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Abstract: Motifs de decision (requete pour suspension de la directive ministerielle)

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Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest  et al c. Procureur Général des Territoires du Nord Ouest, (No.2), 2008 CSTNO 65
Date: 2008 08 21
Dossier: S-0001-CV-2008000133

 COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES
 DU NORD-OUEST

ENTRE:

COMMISSION SCOLAIRE FRANCOPHONE, TERRITOIRES DU NORD-OUEST, CATHERINE BOULANGER et CHRISTIAN GIRARD

 Demandeurs
 - et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

 Défendeurs

 MOTIFS DE DÉCISION
 (REQUÊTE POUR SUSPENSION DE LA DIRECTIVE MINISTÉRIELLE)


1. Dans cette requête, les Demandeurs cherchent à obtenir la permission de modifier la Déclaration qu’ils ont déposée dans cette action.  Ils demandent aussi au tribunal d’émettre une ordonnance suspendant une directive émise par le Ministre de l’Éducation des Territoires du Nord-Ouest, concernant l’inscription des élèves au programme d’instruction en français langue première.

A)  CONTEXTE


2. Les Demandeurs ont intenté leur recours contre des Défendeurs le 29 mai 2008.  Ils invoquent l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés pour réclamer un certain nombre de mesures de redressement.  Le recours met en cause la portée des droits individuels protégés par l’article 23 (le droit de certains parents de voir leurs enfants recevoir leur instruction en français) et la portée des droits collectifs protégés par cette même disposition (le droit de gestion de la commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest sur les écoles qui sont sous  sa gouverne).

3. Une première requête interlocutoire a été présentée par les Demandeurs, et a été entendue par le tribunal le 9 juillet 2008.  Cette requête visait a forcer les Défendeurs à mettre en place des mesures intérimaires pour pallier à des problèmes d’espace et d’accès à certains services à l’École Boréale à Hay River.  Dans des motifs rapportés à Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest  et al c. Procureur Général des Territoires du Nord Ouest 2008 CSTNO 53, j’ai accordé la requête.

4. La présente requête fait suite à une décision du ministre de l’Éducation d’émettre une directive qui stipule les conditions d’admissibilité des enfants aux deux écoles qui sont sous la responsabilité de la Commission scolaire francophone, Territoires du Nord-Ouest.  Cette directive a été émise le 7 juillet 2008.

5. La directive se lit comme suit:

(1) A l’exception des dispositions énoncées au paragraphe 2), aucun nouvel élève ne peut être inscrit à un programme d’instruction en français langue première à moins que la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (Commission scolaire) n’ait vérifié que l’élève est admissible à ce programme, selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Pour être plus explicite, un nouvel élève ne peut être inscrit à un programme d’instruction en français langue première:

(a)  s’il est d’origine francophone mais incapable de fournir des preuves à l’appui de son admissibilité à l’instruction en français langue première, selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés; ou

(b)  s’il n’a pas la citoyenneté canadienne

(2)  Le ministre peut approuver l’inscription au programme d’instruction d’un élève qui n’est pas admissible au programme d’instruction selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.


(3)  La Commission scolaire doit vérifier l’admissibilité de chaque nouvel élève à s’inscrire à un programme d’instruction en français langue première, doit documenter son processus de vérification d’admissibilité et conserver la documentation fournie par le parent ou le tuteur de l’élève pour prouver l’admissibilité.  Les renseignements sur l’admissibilité des élèves doivent être fournis au ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation dans les délais raisonnables sur demande.

(4)  La Commission scolaire doit fournir au ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation une copie par écrit de la procédure utilisée pour vérifier l’admissibilité des élèves en matière d’inscription à un programme d’instruction en français langue première.

6. Le paragraphe 7(1)(u) du Règlement sur la commission scolaire francophone, Territoires du Nord-Ouest, R-071-2000 stipule que la Commission scolaire doit se conformer aux directives du ministre.

7. La Commission scolaire s’était donné  une politique d’admission en 2002.  Cette politique est en preuve, en annexe à l’affidavit d’André Légaré daté du 28 mai 2008.  La teneur de cette politique et la façon dont elle a été appliquée à l’École Boréale ont fait l’objet de représentations lors de l’audition de la première requête.

8. En ce qui a trait aux critères d’admission, la politique de la Commission scolaire prévoit ce qui suit:

Tout élève qui remplit les critères d’accès ci-dessous et résidant sur le territoire de sa juridiction, a le droit de s’inscrire aux programmes francophones dispensés par la CSFD, sans limitation culturelle.

