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Abstract: Motifs du jugement

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Cour d’Appel des Territoires du Nord-Ouest

Référence : Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 05

 Date : 2008 06 27
 Dossiers de la Cour : AP-2006/014
 AP-2006/015
 Greffe : Yellowknife

Entre :

Procureur général des Territoires du Nord-Ouest,
Commissaire des Territoires du Nord-Ouest et
Président de l’assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest

 Défendeurs (Appelants/Intimés)

 - et -

Fédération Franco-ténoise, Éditions Franco-ténoises/L’Aquilon,
Fernand Denault, Suzanne Houde, Nadia Laquerre, Pierre Ranger,
et Yvon Dominic Cousineau

 Demandeurs (Intimés/Appelants)

 - et -

Procureur général du Canada

 Défendeur (Intimé)

 - et -

Commissaire aux langues officielles du Canada

 Intervenant


 _______________________________________________________

La Cour :
 L’honorable juge Constance Hunt
 L’honorable juge Keith Ritter
 L’honorable juge Patricia Rowbotham

 _______________________________________________________


 Motifs du jugement


 Appel du jugement rendu le
25 avril 2006
par l’honorable juge M.T. Moreau
(2006 NWTSC 20, Dossier: C.S. S-0001-CV-2001000345)






































TABLE DES MATI_RES

 Paragraphe

I. INTRODUCTION [1]

L’APPEL
II. LES FAITS [7]
A. Aperçu [7]
B. Aperçu de la LLO [31]
III. LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE [42]
IV. NORME DE CONTRÔLE [45]
V.  MOTIFS D’APPEL [48]
VI. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE OUTREPASSÉ SA COMPÉTENCE EN NE LIMITANT PAS L’INSTANCE AUX VIOLATIONS DE LA LLO MENTIONNÉES DANS LES ACTES DE PROCÉDURE ET EN PRONONÇANT UNE ORDONNANCE QUI EMPIÉTAIT SUR LES POUVOIRS LÉGISLATIF ET EXÉCUTIF DU GTNO? [49]
A. Décision de première instance [52]
B. Norme de contrôle [56]
C. Analyse [57]
1. Interprétation du paragraphe 32(1) de la LLO  [58]
2. L’incidence des actes de procédure sur la portée de l’instance et les réparations accordées [65]
a. Les tribunaux peuvent-ils examiner des allégations de violations systémiques? [66]
b. Les actes de procédure ont-ils restreint la portée de l’instance? [71]
c. Les réparations accordées par la juge de première instance sont-elles allées au-delà de ce que prévoyaient les actes de procédure? [77]
3. Les réparations accordées étaient-elles par ailleurs inappropriées ou injustes? [81]
a. Fondement probatoire [84]
b. Le jugement déclaratoire était-il prématuré et empiétait-il indûment sur la compétence du législateur? [85]
(i) Raisonnement de la juge de première instance pour l’octroi d’un redressement structurel [85]
(ii) Principes juridiques applicables [90]
(iii) Application des principes juridiques [103]
D. Résumé [111]
VII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR DANS L’INTERPRÉTATION ET L’APPLICATION DE LA LLO ET EN CONCLUANT À DES VIOLATIONS SPÉCIFIQUES DE LA LLO? [113]
A. Décision de première instance [114]
B. Norme de contrôle [119]
C. Analyse [120]
1. Principes d’interprétation [121]
2. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en imposant la norme excessivement rigide de l’égalité réelle et en limitant le gouvernement dans le choix des moyens pour satisfaire à ses obligations? [124]
3. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en concluant que l'offre active constituait un élément fondamental du
 paragraphe 11(1)? [139]
4. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en concluant que l’article 8 oblige à publier en français les annonces officielles du gouvernement et les certificats qui témoignent du statut d'une
personne? [145]
5. Allégations de violations précises [165]
a. Politique et lignes directrices (PLD) [166]
b. L'évaluation des plaintes individuelles fondées sur le paragraphe 11(1) à la lumière du caractère non contraignant de la PLD [180]
c. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en concluant à l’existence de violations précises dans le cas des particuliers intimés? [185]
(i) Allégations de M. Fernand Denault formulées à l'encontre de l'ancien ministère des Ressources naturelles, de la Faune et du Développement économique [187]
(ii) Allégations de Mme Suzanne Houde concernant l'hôpital régional Stanton  [197]
(iii) Allégations de Mme Suzanne Houde concernant le bureau d’Inuvik [204]
(iv) Allégations de M. Pierre Ranger concernant les services de santé à Hay River [211]
(v) Allégations de Mme Nadia Laquerre concernant le bureau d’Inuvik [215]
(vi) Allégations de Mme Nadia Laquerre concernant le ministère des Travaux publics [222]
(vii) Allégations de M. Yvon Dominic Cousineau concernant le ministère des Transports [228]
(viii) Allégations de M. Yvon Dominic Cousineau relatives auMÉCF [235]
D. Résumé [240]
VIII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LES DEMANDEURS N’ÉTAIENT PAS TENUS D’ÉPUISER LES RECOURS PRÉVUS PAR LA LLO? [241]
A. Faits et décision de première instance [242]
B. Norme de contrôle [246]
C. Analyse [247]
IX. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LA LLO EXIGEAIT LA DIFFUSION DES DÉBATS DE L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE ET LA PUBLICATION DU JOURNAL DES DÉBATS EN FRANÇAIS (HANSARD) ? A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QU’ILS NE SONT PAS ASSUJETTIS AU PRIVILÈGE DE LA LÉGISLATURE? [252]
A. Décision de première instance [252]
B. Norme de contrôle [257]
C. Analyse [258]
1. Diffusion des débats de l’Assemblée [260]
2. Journal des débats (Hansard) [266]
a. L’article 7 de la LLO [269]
b. L’article 8 de la LLO [275]
c. Le paragraphe 11(1) de la LLO [280]
3. Privilège de la législature [281]
A. Décision de première instance [282]
B. Analyse [285]
C. Résumé [299]
X. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN OCTROYANT AUX INTIMÉS LES DÉPENS SUR UNE BASE PROCUREUR-CLIENT? [300]
A. Décision de première instance [301]
B. Norme de contrôle [303]
C. Analyse [304]
XI. CONCLUSION DE L’APPEL [312]

LE POURVOI INCIDENT [317]
XII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE AURAIT-ELLE DÛ TRANCHER LA QUESTION DE L’APPLICATION DE LA CHARTE? [318]
A. Décision de première instance [319]
B. Norme de contrôle [323]
C. Analyse [325]
1. Application de la Charte aux allégations contre le GTNO [325]
2. Application de la Charte aux allégations contre le PGC [330]
XIII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LE GDC N’A PAS ENFREINT LA PARTIE VII DE LA LLOC? [343]
XIV. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN REFUSANT D’OCTROYER DES DOMMAGES-INTÉRÊTS À LA FFT ET À L’AQUILON? [354]
A. Décision de première instance [354]
B. Norme de contrôle [357]
C. Analyse [358]
1. FFT [358]
2. L’Aquilon [364]
XV. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN REFUSANT D’OCTROYER DES DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS? [366]
A. Norme de contrôle [367]

XVI. CONCLUSION [373]

XVII. DÉPENS DE L’APPEL ET DE L’APPEL INCIDENT [374]



ANNEXE A
ANNEXE B
ANNEXE C

 _______________________________________________________

 Motifs du jugement en délibéré
 _______________________________________________________

La Cour:

I. INTRODUCTION

[1] Les présents appel principal et appel incident portent sur l’étendue des droits linguistiques des francophones dans les Territoires du Nord-Ouest (« TNO ») découlant de la Loi sur les langues officielles, L.R.T.N. O. 1988, ch. O-1 (« LLO »). La présente affaire permet pour la première fois l’interprétation judiciaire de la LLO et soulève d’importantes questions concernant la nature et la portée de ces droits.

[2] Les demandeurs (intimés et appelants au pourvoi incident) sont la Fédération franco ténoise (un organisme communautaire) (« FFT »); les Éditions franco ténoises/L’Aquilon (un hebdomadaire francophone) (« L’Aquilon »); et cinq membres de la communauté francophone. Ils ont sollicité un jugement déclaratoire, réclamé des dommages-intérêts et demandé d’un autres redressements déterminés pour atteintes présumées à leurs droits linguistiques à l’encontre de la procureure générale des TNO, du commissaire des TNO (« commissaire »), du président de l’Assemblée législative des TNO (« président ») et de la commissaire aux langues des TNO (« CL ») (collectivement appelés les appelants), ainsi que du procureur général du Canada (« PGC »).

[3] Les appelants et le PGC sont les intimés à l’appel incident, lequel concerne l’applicabilité aux TNO de parties de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R. U.), 1982, ch. 11 (« Charte »), ainsi que la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts et des dommages-intérêts punitifs à l’encontre des intimés au pourvoi incident.

[4] Le commissaire aux langues officielles du Canada (« CLOC ») s’est vu accorder la qualité d’intervenant.

[5] En première instance, la preuve a été présentée à l’aide de 51 témoins sur une période de 31 jours. La décision de première instance compte près de 1000 paragraphes: Fédération franco ténoise c. Procureur général du Canada, 2006 NWTSC 20, [2006] N.W.T.J. no 33 (QL). Les renvois dans les présents motifs se rapportent à la version française non officielle de la décision de première instance.

[6] Toutes les dispositions législatives mentionnées dans les présents motifs sont reproduites à l’annexe A. L’annexe B comporte une liste d’acronymes utilisés aux présentes.


L’APPEL

II. LES FAITS

A. Aperçu

[7] Le contexte entourant ces questions a été examiné en profondeur dans la décision de première instance. Les faits relatifs aux motifs d’appel particuliers se trouvent dans les parties pertinentes des présents motifs.

[8] Les TNO représentent un sixième de la masse terrestre du Canada. Sa population, qui compte environ 43 000 personnes, se trouve dispersée dans plus de 30 collectivités, dont la plupart sont petites et extrêmement isolées. La gouvernance de ce vaste territoire pose des défis importants, en raison notamment de son climat rigoureux. Les services d’infrastructure sont sous-développés comparativement à la plupart des autres régions du Canada, ce qui rend difficile même la fourniture de services essentiels qu’il est facile d’obtenir ailleurs.

[9] La Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. 1985, ch. N-27 (la « LTNO »), régit en grande partie les relations entre le gouvernement du Canada (« GDC ») et le gouvernement des TNO (« GTNO »). Les TNO (et les deux autres territoires) ont un statut constitutionnel différent de celui des provinces. Alors que la Constitution canadienne (Loi constitutionelle de 1867 (R.–U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, « Loi constitutionelle de 1867») est la source du pouvoir législatif des provinces, la LTNO est la source du pouvoir législatif du GTNO.

[10] Les TNO et le Nunavut se distinguent des autres provinces et territoires au Canada, car la majorité de leurs résidents sont autochtones. Dans le cas des TNO, environ 50 % des résidents sont autochtones. Afin de remédier au taux de chômage élevé chez les Autochtones, le GTNO a adopté une politique d’action positive qui permet de favoriser pour un emploi un candidat d’origine autochtone par rapport à un candidat non-autochtone de compétence égale. Ce programme facilite la formation des fonctionnaires et améliore le taux de maintien des effectifs.

[11] Il y a sept régions autochtones distinctes dans les TNO et neuf langues autochtones ont un statut officiel en vertu de la LLO. En 1991, 8,7 % de la population indiquaient qu’ils ne parlaient et ne comprenaient ni l’anglais ni le français.

[12] En 2001, moins de 1000 personnes (2,5 % de la population des TNO) ont présenté le français comme leur langue maternelle. De ces personnes, 670 résidaient à Yellowknife, la capitale. Environ 8,5 % de la population (3 165 personnes) connaissaient le français.


[13] Aux paragraphes 53 à 94 de ses motifs, la juge de première instance a étudié l’historique des droits linguistiques dans les TNO depuis la Confédération en 1867. En 1969, le gouvernement fédéral a adopté sa première Loi sur les langues officielles, S.C. 1968-69, ch. 54, et les articles 16 à 20 de la Charte, entrée en vigueur en 1982, renferment des dispositions sur les droits linguistiques. Ni l’une ni l’autre ne renvoient expressément aux TNO.

[14] En mars 1984, le GDC a déposé le projet de loi C 26. Il visait à modifier la LTNO pour y insérer des dispositions équivalant aux articles 16 à 20 de la Charte; à rendre la Loi sur les langues officielles de 1968-69 applicable aux TNO; et à établir un délai de quatre ans pour la traduction en français des lois et règlements territoriaux. Ce projet de loi prévoyait que le français et l’anglais étaient les langues officielles des TNO et avaient un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Conseil des TNO et du GTNO.

[15] Le projet de loi C 26 a été mal accueilli dans les TNO, où il était perçu comme empiétant sur la compétence territoriale alors que le GTNO demandait une plus grande autonomie par rapport au GDC. De son côté, le Conseil exécutif du GTNO y a vu la chance de promouvoir les langues autochtones et d’obtenir un financement fédéral accru à cette fin. S’ensuivirent des négociations entre les deux gouvernements, qui ont abouti à une entente le 28 juin 1984. En vertu de cette entente, le projet de loi C 26 ne franchira pas l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes; le GTNO adoptera sa propre loi sur les langues officielles pour tenir compte des articles 16 à 20 de la Charte; le GDC assumera, en permanence, les coûts relatifs à la prestation des services en français au public dans les TNO et à la mise en oeuvre du français comme langue officielle dans les TNO; de plus, la LTNO sera modifiée afin que la LLO ne puisse être modifiée sans le consentement du Parlement.

[16] Le même jour, la Official Languages Ordinance, O.N.W.T., 1984(2), ch. 2, fut proclamée. Elle est devenue la LLO en 1988, laquelle exigeait que les lois des TNO soient imprimées et publiées en français et en anglais, prévoyait que les nouvelles lois seraient inopérantes si elles n’étaient pas publiées dans les deux langues au 1er janvier 1987, et prévoyait que les lois antérieures seraient inopérantes à moins d’être imprimées et publiées dans les deux langues au 1er janvier 1988.

[17] Les deux ordres de gouvernement ont conclu des accords annuels concernant les coûts de la mise en oeuvre de la LLO. En 1988, le Parlement a déposé le projet de loi C 72, qui modifiait la Loi sur les langues officielles de 1968-69 afin de respecter les articles 16 à 20 de la Charte (Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (« LLOC »)). Le projet de loi C 72 contenait aussi des modifications à la LTNO visant à empêcher l’amoindrissement des droits linguistiques dans les TNO sans le consentement du Parlement.

[18] La juge de première instance a résumé cet historique comme suit:


[94] À la lumière de ce survol de l’historique des droits linguistiques aux TNO, il est évident que la LLO des TNO relève d’un compromis politique délicat : (i) la LLO des TNO a été adoptée pour résoudre l’incertitude entourant le statut du bilinguisme officiel aux TNO; (ii) son historique témoigne de l’engagement fédéral à promouvoir le respect des droits linguistiques officiels dans l’ensemble du pays; (iii) par le biais de son enchâssement, ses dispositions ont été mises à l’abri d’atteintes unilatérales d’une majorité de l’Assemblée; (iv) son adoption comme loi des TNO respectait les préoccupations locales concernant l’autonomie législative des TNO; et (v) les TNO y trouvaient l’occasion de préserver et de promouvoir les langues autochtones par le biais de mesures législatives territoriales et d’un engagement financier fédéral.

[19] La mise en oeuvre de la LLO a souffert de nombreux retards. Les délais pour la publication des nouvelles lois et des lois en vigueur dans les deux langues officielles, ainsi que pour la prestation de services au public et l’utilisation des deux langues devant les tribunaux dans les TNO, ont été repoussés plusieurs fois. La dernière prorogation a été accordée jusqu’au 1er avril 1992.

[20] Entre 1984 et 2004, il y a eu beaucoup d’études effectuées, de rapports rédigés et de comités constitués dans le cadre de la mise en oeuvre de la LLO, y compris des estimations des coûts nécessaires. La juge de première instance a examiné ces initiatives aux paragraphes 156-266.

[21] Le rapport Bastarache (« Rapport »), commandé par le GTNO et publié en 1987, revêt une importance primordiale. Comportant 298 recommandations, le Rapport a passé en revue les exigences légales de la LLO et a présenté un plan pour sa mise en oeuvre. Toutes les parties, ainsi que la juge de première instance, ont accordé beaucoup d’importance aux recommandations du Rapport et aux évaluations que les autres en ont fait, y compris les fonctionnaires du CLOC.

[22] L’étude du New Economy Development Group, réalisée à la demande du GTNO quelques années plus tard, a conclu que lorsque l’existence de services en français est connue, la demande pour ces services tend à augmenter.

[23] La première CL, Mme Harnum, a été nommée en décembre 1991. Au cours des quatre années de son mandat, elle a fait de nombreuses recommandations au GTNO. En 1992 1993, par exemple, elle note dans son premier rapport annuel que des sommes importantes qui étaient disponibles n’avaient pas été dépensées par le GTNO, et ce, même si des fonctionnaires s’étaient plaints constamment qu’ils manquaient de ressources. En première instance, la preuve a démontré que, entre 1986 et 2003, environ 5 millions de dollars destinés aux services en français ont été retournés au GDC. Le problème des « crédits périmés » semble avoir été résolu en 1994 1995.

[24] Malgré les recommandations du Rapport en 1987, le GTNO a fait très peu afin de mettre en oeuvre la LLO de manière efficace. Un grand nombre d’études et de rapports révèlent l’absence d’un plan global, le manque chronique de planification à long terme par le GTNO entraînant la péremption des crédits, ainsi que l’absence de normes à l’égard des services en français.


[25] En 1997, le Conseil exécutif des TNO (qui est le pendant du Cabinet au niveau fédéral) a adopté la politique et les lignes directrices (« PLD ») afin d’établir des normes minimales pour la prestation de services dans les langues officielles des TNO. La PLD et sa portée juridique sont examinés en détail à partir du paragraphe 166.

[26] En novembre 2000, un comité spécial composé de députés des TNO (« comité spécial ») a été constitué afin d’examiner l’efficacité de la LLO et dans quelle mesure ses objectifs avaient été atteints. Son rapport d’étape de juin 2002 a révélé que l’usage du français aux TNO semblait être en déclin.

[27] Dans son rapport final, en mars 2003, le comité spécial a conclu que la LLO ne définit pas adéquatement les droits linguistiques qu’elle garantit, en raison de l’absence de dispositions réglementaires qui clarifieraient ses termes-clés. Selon le comité spécial, la promulgation de dispositions réglementaires en matière de langues officielles, qui devraient exister depuis longtemps, doit être une priorité.

[28] Par ailleurs, le comité spécial a fait plusieurs recommandations, dont celle que tous les ministères et organismes mettent en oeuvre l’« offre active ». Ce concept, qui est examiné plus en détail au paragraphe 139, consiste en un message d’accueil verbal ou visuel qui informe le public qu’il peut employer le français ou l’anglais pour communiquer. De plus, le comité spécial a proposé de mettre en place des procédures pour la cueillette de statistiques relatives à la demande et à la prestation de services en français. Il a suggéré que les postes bilingues soient privilégiés pour les services de première ligne. En outre, le comité spécial a recommandé l’élaboration d’un plan pluriannuel de mise en oeuvre de la LLO. Il a également souligné que, depuis 1993, les rapports annuels de la CL ont été, dans une grande mesure, ignorés.

[29] Tel qu’exposé par la juge de première instance aux paragraphes 247 à 262, en septembre 2003, le GTNO a répondu au rapport final du comité spécial. Il a indiqué que la PLD serait révisée pour clarifier les intentions et les attentes du GTNO à l’égard de l’offre active et que des dispositions réglementaires et des politiques sur l’offre active seraient élaborées. Cependant, aucun projet de révision concernant l’offre active n’a été déposé en preuve lors du procès, deux ans plus tard, et la juge de première instance a conclu que le plan global recommandé par le comité spécial n’existait toujours pas : au paragraphe 262.

[30] La juge de première instance a résumé ainsi l’historique et les lacunes dans le processus de mise en oeuvre:

[266] Après avoir pris connaissance des éléments de preuve portant sur la mise en oeuvre de la LLO des TNO, j’en dégage les points suivants:

1. La distance, l’isolement, le climat et la dispersion des communautés sont des défis à relever aux fins de la prestation des services et des communications gouvernementales aux TNO. De plus, le GTNO fait face à des défis économiques et sociaux ainsi qu’à des défis de gouvernance.

2. Publié en 1987, le rapport Bastarache a présenté un plan d’ensemble pour la mise en application de la LLO des TNO. Les obligations du GTNO sous le régime de la LLO des TNO s’y trouvent analysées en fonction des domaines suivants : le processus législatif, le système judiciaire et la fonction publique. L’auteur recommande l’établissement d’un système central d’information, qui aurait pour but de fournir un accès direct aux services gouvernementaux en français, ainsi que la création de postes désignés bilingues. Pour sa part, le GTNO a privilégié une approche décentralisée à l’implantation des services en français au sein du gouvernement. Sa mise en application du rapport s’est avérée « très partielle ».

3. Dans l’étude New Economy (l’évaluation de l’accord de coopération Canada TNO de 1991 1994), il a été observé que la demande relative aux services croissait lorsque leur existence était connue. L’étude a également déploré un manque de standards en ce qui concerne les services en français.

4. Les rapports annuels de la CL des TNO Harnum ont indiqué que, au fil des années, des fonds provenant des accords de coopération avaient été retournés de façon répétée au gouvernement fédéral. Mme Harnum a recommandé que le GTNO clarifie : (i) au moyen de dispositions réglementaires, l’application de la LLO des TNO aux organismes gouvernementaux; (ii) l’application de la LLO des TNO aux fournisseurs privés de services gouvernementaux, et (iii) la définition des termes « demande importante » et « vocation du bureau ». Mme Harnum a recommandé que le GTNO élabore un cadre d’implantation de la LLO des TNO dans ses ministères, ses conseils et ses agences.

5. Le problème des crédits périmés a eu des répercussions sur le financement des services et des communications du GTNO. Il a contribué à la réduction importante du financement fédéral à compter de 1994 1995. La péremption des crédits résultait notamment d’un manque chronique de planification à long terme.

6. Publié en 1996, le rapport Lutra a noté les lacunes suivantes : (i) l’absence de lignes directrices en ce qui concerne les dépenses relatives aux langues officielles; (ii) l’absence d’une évaluation globale des besoins en matière de langues officielles, et (iii) l’absence d’un plan global pour l’implantation de l’accord de coopération, et de façon corollaire, des déficiences dans l’utilisation des ressources disponibles. Le rapport a aussi recommandé que le GTNO travaille en collaboration avec la communauté franco ténoise.


7. Jusqu’en septembre 1997, aucune politique ni aucunes lignes directrices n’ont été édictées pour clarifier l’application de la LLO des TNO. Cette situation s’était maintenue malgré les éléments suivants : (i) l’élaboration de lignes directrices avait été prévue par le GTNO dans le cadre de ses négociations de 1991 1992 visant l’accord de coopération; (ii) le besoin de clarifier l’application de la LLO des TNO avait été signalé dans les rapports annuels de 1992 1993, 1993 1994 et 1994 1995 de la CL des TNO. Un des objectifs exprimés par la PLD était d’assurer au public un accès « raisonnable » aux programmes et aux services gouvernementaux dans les langues officielles. La PLD a perpétué l’approche décentralisée dans la mesure où les ministères et les agences individuels ont reçu la responsabilité de la prestation des programmes et services en français, notamment la traduction des formulaires. En même temps, la responsabilité de la mise en oeuvre de la LLO des TNO a quitté la sphère de l’autorité centrale du gouvernement (ministère de l’Exécutif) lorsque le GTNO l’a confiée au MÉCF [ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation].

8. Réitérant le thème des rapports de la CL des TNO précédente, le rapport de 1996 1997 de la CL des TNO Tutcho a recommandé que le GTNO élabore un plan de promotion des langues officielles et d’un cadre de responsabilisation global qui guiderait les autorités de tous échelons du gouvernement relativement aux questions linguistiques.

9. Le forum de mars 1999 a réitéré une recommandation vieille de 12 ans du rapport Bastarache. Celle ci voulait que le GTNO établisse un service central de documentation et de référence en français, doté d’une ligne 1 800. Ce forum a également repris la recommandation du rapport 1992 1993 de la CL des TNO Harnum voulant que les employés du GTNO reçoivent une formation en matière de droits linguistiques. Le forum a aussi recommandé la mise sur pied d’un comité de coopération. Cette recommandation ne faisait que reprendre en termes pratiques les propos de l’étude Lutra de 1996 selon lesquels une coopération plus étroite devait être établie entre le GTNO et la communauté franco ténoise relativement aux accords de coopération.

10. Dans son rapport de 2000 2001, la CL des TNO Tatti a réitéré certaines observations formulées sept ans plus tôt par Mme Harnum. Celles ci voulaient que certains fonctionnaires n’étaient pas familiers avec la LLO des TNO. Devant ce constat, la CL des TNO Tatti a recommandé que les ministères du GTNO offrent des ateliers sur la LLO des TNO à leur personnel. De plus, reprenant les propos de ses deux prédécesseures, la CL des TNO Tatti a recommandé que le gouvernement mette en place un plan d’action en matière de langues officielles.


