeurs affirme avoir vu ce document pour la première fois le jour même du témoignage où les Défendeurs ont essayé de le verser en preuve.

[527]	Le procureur des Défendeurs a répondu que plusieurs documents versés en preuve par les Demandeurs lui ont également été fournis pendant le procès et non avant, et que ceci est normal étant donné la nature dynamique d’un procès.

[528]	Le procureur des Défendeurs n’a pas expliqué la raison précise, en lien avec le déroulement du procès, qui a rendu nécessaire l’usage de ce document, ni à quel moment cette décision a été prise.  Le document est daté du 15 janvier 2010 et traite du taux d’utilisation des écoles dans les TN-O et à Yellowknife en particulier.  Ce sujet a été abordé par d’autres témoins pendant le procès, notamment pendant le témoignage de M. Huculak, qui a eu lieu plusieurs jours avant celui de M. Devitt.  Il n’y a donc pas vraiment d’explication satisfaisante pour la non divulgation de ce document.

[529]	Cependant, je reconnais que certains documents versés en preuve par les Demandeurs ont également été fournis aux Défendeurs pendant le procès.  Dans plusieurs cas il s’agissait de mises à jour de documents déjà divulgués, mais il n’en reste pas moins que cela rendait difficile pour les Défendeurs d’en vérifier le contenu.

[530]	Dans les circonstances, je déclare la pièce “AA” recevable, malgré sa divulgation tardive.

d. 	La pièce “BB”

[531]	La pièce “BB” est un document de 7 pages que les Défendeurs ont également voulu verser en preuve durant le témoignage de M. Devitt.  Il s’agit de descriptions des écoles des communautés de Colville Lake, Dettah, Jean Marie River, Kakisa, Nahanni Butte, Trout Lake et Wrigley.  Les documents incluent un plan de l’école, le nombre d’élèves aux différents niveaux, et des renseignements concernant l’année de construction et les taux d’utilisation.


[532]	Les Demandeurs s’objectent à ce que ces documents soient versés en preuve, encore une fois parce qu’ils ne leur ont pas été divulgués au préalable.  Le procureur des Demandeurs a ajouté que lors de l’interrogatoire au préalable de M. Devitt, il avait demandé, par voie d’engagement, qu’on lui fournisse les plans des écoles de grandeur comparable à l’École Boréale de Hay River, et qu’en réponse à cet engagement, on ne lui a fourni que quelques plans.  Il estime donc qu’il serait injuste de permettre aux Défendeurs de présenter une preuve plus détaillée que ce qui lui a été fourni en réponse à cet engagement.

[533]	Les documents qui composent la pièce “BB” sont datés du 6 octobre.  Il me semble qu’il était assez clair, avant l’ouverture du procès, que l’une des questions en litige, tant dans ce recours que dans CV2008000133, était le comparateur qui devait être utilisé pour déterminer si les deux écoles francophones des TN-O offraient une égalité réelle aux élèves qui la fréquentent par rapport aux écoles de la majorité.

[534]	Dans la mesure où les Défendeurs avaient l’intention de présenter de la preuve au sujet de d’autres écoles dans les TN-O pour étoffer cet argument, cette preuve aurait dû être divulguée.  Surtout que  les Demandeurs avaient expressément demandé que leur soit divulgués les plans de certaines écoles dans le cadre des interrogatoires au préalable.  Il aurait été d’autant plus important, dans les circonstances, de divulguer aux Demandeurs tout plan d’école qu’ils comptaient verser en preuve.

[535]	Je suis d’accord avec le procureur des Défendeurs qu’il faut laisser aux parties à un procès une certaine latitude, car c’est un exercice dynamique et parfois complexe.  Ce fut certainement le cas pour ce procès-ci.  Par contre, les règles de procédure civiles sont établies pour éviter que l’une ou l’autre des parties soit prise par surprise.

[536]	Dans les circonstances, je conclus que la pièce “BB” n’est pas recevable.

III) 	ANALYSE

[537]	Les Demandeurs allèguent que le GTN-O s’est rendu coupable de plusieurs violations de l’article 23 dans sa mise en oeuvre du programme de français langue première à Yellowknife.  Les mesures de redressement qu’ils recherchent incluent un certain nombre de déclarations quant à leurs droits, des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, et une ordonnance de dépens entre avocat et client.


[538]	Les prétentions des Demandeurs mettent en cause deux aspects du droit protégé par l’article 23 de la Charte: le droit à des infrastructures qui offrent aux élèves de la minorité une égalité réelle par rapport aux élèves de la majorité, et le droit de gestion d’une commission scolaire minoritaire.  Il est utile de rappeler, dans un premier temps, les principes de base qui ressortent de la jurisprudence au sujet la portée et la mise en oeuvre de l’article 23.

A.  	L’article 23 de la Charte

[539]	L’objet général de l’article 23 est de maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu’elles représentent; il vise aussi à favoriser l’épanouissement de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces et les territoires où elles ne sont pas parlées par la majorité.  Mahé c. Alberta [1990] 1 R.C.S. 324, para. 31.

[540]	L’article 23 a un objectif réparateur.  Il crée un droit pour le groupe minoritaire, et une obligation correspondante pour les gouvernements: l’obligation de changer ou de créer d’importantes structures institutionnelles. Mahé, supra, paras 36-37.

[541]	Les droits créés par l’article 23 ne sont pas absolus: ils doivent être compris et interprétés selon le critère de l’échelle variable.  Le seuil minimum de cette échelle est prévu à l’alinéa 23(3)(a) (“l’instruction”), et le seuil maximum est décrit à l’alinéa 23(3)(b) (“le droit à l’instruction dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés par les fonds publics”).  La disposition garantit le type et le niveau de droits et de services qui sont appropriés pour assurer l’instruction de la langue de la minorité au nombre d’élèves en question.  Mahé, supra, para.38.

[542]	Lorsque la question qui se pose est de savoir si le nombre d’élèves justifie un certain niveau de service, la norme numérique doit être précisée par l’examen des faits propres à chaque situation. Le nombre pertinent, pour les fins de cette analyse, est le nombre de personnes qui se prévaudront éventuellement du service, c’est à dire un nombre se situant approximativement entre la demande connue et le nombre  total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service.  Mahé, supra, para.78; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, para.32.


[543]	La justification au niveau des nombres doit prendre en considération deux facteurs: les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d’élèves, et le coût des services envisagés: c’est l’autre aspect du caractère non absolu du droit créé par l’article 23.  Par contre, étant donné le caractère réparateur de la disposition, les considérations pédagogiques pèsent plus lourd que les exigences financières quand il s’agit de déterminer si le nombre d’élèves justifie la prestation des services concernés.  Mahé, supra, paras 79-80.

[544]	À cause de son caractère réparateur, l’article 23 ne vise pas à renforcer le statu quo par l’adoption d’une conception formelle de l’égalité qui traiterait de la même façon les groupes majoritaires et minoritaires de langue officielle.  Les besoins pédagogiques des enfants de la minorité linguistique ne doivent donc pas être évalués uniquement par référence aux besoins pédagogiques des enfants de la majorité linguistique.  Arsenault-Cameron, supra, para. 31.

[545]	L’article 23 crée aussi pour la minorité linguistique le droit à une certaine mesure de gestion et de contrôle lorsque le nombre le justifie.  Dès 1990, la Cour suprême du Canada expliquait pourquoi cette gestion et ce contrôle sont nécessaires:

[L’objet de l’article 23] est de préserver et promouvoir la langue et la culture de la minorité partout au Canada. Selon moi, il est indispensable à cette fin que, dans chaque cas où le nombre le justifie, les parents appartenant à la minorité linguistique aient une certaine mesure de gestion et de contrôle à l’égard des établissements d’enseignement où leurs enfants se font instruire.  Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l’épanouissement de leur langue et de leur culture.  Ils sont nécessaires parce que plusieurs questions de gestion (programmes d’études, embauchage et dépenses, par exemple) peuvent avoir des incidences sur les domaines linguistiques et culturels.  Je tiens pour incontestable que la vigueur et la survie de la langue et de la culture de la minorité peuvent être touchés de façons subtiles mais importantes par les décisions prises sur ces questions.  Pour ne donner qu’un seul exemple, la plupart des décisions relatives aux programmes d’études influent visiblement sur la langue et la culture des élèves de la minorité.

En outre, comme l’indique le contexte historique dans lequel l’article 23 a été adopté, les minorités linguistiques ne peuvent pas toujours être certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles. Cette carence n’est pas nécessairement intentionnelle: on ne peut attendre de la majorité qu’elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d’instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité.

(...)

Si l’article 23 doit redresser les injustices du passé et garantir qu’elles ne se répètent pas dans l’avenir, il importe que les minorités linguistiques aient une certaine mesure de contrôle sur les établissements d’enseignement qui leur sont destinés et sur l’instruction de leur langue.


Mahé, supra, paras 51-52.

[546]	Dix ans plus tard, la Cour suprême réaffirmait ces principes, soulignant à nouveau que le droit à la gestion et au contrôle est essentiel pour redresser les injustices du passé et que les besoins spécifiques de la minorité constituent la première considération dans toute décision touchant les questions d’ordre linguistique et culturel.  La Cour suprême précisait également qu’il n’était pas possible de donner les détails exhaustifs de ce qui est inclus dans le droit de gestion et de contrôle, à cause du critère de l’échelle variable  des droits et du besoin d’adapter les modalités à la situation particulière de chaque province et chaque territoire.   Arsenault-Cameron, supra, paras 45-46.

[547]	La jurisprudence reconnaît également qu’un gouvernement peut décider d’accorder à la minorité linguistique plus de pouvoirs de gestion que ce  qui est requis par l’article 23.  La disposition crée un seuil minimum de droits; elle ne crée pas plafond ou une limite maximale concernant les mesures qu’un gouvernement peut prendre.  Mahé, supra, para. 65.

[548]	Il est donc clair que les modalités précises de la mise en oeuvre des droits conférés par l’article 23, y compris le droit de gestion, varient selon les circonstances.

[549]	La Cour suprême du Canada a également reconnu que les gouvernements doivent disposer de pouvoirs discrétionnaires les plus vastes possibles dans le choix des moyens à prendre pour remplir leurs obligations.  Mahé, supra, para. 96.  L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, cependant, n’est pas sans limite: il est restreint par le caractère réparateur de l’article 23, les besoins particuliers de la communauté linguistique minoritaire, et le droit des représentants de la minorité de gérer les établissements d’enseignement de la minorité.  Arsenault-Cameron, supra, para. 44.

[550]	Les provinces et territoires ont un intérêt légitime dans le contenu des normes qualitatives des programmes d’enseignement, et peuvent réglementer le contenu de ces programmes, de même que la taille des établissements, le transport, les regroupements d’élèves.  Mais dans la mesure où ces éléments influent sur la langue et la culture, leur réglementation doit tenir compte de la situation particulière de la minorité et de l’objet de l’article 23. Arsenault-Cameron, supra, para. 53.

[551]	 Le présent  recours est différent de certains autres qui ont été entrepris en vertu de l’article 23.  Il ne concerne pas une inaction complète du gouvernement, mais remet plutôt en question la suffisance des mesures qu’il a prises pour se conformer à ses obligations.

[552]	 En ce qui concerne les infrastructures, le litige ne porte pas sur la question à savoir si une école devrait être construite; l’école existe déjà.  La question qui est soulevée est sa conformité aux exigences de l’article 23.  En ce concerne le droit de gestion, la minorité à sa propre commission scolaire, qui  dispose de pouvoirs de gestion dans certains domaines.  Le litige porte sur le fait que certains pouvoirs ne lui ont pas été délégués.

[553]	   D’autre part, ce litige soulève une question nouvelle, concernant le statut constitutionnel d’une garderie et d’un programme préscolaire dans un contexte minoritaire.

[554]	Les questions qui doivent être décidées  dans  ce recours sont les suivantes:

(a)	La validité constitutionnelle de la non délégation à la CSFTN-O, par le Ministre de l’Éducation,  des pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi;

(b) 	La conformité de l’ÉASC aux exigences de l’article 23;

(c)	Le statut constitutionnel du programme de garderie et de pré-maternelle;

(d) 	Les mesures de redressement qui sont appropriées si le tribunal conclut que les Défendeurs ont effectivement violé l’article 23.

B.	La non délégation à la CSFTN-O par le Ministre de l’Éducation des pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi


[555]	Les Demandeurs affirment  que la décision du Ministre de l’Éducation de ne pas déléguer à la CSFTN-O les pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi sur l’éducation contrevient au droit de gestion protégé par l’article 23.  Les pouvoirs énumérés à l’article 119 concernent la gestion des bâtiments et terrains (le droit les acquérir, de les entretenir, ainsi que le droit de contracter des emprunts, y compris des emprunts garantis par des hypothèques).

[556]	Pour tout organisme scolaire créé en vertu de la Loi, le Ministre a le pouvoir, mais non l’obligation, de déléguer ces pouvoirs à une administration scolaire. L’article 119 ne s’applique donc pas exclusivement à la CSFTN-O.  Mais les Demandeurs prétendent qu’en ce qui concerne la commission scolaire minoritaire, cette absence de délégation de pouvoirs contrevient au droit de gestion protégé par l’article 23.

[557]	La position des Demandeurs est qu’en créant la CSFTN-O, le GTN-O a nécessairement reconnu que les nombres d’ayants droit dans les TN-O justifiaient l’attribution du plus haut niveau de gestion possible dans l’application du critère de l’échelle variable, et que ce degré maximal de gestion implique dans tous les cas le droit d’être propriétaire des infrastructures et de les gérer de façon complètement autonome.

[558]	À mon avis, la jurisprudence ne supporte pas cette position.  Au contraire, les arrêts qui portent sur l’article 23 ont établi que son application doit être flexible et adaptée aux circonstances.  La position des Demandeurs concernant le droit de gestion, que je considère être essentiellement une approche du “tout ou rien”, va à l’encontre de ces principes.

[559]	Toutes les commissions scolaires dans les TN-O sont dans la même situation que la CSFTN-O, à part les deux commissions scolaires anglophones de Yellowknife.  Ces dernières  sont propriétaires de leurs édifices, pour des raisons historiques.  La preuve sur ce sujet n’a pas été très détaillée.  Mais les pouvoirs de ces deux commissions scolaires ne découlent pas d’une décision du GTN-O de les traiter différemment des autres.


[560]	Ce qui est plus significatif, à mon sens, c’est que la preuve a établi que même si elles sont propriétaires de leurs édifices, ces deux commissions scolaires ne jouissent pas d’une autonomie complète au sujet de leurs infrastructures.  Les projets en capitaux qui concernent les écoles qui relèvent de ces commissions scolaires sont mis de l’avant par le Ministère de l’Éducation et soumis au processus de développement du Plan capital du gouvernement, au même titre que les projets concernant les écoles qui relèvent de la CSFTN-O ou des autres conseils scolaires.  Par exemple, M. Huculak a expliqué que la commission scolaire YK#1 estime que l’École Sissons doit être rénovée.  Mais ce projet n’a pas été inclus dans le Plan capital 2011-2012,  le projet n’aura pas lieu dans un avenir immédiat, et la commission scolaire ne peut rien y faire.

[561]	Aucune commission scolaire dans  les TN-O ne dispose  de l’autonomie complète, concernant les infrastructures, que réclament les Demandeurs. La jurisprudence reconnaît qu’il faut parfois traiter la minorité différemment de la majorité pour atteindre l’objectif de l’égalité réelle.  Mais elle reconnaît aussi l’importance de laisser au gouvernement la plus grande discrétion et la plus grande flexibilité possible dans le choix des moyens pour  remplir ses obligations à l’égard de la minorité linguistique.

[562]	Le Dr. Landry a expliqué que plus la commission scolaire a d’autonomie dans la gestion de ses infrastructures, plus elle peut efficacement promouvoir les objectifs réparateurs de l’article 23.  J’accepte ce fait, mais je ne crois pas que cela signifie que juridiquement, l’autonomie complète est requise dans tous les cas.

[563]	 Pour moi, le Règlement sur l’instruction en français langue première reflète bien la flexibilité qui est exigée des gouvernements dans la mise en oeuvre des objets de l’article 23.

[564]	 L’article 9 du Règlement  prévoit que le Ministre peut créer une commission scolaire francophone si un seuil numérique est atteint (plus de 500 élèves sont inscrits au programme).  Mais il reconnaît aussi que le Ministre peut le faire, même si ce seuil numérique n’est pas atteint, s’il est satisfait que la commission scolaire respectera les obligations d’un organisme scolaire et répondra aux normes du gouvernement en matière d’enseignement.  L’effet de cette disposition est de permettre au Ministre de créer une commission scolaire pour la minorité même si le nombre d’ayants droit est relativement modeste.  Le Règlement  reconnaît que le nombre d’inscriptions est une raison de créer une commission scolaire, mais pas la seule raison de le faire.

[565]	En l’espèce, le Ministre s’est prévalu de cette possibilité.  Il est clair que le nombre d’élèves inscrits au programme d’enseignement en français au moment de la création de la CSFTN-O était en plus bas que 500 (il l’est d’ailleurs toujours).  La décision du Ministre de créer une commission scolaire était donc nécessairement fondée sur l’alinéa 9(3)(a) du Règlement.

[566]	Cette décision n’est pas sans conséquence.  La Loi prévoit l’obligation pour le Ministre de déléguer nombre de pouvoirs à une commission scolaire ainsi créée.  Elle implique donc, selon moi, une reconnaissance que les nombres justifient un certain degré de gestion.

[567]	La première conclusion que les Demandeurs me demandent de tirer est que la décision des Défendeurs de créer une commission scolaire constitue un aveu qu’ils avaient une obligation constitutionnelle de le faire.  Cet argument ne tient pas compte du cadre législatif que je viens d’évoquer.  Il ne tient pas compte non plus de la jurisprudence qui reconnaît  qu’un gouvernement peut être proactif et aller au-delà de ses strictes obligations constitutionnelles.

