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Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest  et al c. Procureur Général des Territoires du Nord Ouest, 2008 CSTNO 53
Date: 2008 07 22
Dossier: S-0001-CV-2008000133

 COUR SUPREME DES TERRITOIRES
 DU NORD-OUEST

ENTRE:

COMMISSION SCOLAIRE FRANCOPHONE, TERRITOIRES DU NORD-OUEST, CATHERINE BOULANGER et CHRISTIAN GIRARD

 Demandeurs
 - and -

PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

 Défendeurs

 MOTIFS DE DÉCISION

I)  INTRODUCTION ET MISE EN CONTEXTE

1. Dans cette motion, Les Demandeurs cherchent à obtenir une injonction qui forcerait les Défendeurs à prendre des mesures immédiates concernant l’École Boréale à Hay River.  Les Demandeurs veulent de l’espace additionel pour des salles de classes, un accès au gymnase pour les activités scolaires et parascolaires qui soit comparable à ce dont les élèves des écoles anglophones de Hay River disposent, et l’accès, pour les étudiants de niveau secondaire, à un laboratoire de science adéquat.  Ils demandent qu’un plan intérimaire soit mis en place à temps pour la rentrée scolaire 2008-2009.


2. Cette motion s’inscrit dans le contexte d’un litige qui a une beaucoup plus grande envergure, dans lequel les Demandeurs veulent forcer les Défendeurs à agrandir considérablement l’École Boréale.  Les Demandeurs affirment qu’à plusieurs égards, les services actuellement disponibles ne résultent pas en un traitement égal des élèves de l’école par rapport à ce dont disposent les élèves qui étudient dans les écoles anglophones, et que ceci contrevient à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.  Les dispositions réglementaires qui fixent les pouvoirs de la commission scolaire ne lui accordent pas le pouvoir d’acquérir des terrains ou construire des bâtiments supplémentaires; il lui donne simplement le pouvoir de préparer, pour approbation par le gouvernement, des prévisions pour ses dépenses en ce qui concerne l’ensemble des immobilisations nécessaires pour livrer le programme d’enseignement.  Les Demandeurs contestent la validité de ces dispositions et affirment qu’elles contreviennent à l’article 23.

3. Tant les mesures de redressement temporaires qui font l’objet de la demande d’injonction interlocutoire que celles recherchées à plus long terme reposent donc sur les droits conférés par l’article 23 de la Charte.  L’étendue et la portée des obligations imposées aux Défendeurs par cette disposition sont donc au coeur du litige.

4. En 2001, la commission scolaire francophone a été créée et a pris la responsabilité de la gestion de L’École Boréale.  A cette époque l’école était située à l’intérieur de l’école Princess Alexandra, une école anglophone de Hay River.  En 2002, l’école déménagea dans des classes portatives.  Un édifice fut ensuite construit et l’école y emménagea en 2005.  Il y a cinq salles de classes dans cet édifice, ainsi qu’un grand atrium, qui est un espace ouvert.  Il n’a pas de gymnase; les élèves utilisent les gymnases des autres écoles à Hay River.  L’École Boréale n’est pas équipée de laboratoire pour l’enseignement des sciences pour le niveau secondaire.  Les étudiants utilisent un comptoir de sciences mobiles, qui n’inclut pas tous les équipements que l’on retrouverait normalement dans un laboratoire pour l’enseignement des sciences au niveau secondaire.


5. La preuve établit que des échanges ont eu lieu entre le gouvernement et la commission scolaire francophone au sujet de l’École Boréale au fil des années.  La preuve est contradictoire sur la question à savoir si la commission scolaire était entièrement d’accord avec les plans établis pour la construction de l’école.  Les Défendeurs affirment avoir agi tout au long du processus en étroite collaboration avec la commission scolaire et la communauté francophone, et qu’il était entendu que le nouvel édifice serait adéquat pour répondre aux besoins de cette communauté pour une période de 10 ans après sa construction.  Les Demandeurs prétendent de leur côté que l’édifice actuel a été conçu pour répondre aux besoins du niveau primaire seulement, et qu’il avait toujours été prévu qu’une deuxième aile serait construite, à relativement court terme, pour répondre aux besoins du niveau secondaire.

6. Il ressort de la preuve déposée par les parties que depuis que l’école est dans son édifice actuel, des représentants de la commission scolaire ont fait valoir au gouvernement que de l’espace additionel était nécessaire, notamment pour répondre aux besoins du niveau secondaire.  La correspondance envoyée au Ministre de l’éducation a l’automne 2007 fait état de problèmes d’espace pour l’année scolaire 2007-2008 et de l’urgent besoin d’y remédier.  D’autres lettres au même effet ont été envoyées au cours de l’année scolaire 2007-2008.  Les Demandeurs affirment que jusqu’en mai 2008, ils avaient toutes les raisons de croire que le gouvernement reconnaissait le manque d’espace à l’École Boreale et était disposé à faire quelque chose pour y pallier.  Ils affirment que c’est la raison pour laquelle ils n’ont pas entamé leur recours judiciaire avant la date où ils l’ont fait, soit le 29 mai 2008.

7. Les parties s’entendent sur très peu de choses, tant au niveau des faits que sur l’état du droit.  Par exemple, au niveau des faits, la preuve est contradictoire quant au nombre d’élèves que l’école peut recevoir; sur la question à savoir si il y a ou non un manque d’espace, et jusqu’à quel point ce manque d’espace est suffisamment critique pour justifier l’intervention du tribunal; sur la question à savoir si la preuve démontre que la situation engage la juridiction du tribunal en vertu de la Charte; et sur la possibilité ou impossibilité de mettre en oeuvre certaines solutions à temps pour la rentrée 2008-2009.

8. Quant au droit, les parties ont des interprétations divergentes de certains aspects de la jurisprudence qui porte sur l’article 23.  Ils ne s’entendent pas sur la portée du droit de gestion que cet article confère à une commission scolaire minoritaire; sur l’étendue du pouvoir d’un gouvernement d’intervenir dans certains aspects de cette gestion; sur les effets de la création d’une commission scolaire minoritaire sur le niveau de service qui doit être offert aux élèves.