Tout enfant d’ayants droit, tel que défini par l’Article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés

Les enfants de descendance francophone jusqu’à la troisième génération (sur déclaration assermentée ou notariée)

Les enfants d’immigrants reçus parlant et comprenant couramment le français

De plus, pour répondre aux besoins spécifiques des communautés francophones hors de Yellowknife:


Les enfants de non ayant droit qui participeront et complèteront un programme de francisation au niveau de la pré-maternelle auront accès au programme de maternelle et par suite le plein programme scolaire offert par la Commission

Pour assurer le développement identitaire francophone des enfants inscrits à l’école francophone, le nombre d’élèves non ayant droit de cette catégorie ne devrait pas dépasser 20% de la population scolaire de l’école.

9. La directive ministérielle est plus restrictive que la politique de la Commission scolaire parce qu’elle limite l’accès au programme d’enseignement en français aux enfants d’ayant-droit selon l’article 23.

10. Les Demandeurs prétendent que l’article 23 confère aux commissions scolaires minoritaires le droit absolu de gérer leurs établissements scolaires et que ceci inclut le droit de décider des critères d’admission au programme.  Ils affirment que la directive ministérielle constitue une violation de ce droit de gestion.  Ils veulent donc ajouter la contestation la directive ministérielle aux autres questions qu’ils ont déjà soulevées dans leur recours.  Ils demandent aussi la suspension de la directive jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond et jusqu’à ce que tous les moyens d’appel aient été épuisés.

11. Il faut se rappeler que le recours des Demandeurs vise, entre autres choses, à forcer le gouvernement à agrandir l’École Boréale.  Ils prétendent que l’infrastructure existante ne suffit plus aux besoins de l’école à cause de l’augmentation de sa population étudiante et en raison des besoins qui existent pour le niveau secondaire.

12. Les Défendeurs ne concèdent pas l’existence d’un problème d’espace à l’École Boréale mais affirment que si il y en a un, il résulte d’une mauvaise gestion des inscriptions par la Commission scolaire.  Ils affirment que la politique d’admission d’enfants de non ayant-droit est trop large, n’a pas été appliquée de façon stricte et qu’en conséquence, un trop grand nombre d’enfants de non ayant-droit ont été admis à l’École Boréale au cours des dernières années.  Les Défendeurs prétendent que le Ministre avait non seulement le pouvoir, mais le devoir d’intervenir pour s’assurer que l’École Boréale soit dorénavant utilisée pour sa vocation première et que les fonds dépensés par le gouvernement pour rencontrer ses obligations constitutionnelles soient utilisés pour combler les besoins des ayant-droit.  Ils affirment que la directive constitue donc l’exercise légal et approprié des pouvoirs du ministre en vertu de la Loi sur l’éducation.

13. Les Défendeurs s’opposent aussi à la requête des Demandeurs de modifier leur Déclaration.  Ils affirment que la validité de la directive ministérielle est une question distincte des autres questions qui sont soulevées dans ce recours.  Ils affirment que si les Demandeurs veulent contester la directive, ils devraient le faire dans un recours distinct.

B)  ANALYSE

I)  INJONCTION INTERLOCUTOIRE

14. Dans Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest  et al c. Procureur Général des Territoires du Nord Ouest, supra, aux paragraphes 9 à 12, j’ai fait état des principes juridiques applicables en matière d’injonction interlocutoire.  Ces mêmes principes s’appliquent en l’espèce.  Pour avoir gain de cause, les Demandeurs doivent établir l’existence d’une question sérieuse à juger; qu’ils subiront un préjudice irréparable si la requête n’est pas accordée; et que la prépondérance des inconvénients penche en leur faveur. RJR- MacDonald c. Canada (Procureur Général) [1994] 1 S.C.R. 311; Manitoba (Attorney General) v. Metropolitan Stores Ltd. [1987] 1 S.C.R. 110.