11. Publié en mars 2003, le rapport final du comité spécial de révision de la LLO des TNO a conclu que la mise en application de la LLO des TNO était minée par des lacunes importantes en matière de responsabilisation politique et de gestion. La prestation des programmes et des services dans les langues officielles n’était généralement pas coordonnée, et, quand elle l’était, c’était habituellement de façon inadéquate. Le comité a recommandé ce qui suit : l’adoption de dispositions réglementaires et d’un plan formel de mise en oeuvre en matière des langues officielles afin de renforcer le principe de la responsabilité au sein des ministères et de clarifier les politiques applicables pour toutes les parties intéressées, la mise en oeuvre, dans tous les ministères et organismes gouvernementaux, d’une offre active adéquate et d’un système de vérification pour la contrôler, et la mise en oeuvre du projet pilote de guichet unique.

12. Publiée en mars 2004, l’étude Terriplan a constaté que les niveaux et les priorités du financement doivent refléter les besoins à court terme des communautés et être informés par une vision à plus long terme de la situation des communautés.

B. Aperçu de la LLO

[31] La partie I de la LLO s’intitule « Langues officielles ». L’article 4 dispose que les langues officielles des TNO sont l’anglais, le français et neuf langues autochtones. Nonobstant cette disposition, la LLO traite les langues autochtones différemment du français et de l’anglais. Autrement dit, l’anglais et le français bénéficient d’un statut plus élevé que les langues autochtones.

[32] Bien que l’article 5 dispose que toutes les langues officielles ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions gouvernementales (un terme, défini depuis 2003 à l’article 1, qui désigne tout ministère ou direction relevant du GTNO, le Bureau de l’Assemblée législative et tout autre organisme désigné dans les règlements), c’est uniquement « dans la mesure et de la manière prévues » par la LLO et ses règlements d’application. À titre d’exemple de la manière dont la LLO établit une distinction entre l’anglais et le français d’une part et les langues autochtones d’autre part, les articles principalement visés par le présent appel (articles 7(1), 8 et 11(1)) s’appliquent seulement à l’anglais et au français et non aux langues autochtones. En revanche, en vertu de l’article 6 (disposition qui n’est pas en cause dans le présent appel), on peut employer l’une quelconque des langues officielles dans les débats et travaux de l’Assemblée législative.

[33] L’article 7 de la LLO exige que les « lois promulguées par la Législature ainsi que les archives, comptes rendus et procès verbaux de l’Assemblée législative » soient imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur. Sous réserve des autres dispositions de la LLO, l’article 8 exige que soient établis en français et en anglais (et dans toute autre langue officielle désignée par les règlements) « les actes écrits qui s’adressent au public », émanant de la Législature ou du GTNO (et de certains autres organismes non visés par l’espèce).


[34] Le paragraphe 11(1), qui a une importance primordiale dans le présent appel, concerne l’accessibilité des services. Il accorde au public le droit d’employer le français ou l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions gouvernementales ou pour en recevoir les services, ainsi que, si cela fait l’objet d’une demande importante ou que cela se justifie par la vocation du bureau, d’employer ces deux langues pour communiquer avec « tout autre bureau de ces institutions » ou pour en recevoir les services. En revanche, en ce qui concerne les langues autochtones, le paragraphe 11(2) donne le droit d’employer la langue désirée pour communiquer avec le bureau régional, local ou communautaire et pour en recevoir les services, seulement si cela fait l’objet d’une demande importante ou que cela se justifie par la vocation du bureau.

[35] La partie II de la LLO régit la charge de CL, qui a le pouvoir d’instruire toute plainte relative aux langues officielles. Le paragraphe 20(1) prévoit qu’il incombe à la CL « de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance des droits, du statut et des privilèges » liés aux langues officielles et « à faire respecter l’esprit de [la LLO] et l’intention du législateur ». L’article 23 exige la préparation d’un rapport annuel par la CL.

[36] La partie III confère au ministre la responsabilité de la LLO et de l’élaboration et de la coordination des politiques gouvernementales qui sont reliées aux langues officielles. Il doit également déposer un rapport annuel devant l’Assemblée législative. Le conseil des langues officielles est constitué afin de conseiller le ministre et d’évaluer l’efficacité de la législation. Le conseil de revitalisation des langues autochtones est constitué afin de faire la promotion des langues autochtones.

[37] La partie IV (Dispositions générales) contient une disposition réparatrice au paragraphe 32(1). Par ailleurs, elle autorise le ministre ou la CL à conclure des accords sur la mise en oeuvre de la LLO et prévoit l’adoption de règlements.

[38] Plusieurs dispositions de la LLO sont presque identiques aux parties pertinentes de la Charte, bien que la LLO contienne certains droits qui sont plus étendus que ceux prévus par la Charte. L’annexe C résume les similitudes et les différences.

[39] En bref, le paragraphe 16(1) de la Charte correspond aux articles 4 et 5 de la LLO. Vraisemblablement, si la LLO comporte deux dispositions alors que la Charte n’en compte qu’une, c’est à cause du libellé restrictif de l’article 5 de la LLO : « dans la mesure et de la manière prévues par la présente loi ». Cette expression permet à la LLO de traiter les langues autochtones différemment du français et de l’anglais.


[40] Comme le paragraphe 18(1) de la Charte (qui porte sur les lois, les archives, les comptes rendus et les procès verbaux du Parlement), le paragraphe 7(1) de la LLO exige que les lois promulguées par la Législature ainsi que les archives, comptes rendus et procès verbaux de l’Assemblée législative soient imprimés en français et en anglais. Comme le paragraphe 20(1) de la Charte, qui porte sur les communications avec les institutions fédérales et la réception de services, le paragraphe 11(1) de la LLO donne le droit d’employer le français ou l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions gouvernementales ou tout autre bureau de ces institutions lorsque cela fait l’objet d’une demande importante ou que cela se justifie par la vocation du bureau.

[41] L’article 8 de la LLO (concernant l’emploi du français et de l’anglais dans les actes écrits qui s’adressent au public) n’a pas d’équivalent dans la Charte. Enfin, la disposition réparatrice de la LLO (le paragraphe 32(1)) est pratiquement identique à celle du paragraphe 24(1) de la Charte.

III. LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

[42] La juge de première instance a conclu que les allégations de violations systémiques de la LLO étaient justiciables. Elle a jugé que la LLO est une loi quasi constitutionnelle qui enchâsse aux TNO un régime de bilinguisme obligatoire. La nature de ces droits linguistiques crée des obligations qui imposent un résultat d’égalité réelle. Elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire de décider si la Charte s’applique à ces questions.

[43] La juge de première instance a conclu que les intimés n’étaient pas tenus d’épuiser les recours prévus par la LLO avant d’intenter le présent recours. Elle a aussi conclu que les violations spécifiques et systémiques de la LLO avaient été causées par une mauvaise compréhension des droits linguistiques de la part du GTNO et par l’omission de mettre en oeuvre la LLO de façon efficace. Aucune violation n’a été attribuée au PGC.

[44] Un redressement structurel a été ordonné afin d’assurer un règlement efficace des violations. Tel qu’expliqué en détail aux paragraphes 51-52, le GTNO a dû, pour ce faire, élaborer un plan global de mise en oeuvre pour la prestation de services en français. Par ailleurs, la juge de première instance a accordé des dommages-intérêts compensatoires aux particuliers intimés pour violation de leurs droits linguistiques, mais elle est arrivée à la conclusion qu’il n’était pas justifié d’accorder des dommages-intérêts punitifs parce que le GTNO n’avait pas agi de façon malveillante ou fait preuve de mauvaise foi. Elle a octroyé les frais et dépens sur une base procureur-client à titre de réparation.

IV. NORME DE CONTRÔLE

[45] Le présent appel soulève des questions de droit, des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait; il touche également l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le tribunal. Chacune de ces questions commande l’application d’une norme de contrôle différente.


[46] La norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8 (« Housen »). Les questions mixtes de droit et de fait, ou de fait uniquement, sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, sous réserve de toute question de droit isolable : Housen, aux paragraphes 10, 25 et 37. La Cour interviendra dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la juge de première instance seulement si elle s’est fondée sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable ou a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits : Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, au paragraphe 43 (« Okanagan »).

[47] Étant donné la complexité des divers arguments invoqués dans le cadre de l’appel et de l’appel incident, la norme de contrôle applicable sera examinée au regard de chaque motif d’appel.

V. MOTIFS D’APPEL

[48] Le présent appel porte sur les questions suivantes:

1. La juge de première instance a-t-elle outrepassé sa compétence en ne limitant pas l’instance aux violations de la LLO mentionnées dans les actes de procédure et en prononçant une ordonnance qui empiétait sur les pouvoirs législatif et exécutif du GTNO?

2. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur dans l’interprétation et l’application de la LLO et en concluant à des violations spécifiques de la LLO?

3. La juge de première instance a t elle commis une erreur en concluant que les intimés n'étaient pas tenus d'épuiser les recours prévus par la LLO?

4. La juge de première instance a t elle commis une erreur en concluant que la LLO exige la diffusion des débats de l'Assemblée législative et la publication du Journal des débats en français? A t elle commis une erreur en concluant qu’ils ne sont pas assujettis au privilège de la législature?

5. La juge de première instance a t elle commis une erreur en octroyant aux intimés les frais et dépens sur une base procureur client?

VI. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE OUTREPASSÉ SA COMPÉTENCE EN NE LIMITANT PAS L’INSTANCE AUX VIOLATIONS DE LA LLO MENTIONNÉES DANS LES ACTES DE PROCÉDURE ET EN PRONONÇANT UNE ORDONNANCE QUI EMPIÉTAIT SUR LES POUVOIRS LÉGISLATIF ET EXÉCUTIF DU GTNO?

[49] Le premier motif d’appel concerne certaines des réparations accordées par la juge de première instance. Les appelants allèguent qu’elle a commis une erreur en ne limitant pas l’instance à certains manquements précis à la LLO, ajoutant qu’elle a autorisé à tort les intimés à présenter en preuve des témoignages au sujet de violations de la LLO qui n’avaient pas été alléguées, puis qu’elle s’est fondée sur ces violations pour établir les réparations qu’elle a accordées.


[50] De plus, ils font valoir que les réparations accordées vont au-delà de ce que les intimés réclamaient dans leurs actes de procédure. Ils laissent entendre que l’instance a servi à examiner la mise en oeuvre de la LLO et que les réparations accordées empiètent sur le rôle du législateur.

[51] Les appelants affirment que la juge de première instance a accordé un redressement structurel alors qu’elle aurait dû seulement rendre un jugement déclaratoire. Un jugement déclaratoire constate une violation constitutionnelle ou quasi constitutionnelle et peut ordonner de remédier à la violation. Un redressement structurel non seulement constate les violations et ordonne au gouvernement d’y remédier, mais il explique aussi par le menu de quelle manière le gouvernement le fera.

A. Décision de première instance

[52] Le dispositif du jugement de première instance comporte plusieurs sections, dont le quart concerne le présent motif d’appel. Il oblige le GTNO et les appelants à atténuer les problèmes systémiques qui perdurent en élaborant diverses stratégies pour assurer l’application et la mise en oeuvre adéquates de la LLO. En particulier, la juge de première instance a ordonné que soit rédigé, dans un délai d’un an, un plan global de mise en oeuvre visant la prestation de services en français. Elle a exposé en détail la manière dont cela devrait être se faire, notamment par la consultation, la création d’emplois, le recrutement, la formation et le recours aux services d’un consultant. De plus, elle a ordonné l’instauration d’un régime réglementaire qui désigne les institutions devant se conformer à la LLO.

[53] La juge de première instance a donné plusieurs motifs à l’appui de sa décision d’accorder un redressement structurel détaillé. Elle estimait que la mise en oeuvre de la LLO par le GTNO laissait à désirer, soulignant que la loi était en vigueur depuis de nombreuses années sans aucun plan global de mise en oeuvre. Elle a constaté que des fonds pour la mise en oeuvre de la LLO étaient alloués par le GDC mais que, pendant plusieurs années consécutives, le GTNO a retourné au GDC une partie importante des fonds parce qu’ils n’avaient pas été dépensés. Il est question de ces crédits périmés ci-dessus au paragraphe 23. Elle a souligné que le Conseil exécutif était en train de rédiger un projet de règlement à l’égard des « institutions », mais que, dans l’intervalle, sans ce règlement, la confusion et l’incertitude persisteraient : au paragraphe 895.

[54] La juge de première instance a conclu qu’aucun ministère ou entité du GTNO ne s’était chargé de la mise en oeuvre de la LLO, ce qui laissait à chaque ministère le soin de la mettre en application. Même si le commissariat aux langues officielles s’occupait de surveiller la mise en oeuvre de la LLO, les mesures qu’il a prises étaient loin d’être satisfaisantes. En fait, souvent le commissariat était incapable ou refusait de communiquer en français; ses rapports étaient généralement publiés uniquement en anglais; et la CL n’a intenté aucun recours en justice afin d’obliger une institution gouvernementale à se conformer à la LLO.


[55] De plus, la juge de première instance a parlé des nombreuses plaintes relatives à la langue qui étaient déposées depuis fort longtemps et n’étaient toujours pas résolues, ainsi que de la futilité de proposer des améliorations. Elle a examiné plusieurs rapports de consultants et a remarqué que la plupart des recommandations n’ont jamais été suivies. Elle a reconnu que certaines améliorations avaient été apportées tout récemment, mais a jugé qu’elles étaient inégales et sporadiques. Autrement dit, la juge de première instance a conclu que de nombreuses demandes avaient été présentées à de nombreux ministères depuis nombre d’années et qu’aucune mesure n’avait été prise à leur égard. Elle a jugé que cette omission, de la part du GTNO, de mettre en oeuvre de manière adéquate la LLO justifiait le redressement structurel décrit dans la quatrième partie du dispositif de son jugement.

B. Norme de contrôle

[56] Le présent motif d’appel comporte plusieurs sous-questions qui commandent l’application de normes de contrôle différentes:

1. L’interprétation du paragraphe 32(1) de la LLO est une question de droit qui relève de la norme de la décision correcte.

2. La question de savoir si les actes de procédure limitaient les paramètres de l’instance soulève une question de droit isolable qui relève de la norme de la décision correcte. Cependant, son application suppose l’exercice du pouvoir discrétionnaire, et la Cour interviendra seulement si la juge de première instance s'est fondée sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable ou a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits.

3. Certains des arguments invoqués dans cette partie de l’appel soulèvent des questions mixtes de droit et de fait ou de fait uniquement, lesquelles sont susceptibles de contrôle selon la norme de l'erreur manifeste et dominante, sous réserve de toute question de droit isolable.


4. Règle générale, le choix de la réparation entraîne l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le juge de première instance et ne peut être modifiée sauf s’il a commis une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste : Bowlen c. Digger Excavating (1983) Ltd., 2001 ABCA 214, 286 A.R. 291, aux paragraphes 10-12, citant Harris c. Robinson (1892), 21 R.C.S. 390 et Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217, 32 O.R. (3d) 716. Tel que mentionné au paragraphe 60, le libellé de la disposition réparatrice de la LLO est similaire au libellé du paragraphe 24(1) de la Charte et devrait donc être interprété de façon similaire. Le paragraphe 32(1) de la LLO, comme le paragraphe 24(1) de la Charte, donne à une cour supérieure un pouvoir discrétionnaire large et absolu d’accorder des réparations : Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 50 (« Doucet-Boudreau »), citant Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, à la page 965. Une partie qui veut contester une réparation peut le faire seulement si elle démontre que cette réparation n’est pas « convenable et juste eu égard aux circonstances » : Doucet-Boudreau, au paragraphe 50.

C. Analyse

[57] La présente section débute par un examen général de la façon d’interpréter le paragraphe 32(1) de la LLO. Elle se poursuit par une évaluation de la mesure dans laquelle un tribunal a compétence pour examiner des allégations de violations systémiques de droits constitutionnels ou quasi constitutionnels, ainsi que de l’incidence des actes de procédure en l’espèce sur la portée de l’instance et les réparations accordées. Elle se conclut par un examen de la question de savoir si le redressement structurel accordé par la juge de première instance était inapproprié ou injuste étant donné qu’il n’était pas étayé par la preuve, s’il était prématuré étant donné qu’il s’agissait du premier litige concernant la LLO, ou s’il empiétait indûment sur le rôle du législateur.

1. Interprétation du paragraphe 32(1) de la LLO

[58] Le paragraphe 32(1) de la LLO prévoit ce qui suit :

32(1) Toute personne lésée dans les droits que lui confèrent la présente loi et ses règlements peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

32(1) Anyone whose rights under this Act or the regulations have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain a remedy that the court considers appropriate and just in the circumstances.


[59] Afin de déterminer si la juge de première instance a commis une erreur relativement aux réparations qu’elle a accordées, il faut d’abord analyser cette disposition, en particulier les mots « convenable et juste eu égard aux circonstances » à la fin du paragraphe. Il « faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »: Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1983), à la page 87; voir aussi Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au paragraphe 10, 127 D.L.R. (4th) 193; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550, au paragraphe 22, 139 D.L.R. (4th) 415; R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213, au paragraphe 144, 151 D.L.R. (4th) 32; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, 36 O.R. (3d) 418.

[60] Les lois sur les langues officielles sont quasi constitutionnelles et doivent recevoir une interprétation large et téléologique afin de favoriser les langues officielles : voir, par exemple, R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 173 D.L.R. (4th) 193 (« Beaulac »); Jones c. Proc. Gén. du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, 7 N.B.R. (2d) 526; Proc. Gén. du Québec c. Blaikie et autres, [1979] 2 R.C.S. 1016, 101 D.L.R. (3d) 394; P.G. (Québec) c. Blaikie et autres, [1981] 1 R.C.S. 312, 123 D.L.R. (3d) 15; Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, 35 Man. R. (2d) 83 (« Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba »); Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 54 D.L.R. (4th) 577. Comme ces lois reflètent des parties de la Charte, ce sont les mêmes principes d’interprétation qui s’appliquent : Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773, au paragraphe 23. Les droits garantis par la Charte doivent être interprétés de façon large et libérale afin de promouvoir et protéger les droits sous-jacents : Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la page 156, 55 A.R. 291; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 344, 60 A.R. 161; États-Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, à la page 1480, 48 C.C.C. (3d) 193. Cette approche trouve également appui à l’article 10 de la Loi d’interprétation, L.R.T.N. O. 1988, ch. I 8 (« Loi d’interprétation des TNO »), qui prévoit que tout texte est réputé apporter une solution de droit et s’interprète de manière équitable et large.

[61] La juge de première instance a conclu à juste titre que la LLO est une loi quasi constitutionnelle et doit être interprétée comme telle. Cependant, l’interprétation libérale et téléologique des droits garantis par la Charte ne doit pas déroger aux termes précis d’une loi, lesquels peuvent limiter les réparations et doivent être pris dans leur sens ordinaire. Comme outil d’interprétation, les « valeurs de la Charte » se limitent aux « cas d’ambiguïté véritable, c’est à dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre » : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 62; voir aussi Charlebois c. Saint John (Ville), 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563, au paragraphe 23.

[62] Les mots « convenable » et « juste » doivent être tous deux pris en compte dans l’élaboration d’une réparation. Le mot « convenable » a de nombreux synonymes, notamment : correct, acceptable, raisonnable, pertinent, bienséant, seyant, à propos, approprié, adéquat, comme il faut, adapté, commode, opportun, propice, utile, digne, dû et mérité. La juxtaposition du mot « juste » laisse entendre que le législateur ne considérait pas que les tribunaux puissent accorder toute réparation convenable. En examinant la signification de ces mots dans un contexte bilingue dans Kodellas c. Saskatchewan (Human Rights Commission) (1989), 77 Sask. R. 94, [1989] 5 W.W.R. 1, à la page 50 (C.A.), le juge Vancise a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION]

La réparation doit être plus que convenable. Il doit s’agir d’une réparation qui est, eu égard aux circonstances, impartiale, équitable et convenable. Une réparation juste doit nécessairement être convenable, mais une réparation convenable peut ne pas être impartiale ou équitable eu égard aux circonstances.

L’expression « convenable et juste » eu égard aux circonstances suppose un certain degré de proportionnalité et un lien entre le tort causé et la réparation accordée.

[63] La quête de la justice nécessite la conciliation des intérêts des personnes lésées avec l’autorité de l’État afin d’agir dans le meilleur intérêt des citoyens. Dans le cadre des réparations pour violations des lois sur les langues officielles, lesquelles concernent les droits des particuliers et des petits groupes, le choix de la réparation favorisera généralement celle qui satisfait à l’obligation qu’a l’État envers les personnes ou les petits groupes et qui influe le moins sur les intérêts de la majorité. Dans certains cas, une réparation juste peut nuire aux intérêts de la majorité. Cependant, si deux réparations sont aussi efficaces l’une que l’autre, la justice exige qu’on accorde celle qui respecte le rôle du gouvernement et qui est la moins préjudiciable pour la majorité. À cet égard, les frais peuvent être un aspect du préjudice, et les frais prohibitifs sont susceptibles d’être un aspect du préjudice.

[64] Bien que la Cour suprême n’ait pas défini les paramètres exacts de l’expression « convenable et juste », elle a décrit cinq facteurs dont les tribunaux devraient tenir compte en évaluant ce qui est convenable et juste eu égard aux circonstances : Doucet-Boudreau, aux paragraphes 55 à 59. Ces facteurs sont examinés en détail au paragraphe 101.

2. L’incidence des actes de procédure sur la portée de l’instance et les réparations accordées

[65] En première instance, les appelants ont fait valoir que les violations systémiques alléguées ne sont pas justiciables. Dans leur mémoire et pendant leur plaidoirie, ils ont décrit l’instance comme une _ commission d’enquête _ ayant servi à examiner la mise en oeuvre de la LLO. Les intimés ont fait valoir que, bien que l’instance ait couvert diverses questions, il s’agissait d’une caractéristique nécessaire d’une instance qui portait sur des violations systémiques importantes. Ces violations pouvaient être plaidées, ont été plaidées et ont été prouvées en première instance. Nous examinerons d’abord le rôle joué par les tribunaux dans l’appréciation des allégations de violations systémiques, puis nous nous pencherons sur l’incidence des actes de procédure en l’espèce sur la portée de l’instance et les réparations accordées.

a. Les tribunaux peuvent-ils examiner des allégations de violations systémiques?


[66] Les citoyens peuvent recourir aux tribunaux afin de leur soumettre des allégations de violations systémiques de la Charte : Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120 (« Little Sisters no 1 »). Dans l’arrêt Little Sisters no 1, une librairie gaie et lesbienne a allégué des violations systémiques de ses droits, garantis par l’alinéa 2b) et le paragraphe 15(1) de la Charte, par les fonctionnaires des Douanes canadiennes qui, de façon régulière, ont retenu ou refusé d’admettre au Canada des documents visuels et écrits qu’ils ont jugés obscènes. La preuve a révélé l’existence de problèmes systémiques relativement à la manière dont Douanes Canada a mis en oeuvre ses propres règlements à l’égard des marchandises importées.

[67] La réparation accordée en première instance dans Little Sisters no 1 consistait en un jugement déclaratoire, selon lequel certaines dispositions du Tarif des douanes, L.R.C. 1985, ch. 41 (3e suppl.), et de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.), ont été interprétées et appliquées d’une manière contraire à l’alinéa 2b) et au paragraphe 15(1) de la Charte. Au moment où la Cour suprême a été saisie de cette question, la preuve a démontré que les problèmes systémiques de mise en oeuvre avaient été corrigés, et les appelants n’avaient proposé aucune mesure précise pour régler les problèmes persistants. Par conséquent, les juges majoritaires ont refusé d’accorder une réparation plus structurée.

[68] L’arrêt Little Sisters no 1 démontre que les tribunaux sont habilités à entendre des plaintes concernant des violations systémiques de la Charte et qu’ils ont un rôle à jouer afin de remédier aux violations répétées qui se produisent sur une longue période. Le simple fait qu’un tribunal entende une telle affaire, avec un large éventail d’éléments de preuve, ne signifie pas qu’il tient une audience publique ou une commission.

[69] Un arrêt ultérieur portait sur la question de savoir si la librairie devait se voir accorder une provision pour frais, au début de la procédure de la seconde action qu’elle a intentée, dans laquelle elle a allégué quatre violations en particulier ainsi que des violations systémiques répétées par Douanes Canada : Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38 (« Little Sisters no 2 »). Au paragraphe 53, les juges majoritaires ont déclaré ce qui suit :

Essentiellement, l’appelante recourt à la révision systémique pour tenter d’élargir la portée du litige de manière à renforcer les droits que lui reconnaît la loi dans chaque cas particulier; comme elle importe fréquemment des marchandises, une enquête générale effectuée maintenant lui sera, en fin de compte, plus profitable que si elle avait à contester chaque retenue et interdiction au moment où elles surviennent. Il s’agit d’une démarche efficace et louable. ...

Par conséquent, les plaideurs concernés peuvent tenter de démontrer qu’un problème sous-jacent est systémique, dans l’espoir que le tribunal accordera des réparations qui corrigent le problème. Voir aussi Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791 (« Chaoulli »).


[70] La jurisprudence établit que, en général, les tribunaux peuvent être saisis d’allégations de violations systémiques de droits garantis par la Charte et accorder des réparations convenables et justes afin de remédier à ces violations. Pour les motifs mentionnés au paragraphe 60, des principes similaires s’appliquent aux décisions en matière de droits linguistiques quasi constitutionnels. Il reste à déterminer si la juge de première instance aurait dû refuser d’examiner les allégations de violations systémiques de la LLO parce que les actes de procédures étaient trop restreints pour le lui permettre.

b. Les actes de procédure ont-ils restreint la portée de l’instance?