II)  Le droit applicable en matière d’injonction interlocutoire


9. Une demande d’injonction interlocutoire est de même nature qu’une requête pour ordonnance de suspension des procédures.  Une injonction interlocutoire est une mesure discrétionnaire et exceptionnelle, parce qu’elle vise à accorder une mesure de redressement à une partie avant que le litige n’ait pu être entendu sur le fond.  Un tribunal n’accorde une telle demande que si la partie demanderesse établit que: (1) il existe une question sérieuse a juger; (2) la partie demanderesse subira un préjudice irréparable si la demande n’est pas accordée; et (3) la prépondérance des inconvénients est telle que la demande devrait etre accordée.

RJR- MacDonald c. Canada (Procureur General) [1994] 1 S.C.R. 311; Manitoba (Attorney General) v. Metropolitan Stores Ltd. [1987] 1 S.C.R. 110.

10. Parce que la demande en l’espèce est pour une injonction interlocutoire mandatoire, les  Défendeurs affirment que le fardeau qui incombe aux Demandeurs est d’établir plus que simplement l’existence d’une question sérieuse à juger.

11. Il est vrai que de façon générale, le fardeau à rencontrer, dans le cas d’une injonction interlocutoire mandatoire, est celui de la démonstration d’une forte cause prima faciae (“strong prima faciae case”) Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, (2003 Canada Law Books) paragraphes 1.510; 2.640 et 15.30; Horvath v. Syncrude Canada Ltd. 2006 A.J. No. 651, au paragraphe 7.

12. La question qui se pose est à savoir si ce fardeau plus élevé s’ applique dans une demande d’injonction interlocutoire mandatoire qui met en cause un droit garanti par la Charte.  Cette même question a été soulevée dans M.P. v. Chinook Regional Health Authority 2005 ABQB 10 et Trang v. Alberta (2001), 298 A.R. 149 (Q.B.), entre autres.  Dans ces affaires, le tribunal a conclu que le critère de la question sérieuse à juger était approprié dans les demandes d’injonction interlocutoires mandatoires impliquant la Charte, parce que ces affaires soulèvent des questions complexes de faits et de droit qui ne peuvent pas être évaluées sur la base du dossier de preuve inévitablement incomplet qui est présenté au stade interlocutoire.  Je suis d’accord avec cette conclusion.  Je suis donc d’avis que les Demandeurs doivent simplement établir l’existence d’une question sérieuse à juger.  Par contre, le fait qu’ils veulent obliger les Défendeurs à agir en un certain sens et à encourir des dépenses avant que le litige ne soit entendu sur le fond est un facteur pertinent.  Il est approprié d’en tenir compte dans l’analyse de la prépondérance des inconvénients.

III)  Principes généraux découlant de l’article 23 de la Charte


13. L’article 23 de la Charte est la pierre angulaire sur laquelle se fonde le recours des Demandeurs.  Je ne peux évidemment pas faire une analyse exhaustive de la jurisprudence dans le cadre d’une requête comme celle-ci, mais je me dois d’examiner les  principes généraux relatifs à l’application de cette disposition.  C’est d’autant plus nécessaire que les Défendeurs contestent l’applicabilité de l’article 23 dans la situation en l’espèce, et contestent par le fait même la juridiction du tribunal d’intervenir.  Cette question, les autres questions soulevées dans cette motion, et la preuve présentée, doivent nécessairement être examinées à travers le filtre de certains principes maintenant bien établis concernant l’article 23.

14. L’article 23 de la Charte prevoit:

23. (1)  Les citoyens canadiens:

a)  dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b)  qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,

ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

(2)  Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

(3)  Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province:

a)  s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité;

b)  comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.


15. L’objet général de l’article 23 est de maintenir l’anglais et le francais et les cultures que ces langues représentent, ainsi que de favoriser l’épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, sur tout le territoire canadien.  L’article 23 cherche à atteindre ce but en assurant aux parents appartenant a la minorité linguistique le droit à un enseignement dispensé dans leur langue, partout au Canada.  Mahé c. Alberta [1990] 1 R.C.S. 342.

16. L’article 23 établit une exigence variable: le niveau de services auxquels la minorité a droit est dans une certaine mesure déterminé par le nombre de personnes, dans une région donnée, qui sont des ayant-droits.  Mahé c. Alberta, supra.

17. Lorsque le nombre le justifie, l’article 23 confère aux parents appartenant à la minorité linguistique un droit de gestion et de contrôle à l’égard des établissements d’enseignement où leurs enfants se font instruire.  Ce droit peut exiger une représentation de la minorité linguistique au sein du conseil scolaire existant.  Dans certaines circonstances, il justifie la création d’un conseil scolaire indépendant.  Mahé c. Alberta, supra.

18. L’article 23 a un caractère réparateur.  Il ne vise pas seulement à mettre fin à l’érosion  progressive des cultures des minorités de langue officielle au pays, mais aussi à favoriser leur épanouissement Mahé c. Alberta, supra; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Edouard [2000] R.C.S. 3; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Ecosse (Ministre de l’Éducation) [2003] R.C.S. 3.

19. Le concept égalitaire que l’article 23 vise à promouvoir n’en est pas un qui exige un traitement identique des groupes majoritaires et minoritaires.  Il s’agit plutôt d’assurer à la minorité linguistique un accès égal à un enseignement de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favorisent le développement de la communauté.  La réalisation de cet objectif peut parfois exiger un traitement différent de celui qui est réservé à la majorité.  Mahé c. Alberta, supra; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Edouard, supra.


20. Les autorités provinciales ou territoriales, qui ont le mandat d’administrer les programmes d’éducation, ont une large latitude pour décider de quelle facon leurs obligations en vertu de l’article 23 seront rencontrées.  Mahé c. Alberta, supra.  Par contre, les gouvernements ne peuvent pas prendre de mesures, legislatives ou autres, qui réduisent ou limitent les droits protégés par l’article 23.  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur Général) [2005] C.S.C. 14, paragraphes 42 et 47; H.N. c. Québec (Ministre de l’Éducation), 2007 QCCA 111.

21. Les objectifs du Paragraphe 23(2) sont de garantir la continuité de l’instruction de l’enfant, préserver l’unité familiale, et favoriser la liberté de circulation et d’établissement de citoyens à travers le pays.  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur Général), paragraphes 20, 21 et 34.

22. Dans les cas où le paragraphe 23(2) est en cause, et où le droit repose sur le fait qu’un des enfants des parents “reçoit ou a recu” son instruction primaire ou secondaire en français, le tribunal doit procéder à une analyse qualitative de la preuve, pour décider si les faits révèlent un véritable engagement à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité.  Dans la majorité des cas, un enfant légalement inscrit à un programme reconnu devrait être en mesure de continuer dans ce programme.  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur Général), supra, paragraphes 42 et 47.

