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Association des parents ayants droit de Yellowknife c. Territoires du Nord-Ouest (Procureur général), 2005 NWTSC 58 Date: 20050712
 Dossier de la Cour: S-0001-CV2005-000108

 COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST


Entre:

ASSOCIATION DES PARENTS AYANTS DROIT DE YELLOWKNIFE,
LA GARDERIE PLEIN SOLEIL, YVONNE CAREEN,
CLAUDE ST-PIERRE et FÉDÉRATION FRANCO-TÉNOISE

 Demandeurs
 - et -


PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST
et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

 Défendeurs




 _______________________________________________________

 DÉCISION
 de l’Honorable Juge Vital Ouellette
 _______________________________________________________


INTRODUCTION

La présente requête soulève la question de savoir si une injonction intérimaire en vertu des articles 23 et 24 de la Charte Canadienne des droits et libertés (ci-après la ‘Charte’) devrait être accordée exigeant les défendeurs de faire la mise en oeuvre d’un plan intérimaire pour le 1er septembre 2005 qui assurera aux demandeurs les éléments minimaux suivants:

a) l’utilisation d’un gymnase qui répond pleinement aux besoins de l’École Allain St-Cyr pour les cours d’éducation physique et les activités parascolaires pendant et après les heures scolaires;

b) l’utilisation d’un laboratoire de sciences et de locaux pour les arts industriels et ménagers;

c) l’utilisation de deux salles de classe portatives annexées à l’École Allain St-Cyr par un couloir;
d) un autobus disponible en tout temps pour transporter les élèves aux endroits plus éloignés afin de ne pas perdre du temps d’enseignement; et
e) des ordinateurs portables et un réseau sans fils pour le niveau secondaire pour accommoder le fait que les étudiants devront se déplacer de façon fréquente.


L’HISTORIQUE

En septembre 1989, la Commission scolaire anglophone de Yellowknife a mis sur pied un programme d’instruction en français langue première afin de conformer à l’article 23 de la Charte.  Il y avait neuf étudiants.  Le programme fut logé dans deux salles de classe portatives.  En raison du nombre croissant d’élèves au cours des prochaines années, quatre autres classes portatives furent ajoutées, pour un total de six portatives.

En 1996 les défendeurs ont constitué un conseil scolaire francophone.  En 1996 le conseil scolaire francophone a fait la demande pour la construction d’un nouveau bâtiment.

Les défendeurs ont entrepris de construire un édifice permanent pour loger l’École Allain St-Cyr et cela fut complété en 1999.

Selon les normes des défendeurs, le nouvel édifice pouvait acceuillir jusqu’à 132 élèves de la maternelle à la 12e année.  De plus, l’établissement a été conçu pour acceuillir une garderie. Cependant, l’édifice n’a pas de laboratoire de science, de salle d’arts ménagers, de salle d’arts industriels, de gymnase, de terrain de jeux ou d’un niveau de secondaire distinct.

Le nombre d’élèves inscrits à l’École Allain St-Cyr a augmenté de 54 élèves lorsque l’école était dans les classes portatives, à 107 en septembre 2001 dans le nouvel édifice.  Depuis septembre 2001, le nombre d’élèves inscrits à l’École Allain St-Cyr a diminué et l’inscription actuelle est de 82 élèves.


ANALYSE

Est-ce qu’il existe une question sérieuse à juger?


Les défendeurs soumettent qu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher à l’égard de l’allégation de la nécessité de faire construire un nouveau bâtiment ou de nouvelles salles de classe ni l’allégation de la nécessité de fournir un laboratoire de sciences, d’un salon étudiant, d’une salle d’arts visuels et d’arts plastiques, d’une salle d’ordinateurs et de technologie, d’une salle de musique, d’une salle de sciences domestiques, d’un local pour un professeur de ressources, d’un local pour un conseiller en orientation secondaire et d’un salon pour les enseignants.  Cependant, les défendeurs acceptent que pour les fins de l’article 23 de la Charte et pour les fins de la présente requête, il existe une question sérieuse à trancher à l’égard de fournir un accès raisonable à un gymnase.

Les défendeurs sont de l’avis que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahé c. l’Alberta [1990] 1 RCS 342 a établi une exigence variable quant à l’étendue des droits conférés à la minorité linguistique.  Ils prétendent que, selon les nombres et autres circonstances, l’article 23 confèrent des droits allant du simple droit à l’instruction en langue minoritaire lorsque le nombre des ayants droit est restreint, au droit à un établissement, au droit du contrôle et de la gestion des écoles (ce dernier droit pouvant renfermer, au minimum une réprésentation au sein de conseil scolaire), jusqu’à l’établissement de conseil scolaire dévoué à l’éducation des ayants droit.

En dépit du fait que les défendeurs dans ce cas ont conférés aux ayants droit la création d’un conseil scolaire francophone indépendant, ils sont d’avis que le critère de l’exigence variable ne les oblige pas à fournir les requêtes des demandeurs car il y a seulement six à dix élèves au niveau secondaire.  Les défendeurs argumentent que l’École Allain St-Cyr a une capacité de 132 étudiants et donc il n’y a aucun manque d’espace, étant donné qu’il y a seulement 82 étudiants à l’école.