[71] Les appelants font valoir que les actes de procédure n’étayaient pas l’examen général de la mise en oeuvre de la LLO effectué pendant le procès. Ils soutiennent que les actes de procédure définissent les questions en litige et que la juge de première instance a commis une erreur en refusant d’appliquer la jurisprudence qui exige qu’un procès se limite aux questions ainsi définies. Ils soulignent également que si les actes de procédure manquent de précision, ils peuvent être radiés en tout ou en partie: Keene c. British Columbia (Ministry of Children and Family Development), 2003 BCSC 1544, 20 B.C.L.R. (4th) 170, aux paragraphes 77 à 81; Stevens c. Provincial Remand Centre (1995), 104 Man. R. (2d) 226, [1995] M.J. no 303, aux paragraphes 4 et 7 (QL); Harris c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1051, 34 C.P.R. (4th) 367, aux paragraphes 9 à 12; Pellikaan c. Canada, 2002 CFPI 221, [2002] 4 C.F. 169, aux paragraphes 12, 14, 15 et 36; Catellier c. Manitoba (Workers Compensation Board) (1986), 46 Man. R. (2d) 239; 13 C.P.C. (2d) 225, à la page 225 (B.R.); Welco Expediting Ltd c. Harris (1995), 171 A.R. 341, aux paragraphes 27, 28 et 30 à 33, [1995] 8 W.W.R. 428 (B.R.); Trang c. Alberta (Edmonton Remand Centre), 2005 ABCA 66, 363 A.R. 167, au paragraphe 6. En l’espèce, avant l’ouverture du procès, la juge de première instance a rejeté la demande des appelants visant à radier les actes de procédure prétendument vagues et à limiter le procès uniquement aux plaintes précises. Au lieu de cela, elle a permis aux intimés de présenter la preuve de violations systémiques.

[72] Les actes de procédure servent à exposer les faits pertinents; s’ils donnent ouverture à un droit d’action, le tribunal peut examiner ce droit d’action. Voir, par exemple, Odland c. W.S. Johnson & Sons Ltd. (1989), 104 A.R. 161 (C.A.); Scott Bros. c. N.W. Hullah (1967), 59 W.W.R. 173 (C.A. C. B.); et Bank of Nova Scotia c. Dunphy Leasing Enterprises Ltd. (1987), 77 A.R. 181, 51 Alta. L.R. (2d) 324 (C.A.). L’article 106 des Règles de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest, Règl. des T.N.-O. R 010 96 (« Règles des TNO ») prévoit que l’acte de procédure ne comprend qu’« un exposé sommaire des faits importants sur lesquels repose l’acte de procédure de la partie relativement à sa demande [...] mais ne comprend pas la preuve permettant d’établir ces faits ».


[73] À notre avis, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en procédant ainsi. Les violations systémiques d’un droit sont répétitives et souvent donnent lieu à des centaines, voire des milliers, d’allégations de non-respect des droits sous-jacents. Donner des détails précis sur chacune des violations alléguées nécessiterait, dans bien des cas, des actes de procédure extrêmement longs. Lorsqu’il s’agit de la violation d’un contrat ou de l’utilisation négligente d’un véhicule automobile, il faut donner suffisamment de détails sur la violation alléguée. Ce principe s’applique aux plaintes précises des particuliers intimés. Cependant, lorsque la violation alléguée consiste en une série de violations identiques, il suffit de décrire l’une de ces violations puis de déclarer que la violation s’est répétée à plusieurs reprises. De même, lorsque la violation est systémique, donnant lieu à des allégations de violations similaires mais non identiques, il suffit de décrire un nombre raisonnable de violations représentatives en indiquant qu’elles font partie d’une pratique courante. Ainsi que l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Chaoulli, au paragraphe 189:

[L]es appelants plaident, de manière générale, l’inconstitutionnalité du régime de santé québécois pour des raisons systémiques. Ils ne s’en tiennent pas à la situation d’un patient en particulier. Leur argument ne se limite pas à un examen ponctuel. Ils avancent l’argument général selon lequel le Québec perd le pouvoir de légiférer pour interdire l’accès à l’assurance maladie privée en raison des listes d’attente chroniques avec lesquelles il est aux prises. D’un point de vue pratique, même si on pouvait s’attendre à ce que des patients — qui souhaitent le faire — recourent aux tribunaux, il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’une personne gravement malade s’engage dans une contestation systémique de l’ensemble du régime de santé, comme cela a été fait en l’espèce. ...

(Italiques dans l’original)

[74] En l’espèce, la plainte systémique des intimés portait en partie sur le défaut allégué du GTNO de fournir des services en français. Si un bureau n’a jamais fourni les services requis en français, il suffit tout simplement de le dire; il n’est pas nécessaire que les actes de procédure énumèrent les dates et les heures, parce que la violation alléguée vise toutes les dates et heures. De même, si le service requis est sporadique, il suffit que les actes de procédure le disent de façon générale, plutôt que de citer des exemples probants précis. Tous les faits en litige seront pertinents lors du procès mais peuvent ne pas être nécessaires dans les actes de procédure : Hillman c. Imperial Bank of Canada (1926), 20 Sask. L.R. 507, [1926] 2 W.W.R. 276 (C.A.).

[75] En l’espèce, la déclaration modifiée révèle ce qui suit:

1. Les intimés ont invoqué de nombreux retards dans la mise en oeuvre de la LLO et ont soutenu que la mise en oeuvre n’était pas encore terminée.

2. Les intimés ont fait valoir qu’aucun règlement n’avait été adopté en vue de mettre en oeuvre les obligations du GTNO en vertu de la LLO. Au lieu de cela, le GTNO a adopté la PLD, laquelle, selon les intimés, a limité les obligations linguistiques du GTNO en contravention avec la LLO, les articles 16 à 20 de la Charte et le principe constitutionnel sous-jacent de la protection des droits des minorités. Les intimés ont énuméré les manquements allégués de la PLD. Ils ont souligné que la PLD :

(a) a divisé les TNO en 60 régions où le français est désignée comme langue officielle pour seulement quatre de ces régions;
(b) a désigné les bureaux qui peuvent fournir des services en français;
(c) a rendu obligatoire la traduction verbale ou écrite en français des documents publics uniquement dans certaines circonstances bien précises;
(d) a exigé que les formulaires du gouvernement soient offerts en français uniquement lorsque le public les demande fréquemment;
(e) a exigé que les offres d’emploi, les avis et les appels d’offres publics soient publiés en français dans un journal francophone uniquement lorsque l’emploi ou le projet serait situé dans l’une des quatre régions désignées pour le français;
(f) a énuméré uniquement les bureaux figurant à l’annexe A de la PLD comme étant liés par l’« offre active ».

3. Les intimés ont plaidé le manque de fonds pour offrir des services bilingues dans les TNO, ainsi que l’absence de bonne foi du GTNO lorsqu’il s’agit de prendre les mesures nécessaires pour fournir ces services.

Il est allégué dans les actes de procédure que la plupart des bureaux n’offraient pas de services en français et que très peu de fonctionnaires qui traitent avec le public étaient capables de communiquer en français.

[76] Cela suffisait à soulever la question du défaut systémique du GTNO de mettre en oeuvre la LLO. Par ailleurs, les appelants pouvaient recourir à des procédures préliminaires afin d’examiner l’étendue des allégations des intimés. Dans certains cas, les appelants ont choisi de limiter la communication préalable à des incidents particuliers qui ont été allégués et de ne pas examiner les allégations de violations systémiques. Ces décisions stratégiques ne limitaient pas la juge de première instance à examiner les allégations précises de violations. Elle a entendu à bon droit la preuve qui révélait des violations systémiques de la LLO.

c. Les réparations accordées par la juge de première instance sont-elles allées au-delà de ce que prévoyaient les actes de procédure?

[77] Selon un argument connexe, plusieurs réparations accordées par la juge de première instance n’étaient pas envisagées dans les actes de procédure. Cela inclut les parties de l’ordonnance enjoignant au GTNO : de superviser la mise en oeuvre de la LLO; d’établir un plan de mise en oeuvre comportant des directives précises en vue d’assurer la prestation de services en français à divers niveaux administratifs; et de retenir les services d’un consultant pendant six mois afin de remplir ce mandat. Les appelants prétendent que, comme la demande de redressement fait partie des actes de procédure, les réparations devraient se limiter à ce que les demandeurs ont demandé.


[78] Cet argument doit être rejeté. Les intimés ont demandé une réparation qui oblige le GTNO à mettre en oeuvre la LLO de façon adéquate et à donner accès à des services gouvernementaux en français à la communauté francophone des TNO. La déclaration modifiée demandait des jugements déclaratoires détaillés portant sur les responsabilités constitutionnelles du GDC à l’égard des droits linguistiques des minorités dans les TNO; les responsabilités constitutionnelles du GTNO à l’égard des droits linguistiques des minorités dans les TNO; et les violations de la Charte et de la LLO découlant des incohérences entre les politiques du GTNO et les dispositions de la LLO et de la Charte protégeant les droits linguistiques des minorités. Elle demandait également des ordonnances particulières enjoignant au GDC et au GTNO de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’acquitter de leurs responsabilités conformément à la LLO et à la Charte, notamment en créant et en comblant des postes bilingues; en imprimant et en publiant en français des documents écrits, notamment le Journal des débats (Hansard); et en fournissant des moyens de communication en français.

[79] Les juges de première instance jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour accorder des réparations, que la demande de redressement sollicite ou non une réparation précise qui soit finalement accordée. Cela ressort clairement de l’article 121 des Règles des TNO, qui prévoit que, dans un acte de procédure, il n’est pas nécessaire de réclamer un redressement général ou autre, car il peut être accordé tout comme s’il avait fait l’objet d’une demande. De même, l’article 27 de la Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.T.N. O. 1988, ch. J 1, donne au tribunal le pouvoir d’accorder « tous les recours auxquels toute partie à cette cause ou affaire paraît avoir droit relativement à toute demande, en equity ou en common law, que cette partie a dûment portée devant lui dans cette cause ou affaire ». Voir aussi Gaughan c. Sharpe (1881), 6 O.A.R. 417, [1881] O.J. no 33 (C.A.) (QL); Hamilton c. Macdonnell (1910), 19 Man. R. 385, à la page 387 (C.A.); et Northwest Co. c. Merland Oil Co., [1936] 2 W.W.R. 577, à la page 598 (C.A. Alb.).

[80] En autant que les actes de procédure révèlent des faits qui donnent lieu à des réparations, un demandeur peut se voir accorder des réparations qui ne sont pas incompatibles avec ses actes de procédure. En l’espèce, les intimés ont expressément allégué des violations systémiques de la LLO, ce qui soulevait la question du défaut du GTNO de mettre en oeuvre la LLO. La juge de première instance était habilitée à recevoir les éléments de preuve présentés par les citoyens relativement à leurs expériences pour ce qui est de recevoir des services en français de bureaux gouvernementaux. Il était également loisible aux intimés de présenter une preuve, par l’interrogatoire du personnel du GTNO, démontrant de quelle manière et dans quelle mesure les services en français ont été fournis dans les bureaux gouvernementaux. En outre, au moins quelques-unes des réparations demandées par les intimés étaient compatibles avec la réparation accordée sous forme de redressement structurel.

3. Les réparations accordées étaient-elles par ailleurs inappropriées ou injustes?


[81] Dans le cadre du présent motif d’appel, il reste à examiner si la juge de première instance a commis une erreur susceptible de contrôle en accordant le redressement structurel comme elle l’a fait. Les appelants font valoir que la présente affaire ne se prête pas à un redressement structurel parce que, dans de nombreux cas, les éléments du redressement structurel n’étaient pas étayés par la preuve. De plus, ils laissent entendre que le redressement structurel concerne en grande partie des choix politiques qui devraient être laissés au gouvernement, non aux tribunaux. Comme il s’agit de la première fois que les tribunaux devaient se prononcer sur la LLO, la réparation convenable consistait en un jugement déclaratoire. Cette question nécessite un examen des récents courants jurisprudentiels de la Cour suprême concernant l’utilisation du redressement structurel plutôt que du jugement déclaratoire.

[82] Cependant, avant de se lancer dans cette analyse, il est important de souligner qu’un examen de la partie litigieuse de la décision révèle que certaines directives de la juge de première instance sont moins structurelles que d’autres. Par exemple, au paragraphe 901(1) de ses motifs, la juge de première instance a ordonné au Conseil exécutif du GTNO de superviser la mise en oeuvre et l’application de la LLO. Les détails du plan ont été laissés au soin du GTNO. De même, lorsqu’elle a ordonné au GTNO d’adopter des règlements précisant quels organismes sont liés par la LLO, elle n’a pas dicté le contenu des règlements. Bien qu’à première vue ces directives aient un aspect structurel, elles résultent essentiellement d’un jugement déclaratoire selon lequel le GTNO n’a pas mis en oeuvre la LLO. Elles ont un effet semblable à une directive judiciaire qui ordonne de construire des écoles destinées aux minorités linguistiques, laissant les détails de la construction au soin du gouvernement : Doucet-Boudreau.

[83] Cependant d’autres directives dans le dispositif du jugement sont manifestement structurelles et ne laissent qu’un pouvoir discrétionnaire restreint au GTNO. La question de savoir si les parties plus structurelles du dispositif du jugement étaient appropriées est examinée à partir du paragraphe 103.

a. Fondement probatoire

[84] Les appelants attirent l’attention sur certains éléments de preuve que la juge de première instance n’a pas examinés ou qu’elle a rejetés sans aucun motif. Toutefois, les juges de première instance ne sont pas obligés de mentionner chacun des éléments de preuve dans leurs motifs. Dans un long procès, comme celui en l’espèce, ce serait impossible. En autant que les motifs révèlent de manière générale que la juge de première instance s’est montrée sensible aux positions opposées des différentes parties, ils résisteront à un examen en appel. Dans certains cas, bien entendu, un élément de preuve peut être si essentiel qu’omettre de l’examiner pourrait s’avérer être une erreur manifeste et dominante.


[85] En l’espèce, les préoccupations des appelants ne concernent pas des éléments de preuve qui étaient cruciaux ou déterminants. La grande majorité des éléments de preuve étayaient les conclusions de la juge de première instance. Elle s’est montrée sensible à la preuve favorisant la position des appelants. Par exemple, elle a jugé que le GTNO n’avait pas entièrement manqué à ses obligations, soulignant quelques tentatives sporadiques de fournir des services ainsi que quelques mesures positives qui ont été prises peu de temps avant le procès. Les motifs sont nuancés et font une appréciation exacte de la preuve. Au paragraphe 30, nous avons passé brièvement en revue les conclusions de la juge de première instance concernant la mise en oeuvre de la LLO. Elles sont toutes étayées par la preuve. Son omission de mentionner certains éléments de preuve qui auraient pu favoriser les appelants ne constitue pas une erreur manifeste et dominante.

b. Le jugement déclaratoire était-il prématuré et empiétait-il indûment sur la compétence du législateur?

(i) Raisonnement de la juge de première instance pour l’octroi d’un redressement structurel

[86] La preuve a révélé des violations systémiques généralisées des droits linguistiques des minorités par une multitude de ministères et bureaux du GTNO, qui, en vertu de la LLO, étaient tenus de fournir des services en français. La juge de première instance a conclu qu’une des voies normales permettant de régler ces plaintes, par l’intermédiaire de la CL, était exclue étant donné que le commissariat avait fourni des services inefficaces pendant de nombreuses années. De plus, la juge de première instance s’est dite peu confiante que la CL prenne des mesures pour imposer la mise en oeuvre de la LLO. Malgré les demandes des intimés et d’autres, la CL n’a jamais ordonné au GTNO de mettre en oeuvre la LLO de façon adéquate. Depuis l’entrée en vigueur de la LLO, aucune CL n’a jamais intenté de procédures judiciaires afin d’imposer le respect de la LLO. De plus, la juge de première instance a statué que le GTNO avait, en général, ignoré les responsabilités qui lui incombaient en vertu de la LLO malgré les plaintes, les demandes et de nombreux rapports de consultants qui avaient relevé des lacunes et recommandé un processus de mise en oeuvre. Bref, elle a estimé que le GTNO refusait de fournir les services requis par la LLO et, par conséquent, une réparation sous forme de jugement déclaratoire obligerait inévitablement les intimés à demander par la suite d’autres réparations devant les tribunaux.

[87] Pour décider d’accorder un redressement structurel, la juge de première instance a établi l’inapplicabilité à l’espèce d’une décision de révoquer une directive exigeant le transfert de postes bilingues dans une région sous-représentée (Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276 (« Forum des maires C.A.F. »)). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que la preuve relative à la violation était mince et que les violations qui perduraient étaient épisodiques. La juge de première instance a conclu que c’était le contraire en l’espèce. Elle s’est également appuyée sur deux décisions de première instance dans lesquelles des redressements structurels restreints avaient été accordés : Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau Brunswick c. Canada, 2005 CF 1172, [2006] 1 R.C.F. 490 (1re inst.) et Lavoie c. Nova Scotia (Attorney General) (1988), 84 N.S.R. (2d) 387, 50 D.L.R. (4th) 405 (C.S. (1re inst.)).


[88] La juge de première instance a également souligné qu’un redressement structurel avait été accordé dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba. Dans cet arrêt, la réparation comportait des directives précises pour le législateur sur la manière de résoudre le problème sous-jacent. Au paragraphe 893, la juge de première instance a déclaré qu’« il est nécessaire de prévoir des mesures réparatrices positives et concrètes pour assurer un règlement efficace des violations établies par la preuve en l'espèce ».

[89] Enfin, la juge de première instance a examiné des articles de doctrine qui traitaient de la menace d’assimilation lorsque la mise en oeuvre des droits linguistiques est retardée. Elle s’est appuyée sur la preuve relative au taux d’assimilation dans les TNO. Étant donné le retard déjà considérable, elle craignait que quoi que ce soit d’autre qu’une directive précise exposant en détail la manière dont la LLO serait mise en oeuvre n’entraîne l’assimilation d’au moins une partie de la population francophone des TNO.

(ii) Principes juridiques applicables

[90] En général, lorsqu’il est démontré qu’un gouvernement n’a pas respecté les droits constitutionnels des citoyens et que l’affaire est portée devant les tribunaux pour la première fois, un jugement déclaratoire est convenable parce que, tel que mentionné dans Little Sisters no 2, au paragraphe 63, le gouvernement fait habituellement ce qui est nécessaire afin d’assurer le respect des droits constitutionnels par suite d’un jugement déclaratoire. Cette approche protège le droit du gouvernement de faire des choix précis relativement à la meilleure façon de mettre en oeuvre les droits. Par conséquent, nous commençons notre analyse en constatant que l’octroi d’un redressement structurel à l’encontre du gouvernement la première fois que les tribunaux sont saisis d’une question constitutionnelle ou quasi constitutionnelle requiert un cas exceptionnel.

[91] Les tribunaux de première instance doivent élaborer des réparations qui respectent le rôle du législateur en empiétant sur ce rôle seulement dans les limites de ce qui est nécessaire : Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, aux pages 392 et 393, 106 A.R. 321 (« Mahe »); Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, aux pages 860 et 861, 83 Man. R. (2d) 241; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la page 700, 93 D.L.R. (4th) 1, citant Carol Rogerson, « The Judicial Search for Appropriate Remedies Under the Charter : The Examples of Overbreadth and Vagueness », dans R. Sharpe, dir., Charter Litigation (Toronto, Butterworths, 1987), à la page 288; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au paragraphe 96, 151 D.L.R. (4th) 577; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, 212 A.R. 237, au paragraphe 136 (« Vriend »). Il est question dans la jurisprudence d’un dialogue entre les tribunaux et le législateur : Vriend, aux paragraphes 138 et 139. Les tribunaux devraient généralement laisser au législateur la possibilité de mettre en place des mesures correctives avant de lui indiquer comment le faire. Cependant, y a-t-il des cas où les tribunaux devraient aller plus loin et, si oui, est-ce le cas en l’espèce?


[92] Dans l’arrêt Little Sisters no 1, les juges majoritaires ont refusé d’accorder un redressement structurel, tant en raison du caractère désuet de la preuve relative aux violations que parce qu’ils estimaient que le législateur avait tendance à réagir à un jugement déclaratoire en apportant les correctifs nécessaires.

[93] Dans la décision Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2003 CF 1048, [2004] 1 R.C.F. 136, la Cour fédérale, en première instance, était saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision prise par l’Agence canadienne d’inspection des aliments de transférer quatre inspecteurs des aliments de la ville de Shippagan à la ville de Shédiac en raison d’un manque de travail. Le Forum a déposé une plainte auprès du CLOC dans laquelle il alléguait que le transfert s’était fait au détriment des régions francophones. Le CLOC a ordonné à l’Agence de revoir la prestation des services d'inspection dans la péninsule acadienne de telle sorte qu'ils soient disponibles dans les deux langues officielles. Devant l’inaction de l’Agence, le Forum a présenté une demande de contrôle judiciaire. Le juge saisi du contrôle judiciaire a ordonné de rétablir les postes des inspecteurs au bureau de Shippagan; de donner suite aux recommandations du CLOC; d’assurer la prestation des services en français pour la région desservie par le bureau de Shippagan; de compléter les accréditations nécessaires au personnel du bureau de Shippagan; et de mettre en oeuvre le plan d'action proposé par les intimés, soit d'entreprendre des consultations auprès des membres de la communauté francophone.

[94] La Cour d’appel fédérale a annulé l’ordonnance du juge de première instance : Forum des maires C.A.F. L’autorisation d’appel que le Forum a demandée à la Cour suprême a par la suite été retirée en raison de modifications apportées à la loi. La décision de la Cour d’appel fédérale reposait sur deux motifs : les questions donnant lieu à l’ordonnance du juge de première instance avaient été résolues entre le moment du transfert initial et l’appel, et la preuve relative à la réduction des services en français était « bien mince ». Commentant la fréquence des problèmes d’accès à des services en français, le juge Décary a déclaré ce qui suit, au paragraphe 76:

Il n'est plus question des manquements que je qualifierais de collectifs qui étaient à l'origine de la plainte. Il se peut que des individus soient encore, à l'occasion, lésés dans l'exercice de leurs droits linguistiques  aucune solution n'est parfaite   , auquel cas il leur est loisible de déposer auprès de la commissaire des plaintes individuelles particularisées. En ce qui a trait, toutefois, à la plainte collective dont la Cour est ici saisie, force m'est de reconnaître que les violations qui perdurent sont à ce point épisodiques qu'elles se prêtent mal à une sanction judiciaire de l'ampleur de celle que recherchait le Forum.

(Non souligné dans l’original)

[95] En l’espèce, nous sommes d’accord avec la juge de première instance que la preuve relative aux violations était loin d’être mince et démontrait que la fréquence des violations dépassait largement celle dans l’affaire Forum des maires.


[96] Les appelants font valoir que les réparations empiètent sur les fonctions du pouvoir exécutif. Cependant, le respect du rôle des pouvoirs législatif ou exécutif n’empêche pas l’octroi de réparations qui sont convenables et justes eu égard aux circonstances. En l’espèce, le GTNO avait pu bénéficier d’une multitude de rapports au fil des ans qui ont souligné les lacunes de la mise en oeuvre de la LLO. La question avait largement été étudiée sans que des améliorations notables n’aient été apportées. Plusieurs plans d’action qui avaient été proposés par les propres consultants du GTNO n’ont jamais été mis à exécution. Bien qu’on lui ait demandé à plusieurs reprises de faire des choix, et bien que ses propres consultants et son personnel lui ait conseillé de le faire, le Conseil exécutif a refusé de prendre des mesures concrètes pour mettre en oeuvre la LLO. Même si les complexités politiques, sociologiques et géographiques des TNO peuvent expliquer en partie pourquoi, par le passé, le GTNO n’a pas exécuté les obligations que lui impose la LLO, les conclusions de la juge de première instance selon lesquelles un jugement déclaratoire constituerait une réparation convenable étaient fondées sur une preuve abondante.

[97] Le respect du rôle du législateur rend généralement le jugement déclaratoire préférable au redressement structurel. Néanmoins, la décision de la Cour suprême dans Doucet-Boudreau laisse entendre que si des arguments solides sont présentés, il est possible d’accorder plus qu’un jugement déclaratoire lorsqu’un juge de première instance est aux prises avec l’inaction, de longue date et à plusieurs niveaux, d’un gouvernement en regard de ses obligations constitutionnelles ou quasi constitutionnelles. L’un des auteurs de l’opinion majoritaire dans Doucet-Boudreau était le juge Iacobucci, qui était dissident sur la question de la réparation dans Little Sisters no 1. Dans cette opinion dissidente, il a affirmé que les jugements déclaratoires ne sont pas adéquats dans les cas où on établit clairement l’existence de problèmes systémiques graves et la preuve que les gestionnaires du programme gouvernemental visé ont démontré qu’on ne pouvait leur faire confiance. Au paragraphe 258, il a affirmé que miser seulement sur le jugement déclaratoire entraîne diverses conséquences : « imprécision, spécificité insuffisante de la réparation, impossibilité de contrôler le respect du jugement et, de ce fait, obligation de recourir de nouveau aux tribunaux pour le faire respecter ».