23. C’est dans le cadre de ces grands principes que la présente requête doit être examinée.

IV)  ANALYSE DE LA PREUVE À LA LUMIÈRE DES CRITÈRES À RENCONTRER POUR L’OBTENTION D’UNE INJONCTION INTERLOCUTOIRE

1.  L’existence d’une question sérieuse à juger

24. Dans le cadre d’une injonction interlocutoire, le rôle du tribunal n’est pas d’examiner la preuve de facon approfondie ni de tirer des conclusions fermes.  Le rôle du tribunal n’est pas non plus de s’engager dans une analyse approfondie des questions de droit qui sont en cause dans le litige.  Il ne serait ni possible ni approprié de le faire.  Par contre, l’évaluation de l’existence d’une question sérieuse à juger exige un examen préliminaire et provisoire du fond du litige.  C’est un exercice qui est toujours difficile et délicat, et qui l’est particulièrement lorsque plusieurs faits pertinents sont contestés.  Il l’est encore plus lorsque les parties ne s’entendent pas quant à l’état du droit applicable.

25. Au niveau factuel, il est de la nature même d’une motion comme celle-ci que le dossier de preuve qui la sous-tend est incomplet.  De plus, il est plus souvent qu’autrement impossible d’évaluer la crédibilité des témoins sur la base d’un affidavit.  Les conflits et contradictions dans la preuve presentée ne peuvent donc pas être résolus.  Je ne peux qu’examiner la preuve, constater les contradictions, et évaluer si, eu égard aux principes juridiques applicables, les Demandeurs ont démontré ce qu’ils doivent démontrer pour justifier ce qu’ils demandent.

26. Quant aux questions juridiques, il n’est pas de mon ressort de décider quelle position juridique prévaudra, ultimement.  Évidemment, si j’estime qu’un argument juridique avancé par l’une ou l’autre des parties est manifestement contraire à la jurisprudence, celà peut avoir un certain impact sur mon évaluation de l’existence d’une question sérieuse à juger.

27. Dans les circonstances de cette affaire, l’existence ou la non existence d’une question sérieuse à juger doit être examinée au sujet de plusieurs aspects du litige.

a.  Manque d’espace

28. Un premier sujet litigieux entre les parties est la question à savoir si il y a oui ou non une crise d’espace à l’École Boréale.  La preuve est contestée sur cette question.

29. La preuve des Demandeurs sur ce sujet repose principalement sur l’affidavit de Sophie Call, la directrice de l’école depuis les trois dernières années.  Elle décrit les aménagements qui ont dû être faits à l’école pour l’année scolaire 2007-2008, et certains des problèmes qui en ont decoulé.

30. Mme Call explique que certains espaces physiques de l’école qui ne sont pas conçus pour l’enseignement ont dû être réaménagés pour l’enseignement, à cause du manque d’espace.  Il y a des problèmes d’acoustique et de bruit dans ces espaces, parce que ce sont des espaces ouverts.  Il y a un manque de bureau pour les professeurs.  Il n’y a aucun espace qui reste qui puisse servir d’espace communautaire, puisque tout l’espace destiné au communautaire est utilisé pour l’enseignement.

31. Au sujet des conséquences découlant de ces aménagements, Mme Call affirme entre autres, dans son affidavit:


Dans tous ces lieux communs que l’école est obligée d’utiliser pour l’enseignement, le manque d’espace et le manque d’insonorisation (puisqu’il s’agit d’espace conçu pour l’utilisation en commun), crée un grave problème de bruit et de distractions pour les élèves et les professeurs qui enseignent.  Il y a des gens qui parlent a la réceptioniste de l’école, soit en personne ou au téléphone, les téléphones qui sonnent à la réception ou dans les deux bureaux des professeurs, et l’enseignement de la danse avec musique, le tout mis ensemble cause un niveau de distractions inacceptable pour les élèves et les professeurs.  En plus de ces bruits, les voix des professeurs qui enseignent en même temps se propagent facilement dans ces espaces d’enseignement ouverts ce qui obligent [sic] les professeurs à parler plus fort, ce qui aggrave le problème de bruit.  Le niveau de distraction actuel n’est pas propice a l’enseignement et la situation deviendra complètement intolérable dès le mois de septembre 2008.

(...)

Rendus au niveau secondaire surtout, les jeunes ont besoin d’un espace auquel ils peuvent s’identifier et développer un sens d’appartenance.  Les jeunes de la 9e et 10e année cette année ont accepté de faire une année d’école dans l’espace temporaire de l’atrium, mais l’École Boréale ne pourra retenir ses élèves du secondaire en les gardant dans un coin temporaire de l’école comme nous avons été obligé [sic] de faire cette dernière année scolaire.  Les professeurs du secondaire m’ont aussi avertit [sic] que le manque de salle de classe pour l’enseignement des élèves du secondaire deviendra insupportable si celà continue l’an prochain.  Selon mes propres observations, je suis d’accord avec ce pronostic.

32. Christian Girard et Catherine Boulanger sont deux des Demandeurs et ont des enfants qui étudient à l’École Boréale.  Dans leurs affidavits respectifs, ils confirment dans une certaine mesure ce dont fait état Mme Call au sujet des problèmes de bruit et de distraction en raison de l’aménagement de classes temporaires dans des lieux qui ne sont pas conçus pour l’enseignement.

33. À cette preuve s’oppose l’affidavit de Don Morrison, qui est le Directeur des opérations et développement au Ministère de l’Éducation.  C’est un affidavit détaillé qui porte sur un vaste éventail de sujets.  Il fait état, entre autres, de la superficie de l’édifice qui abrite l’École Boréale, et des normes qui s’appliquent dans les Territoires du Nord-Ouest quant à la grandeur des écoles par rapport au nombre d’étudiants.  Il exprime l’opinion qu’il y a suffisamment d’espace à l’École Boréale, et suggère diverses façons dont les classes pourraient être organisées pour que l’école soit fonctionnelle dans son espace actuel pour l’année 2008-2009.