[568]	Mais même si les Demandeurs ont raison, le vrai problème se situe selon moi au niveau de la deuxième proposition qu’ils avancent, soit qu’en vertu de l’article 23, si les nombres justifient la création d’une commission scolaire, ils justifient aussi nécessairement que soit attribuée à cette commission scolaire une autonomie complète au niveau des infrastructures.

[569]	Selon  moi le critère de l’échelle variable veut dire que les nombres ont un impact sur la nécessité de créer une commission scolaire minoritaire, mais ils  ont aussi un impact sur le degré d’autonomie qui doit lui être accordé.

[570]	À mon avis, il n’est pas compatible avec la jurisprudence de prétendre que toute commission scolaire, qu’elle soit responsable de 100 élèves ou de 10,000 élèves, doive nécessairement avoir exactement le même pouvoir de gestion et le même niveau d’autonomie par rapport au gouvernement.

[571]	Cette interprétation, si elle était retenue, pourrait nuire à la mise en oeuvre des objectifs de l’article 23 plutôt que de les promouvoir.  Une approche aussi rigide pourrait avoir un effet dissuasif sur les gouvernements et les inciter à retarder le plus possible la création de commissions scolaires minoritaires, dans le but de  maintenir plus de contrôle sur les finances publiques.  Cela voudrait dire que les ayants droit dans certains cas seraient privés de plusieurs autres bénéfices qui découlent du fait d’avoir leur propre commission scolaire.

[572]	À mon avis, une approche plus nuancée est beaucoup plus compatible avec le critère de l’échelle variable et la flexibilité que la jurisprudence reconnaît aux gouvernements dans la mise en oeuvre de l’article 23.


[573]	 Selon moi, ce n’est pas le fait de créer la commission scolaire minoritaire qui détermine l’étendue du droit de gestion qu’elle doit avoir, ce sont les nombres.  La création d’une commission scolaire n’entraîne pas une série de conséquences prédeterminées au sujet de l’étendue de son droit de gestion.

[574]	En l’espèce, la CSFTN-O dispose, conformément à la Loi, des pouvoirs prévus aux articles 117 et 118.  Je traiterai de la question des effectifs cibles plus loin mais même en utilisant les chiffres allégués par les Demandeurs à cet égard, les nombres  demeurent relativement modestes.

[575]	À mon avis les Demandeurs n’ont pas établi qu’en vertu du  critère de l’échelle variable, le droit de gestion de la CSFTN-O doit nécessairement inclure les pouvoirs prévus à l’article 119 de la Loi, et les autres pouvoirs qu’ils réclament.  Je ne suis donc pas satisfaite que la décision du Ministre de ne pas déléguer ces pouvoirs à la CSFTN-O constitue une violation de l’article 23, ni que les Demandeurs ont droit aux autres déclarations qu’ils recherchent au sujet des pouvoirs que devrait avoir la CSFTN-O.

[576]	Ceci dit, la création d’une commission scolaire minoritaire crée des obligations pour le gouvernement, et a des conséquences sur la façon dont il doit procéder à l’égard des ayants droit, notamment dans les processus décisionnels concernant les infrastructures.  Le gouvernement doit être conséquent avec lui-même: dans le contexte de l’article 23, si il décide de créer une commission scolaire minoritaire, il doit  reconnaître son rôle  dans la gestion du programme d’enseignement en français, incluant l’identification de ses besoins.

[577]	Le gouvernement se doit donc de travailler étroitement avec la commission scolaire minoritaire en ce qui a trait aux programmes et aux infrastructures.  Le gouvernement a intérêt à prendre en très sérieuse considération les besoins qu’elle identifie.  La jurisprudence reconnaît que la commission scolaire est souvent la mieux placée pour évaluer ses besoins pédagogiques.  Dans la mesure où il prend des décisions qui ne rencontrent pas les demandes de la commission scolaire, le gouvernement doit être en mesure de fournir des motifs convaincants.


C.	La conformité de l’ÉASC aux exigences de l’article 23

[578]	La question fondamentale à laquelle le tribunal doit répondre au sujet des infrastructures actuelles de l’ÉASC est à savoir si elles  sont suffisantes pour offrir aux élèves qui la fréquentent une égalité réelle par rapport aux élèves de la majorité anglophone.  Cette grande question soulève elle-même plusieurs autres sous-questions.

1. 	Le point de comparaison qui doit être utilisé dans l’analyse

[579]	La première chose à déterminer, c’est ce qui doit servir de point de comparaison dans cette analyse.  Les Demandeurs affirment que ce sont les écoles anglophones de Yellowknife.  Les Défendeurs affirment que cette approche est erronée parce que ces écoles ont un nombre d’élèves beaucoup plus élevé que l’ÉASC.  Ils estiment que la comparaison doit plutôt se faire avec des écoles, aux TN-O ou ailleurs, qui ont un nombre comparable d’élèves.

[580]	Cette question est fondamentale, car de bien des façons, tout le reste de l’analyse en dépend.  Pour y répondre, il faut à mon avis en revenir aux objectifs fondamentaux de l’article 23, qui sont de maintenir les deux langues officielles au Canada, le français et l’anglais, et de favoriser l’épanouissement de ces langues, et des cultures qu’elles représentent, partout au pays.

[581]	Une des raisons d’être de l’obligation de fournir des infrastructures qui accordent une égalité réelle aux élèves de la minorité, c’est de leur permettre de faire leur scolarité dans leur langue, car c’est une des façons de contrer l’assimilation.  Le Dr. Landry a parlé de l’importance cruciale de l’école en tant qu’institution en milieu minoritaire.  Les parents qui ont témoigné au procès ont parlé de l’importance qu’ils accordaient au fait de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école en français, pour assurer la préservation de leur langue.


[582]	La réalité, à Yellowknife, c’est que les élèves de la minorité francophone ont le choix entre fréquenter l’ÉASC ou fréquenter une école d’une des deux commissions scolaires anglophones.  C’est de cette façon que la question  se présente, pour eux.  Les parents et leurs enfants n’ont pas à choisir entre l’ÉASC et l’École Kalemi Dene; ou entre l’ÉASC et les écoles de Norman Wells, Inuvik, Paulatuk ou Kakisa.  Ils n’ont pas non plus à choisir  entre l’ÉASC et une école francophone de l’Alberta ou de la Saskatchewan.  Toute comparaison avec ces écoles est complètement dissociée de la réalité du choix qui se présente, dans la réalité, pour les membres de la minorité francophone.

[583]	À mon avis, ce sont les écoles de la majorité anglophone à Yellowknife qui doivent servir de comparateur dans l’analyse de la suffisance des infrastructures à l’ÉASC, parce que ce sont elles qui représentent “l’autre option” pour les élèves de la minorité francophone, surtout que plusieurs d’entre elles offrent un programme d’immersion.

[584]	Évidemment, il y a d’importantes différences entre le nombre d’élèves qui fréquentent ces écoles et le nombre d’élèves qui fréquentent l’ÉASC.  Cette différence est pertinente pour déterminer le niveau de services qui doit être fourni, selon les deux critères énoncés dans Mahé (besoins pédagogiques et coûts des services).  Mais elle n’est pas pertinente pour établir ce qui, au point de départ, doit servir de point de comparaison.

2. 	Les différences entre les écoles de la majorité et l’ÉASC

[585]	Les écoles gérées par les deux commissions scolaires anglophones de Yellowknife sont divisées en trois catégories: écoles primaires, écoles intermédiaires et écoles secondaires.  Certaines de ces écoles ont été décrites en détail par des témoins  qui les connaissent, pour y avoir travaillé ou les avoir visitées.  Les deux écoles secondaires sont également décrites dans le rapport de M. Kubica. Je ne crois pas que la nature et l’étendue des infrastructures des écoles dont il a été question soit contestée.

[586]	Parmi les écoles primaires à Yellowknife, il a notamment été question de l’école Sissons et l’École St-Joseph.  L’école St-Joseph a été complètment rénovée récemment suite à un feu (ce sont les élèves de cette école qui ont utilisé les espaces de l’École William MacDonald durant 2 ans pendant les rénovations).  La nouvelle école a un gymnase régulier et un mini-gymnase, une salle pour l’enseignement des arts ménagers, une salle de musique, un laboratoire de science, et des espaces pour les élèves qui ont des besoins spéciaux. Elle a aussi une grande cour d’école et un terrain de jeu.


[587]	L’École Sissons a également un gymnase, une salle de musique, et des espaces pour les élèves qui ont des besoins spéciaux.  Comme je l’ai déjà mentionné, elle a besoin d’être rénovée mais ce projet n’a pas été retenu dans le Plan capital 2011-2012.

[588]	Il a beaucoup été question, dans la preuve, de l’École William MacDonald, l’école intermédiaire située juste à côté de l’ÉASC.  Cette école a un gymnase, des salles de conditionnement physique, une salle de musique, une salle pour l’enseignement des arts ménagers, un laboratoire de science, deux salles pour l’enseignement des arts industriels et un laboratoire d’informatique.  Elle a aussi une grande cour d’école, une piste de course et un terrain de soccer.  La capacité de cette  école est de 484 élèves mais seulement 121 élèves la fréquentent actuellement.  L’ÉASC utilise certains espaces dans cette école, ainsi que le gymnase, pour les activités parascolaires.  Étant donné le faible taux de fréquentation de cette école, il serait possible pour l’ÉASC d’augmenter l’utilisation de ses espaces, spécialisés ou autres.

[589]	Le rapport de M. Kubica dresse un portrait des installations disponibles aux deux écoles secondaires de Yellowknife, l’École Sir John Franklin et l’École St-Patrick.  Ses conclusions correspondent à ce que plusieurs autres témoins ont dit concernant ces écoles.

[590]	Toutes deux accueillent les élèves de la 9e à la 12e année, et ont une population étudiante beaucoup plus élevée que la population totale de l’ÉASC.  (Environ 750 élèves à L’école Sir John Franklin, et environ 570 élèves à l’École St-Patrick).

[591]	L’École Sir John Franklin a un programme d’immersion en français. Elle a un grand gymnase, des espaces spécialisés pour l’enseignement des arts industriels, des arts ménagers, des arts plastiques, et de la musique.  Ses élèves ont accès au Northern Arts Cultural Centre, qui est une grande salle de spectacle rattachée à l’école.  Le taux d’occupation de cette école est cependant très élevé.

[592]	L’École St-Patrick a également un grand gymnase, et des espaces spécialisés pour l’enseignement des arts et du théâtre.  Les élèves ont aussi accès au Kimberlite Career and Technical Centre, qui est situé de l’autre côté de la rue et qui offre toute une gamme d’équipement et installations pour l’enseignement des arts industriels.


[593]	Ces deux écoles secondaires ont aussi  des laboratoires pour l’enseignement des sciences, des espaces où les élèves peuvent se rencontrer, et des espaces de travail pour les élèves qui ont des besoins spéciaux.  Il n’y a pas de classes à niveaux multiples dans ces deux écoles.

[594]	À l’ÉASC, le nombre de salles de classes disponibles oblige l’administration à jumeler tous les niveaux, tant au primaire qu’au secondaire.  Mme Careen a expliqué que l’école s’efforce de faire les meilleures combinaisons possibles de groupes, compte tenu des nombres.  Même la salle spécialisée qui sert de laboratoire, est aussi utilisée pour l’enseignement régulier.

[595]	En ce qui concerne les espaces spécialisés, l’ÉASC n’a pas de gymnase; n’a pas de laboratoire de sciences attitré pour le niveau secondaire; n’a pas de salle de musique ni de théâtre; n’a pas d’espace adéquat pour l’enseignement des arts ménagers; et n’a aucune installation qui permette l’enseignement des arts industriels comme la mécanique, la menuiserie ou la soudure.

[596]	Le fait de ne pas avoir ces espaces fait en sorte que dans sa programmation, l’ÉASC ne peut pas offrir de variété dans les cours optionnels.  Elle peut offrir certains cours et rencontrer les exigences du curriculum, mais les élèves n’ont pas de véritable choix.  C’est le phénomène des “cours optionnels obligatoires”, dont a parlé M. Gravel.

[597]	Dans son rapport d’expert, M. Kindt reconnaît que l’ÉASC n’a pas d’équipement pour l’enseignement de cours techniques comme la menuiserie, la soudure, la mécanique, et que ses installations pour l’enseignement des arts ménagers sont inadéquates.  Mais Il affirme malgré tout que l’école offre “un bon choix de cours d’Études Professionnelles et Techniques”.

[598]	La preuve démontre que l’école a développé un bon programme en informatique.  Dans les faits, c’est le seul type de cours technique que l’ÉASC pouvait espérer offrir à ses élèves sans avoir recours à des installations à l’extérieur  de l’école.  Selon M. Kindt, le développement de “niches de spécialisations” est la meilleure approche pour les petites écoles, car elles ont moins d’espace et n’ont pas la possibilité d’offrir une programmation aussi variée que les plus grandes écoles.  Dans son travail de planification et de développement avec les petites écoles, il encourage cette approche de spécialisation.


[599]	Dans la mesure où l’ÉASC offre un éventail de cours en informatique, M. Kindt a peut-être raison de dire que l’école  offre un “bon choix de cours”.  Mais il faut comprendre que ce “choix” est limité à un seul domaine, qui ne répond pas nécessairement aux aspirations et intérêts de tous les élèves.  Un élève qui n’a pas d’intérêt ou pas d’aptitudes en informatique mais qui est plutôt porté vers la mécanique, par exemple, est confronté à une impasse.  Ce n’est pas un problème simplement théorique: c’est exactement le dilemme dont ont parlé Mme Moore, Mme Montreuil, et Mme Simmons.

[600]	Au sujet des choix de cours, M. Kubica s’exprime différemment de M. Kindt dans son rapport.  Il identifie l’absence de programmes spéciaux et de choix de cours comme étant un problème:

(...) No specialty programs are available to students at École Allain St-Cyr.  This identifies that a major difference between programming at the Anglophone schools in Yellowknife and École Allain St-Cyr is choice.  Anglophone students can choose among the above program offerings or a regular diversity of courses as compared to the Francophone students who are all enrolled in the same series of courses by grade.

[601]	M. Kubica reconnaît, comme plusieurs autres témoins d’ailleurs, que la capacité d’une école d’offrir une programmation diversifiée pour les choix de cours dépend, dans une certaine mesure, du nombre d’élèves qui la fréquentent.

[602]	Peu importe la façon de décrire ou caractériser le phénomène, il est clair que tant au niveau des espaces que de la programmation, il y a des différences importantes entre ce qui est disponible dans les écoles de la majorité anglophone et ce qui est disponible à l’ÉASC.  Personne ne nie cette réalité.  Par contre, les parties ont des positions diamétralement opposées quant à savoir  si cette situation contrevient ou non aux droits protégés par l’article 23.  À mon avis, ni l’une ni l’autre des approches préconisées par les parties n’est conforme à la jurisprudence concernant l’article 23.

3. 	Les approches préconisées par les parties dans la façon d’évaluer des différences entre les infrastructures majoritaires et minoritaires

[603]	Il serait difficile d’imaginer que les positions des parties puissent être plus polarisées.  Les Demandeurs affirment que l’article 23 crée pour les Défendeurs une obligation de construire un agrandissement à l’ÉASC qui créerait une aile secondaire distincte et offrirait toutes les salles spécialisées et les équipements qui existent dans les écoles anglophones de Yellowknife, notamment les deux grosses écoles secondaires, sans égard aux différences dans les nombres et sans égard aux coûts que ces travaux d’agrandissement engendreraient.


[604]	Les Demandeurs affirment que le tribunal devrait  ordonner aux Défendeurs de leur fournir les espaces scolaires suivants: 13 salles de classe régulières (1 pour chaque niveau); un laboratoire de sciences dédié pour le niveau secondaire; un espace pour l’enseignement des arts plastiques et visuels; un espace pour l’enseignement de la musique; un espace pour l’enseignement des arts de la scène; un espace  pour les ordinateurs et la technologie; un espace pour la francisation; un espace pour l’enseignement de l’anglais langue seconde; un centre de ressources en français; des espaces pour l’enseignement des Études Professionnelles et Techniques; un espace pour l’enseignement des arts ménagers annexé au gymnase; un gymnase de plus de 500 mètres carrés avec vestiaires, douches, et estrade; une cafétéria; des espaces pour les élèves qui ont des besoins spéciaux; un espace pour le conseil étudiant; des espaces pour le personnel spécialisé et les professeurs; des espaces de rangement et d’entreposage, et un terrain de jeu extérieur pour les niveaux primaire et secondaire.

[605]	Pour leur part, les Défendeurs affirment que l’édifice actuel est parfaitement adéquat pour répondre aux besoins de l’école, et que dans la mesure où il existe certaines lacunes, elles peuvent toutes être comblées par l’utilisation d’espaces dans d’autres écoles ou ailleurs dans la communauté.

[606]	Selon moi, ni l’une ni l’autre de ces approches ne respecte les paramètres de l’article 23.  L’approche des Défendeurs ignore le véritable sens du concept d’égalité réelle.  Celle des Demandeurs ignore dans une large mesure le critère de l’échelle variable.

a. 	L’approche des Défendeurs

[607]	L’approche des Défendeurs est de préconiser une attribution d’infrastructures pour les écoles de la minorité qui fonctionne exactement de la même façon que l’attribution d’infrastructures pour les élèves de la majorité.

[608]	Cette approche se manifeste dans la façon dont le Ministère de l’Éducation attribue les espaces scolaires.  Elle se manifeste aussi, de façon plus générale, dans les processus d’attribution de budgets pour les projets de constructions.

[609]	Dans l’attribution des espaces scolaires, le Ministère de l’Éducation applique des standards.  Ces standards déterminent la superficie des espaces auxquels l’école a droit, tant pour les salles de classes que pour les espaces spécialisés.