[98] Dans l’affaire Doucet-Boudreau, le juge de première instance a déclaré que, en vertu de l’article 23 de la Charte, les parents avaient le droit d’avoir des écoles francophones pour les élèves de la première à la douzième année avant une date précise, et les personnes chargées de fournir les établissements devaient le faire avant une date précise : Doucet-Boudreau c. Nova Scotia (Department of Education) (2000), 185 N.S.R. (2d) 246 (C.S.). Le juge de première instance s’est réservé le pouvoir d’examiner la manière dont les autorités responsables mettraient en application ses directives. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a révoqué sa réserve de compétence, ayant statué qu’il était dessaisi de l’affaire (functus officio) au moment où il devait procéder à la révision : Doucet-Boudreau c. Nova Scotia (Department of Education), 2001 NSCA 104, 194 N.S.R. (2d) 323.

[99] En appel devant la Cour suprême, les juges Iacobucci et Arbour, s’exprimant au nom des juges majoritaires, ont rétabli l’ordonnance du juge de première instance. Au paragraphe 32, ils ont souligné la tradition de respect des décisions judiciaires par les législatures et, aux paragraphes 33 à 35, ont fait valoir que les tribunaux devraient respecter le rôle des législatures. Cependant, au paragraphe 36, ils ont ajouté ce qui suit:

Cependant, la déférence s’arrête là où commencent les droits constitutionnels que les tribunaux sont chargés de protéger. Comme le déclare la juge McLachlin dans RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 136 :

Le Parlement a son rôle : choisir la réponse qui convient aux problèmes sociaux dans les limites prévues par la Constitution. Cependant, les tribunaux ont aussi un rôle : déterminer de façon objective et impartiale si le choix du Parlement s’inscrit dans les limites prévues par la Constitution. Les tribunaux n’ont pas plus le droit que le Parlement d’abdiquer leur responsabilité.

La délimitation du rôle que les tribunaux ont à jouer ne saurait toutefois se réduire à un simple critère ou une simple formule; leur rôle varie en fonction du droit en cause et du contexte de chaque affaire.
(Non souligné dans l’original)

[100] Ils ont conclu, au paragraphe 37, que le juge de première instance s’est appuyé sur des facteurs historiques et contextuels pour concevoir une réparation qui « protégerait utilement et, en fait, mettrait en application les droits des appelants de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle parlée par la minorité, tout en respectant comme il se doit les rôles respectifs de l’exécutif et du législatif ». Ils ont insisté sur le fait qu’au moment de l’instruction de l’affaire la question en litige entre les parties ne portait pas sur le droit à des écoles mais simplement sur la date à laquelle elles seraient disponibles. Ils se sont dits d’accord avec la conclusion du juge de première instance qu’aucun des motifs invoqués par le gouvernement (comme le manque de fonds) ne justifiait le défaut du gouvernement de s’acquitter des obligations que lui impose l’article 23.


[101] Afin de décider si la réparation accordée par le juge de première instance était convenable et juste eu égard aux circonstances, ils ont établi cinq facteurs dont il faut tenir compte. Premièrement, la réparation doit permettre de défendre utilement les droits et libertés du demandeur, compte tenu de la nature du droit violé, de la situation du demandeur; et de l’expérience vécue par le demandeur lorsqu’il a tenté de faire respecter son droit. Deuxièmement, le tribunal qui accorde la réparation doit s’efforcer de respecter la séparation des fonctions entre l’exécutif et le judiciaire et les rapports qui existent entre ces pouvoirs. Même si la réparation peut toucher à des fonctions du pouvoir exécutif, les tribunaux ne doivent pas s’écarter indûment ou inutilement de leur rôle consistant à trancher des différends et à accorder des réparations qui règlent la question sur laquelle portent ces différends. Troisièmement, la réparation doit défendre le droit en cause tout en mettant à contribution les pouvoirs d’un tribunal. Un tribunal ne doit pas se lancer dans des types de décision ou de fonction pour lesquels il n’est pas conçu ou n’a pas l’expertise requise. Quatrièmement, la réparation doit être équitable pour la partie visée par l’ordonnance et ne doit pas causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit. Enfin, la réparation convenable et juste doit être « souple et tenir compte des besoins en cause » : au paragraphe 59. Les droits garantis par la Charte évoluent et peuvent forcer à innover et à créer.

[102] Les juges majoritaires dans Doucet-Boudreau ont appliqué ces cinq facteurs à l’ordonnance du juge de première instance et ont conclu que la réparation qu’il a accordée était convenable et juste, avec la mise en garde que les tribunaux qui procèdent à un contrôle ne doivent intervenir qu’en cas d’erreur commise sur le plan du droit ou des principes par le juge de première instance à l’égard de la réparation choisie : au paragraphe 87.

(iii) Application des principes juridiques

[103] Nous ne sommes pas convaincus que la juge de première instance a commis une erreur sur le plan du droit ou des principes en l’espèce. Elle était au fait des règles de droit établies dans Doucet-Boudreau, et l’application des cinq facteurs étaye les réparations qu’elle a choisies.

[104] Le droit revendiqué par les intimés consiste en un droit général d’accès à des services en français lorsqu’ils traitent avec des bureaux gouvernementaux. De nombreuses circonstances entourent le refus. La juge de première instance a constaté un défaut systémique à mettre en oeuvre la LLO à de nombreux niveaux. Il ne s’agit pas d’une seule violation ni même de quelques-unes, mais plutôt de violations presque innombrables. La violation la plus importante est l’omission du GTNO à concevoir un système efficace de mise en oeuvre de la LLO au cours de la longue période qui a suivi son adoption. Il y a de nombreux facteurs en l’espèce qui sont similaires à ceux dans Doucet-Boudreau, notamment le risque d’assimilation (démontré par les témoignages d’experts et jamais nié par les appelants) et le fait que les intimés ont déjà attendu trop longtemps et ont dû consacrer trop de temps et d’énergie à faire respecter leurs droits.

[105] La juge de première instance s’est efforcée de respecter la séparation des fonctions entre les branches législative et judiciaire, mais a conclu que l’historique des plaintes des intimés justifiait de donner des directives plus précises au GTNO. Cette conclusion était amplement étayée par la preuve.

[106] La réparation accordée dans Doucet-Boudreau consistait à superviser une ordonnance, alors que la réparation accordée en l’espèce ressemble à une série d’injonctions. Une telle réparation peut être accordée par une cour supérieure et, pour les motifs déjà exposés, était convenable.


[107] La réparation qu’a accordée la juge de première instance est équitable pour le GTNO. L’ordonnance, de manière générale, oblige le GTNO à faire le nécessaire pour mettre en oeuvre sa propre loi. Bien qu’il y ait peut-être d’autres façons de mettre en oeuvre la LLO, il est difficile d’imaginer une façon efficace de la mettre en oeuvre qui ne comporterait pas de plan global. L’alternative (aucun plan global) a duré de nombreuses années, avec peu de progrès visibles. Bien qu’il soit moins évident que certains aspects de la réparation qu’a accordée la juge de première instance font partie d’un processus essentiel de mise en oeuvre, ils ont tous été proposés dans l’un ou l’autre des rapports commandés par le GTNO au fil des ans depuis l’adoption de la LLO.

[108] La partie de l’ordonnance prescrivant la mise en oeuvre de règlements visant à établir quelles institutions sont liées par la LLO est à l’extrême limite de ce qui est convenable pour un tribunal dans le cadre de ses fonctions. L’ordonnance n’a pas, bien entendu, dicté le contenu de ces règlements, mais a insisté sur la nécessité, bien documentée, de les avoir. La juge de première instance a invoqué des motifs impérieux pour lesquels, sans ce règlement, la LLO ne pourrait être mise en oeuvre. Entre autres choses, ni ceux qui revendiquent un droit à des services, ni le GTNO lui-même, ne sauraient quels bureaux et agences étaient tenus de fournir des services bilingues. Le fait, tel que mentionné à compter du paragraphe 166, que la PLD portant sur ces questions était déjà en place et, selon ce qu’en ont dit les appelants en première instance, démontrait la mise en oeuvre par eux de la LLO, étaye davantage cette partie de l’ordonnance. Dans les circonstances très particulières de l’espèce, la juge de première instance était justifiée d’exiger l’adoption d’un règlement. Au paragraphe 53, nous avons souligné qu’au moment du procès le Conseil exécutif avait déjà commencé la rédaction des règlements, donc cette partie du redressement structurel obligeait seulement le GTNO à continuer de faire ce qu’il faisait déjà et, en fait, cette partie du redressement structurel a été exécutée depuis le procès. Voir Règlement sur les institutions gouvernementales, Règl. des T.N. O. R 082 2006 (« Règlement sur les institutions gouvernementales »).

[109] Enfin, la réparation accordée par la juge de première instance innove peut-être, mais les circonstances entourant la présente affaire justifiaient les mesures qu’elle a imposées.

[110] Nous ne pouvons affirmer que son ordonnance était une solution déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. Bien que nous eussions peut-être rendu une ordonnance différente à l’égard de certains détails, l’ordonnance respecte de manière générale la norme de contrôle applicable.

D. Résumé

[111] Les tribunaux de première instance sont habilités à entendre des contestations constitutionnelles portant sur des violations systémiques. En l’espèce, les actes de procédure mettent en cause des violations systémiques concernant les droits linguistiques quasi constitutionnels des francophones revendiqués par les intimés et le procès n’est pas allé au-delà de la portée des actes de procédures. Les réparations qu’a accordées la juge de première instance étaient prévues dans les actes de procédure. Enfin, en général, le redressement structurel qu’a accordé la juge de première instance était conforme au droit en vigueur et respectait la norme du caractère raisonnable. Dans les parties ci-dessous des présents motifs, nous examinerons la pertinence de certaines parties de son ordonnance compte tenu de notre interprétation de la LLO et de l’application des autres principes juridiques.


[112] Nous rejetons le premier motif d’appel et passons maintenant à l’examen de la façon dont la juge de première instance a traité le concept de l’égalité réelle.

VII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR DANS L’INTERPRÉTATION ET L’APPLICATION DE LA LLO ET EN CONCLUANT À DES VIOLATIONS SPÉCIFIQUES DE LA LLO?

[113] Le deuxième motif d’appel concerne l’interprétation de la LLO, notamment la manière dont s’applique la notion d’égalité réelle relativement aux droits linguistiques dans le contexte démographique et géographique particulier des TNO. Les appelants allèguent que, bien que la juge de première instance ait affirmé appliquer l’égalité réelle, en réalité elle a erronément exigé l’égalité absolue. En outre, selon les appelants, la juge de première instance a commis une erreur en appliquant des principes de droit civil qui l’ont amenée à conclure que les articles 4, 5, 8 et 11(1) de la LLO créent des obligations de résultat. Ils font valoir que c’est particulièrement vrai en ce qui concerne le paragraphe 11(1), notamment parce qu’elle a jugé que le GTNO pouvait rarement s’acquitter de ses obligations grâce aux services d’interprètes et que la LLO exigeait en général une offre active. Les appelants allèguent que la juge de première instance a commis une erreur en concluant que l’article 8 exigeait la traduction en français de certains types de documents gouvernementaux. De plus, ils ont soutenu que, pour diverses raisons, la juge de première instance a commis une erreur en concluant que le GTNO a manqué à ses obligations envers les cinq particuliers intimés.

A. Décision de première instance

[114] La juge de première instance a déclaré que les obligations découlant de la LLO sont des obligations de résultat : au paragraphe 147. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée, en partie, sur des principes de droit civil et sur la décision Thibodeau c. Air Canada, 2005 CF 1156, [2006] 2 R.C.F. 70 (« Thibodeau »).

[115] Elle a également conclu que la LLO confère le droit à l’égalité réelle. Dans le contexte du bilinguisme institutionnel devant les tribunaux, l’égalité réelle consiste en « l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles » : Beaulac, au paragraphe 22. La juge de première instance a rejeté la thèse des appelants voulant que la loi  impose seulement la norme de la bonne foi et de ce qui est raisonnable.


[116] La juge de première instance a reconnu que dans le contexte de l’égalité réelle, le GTNO conservait un choix des moyens, mais que la marge de manoeuvre relative au choix des moyens est circonscrite par le libellé de la loi : au paragraphe 147. Par exemple, elle a déclaré qu’aucun choix des moyens ne découle de l’article 7 (lequel exige que les « lois promulguées par la Législature ainsi que les archives, comptes rendus et procès verbaux de l’Assemblée législative » soient publiés dans les deux langues), parce que c’est la loi qui impose ce résultat. Au paragraphe 148, elle a affirmé qu’il en va de même pour l’article 8. Par ailleurs, en ce qui concerne les communications avec le siège ou l’administration centrale visées par le paragraphe 11(1), l’égalité réelle n’exige pas que chaque employé soit bilingue. Malgré une obligation de résultat (la possibilité de communiquer et de recevoir des services en français), il y a un choix des moyens pour atteindre ce résultat : au paragraphe 149. Pour ce qui est de communiquer avec les bureaux autres que le siège ou l’administration centrale et d’en recevoir les services, les conditions de « demande importante » ou de « vocation du bureau » permettent une inégalité dans certains cas. La juge de première instance a conclu, au paragraphe 150, que « là où la loi n’énonce pas expressément une telle réserve, les garanties ne se réduisent pas à des garanties d’accommodements mis en place par des efforts raisonnables ».

[117] Elle a ajouté que, sauf en dernier ressort, la prestation de services d’interprète ne satisfait pas aux obligations prévues à l’article 11 : aux paragraphes 723 à 733. Elle a également conclu qu’une « offre active » était nécessaire pour les besoins du paragraphe 11(1).

[118] Suivant ces principes, la juge de première instance a analysé les plaintes de violations systémiques et les allégations des particuliers intimés. En ce qui concerne certains aspects de ces allégations, elle s’est appuyée en partie sur la PLD.

B. Norme de contrôle

[119] De nombreux aspects du présent motif d’appel soulèvent des questions au sujet de l’application des principes d’interprétation législative et de l’interprétation de diverses dispositions de la LLO. Il s’agit de questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Tel que mentionné au paragraphe 186, des considérations quelque peu différentes découlent de l’appréciation de ses conclusions sur les violations de la LLO faisant l’objet de plaintes par les particuliers intimés.

C. Analyse

[120] Tout d’abord, nous déterminerons si la juge de première instance a appliqué des principes d’interprétation erronés en examinant la notion d’égalité réelle et, le cas échéant, si cela l’a induite en erreur dans son approche globale. Une question connexe est de savoir si elle a appliqué la norme excessivement rigide de l’égalité réelle. Cela nous amène à examiner si elle a eu raison de conclure que le paragraphe 11(1) rend obligatoire l’offre active et si elle a correctement interprété la portée de l’article 8. Notre examen de la question de savoir si elle a commis une erreur en concluant à certaines violations particulières de la LLO, en ce qui concerne les particuliers intimés, est précédé et guidé par l’examen de la question de savoir si la PLD a une valeur juridique contraignante.

1. Principes d’interprétation


[121] Au paragraphe 134, la juge de première instance a parlé de la distinction entre le « devoir lié à l’obligation de moyens » et le « devoir lié à l’obligation de résultat ». Pour définir ces différents devoirs, elle a cité un texte (P.A. Crépeau, L’intensité de l’obligation juridique ou des obligations de diligence, de résultat et de garantie (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989), aux pages 4-5, 11); une décision en droit civil (Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, à la page 396, 78 D.L.R. (4th) 666); et un article (J. Bellisent, Contribution à l’analyse de la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat : à propos de l’évolution des ordres de responsabilité civile (Paris, LGDG, 2001), aux pages 12-13). Elle s’est également appuyée sur l’arrêt Thibodeau.

[122] Nous convenons que la juge de première instance a commis une erreur en s’appuyant sur des principes de droit civil pour interpréter la LLO. Cependant, son erreur n’a pas influé sur l’issue du procès.

[123] Tel que mentionné au paragraphe 60, les lois sur les langues officielles sont interprétées selon les principes consacrés par la Charte. Le principe fondamental est la protection des minorités : voir Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 505, 208 D.L.R. (4th) 577, au paragraphe 125 (C.A.) (« Lalonde ») et Kilrich Industries Ltd. c. Halotier, 2007 YKCA 12, 161 C.R.R. (2d) 331, au paragraphe 53 (« Halotier »). La juge de première instance a appliqué les principes issus de la jurisprudence sur les droits linguistiques, notamment Beaulac dans lequel la Cour suprême a confirmé, au paragraphe 22, que l’égalité réelle est la norme applicable. Nous sommes d’accord avec le CLOC pour dire que l’égalité réelle est le résultat visé par le législateur en adoptant l’article 16 de la Charte et les articles 4 et 5 de la LLO. Par conséquent, l’emploi par la juge de première instance de l’expression « obligations de résultat », était pertinent et étayé par Beaulac.

2. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en imposant la norme excessivement rigide de l’égalité réelle et en limitant le gouvernement dans le choix des moyens pour satisfaire à ses obligations?

[124] La présente décision porte essentiellement sur la signification d’égalité réelle dans le contexte de la prestation de services gouvernementaux bilingues dans les TNO. On trouve peu de jurisprudence utile à cet égard. Par exemple, Beaulac portait sur le droit de l’accusé à un procès en français en vertu des paragraphes 530(1) et (4) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C 46. D’autres décisions ont traité de l’égalité réelle dans le cadre de l’article 23 de la Charte (le droit à l’instruction en français là où le nombre le justifie) (Voir Mahe et Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3 (« Arsenault-Cameron »)). L’arrêt Lalonde traitait de la Loi sur les services en français, L.R.O. 1990, ch. F.32, dans le cadre de la fermeture d’un hôpital en Ontario. Dans Halotier, il s’agissait de déterminer si les règles de procédure devaient être disponibles en français. La présente décision est donc la première à traiter de la prestation de services gouvernementaux bilingues sur une grande échelle et dans une multitude de contextes.


[125] La juge de première instance a conclu à juste titre que la LLO vise à créer l’égalité réelle à l’égard des langues officielles des TNO. Elle a suivi les conclusions de la Cour suprême du Canada dans Beaulac, au paragraphe 24, selon lesquelles « l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement » et que ces droits « exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État ». De plus, sa conclusion est étayée par le libellé des articles 4 et 5 de la LLO.

[126] La question plus difficile, et celle sur laquelle les appelants insistent, est de savoir si la juge de première instance a commis une erreur dans l’application du principe de l'égalité réelle aux circonstances de l'espèce. Les appelants font valoir que l'application de ce principe doit se faire en tenant compte du contexte des TNO, vu la latitude dont bénéficie le GTNO quant au choix des moyens pour satisfaire à ses obligations, lesquelles varient en fonction des circonstances. Ils soutiennent que, même si la juge de première instance a qualifié les obligations d'égalité réelle, son raisonnement laisse plutôt entendre qu’il s’agit d’égalité absolue. Ils affirment que sa décision a pour effet d’exiger le bilinguisme intégral (dès que le service est demandé, toute communication (tant verbale que documentaire) doit se faire et les services doivent se rendre en français et en anglais), plutôt qu'une forme de bilinguisme dans laquelle le citoyen demande le service dans sa langue officielle, mais où celui qui reçoit la demande fait appel à des services de traduction ou d’interprète. Ils citent les exemples de Mme Houde et de M. Denault examinés plus en détails à compter du paragraphe 187. Ils soutiennent que, si la norme est celle de l'égalité absolue, chaque citoyen a le droit de communiquer en français avec tous les membres de l'administration publique et de recevoir des services en français sans l'aide d'un traducteur ou d'un interprète, comme c'est le cas lorsqu'un anglophone demande des services.

[127] Les intimés nient que la juge de première instance a appliqué le principe de l'égalité absolue. Ils prétendent que ce sont les institutions, et non les individus, qui doivent être bilingues. Cela voudrait dire, par exemple, qu’une personne devrait pouvoir répondre au téléphone dans les deux langues et acheminer immédiatement l'appel à une autre personne capable de rendre en français le service demandé. S’il fallait demander à l’auteur de l’appel de rappeler un autre jour, le principe de l'égalité réelle ne serait pas respecté parce que, si l’auteur de l’appel était anglophone, il n’aurait pas à subir ce contretemps.

[128] L'égalité réelle n'existe pas dans l'abstrait et l’analyse relative à ce principe doit être faite en fonction de l'objet visé et du contexte: Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, 170 D.L.R. (4th) 1, au paragraphe 6. En matière de prestation de services, le contexte de l'égalité réelle du français et de l'anglais tient compte du libellé de la LLO, de l'historique des droits linguistiques aux TNO et des problèmes démographiques, géographiques et sociaux des TNO.


[129] La juge de première instance s'est fondée sur le libellé de la LLO. L'article 11 prévoit trois niveaux de droits linguistiques relativement à la communication avec les institutions gouvernementales et aux services qu'elles rendent. Les deux premiers figurent au paragraphe 11(1). Premièrement, la personne qui s’adresse au siège ou à l'administration centrale a le droit de communiquer et de recevoir des services en français ou en anglais. Deuxièmement, le public a le droit d'employer le français et l'anglais pour communiquer avec tout bureau autre que le siège ou l'administration centrale et d’en recevoir les services si : a) l'emploi de cette langue y fait l'objet d'une demande importante; b) l'emploi de ces deux langues se justifie par la vocation du bureau. Le troisième droit, prévu au paragraphe 11(2), traite des langues autochtones et n'est pas pertinent en l'espèce.

[130] Le paragraphe 11(1) établit une distinction entre, d’une part, l’action de communiquer avec le siège ou l'administration centrale et d’en recevoir les services, et d'autre part, l’action de communiquer avec les autres bureaux et d’en recevoir les services. Cette nuance étaye la conclusion de la juge de première instance voulant que les restrictions établies par les alinéas 11(1)a) et b) concernant les bureaux situés ailleurs qu'au siège ou à l'administration centrale (« demande importante » ou « se justifie par la vocation du bureau ») donnent au gouvernement une certaine marge de manoeuvre pour déterminer si les services seront disponibles. Le fait que ces restrictions ne s’appliquent pas au siège et à l’administration centrale renforce sa conclusion voulant que l'égalité réelle dans ce contexte permette moins de souplesse quant à la disponibilité de services bilingues.

[131] En ce qui concerne les sièges ou administrations centrales, la juge de première instance n'a pas imposé la norme de l'égalité absolue. Elle a conclu à juste titre que tous les employés de ce type de bureaux ne devaient pas être bilingues : au paragraphe 149. Elle a de même estimé que le public doit avoir la possibilité de communiquer avec les institutions gouvernementales et d'en obtenir les services en français.

[132] L’analyse contextuelle exige l’examen de nombreux éléments. De toute évidence, la juge de première instance connaissait le contexte. Elle a examiné en profondeur l’historique des événements ayant mené à la promulgation de la LLO, notamment le plan de mise en oeuvre de la LLO prévu au Rapport, ainsi que des études et rapports ultérieurs. Elle s’est attardée sur les rapports de la CL Harnum qui, dans son rapport 1992 1993, recommandait l'adoption de règlements qui apporterait des précisions sur l'application de la LLO aux agences et aux commissions gouvernementales, ainsi que l'adoption d'une politique relative à l'« offre active ». La juge de première instance a fait observer que la prestation des services gouvernementaux et les communications dans les TNO se heurtaient à des problèmes majeurs tels la distance, l'isolement, le climat et la dispersion des communautés. Elle a pris en compte les neuf autres langues officielles, la politique et les règles directrices, le programme d'action positive des TNO pour les Autochtones et la difficulté à recruter des employés bilingues. Elle a apprécié ces éléments au regard de la preuve étayant le risque de perte de la culture et de la langue françaises.


[133] Bien que la juge de première instance ait procédé à un examen minutieux du contexte, nous sommes d'avis qu’elle n'a pas accordé l'importance qu'il fallait au contexte global des TNO et qu'elle a omis de tenir dûment compte de la façon dont la nature du service demandé peut influer sur la manière dont il est rendu. D’où certaines erreurs dans ses conclusions quant à la façon pour le gouvernement des TNO de répondre aux exigences de la LLO, en général, et quant à savoir si, dans certains cas, des droits individuels avaient été violés.

[134] En ce qui concerne le contexte global, hormis les régions nordiques, rares sont les endroits au Canada où la prestation de services publics présente autant de défis. Nulle part ailleurs au pays fait-on usage d’autant de langues officielles. La juge de première instance a accepté la preuve abondante sur les difficultés à recruter et à former du personnel compétent pour la prestation d'une vaste gamme de services dans les petites collectivités. Parmi les problèmes d'ordre social des TNO, mentionnons le faible taux de réussite scolaire, la mortalité infantile extrêmement élevée, des taux de criminalité et de consommation excessive d'alcool plusieurs fois supérieurs à ceux du reste du Canada. Une des stratégies adoptées par le GTNO pour s’attaquer au taux de chômage de 20% qui touche la quasi totalité de la population autochtone a été d’établir un programme d'action positive. Cette stratégie s'est révélée efficace puisqu'il coûte moins cher d'embaucher et de former la population locale que de recruter à l'extérieur des TNO. Tous ces éléments influent de façon importante sur la façon dont le GTNO respecte les obligations que lui impose la LLO.