34. Je le répète: à cette étape des procédures, mon examen des questions relatives au fond du litige ne peuvent qu’être limitées et temporaires.  Mais à mon avis, la question de l’encombrement ou non encombrement dans une école ne relève pas simplement de facteurs comme le nombre d’élèves, le nombre de mètres carrés de l’école, et la capacite théorique de l’édifice.  Le nombre de niveaux et le nombre d’élèves qui étudient à chacun de ces niveaux est également important.  À mon avis, les observations de personnes qui ont vécu la réalité de l’école au jour le jour ne peut pas être ignorée.  J’estime donc que la preuve presentée par les Demandeurs, et en particulier l’affidavit de Mme Call, établit au moins l’existence d’une question sérieuse à juger quant à savoir si l’École Boréale manquera d’espace pour fonctionner adéquatement en 2008-2009.

b.  Applicabilité de l’article 23, eu égard à la composition du corps étudiant de l’école

35. La deuxième question qui se pose est à savoir si la preuve est suffisante pour établir que les pouvoirs du tribunal qui découlent des articles 23 et 24 de la Charte peuvent être mis à contribution par les Demandeurs.  Les Défendeurs prétendent que les Demandeurs n’ont pas établi combien d’élèves attendus à l’école en 2008-2009 ont un droit constitutionnellement protégé d’y aller.  Les Défendeurs prétendent que le manque d’espace actuel, si il y en a un, découle du fait qu’un trop grand nombre d’enfants de non ayant-droits sont à l’école.  Les Défendeurs affirment que les Demandeurs ont la responsabilité d’utiliser l’espace existant pour les enfants d’ayant-droits.  Ils font valoir que la preuve n’établit nullement que l’espace actuel serait insuffisant pour rencontrer les besoins de ces enfants, et que par conséquent, la preuve n’établit pas que cette affaire relève de l’article 23.


36. Les Demandeurs disent que le droit de gestion de la commission scolaire, tel que protégé par l’article 23, inclut le droit d’établir les critères d’admission a l’École Boréale.  Ils affirment que la politique d’admettre un certain nombre d’enfants de non ayant-droit est conforme à l’objectif  réparateur de l’article 23, parce que c’est une des façons de remédier aux effets de l’assimilation passée.  Ils affirment aussi que la politique d’admettre un certain nombre d’enfants de non ayant-droits existe depuis plusieurs années, est publique, et n’a jamais été remise en question par le gouvernement.  Ils estiment donc que l’existence de la politique d’admission de non ayant-droits, et son application au fil des années, ne change rien à l’obligation du gouvernement de fournir l’espace  adéquat pour les élèves qui seront inscrits à l’école en 2008-2009.

37. La politique d’admission de l’école est en preuve, en annexe à un des affidavits déposés au soutien de la motion.  Cette politique prévoit que tout enfant d’ayant-droit sera admis à l’école.  La description d’ayant-droit qui apparaît à cette politique correspond à l’interprétation des Demandeurs quant à la portée de l’article 23, une interprétation que ne partagent pas les Défendeurs.  En plus des enfants d’ayant-droit, la politique prévoit que les enfants qui ont complété un programme de francisation au niveau de la prématernelle ont accès au programme de maternelle, et par la suite, au plein programme scolaire.

38. Il y a controverse dans la preuve au sujet de la proportion d’enfants qui étaient et n’étaient pas des enfants d’ayant-droit au moment de leur inscription à l’école.  Dans une des réponses aux engagements donnés dans le cadre des contre-interrogatoires sur affidavits, il est indiqué que sur un total de 105 enfants inscrits à l’école en 2007 - 2008, 62 étaient des enfants qui étaient couverts par l’une ou l’autre des trois catégories de l’article 23 au moment de leur inscription.  Par ailleurs, dans un rapport préparé en février 2008 par un consultant engagé par le gouvernement pour étudier la situation de l’école, qui est une des pièces annexée à l’affidavit de Mr. Morrison, on fait état d’un total de 103 enfants inscrits à l’école pour 2007-2008, dont seulement 42 étaient des enfants d’ayant-droits par l’entremise de leur père ou de leur mère.

39. Lors du contre-interrogatoire sur les affidavits, certaines questions ont été posées pour clarifier les détails du statut d’ayant-droit des parents.  On a aussi demandé que les Demandeurs fournissent la documentation pour confirmer ce statut. Les Demandeurs ont refusé de fournir cette information.  Ils ont simplement fourni le nombre total des enfants qui sont couverts par l’article 23, toutes catégories confondues.  Ils prétendent qu’à ce stade-ci, les détails au sujet du nombre d’enfants couverts par l’une ou l’autre des catégories de l’article 23 ne sont pas pertinents.  Il y a certaines autres informations que les Demandeurs ont refusé de fournir à ce stade-ci des procédures.


40. Les Défendeurs affirment que dans la mesure où les Demandeurs sont en possession d’éléments de preuve sur une question pertinente et refusent de les présenter, le tribunal devrait tirer une inférence négative contre eux.  Ils affirment en outre qu’en raison de ces refus, la preuve présentée n’établit pas la pertinence de l’article 23 dans cette affaire.

41. Il est important de faire une distinction entre l’absence de preuve et l’absence de la meilleure preuve, ou l’absence de la preuve la plus complète.  Les Demandeurs ont fourni aux Défendeurs une partie de l’information qu’ils recherchaient, y compris de l’information au sujet du nombre d’élèves qui étaient des enfants d’ayant-droits au moment de leur inscription pour 2007-2008.  Ils ont fourni cette information par l’entremise des réponses aux engagements de Mme Call.  Ce qu’ils ont refusé de faire, c’est de présenter les documents qui corroborent leurs prétentions, et de donner les précisions quant au nombre d’ayant-droits appartenant à chacune des trois catégories prévues à l’article 23.  Il n’est pas exact de dire qu’il y a absence complète de preuve sur ces questions: il y a de la preuve, par l’entremise du témoignage de Mme Call et des réponses à ses engagements.

42. Le 25 juin dernier, dans ma décision  refusant d’interdire aux Défendeurs de contre-interroger les personnes qui avaient souscrit des affidavits au soutien de la motion, j’ai affirmé que la composition du corps étudiant à l’École Boréale était un fait pertinent pour les fins de la motion, parce qu’elle pouvait avoir un impact sur la juridiction du tribunal d’intevenir en vertu de la Charte.  Par contre, j’ai aussi fait état de la jurisprudence qui dit que le contre-interrogatoire sur affidavit ne doit pas être transformé en examen au préalable.