[610]	Les standards ont été révisés en 2005 et à certains égards, l’approche à l’attribution d’espace a changé.  Auparavant, ils fonctionnaient surtout selon un seuil numérique: le nombre d’élèves déterminait le droit à certains espaces, comme un gymnase ou d’autres espaces spécialisés.

[611]	Les nouveaux standards sont fondés sur les nombres, mais l’approche est différente à certains égards.  Pour les espaces récréatifs comme un gymnase, l’approche du seuil est encore applicable.  Maintenant, les écoles conçues pour accueillir entre 150 et 300 élèves ont droit à un gymnase de 500 mètres carrés; celles conçues pour accueillir entre 300 et 600 élèves ont droit à un gymnase de 850 mètres carrés; celles qui sont conçues pour accueillir entre 50 et 150 élèves ont droit à 70 mètres carrés d’espace récréatif (ce qui n’est pas un gymnase).

[612]	Pour d’autres  types d’ espaces  spécialisés (laboratoires, salles pour la musique, les arts, les arts industriels), les standards ne fixent plus un seuil numérique rattaché à un nombre fixe d’élèves.  Ils attribuent plutôt un certain nombre de mètres carrés par élève pour ce type d’espace.  Ceci  détermine l’espace total qui sera accordé à l’école pour les espaces spécialisés.  Les standards prévoient une allocation en espace de 0.5 mètres carrés par élève, plus 1 mètre carré supplémentaire par élève entre la 7e et la 12e année.

[613]	Cette approche fait en sorte qu’une école qui a une grosse population étudiante aura droit à un gymnase, et aura droit à suffisamment de mètres carrés en espace spécialisés pour se doter de plusieurs salles spécialisées, chacune avec leur propre vocation.  Une petite école, ayant moins d’espace total, est beaucoup plus limitée. M. Devitt a reconnu cela, et a expliqué que pour les plus petites écoles, la création de salles à usages multiples est privilégiée pour cette raison.


[614]	À mon avis, ces  standards  défavorisent  systématiquement les écoles minoritaires,  pour deux raisons.  Premièrement, par définition, les écoles minoritaires sont plus petites que celles de la majorité.  Elles n’auront donc souvent pas les effectifs qui lui donneront la flexibilité d’aménager des espaces spécialisés.   La création de salles à usages multiples est une solution partielle, mais il y a des limites aux façons de combiner les utilisations d’une même salle.  De plus, dans  une  école qui accueille des élèves de la maternelle à la 12e année, la conséquence est souvent de  forcer l’école à utiliser les mêmes espaces à usages multiples pour le primaire et le secondaire.  Ceci  peut être difficile à gérer, les exigences des espaces étant très différentes pour les deux groupes.  De plus, la combinaison de plusieurs usages pour une même salle de classe peut causer de sérieux problèmes logistiques dans la gestion de l’horaire d’une école qui, quoique petite en terme de nombre, a des élèves répartis sur 13 niveaux.

[615]	La deuxième raison pour laquelle ce genre de standards risque d’avoir  un impact plus négatif sur les écoles de la minorité, et c’est vrai dans le cas de l’ÉASC, c’est que les écoles minoritaires perdent souvent une partie de leurs effectifs au niveau secondaire.  La preuve établit que l’ÉASC a  historiquement eu du mal à retenir ses effectifs au niveau secondaire.  Le Dr. Landry a expliqué que ce phénomène est fréquent dans les écoles de la minorité francophone.  Indépendamment des causes de ce phénomène de migration, leur conséquence est que, comme c’est le cas à l’ÉASC, une forte proportion des effectifs est concentrée au niveau primaire.

[616]	Or, selon les standards, la superficie  accordée par élève pour les espaces spécialisés est trois fois moins grande pour un élève du primaire que pour un élève du secondaire.  Si les projections d’inscription utilisées pour déterminer la capacité que l’école devrait avoir, et l’application des standards, reflètent ce fait (par exemple en utilisant la méthode de calcul selon la survie des cohortes utilisée par le gouvernement), les nombres projetés au niveau secondaire risquent d’être relativement  bas pour une école de la minorité. Ceci aura un impact significatif sur l’espace qui sera attribué, et sur les infrastructures spécialisées dont l’école pourra disposer.

[617]	L’importance accrue des espaces spécialisés au niveau secondaire est un sujet dont  M. Kubica traite dans son rapport.  J’accepte son opinion à cet égard. Elle est d’ailleurs confirmée par les standards eux-mêmes: si le Ministère  alloue 3 fois plus d’espace spécialisé par élève pour le niveau secondaire que pour le niveau primaire, c’est qu’il reconnaît que les besoins en espaces spécialisés au secondaire sont beaucoup plus grands.

[618]	L’application des standards du Ministère désavantage donc considérablement l’ÉASC, et ceci, en partie, à cause de facteurs qui font partie intégrante de la réalité en milieu minoritaire.  Selon moi, l’article 23 crée une obligation pour les Défendeurs de faire des ajustements pour s’assurer aux élèves de la minorité une égalité réelle par rapport aux élèves de la majorité.

[619]	Les auteurs des standards ont dû reconnaître que dans certains cas, des ajustements seraient nécessaires: ils prévoient que le Ministre peut permettre une allocation d’espace supérieure à ce que les standards prévoient.  Mais M. Devitt a dit qu’à sa connaissance, une telle permission n’a jamais été accordée par le Ministre.

[620]	 D’après le témoignage de M. Devitt, quand les standards ont été révisés en 2005, il n’y a eu aucune considération, pendant le processus de révision, de la spécificité d’une école minoritaire, ni des obligations constitutionnelles du gouvernement à cet égard.  Je conclus des réponses données par M. Devitt durant son contre-interrogatoire qu’il estime qu’une école minoritaire  doit être sujette aux mêmes standards que ceux qui s’appliquent aux écoles majoritaires.

[621]	Cette approche d’application uniforme des standards est erronée non seulement parce qu’elle ne tient pas compte des impacts négatifs décrits plus haut, mais surtout parce qu’elle présume  que les moyens de combler les lacunes qui sont appropriés pour les écoles de la majorité le sont tout autant pour les écoles de la minorité. Selon moi, ce n’est pas le cas.   Le fait de devoir utiliser des espaces à l’extérieur de l’école quand cette dernière n’a pas les installations nécessaires pour certains cours a un impact  beaucoup plus négatif sur une école minoritaire que sur une école de la majorité.

[622]	 Au premier abord, on peut comprendre la logique de chercher à maximiser l’usage d’infrastructures existantes plutôt que d’en construire des nouvelles pour des petits nombres d’élèves.  Cela peut occasionner certains inconvénients (perte de temps, défis logistiques, et autres inconvénients) qui affectent les écoles majoritaire et minoritaires de la même façon.

[623]	Mais l’utilisation d’espaces à l’extérieur de l’école a un autre impact qui est spécifique aux écoles minoritaires: l’érosion de l’homogénéité linguistique de l’environnement scolaire. Dans une école minoritaire, cette homogénéité linguistique est très importante.  J’accepte l’opinion du Dr. Landry concernant l’importance de l’école comme institution en milieu minoritaire, et l’importance pour une école minoritaire d’avoir ses propres espaces distincts.  D’ailleurs, ce fait a été reconnu par la Cour suprême du Canada:

Comme des locaux doivent avoir des limites précises pour être placés sous le contrôle du groupe linguistique minoritaire, il semblerait s’ensuivre un droit à des établissements dans des lieux physiques distincts. Comme l’a affirmé [la Cour d’appel]:

[Traduction] Pour ceux “de la minorité”, les établissements devraient être, dans la mesure du possible, distincts par rapport à ceux dans lesquels l’instruction en anglais est offerte.  Je ne mets pas en doute l’importance du milieu dans le domaine de l’éducation, Les élèves de langue française devraient vivre en français dans la cour de récréation, à l’occasion des activités hors-programme ainsi que dans la classe.  Le français devrait être la langue utilisée dans le cadre de l’administration et du fonctionnement de l’établissement, y compris l’affichage.	

Cette conclusion est également compatible avec la reconnaissance du fait que les écoles de la minorité jouent un rôle à la fois comme centres culturels et comme établissements d’enseignement.

Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art.79(3), (4) et (7) [1993] R.C.S. 839, paras 24-25.

[624]	Une autre différence au niveau des impacts est que dans le contexte des TN-O, dans la majorité des cas, les écoles qui ont une population comparable à celle de l’ÉASC sont dans des petites communautés où les parents et élèves n’ont pas à choisir entre plusieurs écoles.  Donc, même si l’école doit partager des espaces ou se passer de certaines infrastructures, il n’y a pas de risque que cela devienne un facteur qui contribue à la migration des élèves vers une autre école de la communauté, puisqu’il n’y en a pas.  C’est différent à Yellowknife: les élèves et les parents ont un choix.

[625]	Il a beaucoup été question de de rétention d’élèves au procès, particulièrement au niveau secondaire.  Les Demandeurs affirment que les différences entre ce qui est disponible à l’ÉASC et qui est disponible ailleurs est la cause principale des départs des élèves l’école.  Je comprends, ayant entendu la preuve présentée dans le cadre du voir dire, que plusieurs des témoins sont convaincus que c’est le cas.

[626]	  Mais à mon avis, sur la base des éléments de preuve que j’ai déclarés  recevable, ce fait n’a pas été établi.  Le témoignage du Dr. Landry n’est pas à cet effet; son opinion est beaucoup plus nuancée.  Il a dit  que le choix d’école et la rétention d’élèves, dans le contexte minoritaire, sont  des phénomènes  complexes  qui sont influencés par de nombreux facteurs.  Il estime que les infrastructures et les programmes disponibles sont un facteur, mais il a reconnu qu’il y en a plusieurs autres.  Il a aussi reconnu qu’il n’y avait pas d’études qui, à sa connaissance, avait examiné le lien entre la rétention d’élèves et les infrastructures.

[627]	J’accepte cependant l’opinion du Dr. Landry que la qualité des infrastructures est un  facteur, parmi plusieurs autres, qui peut influencer le choix d’une école en milieu minoritaire.  Il y a d’ailleurs de la preuve circonstancielle qui appuie cette opinion.  Premièrement, les inscriptions à l’ÉASC ont augmenté quand l’école  est déménagée des classes portatives pour s’établir dans le nouvel édifice.  L’amélioration des infrastructures a semblé avoir un effet positif sur le recrutement.  Deuxièmement, il y a eu une stabilisation relative des effectifs du niveau secondaire après l’agrandissement de la Phase 1.  Ces éléments de preuve tendent à démontrer que les infrastructures sont un facteur de recrutement et de rétention.

[628]	Je conclus donc que les infrastructures et les programmes font partie des facteurs qui peuvent avoir une influence sur le recrutement et la migration d’élèves.  Comme je l’ai expliqué, pour beaucoup d’autres petites écoles dans les TN-O, la migration des élèves vers une autre école de la communauté n’est tout simplement pas un facteur.  C’est une autre raison pour laquelle l’application des standards du Ministère dans l’attribution des espaces scolaires et des infrastructures a un impact plus négatif sur l’ÉASC que sur les petites écoles de la majorité.

[629]	L’approche des Défendeurs de traiter les écoles minoritaires de la même façon que les écoles majoritaires ressort également du processus d’attribution de budgets pour les projets en immobilisations du gouvernement, dans le développement du Plan capital.  Les filtres primaires et secondaires qui sont utilisés pour accorder une priorité aux différents projets n’incluent aucune considération reflétant les obligations constitutionnelles du gouvernement en vertu de l’article 23.

[630]	M. Nagel, qui connaît bien les filtres et le processus en général, a expliqué qu’il revient au Ministère concerné de faire valoir ce genre de considérations   dans la présentation du projet au comité qui établit les priorités.  Mais il n’en demeure pas moins que l’outil principal qui est utilisé pour établir les priorités dans les investissements ne tient pas compte des considérations particulières découlant de l’obligation du gouvernement de mettre en oeuvre les droits protégés par l’article 23.  Ce mécanisme gouvernemental (qui est très important puisqu’il sert de fondement à l’établissement des budgets) traite donc lui aussi les projets concernant les écoles minoritaires exactement de la même façon que les écoles majoritaires.


[631]	Je reconnais que les Défendeurs ont établi qu’à certains égards, l’ÉASC est avantagée par rapport à d’autres écoles, par exemple quant au ratio professeurs-élèves.  Ils font aussi valoir que la superficie de l’édifice actuel dépasse ce à quoi l’école aurait droit en vertu des standards du Ministère.  Mais ces conditions avantageuses ne résultent pas d’un choix des Défendeurs de traiter cette école différemment pour tenir compte de sa particularité en tant qu’école minoritaire: elles résultent de contributions du gouvernement fédéral, qui a divers programmes pour soutenir les minorités linguistiques au pays.

[632]	Certains diront qu’il n’y a rien d’injuste à ce que l’attribution d’espace et l’octroi de budgets soient déterminés de la même façon pour une école francophone minoritaire que pour une école de la majorité.  Certains diront même que c’est d’agir autrement qui créerait une injustice.  De bien des façons, c’est ce débat qui est au coeur du litige.

[633]	 On peut comprendre les arguments de part et d’autre, mais d’un point de vue juridique, la réponse est tout simplement que la question a été tranchée par la Cour suprême du Canada.  Elle a déjà décidé que l’application des normes qui sont utilisées pour décider des besoins de la majorité ne suffit pas pour réaliser les objectifs de l’article 23.  Ainsi, en appliquant à l’école minoritaire les mêmes paramètres qu’ils appliquent à toute autre école, les Défendeurs, il me semble, font exactement ce que la Cour suprême du Canada a dit de ne pas faire:

Comme nous l’avons dit, l’art.23 a un caractère réparateur. Il n’a pas pour objet de renforcer le statu quo par l’adoption d’une conception formelle de l’égalité qui viserait principalement à traiter de la même façon les groupes majoritaires et minoritaires de langue officielle Mahé, précité, à la p.378.  L’utilisation de normes objectives pour évaluer les besoins pédagogiques des enfants de la majorité linguistique, ne tient pas compte des exigences particulières des titulaires des droits garantis par l’art. 23.	

Arsenault-Cameron, supra, para.31

[634]	Je conclus que quand il est question de décider des espaces et infrastructures qui seront attribués à une école minoritaire, les Défendeurs ne peuvent pas se contenter d’appliquer les standards généraux, mais doivent plutôt aborder la question en tenant compte des besoins spéciaux de la minorité, et faire certains ajustements nécessaires pour respecter leurs obligations en vertu de l’article 23.


b.	L’approche préconisée par les Demandeurs au sujet de l’égalité réelle

[635]	De leur côté, les Demandeurs ont une approche qui, selon moi, ne tient pas du tout compte du fait que les droits protégés par l’article 23 ne sont pas absolus.  En affirmant que l’ÉASC devrait avoir toutes les installations dont disposent des écoles qui ont une population étudiante 5 ou 6 fois plus grande, ils évacuent de l’analyse le critère de l’échelle variable, tel que défini par la Cour suprême du Canada:

L’idée du critère variable signifie simplement que l’art. 23 garantit le type et le niveau de droits et de services qui sont appropriés pour assurer l’instruction dans la langue de la minorité au nombre d’élèves en question.

     	Mahé, supra, para.39

[636]	Je rappelle que la Cour suprême a établi il y a longtemps que la justification par le nombre requiert une considération de ce que constituent les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d’élèves visés, et le coût des services envisagés.  Au sujet des coûts, la Cour suprême a précisé:

Le second  facteur, soit le coût des services, n’est pas explicitement pris en compte normalement pour déterminer si une personne se verra ou non accorder un droit prévu par la Charte.  Dans le cas de l’art. 23, cependant, cette considération s’impose. À la différence d’autres dispositions, l’art. 23 ne crée pas un droit absolu.  Il accorde plutôt un droit dont l’exercice est assujetti à des contraintes pécuniaires, car il n’est pas financièrement possible d’accorder à chaque groupe d’élève, si petit soit-il, les mêmes services que ceux donnés à un groupe important d’élèves visés par l’art.23.

Mahé, supra, para.80.

[637]	Les Demandeurs affirment que les Défendeurs ont, de par leurs actions, concédé que le nombre d’ayants droits à Yellowknife leur donne droit au maximum de services possibles  selon le critère de l’échelle variable.  J’ai déjà expliqué, aux Paragraphes 555 à 577, pourquoi  je rejette ce genre d’argument du “tout ou rien” en ce qui concerne le droit de gestion de la commission scolaire.  Je le rejette également en ce qui a trait à l’égalité réelle au niveau des  infrastructures.

[638]	Le niveau de services auxquels la minorité francophone de Yellowknife a droit doit être établi en tenant compte des besoins  pédagogiques compte tenu des nombres, et du coût des services envisagés.  L’approche du “tout ou rien” n’est pas conforme à l’analyse flexible et hautement factuelle mandatée la jurisprudence.


4. 	Analyse des infrastructures à la lumière du critère de l’échelle variable

a. 	Les nombres

[639]	En parlant de la justification par le nombre, la Cour suprême a dit:

À mon sens, le chiffre pertinent aux fins de l’art. 23 est le nombre de personnes qui se prévaudront en définitive du programme ou de l’établissement envisagés.  Il sera normalement impossible de connaître le chiffre exact, mais on peut avoir une idée approximative en considérant les paramètres dans lesquels il doit s’inscrire - la demande connue relative au service et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service.

Mahé, supra, para.78.

[640]	Dans Arsenault-Cameron, la Cour Suprême a apporté des précisions supplémentaires:	

Comme le juge en chef l’a souligné dans Mahé, précité, la méthode du “critère variable” appliquée à l’art.23 signifie que la norme numérique devra être précisée par l’examen des faits propres à chaque situation qui est soumise aux tribunaux.  Le nombre pertinent est le nombre de personnes qui se prévaudront éventuellement du service, c’est-à-dire un nombre se situant approximativement entre la demande connue et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service.