[135] En outre, dans les bureaux mentionnés au paragraphe 11(1), le GTNO offre une vaste gamme de services. D’une part, il y a les services publics de santé et de sécurité (par exemple, à l'hôpital Stanton). La demande pour de tels services est souvent, quoique pas toujours, urgente. En matière de santé, elle peut porter sur des questions de nature délicate ou confidentielle. D’autre part se trouvent les services qui ne sont pas urgents et qui ne touchent pas de près la santé ou la sécurité publique (par exemple, la délivrance de certificat de naissance ou de permis de conduire). La nature du service demandé doit être prise en compte dans l'évaluation des façons de respecter les obligations découlant de la LLO.

[136] L'examen de la situation particulière des TNO et du grand nombre de services dont l'État doit tenter d'assurer la prestation nous amènent à conclure que la gamme d’options dont dispose le GTNO pour satisfaire aux obligations que lui impose la LLO est plus large que ne l’a décrite la juge de première instance. Si le service demandé porte sur une question de nature urgente ou extrêmement confidentielle, le public a droit à un service immédiat en français. Idéalement, ce type de service devrait être offert sans que l’on ait à recourir à un interprète, particulièrement lorsqu'il s'agit de question de nature confidentielle et délicate comme la santé. Pareillement, les formulaires de consentement à un traitement médical devraient être disponibles en français.


[137] D'autre part, lorsque l'urgence ou la confidentialité n'entre pas directement en ligne de compte, le GTNO dispose d'une plus grande souplesse pour décider de la façon dont il offrira les services en français. Par exemple, bien que le public ait le droit de communiquer en français pour obtenir un service prévu par la LLO, il n’est pas nécessaire que l'employé de première ligne soit bilingue. Celui-ci devrait plutôt avoir un accès direct à une personne qui peut répondre à la demande en français (par exemple, par l’entremise d’un numéro 1 800 ou d’une personne bilingue au bureau). De tels choix vont au delà de l'accommodement. Ils fournissent plutôt un moyen contextuel d'atteindre l'égalité réelle qui tient compte de la situation particulière des TNO.

[138] Dans ce contexte, nous ne partageons pas l'opinion de la juge de première instance selon laquelle le recours à un interprète ne s'imposerait que comme « une réponse temporaire et de dernier ressort » : au paragraphe 732. Cela étant dit, la juge de première instance a critiqué à bon droit le défaut du GTNO à recruter des fournisseurs de services bilingues. Le paragraphe 4(j) du dispositif de son jugement exige à juste titre que le plan global traite de la question du recrutement. Nous annulons la portion du paragraphe 4(k) qui exige que l’on ne recoure aux services d’un interprète qu’en dernier ressort.

3. La juge de première instance a t elle commis une erreur en concluant que l'offre active constituait un élément fondamental du paragraphe 11(1)?

[139] L'offre active est le message d'accueil qui informe le public de la possibilité de communiquer en français ou en anglais. Comme l'a expliqué M. Wissell, enquêteur au commissariat aux langues officielles, elle a pour but de faire en sorte que la personne se sente à l'aise de demander le service. C'est un signe de respect. L’offre active peut se présenter sous forme d'affiche, d'accueil personnalisé ou de message.

[140] La juge de première instance a conclu que l'offre active faisait partie intégrante de l'égalité réelle visée par l'article 5 de la LLO, qu'elle y soit mentionnée ou non : au paragraphe 693. Les appelants soutiennent que si le législateur avait voulu faire de l'offre active une partie essentielle du paragraphe 11(1), il l'aurait exprimé (comme dans le cas des articles 28 à 30 de la LLO et du paragraphe 28.1 de la Loi sur les langues officielles, L. N. B. (2002), ch. O 0.5 (LLONB)). Ils font valoir que, en l'absence de dispositions analogues dans la LLO, le législateur est libre de prendre des règlements qui prévoient l'offre active.

[141] La jurisprudence est contradictoire sur la question de savoir si l'offre active s’inscrit dans les droits linguistiques conférés par la loi. Dans R. c. Haché (1993), 139 N.B.R. (2d) 81, 23 W.C.B (2d) 12 (C.A), où un policier n’avait pas formulé en français à l’accusé la mise en garde relative à la Charte, la cour a examiné la question de savoir si l'accusé a le droit d'être informé de ses droits linguistiques alors qu'il fait l'objet d'une enquête policière. Les juges de la majorité ont conclu que l'offre active n'était pas obligatoire. Le juge Rice a indiqué que l’offre active n’était pas expressément prévue par la Charte. Le juge Angers, dissident, a conclu que l'offre active faisait partie de l’obligation imposée au gouvernement par le paragraphe 20(2) de la Charte. D'autre part, selon l'arrêt R. c. Gautreau (1989), 101 N.B.R. (2d) 1, [1989] N.B.J no 1005 (B.R.) (QL) (infirmé en appel pour un autre motif (1990), 109 N.B.R (2d) 54, 60 C.C.C. (3d) 332 (C.A.), autorisation d'appel à la C.S.C. rejetée [1991] 3 R.C.S. viii), dès lors que la loi a conféré l'égalité à l'emploi des deux langues, l'offre active est obligatoire. Dans l’arrêt Gautreau, la cour s'est également penchée sur les droits garantis par le paragraphe 20(2) de la Charte à un automobiliste inculpé au regard de la langue utilisée par le policier et dans la contravention au code de la route.


[142] Ces décisions ont été rendues avant l’arrêt Beaulac. La juge de première instance s'est fondée sur l’arrêt Beaulac pour conclure que l'offre active faisait partie intégrante des droits conférés par le paragraphe 11(1). Elle a formulé plusieurs observations pratiques. Par exemple, elle a souligné qu'un accueil unilingue anglais ne répondait pas à l'obligation imposée au GTNO par le paragraphe 11(1) parce qu'il présupposait une capacité de l'interlocuteur unilingue français à comprendre l'anglais et qu'il ne présentait pas à la personne bilingue un choix réel entre le français et l'anglais. En outre, en l'absence d'offre active, le GTNO serait incapable d'évaluer s'il y avait une « demande importante » selon les termes de l'alinéa 11(1)a).

[143] Sur ce point, nous ne partageons pas la conclusion de la juge de première instance. La notion d'offre active n'a pas été ignorée dans la LLO. L'alinéa 34e) dispose que le commissaire peut prendre par règlement toute mesure relative à l'offre active et le GTNO n'a pris aucun règlement. Il a plutôt élaboré la PLD (analysée en détail à compter du paragraphe 166) qui prévoit l'offre active dans certains bureaux gouvernementaux et qui distingue la LLO de la LLOC et de la LLONB. Les textes législatifs des autres provinces et territoires portant sur le même sujet [TRADUCTION] « font partie du contexte juridique dans lequel les lois sont adoptées et appliquées »: Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed., (Markham, Butterworths Canada Ltd., 2002) à la page 331 (« Sullivan »). [TRADUCTION] « Le fait que des lois, par ailleurs semblables, utilisent des mots différents ou empruntent une approche différente, laisse supposer qu'on a voulu leur donner un sens différent » : Ibid.; aussi, voir Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, aux pages 504 à 505, 25 Man. R. (2d) 302; et Re Code canadien du travail, [1992] 2 R.C.S. 50, à la page 106, 91 D.L.R. (4th) 449. Ces principes et l'alinéa 34e) de la LLO indiquent que le législateur n'avait pas l'intention de faire de l'offre active une partie intégrante du paragraphe 11(1).

[144] Nous concluons que la juge de première instance a commis une erreur en concluant que l'offre active était nécessaire dans tous les sièges ou administrations centrales. Néanmoins, dans les  situations où des questions de nature urgente ou extrêmement confidentielle sont susceptibles de se présenter, la personne qui sollicite des services en français ne peut y avoir accès facilement ou savoir qu'ils sont disponibles sans offre active. À titre d'exemple, à moins que l'hôpital Stanton n'offre de l'affichage ou un accueil en français, la personne qui se présente à l’urgence et cherche à obtenir des services en français ne peut savoir qu'ils sont disponibles. Fait intéressant, cela est conforme à la politique même du GTNO qui est énoncée dans la PLD.

4. La juge de première instance a t elle commis une erreur en concluant que l’article 8 oblige à publier en français les annonces officielles du gouvernement et les certificats qui témoignent du statut d'une personne?


[145] La juge de première instance a conclu que les annonces officielles du gouvernement et les certificats qui témoignent du statut d'une personne sont assujettis à l'article 8 de la LLO.  Ce sont les offres d'emploi du GTNO, les avis publics et appels d'offres, le certificat de naissance de Océane, fille de l'intimée Nadia Laquerre, ainsi que le formulaire et le certificat d'apprenti de l'intimé Yvon Dominic Cousineau qui étaient en cause. Ces derniers font l’objet d’allégations particulières de violations qui seront examinées plus tard à compter des paragraphes 215 et 235.

[146] La juge de première instance a examiné le sens grammatical des mots « acte » et
« instrument », de même que le sens du mot « promulgated ». Elle a conclu que le législateur avait voulu inclure les « documents de nature formelle ou officielle » dans le champ d'application de l'article 8 : au paragraphe 716.

[147] La juge de première instance a expliqué que l'expression « actes écrits » (instruments in writing) n'englobait pas tous les documents produits par les institutions gouvernementales. Par exemple, les documents servant à la prestation de services et aux communications avec le public sont visés par le paragraphe 11(1). Conclure autrement reviendrait à limiter le sens du terme « communication » au paragraphe 11(1) aux communications verbales: au paragraphe 823.

[148] Elle a souligné que le certificat de naissance est défini à l'article 1 de la Loi sur les statistiques de l'état civil, L.R.T.N. O. 1988, ch. V 3, (Loi sur les statistiques de l’état civil) comme « un extrait certifié conforme des renseignements réglementaires figurant sur un bulletin d'enregistrement déposé au bureau du registraire général »: au paragraphe 718. Son utilité repose sur son caractère public, il fait la preuve « aux yeux du monde entier, des faits qui s'y trouvent inscrits » et constitue un document de nature formelle ou officielle assujetti à l'article 8.

[149] En ce qui concerne les annonces officielles du gouvernement, la juge de première instance a conclu que l'article 8 englobe les offres d'emploi et les appels de soumission parce qu'il s’agit dans les deux cas d’annonces formelles destinées au public: au paragraphe 747. Elle a souligné que le GTNO pouvait choisir les moyens de distribution dès lors que les annonces avaient été établies. Étant donné que les organismes énumérés à l'article 8 sont assujettis au principe de l'égalité réelle, lorsque l'un d’eux s'engage à publier une annonce dans un journal anglophone, il doit aussi le faire dans un journal francophone.

[150] Elle a appuyé sa position sur la ligne directrice no 8 selon laquelle lorsqu'une offre d'emploi pour un poste situé dans une région désignée pour le français paraît en anglais, l'annonce doit paraître en français dans un journal français. Selon la ligne directrice no 9, quand un projet proposé, annoncé en anglais, doit être mené dans une région désignée pour le français, les demandes de soumissions et d’appels d'offres doivent paraître en français, dans un journal français.

[151] Enfin, la juge de première instance a conclu que, même si les documents en cause n'étaient pas assujettis à l'article 8, ils étaient visés par le paragraphe 11(1) parce qu'ils constituent des « invitations à communiquer »: aux paragraphes 768, 823 et 824.


[152] Les appelants acceptent la conclusion de la juge de première instance voulant que l'article 8 vise les « documents de nature formelle ou officielle ». Ils font observer que les mots « sont établis en français et en anglais ... les actes écrits » renvoient aux écrits juridiques et formels. Ils affirment cependant que la juge de première instance a commis une erreur en concluant que l'article 8 englobe les certificats témoignant du statut d'une personne aussi bien que les annonces officielles du gouvernement. Étant donné que la version anglaise de l'article 8 est plus étroite, la juge de première instance aurait dû tenter de concilier le sens qui est commun aux versions française et anglaise.

[153] La règle en matière d'interprétation de lois établies dans deux langues veut que les deux versions aient également force de loi et soient interprétées ensemble. Le sens commun l'emporte, sauf s'il ne rend pas l'intention du législateur : Sullivan, aux pages 75 à 78, 80 et 81.

[154] Deux autres principes s'appliquent à la recherche du sens qui est commun entre les deux versions. D'une part, lorsqu'une version est ambigue et que l'autre est claire, il faut privilégier la version claire : Sullivan, à la page 83. D'autre part, lorsqu'une version a un sens plus large que l'autre, le sens commun aux deux versions est alors celui du texte ayant le sens le plus restreint: Pierre André Côté, Interprétation des lois, 3e éd. (Montréal, Thémis, 1999), à la page 414. Dans tous les cas, l’objet consiste à établir l'intention du législateur : R. c. Multiform Manufacturing Co., [1990] 2 R.C.S. 624, à la page 630, 113 N.R. 373.

[155] Voici le texte de l'article 8:

8. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, sont établis en français et en anglais et dans toute autre langue officielle désignée par les règlements les actes écrits qui s'adressent au public et qui sont censés émaner de la Législature ou du gouvernement des Territoires du Nord Ouest, ou d'un organisme judiciaire, quasi judiciaire ou administratif, ou d'une société d'État, créés sous le régime d'une loi .

8. Subject to this Act, all instruments in writing directed to or intended for the notice of the public, purporting to be made or issued by or under the authority of the Legislature or Government of the Northwest Territories or any judicial, quasi judicial or administrative body or Crown corporation established by or under an Act, shall be promulgated in English and French and in such other Official Languages as may be prescribed by regulation.

[156] À la page 27 du dictionnaire Le Petit Robert, Paris, 2006, le mot « acte » est défini comme suit:


1. DR. Acte ou acte juridique: manifestation de volonté qui produit des effets de droit. Acte conservatoire, exécutoire. Acte d'administration, de commerce. Acte législatif. - Faire acte d'héritier, de commerçant, de propriétaire, exercer ces qualités. 2. Pièce écrite qui constate un fait, une convention, une obligation. = certificat, document, titre. Acte de vente, de donation, de partage.  = contrat, convention. Acte de dernière volonté. = testament. Acte de notoriété*. Actes de l’état civil (de naissance, de mariage, de décès). Acte d’huissier*. Acte sous seing privé, notarié, authentique. Validité, nullité d’un acte. La minute*, la copie d’un acte. Collationner, dresser, établir, enregistrer, ratifier, signer un acte.

[157] À la page 37 du dictionnaire Le Petit Larousse, Paris, 2001, donne du mot « acte » la définition suivante:

Acte juridique: décision, opération destinée à produire un effet de droit. Écrit constatant une opération ou une situation juridique. Actes de l'état civil. Acte de vente. [¼] Les actes peuvent être authentiques (établis par un officier public [notaire, officier de l'état civil¼] et obligatoires dans certains cas [contrat de mariage, vente d'immeuble¼]) ou sous seing privé (établis et signés par les parties elles mêmes et en principe non soumis à des conditions de formes particulières).

[158] Le Dictionnaire de droit québécois et canadien (Montréal, Wilson & Lafleur, 1994), à la  page 10, définit comme suit le mot « acte », qu'il traduit par « act, instrument »:

Écrit qui constate légalement un fait.

[159] La version anglaise de l'article 8 utilise le mot «  instruments ». Le Oxford English Dictionary, 2d ed., 1989, définit ainsi le terme «  instrument »:

Instrument: [...] a. Law. A formal legal document whereby a right is created or confirmed, or a fact recorded; a formal writing of any kind, as an agreement, deed, charter, or record, drawn up and executed in technical form, so as to be of legal validity.

[160] Le Black's Law Dictionary, 8th ed., Bryan A. Garner, ed. (St. Paul, Minn.: Thomson/West, 2004), à la p. 813, donne du mot « instrument  la définition suivante:

A written legal document that defines rights, duties, entitlements, or liabilities, such as a contract, will, promissory note, or share certificate.

[161] Dans une édition antérieure du Black's Law Dictionary, 6th ed., 1990, le terme « instrument » est défini comme suit:

A formal or legal document in writing, such as a contract, deed, will, bond, or lease. ... Anything reduced to writing, a document of a formal or solemn character, a writing given as a means of affording evidence. A document or writing which gives formal expression to a legal act or agreement, for the purpose of creating, securing, modifying, or terminating a right. A writing executed and delivered as the evidence of an act or agreement ...


[162] À notre avis, le sens de la version anglaise de l'article 8 n'est pas plus étroit que celui de la version française. Au contraire, le sens commun aux deux versions est qu'un « instrument » ou « acte » est un document de caractère formel qui établit un fait. Nous partageons donc l'opinion de la juge de première instance voulant que l'article 8 englobe les « documents de nature formelle ou officielle ». Lorsqu'un tel document s'adresse au public et est censé émaner du GTNO, il doit être établi en français et en anglais. L'expression « actes écrits » peut notamment désigner les actes juridiques.

[163] Ainsi, les annonces gouvernementales sont des annonces formelles destinées au public, qu'elles prennent la forme d'offres d'emploi, d'annonces publiques ou d'appels d'offres. De même, les certificats témoignant du statut d'une personne sont des documents de nature formelle ou officielle destinés au public. Nous avons déjà déclaré, au paragraphe 125, que la juge de première instance a correctement conclu que la LLO avait pour objet d'instaurer l'égalité réelle en ce qui concerne le français. Il s'ensuit que, lorsque des documents de nature formelle ou officielle destinés au public sont établis en anglais, ils doivent l'être également en français. Le GTNO ne dispose d’aucune latitude sous le régime de l'article 8, parce que l'article lui même impose le résultat.

[164] Compte tenu de notre opinion voulant que les annonces gouvernementales et les certificats témoignant du statut d'une personne sont assujettis à l'article 8, nous n'aurons pas à déterminer s'ils constituent des « invitations à communiquer » assujetties au paragraphe 11(1).

5. Allégations de violations précises

[165] Le dernier volet du présent motif d'appel porte sur la question de savoir si la juge de première instance a commis une erreur dans ses conclusions relatives aux violations précises de la LLO allégués par les particuliers intimés. Pour en venir à certaines de ses conclusions, elle s'est fondée sur la PLD. Avant de procéder à l’examen des violations précises, il est nécessaire de se pencher sur le statut juridique de la PLD et de déterminer si la juge de première instance a appliqué celle ci correctement.

a. Politique et lignes directrices (PLD)

[166] En 1997, le Conseil exécutif a adopté la PLD. La juge de première instance a déclaré que les lignes directrices « déterminent les normes minimales en matière de prestation des services dans les langues officielles », mais qu'elles ne supplantent pas les obligations découlant de la LLO : au paragraphe 207. Des 11 lignes directrices, quelques unes sont particulièrement pertinentes.


[167] La ligne directrice no1, « Régions désignées », désigne quatre régions des TNO où les services du GTNO peuvent être fournis en français : Fort Smith, Hay River, Yellowknife et Iqaluit (cette ligne directrice est antérieure à la création du Nunavut, en 1999, dont la capitale est Iqaluit). Selon un recensement effectué en 1996, la population francophone des trois autres régions s'établissait alors respectivement à 60, 75 et 660. Selon la PLD, Inuvik n’est pas une région désignée pour le français.

[168] La ligne directrice no 2 traite des « Bureaux désignés », c'est à dire des bureaux où la prestation des services au public doit s’effectuer dans les langues officielles des régions désignées.  Elle s'applique aux ministères, conseils, commissions et agences du GTNO énumérés à l’annexe A qui y est jointe, laquelle comprend les hôpitaux. Elle prescrit que, dans toutes les régions désignées, les bureaux qui offrent des services sociaux et de santé au public doivent offrir ces services en français.

[169] La ligne directrice no 3, sur l'offre active, s'applique aux institutions énumérées à
l'annexe A. La ligne directrice no 4, sur la prestation des services, s'applique aux bureaux désignés et, en conséquence, aux hôpitaux conformément à la ligne directrice no 2.

[170] La ligne directrice no 7, sur les formulaires qui doivent être remplis par le public, s'applique aux institutions énumérées à l'annexe A, si elles jugent qu'ils sont couramment utilisés. La ligne directrice no 8, sur la publication des offres d'emploi, s'applique à tous les ministères du GTNO. Aux termes de cette ligne directrice, quand une offre d'emploi pour un poste situé dans une région désignée est publiée dans un journal anglais, l’annonce doit aussi paraître en français dans un journal français. La ligne directrice no 9, sur les appels d'offres et les annonces officielles, s'applique à tous les ministères du GTNO.  Elle prescrit que, lorsqu'un projet proposé dont l'exécution vise une région désignée est publié en anglais, il doit aussi paraître en français dans un journal français.

[171] Même si la juge de première instance a conclu que la PLD ne constituait qu'une politique, elle s'est tout de même demandé si on y avait contrevenu et si elle était conforme à la LLO : au paragraphe 698. Elle a justifié son approche de plusieurs façons au paragraphe 699. Premièrement, les appelants allèguent que la PLD est conforme à la LLO et que, en suivant ses dispositions, ils se sont acquittés de leurs obligations. Deuxièmement, selon certains tribunaux, les directives sont assujetties au contrôle judiciaire lorsqu'elles servent à justifier l'exercice d'un pouvoir portant atteinte aux droits individuels. Troisièmement, la juge devait déterminer la source des violations de la LLO. Quatrièmement, la PLD pourrait s'avérer pertinente pour les allégations de mauvaise foi formulées par les intimés. La juge de première instance a conclu que certaines des violations précises faisaient ressortir certaines lacunes dans la PLD et ce, même en tenant compte du pouvoir discrétionnaire implicitement prévu aux alinéas 11(1)a) et b). Dans la mesure où la PLD imposait des exigences supplémentaires pour justifier l’emploi du français, elle a conclu que celles ci contrevenaient à la LLO.


[172] Il est difficile de déterminer quel traitement il faut réserver à la PLD pour les besoins de la présente, notamment à cause de la position adoptée en première instance par les appelants, à savoir que la PLD respectait la LLO. Par exemple, ces derniers ont affirmé que la ligne directrice no 1 (régions désignées) permet de déterminer s’il y a _ demande importante _ au sens de l'alinéa 11(1)a): voir la décision de première instance au paragraphe 783. La juge de première instance s'est également appuyée sur les lignes directrices no 1 et no 2 pour apprécier la réclamation de M. Cousineau : aux paragraphes 737, 773 et 774. L’importance de la question du statut de la PLD est amplifiée parce que le GTNO a constamment refusé de suivre les nombreuses recommandations (dont quelques unes émanaient de ses propres conseillers) de prendre des règlements en vertu de la LLO.

[173] Nous avons invité les parties à déposer des mémoires supplémentaires en ce qui concerne le statut et l’effet juridique de la PLD. En résumé, les appelants ont répondu que celle ci n'avait aucune force juridique obligatoire, alors que, de l'avis des intimés, elle équivalait à un règlement. Nous allons maintenant examiner ces points de vue opposés.

[174] Les règlements, règles, règlements administratifs et décrets sont en général juridiquement contraignants, alors que les directives, énoncés de politique et les lignes directrices n'ont pas ce caractère obligatoire à moins que la loi en vertu de laquelle ils sont pris ne le prescrive : Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, [2003] 1 R.C.S. 884 (« Bell Canada »); Skyline Roofing Ltd. c. Alberta (Workers' Compensation Board Appeals Commission), 2001 ABQB 624, 292 A.R. 86.

[175] La disposition législative en jeu dans l'arrêt Bell Canada habilitait la Commission canadienne des droits de la personne à prendre des ordonnances précisant les limites de l'application des dispositions de la loi à une catégorie de cas donnés. Il était prévu que ces ordonnances liaient la Commission. Lors de l'examen de l'effet juridique de ces ordonnances, la juge en chef McLachlin et le juge Bastarache ont dit:

[37] Malgré qu'il eût été préférable que le Parlement qualifie le pouvoir de la Commission de pouvoir d'édicter des « règlements » plutôt que de pouvoir de prendre des « ordonnances », l'intention du législateur est claire.  Une analyse fonctionnelle de la nature de ces ordonnances, axée sur leur objet, révèle qu'elles constituent une forme de mesures législatives apparentées aux règlements.  Il est aussi intéressant de noter le choix du mot « ordonnance » dans la version française de la Loi comme équivalent du terme anglais guidelines — choix qui ne laisse aucun doute sur le fait que les ordonnances constituent une forme de mesures législatives.

(Souligné dans l'original. Nos italiques)

[176] Par contre, l’article 34 de la LLO prévoit que le commissaire « peut, par règlement », notamment désigner les institutions gouvernementales, relativement aux offres actives, et prendre toute mesure qu'il estime nécessaire à l'application de la LLO.


[177] Bien que la LLO fasse référence aux règlements, elle ne mentionne nulle part les lignes directrices. Cela laisse croire que seuls les règlements (et non la PLD) pris en application de la LLO devaient produire des effets juridiques. Les intimés se fondent en partie sur l'alinéa 26(2)b), en vertu duquel le ministre responsable de la LLO « supervise le développement de politiques et de règlements ». Or, cette disposition ne vient que renforcer l’opinion selon laquelle il y existe une dichotomie dans la LLO entre les règlements juridiquement contraignants et les politiques ou directives non contraignantes.

[178] Même si la juge de première instance a déclaré que la PLD n'était qu'une politique, elle s'y est tout de même appuyée pour décider si quelques unes des allégations précises étaient bien fondées : au paragraphe 698. Selon elle, la PLD représentait à tout le moins une norme minimale, reconnue par le GTNO, et à laquelle celui ci ne s'est pas toujours conformé.