1.  Question sérieuse à juger

15. Dans Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest  et al c. Procureur Général des Territoires du Nord Ouest, supra, j’ai conclu que le recours des Demandeurs soulevait un certain nombre de questions sérieuses à juger, incluant le niveau d’autonomie d’une commission scolaire minoritaire, la portée du droit de gestion protégé par l’article 23, et le droit de regard du gouvernement quant à certains aspects de ce droit de gestion:


Le niveau d’autonomie dont jouit une commission scolaire minoritaire une fois qu’elle est créée est un sujet contesté dans cette affaire.  Les Demandeurs prétendent que le droit de gestion qui est garanti par l’article 23 doit etre interprété comme donnant une vaste marge de manoeuvre à la commission scolaire au niveau non seulement des politiques d’admission, mais aussi des décisions quant à la façon dont les programmes seront livrés.  Les Demandeurs disent que ceci inclut le contrôle absolu sur les politiques d’admission, mais également le pouvoir de prendre d’autres décisions reliées à la vocation plus large de l’École Boréale en tant que centre scolaire communautaire.  Ils affirment que ceci inclut, par exemple, le droit de décider d’offrir des services de pré-maternelle ou de garderie de façon a contribuer à la francisation et au rayonnement de la langue minoritaire, en conformité avec les objectifs réparateurs de l’article 23.

Les Défendeurs affirment que la commission scolaire avait la responsabilité de contrôler les inscriptions pour s’assurer que l’école pourrait continuer de remplir sa mission  première, c’est-à-dire de répondre aux besoins des ayant-droit.  Ils affirment que si elle a failli à cette responsabilité, elle ne peut pas maintenant exiger que le gouvernement engage d’autres  fonds publics pour régler un problème d’espace qu’elle a elle-même créé et continue d’aggraver en maintenant sa politique au sujet des inscriptions.  Ils prétendent que le gouvernement a non seulement le droit, mais le devoir, d’intervenir, par exemple en émettant des directives concernant les inscriptions, si celà est nécessaire pour assurer que l’école  puisse continuer de combler les besoins des ayant-droits.

Les arrets Solski et H.N. reconnaissent l’existence d’un certain droit de regard des gouvernements sur certains aspects de la gestion des écoles minoritaires.  Dans les deux cas, les tribunaux  ont infirmé des dispositions législatives qui réglementaient le droit d’inscription aux écoles de la minorité anglophone au Québec.  Mais ils ne l’ont pas fait au motif que le gouvernement n’avait aucun droit de regard.  Ils l’ont fait au motif que les restrictions que le gouvernement avait mises en place contrevenaient a l’article 23.

Ces décisions confirment donc un certain droit de regard du gouvernement, tout en stipulant clairement que ce droit de regard ne peut pas servir d’outil pour limiter ou réduire un droit garanti par l’article 23.  Une des questions qui se posera sur le fond du litige en l’espèce sera de savoir jusqu’à quel point le gouvernement peut utiliser son droit de regard pour limiter la croissance d’une école minoritaire en limitant les infrastructures qui seront disponibles pour cette école.  La délimitation de la frontière entre le droit de gestion de la commission scolaire et les  pouvoirs du gouvernement sera déterminante.  Il s’agit d’une question sérieuse à juger.

Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest  et al c. Procureur Général des Territoires du Nord Ouest, 2008 CSTNO 53, aux paragraphes 48-51.

16. Les Défendeurs font valoir que l’unique question soulevée dans cette requête est celle à savoir si le gouvernement a le droit de limiter l’accès aux écoles minoritaires aux enfants d’ayant-droit seulement.  Ils affirment que cette question a déjà été tranchée par la Cour Suprême du Canada dans Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur Général) [2005] 1 R.C.S. 201 et Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur Général) [2005] 1 R.C.S. 238. Ils prétendent donc que la requête ne soulève pas de question sérieuse à juger.

17. Les Défendeurs reconnaissent que l’article 23 doit être interprété de façon contextuelle.  Ils reconnaissent aussi que la Cour Suprême du Canada a tenu compte, dans ses décisions sur cette question, du contexte linguistique particulier de la province de Québec.  Ils reconnaissent aussi que le contexte de la communauté minoritaire francophone des Territoires du Nord-Ouest ne peut se comparer à celui de la minorité anglophone du Québec.  Par contre, les Défendeurs affirment que cette différence de contexte ne peut pas résulter en un droit de gestion de portée différente dans différentes régions du Canada.  Autrement dit, si la Cour Suprême du Canada a reconnu que l’article 23 de la Charte n’empêche pas au  gouvernement du Québec d’établir des conditions d’admission au programme d’enseignement en langue anglaise, le même droit sera nécessairement reconnu au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest d’établir des conditions d’admission au programme d’enseignement en langue française.  Et puisque la directive ministérielle confère le droit d’être admis au programme à tous les enfants d’ayant-droit en vertu de l’article 23, il n’est pas possible de conclure que cette directive contrevient à ce même article 23.