Arsenault-Cameron, supra, para.32

[641]	Ces commentaires ont été faits dans un contexte où la question qui se posait était de savoir, dans Mahé, si le gouvernement avait l’obligation de créer une commission scolaire autonome, et dans Arsenault-Cameron, si le gouvernement avait l’obligation de construire une école primaire dans une certaine région de l’Île-du-Prince-Édouard.  Mais le critère de l’échelle variable s’applique aussi quand il s’agit de déterminer, comme c’est le cas ici, dans quelle mesure un gouvernement a l’obligation, en vertu de l’article 23, d’agrandir des infrastructures existantes.


[642]	Les Défendeurs affirment que la preuve la plus fiable pour déterminer le nombre d’ayants droit à Yellowknife est celle qui émane des résultats du recensement de 2006 fait par Statistiques Canada.  Ces résultats sont à l’effet qu’au moment du recensement, le nombre total d’enfants à Yellowknife dont au moins un parent avait le français comme langue maternelle était de 295, dont 245 étaient d’âge scolaire.

[643]	Les Défendeurs affirment que ce sont ces chiffres qui devraient être utilisés pour établir ce que constitue la clientèle cible du programme d’enseignement en français, et déterminer la suffisance des espaces actuels selon le critère de l’échelle variable.  Ils affirment que l’école actuelle est adéquate puisque que le nombre d’élèves qu’elle peut accueillir (l’école actuelle a une capacité de 160 élèves ) se situe approximativement entre le nombre d’élèves qui la fréquentent actuellement (110 élèves à la date du procès) et sa clientèle potentielle (245 enfants d’âge scolaire, selon les résultats du recensement).

[644]	Les Demandeurs contestent la fiabilité des données issues du recensement, et affirment que la clientèle cible de l’école ne devrait pas être déterminée uniquement sur la base de ces dernières.

[645]	Le Dr. Landry est d’avis que la clientèle cible de l’école est supérieure à ce que pourraient laisser croire les chiffres issus du recensement, et ce, pour plusieurs raisons.

[646]	Premièrement, la question posée au recensement ne permet pas d’identifier les gens qui appartiennent aux trois catégories d’ayants droit prévus par  l’article 23: seuls les gens qui appartiennent à la première catégorie (ceux dont la première langue apprise et encore comprise est le français) sont identifiés.  Les enfants qui seraient visés par l’article 23 en vertu des deux autres catégories (un enfant dont un des parents a reçu son instruction primaire en français, ou dont un frère ou une soeur  reçoit ou a reçu son instruction au primaire ou au secondaire en français) ne sont pas inclus dans le résultat.

[647]	Le Dr. Landry a estimé, dans une étude récente portant sur les enfants d’ayants droit francophones au Canada, que l’ajout de ces deux critères pouvait représenter une augmentation d’environ 20% par rapport aux chiffres issus du recensement.  Dans le cas qui nous occupe, ceci ferait passer le chiffre pour la ville de Yellowknife à un total de 354 enfants, dont 294 d’âge scolaire.


[648]	Le Dr. Denis, pour sa part, estime qu’il y a des facteurs sociologiques qui peuvent mener à une sous-identification des ayants droits (c’est à dire, que même certaines personnes qui font partie de la première catégorie de l’article 23 n’identifient pas nécessairement le français comme étant leur langue maternelle quand ils répondent à la question).

[649]	Le Dr. Landry fait aussi remarquer que le recensement ne permet pas d’identifier un enfant issu de couple exogame qui vit, suite à une séparation, avec son parent anglophone.  Il considère que ceci peut être significatif dans une communauté comme Yellowknife où le taux d’exogamie est très élevé.

[650]	Le Dr. Landry et le Dr. Denis donnent d’autres raisons qui selon eux peuvent contribuer à fausser les résultats, comme l’absence de stratification des échantillons selon la langue, et le système d’arrondissement aléatoire des chiffres.

[651]	Au-delà de ces considérations, le Dr. Landry estime aussi  que la clientèle cible d’une école minoritaire devrait inclure certaines  personnes qui ne sont pas incluses dans les 3 catégories énumérées à l’article 23.  Il souligne qu’ ailleurs au Canada, de tels groupes (par exemple, des personnes qui ont des ancêtres francophones, et des immigrants francophones qui n’ont pas encore la citoyenneté canadienne) ont accès au programme d’enseignement en français.

[652]	C’était d’ailleurs le cas dans les TN-O jusqu’en juillet 2008.  La politique d’admission de de la CSFTN-O a toujours permis l’admission de  certaines personnes non strictement visées par l’article 23.   Cette politique d’admission est devenue inopérante suite à la directive ministérielle émise en juillet 2008, qui limite l’accès au programme aux personnes visées par l’article 23, sauf sur permission du Ministre.

[653]	Dans mes motifs de décision dans le dossier CV2008000133, j’ai conclu  que c’est la CSFTN-O qui doit décider de l’accessibilité à son programme.  En vertu de la politique d’admission actuelle de la CSFTN-O, la clientèle cible déborde donc effectivement du strict cadre de l’article 23.

[654]	Mais même si on ne tient compte que des personnes faisant parties des 3 catégories de l’article 23, et pour les autres raisons évoquées par le Dr. Landry, les résultats du recensement ne dressent pas, à mon avis, un portrait complètement fiable de la clientèle cible du programme d’enseignement en français.


[655]	Pour la même raison, les projections de Mme Perris, qui sont faites à partir des données du recensement, ne dressent pas un portrait complètement fiable de la clientèle cible pour les années à venir.  De plus, elles ne tiennent pas compte d’améliorations possibles au  recrutement et à la rétention des élèves.   J’ accorde donc à ces projections très peu de force probante.

[656]	Quant aux projections du Ministère de l’Éducation, elles sont faites à partir de la “méthode de survie des cohortes”.  Elles tiennent compte des niveaux actuels de rétention et de recrutement.  Elles ne tiennent pas compte d’améliorations possibles du recrutement, ni d’une amélioration possible au niveau de la rétention, au niveau secondaire, par exemple.  Elles ne tiennent pas compte des effets que pourrait avoir une revitalisation de la communauté minoritaire.

[657]	La preuve présentée par les Demandeurs n’établit pas avec une précision chirurgicale le nombre d’enfants visés par l’article 23 qui habitent à Yellowknife.  Comme n’importe quel demandeur dans un recours juridique, ils ont le fardeau  d’établir leur droit aux mesures de redressement qu’ils recherchent, ce qui, dans le cas d’un recours fondé sur l’article 23, inclut l’établissement de la justification par le nombre.

[658]	Mais il y a un degré de précision qu’il n’est pas raisonnable d’exiger de la part des gens qui invoquent leurs droits en vertu de l’article 23:

La province a l’obligation de promouvoir activement des services éducatifs dans la langue de la minorité et d’aider à déterminer la demande éventuelle.  Cette obligation (..) a été reconnue par le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man) [citation omise] La province ne peut pas se soustraire à son obligation constitutionnelle en invoquant une preuve numérique insuffisante, surtout si elle n’est pas prête à faire ses propres études ni à recueillir et présenter d’autres éléments de preuve sur la demande connue et éventuelle.
 	
Arsenault-Cameron, supra, para 34.

[659]	M. Devitt a reconnu que les Défendeurs n’ont fait aucune étude dans le passé pour essayer d’établir le nombre d’ayants droit dans la ville de Yellowknife.  M. Devitt n’était pas au courant de projet en ce sens au moment du procès non plus.  Les Défendeurs se contentent de s’appuyer sur les résultats du recensement de 2006.

[660]	Il n’y a rien d’inapproprié à se fier  aux résultats du recensement pour certaines fins.  Le Dr. Landry et le Dr. Denis ont reconnu que malgré leurs réserves par rapport à la fiabilité de ces chiffres, ils les utilisent dans leurs recherches et leurs études.

[661]	Mais s’en servir, compte tenu du contexte, pour établir les effectifs cibles du programme d’enseignement en français, est une autre chose.  Les Défendeurs connaissent depuis au moins 2003 la position de la CSFTN-O concernant les effectifs cibles de ses deux écoles, et les nombres sur lesquels cette position est fondée.  Le sujet est abordé en détail dans le rapport “Vision 20-20", et repris dans “L’égalité des chances, l’égalité des résultats”.

[662]	Si les Défendeurs contestaient les chiffres mis de l’avant par la CSFTN-O, ils auraient dû lui faire savoir, ce qu’ils n’ont pas fait.  La lettre envoyée au président de la CSFTN-O par le Ministre en février 2004 (pièce #183), en réponse au document “L’égalité des chances, l’égalité des résultats”, exprime un désaccord avec certains aspects du document, dont les conclusions dans l’avis juridique préparé pour le compte de l’APADY.  Le Ministre exprime notamment son désaccord avec la façon dont le critère de l’échelle variable y est appliqué.  Mais il n’y a aucune indication dans cette lettre, ni dans aucune autre communication écrite des Défendeurs à la CSFTN-O, qui remet en question sa position concernant les effectifs cibles pour le programme scolaire en français à Yellowknife.

[663]	De plus, si les Défendeurs contestaient ces chiffres, il leur incombait de prendre des mesures pour clarifier le nombre d’ayants droit à Yellowknife.  La CSFTN-O ne s’est pas contentée de mettre de l’avant un chiffre sans dire d’où il venait.  Ses documents expliquent au gouvernement sa position concernant les nombres, et ce sur quoi elle est fondée.  Si les Défendeurs voyaient les choses différemment, ils avaient la responsabilité de faire faire leurs propres études.

[664]	Il vrai que le Ministère a demandé à la CSFTN-O de participer à une initiative pour recueillir certaines informations au sujet des élèves au moment de l’inscription.  Le Ministère proposait de faire remplir un questionnaire au moment de l’inscription pour déterminer si un des parents fait partie d’une des trois catégories de l’article 23.

[665]	Dans sa réponse au Ministère en août 2010 (pièce #203) le directeur de la CSFTN-O, M. Brûlot, demande que l’éventail de questions posées soit élargi pour que certains groupes de parents (immigrants francophones, personnes ayant des ancêtres francophones, etc.),  puissent également être identifiés.  Il ne semble pas que M. Brûlot ait reçu une réponse. Il n’y a, en tout cas, aucune preuve qu’il en a reçu une, et dans son témoignage, Mme Grinsted n’a pas pu apporter d’autres précisions sur le sujet.  L’idée de recueillir de l’information semble simplement avoir été abandonnée par le Ministère.


[666]	Il faut remettre la position de la CSFTN-O dans son contexte.  Premièrement, la demande du Ministère semble avoir fait suite à une lettre de M. Brûlot datée du 29 janvier 2010 (pièce #150).  Dans cette lettre, M. Brûlot expliquait que le procureur des Défendeurs avait demandé à la CSFTN-O de fournir la liste des élèves potentiels qui sont des ayants droit à Hay River.  M. Brûlot écrivait ensuite:

Le but de la présente est de demander au Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest de nous aider dans ce processus d’identification, car vous avez des ressources disponibles que nous ne possédons pas.  À cet effet, nous vous demandons d’intervenir auprès de toute les commissions scolaires des Territoires et de leur demander d’ajouter des questions à leurs formulaires d’inscription. Ces questions nous permettront d’identifier la clientèle éventuelle.

[667]	Au moment où la demande de participer à ce processus a été faite, le litige était bien engagé entre la CSFTN-O et le Ministère de l’Éducation au sujet de la politique d’admission de la commission scolaire et la directive ministérielle qui en annulait l’effet.  La CSFTN-O avait une opinion fort différente de celle du gouvernement au sujet de ce que constituait légitimement sa clientèle cible.  La CSFTN-O demandait qu’un éventail plus vaste de questions  soient  posées pour qu’elle puisse identifier des personnes qu’elle considérait comme faisant partie de sa clientèle potentielle.

[668]	La différence d’opinion entre la CSFTN-O et le gouvernement n’était pas  un obstacle à ce que l’information soit recueillie.  Ceci aurait pu être fait sans préjudice aux positions que les parties entendaient faire valoir dans le cadre de ces recours juridiques.   Autrement dit, le Ministère aurait pu élargir l’éventail de questions tout en maintenant sa position concernant la pertinence de cette information.

[669]	Rien n’aurait empêché non plus les Défendeurs de  recueillir l’information concernant les ayants droit auprès des autres commissions scolaires.  C’est cette information qui aurait été la plus pertinente pour déterminer quelle proportion de personnes visées par l’article 23 ne fréquente pas les écoles de la minorité dans les TN-O.


[670]	Les Défendeurs connaissaient la position de la CSFTN-O concernant les effectifs cibles depuis au moins 2003.  Le refus de la CSFTN-O de participer à cette cueillette de données, à quelques mois du début du procès, ne change pas ma conclusion au sujet du fait que les Défendeurs avaient une obligation de mener leurs propres études s’ils contestaient ce que les Demandeurs avançaient concernant les nombres de leur clientèle cible.

[671]	À mon avis, les données de Statistiques Canada offrent un bon point de départ pour évaluer le nombre d’ayants droits à Yellowknife, mais je conclus, contrairement à ce que les Défendeurs prétendent, que leur fiabilité est limitée, et qu’il y a lieu, en les utilisant, de les réviser à la hausse.

[672]	Le Dr. Landry, dont j’accepte l’opinion (aucune preuve n’a d’ailleurs été présentée le contredisant sur ce sujet), estime, au départ, qu’il faut ajouter 20% au chiffre du recensement pour tenir compte des 2 catégories de l’article 23 qui échappent au recensement.  Appliquant cette formule, le nombre d’enfants d’âge scolaire qui auraient au moins un parent ayant droit passe de 245 à 294.

[673]	Ceci ne tient pas compte des autres facteurs qui ont été mentionnés qui peuvent affecter la fiabilité des résultats, ni de la clientèle potentielle qui ne serait pas spécifiquement visée par l’article 23 mais qui pourrait avoir accès au programme en vertu de la politique d’admission de la CSFTN-O.  Il me semble donc raisonnable de réviser le chiffre légèrement à la hausse.  Le chiffre avancé par le Dr. Landry est de 400, mais à mon avis il est peut-être un peu trop optimiste.

[674]	Je conclus, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que l’effectif-cible raisonnable du programme d’enseignement en français pour l’ÉASC à Yellowknife se chiffre à environ 350 enfants.

b.	Analyse de l’infrastructure existante

[675]	Je suis d’accord avec les Défendeurs sur ce point: en décidant la nature et l’étendue des infrastructures nécessaires pour répondre aux exigences de l’article 23, il faut considérer les nombres.  Mais pour les raisons que j’ai expliquées, il ne faut pas se borner à appliquer les standards préétablis qui s’appliquent aux écoles de la majorité.  Une application mécanique de ces standards désavantage systématiquement  les écoles minoritaires, et est incompatible avec la notion d’égalité réelle et l’objet de l’article 23.

[676]	La question n’est donc pas de savoir si l’ÉASC est conforme aux standards du Ministère, mais si, dans les circonstances, elle assure une égalité réelle aux élèves de la minorité.


[677]	La réponse à cette question  requiert une analyse  nuancée qui tient compte des infrastructures disponibles pour la majorité, en utilisant le  comparateur que j’ai identifié (les écoles avec lesquelles l’ÉASC est en concurrence à Yellowknife), mais qui tient compte aussi des différences dans les nombres, des besoins pédagogiques de la minorité, de l’importance pour elle d’avoir des espaces scolaires distincts, et des coûts.

i) 	L’ÉASC répond-elle actuellement aux exigences de l’article 23?

[678]	L’ÉASC a une capacité, selon le Ministère, de 160 élèves, et il y en avait 110 d’inscrits au moment du procès.  Ceci ne veut pas dire que l’espace est conforme à l’article 23, puisqu’il faut aussi tenir compte des besoins potentiels.  Mais il est utile, comme point de départ, d’examiner la situation de l’école actuelle au point de vue des espaces, puisque même la suffisance des espaces pour répondre aux besoins actuels est un sujet contesté.

[679]	Il y a eu considérablement de preuve au procès au sujet du manque d’espace à l’ÉASC.  Les membres du personnel de l’école en ont parlé, ainsi que certains parents.  M. Kubica est arrivé à la conclusion qu’il y avait effectivement un manque d’espace et que l’administration dispose de très peu de flexibilité. Ceci rejoint le témoignage de Mme Careen.  M. Kubica a également conclu qu’il y avait de sérieuses lacunes au niveau des espaces spécialisés, particulièrement au niveau secondaire.

[680]	L’opinion de M. Kindt  est différente.  Dans la première partie de son rapport, il discute des espaces actuels.  Il conclut que ces espaces sont suffisants, d’un point de vue pédagogique, pour répondre aux besoins des élèves actuellement, et pour les prochains 4 ou 5 ans.  Il estime cependant que certains réaménagements devraient être faits pour améliorer la façon dont l’espace est utilisé.

[681]	L’opinion de M. Kindt n’est pas en accord avec le témoignage de plusieurs autres témoins qui vivent la réalité de l’école au jour le jour.  Évidemment il faut reconnaître que  ces autres témoins ne sont pas des observateurs neutres ou objectifs.  Par contre, M. Kubica est du même avis qu’eux.  Il n’y a aucune preuve qu’il ait quoi que ce soit à gagner d’une issue ou d’une autre dans ce litige.  Il n’habite même pas les TN-O.

[682]	En parlant de la situation actuelle à l’école, M. Kindt utilise l’expression “perceived space crunch” (perception de manque d’espace).  Il semble dire que cette “perception” est due au déménagement de la maternelle, qui a été fait pour accroître l’espace consacré à la garderie.  Il évoque la possibilité pour l’école de récupérer cet espace, et possiblement l’espace complet de la garderie, pour le consacrer à des fins scolaires.  À son avis ceci augmenterait la capacité de l’école de 144 à 180 élèves, soit une augmentation de 18 places pour chaque salle ainsi récupérée (Pièce #157, pp.13-14; pp.39-40).