La Cour suprême dans l’affaire Mahé à la page 378 a prévu que, lorsque les circonstances méritent le niveau supérieur de gestion et de contrôle, «la qualité donnée à la minorité devrait en principe être égale à celle de l’éducation dispensée à la majorité».  En l’espèce, en créant une commission scolaire francophone, les défendeurs ont donc reconnu qu’il y avait les nombres suffisants pour une gestion autonome et des lieux physiques homogènes.  Ces actions devraient assurer une équivalence de résultats avec la majorité.

Il y a deux autres écoles au niveau secondaire à Yellowknife et chacune a un gymnase, un laboratoire de sciences, un salon étudiant, une salle d’arts visuels et d’arts plastiques, une salle d’ordinateurs et de technologie, une salle de musique, une salle de sciences domestiques, un local pour un professeur de ressources, un local pour un conseiller en orientation secondaire et un salon pour les enseignants.  La preuve est que les lieux physiques des ayants droit minoritaires à Yellowknife ne sont pas équivalents à ceux de la majorité à Yellowknife.

Les statistiques démontrent que l’École Allain St-Cyr perd des élèves après la quatrième année mais surtout à partir du secondaire deuxième cycle.  Les demandeurs disent que cela est en raison du manque d’espace et de ressources.

En résumé, les défendeurs soumettent que les ayants droit ont leur propre école, et en appliquant le principe de l’exigence variable, ils n’ont aucune autre obligation.  Les demandeurs soumettent qu’étant donné qu’ils ont été accordé un niveau très supérieur de gestion, qu’ils ont droit à l’équivalence des résultats.

Il y a donc une question sérieuse à trancher en ce qui concerne l’étendue des droits et obligations en vertu de l’article 23 dans une telle situation.


Il y a question sérieuse à trancher à savoir si les manques d’installations de l’École Allain St-Cyr violent les exigences de l’article 23 de la Charte.


Est-ce que les demandeurs subiront un préjudice irréparable si une injonction interlocutoire n’est pas accordée?

Les défendeurs soutiennent qu’il n’y a aucune preuve que les ayants droit qui ne sont  pas présentement inscrits à l’École Allain St-Cyr s’inscriraient si l’École Allain St-Cyr avait les installations telles que demandées.  De plus, les défendeurs soutiennent qu’il n’y a aucune preuve que les élèves qui sont présentement inscrits à l’École Allain St-Cyr ne poursuivront pas leur éducation à cette école au niveau secondaire à cause du manque d’installations requises ou demandées.

La Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJ-MacDonald Inc. c. Canada Procureur Général [1994] 1 RCS 311 a statué qu’une violation des droits constitutionnels guarantis par la Charte est en soi un préjudice irréparable.

L’article 23 de la Charte accorde le droit à l’éducation en français lorsque le nombre d’ayants droit est suffisant pour justifier la prestation sur les fonds publiques de l’instruction de la langue de minorité.  La Cour suprême du Canada a expliqué dans l’affaire Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation) [2003] 3 R.C.S. 3  le préjudice irréparable qui a lieu lorsqu’il y a atteinte aux droits guarantis par l’article 23.  La Cour suprême du Canada a dit le suivant à la page 26, para. 29:

Les droits guarantis par l'art. 23 présentent une autre caractéristique : en raison de l'exigence du "nombre justificatif", ils sont particulièrement vulnérables à l'inaction ou aux atermoiements des gouvernements. Le risque d'assimilation et, par conséquent, le risque que le nombre cesse de "justifier" la prestation des services augmentent avec les années scolaires qui s'écoulent sans que les gouvernements exécutent les obligations que leur impose l'art. 23. Ainsi, l'érosion culturelle que l'art. 23 visait justement à enrayer peut provoquer la suspension des services fournis en application de cette disposition tant que le nombre cessera de justifier la prestation de ces services. De telles suspensions peuvent fort bien devenir permanentes en pratique, mais non du point de vue juridique. Si les atermoiements sont tolérés, l'omission des gouvernements d'appliquer avec vigilance les droits garantis par l'art. 23 leur permettra éventuellement de se soustraire aux obligations que leur impose cet article. La promesse concrète contenue à l'art. 23 de la Charte et la nécessité cruciale qu'elle soit tenue à temps obligent parfois les tribunaux à ordonner des mesures réparatrices concrètes destinées à garantir aux droits linguistiques une protection réelle et donc nécessairement diligente.



Les défendeurs admettent que les étudiants au niveau secondaire de l’École Allain St-Cyr ne reçoivent pas la prestation des services dont jouissent les étudiants au secondaire de la majorité anglophone à Yellowknife.  Cependant, ils prétendent que ce niveau inférieur de prestation des services est justifié en raison du petit nombre d’élèves actuellement au niveau secondaire à l’École Allain St-Cyr.  Les défendeurs soumettent qu’il n’y a aucune preuve que les étudiants qui quittent l’École Allain St-Cyr au niveau secondaire est relié au facteur dissuasif du manque de prestation de services pour compléter leur éducation secondaire à cette école.