18. Les Demandeurs disent au contraire que la différence de contexte est cruciale dans l’analyse de la portée de leur droit de gestion.  Ils affirment que le contrôle sur les critères d’admission est une partie très importante du droit de gestion que leur confère l’article 23 dans le contexte précis de la communauté francophone de Hay River.  Ils affirment que dans ce contexte, il est essentiel, pour rencontrer les objectifs réparateurs de l’article 23, que la Commission scolaire ait le pouvoir de donner accès à son programme à des non ayant-droit pour arriver à réparer les torts du passé et renverser les effets de l’assimilation.


19. La jurisprudence établit, à mon avis, que ni le droit de gestion d’une commission scolaire minoritaire, ni le droit de regard du gouvernement, ne sont absolus.  À mon avis, le contexte dans lequel la question de droit de gestion de la Commission scolaire et le droit de regard du gouvernement se pose en l’espèce est fondamentalement différent de celui qui existait dans les affaires où le droit du gouvernement de fixer des critères d’admission a été examiné.  Le droit de gestion qui découle de l’article 23 n’est pas prévu dans son texte; c’est un droit que les tribunaux ont reconnu en interprétant la disposition.  Je ne crois pas qu’il soit nécessairement exclu qu’un tribunal puisse conclure que la portée de ce droit puisse varier d’un endroit à l’autre, selon le contexte.

20. Les Demandeurs n’ont pas à établir qu’ils auront nécessairement gain de cause.  Ils n’ont qu’à démontrer l’existence d’une question sérieuse à juger.  À mon avis, la question soulevée par cette requête est une question sérieuse à juger.  Le premier critère pour l’obtention d’une injonction interlocutoire est rencontré.

2.  Préjudice irréparable

21. Les Demandeurs font valoir que la directive ministérielle, parce qu’elle restreint considérablement les critères d’admission aux écoles des Territoires du Nord-Ouest qui offrent le programme d’enseignement en français langue première, leur causera un préjudice irréparable si elle est appliquée.  Ils allèguent deux volets à ce préjudice: le premier volet consiste en la perte par la Commission scolaire d’un aspect important de son droit de gestion, et le frein aux aspects réparateurs de sa politique d’admission.  Le deuxième volet est le préjudice direct que subiront les parents non ayant-droit qui ne pourront pas avoir accès au programme d’enseignement en français à cause de la directive.

22. En ce qui a trait au premier volet, les Demandeurs font valoir que la politique d’admission de la commission scolaire vise à réparer les torts du passé, en renversant une partie des conséquences de l’assimilation de la communauté francophone à l’époque ou un programme d’instruction en français langue première n’était pas disponible.  Ils affirment que les élèves qui se verront refuser l’accès au programme à cause de la directive, dans certains cas, perdront l’accessibilité au programme offert à l’École Boréale, et ce, même si les Demandeurs ont ultimement gain de cause et que la directive ministérielle est cassée à la suite du procès.  Les Demandeurs affirment que ceci constitue un préjudice irréparable parce que si le présent litige fait l’objet de procédures d’appel aux plus hauts niveaux, il pourrait durer jusqu’à cinq ans, et que sur cette période, un très grand nombre d’élèves potentiels auront été exclus du programme et n’y reviendront pas.

23. Le problème avec cet argument, à mon avis, c’est qu’il est très spéculatif.  Tout d’abord, il est spéculatif de dire que si la directive n’est pas suspendue immédiatement, elle affectera les inscriptions à l’école pendant cinq ans.  Si les Demandeurs réussissent au procès à faire invalider la directive, il est loin d’être certain que cette décision sera suspendue si la cause est portée en appel.

24. Il n’y a pas de preuve concrète au soutien de l’argument selon lequel tous  les parents non ayant-droit dont les enfants devront étudier ailleurs pendant que la directive est en vigueur ne choisiront jamais plus d’envoyer leurs enfants à l’École Boréale si cette option redevient disponible.


25. Les Demandeurs font valoir que la directive, et son niveau d’interference au droit de gestion, aura un impact national. Il n’y a aucune preuve à ce sujet.

26. Les Demandeurs font valoir que la directive aura pour effet de réduire la croissance de la population étudiante à l’École Boréale, ce qui pourrait avoir un impact sur l’agrandissement éventuel de l’école et essentiellement décider de l’issue du procès.  Je ne suis pas de cet avis.  Au procès, il sera loisible aux Demandeurs d’établir le pourcentage d’enfants qui ont été admis en vertu de la politique d’admission, bien qu’ils n’étaient pas des enfants d’ayant-droit,  pour démontrer le taux de croissance de l’École quand la politique de la Commission scolaire était en vigueur.  Ils pourront donc faire la preuve de leurs projections quant à la croissance future de l’École si la politique d’admission de la Commission scolaire est réinstaurée.  Je ne pense donc pas qu’il soit exact de dire que l’application de la directive ministérielle va déterminer l’issue du procès.