43. Suite aux contre-interrogatoires sur affidavit, les Défendeurs ont obtenu certains détails au sujet de la proportion d’enfants inscrits à l’école en 2007-2008 dont les parents étaient des ayant-droit au moment de l’ inscription et ceux dont les parents ne l’étaient pas.  Un grand nombre d’autres détails ne leur ont pas été fournis.  La documentation prouvant le statut des parents n’a pas été fournie.  Mais à mon avis, les Demandeurs ne sont pas tenus, à ce stade-ci, de présenter tous les détails de leur preuve, ni de la fournir aux Défendeurs.  Comme je l’ai précisé dans mes motifs du 25 juin, ces questions, bien qu’elles aient une certaine pertinence à ce stade-ci, ont une pertinence limitée parce que le stade interlocutoire n’est pas le stade approprié pour analyser en profondeur le profil de chacun des élèves de l’école et leur statut par rapport à l’article 23.


44. Il y a des contradictions et une certaine controverse dans la preuve quant au  nombre d’élèves à l’école en 2007-2008, et quant à la proportion d’enfants qui étaient des ayant-droit au moment de leur inscription.  Cette question a une certaine pertinence mais je ne crois pas qu’elle soit déterminante dans les circonstances en l’espèce.

45.   Comme j’y ai fait allusion au Paragraphe 22, ci-haut, l’application du Paragraphe 23(2) de la Charte exige une analyse qualitative sur la base d’une preuve plus complète que ce qui est disponible à ce stade-ci.  Par contre, il ressort de l’arrêt Solski que généralement, le fait qu’un enfant soit légalement inscrit et engagé dans un programme dans la langue minoritaire lui confère le droit de continuer dans ce programme.  Par le biais de l’article 23, le même droit est alors conféré à tous ses frères et soeurs.

46. Contrairement à ce qui est le cas au Québec, et qui a mené aux litiges dans Solski et H.N., il n’y a pas de loi ou règlement dans les Territoires du Nord-Ouest qui prévoit des critères d’admission aux écoles minoritaires.  Il n’y a aucune preuve de l’existence d’une directive ministérielle à ce sujet depuis l’ouverture de l’École Boréale.  Tout indique donc que les enfants qui ont reçu leur instruction à l’École Boreale jusqu’à ce jour l’ont fait en toute légalité.  Le statut des parents (ayant-droit ou non ayant-droit) au moment de l’inscription de leurs enfants à l’école l’année dernière, ou lors d’une année antérieure, n’est pas déterminant quant au statut d’ayant-droit ou de non ayant-droit de ces mêmes parents en septembre 2008.  Il existe donc au moins une question sérieuse à juger quant au droit de tous les  enfants qui étaient à l’École Boréale en 2007-2008 d’y retourner en 2008-2009.  La même question existe quant au droit de leurs frères et soeur d’y étudier.

47. De toute façon, même si j’acceptais l’argument qu’il n’y pas suffisamment de preuve de manque d’espace pour les enfants d’ayant-droit à cause du refus des Demandeurs de fournir certaines informations, ça n’éliminerait pas l’existence d’une question sérieuse à juger, à cause de l’autre volet de la prétention des Demandeurs.  Je parle ici de leurs arguments fondés sur le pouvoir de gestion dont la commission scolaire dispose en vertu de l’article 23.


48. Le niveau d’autonomie dont jouit une commission scolaire minoritaire une fois qu’elle est créée est un sujet contesté dans cette affaire.  Les Demandeurs prétendent que le droit de gestion qui est garanti par l’article 23 doit etre interprété comme donnant une vaste marge de manoeuvre à la commission scolaire au niveau non seulement des politiques d’admission, mais aussi des décisions quant à la façon dont les programmes seront livrés.  Les Demandeurs disent que ceci inclut le contrôle absolu sur les politiques d’admission, mais également le pouvoir de prendre d’autres décisions reliées à la vocation plus large de l’École Boréale en tant que centre scolaire communautaire.  Ils affirment que ceci inclut, par exemple, le droit de décider d’offrir des services de pré-maternelle ou de garderie de façon a contribuer à la francisation et au rayonnement de la langue minoritaire, en conformité avec les objectifs réparateurs de l’article 23.

49. Les Défendeurs affirment que la commission scolaire avait la responsabilité de contrôler les inscriptions pour s’assurer que l’école pourrait continuer de remplir sa mission  première, c’est-à-dire de répondre aux besoins des ayant-droit.  Ils affirment que si elle a failli à cette responsabilité, elle ne peut pas maintenant exiger que le gouvernement engage d’autres  fonds publics pour régler un problème d’espace qu’elle a elle-même créé et continue d’aggraver en maintenant sa politique au sujet des inscriptions.  Ils prétendent que le gouvernement a non seulement le droit, mais le devoir, d’intervenir, par exemple en émettant des directives concernant les inscriptions, si celà est nécessaire pour assurer que l’école  puisse continuer de combler les besoins des ayant-droits.

50. Les arrets Solski et H.N. reconnaissent l’existence d’un certain droit de regard des gouvernements sur certains aspects de la gestion des écoles minoritaires.  Dans les deux cas, les tribunaux  ont infirmé des dispositions législatives qui réglementaient le droit d’inscription aux écoles de la minorité anglophone au Québec.  Mais ils ne l’ont pas fait au motif que le gouvernement n’avait aucun droit de regard.  Ils l’ont fait au motif que les restrictions que le gouvernement avait mises en place contrevenaient a l’article 23.

51.   Ces décisions confirment donc un certain droit de regard du gouvernement, tout en stipulant clairement que ce droit de regard ne peut pas servir d’outil pour limiter ou réduire un droit garanti par l’article 23.  Une des questions qui se posera sur le fond du litige en l’espèce sera de savoir jusqu’à quel point le gouvernement peut utiliser son droit de regard pour limiter la croissance d’une école minoritaire en limitant les infrastructures qui seront disponibles pour cette école.  La délimitation de la frontière entre le droit de gestion de la commission scolaire et les  pouvoirs du gouvernement sera déterminante.  Il s’agit d’une question sérieuse à juger.

52. Pour ces raisons, je conclus qu’il existe une question sérieuse à juger à savoir si il existe un manque d’espace à l’École Boréale et si ce problème résulte en une violation des droits individuels et collectifs protégés par l’article 23.

c.  Gymnase

53. L’École Boréale n’a pas de gymnase et ses élèves doivent utiliser ceux de d’autres écoles.  Les Défendeurs font valoir que ceci est conforme aux normes territoriales qui déterminent quelles écoles ont suffisamment d’étudiants pour avoir leur propre gymnase.  Ils font valoir que plusieurs autres petites écoles dans les Territoires du Nord-Ouest n’ont pas de gymnase.  Les Défendeurs affirment donc que le fait que l’École Boréale n’ait pas de gymnase ne soulève pas de question sérieuse à juger.