[179] Nous estimons que cette situation découle du fait que le GTNO n’a pris aucun règlement par le passé. Néanmoins, nous concluons que la juge de première instance a commis une erreur en se fondant sur la PLD pour évaluer si les violations précises avaient été établies ou non. Si la PLD n'a pas force de loi, son inobservation ne saurait justifier l’octroi de dommages intérêts. Depuis l'audience en première instance, le GTNO a pris certains règlements en application de la LLO, notamment le Règlement sur le conseil de revitalisation des langues autochtones, Règl. des T.N. O. 050 2004; le Règlement sur le conseil des langues officielles, Règl. des T.N. O 049 2004, et surtout, le Règlement sur les institutions gouvernementales, dont il est question au paragraphe 108. L'absence de règlement sur les institutions au moment où certaines plaintes précises ont été déposées rend difficile l'évaluation de certaines d'entre elles en l'espèce. Notre opinion sur le caractère non contraignant de la PLD nous oblige à revoir les conclusions de la juge de première instance sur les violations au paragraphe 11(1).

b. L'évaluation des plaintes individuelles fondées sur le paragraphe 11(1) à la lumière du caractère non contraignant de la PLD.

[180] Les plaintes individuelles découlent de trois sources différentes. Si l'allégation a trait à un siège ou à une administration centrale, les services doivent être rendus en français. Si l'allégation a trait à un bureau qui n'est ni un siège, ni une administration centrale, les services ne devront être rendus en français qu'en conformité avec les alinéa 11(1)a) ou b), à savoir si la demande est importante ou si la vocation du bureau exige la prestation de services en français. Comme la juge de première instance a consulté la PLD pour déterminer s’il existait une demande importante (à l’aide de la ligne directrice no 1 (régions désignées)), elle n'a pas eu à tirer des conclusion en ce sens. De même, elle n'a pas eu à se prononcer sur la vocation du bureau parce qu'elle s'est fondée sur l'annexe A de la ligne directrice no 2 (bureaux désignés) pour déterminer quels établissements gouvernementaux étaient tenus de répondre aux exigences de la PLD. En particulier, le fait que les « hôpitaux » figuraient à l'annexe A lui a permis de tirer de conclusions sur la suffisance des services rendus en français dans les hôpitaux et sur la nécessité d’offrir de tels services au Bureau de l'état civil (« bureau d'Inuvik »).


[181] Nous ne sommes pas en position pour dégager des conclusions en matière de demande importante. En effet, nous doutons que les éléments de preuve présentés par les particuliers intimés permettent, de façon générale, d’établir l’existence d’une demande importante, car il semble que dans plusieurs cas, les services requis par les intimés s’inscrivaient dans une stratégie de la FFT pour démontrer leur insuffisance.

[182] Nous sommes en mesure de déterminer si, en vertu de l'alinéa 11(1)b), «  l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau ». Selon nous, l'hôpital Stanton répond à ce critère parce qu'il est le centre de référence des TNO. Ce point semble avoir été admis en première instance à l'égard de l'hôpital Stanton: au paragraphe 724. La preuve n'est toutefois pas suffisante pour étayer une conclusion identique quant à l'hôpital de Hay River et il n’est pas certain qu’une admission semblable ait été faite en première instance.

[183] Un raisonnement différent s'applique en ce qui concerne le Bureau d’Inuvik, qui est le point de services central désigné par le ministère de la Santé et des Services sociaux pour la délivrance de tout certificat officiel. Le Bureau veille également à l'enregistrement de tous les événements d'importance qui surviennent dans les TNO, soit les naissances, les décès, les mortalités à la naissance et les mariages. De par sa vocation, il relève du champ d'application de l'alinéa 11(1)b). De même, le bureau du ministère des Transports à Yellowknife traite avec le public de la capitale, d’où la nécessité d’offrir des services en français, conformément à l'alinéa 11(1)b). Il en va de même pour le bureau d’apprentissage de Yellowknife.

[184] Nous ne pouvons arriver à une conclusion semblable en ce qui concerne le bureau des Travaux publics à Fort Smith. Les appelants ont démontré que le bureau n’offrait pas de services au public. En conséquence, nous ne saurions affirmer que sa vocation requiert la prestation des services en français conformément à l'alinéa 11(1)b).

[185] Les présentes conclusions, de même que celles que nous avons déjà tirées, guident notre analyse des plaintes dans lesquelles les appelants alléguaient certaines violations précises.

c. La juge de première instance a t elle commis une erreur en concluant à l’existence de violations précises dans le cas des particuliers intimés?

[186] Nous nous attarderons maintenant aux particuliers intimés. La norme de contrôle demeure inchangée. Les conclusions de la juge de première instance sont des questions de fait, alors que l'application de normes juridiques à ces faits soulève des questions mixtes de fait et de droit. En l'absence d'une erreur de droit isolable, les deux sont susceptibles de contrôle selon la norme de l'erreur manifeste et dominante. Les questions de droit sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. Comme la juge de première instance s’est partiellement trompée dans son interprétation de la LLO et dans ses conclusions quant au choix du GTNO des moyens pour offrir les services requis, certaines de ses conclusions doivent faire l'objet de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte.


(i) Allégations de M. Fernand Denault formulées à l'encontre de l'ancien ministère des Ressources naturelles, de la Faune et du Développement économique.

(aa) Contexte et décision de première instance

[187] La plainte de M. Denault a trait au Hunter Harvest Questionnaire (le « questionnaire ») que le ministère des Ressources naturelles, de la  Faune et du Développement économique (le « ministère ») lui a fait parvenir en anglais pendant un certain nombre d'années. En juin 1999, il en a reçu un exemplaire qu’il a retourné au ministère après y avoir inscrit la mention « en français s.v.p. ». Il n'a reçu ni réponse, ni version française du questionnaire. Vers le mois de septembre 1999, il a reçu un autre questionnaire identique en anglais sans aucune offre de version française.

[188] Le 19  novembre 1999, il a essayé à deux reprises de joindre par téléphone le coordonnateur des langues officielles du ministère. Le message vocal qu’il a entendu la première fois était seulement en anglais. M. Denault croit qu’il a trouvé ce numéro dans le bottin téléphonique.

[189] La seconde fois, il a composé un autre numéro, croyant joindre le siège du ministère. Une femme a répondu en anglais et lui a indiqué qu'une employée pouvant s'exprimer en français serait de retour « lundi », soit le jour ouvrable suivant. M. Denault n'a pas donné suite à sa demande ni formulé de plainte auprès du ministère ou de la CL.

[190] Il a allégué que son droit à des services gouvernementaux en français a été violé : (i) lorsqu'il a reçu, à deux reprises, un questionnaire rédigé seulement en anglais sans offre active de version française; (ii) lorsqu'il a été accueilli par un message enregistré seulement en anglais lors de sa tentative de communiquer avec le coordonnateur des langues du ministère; et (iii) lorsqu'il a été accueilli en anglais lors d’un autre appel téléphonique au ministère.

[191] Le témoin des appelants, Mme Judy McLinton, a déclaré que la version française du questionnaire n'existait pas en 1999; qu'un des numéros de téléphone composés par M. Denault en novembre 1999 était celui d'un adjoint administratif travaillant dans une division du ministère qui n'offre pas de services au public. L'autre numéro de téléphone était celui du directeur des communications et affaires publiques pour le ministère, poste qui était alors vacant. Elle a ajouté que le ministère comptait un employé à Yellowknife et un autre à Norman Wells, et que les deux reçoivent une prime au bilinguisme et peuvent être joints sur demande.


[192] La juge de première instance a conclu qu’il y avait eu violation du paragraphe 11(1) et qu’on n’avait pas répondu aux exigences de la PLD pour les motifs qui suivent : (i) le questionnaire n'était pas accompagné d’une offre de version française; (ii) M. Denault a été accueilli par un message en anglais lorsqu'il a communiqué avec le ministère; et (iii) on lui a répondu qu'il devait attendre jusqu’au jour ouvrable suivant pour recevoir le service en français. Elle a conclu qu'il incombait au ministère d'informer le public des moyens de communiquer avec son siège. Dans le contexte du paragraphe 11(1), elle a jugé que l'accueil, téléphonique ou en personne, devait se faire en anglais et en français. Elle a octroyé à M. Denault une somme de 750 $ en dommages intérêts.

(bb) Analyse

[193] Nous rejetons l’argument des appelants selon lequel la note écrite par M. Denault sur le questionnaire n'a jamais été présentée en preuve en première instance ou n’avait pas été autrement corroborée. Comme elle était fondée de le faire, la juge de première instance a admis le témoignage de M. Denault. Cependant, nous accueillons le pourvoi en ce qui concerne M. Denault pour deux motifs.

[194] Premièrement, compte tenu de notre conclusion antérieure établissant que le paragraphe 11(1) de la LLO ne requiert généralement pas d'offre active, la juge de première instance a commis une erreur en droit en concluant que les exigences du paragraphe 11(1) n'avaient pas été respectées au motif qu'une offre de la version française n'accompagnait pas le questionnaire. De la même façon, elle a commis une erreur en concluant que le ministère avait l'obligation de publier un numéro de téléphone permettant d’obtenir des services en français (ce qui constitue aussi une forme d'offre active) et que l'utilisation d'un message vocal en anglais seulement contrevenait au paragraphe 11(1).

[195] Deuxièmement, compte tenu des services que M. Denault cherchait à obtenir en communiquant avec le bureau (lesquels n'étaient pas de nature urgente ou confidentielle), l'accès à un employé bilingue le jour ouvrable suivant répondait à l'obligation du GTNO imposée par le paragraphe 11(1).

[196] L'octroi de dommages intérêts à M. Denault est annulé.

(ii) Allégations de Mme Suzanne Houde concernant l'hôpital régional Stanton

(aa) Contexte et décision de première instance

[197] La pénurie généralisée de médecins et d’infirmières touchent de façon particulière les TNO. L’isolement géographique et le climat de ce territoire rendent particulièrement difficile le recrutement de professionnels en soins de santé. En 2004, par exemple, le taux de roulement du personnel médical a été de 22 %.  La situation est pire en ce qui concerne les spécialistes. Comme l’a souligné la juge de première instance, même s’il s’efforce de recruter des professionnels de la santé qui s’expriment en français, le GTNO n’a pas de stratégie cohérente en la matière.

[198] Au début de 1997, Mme Houde s’est rendue à maintes reprises à l’hôpital Stanton pour divers problèmes de santé. La juge de première instance résume son expérience comme suit:


[723] À plusieurs reprises, au fil des ans, Mme Houde s’est présentée à la réception et à l’urgence de l'hôpital Stanton et y a été accueillie en anglais seulement. Ces incidents se sont produits malgré la présence d'affiches d'accueil en français. Le témoignage de Mme Houde est appuyé par la preuve qu’il n’y a pas de postes désignés bilingues à la réception de l’hôpital. Mme Houde a rarement été soignée par un médecin ou par une infirmière francophone à la salle des urgences. Il n'y avait pas d'interprète disponible lors de certaines de ses visites chez le médecin. De plus, l'hôpital considérait qu’elle devait prendre elle même les arrangements voulus pour être assistée d’un interprète lors d’une consultation avec un orthopédiste anglophone. Quant aux interprètes auxquels l'hôpital a eu recours, ils n’avaient pas reçu de formation professionnelle en interprétation ni d’éducation formelle en terminologie médicale. L'hôpital a pris l’habitude de faire agir son mari, M. Légaré, comme interprète. Ce fut le cas lors des visites – fréquentes – de Mme Houde à l'urgence, et ce fut le cas lorsqu’il s’agissait de remplir les formulaires de consentement relatifs aux tests et aux interventions qu’elle devait subir. M. Légaré n'avait aucune formation en terminologie médicale. À une occasion, Mme Houde a été laissée seule, sans interprète, dans une salle de réveil, et elle a été dans l’incapacité de communiquer sa demande de médicaments.


[199] La juge de première instance a conclu à la violation des droits garantis à Mme Houde par le paragraphe 11(1) puisque : (i) malgré la présence d'affiches d'accueil en français, Mme Houde a été privée d’un accueil en français à l’hôpital et ce, à plusieurs reprises; (ii) très souvent, l’hôpital l’a incitée à se fier aux capacités d’interprète de son mari et, dans certains cas, elle a dû s’en remettre à la traduction de formulaires de consentement faite par ce dernier; (iii) elle a été incitée à prendre elle même les arrangements voulus pour être assistée d’un interprète lors d’une consultation avec un orthopédiste; et (iv) elle a été laissée seule, sans interprète, dans une salle de réveil à la suite d’une intervention chirurgicale. La juge de première instance a octroyé à Mme Houde une somme de 12 000 $ en dommages-intérêts et une somme de 750 $ pour son déplacement au Québec en vue d’une intervention chirurgicale.

[200] Ces conclusions sont justifiées tant au regard de la preuve qu’en droit.

(bb) Analyse

[201] Comme nous l’avons déjà mentionné au paragraphe 182, l’obligation pour l’hôpital Stanton de fournir des services bilingues a été admise. Les situations vécues par Mme Houde illustrent l’importance d’une approche contextuelle. Comme ses interactions étaient liées à son état de santé et étaient en grande partie de nature confidentielle, l’offre de services en français se devait d’être immédiate. Il s’agit d’une situation où l’approche contextuelle requiert l’emploi d’une offre active, sinon la personne qui demande des services en français ne peut savoir qu’ils existent.


[202] La nature des soins requis commande l’utilisation de personnel de première ligne capable d’accueillir et de répondre aux patients en français. Le recours par l’hôpital aux capacités de
M. Légaré pour interpréter et traduire des formulaires de consentement médical témoigne d’une incompréhension flagrante des besoins du patient en milieu hospitalier. En matière de prestation de services, il est inacceptable de demander à une personne n’ayant aucune formation en interprétation et en terminologie médicale de traduire à un être cher les risques d’un traitement ou d’une intervention.

[203] De même, il y a eu violation du droit de Mme Houde à des services en français lorsqu’elle a été encouragée à prendre les dispositions nécessaires pour obtenir les services d’un interprète en vue d’une consultation avec un orthopédiste de l’hôpital, et qu’elle n’a eu accès à aucun service en français pour communiquer avec des professionnels de la santé, ce qui a eu comme conséquence, qu’à une occasion, elle n’a pu communiquer son besoin de médicaments après avoir subi une opération. De plus, le caractère délicat et confidentiel des renseignements échangés entre les professionnels de la santé et les patients exige que des efforts soient déployés pour recruter des employés francophones avant de recourir aux services d’un interprète. La juge de première instance a correctement analysé cette question et l’octroi de dommages-intérêts à Mme Houde était justifié.

(iii) Allégations de Mme Suzanne Houde concernant le bureau d’Inuvik

(aa) Contexte et décision de première instance

[204] En 1997, à son arrivée à Yellowknife en provenance de l’Ontario, Mme Houde a continué pendant quelque temps d’utiliser sa carte d’assurance-maladie de l’Ontario sur laquelle son prénom « Suzanne » était correctement épelé. Lors de sa première visite à l’hôpital Stanton, son prénom a été incorrectement épelé « Susanne » sur la carte d’identité de l’hôpital. Son prénom a également été incorrectement épelé « Susanne » sur la première carte d’assurance-maladie qu’elle a reçue du GTNO.

[205] Le 30 juillet 1999, voulant corriger le nom de Mme Houde sur la carte d’assurance-maladie, un employé de l’hôpital a rempli la version anglaise du formulaire bilingue de demande de changement de nom.  Il a inscrit « wrong spelling on my name » sur le formulaire que Mme Houde a signé. Même si le bureau d’Inuvik a reçu le formulaire le 5 août 1999, Mme Houde n’a reçu aucune réponse. Elle a tenté à trois ou quatre reprises de communiquer avec le bureau d’Inuvik, mais n’a pu obtenir de service en français. Mme Houde a rempli une deuxième demande de changement de nom en anglais avec l’aide d’un employé de l’hôpital, que le bureau d’Inuvik a reçue le 18 novembre 1999; elle a rempli ces formulaires en anglais parce que les employés qui l’ont aidée parlaient anglais.

[206] Les échanges ultérieurs de Mme Houde avec le bureau d’Inuvik ont été ainsi été relatés par la juge de première instance :


[405] Mme Houde a reçu un formulaire en anglais du bureau d’Inuvik le 5 janvier 2000 lui demandant de fournir plusieurs renseignements. Les défendeurs territoriaux ont suggéré qu’ayant jusqu’à ce point reçu de Mme Houde deux formulaires de changement de nom remplis en anglais, le bureau d’Inuvik était tout à fait fondé de correspondre avec elle en anglais. Cependant, M. Légaré a témoigné que Mme Houde avait reçu avant le 18 novembre 1999 le même formulaire que celui daté du 5 janvier 2000. Il a expliqué qu’il a renvoyé ce dernier en novembre au bureau d’Inuvik, sans l’avoir rempli, accompagné d’une note indiquant que Mme Houde ne parlait pas anglais, mais qu’il n’a pas retenu une copie de ces documents. Il est clair d’après la preuve que le bureau d’Inuvik a envoyé un document à Mme Houde en novembre 1999. En effet, une autre enveloppe expédiée par le bureau d’Inuvik à Mme Houde, portant une date de mise en poste du 23 novembre 1999, m'a été présentée en preuve. J’accepte le témoignage de M. Légaré selon lequel son épouse a reçu un premier formulaire lui demandant (en anglais) de fournir des renseignements dans cette enveloppe.

[406] J’accepte aussi le témoignage de M. Légaré selon lequel il a renvoyé ce formulaire non rempli au bureau d’Inuvik avec une note indiquant les difficultés linguistiques et que le bureau d’Inuvik a continué à envoyer des documents en anglais à Mme Houde. M. Légaré a témoigné que lorsqu’il a de nouveau reçu ce même formulaire en anglais, maintenant daté du 5 janvier 2000, du bureau d’Inuvik, il croyait l’avoir retourné par télécopieur, non rempli encore, cette fois accompagné de la note suivante : « Mme Baxter   Pour la seconde fois, je vous écris pour vous dire que je ne lit [sic] pas et je ne parle pas l’anglais. Veuillez donc me faire parvenir ce formulaire en français. »

[407] J’accepte cette version des événements de M. Légaré. Je note que le bureau d’Inuvik a utilisé le numéro de télécopieur de M. Légaré pour communiquer avec lui le 23 février 2000. Je conclus qu’il a renvoyé le formulaire du 5 janvier 2000 par télécopieur, ce qui lui permettait de retenir sa note originale (un papier collant jaune) ainsi que le formulaire du 5 janvier et de déposer ces deux documents en preuve.

[408] Ayant reçu une autre communication de M. Légaré en français, le bureau d’Inuvik a néanmoins répondu en anglais dans une télécopie du 23 février 2000, demandant essentiellement les mêmes renseignements que le formulaire daté du 5 janvier 2000.

(Souligné dans l’original)


[207] La juge de première instance a conclu que Mme Houde a été incapable d’obtenir des services en français du bureau d’Inuvik entre la fin du mois de novembre 1999 et mars 2000, même si le recours à l’anglais était justifié lors des appels faits à Mme Houle après que cette dernière eu envoyé le formulaire du 30 juillet 1999, car celui-ci avait été rempli en anglais. Elle a aussi conclu que le bureau d’Inuvik était l’administration centrale d’une institution du GTNO. Selon son raisonnement, puisque le GTNO considère que l’emploi du français est justifié par la vocation des hôpitaux, la vocation du bureau d’Inuvik, soit la délivrance de cartes qui donnent accès aux services des hôpitaux, justifie l’emploi du français dans la prestation de ces services. De plus, Mme Houde n’a jamais été informée de la disponibilité des services en français, non plus qu’elle n’a été dirigée vers un employé francophone. Ces faits constituent des violations du paragraphe 11(1). La juge de première instance a conclu que l’erreur dans le nom de Mme Houde sur la carte d’assurance-maladie ne constituait qu’une simple erreur de typographie.

[208] Pour ces violations, la juge de première instance a octroyé à Mme Houde des dommages intérêts de 1 200 $.

(bb) Analyse

[209] Nous rejetons l’argument des appelants selon lequel la juge de première instance a admis des preuves non corroborées ou de valeur douteuse. Non seulement rien ne justifie de modifier ses constatations de fait, mais ses conclusions portant qu’il y a eu violation des droits de Mme Houde ne reposent même pas sur ces constatations.

[210] Pour les motifs exposés au paragraphe 183, nous sommes d’avis que l’alinéa 11(1)b) s’applique au bureau d’Inuvik. Par conséquent, la juge de première instance a correctement conclu que Mme Houde avait le droit de recevoir du bureau des services en français. L’obtention d’une carte d’assurance-maladie n’est pas en soi urgente au point de priver le GTNO du choix des moyens pour assurer la prestation de ce service. Mme Houde a cependant demandé un service en français et ne l’a jamais reçu. Contrairement à M. Denault, on ne lui a jamais offert un autre moyen d’obtenir le service en français. L’octroi de dommages-intérêts était justifié.

(vi) Allégations de M. Pierre Ranger concernant les services de santé à Hay River

(aa) Contexte et décision de première instance

[211] Le 12 novembre 1999, M. Ranger s’est rendu à l’hôpital H.H. Williams Memorial, à Hay River, après s'être infligé une entorse dorsale. Malgré la présence d’un affichage d’offre active dans trois langues officielles, y compris le français, M. Ranger a été accueilli en anglais à la réception de l’hôpital. Il a demandé à recevoir des services en français, mais l’hôpital lui a indiqué qu’aucun interprète n’était disponible.


[212] La juge de première instance a conclu que le paragraphe 11(1) avait été violé d’après les propres critères du GTNO parce que la ligne directrice no 2 exige que les hôpitaux des régions désignées, dont Hay River, offrent des services en français. En dépit de l’offre active et de la demande de M. Ranger, le service n’était pas disponible et ce dernier n’a pas été servi en français.

(bb) Analyse

[213] Les appelants font valoir que la juge de première instance n’aurait pas dû admettre le témoignage de M. Ranger parce qu’il constituait du ouï-dire. M. Ranger a affirmé qu’un médecin lui avait dit en anglais que personne ne pouvait lui offrir des services en français. La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en admettant que la conversation avait eu lieu. Les appelants soutiennent de plus qu’il aurait été possible de recourir aux services d’un interprète dans le cas de M. Ranger.

[214] Selon nos conclusions tirées au paragraphe 182, la preuve n’établit pas que l’hôpital de Hay River est visé par l’alinéa 11(1)b). En conséquence, l’octroi de dommages-intérêts à M. Ranger est annulé.

(v) Allégations de Mme Nadia Laquerre concernant le bureau d’Inuvik

(aa) Contexte et décision de première instance

[215] À la suite de la naissance de son deuxième enfant, Mme Laquerre a reçu de sa sage femme le formulaire intitulé « Registration of Live Birth » sur lequel le prénom de sa fille « Océane » était écrit correctement. Le 22 juillet 2002, elle a transmis le document signé au bureau d’Inuvik afin d’enregistrer la naissance et d’obtenir un certificat de naissance original. Le bureau d’Inuvik a reçu le document en question et le lui a retourné.

[216] Mme Laquerre a demandé un certificat de naissance original afin d’inscrire Océane à un régime enregistré d’épargne-études. Elle a appelé deux fois au bureau d’Inuvik pour avoir des renseignements concernant le certificat de naissance d’Océane qu’elle n’avait pas encore reçu. À ces deux occasions, on lui a répondu en anglais et on lui a dit que personne ne pouvait parler français pour lui venir en aide. Au bureau d’Inuvik, on lui a suggéré d’appeler au bureau de Yellowknife, où on lui a alors indiqué que le nom d’Océane constituait un « cas spécial » en raison de l’accent aigu, d’où le retard dans la transmission du certificat de naissance d’Océane. Par la suite, elle a été informée que la technologie ne permettait pas d’imprimer le « é » et on lui a fourni un certificat de naissance format poche délivré le 31 mars 2003, mais sans accent aigu. Le certificat était en anglais et dans une langue innue. Le 6 juillet 2003, elle a reçu le certificat de naissance de format légal, avec accent aigu, mais rédigé en anglais.


[217] La juge de première instance a conclu que les certificats de naissance étaient visés par l’article 8 et que les droits garantis à Mme Laquerre par l’article 8 et le paragraphe 11(1) avaient été violés. Ses conclusions reposaient sur le délai de 10 mois qui s’était écoulé avant la délivrance du certificat de naissance d’Océane, avec l’accent aigu; sur le fait que le certificat de format légal délivré en juillet 2003 était rédigé en anglais; et sur le fait que Mme Laquerre  n’avait pas reçu de services en français du bureau d’Inuvik et du ministère de la Santé à Yellowknife. Elle a octroyé des dommages-intérêts de 1 200 $ à Mme Laquerre.

[218] Les appelants soutiennent que les problèmes concernant l’impression des caractères français sur les certificats de naissance avaient été résolus quelques années avant le début du procès, et que la question soumise à la juge de première instance était devenue théorique.

(bb) Analyse

[219] Nous rejetons la prétention des appelants selon laquelle la question concernant les accents était devenue théorique au moment du procès en première instance. La résolution des problèmes techniques liés aux accents français ne change en rien la frustration qu’a pu éprouver Mme Laquerre pendant 10 mois.