27. Les Demandeurs affirment aussi que la directive a créé une grande incertitude dans la communauté quant à l’avenir de l’École Boréale, ce qui peut aussi avoir un effet néfaste sur sa croissance, et sur l’utilisation que feront les non ayant-droits du programme de francisation, entre autres.  Je ne doute nullement qu’une telle incertitude existe, mais je ne pense pas qu’il soit établi qu’elle découle de la directive.  La situation dans son ensemble  crée de l’incertitude et des tensions dans la communauté.  Cette incertitude ne disparaîtra pas si l’application de la directive est suspendue: une telle décision pourrait être portée en appel; la directive, même si elle est suspendue au stade interlocutoire, pourrait être déclarée valide à l’issu du procès, ce qui créerait à ce moment là le même genre de dilemne pour les parents qui étudient leurs options pour choisir la voie éducative de leurs enfants.  Tout litige de cette envergure crée des incertitudes.  En soi, celà ne constitue pas un préjudice irréparable.

28. Les Demandeurs affirment aussi qu’ils peuvent s’appuyer sur le préjudice que subiront les parents non ayant-droit à qui la directive empêchera de faire instruire leurs enfants en français.  Je ne suis pas d’accord.  Le préjudice irréparable qui doit être établi dans ce contexte est le préjudice subi par par la partie qui l’invoque.  La Commission scolaire ne peut pas faire sienne le préjudice de personnes qui ne sont pas des ayant-droit et voudraient avoir accès au programme d’instruction en français.

29. D’ailleurs, ces parents ne sont pas sans recours.  La directive ministérielle prévoit un processus pour obtenir l’admission d’enfants qui ne sont pas des enfants d’ayant-droit.  Les parents non ayant-droit qui voudraient inscrire leur enfant à l’École Boréale pourront faire une demande au ministre à cet effet.  Si la décision est défavorable, ces parents pourraient prendre des mesures pour la contester.

30. Je suis au fait, et reconnais les commentaires de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Doucet-Boudreau v. Nouvelle-Ecosse (Ministre de l’Education) [2003] 3 R.C.S. 3 au sujet de la vulnérabilité des communautés minoritaires aux atermoiements des gouvernements, dans un contexte comme celui-ci ou la portée des droits dépend dans une certaine mesure du nombre de gens qui sont en mesure de s’en prévaloir.  Je suis également au fait que cet arrêt a été appliqué, au stade interlocutoire, dans Association des parents ayants droits de Yellowknife c. Territoires du Nord-Ouest (Procureur Général) 2005 CSTNO 58, au paragraphe 18.  Mais dans cette affaire, la preuve était à l’effet que l’école perdait ses étudiants, à cause du manque de services, quand ces étudiants atteignaient le niveau du secondaire.  La survie même du programme secondaire à l’école était menacée.

31. En l’espèce, la preuve démontre que l’École Boréale est un lieu d’enseignement vibrant, en pleine croissance, et qui est très populaire.  À la lumière de cette preuve, je ne crois pas que le critère de la démonstration du préjudice irréparable est rencontré.  Étant donnée cette conclusion, je n’ai pas à me pencher sur l’analyse du troisième critère pour l’obtention d’une injonction interlocutoire.


3.  Impact de la directive sur la rentrée 2008-2009

32. Je veux ajouter un commentaire au sujet de l’impact de la directive ministérielle sur la très imminente rentrée 2008-2009.  L’affidavit de Mr. Légaré fait état d’information reçue de la directrice de l’école au sujet d’enfants qui étaient déjà inscrits à l’École et s’en verront refuser l’accès suite à l’émission de la directive.  Mr. Légaré affirme au Paragraphe 4 de son affidavit:

Je suis informé par Mme Sophie Call, directrice de l’École Boréale à Hay River, et je tiens ses renseignements pour véridiques, qu’en raison de la directive ministérielle il sera nécessaire de refuser l’admission à au moins quatre élèves qui ont déjà été acceptés au niveau de la maternelle à l’École Boréale pour la nouvelle année scolaire 2008-2009.  Je suis informé par la directrice de l’École Boréale qu’il y aura entre 12 et 15 élèves qui commenceront la maternelle en septembre, dont 12 sont déjà inscrits.  En raison de la directive ministérielle, la CSFTNO sera obligée d’avertir les parents de ces quatre élèves de se trouver une autre école leurs enfants avant la rentrée en classe le 2 septembre 2008.