54. Je ne pense pas que la question devrait être abordée de cette façon.  La jurisprudence reconnaît que dans certaines circonstances, l’article 23 mandate que la minorité soit traitée différemment de la majorité, pour assurer une véritable égalité dans les résultats.  La question à savoir si la construction d’un gymnase pour l’ École Boréale fait partie des obligations qui découlent de ce principe est une question sérieuse à juger, au même titre qu’elle l’était dans Association des parents ayants droit de Yellowknife c. Territoires du Nord-Ouest (Procureur Général) 2005 NWTSC 55.
d.  Laboratoire de sciences

55. L’École Boréale n’a pas de laboratoire de sciences adéquat pour le niveau secondaire.  Mme Call explique que les étudiants ont accès a un comptoir de sciences mobile mais que ce comptoir n’est pas adéquat pour les cours de 10e et 11e année.  Elle affirme que l’école ne sera pas en mesure d’offrir le cours de Chimie 11, qui est un cours des cours de base essentiel.

56. Les Défendeurs feront valoir au procès qu’à la lumière du principe du critère variable, le gouvernement n’est pas tenu d’équiper une école d’un laboratoire de science complet si le nombre d’élèves ne le justifie pas.  Ils affirment que le nombre ne justifie pas l’installation d’un tel laboratoire à l’École Boréale.


57. Les Demandeurs feront valoir que la création de la commission scolaire est une reconnaissance que le nombre d’ayant-droit à Hay River justifie le plus haut niveau de services garantis par l’article 23, et qu’à  partir du moment où une telle commission scolaire est créée, le critère variable ne s’applique plus.  À mon avis, il s’agit d’une question sérieuse à juger.

2.  Préjudice irréparable

58. Généralement, on conçoit qu’un préjudice irréparable en est un qui ne peut être compensé par le paiement d’un montant d’argent.  Il n’est donc pas surprenant qu’il existe une certaine jurisprudence à l’effet que la violation de droits garantis par la Charte est, par définition, un préjudice irréparable.

59. Dans la situation en l’espèce, les Défendeurs prétendent que la preuve ne démontre pas que l’École Boréale a perdu des élèves à cause du manque d’espace, du manque d’accès au gymnase, ou du fait que l’école n’a pas de laboratoire de science complet pour le niveau secondaire.  Les Défendeurs soulignent que dans Association des parents ayants droit de Yellowknife c. Territoires du Nord-Ouest (Procureur Général), supra, il y avait une preuve concrète que l’école francophone de Yellowknife perdait la majorité de ses élèves quand ils atteignaient la 8e année.  Dans la présente affaire, cette preuve n’est pas présente.

60. Je ne crois pas qu’il soit juste de prétendre que la démonstration de l’existence d’un préjudice irréparable exige la démonstration que ce préjudice a déja commencé à se manifester.  Le fardeau de la partie demanderesse est de démontrer qu’elle subira un préjudice irréparable si la mesure de redressement n’est pas accordée, et non de démontrer que ce préjudice existe déjà.

61. Pour utiliser l’exemple du manque de laboratoire de sciences, la preuve présentée est que le cours de chimie de 11e année ne peut pas être donné en utilisant le comptoir de science mobile dont dispose l’école.  Doit-on attendre le fait accompli, c’est-à-dire que les élèves de 11e aient commencé leur année scolaire et soient incapables de suivre ce cours, pour statuer que le critère du préjudice irréparable est rencontré?  À mon avis, non.  La même chose est vraie, à mon sens, au sujet du manque d’espace.  Doit-on attendre que les parents prennent une décision ferme de retirer leurs enfants de l’école parce qu’ils trouvent trop difficile d’étudier dans un espace ouvert et bruyant où les distractions nuisent à leur apprentissage?  Doit-on attendre que la performance académique de certains élèves se détériore?  Je ne pense pas.


62. Mis à part la possibilité de perdre des élèves à cause des conditions d’enseignement pour certain niveaux, un autre aspect au préjudice irréparable soulevé par la preuve est la détérioration des conditions d’enseignement et d’apprentissage pour les élèves, peu importe de quel niveau, qui devront suivre leurs cours dans des espaces qui n’ont pas été conçus pour l’enseignement.

63. Je reconnais que la situation en l’espèce ne se compare pas aux affaires comme Conseil scolaire Fransaskois de Zenon Park c. Saskatchewan [1999] 3 W.W.R. 742 (CA) ou à certaines autres citées par les Demandeurs.  Les Défendeurs ont créé une commission scolaire francophone.  Ils ont fait bâtir un établissement distinct pour se conformer à leurs obligations constitutionnelles.  Par contre, les parties sont engagées dans un litige très contesté qui pourrait prendre des années à faire son chemin à travers les différents niveaux de tribunaux.  Il est essentiel qu’en attendant la résolution des questions soulevées par cette affaire, les élèves qui sont à l’École Boréale puissent continuer d’y poursuivre leur instruction en français, et puissent le faire dans des conditions qui sont propices à l’apprentissage.  La preuve qui démontre l’existence d’une question sérieuse à juger quant au manque d’espace démontre aussi le préjudice irréparable qui surviendra si la situation actuelle perdure.

64. Les Défendeurs font valoir que les Demandeurs sont responsables de la situation, d’une part parce qu’ils avaient le contrôle sur les admissions et n’auraient pas dû ouvrir les portes de l’école à un aussi grand nombre d’enfants de non ayant-droit.  D’autre part, ils affirment que les Demandeurs auraient dû intenter ce recours beaucoup plus longtemps avant la rentrée 2008-2009.  Ainsi, disent-ils, le litige aurait pu être décidé sur le fond, et sur la base d’un dossier de preuve complet.

65. Il est vrai que les Demandeurs avaient le plein contrôle sur le moment où ils entreprendraient ce recours.  La preuve démontre qu’ils anticipaient une situation de crise pour l’année scolaire 2008-2009 il y a déjà longtemps.  Et la preuve ne révèle aucun engagement ni promesse du gouvernement de prendre telle ou telle mesure précise avant la rentrée 2008-2009.