[683]	Cette façon d’aborder la question fait abstraction d’un facteur très important: l’édifice qui abrite l’ÉASC a à la fois une vocation scolaire et communautaire, et le gouvernement fédéral y a apporté une importante contribution financière.  Comme le souligne Patrimoine Canadien  dans une lettre envoyée aux Défendeurs en mars 2009 dans le contexte des négociations concernant le financement de la Phase 2, le gouvernement fédéral, à date, a contribué un total de 4.7 millions de dollars à l’ÉASC (pièce #198).

[684]	Les Défendeurs ne contestent pas que le gouvernement fédéral n’est pas responsable de financer la construction d’espaces scolaires. Les contributions qu’il fait sont pour des espaces à vocation communautaire.

[685]	Selon moi, la récupération de l’espace qui est consacré à la garderie depuis l’ouverture de l’école ferait offense à la vocation communautaire que l’ÉASC a toujours eue.  Les Défendeurs semblent le reconnaître au moins en partie, en ce qui concerne l’espace qui, depuis l’ouverture de l’école, est consacré à la garderie: M. Devitt a dit que les Défendeurs ne comptent pas cet espace dans leur calcul de la capacité de l’école.

[686]	Quant à l’espace supplémentaire accordé à la garderie après la Phase 1, il est vrai qu’à l’origine, c’était un espace scolaire; il était utilisé par la classe de maternelle.  Mais étant donné l’importante contribution du gouvernement fédéral à la Phase 1 (plus du tiers des coûts), il est logique qu’une partie des nouveaux espaces ait été consacrée à des fins communautaires.  Donc, la décision de la CSFTN-O de consacrer plus d’espace à la garderie, suite à cet agrandissement, était tout à fait légitime.


[687]	Le fait que M. Kindt n’ait pas tenu compte de cela, et semble considérer que le déplacement de la garderie est une option pour régler ce qu’il appelle la “perception de manque d’espace”, réduit la force probante que j’accorde à son opinion sur la question.  À mon avis, son opinion ne tient pas suffisamment compte de l’importante vocation communautaire de l’édifice où se trouve l’école.

[688]	De façon plus générale, en ce qui a trait au manque d’espace, tout en reconnaissant que plusieurs témoins des Demandeurs ne sont pas des personnes désintéressées dans ce litige, je considère que leurs témoignages ont quand même une grande force probante parce qu’ils vivent la situation de l’école au quotidien.  Leurs observations sont fondées sur plusieurs années de vie à l’intérieur de cette école.  Il y a certaines réalités que les plans, les chiffres et les mètres carrés ne peuvent pas traduire adéquatement ou complètement.

[689]	Dans la mesure où je pourrais craindre que ces témoins aient exagéré, ou que leur perception de la situation soit moins fiable à cause de leur engagement dans la promotion de l’école et leur désir de faire avancer ce recours, ce doute est dissipé par le fait que M. Kubica, un témoin désintéressé, corrobore leur témoignage.  Il est clairement d’avis que le problème d’espace à l’école est véritable, et pas seulement une perception.

[690]	Selon les témoins qui travaillent à l’école, l’avènement de la Phase 1 a amélioré la situation, mais n’a pas réglé tous les problèmes d’espace.  La rotonde, qui devrait être un espace communautaire, continue d’être aménagée en partie en salle de classe.  M. Kindt reconnaît que cet espace devrait être libéré pour retourner à sa vocation originale.

[691]	M. Kindt fait, dans son rapport, certaines suggestions concernant des changements et aménagements qui pourraient rendre l’utilisation des espaces plus efficaces, et libérer la rotonde.  Mme Careen, de son côté, a expliqué comment elle a pris ses décisions dans l’utilisation des espaces à l’école.  Elle n’a pas nié, lors de son contre-interrogatoire,  qu’il y avait certaines choses qui pourraient, théoriquement, être faites différemment, dans le regroupement des niveaux, et à certains autres égards.  Elle n’a pas non plus nié qu’elle pourrait demander d’utiliser plus d’espace à l’École William MacDonald.  Elle a expliqué ne pas vouloir le faire pour ne pas compromettre  l’homogénéité du programme.

[692]	Elle affirme avoir pris les décisions, en consultation avec son équipe d’enseignants,  qui étaient les meilleures sur le plan pédagogique.  J’accepte son témoignage sur ces questions.


[693]	M. Kindt a de l’expérience en enseignement, et beaucoup d’expérience en matière de planification des infrastructures, mais contrairement à Mme Careen,  M. Gravel, et M. Deschênes, le gros de son expérience n’est pas comme enseignant  dans une école.  Qui plus est, M. Kindt n’a aucune expérience d’enseignement en milieu minoritaire.

[694]	L’utilisation de l’espace dans une école est très certainement un sujet sur lequel différentes personnes peuvent raisonnablement diverger d’opinion.  C’est le cas ici.  Ayant examiné la preuve, je préfère à l’opinion de M. Kindt celle des gens qui travaillent à l’école, connaissent intimement son fonctionnement au jour le jour, et estiment que le problème n’est pas la façon dont l’espace est utilisé, mais plutôt que les espaces sont insuffisants, surtout puisque M. Kubica est du même avis.

[695]	Je conclus donc que l’ÉASC manque d’espace à l’heure actuelle.  Je conclus aussi que la capacité de l’école doit être augmentée pour tenir compte des effectifs cible de 350 élèves que j’ai identifiés plus haut au Paragraphe 674.  La capacité de l’école devrait se situer entre ce chiffre et la demande connue, soit le nombre d’élèves inscrits à l’ÉASC au moment du procès.  Je conclus que l’ÉASC devrait avoir une capacité d’accueil de 250 élèves.

[696]	Concernant les espaces spécialisés, les faits sont clairs:  l’ÉASC n’a pas de gymnase, n’a pas de laboratoire de science attitré, pas de salle pour la musique, de salle pour l’enseignement du théâtre, ni d’équipement pour enseigner les arts industriels.  Il y a une petite cuisine, mais M. Kindt estime qu’elle est inadéquate, ce qui rejoint le témoignage de Mme Simmons.  Il n’est donc pas contesté qu’à plusieurs égards, l’ÉASC ne bénéficie pas des espaces spécialisés qui sont disponibles dans les écoles de la majorité.

[697]	Pour pallier à ces lacunes, les Défendeurs continuent de préconiser la solution de l’utilisation d’espaces à l’extérieur de l’école.  Ils affirment que cette solution est conforme aux exigences de l’article 23 parce que les nombres à l’ÉASC ne justifient pas la construction d’infrastructures nouvelles.

[698]	Les Demandeurs affirment pour leur part que les lacunes sont telles que les élèves de l’ÉASC ne jouissent pas d’une égalité réelle par rapport aux élèves de la majorité.  Ils affirment que cette égalité ne peut être réalisée si l’école doit utiliser des espaces de d’autres écoles ou de la communauté.


[699]	Je suis d’accord avec les Demandeurs.  D’un point de vue administratif, l’école ne devrait pas avoir à négocier, année après année, l’utilisation de tous ses espaces spécialisés avec d’autres écoles.  Ce genre d’arrangement peut fonctionner temporairement, mais ne devrait pas être le plan de match à long terme, parce qu’il expose l’école à toutes sortes d’aléas.

[700]	Cependant, je ne crois pas que le critère de l’échelle variable justifie d’accorder aux Demandeurs tous les espaces qu’ils réclament.  Les diverses demandes doivent donc être examinées.  Et je suis d’accord qu’une attention particulière doit être portée au niveau secondaire dans cette analyse.  Il faut quand même aussi tenir compte des nombres.

ii) 	Quels sont les espaces nécessaires pour rendre l’ÉASC conforme aux exigences de l’article 23?

(a) 	salle de classe pour chaque niveau

[701]	Les Demandeurs font valoir que l’ÉASC devrait avoir une salle de classe pour chaque niveau, donc un total de 13 salles de classe.  Ils insistent particulièrement sur la nécessité d’avoir une salle par niveau au niveau secondaire.  Ils prétendent que les classes jumelées, pour le niveau secondaire, ne permettent pas un enseignement adéquat.

[702]	La preuve révèle que les classes jumelées sont la norme dans les petites écoles.  L’APADY fait état des avantages des classes jumelées dans un document promotionnel qu’elle a préparé à l’intention des parents.  Même les témoins des Demandeurs reconnaissent que les classes jumelées sont monnaie courante, et acceptables au niveau primaire.  À mon avis, la preuve n’établit pas qu’il est nécessaire pour une école d’avoir, sans égard aux nombres, une classe par niveau pour les niveaux primaires.  Les écoles de la majorité ont des niveaux simples à cause de leur nombre.  Les nombres à l’ÉASC ne justifient pas cela.


[703]	Pour ce qui est du niveau secondaire, l’évaluation est plus difficile.  Certains témoins, dont M. Gravel, estiment que les niveaux multiples ne sont pas acceptables pour les niveaux secondaires, surtout la 10e, 11e et 12e année, quand la matière à enseigner devient plus complexe.  D’ailleurs, c’est quand Mme Moore a appris que son fils allait être dans une classe jumelée, en 12e année, pour son cours de mathématiques, qu’elle a entrepris les démarches pour faire des arrangements spéciaux avec l’École Sir John Franklin.

[704]	Je reconnais que parfois,  le jumelage des classes peut être avantageux, même au niveau secondaire.  Mme James a expliqué qu’à l’École Kalemi Dene, par exemple, l’utilisation des classes jumelées fait en sorte que les élèves peuvent travailler et évoluer à leur rythme, sans que l’accent soit sur un niveau précis.  Dans le contexte de cette école, Mme James voit cela comme une approche qui est bénéfique pour les élèves.

[705]	Ceci dit, il y a une importante différence de contexte entre les différentes écoles.  Je conclus que pour l’ÉASC,  idéalement, il serait préférable de ne pas avoir de  classes jumelées, surtout pour les niveaux les plus élevés au secondaire.  Mais la nécessité de jumeler les classes ne découle pas seulement de l’espace disponible. Elle est parfois simplement une conséquence du fait que le nombre d’élèves est limité.

[706]	Selon la pièce #71, en septembre 2010, il y avait, à l’ÉASC, 9 élèves en 7e année; 8 élèves en 8e année; 4 élèves en 9e, 10e et 11e années; et 1 élève en 12e année, pour un total de 30 élèves.  Le total d’élèves de la 10e à la 12e année était de 9.  Serait-il raisonnable de contraindre le gouvernement à fournir 3 salles de classe et 3 professeurs pour 9 élèves?  Je ne pense pas.  Même en présumant que la rétention des élèves aux niveaux secondaire s’améliorera, je ne pense pas qu’il soit justifié d’ordonner que l’ÉASC ait 6 classes distinctes pour chacun des niveaux du secondaire.

[707]	Je tiens aussi compte du fait que la preuve révèle que la performance des élèves de l’ÉASC au niveau académique est excellente, et au-dessus de la moyenne territoriale.  Il est possible que le ratio plus avantageux élèves-professeurs, et l’attention très personnalisée que les élèves reçoivent au niveau secondaire y soit pour quelque chose.  Mais à en juger de la performance des élèves, il semble clair que les défis posés par le fait d’avoir des classes à niveaux multiples au secondaire sont contrebalancés par d’autres facteurs.


[708]	Ceci étant dit, l’école devrait avoir des salles de classes supplémentaires. Je rappelle que le nombre à considérer en examinant le niveau de services requis par l’article 23 est celui qui se situe entre la demande actuelle et l’effectif cible total, reconnaissant qu’il ne sera jamais possible de recruter 100% de ces effectifs.  Ici, la prise en considération des effectifs cibles signifie que la capacité de l’école doit être augmentée, et donc que des salles de classe doivent être ajoutées.

[709]	J’ai conclu au Paragraphe 695 que l’ÉASC devrait avoir une capacité de  250 élèves.  Avec les salles de classe supplémentaires, la direction de l’école aura plus d’options concernant l’utilisation de ses espaces, et pourra choisir de faire les regroupements qu’elle juge les plus appropriés.  Mais je ne vais pas rendre une ordonnance accordance spécifiquement une salle de classe pour chacun des 13 niveaux qu’accueille l’école.

(b) 	le gymnase

[710]	À mon avis, la preuve établit que l’absence de gymnase à l’ÉASC a un impact considérable sur le programme d’éducation physique et sur les activités parascolaires dont peuvent bénéficier les élèves.

[711]	Le partage des espaces, un concept fort logique en théorie, surtout quand il y a des installations disponibles à proximité, n’a pas, dans les faits, fonctionné.  Les discussions pour négocier du temps de gymnase n’ont pas mené à des résultats satisfaisants.  Dès 2003, dans le rapport “L’égalité des chances, l’égalité des résultats” la CSFTN-O faisait état de son insatisfaction face à cette situation et des difficultés que présentait la nécessité d’utiliser le gymnase de l’école voisine.  Elle faisait valoir que dans les faits, le soi-disant “partage” du gymnase voulait dire que l’ÉASC se voyait offrir les plages horaires dont l’École William MacDonald ne voulait pas (“les restes”).

[712]	Le premier protocole écrit concernant le partage d’espace (pièce #31) a été signé en juillet 2005, après que le présent recours ait été intenté, quelques jours avant que le tribunal ne rende sa décision au sujet de la requête en injonction interlocutoire.  Une deuxième entente (pièce #165) a été signée en août 2005, après que l’injonction ait été accordée.  Je n’ai aucune raison de douter que les personnes qui ont signé ces ententes étaient de bonne foi, et acceptaient l’idée que le partage d’espace devait se faire équitablement.  Je ne doute pas non plus de la sincérité de M. Huculak quand il s’est dit prêt à collaborer avec la CSFTN-O pour assurer que l’ÉASC ait un accès équitable au gymnase et autres espaces de l’École William MacDonald.


[713]	Cependant, les bonnes intentions ne se sont pas traduites par un arrangement acceptable dans les faits.  Les ententes écrites reconnaissaient la nécessité d’un partage équitable, mais elles n’ont pas eu les résultats escomptés.  Les Défendeurs ont sûrement reconnu que le partage du gymnase ne fonctionnait pas, puisqu’ils ont accepté, et ce avant que le recours soit entrepris, de défrayer les frais de la location du Multiplex pour que l’ÉASC puisse y tenir ses cours d’éducation physique.

[714]	L’utilisation du Multiplex, qui continue à ce jour, n’a pas été sans problème.  M. Deschênes a parlé des difficultés rencontrées dès la première année (une année “horrible”, a-t-il dit dans son témoignage), et il a décrit une foule de problèmes avec lesquels il a dû composer au fil des ans.  Certains de ces problèmes étaient de nature logistiques (perte de temps due au transport, mauvais état de certains équipements, annulation des horaires sans préavis).

[715]	D’autres étaient reliés à des aspects de l’environnement qui pouvaient nuire à l’enseignement  (bruit provenant de la mezzanine attenante au gymnase auquel les membres des forces armées ont accès; impossibilité de faire de l’affichage, par exemple dans l’organisation d’activités par stations).  Je ne répèterai pas ici tout ce que M. Deschênes a dit.  Mais j’accepte son témoignage.  Je conclus qu’il a fait tout ce qu’il était raisonnablement possible de faire pour donner le meilleur enseignement possible dans l’environnement du Multiplex (et ailleurs, avant que le Multiplex ne soit utilisé). Mais sur la foi de son témoignage, il est clair que le fait que l’école n’ait pas son propre gymnase a rendu sa tâche beaucoup plus difficile.

[716]	L’absence de gymnase a aussi présenté de gros obstacles pour les activités sportives  parascolaires. M. Deschênes a eu d’énormes difficultés à obtenir des plages horaires adéquates pour la tenue des entraînements au gymnase de l’École William MacDonald.  Les parents qui ont témoigné ont confirmé que les heures de pratiques pour les équipes parascolaires étaient souvent très tôt le matin.  Quelques semaines avant l’ouverture du procès, et suite à une plainte de Mme Careen et l’intervention des deux commissions scolaires, des plages horaires plus avantageuses ont été consenties à l’ÉASC pour les activités parascolaires.  Tous ont reconnu que c’était une nette amélioration; mais elle est survenue à l’automne 2010, 11 ans après l’ouverture de l’école.  Il faut rappeler que quand Mme Simmons a assumé la direction de l’École William MacDonald, personne ne l’a mise au courant de l’existence d’un protocole d’entente concernant le partage des espaces de son école avec l’ÉASC.


[717]	Il y a donc eu des efforts, de temps à autres, pour rectifier la situation à des problèmes spécifiques auxquels l’ÉASC était confrontée.  Mais cela semble toujours avoir été fait en réponse à une plainte, une situation de crise, où dans le contexte de procédures judiciaires imminentes.

[718]	Les Défendeurs affirment que le coût de construction d’un gymnase n’est pas justifié étant donné la proximité d’installations existantes que l’ÉASC peut utiliser.  Le problème avec cette position, c’est qu’il est démontré que la solution proposée, le  partage d’espace, n’a pas fonctionné en pratique.  On ne peut pas simplement imputer cet échec, sur près de 11 années, à des conflits de personnalités, à l’achalandage accru de l’École William MacDonald quand cette école a accueilli les élèves de l’École St-Joseph ou à un complot entre deux directrices cherchant à saboter délibérément le système de partage.  Sur 11 années, avec différents intervenants en place, il y a eu des problèmes de façon régulière.

[719]	Mais ce n’est pas la seule raison qui m’emmène à conclure que la solution préconisée par les Défendeurs n’est pas adéquate, et ne répond pas aux exigences de l’article 23.