[220] Nous sommes d’accord avec la juge de première instance que le certificat de naissance constitue un « document de nature formelle ou officielle » au sens de l’article 8. Tel qu’elle l’a souligné, l’article 1 de la Loi sur les statistiques de l’état civil donne du certificat de naissance la définition suivante : « extrait certifié conforme des renseignements réglementaires figurant sur un bulletin d’enregistrement déposé au bureau du registraire général ». Son utilité repose sur son caractère public car il fait la preuve, aux yeux du monde entier, des faits qui s’y trouvent inscrits. Les droits de Mme Laquerre ont été violés parce qu’elle a dû attendre 10 mois avant qu’on ne lui délivre le certificat de naissance d’Océane, avec l’accent aigu, et parce que le certificat de format légal a été délivré en anglais en juillet 2003.

[221] Nous convenons également que Mme Laquerre avait le droit de recevoir des services en français du ministère de la Santé à Yellowknife et du bureau d’Inuvik. Aucun des deux ne lui a fourni des services en français, ni offert la possibilité d’en recevoir. L’appel est rejeté sur ce point.

(vi) Allégations de Mme Nadia Laquerre concernant le ministère des Travaux publics

(aa) Contexte et décision de première instance

[222] À titre d’agente du développement communautaire de l’Association francophone de Fort Smith, Mme Nadia Laquerre a téléphoné au Bureau des travaux publics à Fort Smith le 12 novembre 1999 pour vérifier les heures d’ouverture. Elle a été accueillie en anglais et on ne lui a pas offert de parler à un employé francophone. Elle n’a pas pu dire si ce bureau constituait un siège et la juge de première instance n’a pas non plus statué sur ce point.


[223] Des 260 employés du ministère des Travaux publics, seuls neuf employés desservent le public, d’une part, par l’approvisionnement en essence pour 15 petites collectivités (service qui n’est pas offert par le bureau de Fort Smith) et, d’autre part, par les inspections de sécurité et l’attribution de permis de travaux mécaniques et électriques. Aucun de ces services n’a reçu de demandes de services en français. Au bureau de la réception du ministère des Travaux publics, l’accueil en personne et par téléphone se fait en anglais. Aucune affiche n’indique qu’il est possible d’obtenir des services en français. Deux employés du ministère reçoivent la prime de bilinguisme, et on demande au personnel de la réception de leur transmettre les demandes de services en français.

[224] La juge de première instance a conclu que l’alinéa 11(1)a) avait été violé, parce que Mme Laquerre n’a pas reçu un accueil en français et que son appel n’a pas été dirigé vers un autre bureau du ministère des Travaux publics qui aurait pu lui offrir des services en français. Elle a fait remarquer que Fort Smith est une région désignée aux termes de la ligne directrice no 2. Compte tenu que le GTNO a estimé que cette désignation était une façon de définir le concept de « demande importante », elle a conclu au droit du public d’employer le français pour communiquer avec les bureaux situés dans cette région en application de l’alinéa 11(1)a).

[225] Étant donné que Mme Laquerre a communiqué avec le ministère des Travaux publics pour le compte de la FFT, la juge de première instance a statué que sa plainte était en fait une plainte de la FFT. Comme l’appel téléphonique était compatible avec le rôle de la FFT, il était inapproprié d’octroyer des dommages-intérêts.

(bb) Analyse

[226] Les appelants soutiennent que la juge de première instance a appliqué le mauvais critère:

[781] [¼] même si le bureau n'offre aucun service directement au public, le public a le droit de communiquer en français avec ce bureau advenant une demande importante. On peut imaginer divers circonstances où le public serait justifié de communiquer avec un bureau local des travaux publics, par exemple pour se plaindre des actes de ce dernier qui affectent le public.

[227] Pour les motifs formulés au paragraphe 184 et en l’absence de conclusion établissant qu’il s’agissait d’un siège ou d’une administration centrale, nous sommes d’accord avec les appelants que le bureau du ministère des Travaux publics de Fort Smith n’était pas assujetti au paragraphe 11(1). L’appel est accueilli sur ce point.

(vii) Allégations de M. Yvon Dominic Cousineau concernant le ministère des Transports

(aa) Contexte et décision de première instance


[228] En 2001, M. Cousineau a suivi un cours pour obtenir son permis de conduire de « classe 1 » de camionneur professionnel. Au bureau des transports de Yellowknife,  il a été accueilli en anglais. Deux manuels qu’il avait demandés en version française lui ont été remis pour le cours. Après enquête effectuée par le bureau, il n’a réussi à obtenir en français qu’un des manuels provenant du Nouveau Brunswick. Même si une version française du manuel existait en format informatisé, il n’a jamais réussi à l’obtenir car le personnel du bureau ignorait son existence.

[229] La juge de première instance a conclu à une violation du paragraphe 11(1) parce que M. Cousineau n’avait pas été accueilli au bureau en français et qu’il n’avait pas reçu la version française d’un des manuels. Elle a insisté sur le fait qu’il n’existait aucune obligation de publier le volume en français mais que, par contre, celle de le rendre disponible existait dès lors qu’il avait été publié.

[230] La preuve présentée ne permettait pas d’établir avec certitude si le bureau était un siège ou une administration centrale. Bien que la ligne directrice no 2 (bureaux désignés) s’applique à « tous les ministères, conseils, commissions et agences du gouvernement des TNO énumérés au tableau A », le bureau des transports ne figure pas au tableau A. Néanmoins, la juge de première instance a conclu que la ligne directrice no 2 englobait tous les bureaux de Yellowknife qui fournissaient des services au public, de sorte que le bureau des transports était assujetti à l’alinéa 11(1)b) en raison de sa vocation.

[231] Subsidiairement, vu que Yellowknife était une région désignée pour le français en application de la ligne directrice no 1, le critère de « demande importante » justifierait son application au bureau de Yellowknife. Sa conclusion s’appuie sur le libellé de la version anglaise du paragraphe 11(1) où le mot « or » est utilisé entre les alinéas a) et b), ce qui laisserait supposer que les critères qui y sont prévus ne sont pas cumulatifs.

[232] La juge de première instance a octroyé la somme de 750 $ à M. Cousineau pour ces violations et celles commises par le ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation (« MÉCF ») (dont il est question à compter du paragraphe 235).

(bb) Analyse

[233] Pour les motifs exposés au paragraphe 73, nous sommes d’accord avec l’argument des appelants selon lequel la juge de première instance ne pouvait pas se fonder sur l’absence de message d’accueil en français au bureau des transports parce que cette violation n’avait pas été expressément invoquée  dans la déclaration modifiée. De plus, comme il n’existait aucune obligation de publier le manuel en français, aucune responsabilité juridique ne peut découler de sa non publication. À la lumière de ces faits, M. Cousineau n’avait pas le droit à des dommages-intérêts.


[234] Cela étant dit, le fait que M. Cousineau n’a pas pu profiter du manuel de conducteur en français est révélateur du manque d’organisation du GTNO et de son laxisme dans la mise en oeuvre de la LLO. Voilà qui apporte une autre justification au redressement structurel de la juge de première instance.

(viii) Allégations de M. Yvon Dominic Cousineau relatives au MÉCF

(aa) Contexte et décision de première instance

[235] En septembre 2002, M. Cousineau a décidé de s’inscrire à un programme d’apprentissage du métier d’électricien. À Yellowknife, aucune entreprise privée d’électriciens n’offrait de programme d’apprentissage en français. M. Cousineau a donc effectué la première année de son apprentissage auprès d’une entreprise anglophone. Il n’a ni demandé à suivre ses cours en français ni tenté de se renseigner sur la possibilité de recevoir sa formation dans une autre province. Par ailleurs, ce choix ne lui a pas été offert.

[236] En août 2003, l’entreprise a rempli un formulaire de vérification des heures travaillées («  time credit sheet »). Ni M. Cousineau ni son employeur n’ont demandé une version française de ce formulaire. M. Cousineau a reçu un certificat d’apprentissage en anglais et n’a jamais demandé de version française.

[237] La juge de première instance a conclu qu’il y avait eu violation du droit garanti à M. Cousineau par le paragraphe 11(1) de la LLO parce qu’on ne lui avait pas offert de suivre son programme d’apprentissage en français au Nouveau-Brunswick. L’omission de fournir une version française du formulaire d’apprentissage et du certificat d’apprentissage a de plus constitué une infraction à l’article 8 puisque les deux documents ont un statut officiel: le certificat confère un caractère officiel au statut d’apprenti et le formulaire énonce les conditions requises par le GTNO en matière d’admissibilité.

[238] Comme le bureau responsable des programmes d’apprentissage est situé dans le même immeuble que le bureau du sous-ministre de l’Éducation, la juge de première instance a conclu que ce bureau constituait le « siège » d’une institution gouvernementale. Elle a également souligné qu’aux termes du projet de règlement, la Commission de qualification professionnelle des apprentis et des gens de métier serait assujettie au paragraphe 11(1) de la LLO.

(bb) Analyse


[239] De nouveau, la Cour accepte l’argument des appelants selon lequel la juge de première instance aurait dû refuser de statuer sur le certificat d’apprentissage de M. Cousineau parce que l’argument à ce sujet n’avait pas été invoqué expressément dans la déclaration. Nous sommes également en désaccord avec sa conclusion selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 11(1) de la LLO parce que M. Cousineau n’a pas été informé du fait qu’il aurait pu suivre son programme d’apprentissage en français au Nouveau-Brunswick. Même si, pour les motifs invoqués au paragraphe 183, nous estimons aussi que le bureau est assujetti aux dispositions de l’alinéa 11(1)b) de la LLO, M. Cousineau n’a jamais demandé à recevoir ses services en français et, compte tenu du caractère non urgent de ceux-ci, il n’était pas nécessaire de lui faire une offre active. Le formulaire de l’apprenti, appelé « formulaire de vérification des heures travaillées » par la juge de première instance et servant à vérifier les heures d’apprentissage de M. Cousineau, ne constituait pas un « document de nature formelle ou officiel » visé par l’article 8. Nous annulons l’octroi de dommages-intérêts à M. Cousineau.

D. Résumé

[240] La juge de première instance a commis une erreur en restreignant la liberté du GTNO de choisir la façon dont il souhaite s’acquitter de ses obligations prévues au paragraphe 11(1) de la LLO. Le contexte est extrêmement important. Compte tenu de la situation particulière des TNO, il est impossible d’offrir tous les services gouvernementaux dans les deux langues. Lorsque le service demandé comporte des enjeux urgents ou confidentiels, le membre du public a le droit de s’exprimer et de recevoir sans délai des services en français. En théorie, de tels services sont dispensés sans avoir recours à un interprète, mais ce n’est pas toujours possible compte tenu des difficultés de recrutement et des autres problèmes contextuels des TNO. La juge de première instance a indiqué qu’un plan global de recrutement devrait contribuer à améliorer la disponibilité des services bilingues. Dans la mesure où le service demandé n’est ni urgent ni confidentiel, le GTNO jouit d’une plus grande liberté pour offrir ses services. La mise en service d’un numéro 1-800 pourrait satisfaire à cette obligation, réduire les délais pour l’exécution des services en français et éviter de contrevenir à la LLO. Même si, de façon générale, il n’est pas nécessaire de faire une offre active, nous estimons que, en ce qui concerne les services urgents ou confidentiels, le simple fait d’offrir un accueil en français informe les gens de la disponibilité des services dans cette langue.

VIII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LES DEMANDEURS N’ÉTAIENT PAS TENUS D’ÉPUISER LES RECOURS PRÉVUS PAR LA LLO?

[241] Les appelants font valoir que la juge de première instance a commis une erreur en concluant que les intimés n’étaient pas tenus de conduire à terme le processus de traitement des plaintes prévu par la LLO avant d’exercer un recours judiciaire. Ce motif d’appel est rejeté.

A. Faits et décision de première instance

[242] En 1998 et 1999, la FFT a déposé 46 plaintes devant la CL, alléguant 151 violations de la LLO concernant l’absence d’avis gouvernementaux dans le journal L’Aquilon. La CL Tutcho a transmis les plaintes aux ministères compétents pour qu’ils les traitent. Plusieurs d’entre eux ont reconnu leur erreur et entrepris de corriger la situation.


[243] En août 1998, la FFT a déposé une plainte portant que la CL n’avait pas publié de version française de son rapport annuel 1996 97. Celle-ci a répondu qu’elle n’y était pas tenue en vertu de la LLO puisque le rapport annuel ne constituait pas un des documents visés par l’article 11 de cette loi. En mai 2001, la FFT a déposé devant la CL une plainte au nom de M. Yvon Dominic Cousineau, un des particuliers intimés, relative à la langue de rédaction d’un manuel du conducteur professionnel et des examens de permis de conduire, classe 1.

[244] La juge de première instance a soigneusement examiné la preuve dont elle disposait relativement aux plaintes des intimés et aux réponses à ces plaintes, le cas échéant. Elle a pris en compte le mécontentement des intimés par rapport au travail de la CL et a affirmé que la majorité des plaintes déposées au sujet des avis gouvernementaux tendaient à démontrer pourquoi il est difficile en pratique d’exiger l’épuisement de tous les recours prévus par la LLO. Les plaintes ne constituaient pas des incidents isolés, et les responsabilités et pouvoirs limités de la CL pouvaient difficilement résoudre des problèmes d’une telle ampleur.

[245] Au paragraphe 653, la juge de première instance a conclu que les intimés n’étaient pas tenus de recourir à la procédure relative aux plaintes avant d’intenter la poursuite et ce, pour les raisons suivantes :

(i) [...] l’art. 32 n’exige pas un tel recours comme condition préalable à une action en justice; (ii) [...] la CL des TNO Tutcho et le sous ministre Cleveland ont privilégié le recours direct aux ministères; (iii) [...] ni la CL des TNO Tutcho ni les ministères concernés n’ont répondu systématiquement à toutes les plaintes déposées relativement aux annonces et, dans le cas de certains organismes gouvernementaux, les omissions qui faisaient l’objet de plaintes se sont répétées; (iv) [...] il n’y avait pas de preuve de suivi établi avec le MÉCF, comme c’était le cas durant le mandat de la CL des TNO Harnum (qui fournissait une copie de toutes les plaintes à l’Unité des langues officielles); (v) [...] la CL des TNO Tutcho évaluait les plaintes en fonction de la PLD, ce qui donnait peu d’espoir que les questions fondamentales soulevées par certaines des allégations de violations soient réglées d’une façon efficace dans le cadre de la procédure relative aux plaintes, et (v) [...] les recommandations de la CL des TNO Harnum étaient dans une large mesure mises de côté par le GTNO.

B. Norme de contrôle

[246] La question de savoir si les intimés étaient tenus d’épuiser les recours prévus par la LLO est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de contrôle de la décision correcte. Cependant, comme cet examen repose sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour, nous ne devons intervenir que dans la mesure où la juge de première instance a commis une erreur quant au droit applicable ou commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits.

C. Analyse

[247] L’article 15 de la LLO énonce que la CL doit exercer les pouvoirs et fonctions qui lui sont attribués en vertu de cette loi. Elle peut procéder à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite de plaintes qu’elle reçoit (art. 20), et doit instruire toute plainte légitime reçue, au sujet d’un acte ou d’une omission, d’une institution gouvernementale (art. 21).

[248] L’article 32 confère à toute personne lésée le droit de s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir réparation. À la différence de la LLOC, la LLO n’exige pas que la personne lésée dépose une plainte devant la CL avant d’entreprendre des procédures légales. Néanmoins, les appelants font valoir que, dans le but de préserver l’intégrité de la procédure d’instruction des plaintes de la LLO, la juge de première instance aurait dû encourager les intimés à recourir d’abord à ce processus. Ils citent le juge Beetz qui, s’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la page 595, 96 D.L.R. (3d) 14 (ci-après Harelkin), a dit :

Les alinéas 78(1)c) et 33(1)e) sont à mon avis dictés par l’intention générale de la législature qui préfère que les plaintes internes soient jugées à l’intérieur même de l’université par les moyens prévus à la Loi, laissant ainsi à l’université la chance de corriger ses propres erreurs, conformément à l’autonomie traditionelle [sic] des universités, avec célérité et moyennant des frais peu élevés pour le public et les membres de l’université. Bien qu’elles n’équivalent pas à des clauses privatives, des dispositions comme les art. 55, 66, 33(1)e) et 78(1)c) préviennent clairement les cours de faire preuve de réserve et de ne pas se hâter à intervenir dans les affaires de l’université en émettant des brefs discrétionnaires chaque fois que l’université peut encore corriger ses erreurs par ses propres moyens.

[249] Par opposition à la loi applicable dans l’arrêt Harelkin, la LLO ne contient ni clause privative ni mécanisme d’appel des recommandations de la CL.

[250] Il appartient aux tribunaux de déterminer si le recours prévu par la loi est approprié. Ceux-ci doivent « identifier et _mettre_ en équilibre les facteurs applicables à l'examen du caractère approprié du recours », comme l’a affirmé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, 61 D.L.R. (4th) 604, au paragraphe 58. Il ajoute un peu plus loin :

[D]ans les cas où le Parlement n’a pas édicté explicitement que le recours prévu dans la loi est l’unique ou l’exclusif recours pouvant être exercé, l’exclusivité ne pourra jamais être automatiquement présumée. Pour déterminer le rôle constitutionnel des tribunaux dans de tels cas, il faut partir du principe que ces derniers ne devraient pas s’incliner devant des voies de redressement inadéquates pour les droits conférés aux citoyens par la loi ou la common law. ...


[251] La LLO ne comporte aucune clause privative semblable à celle de l’article 77 de la LLOC. En conséquence, on ne saurait présumer de l’exclusivité du recours. Il appartenait à la juge de première instance d’apprécier le caractère approprié des recours prévus par la LLO et elle a eu raison de conclure qu’il n’était pas approprié en l’espèce d’exiger l’épuisement des recours prévus par la LLO avant d’entreprendre d’autres procédures. Rien ne permet à la Cour de modifier la conclusion selon laquelle il n’y avait pas aux termes de la LLO de recours appropriés.

XI. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LA LLO EXIGEAIT LA DIFFUSION DES DÉBATS DE L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE ET LA PUBLICATION DU JOURNAL DES DÉBATS EN FRANÇAIS (HANSARD) ? A T ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QU’ILS NE SONT PAS ASSUJETTIS AU PRIVILÈGE DE LA LÉGISLATURE?

A. Décision de première instance

[252] Au paragraphe 763, la juge de première instance a déterminé que l’Assemblée est le siège d’une institution gouvernementale au sens du paragraphe 11(1) de la LLO. Elle a ajouté que la diffusion des débats constitue un service ou une communication de l’Assemblée qui, s’il est offert en anglais, doit également l’être en français.

[253] Au moment d’apprécier la question de savoir si, aux termes de la LLO, il est exigé que le Journal des débats (Hansard) soit publié en français, la juge de première instance a brièvement résumé la question au paragraphe 744: le Journal des débats est-il visé par les termes anglais « records and journals » et les termes français « archives, comptes rendus et procès verbaux » employés au paragraphe 7(1)? La preuve démontre que cette question, à savoir si le GTNO a l’obligation légale de publier le Journal des débats en français, constitue depuis longtemps un point de discorde.

[254] La juge de première instance a souligné au paragraphe 484 que le Journal des débats est une transcription presque textuelle des discours et débats de l’Assemblée, tandis que les « votes et procédures » contiennent la liste réelle des documents déposés. Par abonnement ou sur le site Web de l’Assemblée, le Journal des débats n’est disponible qu’en version anglaise, alors que les _ votes et procédures _ sont publiés dans les deux langues. La juge de première instance a tenu compte de la preuve relative aux origines du Journal des débats selon laquelle la transcription textuelle des discours des membres de l’Assemblée ne constitue pas un compte-rendu officiel des procédures.  Elle a également tenu compte du fait que, selon le libellé des Rules of the Northwest Territories Legislative Assembly (le [TRADUCTION] « Règlement de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest », ci¬-après le « Règlement »), le président est tenu de publier le Journal des débats, ce qui confère donc à celui ci un statut officiel.


[255] Au paragraphe 755 de sa décision, la juge de première instance a consulté différents dictionnaires et a conclu que, selon les définitions, les termes « records » et « archives » correspondent à un même concept, tout comme les termes « journal » et « procès verbal ». Elle a souligné que la version française du paragraphe 7(1) emploie les termes additionnels « comptes rendus » qu’elle propose de rendre en anglais par « report », « record » ou « minutes ». La juge indique que, sur le site Web de l’Assemblée, le Journal des débats est décrit par les termes « compte rendu » en français et « report » en anglais et elle conclut que le Journal des débats est visé par les termes « comptes rendus » et « records » employés dans la LLO: au paragraphe 756.  Elle affirme ce qui suit :

[758] Selon moi, le sens du terme « compte rendu » correspond parfaitement à la nature du Hansard qui est tenu et publié aux TNO. D’ailleurs, une telle interprétation est conforme aux principes d’interprétation des droits linguistiques enchâssés; elle respecte la règle d’interprétation fondamentale voulant que soit recherchée l’intention du législateur et elle tient compte du fait que le constituant a adopté une expression additionnelle légèrement différente de celle figurant à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[759] Pour ces motifs, je conclus que, quoi qu’il en soit des origines du Hansard, cette publication constitue actuellement un compte rendu officiel du travail de l’Assemblée législative et que, par conséquent, le Hansard est couvert par l’expression « archives, comptes rendus et procès verbaux » de l’art. 7 de la LLO des TNO.

[256] La juge de première instance a ajouté au paragraphe 760 que, s’il advenait que sa conclusion relative au paragraphe 7(1) de la LLO soit erronée, le Journal des débats devait tout de même être publié en français en application de l’article 8 de la LLO qui vise les « actes écrits qui s’adressent au public et qui sont censés émaner de la Législature ». L’un des motifs étayant cette conclusion était que le Journal des débats constitue un moyen de communiquer au public les travaux quotidiens de l’Assemblée.

B. Norme de contrôle

[257] Les deux premiers aspects de ce motif d’appel soulèvent des questions d’interprétation législative constituant des questions de droit susceptibles de contrôle par l’application de la norme de la décision correcte. S’il s’agit d’un sujet visé par un privilège de la législature, les tribunaux n’ont pas compétence pour l’examiner : Canada (Chambres des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667, au paragraphe 11 (« Vaid »). Aussi, les questions de compétence doivent être examinées selon la norme de contrôle de la décision correcte: Phillips c. Avena, 2006 ABCA 19, 384 A.R. 34, au paragraphe 60. En conséquence, le troisième aspect de ce motif d’appel, soit la question de savoir si une matière constitue un privilège de la législature, constitue également une question de droit susceptible de contrôle par l’application de la norme de la décision correcte.


C. Analyse

[258] Tel qu’indiqué aux paragraphes 59, 143, 153 et 154 de la présente décision, plusieurs principes d’interprétation législative sont particulièrement utiles pour l’examen des deux premièrs volets du présent motif d’appel. Premièrement, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Deuxièmement, il faut, au moment d’interpréter une loi bilingue, rechercher le sens commun aux deux versions. Troisièmement, il convient de tenir compte des lois provenant d’autres ressorts sur le même sujet. Bien qu’il n’y ait aucune présomption de cohérence des lois entre elles, l’usage des mêmes termes dans des lois issues de compétences différentes peut indiquer que l’intention était de leur conférer le même sens.

[259] Commençons par l’interprétation législative des articles 7, 8 et 11(1) de la LLO afin de déterminer si, à première vue, l’une ou l’autre de ces dispositions prévoit que la diffusion des débats de l’Assemblée ou la publication du Journal des débats doit être faite en français. Si ce n’est pas le cas, alors aucun privilège de la législature n’est applicable. Au paragraphe 281, nous commençons l’examen de la question de savoir si, en dépit de cette interprétation, l’application du privilège de la législature fait en sorte d’écarter la possibilité d’effectuer le contrôle judiciaire des décisions de l’Assemblée dans ces deux cas.

1.    Diffusion des débats de l’Assemblée

[260] En 1999, le conseil de gestion de l’Assemblée a adopté une politique concernant la langue de travail de l’Assemblée. Cette politique prévoit qu’une période de 90 minutes des débats de l’Assemblée doit être télédiffusée en anglais. Le jour suivant, la même période de temps est télédiffusée, tour à tour et à temps égal, dans deux des autres langues officielles. Autrement dit, le français est traité, aux fins de la télédiffusion des débats, sur le même pied d’égalité que les langues autochtones.

[261] Mise à part la question du privilège, l’argument principal que soulèvent les appelants découle du paragraphe 7(3) de la LLO qui prévoit que le GTNO doit fournir « [u]ne copie de l’enregistrement sonore des débats publics de l’Assemblée législative, dans sa version originale et traduite » à toute personne qui présente une demande raisonnable en ce sens. Ils allèguent que, si le législateur avait souhaité que la diffusion des débats se fasse dans les deux langues, il l’aurait indiqué plus clairement et que l’interprétation du paragraphe 11(1) de la LLO par la juge de première instance a introduit dans la loi une exigence qui n’y est pas par ailleurs. Pour l’essentiel, l’argument consiste à affirmer que, puisque la LLO traite expressément de la disponibilité de l’enregistrement sonore des débats au paragraphe 7(3), il convient d’interpréter le paragraphe 11(1) de façon à exclure la diffusion des débats des services dont la disponibilité en anglais et en français est exigée.


[262] Cet argument peut sembler attrayant puisque, lorsqu’il y a conflit entre une disposition générale et une disposition spécifique, le conflit peut être résolu par l’application de la disposition spécifique à l’exclusion de la plus générale: BG Checo Intl. Ltd. c. B.C. Hydro, [1993] 1 R.C.S. 12, à la page 24, 99 D.L.R. (4th) 577. Toutefois, l’argument ne peut être retenu en l’espèce parce qu’il n’y a pas de conflit entre les paragraphes 7(3) et 11(1).