66. Par contre, la preuve démontre aussi, que depuis plusieurs années, et particulièrement au cours de l’année scolaire 2007-2008, la commission scolaire a fait part aux autorités gouvernementales du manque d’espace à l’École Boréale, et du besoin urgent d’y remédier.  Dans l’échange de correspondance déposé en preuve, les autorités gouvernementales ne semblent pas remettre en question l’existence d’un problème d’espace.  Les discussions semblaient aller bon train pour trouver une solution, puisqu’en avril 2008, il était question de fournir à l’École Boréale de l’espace dans une des écoles anglophones de Hay River.

67. Il est vrai que les Demandeurs auraient pu entreprendre leur recours beaucoup plus tôt en 2008, et possiblement même en 2007, tout en continuant, en parallèle, des négociations avec le gouvernement.  Par contre, on ne peut nier que le fait d’intenter un recours judiciaire peut parfois nuire considérablement à un processus de négociation.  Intenter un recours judiciaire engage des frais considérables.  On ne saurait reprocher aux parties de faire tout ce qui est possible pour arriver à une solution sans avoir recours au processus judiciaire.

68. À mon avis, la décision des Demandeurs d’attendre au mois de mai avant d’intenter leur recours ne réduit pas le  préjudice irréparable qui s’ensuivra si la motion n’est pas accordée.  Il est indéniable, cependant, que ce choix a des conséquences pratiques quant à l’éventail de mesures qui peuvent raisonnablement être ordonnées à ce stade-ci.  Les contraintes logistiques qui existent à cause de l’imminence de la rentrée scolaire doivent être prises en considération dans l’analyse de la prépondérance des inconvénients.

69. Je conclus donc que les Demandeurs ont établi qu’un préjudice irréparable s’ensuivra si leur demande n’est pas accordée.  À mon avis ce préjudice découle du manque d’espace à l’École Boréale et de l’impact néfaste que ce manque d’espace a sur les conditions d’apprentissage pour les élèves; du fait que les élèves de 10e et 11e année ne disposent pas d’équipement adéquat pour leur cours de sciences; et de l’impact que le manque de temps d’utilisation de gymnase a, au point de vue qualitatif, sur les activités scolaires et parascolaires des élèves de l’École Boréale.

3.  Balance des inconvénients

70. Dans l’examen de ce critère, il s’agit de déterminer laquelle des parties subira le plus grand inconvénient ou préjudice si les mesures de redressement sont ordonnées, ou ne le sont pas, en attendant une décision sur le fond.


71. Les Défendeurs soulignent que les mesures de redressement demandées exigeraient un investissement considérable de fonds publics, investissement qui pourrait ultimement s’avérer sans fondement si les Demandeurs n’ont pas gain de cause sur le fond.  Ils soulignent également que même si les Demandeurs ont gain de cause, les sommes dépensées pour les mesures intérimaires seront perdues, puisque d’autres dépenses devront être engagées pour l’agrandissement de l’École Boréale.

72. Comme j’y ai déjà fait allusion, les Défendeurs affirment que cette situation aurait facilement pu être évitée si les Demandeurs n’avaient pas attendu aussi longtemps avant d’entreprendre leur recours.  Ils prétendent que les Demandeurs, ayant identifié un problème d’espace il y a longtemps, se devaient d’entreprendre leur recours de sorte que le litige puisse être entendu sur le fond  bien avant la rentrée 2008-2009.  Les Défendeurs affirment qu’en procédant comme ils l’ont fait, et en demandant au tribunal de statuer de façon interlocutoire sur ces questions, les Demandeurs court-circuitent le processus judiciaire normal pour arriver à leurs fins.  Ils affirment aussi que l’engagement de la commission scolaire de les dédommager si ils n’ont pas ultimement gain de cause est vide de sens, puisque la commission dépend entièrement du gouvernement pour son financement.  Ils estiment donc que la balance des inconvénients penche en leur faveur, et que les mesures de redressement demandées ne devraient pas être accordées.  Ils affirment que le tribunal devrait plutôt ordonner que le procès soit entendu sur une base expéditive, de façon à ce que les questions en litige soient réglées à temps pour la rentrée 2009-2010.

73. Les Demandeurs, pour leur part, affirment que le gouvernement aurait dû être au fait de ses obligations en vertu de l’article 23 depuis longtemps, surtout que les problèmes d’espace à l’École Boréale lui ont été communiqués à maintes reprises au cours des dernières années.  Ils affirment que les solutions intérimaires qu’ils proposent (installation de classes portatives ou rénovation et location d’un édifice avoisinant) n’engageraient pas le gouvernement à long terme: si les Demandeurs n’avaient pas gain de cause sur le fond, les classes portatives pourraient être déplacées et utilisées ailleurs; la location de locaux temporaires pourrait être annulée.  Ils font valoir que la situation à l’École Boréale est telle que la balance des inconvénients exige que des mesures soient prises pour la rentrée 2008-2009.


74. Les parties se blâment mutuellement pour la situation actuelle.  Mais peu importe à qui la faute, logistiquement parlant, il est douteux que la solution des salles de classe portatives ou celle de la rénovation de l’édifice avoisinnant puissent être mises en oeuvre à temps pour la rentrée 2008-2009.  Je me dois également de tenir compte des coûts qui devraient être engagés pour aménager ces nouveaux espaces, et de la possibilité que les Demandeurs n’aient pas gain de cause sur le fond.

75. D’un autre côté, ayant determiné que le recours des Demandeurs soulève des questions sérieuses à juger, et étant donnée mon analyse sur la question du préjudice, j’estime qu’il serait inacceptable de faire subir aux élèves de l’École Boréale une autre année scolaire dans les conditions décrites par Mme Call.  J’estime qu’il est essentiel d’assurer qu’il y ait un espace suffisant pour favoriser des conditions raisonnables d’apprentissage pour les élèves de tous les niveaux, peu importe leur nombre, en attendant que ce litige puisse être entendu sur le fond.

76. J’estime  aussi que l’accès au gymnase pour les activités scolaires et parascolaire doit etre équivalent, en durée et en qualité, à ce dont  bénéficient les élèves des écoles de la majorité.  L’École Boréale ne devrait pas avoir accès aux gymnases des autres écoles uniquement aux périodes où les autres écoles n’en ont pas besoin.  Un horaire équitable d’utilisation doit être fixé, tenant compte des besoins de tous les utilisateurs, et considérant ces utilisateurs comme ayant un droit égal d’accès.