33. Paul Devitt, qui travaille pour le Ministère de l’Éducation, affirme au Paragraphe 13 de son affidavit daté du 15 août 2008 qu’un élève n’est pas inscrit avant le premier jour des classes:

Despite what is stated by Mr. Légaré in his Affidavit, none of these students is enrolled until the first day of school in September, and only after a parent has presented evidence of a s. 23 right.

34. La directive ministérielle, que j’ai citée au Paragraphe 5 ci-haut, prévoit que “aucun nouvel élève ne peut être inscrit” à moins de rencontrer les critères qu’elle énonce.  La directive ne définit pas ce que constitue “l’inscription”.

35. Je n’ai pas de preuve quant au processus d’inscription à l’École Boréale.  Mais les parents ne décident généralement pas où inscrire leurs enfants deux semaines avant la rentrée.  Le processus commence beaucoup plus tôt.  Le terme “inscrit” revêt donc une certaine ambiguïté, et laisse place à l’interprétation.


36. Les Défendeurs affirment que l’interprétation de la directive, et de ce que veut dire le terme “inscrit”, n’est pas une question qui est soulevée dans cette requête et que je n’ai donc pas à en décider.  Strictement parlant, c’est vrai. La requête porte sur la suspension de la requête, et non sur son interprétation.  Il m’est cependant difficile d’ignorer la question complètement, parce qu’elle se pose, à la lumière de la preuve et des représentations des parties: d’une part, les Défendeurs affirment que leur intention n’est pas que la directive ait une portée rétroactive.  D’autre part, Mr. Devitt semble dire qu’un enfant de non ayant-droit, admissible en vertu de la politique de la commission scolaire, et dont les parents avaient fait toutes les démarches pour l’envoyer à l’École Boréale pour 2008-2009, et avaient été avisés qu’il serait admis, n’est plus admissible maintenant car cet enfant n’est pas “inscrit”.  Il me semble, à première vue, que cette interprétation équivaut à donner une portée  rétroactive à la directive.

II)  MODIFICATION DE LA DÉCLARATION

37. Pour ce qui est de la requête pour  modifier la Déclaration des Demandeurs, à mon sens, elle doit être accordée.  Une des positions qu’avanceront les Défendeurs est que le gouvernement n’a pas la responsabilité de fournir un programme d’enseignement en français à des enfants de non ayant-droit.  La Commission scolaire prétendra que son droit de gestion inclut le droit de prendre des mesures réparatrices, incluant l’admission d’enfants de non ayant-droit, même si celà a un impact budgétaire pour le gouvernement.  Le droit de regard du gouvernement sur les critères d’admission fait partie des questions qui se rattachent à ce débat.  Il me semble donc que le pouvoir du gouvernement d’émettre cette directive est étroitement lié aux autres questions soulevées dans ce recours.

C)  DISPOSITIF

38. Pour ces motifs,

1.  La requête des Demandeurs pour une ordonnance suspendant la directive ministérielle émise le 7 juillet 2008 est rejetée.

2.  Les Demandeurs sont autorisés à déposer leur Déclaration modifiée.


D)  DÉPENS

39. Les parties désirent faire des représentations au sujet des dépens, et désirent le faire par écrit.  À cette fin:

1.  Le mémoire des Demandeurs devra être déposé au greffe et signifié aux Défendeurs au plus tard le 5 septembre 2008.

2.  Le mémoire des Défendeurs devra être déposé au greffe et signifié aux Demandeurs au plus tard le 19 septembre.




L.A. Charbonneau
        J.C.S.

Fait à Yellowknife, TN-O, ce
21e jour du mois d’ août 2008

Procureur des demandeurs:  Me Roger Lepage
Procureur des défendeurs:  Me Maxime Faille


S-0001-CV-2008000133



COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES
DU NORD-OUEST



ENTRE:

COMMISSION SCOLAIRE FRANCOPHONE, TERRITOIRES DU NORD-OUEST, CATHERINE BOULANGER et CHRISTIAN GIRARD

 Demandeurs
 - et -


PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

 Défendeurs





 MOTIFS DE DÉCISION DE L’HONORABLE
 JUGE L.A. CHARBONNEAU





   
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