[720]	Un gymnase, contrairement à d’autres espaces spécialisés, est utilisé par tous les élèves de l’école.  Il est utilisé à tous les jours, en plus de servir aux activités après les  heures d’écoles.  Parce que l’ÉASC n’a pas son propre gymnase, elle ne dispose  d’un espace  homogène distinct pour aucune de ces  activités.  Cela crée une érosion importante de l’homogénéité linguistique de l’école, et nuit considérablement à sa mission en tant qu’école minoritaire.  À mon avis, ce degré d’érosion est énorme, et inacceptable, si les élèves de la minorité ont, à tous les jours ou presque, à sortir de l’environnement de l’école pour utiliser des espaces d’une école ou autre institution où la langue usuelle est celle de la majorité.  Le Dr. Landry a parlé de l’importance de ces espaces distincts, et j’accepte son opinion à ce sujet, surtout qu’elle s’accorde avec la jurisprudence en matière de droits linguistiques scolaires.


[721]	D’autre part, un gymnase est utilisé par une école pour beaucoup plus que les cours d’éducation physique et les activités sportives parascolaires.  Il sert aussi de lieu de rassemblement, pour les assemblées de parents, les spectacles, et une foule d’activités qui font partie de la vie normale de toute école.  À l’heure actuelle, la rotonde  est le seul lieu qui peut servir pour les rassemblements de l’école, et j’accepte les témoignages à l’effet que son espace est nettement insuffisant, par exemple, pour tenir une réunion avec les parents, une assemblée scolaire, un spectacle, ou un évènement pour faire une levée de fonds.  Pour les activités organisées par l’école  qui requièrent plus d’espace, l’ÉASC est contrainte d’utiliser des espaces à l’extérieur de l’école.

[722]	Certes, les coûts de construction d’un gymnase sont considérables.  Mais il faut quand même remettre la chose en perspective.  Selon les standards du Ministère, une école qui a une population étudiante entre 150 et 300 a droit à un gymnase.  Tenant compte de sa capacité actuelle, l’ÉASC est déjà éligible pour avoir un gymnase.  Tenant compte de la capacité que j’estime qu’elle devrait avoir pour répondre à ses besoins éventuels, la justification pour un gymnase est encore plus grande.

[723]	Dans son rapport, M. Kindt affirme que l’ÉASC doit améliorer sa programmation en éducation physique, et fait état de l’importance de cet aspect du programme scolaire.  M. Kubica aussi souligne l’importance de l’éducation physique dans un programme scolaire.

[724]	M. Kindt souligne l’importance de ne pas toujours associer “éducation physique” à “temps de gymnase”.  J’accepte son opinion que toutes les heures consacrées à l’éducation physique n’ont pas nécessairement besoin d’avoir lieu en gymnase.  Mais M. Kindt  reconnaît aussi que l’accès à un gymnase est une composante nécessaire pour un programme d’éducation physique.

[725]	Je conclus que la construction d’un gymnase pour l’ÉASC est nécessaire pour assurer une égalité réelle aux élèves de la minorité.

(c) 	autres espaces spécialisés	

[726]	Les Demandeurs font valoir que l’ÉASC doit disposer de tous les espaces spécialisés qui existent dans les écoles de la majorité, pour l’enseignement de la musique, des arts, du théâtre, et des arts industriels; ils exigent aussi une cafétéria, un salon étudiant, et des espaces qui puissent être consacrés aux élèves avec des besoins spéciaux.

[727]	Ces demandes, selon moi, ne tiennent pas compte du critère de l’échelle variable.  L’effet de l’article 23 n’est pas de contraindre le gouvernement à construire des installations identiques, pour une école qui pourrait accueillir 200 élèves, aux installations qui existent dans une école qui en accueille 700.

[728]	Par contre, je considère que pour répondre aux exigences de l’article 23, l’école doit avoir des espaces pour être en mesure d’offrir un plus grand éventail de choix de cours que ce qui existe actuellement.  L’école a développé un bon programme en informatique, mais il faut qu’elle soit en mesure d’offrir, surtout aux élèves du niveau secondaire, d’autres choix.  À mon avis, la situation actuelle de “cours optionnels obligatoires”, ne respecte pas les exigences de l’article 23.

[729]	Comme je l’ai déjà évoqué, le droit de la minorité de bénéficier d’espaces scolaires distincts requiert que la diversité dans le choix de cours ne dépend pas entièrement de l’utilisation d’espaces situés à l’extérieur de l’école.  Pour les raisons que j’ai évoquées en parlant de la nécessité d’un gymnase, l’école doit avec un certain nombre d’installations qui lui sont propres, pour ne pas éroder indûment l’homogénéité linguistique de son programme scolaire.

[730]	M. Kindt a expliqué que les cours d’arts culinaires sont parmi les plus populaires aux TN-O, et il qui a dit que l’ÉASC n’avait pas d’équipement adéquat pour l’enseignement de ces cours.  Je suis d’accord.  L’espace actuel est très restreint et n’est pas équipé convenablement.  À mon avis l’ÉASC doit être équipée d’une salle adéquate pour l’enseignement des arts ménagers.

[731]	Mr. Kindt a parlé de l’importance d’avoir une salle de classe dédiée à l’enseignement de l’anglais comme langue seconde.  Je suis d’accord avec son opinion sur ce point, et selon moi, l’ÉASC devrait avoir un espace spécifiquement dédié à cette fin.

[732]	Pour être en mesure d’offrir d’autres options aux élèves, et pour maximiser le nombre de cours qui pourrait être offerts au sein même de l’école, elle a à mon avis besoin d’une autre salle à usages multiples, qui pourrait servir aux arts plastiques et visuels, et à l’enseignement de la musique.

[733]	À mon avis, il devrait aussi y avoir dans l’école un espace qui pourrait être utilisée pour le travail individuel, pour les élèves qui ont des besoins spéciaux.  Il n’est pas adéquat que les élèves qui ont des besoins spéciaux et ont parfois besoin de quitter leur salle de classe doivent utiliser un corridor ou le bureau d’un membre du personnel.  L’approche dans les TN-O est d’intégrer le plus possible ces élèves aux classes régulières, mais il faut quand même qu’il y ait des espaces disponibles quand ils ont besoin de travailler individuellement.

[734]	Pour améliorer la qualité de son enseignement au niveau secondaire, à mon avis, l’école devrait aussi avoir un laboratoire dédié pour les sciences au niveau secondaire.

[735]	Cependant, en ce qui concerne les Études Professionnelles et Techniques dites “sales” (mécanique, soudure, etc), les nombres ne justifient pas, selon moi, de contraindre les Défendeurs à construire des installations comme celles  qui sont disponibles pour les écoles  secondaires de la majorité.  Même en présumant une amélioration de la rétention au niveau secondaire, l’installation de tous les équipements nécessaires pour l’enseignement de disciplines aussi variées que la mécanique, la soudure, et la menuiserie, occasionnerait un coût qui est disproportionnel aux nombres d’élèves qui s’en  prévaudraient.  Les nombres à l’ÉASC, même tenant compte des effectifs cibles, ne justifient pas la construction d’une infrastructure comme le Kimberlite Technical Training Center.  Pour ce type de cours l’ÉASC devra utiliser des espaces à l’extérieur de l’école.

[736]	Je reconnais que du point de vue de l’école, des parents et des élèves, cette façon d’offrir les cours d’ ÉPT “sales” n’est pas idéale et comporte des contraintes.  Mais à mon avis, c’est celle qui s’impose, étant donné les nombres.  Toutes les écoles, ne peuvent pas être en mesure d’offrir la pleine gamme de cours techniques aux élèves du secondaire à l’intérieur de leurs murs.  C’est une réalité  non seulement pour les écoles de la minorité mais parfois aussi pour celles de la majorité.

[737]	Cependant, l’ÉASC devrait avoir accès à un budget pour pouvoir retenir les services d’un professeur pour enseigner ce type de cours en français, si la demande est là.   Il est possible que le recrutement d’un tel professeur soit difficile, mais l’école devrait au moins avoir cette possibilité. Il appartiendra à l’administration de l’école de décider comment procéder.  Dans la mesure où elle déciderait, par exemple, que la demande est suffisante pour offrir un cours de menuiserie une certaine année, elle doit  disposer  du  budget nécessaire  pour pouvoir engager une personne qualifiée pour donner ce cours en français.


[738]	Les Défendeurs devront aussi s’assurer que l’ÉASC ait accès, au besoin, aux installations qui appartiennent aux autres commissions scolaires pour l’enseignement de ces ÉPT.  Les Défendeurs ont fait valoir que le partage d’espaces était une solution viable, je comprends de leurs représentations que même en n’étant pas propriétaires des infrastructures des deux commissions scolaires anglophones, ils sont en mesure d’assurer aux élèves de la minorité l’accès à ces installations.  Si cela s’avérait ne pas être le cas, il se pourrait que la seule solution soit de construire une infrastructure distincte.  Mais il est à souhaiter que ça ne sera pas le cas.

(d) 	une aile secondaire distincte

[739]	Les Demandeurs font valoir que l’ÉASC doit avoir une aile secondaire distincte.  À mon avis, l’article 23 ne garantit pas le droit à des espaces complètement distincts pour le niveau secondaire.  Le Dr. Landry a expliqué qu’il était bénéfique, dans les écoles allant de la maternelle à la 12e année, d’avoir une certaine séparation, ou au moins une zone de transition entre les niveaux primaire et secondaire, et je comprends les avantages que cela peut avoir, particulièrement du point de vue des élèves.

[740]	Mais puisqu’il n’est pas ici question de construire une nouvelle école, et que l’agrandissement doit se faire à partir de l’édifice existant, je n’estime pas approprié d’imposer la contrainte d’une “aile secondaire distincte” aux Défendeurs.  J’ai conclu que l’ÉASC doit être agrandie, mais il n’appartient au tribunal ni de dessiner les plans, ni de décider de quelle façon les différents espaces seront aménagés au sein de la structure existante.  Les détails devront être élaborés en consultation avec la CSFTN-O.  Dans la mesure où il sera possible de concentrer les salles pour l’usage des élèves du secondaire dans une section de l’édifice, comme il a été fait pendant la Phase 1, ça serait l’idéal.

(e) 	le terrain de jeu

[741]	En ce qui a trait au terrain de jeu extérieur, la preuve révèle qu’il est beaucoup plus petit que celui de plusieurs des écoles de la majorité.  La preuve révèle aussi que l’environnement physique à proximité de l’école présente certains défi, parce qu’elle est entourée de rochers.

[742]	L’ÉASC devrait avoir un terrain de jeu plus grand que ce qui existe à l’heure actuelle.  Ceci devrait être incorporé dans les plans des travaux d’agrandissement, et dans l’organisation du site.  Mais je ne fixerai pas des paramètres rigides, étant donné que je ne dispose pas de toute l’information concernant les limites que présente le site.




(f) 	autres espaces

[743]	Les Demandeurs font plusieurs autres revendications (cafétéria, salon étudiant, et autres salles distinctes).  À mon avis, ce type d’installations n’est pas requis par l’article 23.  Le critère de l’échelle variable n’exige pas que les installations des écoles minoritaires soient identiques à celles des écoles majoritaires quand il y a un écart important au niveau des nombres, ce qui est le cas ici.

iii) 	la preuve concernant le contexte économique et social dans les TN-O

[744]	Comme je l’ai mentionné plusieurs fois déjà, les droits garantis par l’article 23 ne sont pas absolus.  Dans leur mise en oeuvre, les coûts doivent être considérés, et j’ai tenu compte de ce facteur, dans la section précédente, en décidant dans quelle mesure les revendications des Demandeurs devaient être accordées.  Je veux cependant ajouter quelques commentaires au sujet des coûts et du contexte particulier des TN-O.

[745]	Les Défendeurs ont présenté de la preuve, par l’entremise de Mme Melhorne, au sujet de la situation financière du GTN-O.  Mme Melhorne a parlé de l’impact de la crise économique sur les TN-O, et les mesures de relance adoptées par le GTN-O, incluant une augmentation de ses dépenses en projets d’infrastructures au cours des dernières années.  Elle a expliqué que le gouvernement voulait maintenant réduire considérablement ce budget.  Elle a aussi parlé des divers besoins auxquels doit répondre le gouvernement.

[746]	Mais la défense des Défendeurs n’est pas fondée sur l’article 1 de la Charte.  Ils n’ont pas plaidé, dans le cadre de ce recours, qu’ils ne sont pas en mesure de se conformer à l’article 23 parce qu’ils doivent répondre aux besoins des communautés autochtones, ou pour d’autres raisons.

[747]	J’accepte que les besoins du GTN-O en infrastructures sont considérables.  J’accepte aussi que le gouvernement n’a pas des ressources illimitées quand il planifie son budget et décide du montant qui sera consacré aux infrastructures.

[748]	Il y a eu des allusions, dans la preuve, au fait que si le tribunal ordonnait aux Défendeurs d’engager des dépenses pour les écoles minoritaire, certains autres projets en infrastructures devraient nécessairement être abandonnés.  Je n’accepte pas que cette conséquence soit inévitable.


[749]	Le GTN-O dispose de la capacité de faire des emprunts.  Il peut préférer ne pas le faire, mais la possibilité est là.  Le GTN-O peut aussi réorganiser son budget et augmenter les montants qui seront consacrés aux projets capitaux.  Le gouvernement  a décidé de revenir à une allocation en budget pour les projets capitaux qui est nettement plus modeste que ce qui a été dépensé depuis plusieurs années. Il a l’option d’effectuer  une  réduction plus graduelle de ses allocations pour les projets capitaux.  Les gouvernements ont le pouvoir de faire des ajustements si nécessaire.

[750]	Je suis bien au fait que le contexte social des TN-O est très particulier.  Le territoire est immense, plusieurs communautés sont petites et isolées les unes des autres géographiquement.  Le Territoire a 11 langues officielles, dont 9 langues autochtones.  Ces langues autochtones, dans le contexte canadien, et à plus forte raison dans le contexte mondial, sont parlées par un très petit nombre de personnes.  Il y a d’importantes différences entre la situation de la minorité francophone des TN-O et celle des communautés autochtones.  Mais il y a certains parallèles qui peuvent se faire concernant les défis reliés à la préservation de la langue et l’érosion culturelle.  Les besoins et les aspirations sont là de part et d’autres, et sont légitimes.  Mais une des différences, sur le plan juridique, c’est que le français et l’anglais ont une protection constitutionnelle que d’autres langues n’ont pas.

[751]	Le critère de l’échelle variable reconnaît la réalité dont les Défendeurs ont fait état dans leurs représentations (le fait que les gouvernements ne disposent pas de budgets illimités et qu’ils doivent établir des priorités).  Et il est vrai que l’analyse concernant les coûts est difficile.  Quand il s’agit de dresser des priorités, la comparaison de besoins dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, le transport, est un exercice qui, je le reconnais, est difficile et parfois déchirant.

[752]	Quand il est question de droits linguistiques, de risque s’assimilation, et de vitalité culturelle, il est beaucoup plus difficile de mesurer et visualiser les impacts de lacunes dans les services  que  lorsqu’il est question d’hôpitaux ou de routes.  C’est un des dangers qui guette une minorité linguistique: de voir ses demandes refusées, ou considérées comme étant déraisonnables ou exagérées face à d’autres besoins criants et immédiats dont les gouvernements doivent s’occuper.  Mais un des objectifs de l’article 23 est de protéger les minorités linguistiques contre ce genre de raisonnement, et de leur donner un outil efficace pour faire valoir leurs droits.

[753]	Ni la situation financière du GTN-O, ni le contexte particulier des TN-O, ne constituent une raison valable de ne pas donner à l’article 23 son plein effet.

c. 	Le statut constitutionnel de la garderie et du programme de prématernelle

[754]	Outre les espaces supplémentaires à des fins scolaires, les Demandeurs cherchent à obtenir des déclarations du tribunal concernant les espaces à être accordés à la Garderie Plein-Soleil et au programme de pré-maternelle pour les enfants de 3 et 4 ans.

[755]	Les Demandeurs affirment que la garderie jouit d’une protection constitutionnelle. Ils affirment aussi que les Défendeurs doivent fournir des espaces pour le programme de pré-maternelle parce que la CSFTN-O, dans sa politique d’admission, inclut la prématernelle dans son programme primaire.  Les Demandeurs estiment que le droit de gestion de la CSFTN-O lui donne le droit d’élargir les paramètres du programme scolaire fixés par la Loi sur l’Éducation.

[756]	Subsidiairement les Demandeurs affirment que  le tribunal devrait ordonner aux Défendeurs de fournir de l’espace supplémentaire pour la garderie et le programme de pré-maternelle comme mesure de réparation, pour remédier aux torts du passé et aux atermoiements du GTN-O dans la mise en oeuvre de l’article 23.

[757]	Les Demandeurs ont affirmé qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question à savoir si la garderie et la prématernelle jouissent  d’une protection constitutionnelle, puisqu’il existe d’autres fondements juridiques qui justifient la mesure de redressement qu’ils recherchent.  J’estime cependant nécessaire de trancher la question.  La Garderie Plein-Soleil s’est porté  demanderesse dans ce recours et les actes de procédure soulèvent clairement la question de son statut constitutionnel.

[758]	À mon avis, la garderie ne jouit pas d’une protection constitutionnelle, peu importe le contexte.  L’article 23 crée un droit à l’instruction aux niveaux primaire et secondaire.  Je ne vois pas comment son libellé  pourrait être interprété comme incluant un service de garderie, même avec la plus généreuse des interprétations.  À  ma connaissance, il n’y aucune jurisprudence qui attribue à une garderie en milieu minoritaire un statut constitutionnel.


[759]	Quant au programme de pré-maternelle, il est clair que la CSFTN-O a le droit d’établir un tel programme.  Mais je suis incapable de souscrire à l’argument que ce faisant, elle lui attribue un statut constitutionnel.  Le GTN-O  a compétence en matière d’éducation, et il lui revient de définir les paramètres de ce qui constitue le programme scolaire primaire et secondaire.     À mon avis, le droit de gestion de la CSFTN-O ne lui donne pas le pouvoir de créer un programme scolaire qui dépasse les paramètres fixés par le gouvernement.