77. Finalement, les élèves au niveau secondaire doivent pouvoir suivre tous leurs cours de science, en ayant accès aux mêmes ressources et équipements que les élèves qui font leurs études secondaire dans une école anglophone.

78. Je conclus donc que la balance des inconvénients exige que certaines mesures de redressement  soient accordées, mais que ces mesures doivent tenir compte de ce qui est logistiquement réalisable d’ici la rentrée, ainsi que des conséquences financières qu’elles entraîneront.  Le budget du gouvernement n’est pas illimité et  nous sommes au stade interlocutoire.  Il semble douteux que des classes portatives pourraient etre livrées et adéquatement installées à temps pour la rentrée.  Il me semble également douteux que les rénovations qui devraient être faites dans l’édifice avoisinant pourraient être terminées à temps.  De plus, cette solution exigerait que le gouvernement s’engage a louer l’espace pour une période de temps supérieure à un an.  Si les Demandeurs n’ont pas gain de cause, le bail pourraient possiblement être annulé, mais il y aurait très certainement des coûts et pénalités considérables, surtout si l’espace a été rénové spécifiquement pour accueillir une école.


79. Pour donner aux élèves du niveau secondaire un accès adéquat aux laboratoires de sciences, ils devront de toute façon utiliser le laboratoire d’une autre école de niveau secondaire.  Il semble y avoir des salles de classe disponibles dans d’autres écoles à Hay River.  Si une infrastructure existe déjà, il est approprié de l’utiliser en guise de mesure temporaire.  Sur une base intérimaire, et principalement à cause que les options sont très limitées vu le manque de temps d’ici la rentrée scolaire, l’utilisation d’espaces dans  une autre institution d’enseignement de la communauté est la solution la plus réaliste.  Je reconnais que c’est loin d’être la solution idéale, et qu’elle engendrera des coûts puisqu’il sera nécessaire d’assurer un espace distinct pour les élèves de l’École Boréale à l’intérieur de cette autre école.  Mais dans les circonstances, je pense que c’est la solution la plus raisonnable compte tenu des contraintes de temps.

80.   Je note d’ailleurs que cette option était examinée en avril 2008 au moment ou les parties discutaient encore de solutions possibles pour la rentrée 2008-2009.  Dans une lettre envoyée au sous-ministre de l’Éducation le 22 avril 2008, le Directeur général de la commission scolaire écrivait:

La solution possible à court terme que votre ministère nous a proposé [sic] serait d’obtenir des classes additionnelles dans un autre établissement scolaire de Hay River.

(...)

Il est certain que pour la Commission scolaire, cette solution d’urgence n’est pas l’option que nous préférons.  Comme nous vous le faisions remarquer, l’installation de portatives rattachées à l’École Boréale est, selon nous, la solution intérimaire acceptable pour pallier à la situation.

(...)

Votre suggestion d’occuper temporairement des espaces additionnelles [sic] dans une école anglophone avoisinnante en août 2008 nous serait seulement acceptable si ces espaces répondent aux exigences minimales de l’article 23, à savoir qu’elles soient situées dans un lieu physique distincte [sic].  Il faudrait que ces espaces:

1.  Soient situés à l’École secondaire Diamond Jenness

2.  Soient localisés dans un lieu distinct de l’établissement scolaire et munis d’un mur séparateur; et


3. Accordent un accès équitable aux salles de labotatoires de science et au gymnase à des heures distinctes de celles des étudiants anglophones de l’école.

81. Pour les fins d’une injonction mandatoire interlocutoire, cette solution me semble la plus appropriée parce qu’elle suppose l’utilisation d’une infrastructure existante plutôt que d’engager le gouvernement à en acquérir de nouvelles.

82. Dans son affidavit, Mr. Morrison déclare que si la commission scolaire démontre l’existence d’un réel besoin, son ministère interviendra pour assurer que des services adéquats soient fournis aux élèves de l’École Boréale, tant au niveau de l’espace que pour l’accès aux gymnases ou aux laboratoires de sciences.  Il affirme qu’il n’y a nul besoin d’une ordonnance du tribunal pour que ces mesures soient prises, si la commission scolaire peut faire la démonstration qu’elles sont  nécessaires.

83.  Je ne pense pas qu’il soit  approprié, dans les circonstances actuelles, de laisser aux Défendeurs seuls le soin de décider de ce qui est adéquat pour les besoins de l’École Boréale.  Les parties sont engagées dans un litige où les réels besoins de cette école  sont au coeur de la controverse.  Les parties ne s’entendent sur à peu près rien, ni les faits passés ni les faits actuels, si sur l’état du droit.  Dans les circonstances, je suis d’avis que l’intervention du tribunal pour ordonner des mesures de redressement temporaires est appropriée.

V)  CONCLUSION

84. Pour ces motifs, la requête en injonction interlocutoire est accordée.

85. J’ordonne que les Défendeurs mettent en oeuvre immédiatement un plan intérimaire pour assurer qu’à partir de la rentrée scolaire pour l’année scolaire 2008-2009, les éléments suivants soient en place:

1.  Un temps d’accès à des gymnases pendant et après les heures d’école pour les activités scolaires et parascolaires, selon des horaires qui répondent aux besoins de l’École Boréale et reflètent un partage équitable du temps d’utilisation avec les autres écoles, tant au plan quantitatif que qualitatif.


2.  L’accès pour les étudiants de l’École Boréale à un laboratoire de science permettant de faire une programmation adéquate de cours de sciences au niveau secondaire, assurant une égalité réelle d’utilisation.

3.  L’utilisation par l’École Boréale de trois salles de classes dans une autre école de niveau secondaire à Hay River, avec les aménagements  nécessaires pour créer un lieu physique distinct pour les élèves qui les utiliseront.




L.A. Charbonneau
        J.C.S.
Fait à Yellowknife, TN-O, ce
22e jour de juillet 2008

Procureur des demandeurs:  Me Roger Lepage
Procureur des défendeurs:  Me Maxime Faille


S-0001-CV-2008000133



COUR SUPRÊME DES TERRITORIES
DU NORD-OUEST



ENTRE:

COMMISSION SCOLAIRE FRANCOPHONE, TERRITOIRES DU NORD-OUEST, CATHERINE BOULANGER et CHRISTIAN GIRARD

 Demandeurs
 - and -


PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

 Défendeurs





 MOTIFS DE DECISION DE L’HONORABLE
 JUGE L.A. CHARBONNEAU





   
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