Cependant, les inscriptions depuis 1989 démontrent que la majorité des élèves quittent l’École Allain St-Cyr après la 8e année.  Il n’y a jamais eu un niveau secondaire deuxième cycle complet ni un finissant de la 12e année à l’École Allain St-Cyr.  En raison du manque d’espace et de ressources nécessaires pour le niveau secondaire, il est difficile sinon impossible, pour l’École Allain St-Cyr de compétionner avec les écoles de la majorité.  (Affidavit de Gérard Lavigne, directeur général de la Commission scolaire francophone.)

Lorsque les étudiants de la minorité ne peuvent pas recevoir une éducation dans leur langue, ils subissent un préjudice irréparable.  Le préjudice irréparable dans cette cause est le fait que les étudiants ne peuvent pas compléter leur éducation primaire et secondaire dans la langue française, telle que guaranti par l’article 23 de la Charte.  La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Doucet-Boudreau a reconnu qu’il y avait nécessité cruciale que les droits et les obligations contenus à l’article 23 de la Charte soient rendus à temps afin d’empêcher un préjudice irréparable.  Ce préjudice irréparable est le risque d’assimilation et la viabilité de la communauté minorité.

En raison du manque de prestation de services tels qu’énumérés et du fait que plusieurs élèves quittent l’École Allain St-Cyr au niveau secondaire, le critère de l’existence d’un préjudice irréparable est satisfait.


La prépondérance des inconvénients

Tel qu’énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.CSC [1987] 1 R.C.S. 110, il s’agit de déterminer laquelle des parties

... subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond.  (page 129)


Les défendeurs prétendent qu’ils subiront le plus grand préjudice parce qu’ils auront à dépenser des dizaines et des centaines de milliers de dollars s’ils avaient à faire la construction de nouveaux  emplacements qui ont attrait aux programmes de niveau secondaire tels qu’énumérés par les demandeurs.  Les défendeurs sont de l’avis que de tels emplacements ne peuvent être justifiés car il y a seulement cinq étudiants inscrits au programme secondaire à l’École Allain St-Cyr.


Cependant, cette requête pour une ordonnance interlocutoire ne demande pas la construction d’une nouvelle école.  La requête des demandeurs est une solution intérimaire.  L’utilisation d’un gymnase, d’un laboratoire de sciences et de locaux pour les arts industriels et ménagers dans des écoles existantes créera peu de dépenses pour les défendeurs.  Les seules dépenses seraient l’utilisation de deux salles de classe portatives et l’utilisation d’un autobus.  La dépense pour deux salles de classe portatives est limitée, étant donné qu’il s’agit de salles de classe portatives qui demeureront la propriété des défendeurs et pourront être reprises pour leur utilisation si la décision sur le fond est en leur faveur.

Dans ce cas, il n’y a pas de conflit au sujet des faits.  Le tribunal qui juge la question sur le fond aura à déterminer les obligations constitutionnelles des défendeurs relatives à l’article 23 de la Charte, tenant compte des faits de ce cas.  Étant donné le préjudice irréparable des demandeurs et les dépenses limitées des défendeurs, il est évident que ce sera les demandeurs qui subiront le plus grand préjudice si l’on refuse une injonction interlocutoire.


CONCLUSION

La requête formée par les demandeurs est acceuillie pour les raisons telles que détaillées dans l’analyse ci-dessus.

J’ordonne que les défendeurs fassent la mise en oeuvre d’un plan intérimaire qui va fournir aux demandeurs pour le 1er septembre 2005 ce qui suit:

1. L’utilisation d’un gymnase qui répond pleinement aux besoins de l’École Allain St-Cyr pour les cours d’éducation physique et les activités parascolaires durant et après les heures scolaires.

2. L’utilisation d’un laboratoire de sciences et de locaux pour les arts industriels et ménagers.

3. L’utilisation de deux salles de classe portatives annexées à l’École Allain St-Cyr par un couloir.

4. L’utilisation d’un autobus en tout temps pour transporter les élèves aux endroits plus éloignés afin de ne pas perdre du temps d’enseignement.


Afin de s’assurer de la mise en oeuvre de cette injonction mandatoire, je demeurerai saisi de l’affaire.


La question de dépenses sera décidée le 12 juillet 2005 à Yellowknife.









Vital Ouellette
JCS


Audience le 27 juin 2005 à Yellowknife
Daté le 12 juillet 2005 à Yellowknife

Roger J.F. Lepage
Avocat des demandeurs

Maxime Faille
Procureur des défendeurs



S-0001-CV2005000108


COUR SUPRÊME DES TERRITOIRES
DU NORD-OUEST



Entre:

ASSOCIATION DES PARENTS AYANTS DROIT DE YELLOWKNIFE, LA GARDERIE PLEIN SOLEIL, YVONNE CAREEN, CLAUDE ST-PIERRE et FÉDÉRATION FRANCO-TÉNOISE

 Demandeurs
 - et -


PROCUREUR GÉNÉRAL DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et COMMISSAIRE DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

 Défendeurs




 DÉCISION DE
 L’HONORABLE JUGE VITAL OUELLETTE






   
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