[760]	À mon avis, le seul fondement juridique qui est disponible aux Demandeurs pour réclamer que les Défendeurs défraient les coûts d’espaces pour la garderie ou pour le programme de pré-maternelle est d’établir que cela constitue une mesure réparatrice juste et convenable  au sens du Paragraphe 24(1) de la Charte.

V) 	LES MESURES DE REDRESSEMENT

[761]	L’article 24(1) de la Charte accorde au tribunal un large pouvoir discrétionnaire d’accorder des mesures de redressement en réponse à la violation d’un droit constitutionnel:

24 (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[762]	Le tribunal doit exercer ce pouvoir discrétionnaire en se fondant sur une appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits, et sur l’application des principes juridiques pertinents.  L’approche doit être souple et tenir compte des besoins en cause.  Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, paras. 52-59.

A. 	Déclarations quant aux espaces qui doivent être fournis

[763]	J’ai déjà expliqué mes conclusions au sujet de l’insuffisance des installations actuelles à l’ÉASC.  J’estime convenable et juste d’accorder aux Demandeurs une déclaration détaillée concernant les espaces que les Défendeurs sont tenus d’incorporer à L’ÉASC pour des fins scolaires.


B. 	Espaces supplémentaires pour la garderie et le préscolaire

[764]	Pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, je ne considère pas que la garderie et le programme de pré-maternelle bénéficient d’une protection constitutionnelle.  J’estime que normalement, les Défendeurs n’auraient pas l’obligation de financer des espaces pour ces programmes à même les fonds publics sur la base de l’article 23.  Ce que je dois décider maintenant, c’est s’il est approprié d’ordonner qu’ils le fassent, en guise de mesure réparatrice, dans les circonstances particulières en l’espèce.

[765]	Pour répondre à cette question, il faut revenir sur le fait que l’édifice qui abrite l’ÉASC a toujours eu une vocation scolaire et une vocation communautaire.  Le gouvernement fédéral a fourni une contribution financière importante pour la construction de l’édifice original, et il a également financé plus du tiers  des coûts de l’agrandissement de la Phase 1.  Cette contribution était  fondée sur la  vocation communautaire de certains espaces au sein de l’école.

[766]	Cette approche coopérative, selon laquelle les ressources des deux niveaux de gouvernements sont combinées pour répondre, chacun dans leur champ de compétence, aux besoins de la minorité linguistique, est très souhaitable.  Elle permet de créer des institutions pour la minorité qui font véritablement oeuvre de centre scolaire communautaire, avec tous les bénéfices qui en découlent.

[767]	M. Devitt a expliqué qu’au moment de la planification d’un projet, et des négociations concernant le financement, l’identification des espaces qui seront voués à des fins communautaires sert de fondement pour déterminer la contribution que le  gouvernement fédéral fera au projet.


[768]	Ce processus, quoique précis, n’est pas une science exacte.  Il semble, à la lumière de la preuve, qu’une certaine “créativité” est de mise pour maximiser la contribution du gouvernement fédéral.  Je dis cela parce que, par exemple, dans les négociations concernant la Phase 2, M. Devitt a reconnu que le plan soumis par le GTN-O au gouvernement fédéral identifiait le gymnase comme étant un espace qui aurait une vocation communautaire à 100%.  Il est bien évident que dans les faits, le gymnase aurait une importante  vocation scolaire.  M. Devitt a dit en contre-interrogatoire que ce genre d’allocation était pour “aider Patrimoine Canada dans leur analyse”.  Une autre façon de le dire serait que c’était  pour aider le GTN-O à bénéficier du plus de financement possible  de la part du gouvernement fédéral, y compris pour des espaces à vocation scolaire.

[769]	M. Devitt n’a pas été en mesure de dire précisément quels espaces le Ministère considère être des espaces scolaires et quels espaces il considère être des espaces communautaires dans l’édifice actuel, au-delà du fait que l’espace original de la garderie n’est pas compté comme espace scolaire.

[770]	Il n’est évidemment pas possible de faire une analyse au mètre carré près pour identifier quels espaces ont été financés par quel gouvernement, et à quel usage ils seront voués.  Mais en même temps, la vocation communautaire de l’édifice doit être reconnue.  C’est pour cette raison que j’ai conclu, aux Paragraphes 682 à 686, que toute suggestion selon laquelle  l’ÉASC pourrait ou devrait rapatrier en tout ou en partie les espaces actuellement consacrés à la garderie pour les transformer en espaces scolaires  est inacceptable.  À mon avis la CSFTN-O est tout à fait justifiée d’accorder des espaces à la garderie comme elle le fait actuellement, considérant la contribution que le gouvernement fédéral a faite aux travaux de la Phase 1.

[771]	La salle qui était anciennement utilisée par la maternelle ne devrait pas être comptée comme étant un espace scolaire.  L’espace de la rotonde ne devrait pas être compté comme espace scolaire non plus.  Cet espace doit être retourné à sa vocation originale, ce qui sera possible lorsque l’ÉASC aura les espaces supplémentaires dont elle a besoin.

[772]	Tous les témoins qui ont parlé de cet usage de la rotonde à des fins scolaires ont expliqué que l’espace n’était pas adéquat pour ces fonctions.  L’espace a servi pour des cours de musique alors que la salle n’est pas adéquatement insonorisée; il a occasionnellement servi pour des cours d’éducation physique.  Clairement, ce n’est pas un espace scolaire adéquat.  Mais l’administration de l’école a dû s’en servir parce qu’elle n’avait pas le choix.  Et cette situation va probablement continuer pour un certain temps encore, jusqu’à ce que les travaux d’agrandissement découlant de mon Ordonnance soient complétés .


[773]	La CSFTN-O a continuellement demandé aux Défendeurs de reconnaître son manque d’espace au cours des dernières années.  Les Défendeurs savaient que la rotonde était utilisée pour des fins scolaires, au détriment de sa vocation communautaire.  Les Défendeurs ont refusé de procéder à des agrandissements jusqu’à ce que le tribunal leur ordonne de le faire.  Autant en 2005, dans le cadre de la requête en injonction interlocutoire, que dans le cadre du procès, ils ont continué d’affirmer que l’espace est suffisant à l’école.

[774]	Je conclus que les Défendeurs ont sciemment laissé perdurer cette situation d’empiètement des espaces scolaires sur les espaces voués à des fins communautaires.  J’estime qu’il est juste et convenable de prévoir une mesure réparatrice qui tient compte de l’inaction des Défendeurs et du fait que cette inaction a nui à la fois à la vocation scolaire de l’école et à sa vocation communautaire.

[775]	J’estime aussi qu’il est juste et convenable que cette mesure réparatrice soit d’augmenter la capacité d’accueil de la garderie et d’assurer un espace pour le programme de pré-maternelle.  Ces programmes sont à vocation communautaire et ils ont un lien étroit avec l’école et peuvent contribuer de façon importante à la réalisation des objectifs de l’article 23.  Ce lien a été établi par la preuve au procès.

[776]	Dans n’importe quel milieu, la garderie est une institution importante.  Les parents qui doivent confier leurs jeunes enfants à un service de garde espèrent  tous que la garderie leur offrira un environnement stimulant, sécuritaire, propice à leur développement.  Mais la preuve établit que dans un contexte minoritaire, et spécifiquement dans le contexte de la ville de Yellowknife, l’impact de garderie et du programme préscolaire est considérable, multidimensionnel, et étroitement lié au succès du programme scolaire et ce, pour plusieurs raisons.

[777]	La preuve a révélé que la Garderie Plein-Soleil joue un rôle beaucoup large qu’une garderie ordinaire, et a un impact considérable sur les parents ayants droit de Yellowknife.  (La garderie ne dessert pas exclusivement les parents ayants droit, mais selon la preuve, ils forment la majorité de sa clientèle, et y ont un accès prioritaire).

[778]	Comme toute garderie, elle offre un service de garde pour les enfants.  Mais elle offre un service en français, ce qui selon tous les témoins qui en ont parlé, est très important pour la francisation des enfants.  Plus encore, elle donne  aux parents une porte d’entrée à un important réseau, à une communauté de parents qui parlent français.


[779]	Mme Montreuil, par exemple, a expliqué que c’est son contact  avec la garderie qui lui a permis de réapprendre son français, qui à cette époque était passablement “rouillé”.  Mme Poulin a parlé du fait que le contact de sa famille avec la garderie a aidé  son mari, un anglophone, à améliorer son français.  Tous les parents qui ont témoigné ont parlé du rôle que la garderie a joué, pour leurs enfants et pour eux-mêmes, dans leur intégration à la communauté francophone.

[780]	La preuve a aussi établi l’importance de la garderie en tant qu’outil de recrutement pour l’école, surtout depuis qu’elle est située dans le même édifice.  Les parents dont les enfants fréquentaient la garderie quand elle était située à l’extérieur de l’école, et ensuite une fois qu’elle a emménagé dans l’école, ont parlé de la différence entre les deux scénarios.

[781]	Depuis que la garderie est emménagée dans l’ÉASC, presque tous les enfants qui la fréquentent s’inscrivent à l’ÉASC.  Bien sûr, certains parents enverraient leurs enfants à l’ÉASC même si il n’y avait pas de garderie francophone, ou si cette garderie était située à l’extérieur de l’école.  Mais pour moi, il ne fait aucun doute que l’existence de la garderie contribue au recrutement d’élèves pour l’école, et ce, de façon accrue du fait que la garderie est située dans l’école.  Ce fait est illustré par les témoignages de certains parents, qui ont raconté que leurs enfants, pendant qu’ils étaient encore à la garderie, commençaient déjà à considérer l’ÉASC comme “leur” école, et avaient hâte d’y aller.

[782]	Je conclus aussi que la proximité physique entre la garderie, le programme préscolaire et l’école, contribue à la construction identitaire des enfants en tant que francophones.  Pour reprendre les paroles de Mme Poulin, les “héros” de ses enfants, quand ils étaient à la garderie, étaient les “plus grands” de l’ÉASC.

[783]	On pourrait penser que ces expériences dont les parents ont parlé sont plutôt anecdotiques, le reflet de leur expérience personnelle, et qu’il ne faut pas en tirer trop de  conclusions générales.  Mais la preuve établit le contraire.  Ces témoignages des parents correspondent, à plusieurs égards, à ce dont a parlé le Dr. Landry au sujet de ce qui influence la construction identitaire, revitalise la communauté, et enraye l’assimilation, particulièrement quand le taux d’exogamie est très élevé.

[784]	Pour moi, le vécu décrit par les parents est la manifestation pratique de ce dont le Dr. Landry a parlé de façon théorique.   Il y a d’importants chevauchements et une grande cohérence entre l’expérience rapportée par les parents et l’opinion du Dr. Landry sur ces sujets, opinion qui, je le rappelle, est fondée sur nombre de recherches qu’il a faites  en milieu minoritaire.

[785]	Le fait d’avoir des espaces à l’ÉASC confère à la garderie plusieurs avantages qui lui permettent de mieux remplir son mandat.  Elle jouit d’une stabilité qu’elle n’avait pas auparavant (rappelons qu’elle avait déménagé trois fois dans une relativement courte période de temps avant d’être établie  à l’ÉASC).  Puisque l’espace lui est fourni gratuitement par la CSFTN-O les économies qu’elle fait en ne payant pas de loyer - surtout que les coûts de location à Yellowknife sont très élevés - lui permet d’offrir des conditions de travail plus avantageuses dans ses efforts pour recruter du personnel de qualité.  Ceci  n’est pas un fait négligeable, considérant que ce recrutement de personnel francophone, comme l’a expliqué Mme Poulin, doit souvent se faire à l’extérieur des TN-O.

[786]	Je conclus donc que la garderie est maillon important de la chaîne dans la promotion et la pérennité de l’école.  Ceci  contribue à la réalisation des objectifs fondamentaux de l’article 23, et j’estime, pour cette raison, qu’une mesure de réparatrice concernant la garderie est une réponse appropriée à une violation de l’article 23.

[787]	Quant au programme de pré-maternelle, il ne fait pas partie du programme primaire au sens de la Loi sur l’Éducation, mais j’accepte qu’il joue aussi un rôle important, tant au niveau du recrutement que de la francisation.  À cet égard, comme la garderie, il est un outil important dans la mise en oeuvre de l’article 23 et il est juste et convenable que l’attribution d’espaces pour ce programme fasse partie des mesures de redressement accordées dans les circonstances de ce recours.

[788]	Les Demandeurs réclament des espaces permettant à la garderie de pouvoir accueillir 50 enfants plutôt que 37, et de l’espace pour accueillir 24 enfants au programme préscolaire.  Une mesure réparatrice ordonnée en vertu de l’article 24(1) doit être raisonnable.  Elle doit aussi être fondée sur la preuve.

[789]	La preuve concernant les listes d’attentes de la garderie aurait pu être plus claire et plus précise.  Elle a établi cependant qu’il y a généralement une liste d’attente pour la garderie, particulièrement pour les places en pouponnière.  Je reconnais aussi que les gens qui cherchent une place en garderie, souvent, n’ont souvent pas le luxe de prendre le risque de rester sur une liste d’attente et attendre qu’une autre place se libère.  Si la garderie ne peut pas répondre à la demande au moment où la demande est faite, il y a de fortes chances que les parents iront ailleurs.

[790]	J’estime qu’il est juste de requérir des Défendeurs qu’ils fournissent suffisamment d’espace pour que la garderie puisse dorénavant accueillir 45 enfants, ainsi que des espaces pouvant accommoder 20 enfants au niveau préscolaire.

C. 	Les dommages-intérêts

[791]	Le Paragraphe 24(1) de la Charte accorde une large discrétion aux tribunaux dans le choix des mesures de redressement, et n’exclut pas que des dommages-intérêts soient accordés en sus de mesures réparatrices déclaratoires.

[792]	Ici, les Demandeurs réclament des dommages intérêts compensatoires et punitifs, et demandent qu’ils soient versés à la CSFTN-O, bien qu’elle ne soit pas partie à ce litige.

[793]	Les principes applicables concernant l’octroi de dommages intérêts dans un litige mettant en cause des droits linguistiques ont été examinés par ce tribunal dans Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, 2006 NWTSC 20.  Ce recours était fondé sur la Loi sur les Langues Officielles, L.R.T.N.-O.1988, c. O-1, et non sur la Charte, mais la disposition de cette loi qui traite des mesures de redressement a un libellé très semblable à celui du Paragraphe 24(1), et le tribunal a conclu que les mêmes principes s’appliquaient.  L’analyse du tribunal concernant les principes qui régissent l’octroi  de dommages intérêts compensatoires (Paragraphes 902-908) et punitifs (Paragraphes 937-938) a été endossée par la Cour d’appel. (Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 05, pp.93-94.)  Ce sont ces principes que j’ai appliqués en l’espèce.

[794]	Règle générale les tribunaux n’accordent pas de dommages-intérêts pour le préjudice subi par l’adoption d’une loi qui est, plus tard, déclarée inconstitutionnelle, à moins que la preuve ne révèle un comportement clairement fautif, de l’abus de pouvoir ou de la mauvaise foi.  Autrement dit, un gouvernement bénéficie d’une immunité limitée, pourvu qu’il agisse de bonne foi.  Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405.

[795]	Ce principe s’applique aussi lorsque, plutôt qu’une loi, c’est une action gouvernementale qui est jugée inconstitutionnelle. Wynberg c. Ontario, (2006) 269 D.L.R. (4e) 435 (C.A. Ont.).

[796]	Il y a, dans la jurisprudence qui porte sur l’article 23 de la Charte, de nombreuses situations où les tribunaux ont conclu que des gouvernements avaient enfreint l’article 23.  Il y plusieurs exemples où les tribunaux ont accordé des jugements déclaratoires et enjoint les gouvernements de prendre des mesures concrètes pour rectifier la situation.  Les Demandeurs n’ont cependant porté à mon attention aucune jurisprudence où des dommages intérêts compensatoires ou punitifs ont été accordés par surcroît.

[797]	Les Demandeurs affirment qu’une compensation monétaire est justifiée pour les dommages collectifs causés par le retard des Défendeurs à mettre en oeuvre l’article 23.  Ils affirment aussi que des dommages punitifs sont appropriés pour décourager ce qu’ils qualifient d’approche réactionnaire et minimaliste de la part des Défendeurs.

[798]	Pour moi, la position avancée par les Défendeurs à ce procès, à l’effet que l’ÉASC est adéquate pour combler les besoins de la minorité francophone à Yellowknife, est quelque peu incompatible avec ce qu’ils ont fait valoir au gouvernement fédéral dans les négociations concernant le financement de la Phase 2.  Il me semble aussi que cette position est incompatible avec leur engagement de faire préparer les plans schématiques pour la Phase 2.  Il me semble logique de conclure que, surtout faisant face à beaucoup de besoins en infrastructures et un budget limité, l’engagement de ressources dans cette planification, et les efforts auprès du gouvernement fédéral pour obtenir une contribution financière au projet, signale une reconnaissance du besoin d’agir.

[799]	Comme j’en ai fait état précédemment, le désir d’en arriver à une entente avec le gouvernement fédéral pour combiner les ressources et bonifier le projet  est compréhensible.  Mais dans la mesure où le besoin existe, le GTN-O ne peut pas retarder indéfiniment de passer aux actes.  Il a d’ailleurs eu l’occasion de passer aux actes, avec une contribution du gouvernement fédéral pour la Phase 2. Malheureusement, il n’a  pas  reconnu, dans son processus de planification budgétaire, l’importance de saisir cette occasion et  d’aller de l’avant avec ce projet.

[800]	D’un autre côté, je ne pense pas qu’il soit exact de dire que les Défendeurs n’ont agi pour mettre en oeuvre l’article 23 que lorsqu’ils y ont été contraints par les tribunaux.

[801]	Ni l’une ni l’autre des écoles francophones des T.N.-O. n’a été construite parce qu’un tribunal l’a ordonné, contrairement à ce qui est arrivé dans plusieurs litiges mettant en cause l’article 23.  Et dans ces recours-là, des dommages intérêts n’ont pas été accordés.

[802]	La Phase 1, elle, a été le résultat d’une ordonnance du tribunal.  Les Défendeurs ont contesté les besoins en espace à cette époque, mais une fois l’ordonnance rendue, aux dires de M. Lavigne, ils ont agi  rapidement pour planifier la mise en oeuvre de l’ordonnance, et ultimement, ont décidé de faire plus que ce qui avait été ordonné.  La même chose est arrivée dans le cadre du litige concernant l’École Boréale.

[803]	Je ne remets pas  en question les conséquences négatives très concrètes que les retards ont eues pour les membres de la minorité linguistique à Yellowknife.  Les parents ont été contraints à faire des choix déchirants beaucoup plus longtemps qu’ils n’auraient dû.  Ils n’auraient pas dû être obligés de choisir entre envoyer leurs enfants à l’école en français, pour préserver leur langue et leur culture,  ou les envoyer dans une école qui a un gymnase.   Et il est injuste qu’ils aient eu à refaire ce choix, année après année, pendant des années.

[804]	Je ne remets pas non plus en question l’effet très néfaste, pour les minorités linguistiques, des atermoiements d’un gouvernement dans la mise en oeuvre de l’article 23, ni le fait que ces atermoiements contribuent à l’assimilation. Je reconnais aussi que la diminution des nombres, éventuellement, a pour résultat de nuire considérablement aux membres de la minorité quand ils essaient de faire valoir leurs droits.

[805]	J’ai tenu compte de cette réalité dans ma décision concernant l’ensemble des mesures de redressement que j’ai accordées.  Elles ont pour but non seulement de rendre l’école actuelle conforme aux exigences de l’article 23 et d’assurer qu’elle réponde aux besoins présents et futurs de la minorité, mais aussi de réparer les torts du passé en soutenant la vitalité de la communauté minoritaire, notamment en apportant un soutien accru aux programmes préscolaires.

[806]	Mais tenant compte des critères applicables dans l’octroi de dommages intérêts, de l’ensemble de la preuve, et des autres mesures de redressement que j’ai décidé d’accorder aux Demandeurs, je conclus qu’une ordonnance contraignant les Défendeurs à payer des dommages intérêts n’est pas indiquée.


D. 	Les dépens

[807]	Les Demandeurs réclament l’octroi de dépens entre avocats et clients.

[808]	L’octroi de dépens entre avocat et client n’est pas la norme.  C’est une mesure exceptionnelle, généralement réservée aux situations où une partie a fait preuve de conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante.  Young v. Young, [1993] 4 R.C.S. 3.  Dans de tels cas, les dépens sont un moyen pour le tribunal de sanctionner la conduite de la partie en question.

[809]	Cependant, dans le contexte d’un litige mettant en cause des droits constitutionnels, les dépens peuvent être une forme de réparation convenable et juste en vertu du Paragraphe 24(1) de la Charte.   Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire pour le tribunal de conclure à une conduite répréhensible ou outrageante.  Les dépens entre avocat et client peuvent être accordés dans la mesure où un défendeur a enfreint les droits garantis par la Constitution sans motif légitime, et ce, même en l’absence de mauvaise foi.  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, supra, para.63;  Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 05, p.83.

[810]	Les Défendeurs vont valoir que contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Arsenault-Cameron, ce recours et le recours CV2008000133 soulevaient des questions  novatrices, notamment concernant l’étendue du droit de gestion protégé par l’article 23.  C’est vrai.  D’ailleurs, je n’ai pas donné raison aux Demandeurs à tous les égards au sujet des questions portant sur le droit de gestion.  En ce qui concerne la suffisance des édifices, je n’ai pas non plus accordé toutes les mesures de redressements qu’ils recherchaient.

[811]	D’un autre côté, il ressort clairement de la preuve que ce qui était au coeur du présent recours était la question des espaces.  Les demandes d’espaces pour la garderie et le préscolaire soulevaient des questions étaient novatrices, mais le gros du litige portait sur les espaces scolaires.

[812]	Ce recours est le premier à mettre en cause la mise en oeuvre de l’article 23 dans les TN-O.  La question de ce qui devait servir de point de comparaison (les écoles de la majorité à Yellowknife ou les écoles dans les TN-O qui ont un nombre comparable d’élèves), par exemple, n’avait jamais été examinée dans le contexte de cette juridiction.


[813]	Mais il est clair qu’au-delà de la question du comparateur, les Défendeurs ont appliqué une conception de l’égalité qui a été rejetée il y a plus de 10 ans par la Cour suprême du Canada dans Arsenault-Cameron, comme je l’ai fait remarquer au Paragraphe 633.  L’entêtement du GTN-O à appliquer les mêmes standards aux écoles minoritaires que ceux qui s’appliquent aux écoles majoritaire va à l’encontre d’un principe qui est établi depuis longtemps au sujet de ce que veut dire l’égalité réelle.

[814]	D’autre part, en affirmant que l’ÉASC pouvait régler ses problèmes d’espace en récupérant les espaces de la garderie, les Défendeurs ont négligé de reconnaître la vocation communautaire de l’édifice et l’importante contribution financière du gouvernement fédéral à sa construction.

[815]	Par ailleurs, avant d’entreprendre leur recours, les Demandeurs ont tout fait pour communiquer leurs besoins, et les expliquer aux Défendeurs, et ce, pendant plusieurs années.  Les Défendeurs ont reçu des rapports détaillés et un flot de correspondance détaillant leurs demandes, expliquant les défis, et demandant au gouvernement d’agir.  Les Demandeurs ont essayé de régler le litige, autrement qu’en se tournant vers les tribunaux, pendant plusieurs années.

[816]	Les Demandeurs ont aussi mis le recours en suspens pendant plusieurs années.  Ils l’ont fait parce qu’ils croyaient que le litige pourrait se régler sans la nécessité d’un procès, compte tenu des engagements pris par les Défendeurs.  Il est tout à fait exact de dire que les Défendeurs ne s’engageaient pas, dans l’Ordonnance modifiée de février 2006, à autre chose que de préparer les plans schématiques de la Phase 2.  Ils ne s’engageaient pas à entreprendre des travaux de construction dans un certain délai.  Mais on peut comprendre pourquoi les Demandeurs croyaient que la Phase 2 procéderait.  Aucun individu ou gouvernement ne consacrerait les ressources nécessaires à la planification d’un agrandissement d’une telle ampleur pour le plaisir, sans intention de passer à l’étape suivante une fois les plans complétés.

[817]	Les Défendeurs ont eu l’occasion de procéder à la Phase 2 avec le soutien financier du gouvernement fédéral.  Mais ils ont choisi, par l’entremise de leur processus de planification du Plan capital, de ne pas saisir cette occasion.


[818]	Je ne suis pas d’accord avec la façon dont les Demandeurs caractérisent la conduite des Défendeurs.  Je ne suis pas prête à conclure que les Défendeurs ont agi de mauvaise foi.  Mais les dépens entre avocat et client peuvent être accordés même en l’absence de mauvaise foi.  C’est ce que tribunal a fait dans Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada.  En l’espèce, pour les raisons mentionnées ci-haut, j’arrive à la conclusion que l’octroi de dépens entre client et avocat est une forme de réparation juste et convenable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[819]	La question des dépens aurait pu être compliquée par le fait que ce recours et le recours CV2008000133 ont procédé en même temps. Mais le problème ne se pose pas parce que j’ai conclu  que les dépens entre avocat et client sont également justifiés dans cet autre  recours.  Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest et al. c. Procureur général des Territoires du Nord-Ouest, supra, paras. 832-881.

E. 	Demande que le tribunal reste saisi du dossier

[820]	Les Demandeurs insistent pour que le tribunal se déclare saisi du dossier et assure un contrôle et une supervision des mesures de redressement ordonnées.  La Cour suprême du Canada a reconnu que ce pouvoir fait partie des larges pouvoirs discrétionnaires prévus au  Paragraphe 24(1) de la Charte.   Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3

[821]	Je reconnais l’existence de ce pouvoir mais j’estime qu’il devrait être exercé avec une grande prudence.  Les juges dissidents dans Doucet-Boudreau ont dit (et les juges de la majorité ne les  contredisent pas  sur ce point):

[le rôle des tribunaux] consiste essentiellement à dire le droit et à accorder à des demandeurs les réparations sous forme de jugement déclaratoire, d’interprétation ou d’ordonnance qui sont nécessaires pour remédier aux atteintes à des droits conférés par la Constitution ou par la loi, dont sont responsables les autorités publiques.  Au-delà de ces fonctions, une attitude de retenue est d’autant plus justifiée qu’il existe au Canada (...) une tradition de respect des interprétations et des ordonnances judiciaires de la part des gouvernements et des fonctionnaires.

Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), supra, para.106.


[822]	Les Demandeurs disent qu’il est nécessaire pour le tribunal de rester saisi du dossier sur la base de la même interprétation des évènements que celle qui est à la base de leur demande en dommages-intérêts, c’est-à-dire que les Défendeurs ont fait preuve de mauvaise foi à l’égard de la communauté francophone minoritaire des TN-O depuis plusieurs décennies, et que le tribunal ne saurait leur faire confiance dans la mise en oeuvre des Ordonnances découlant de ce recours judiciaire.

[823]	Comme je l’ai déjà indiqué, je ne suis pas d’accord avec cette façon de décrire les agissements des Défendeurs.  À mon avis ils ont eu tort dans leur façon d’évaluer les besoins de l’ÉASC, et ils auraient dû accorder beaucoup plus de poids aux représentations de la CSFTN-O à ce sujet.  Ils ont aussi, selon moi, fait fausse route dans leur application du concept de l’égalité réelle.

[824]	Mais contrairement aux faits qui ont mené à plusieurs litiges mettant en cause l’article 23, les Défendeurs ont tout de même pris des mesures, et engagé des dépenses considérables, pour la mise en oeuvre de l’article 23 dans les TN-O.  Ils ont construit deux écoles.  Ils ont créé une commission scolaire francophone.  Selon moi, ils n’ont pas nié ou ignoré leurs obligations constitutionnelles découlant de l’article 23.  Ils les ont simplement interprétées de façon indûment restrictive.

[825]	Mais surtout, les Défendeurs se sont conformés aux ordonnances du tribunal.  Les travaux de la Phase 1 ont été complétés en retard, mais comme je l’ai déjà dit, la preuve est claire que ces retards n’étaient pas dus aux agissements des Défendeurs.

[826]	Dans Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, supra, en refusant de se déclarer saisie du dossier malgré le refus du GTN-O d’agir pendant plusieurs années en réponse aux revendications  des demandeurs, la juge Moreau a dit:

Il est vrai que les demandeurs ont dû chercher à obtenir un règlement judiciaire en raison de l’inaction du GTN-O qui persiste à certains égards depuis plusieurs années. De plus le GTN-O avait à sa disposition plusieurs rapports et recommandations qui faisaient essentiellement des mêmes conclusions que les conclusions de la Cour.  Cela dit, le présent jugement est le premier à jeter un regard approfondi sur la nature et l’étendue des droits linguistiques garantis par la [Loi sur les langues officielles] des TN-O.  Je n’ai pas de raison de croire que le GTN-O ne respectera pas mes ordonnances.

Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, supra, para. 978.

[827]	Je n’ai pas moi non plus de raison de croire que les Défendeurs ne se conformeront pas à mes ordonnances.  Ils se sont conformés aux ordonnances interlocutoires rendues dans ce recours et dans le recours portant sur l’École Boréale.

[828]	Le Paragraphe 24(1) de la Charte confère un pouvoir discrétionnaire considérable aux tribunaux, mais les mesures de redressement ordonnées doivent tenir compte de la nature du droit en cause.  La jurisprudence qui porte sur l’article 23 reconnaît le rôle et l’intérêt des gouvernements d’avoir une discrétion large dans la mise en oeuvre de ces droits.  En l’espèce, j’ai conclu que cette discrétion n’avait pas été exercée en conformité avec la Charte, mais cela ne veut pas dire qu’il est approprié de créer une tutelle judiciaire pour superviser la façon dont les Défendeurs mettront en oeuvre les mesures de redressement ordonnées.

[829]	Dans l’ordre normal des choses, dans notre démocratie constitutionnelle, un tribunal ne devrait rester saisi d’une affaire que dans des situations exceptionnelles.  À mon avis, il n’est pas nécessaire de le faire dans le cadre de ce recours.

VI) 	CONCLUSION

[830]	Pour tous ces motifs, j’ordonne les mesures de redressements suivantes, en vertu du Paragraphe 24(1) de la Charte :

1. 	L’édifice qui abrite l’École Allain St-Cyr sera agrandi selon les paramètres suivants:

a. 	l’école aura une capacité d’accueil de 250 élèves

b.	outre les salles de classe permettant d’atteindre cette capacité, l’agrandissement devra comprendre, au minimum:

(i) 	un gymnase de 500 mètres carrés ou plus, avec vestiaires, douches, estrade et bureau pour le préposé au gymnase;

(ii)	un espace adéquatement équipé pour l’enseignement de cours de cuisine et d’arts ménagers;

(iii)	une salle multi-usages pour l’enseignement de la musique et des arts;


(iv)	un laboratoire adéquatement équipé pour l’enseignement des sciences au niveau secondaire, distinct de l’espace utilisé comme  laboratoire par les élèves du niveau primaire;

(v)	une salle attitrée pour l’enseignement de l’anglais langue seconde;

(vi)	un espace fermé, pour le travail individuel, pour les élèves qui ont des besoins spéciaux;

(vii)	des espaces de travail pour le personnel;

(viii)	dans le mesure du possible, et tenant compte des conditions du terrain, l’aménagement d’un plus grand terrain de jeu pour les niveaux primaire et secondaire.

2.	Dans le calcul de la capacité de l’école, ni les espaces qui étaient consacrés à la Garderie Plein-Soleil au moment du procès, ni la rotonde, ne seront comptés.

3.	L’agrandissement de l’édifice devra en outre inclure les espaces suivants pour les programmes préscolaires:			

(i)	de l’espace supplémentaire pour permettre à la Garderie Plein-Soleil d’augmenter sa capacité d’accueil à 45 places;

(ii) 	de l’espace, pour le programme de pré-maternelle, suffisant pour  accueillir 20 enfants.

4.	Dans les 21 jours suivant le dépôt des présents motifs, ou à une date ultérieure, sur le consentement écrit des Demandeurs par l’entremise de leur procureur, des représentants des Défendeurs rencontreront des représentants des Demandeurs pour établir un échéancier et entreprendre la planification des travaux.  Les Défendeurs fourniront par la suite des mises à jour écrites aux Demandeurs et à la Commission scolaire francophone, Territoires du Nord-Ouest, au minimum à tous les 45 jours.


5.	Les Défendeurs prendront toutes les mesures légalement disponibles pour accélérer les processus d’appels d’offre et autres processus budgétaires requis pour la mise en oeuvre de cette Ordonnance.

6.	Les Défendeurs s’assureront que les travaux  soient complétés au plus tard pour la rentrée scolaire de septembre 2015.

7.	Les Défendeurs s’assureront que l’École Allain St-Cyr ait un accès équitable à des espaces pour l’enseignement des cours d’Études Professionnelles et Techniques, et fourniront le financement nécessaire, sur demande de la CSFTN-O, pour que les services d’un professeur francophone soient retenus pour l’enseignement de ces cours.

8.	D’ici à ce que les travaux d’agrandissement soient complétés, les Défendeurs s’assureront que l’École Allain St-Cyr ait un accès équitable, qualitativement et quantitativement, aux espaces suivants:

(i)	un gymnase pour les activités scolaires et parascolaires;

(ii)	les espaces requis pour l’enseignement des arts ménagers,

(iii) 	les espaces requis pour l’enseignement des arts plastiques et des arts visuels;

(iv)	les espaces requis  pour l’enseignement de la musique et des arts de la scène;

(v)	des salles de classe supplémentaires, au besoin.

9.	Les Défendeurs paieront les dépens des Demandeurs sur la base procureur-client.


 “L.A. Charbonneau”
   L.A. Charbonneau
             J.C.S.
Fait à Yellowknife, TN-O, ce
1er jour de juin 2012.



Procureurs des Demandeurs:   	Me Roger J.F. Lepage
Me Francis Poulin

Procureurs des Défendeurs:	Me Maxime Faille
Me François Baril
Me Guy Régimbald	






	

	Corrigendum

	De

	L’honorable juge L.A. Charbonneau

	



1.	La correction suivante a été faite à ce jugement:

[816]	Les Défendeurs ...

Devrait se lire

[816]	Les Demandeurs ...	

2.	La citation a été modifiée pour lire:

Citation:   Association des Parents ayants droit de Yellowknife et al c. Procureur Général des Territoires du Nord-Ouest et al, 2012 CSTN-O 43.cor 1





CS S-0001-CV-2005000108



COUR SUPRÊME DES
TERRITOIRES DU NORD-OUEST



ENTRE:

ASSOCIATION DES PARENTS AYANTS DROIT DE YELLOWKNIFE, LA GARDERIE PLEIN SOLEIL, YVONNE CAREEN, CLAUDE ST-PIERRE et FÉDÉRATION FRANCO-TÉNOISE
	Demandeurs
	- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
	Défendeurs


jugement corrigé: Un corrigendum a été publié le 12 décembre, 2012; la correction a été apportée à ce document, et le texte du corrigendum est rapporté à la fin du jugement.



 MOTIFS DE JUGEMENT DE
L’ HONORABLE JUGE L.A. CHARBONNEAU






   
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