[263] Le droit d’obtenir les « enregistrements sonores » énoncé au paragraphe 7(3) ne peut être assimilé au droit de recevoir les « services » prévu au paragraphe 11(1). Les débats sont télédiffusés. En conséquence, le moyen d’expression employé ne correspond pas à un « enregistrement sonore ».  De plus, bien que le paragraphe 7(3) concerne les enregistrements sonores, il appartient à chaque individu de présenter une demande en ce sens. En revanche, la télédiffusion fait en sorte de rendre le service gratuit et disponible pour quiconque a accès à un téléviseur. De plus, le libellé de cette disposition, à savoir que l’enregistrement sonore est fourni à toute personne qui présente une « demande raisonnable », indique que la personne examinant la demande possède un pouvoir discrétionnaire à cet égard.

[264] Comme le droit d’obtenir une copie d’enregistrement sonore prévu au paragraphe 7(3) est plus restreint que le droit illimité de recevoir les « services » de l’administration centrale prévu au paragraphe 11(1), la Cour estime que le paragraphe 7(3) n’avait pas pour but de restreindre la portée du paragraphe 11(1). La mise en place de la politique de diffusion longtemps après l’entrée en vigueur de la LLO contribue également à réfuter tout argument portant que la politique aide à l’interprétation du paragraphe 11(1).

[265] La juge de première instance a conclu avec raison que la télédiffusion des débats équivaut à « recevoir les services ». Dans Quigley c. Canada (Chambre des communes), 2002 CFPI 645, [2003] 1 C.F. 132, appel théorique 2003 CAF 465, 314 N.R. 375, la Cour est arrivée à une conclusion similaire relativement à l’obligation de la Chambre des communes prévue à l’article 25 de la LLOC qui a pour but d’assurer que les « services offerts » par les institutions fédérales le soient dans les deux langues officielles. Dans cette affaire, le problème était que certains des fournisseurs de services n’offraient pas au public tous les signaux que la Chambre des communes avait fourni à la Chaîne d’affaires publiques par câble. La Cour fédérale a conclu que la diffusion des débats faisait partie des « services offerts » à l’article 25. Les appelants dans la présente instance n’ont donc pas insisté sur l’argument selon lequel la diffusion des débats ne constitue pas un « service ».

2. Journal des débats (Hansard)

[266] Les appelants allèguent que la juge de première instance a commis plusieurs erreurs en concluant que, à première vue, le paragraphe 7(1) exige que le Journal des débats soit publié en français. Ils font valoir qu’elle a omis de tenir compte du fait que, sous les autres législatures où il est publié dans les deux langues (telles que le Canada et le Nouveau-Brunswick), le libellé des dispositions législatives pertinentes est plus précis que celui du paragraphe 7(1). Les appelants allèguent qu’elle n’a pas appliqué les principes d’interprétation des lois bilingues parce qu’elle a omis de comparer les versions anglaise et française du paragraphe 7(1). Ils soutiennent que la preuve relative à la nature du Journal des débats appuie leur interprétation alléguée du paragraphe 7(1).


[267] Pour ce qui est de l’article 8, les appelants allèguent que la juge de première instance a donné une interprétation trop large aux « actes écrits/instruments in writing » en concluant que le Journal des débats était visé. En outre, ils allèguent que le Journal des débats n’est pas « établi » au sens de sa contrepartie en anglais « promulgated ».

[268] Les intimés répondent que les TNO constituent une juridiction bilingue puisqu’aux termes de l’article 5 de la LLO, l’anglais et le français ont un statut égal. De façon subsidiaire, bien que ce ne soit pas là le raisonnement de la juge de première instance, ils soutiennent que le Journal des débats est un « service » au sens du paragraphe 11(1). Ils allèguent également que la description du Journal des débats dans les règlements ou ailleurs appuie leur argument.

a.  L’article 7 de la LLO

[269] Pour répondre à la question à savoir si le Journal des débats est visé par le paragraphe 7(1), il faut examiner les termes anglais « records and journals of the Legislative Assembly » et les termes français « les archives, comptes rendus et procès verbaux de l’Assemblée législative ».

[270] Le tableau suivant permet de comparer ces termes et leur contrepartie en anglais dans d’autres dispositions pertinentes:

art. 7 de la LLO  «  les archives, comptes rendus et procès verbaux »
« records and journals »

par. 4(3) de la LLOC  « comptes rendus des débats et d’autres comptes rendus des travaux »
« official reports of debates or other proceedings »

art. 5 de la LLOC  « archives, comptes rendus et procès-verbaux »
« journals and other records »

art. 8 de la LLONB  « les archives, les comptes rendus, les procès-verbaux et les rapports de l’assemblée législative et de ses comités »

« the records, journals and reports of the Legislative Assembly and its committees »


par. 18(1) de la Charte Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

The statutes, records and journals of Parliament shall be printed and published in English and French and both language versions are equally authoritative.

art. 133 de la Loi constitutionnelle
de 1867    Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l'autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l'une ou de l'autre de ces langues.

Either the English or the French Language may be used by any Person in the Debates of the Houses of the Parliament of Canada and of the Houses of the Legislature of Quebec; and both those Languages shall be used in the respective Records and Journals of those Houses; and either of those Languages may be used by any Person or in any Pleading or Process in or issuing from any Court of Canada established under this Act, and in or from all or any of the Courts of Quebec.


[271] Ce résumé démontre que le paragraphe 4(3) de la LLOC fait expressément allusion aux « debates » dans la version anglaise, « débats » dans la version française, tandis que l’article 8 de la LLONB fait référence aux « reports » (« rapports ») de l’Assemblée législative. Ni la version anglaise ni la version française de la LLO ne sont aussi précises. Cela peut signifier que le législateur n’avait pas l’intention de viser le Journal des débats par l’application du paragraphe 7(1) parce que sa terminologie est plus générale que celle employée dans les autres lois en matière de langues officielles.

[272] La LLO emploie en anglais les mêmes termes que l’article 133 de la Loi constitutionelle de 1867, tandis que la version française de l’article 133 est légèrement différente puisqu’on y emploie le terme « journaux » au lieu de « compte-rendus ». La terminologie du paragraphe 18(1) de la Charte est la même que celle de la LLO, exception faite du terme « statutes » au paragraphe 18(1) de la Charte, plutôt qu’« Acts of the Legislature » à l’article 7 de la LLO. Aucune jurisprudence pertinente ne permet pour le moment d’interpréter le paragraphe 18(1) de la Charte. Comme l’a souligné la juge de première instance, la Cour d’appel du Manitoba a conclu que les termes « records and journals » employés à l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Vict., chap. 3 (Canada), semblable à l’article 133 de la Loi constitutionelle de 1867, englobent le Journal des débats : Forest c. Manitoba (Registrar of Court of Appeal) (1977), 77 D.L.R. (3d) 445, [1977] 5 W.W.R. 347 (C.A. Man.). Toutefois, la décision ne comporte aucune analyse de ce passage qui constitue une remarque incidente. Bien que la Cour suprême se soit déjà penchée sur l’article 133 de la Loi constitutionelle de 1867, elle ne s’est pas prononcée sur l’interprétation des termes « records and journals »: Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba.

[273] Afin de trancher cette question, il importe de savoir exactement ce qu’est le Journal des débats. Les appelants indiquent dans la preuve qu’il ne s’agit pas d’un « relevé officiel » : Jurisprudence parlementaire de Beauchesne : Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 6e éd. (Toronto, Carswell, 1991) à la page 8. Par ailleurs, les Règles définissent le Journal des débats à l’alinéa 2c) comme étant [TRADUCTION] « le relevé officiel publié des délibérations de l’Assemblée ». Le terme « transcription » est défini à l’alinéa 2n) comme étant [TRADUCTION] « les relevés non mis en forme des délibérations de l’Assemblée ». À l’article 103 des Règles, sous la rubrique « Journal des débats », le terme « transcription » est parfois employé. On y utilise également le terme « rapport » qui n’est pas défini, mais qui semble toujours utilisé dans le but d’assurer la justesse du contenu du Journal des débats.

[274] Les appelants font valoir que la juge de première instance a eu tort de se fier aux termes employés sur le site Web de l’Assemblée où le Journal des débats est décrit comme étant [TRADUCTION] « le compte rendu sténographique officiel des délibérations de l’Assemblée » et « le compte rendu quotidien » parce que ce site n’a pas pour but de créer des obligations légales. Cependant, il n’est pas possible de faire valoir le même argument à l’égard des Règles non traduites qui définissent le Journal des débats à titre de [TRADUCTION] « relevé officiel ». Compte tenu de cette définition, la juge de première instance n’a pas tort de conclure que, quelle qu’en soit l’origine, le Journal des débats des TNO constitue un « official record » visé par le paragraphe 7(1) de la LLO. Son appréciation selon laquelle les termes français « archives » et « comptes rendus » équivalent au terme anglais « record » appuie plus amplement son analyse.


b.  L’article 8 de la LLO

[275] Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner cette question, nous tenons à commenter la conclusion subsidiaire de la juge de première instance portant que le Journal des débats est visé par l’article 8. Que le Journal des débats soit ou non un « acte[...] écrit [...] qui s’adresse au public », l’article 8 fait référence aux actes qui « sont censés émaner de la Législature ou du gouvernement des Territoires du Nord Ouest ». La juge de première instance a conclu, au paragraphe 486, que le Journal des débats est publié sous l’autorité du président. Cette conclusion permet à elle seule de déterminer que l’article 8 n’englobe pas le Journal des débats.

[276] La définition des termes « Assemblée législative », employés aux articles 6 et 7, diffère de celle des termes « Législature ou gouvernement des Territoires du Nord-Ouest » employés à l’article 8, puisqu’ils sont utilisés dans des dispositions différentes. Cette conclusion est confirmée par la définition de « législature » au paragraphe 28(1) de la Loi d’interprétation des TNO : « [l]e commissaire agissant sur l’avis et avec le consentement de l’Assemblée législative ». Cette définition établit clairement que l’Assemblée n’équivaut pas à la législature.

[277] Le « gouvernement des Territoires du Nord-Ouest » n’est pas une expression définie dans la Loi d’interprétation des TNO. Toutefois, dans le contexte provincial, le terme « gouvernement » désigne la branche exécutive ou administrative du gouvernement, tandis que l’Assemblée est une composante de la législature, car c’est seulement avec le lieutenant gouverneur qu’elle forme la législature : New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, 100 D.L.R. (4th) 212 (« New Brunswick Broadcasting »). Dans le contexte des TNO, une approche similaire signifierait que la notion d’« Assemblée législative » n’est pas incluse dans celle de « gouvernement ».

[278] Comme ni le terme « gouvernement » ni le terme « législature » ne sont synonymes  d’« Assemblée législative », et comme le Journal des débats est une publication sous l’autorité du président, il s’ensuit que le Journal des débats n’est pas visé par l’article 8 de la LLO.

[279] Les dispositions correspondantes de la LLOC et de la LLONB diffèrent de la LLO. L’article 12 de la LLOC renvoie aux actes censés émaner d’une « institution fédérale ». Pour sa part, la LLONB contient deux dispositions similaires qui sont toutes deux libellées de façon plus générale que les dispositions de la LLO. L’article 14 fait référence aux « avis, annonces et autres pièces à caractère officiel », sans en indiquer la provenance. L’article 15 a trait aux avis, pièces ou documents dont la LLONB ou toute autre loi exige la publication « par la province ou ses institutions ». Le libellé de ces lois étaie également la conclusion selon laquelle le Journal des débats n’est pas visé à l’article 8 de la LLO.

c. Le paragraphe 11(1) de la LLO


[280] Quoi qu’il en soit, pour les motifs indiqués plus haut en ce qui concerne la diffusion des débats, la Cour souscrit à l’argument des intimés portant que la publication du Journal des débats est, au sens du paragraphe 11(1), un « service » émanant du siège ou de l’administration centrale des institutions gouvernementales qui, selon la définition de l’article 1, comprennent le Bureau de l’Assemblée législative.

3.    Privilège de la législature

[281] Comme la Cour a conclu que certaines dispositions de la LLO exigent à première vue que les débats soient diffusés en français et que le Journal des débats soit publié en français, il est nécessaire d’examiner l’effet du privilège de la législature sur l’application de cette interprétation. Dans leur mémoire, les appelants allèguent brièvement que le privilège de la législature se rattache à la fois à la publication du Journal des débats et à la diffusion des débats et qu’il peut uniquement être circonscrit par une indication claire et explicite du législateur. Ils font valoir que le libellé de la LLO n’est pas suffisamment explicite pour abroger ce privilège. Les appelants indiquent encore plus brièvement qu’ils reconnaissent que ces deux matières sont assujetties au privilège de la législature, mais estiment que l’adoption de la LLO équivalait à une renonciation expresse à ce privilège.

A. Décision de première instance

[282] La juge de première instance a rejeté l’argument des appelants selon lequel le privilège s’appliquait à la publication du Journal des débats. Au paragraphe 761, elle a conclu que s’il s’appliquait, l’Assemblée en avait circonscrit l’application en adoptant le paragraphe 7(1) de la LLO sans conditions ni restrictions. Elle a appuyé sa conclusion sur la décision Roberts c. Northwest Territories (Commissioner), 2002 NWTSC 68, [2003] 1 W.W.R. 98, au paragraphe 8 (« Roberts »), et sur le fait que la LLO établissait une obligation de résultat et était de nature réparatrice.

[283] La juge de première instance a également conclu au paragraphe 763 que, bien que le privilège de la législature autorise l’Assemblée à décider si elle diffuse ou non les débats, dès lors qu’elle a décidé de le faire, le principe de l’égalité réelle intervient et exige une diffusion équivalente en français.

[284] Compte tenu de la complexité de la notion de privilège, il est dommage que l’on y ait consacré une si faible partie de l’argumentation et de l’analyse.

B. Analyse

[285] À l’époque pertinente, le privilège de la législature des TNO était le même que celui du Parlement. Le paragraphe 12.1(1) de la Loi sur l’Assemblée législative et le conseil exécutif, L.T.N.-O. (1999), ch. 22 énonce:


En plus des droits, des privilèges, des immunités et des pouvoirs conférés par la présente loi, l’Assemblée législative, ses députés et ses comités ont les mêmes droits, les mêmes privilèges, les mêmes immunités et les mêmes pouvoirs que ceux qu’ont la Chambre des communes, ses députés et ses comités.

En plus d’être indiqué dans le préambule et à l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le privilège de la législature est énoncé aux articles 4 à 13 (rubrique « Privilèges, immunités et pouvoirs ») de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1.01, qui ont codifié le droit britannique relatif aux privilèges inhérents et d’origine législative qui existaient à l’époque de la Confédération. Cet ensemble de règles de droit comprend l’article 9 du Bill of Rights, 1689 (U.K.), 1 Will. & Mar. sess. 2, ch. 2, qui protège expressément les [TRADUCTION] « débats ou travaux du Parlement ». En conséquence, le privilège de la législature des TNO n’excède pas celui du Parlement et est fondé sur la common law.

[286] Les intimés semblent accepter le fait que la décision de l’Assemblée de diffuser les débats en français moins souvent qu’en anglais et de publier le Journal des débats uniquement en anglais est assujettie au privilège de la législature. Bon nombre de décisions et d’articles de doctrine indiquent que ces deux matières sont généralement assujetties au privilège car elles sont assimilées à des publications de travaux et au contrôle des procédures internes. (Voir, de façon générale, Vaid; New Brunswick Broadcasting; Sir William McKay, KCB, ed., Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23rd ed. (London, LexisNexis UKL 2004), à la page 111 (« Erskine May’s Treatise »); J.P. Joseph Maingot, c.r., Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd. (Ottawa : Chambre des communes, 1997) à la page 76.

[287] La question difficile soulevée en l’espèce consiste à savoir si la juge de première instance a conclu avec raison que le privilège avait été circonscrit par l’adoption de la LLO en l’absence de disposition restrictive protégeant le privilège de la législature. Bien qu’il subsiste des doutes sur cette question, la Cour conclut que la juge a commis une erreur de droit parce que le libellé de la LLO n’est pas en soi suffisamment explicite pour abroger le privilège de la législature. En l’absence de disposition expresse, on ne peut présumer qu’il y a eu abrogation du privilège de la législature. Deux motifs étayent cette conclusion.


[288] Premièrement, en common law, seule une disposition législative expresse peut abroger un privilège établi : Duke of Newcastle c. Morris (1870), L.R. 4 H.L. 661 (« Duke of Newcastle »). Il était question dans cette affaire du privilège des députés de ne pas être arrêtés pour cause de faillite. Dans une version antérieure de la loi en question, ce privilège était réservé de façon expresse. La cour devait déterminer s’il était toujours possible de se prévaloir du privilège suivant la nouvelle version de la loi dont le libellé était très général et qui n’en faisait pas mention. Le lord chancelier a souligné, à la page 667, que le privilège était issu de la common law bien qu’il soit [TRADUCTION] « protégé par des dispositions spéciales incorporées dans diverses lois du Parlement, dont les dispositions générales semblent militer contre le privilège ». Il a tout de même conclu, aux pages 671-672, que [TRADUCTION] « le privilège n’est pas abrogé parce qu’il n’est pas expressément prévu par la loi ».

[289] La décision Duke of Newcastle permet d’établir que les dispositions générales d’une loi ne permettent pas d’écarter un privilège établi, même lorsque ce privilège a été réservé de façon expresse dans une version antérieure de la même loi. Cette conclusion est encore plus convaincante lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le privilège en question n’a pas été réservé par une disposition législative.

[290] Ce principe a rarement été débattu au Canada. Dans Roberts, citée par la juge de première instance, la cour ne se penche pas sur la décision Duke of Newscastle. La décision Roberts se distingue de la présente espèce pour plusieurs motifs, notamment en raison du fait qu’on y conclut que les actes reprochés n’étaient pas assujettis au privilège de la législature.

[291] La décision Roberts a été distinguée, mais non suivie, dans la décision March c. Hodder, 2007 NLTD 93, 62 Admin. L.R. (4th) 281 (« March ») où la loi autorisait l’Assemblée législative à adopter une résolution abolissant le poste de représentant des citoyens à l’Assemblée. Rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par le représentant des citoyens, le juge Orsborn a indiqué au paragraphe 86 : [TRADUCTION] « la loi peut effectivement circonscrire le domaine d’assujettissement au privilège, mais [...] pour ce faire, le libellé de la disposition doit être clair ». Il n’a pas mentionné expressément la décision Duke of Newcastle.

[292] Cette décision a toutefois été mentionnée au paragraphe 80 de Vaid, où la Cour suprême du Canada a indiqué que la présomption établie par Duke of Newcastle allait à l’encontre des principes modernes d’interprétation des lois. Elle a cependant refusé d’appliquer le privilège allégué dans cette affaire au motif qu’il était de portée trop générale. En effet, cette présomption n’a même pas été alléguée en ce qui a trait au privilège de la législature, mais relativement à la question de savoir si les lois fédérales en matière de droits de la personne s’appliquent aux employés du Parlement.

[293] Dans certaines lois, l’intention d’abroger ou de retirer un privilège est énoncée explicitement. Bien que les exemples suivants concernent des privilèges autres que les privilèges de la législature, ils démontrent de quelle façon il est possible d’exprimer une intention d’abroger un privilège:

[TRADUCTION]
Aucune règle de droit, loi ou pratique du Parlement n’empêche le dépôt de procédures devant un tribunal industriel suivant la Partie II ou devant une cour de justice suivant la Partie III.

Disability Discrimination Act 1995 (U.K.), 1995, ch. 50, paragraphe 65(5)

[TRADUCTION]

Aucune règle de droit, loi ou pratique du Parlement n’empêche un membre du personnel de la Chambre des communes de présenter, devant la haute cour ou devant une cour provinciale - a) une demande découlant d’un contrat d’emploi ou de tout autre contrat lié à son emploi ou b) une demande fondée sur la responsabilité délictuelle liée à son emploi.

Employment Rights Act 1996 (U.K.), 1996, ch. 18, paragraphe 195(4)

[TRADUCTION]
Nonobstant toute autre loi ou privilège établi, le tribunal peut, dans le cadre d’un appel, examiner tout document en la possession ou sous le contrôle d’une institution gouvernementale et aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

The Freedom of Information and Protection of Privacy Act, S.S. 1990 91, ch. F 22.01, s. 58(2)

[294] Un deuxième motif, connexe, appuie notre conclusion selon laquelle le privilège législatif n’est pas abrogé par une disposition législative générale, découle de l’opinion exprimée par la Cour suprême sur le rôle de ce privilège, notamment sur l’interaction appropriée entre les tribunaux et les législatures et sur le fait que même la Charte n’a pas pour effet d’abroger un privilège législatif.

[295] Ces questions sont analysées en détail dans les arrêts Vaid et New Brunswick Broadcasting, où la Cour suprême a expliqué que chaque branche du gouvernement doit respecter le domaine légitime de compétence de l’autre. Les privilèges ont pour but de permettre aux organismes législatifs d’exercer leurs fonctions. Pour être efficaces, ces privilèges « doivent être détenus d’une façon absolue et constitutionnelle; la branche législative de notre gouvernement doit jouir d’une certaine autonomie à laquelle [...] les tribunaux ne peuvent porter atteinte » (New Brunswick Broadcasting, paragraphe 117). Au paragraphe 120 de New Brunswick Broadcasting, la Cour a cité favorablement l’ouvrage Erskine May’s Treatise qui énonce que [TRADUCTION] « le privilège, bien qu’il fasse partie de la loi du pays, constitue dans une certaine mesure une exemption de l’application des lois générales ». Au paragraphe 126 de la même décision, la Cour a résumé ainsi les principes juridiques applicables :

En résumé, il semble évident que, du point de vue historique, les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels. Les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise.

[Non souligné dans l’original.]


[296] Dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, la Cour devait déterminer si la Charte empêchait l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse d’exclure les médias de son enceinte. La majorité a conclu que, comme l’Assemblée avait le droit constitutionnel de faire ce qu’elle a fait, la Charte ne pouvait supprimer ce droit « en vertu du principe qu’une partie de la Constitution ne peut en abroger une autre »: au paragraphe 144. Cette conclusion a clairement été réitérée au paragraphe 30 de Vaid. En outre, au paragraphe 34, le juge Binnie a cité avec approbation la proposition faite dans la décision Bradlaugh c. Gossett (1884), 12 Q.B.D. 271 selon laquelle la législature ne peut être soumise au contrôle judiciaire des tribunaux [TRADUCTION] « lorsqu’elle applique les dispositions législatives ayant trait à sa procédure interne ».

[297] Si même la Charte ne peut empêcher l’exercice d’un privilège de la législature et si les tribunaux n’ont pas le pouvoir de contrôler les décisions assujetties au privilège, nous estimons que l’adoption d’une loi de portée générale (telle que la LLO) ne suffit pas pour étayer la conclusion selon laquelle il y a eu abrogation du privilège de la législature. En l’espèce, l’Assemblée a pris une décision explicite concernant la mesure dans laquelle les débats seraient diffusés en français et une décision implicite de ne pas publier le Journal des débats en français. Ces décisions sont protégées par le privilège.

[298] Lors de l’audition de l’appel, mais plus particulièrement dans la correspondance reçue subséquemment de certains avocats, un débat a porté sur l’effet de l’arrêt Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes), 2007 CAF 308, [2007] A.C.F. no 1474, demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée [2008] C.S.C.R. no 26. En particulier, les avocats des appelants et du PGC ne s’entendaient pas sur la question de savoir si la Cour d’appel fédérale avait déterminé qu’aux termes du paragraphe 4(1) de la LLOC, le Parlement avait abrogé son privilège. À notre avis, Knopf ne peut être interprété en ce sens. Il ressort clairement des paragraphes 10 et 19 de la décision qu’aucune conclusion n’est rendue relativement au privilège. La Cour d’appel se demandait plutôt s’il y avait eu atteinte aux droits de Knopf garantis par le paragraphe 4(1) de la LLOC (le droit d’employer le français ou l’anglais dans les débats et travaux du Parlement) lorsque le comité devant lequel il a comparu et produit des documents en anglais a choisi de ne pas les distribuer aux membres du comité. En remarque incidente, la juge de la Cour fédérale a conclu que la décision du comité échappait à l’examen des tribunaux parce que « la distribution des documents tombe sous le coup du privilège parlementaire du Comité de contrôler sa procédure interne », 2006 CF 808, 144 C.R.R. (2d) 155, au paragraphe 59. La Cour d’appel fédérale n’a fait aucun commentaire à ce sujet. En conséquence, nous rejetons toute allégation portant que la cour a conclu, implicitement, que le libellé du paragraphe 4(1) de la LLOC équivalait à une abrogation par le Parlement de son privilège.

D. Résumé


[299] Aux termes du paragraphe 11(1), le GTNO est tenu de diffuser les débats législatifs en français dans la même mesure qu’il le fait en anglais, et le Journal des débats est visé par les termes employés aux paragraphes 7(1) et 11(1), mais non à l’article 8. Toutefois, le privilège de la législature sur les décisions concernant la publication du Journal des débats et la diffusion des débats n’a pas été abrogé du simple fait de l’adoption de la LLO. En conséquence, les décisions de l’Assemblée qui ont trait à la langue employée dans ces cas ne sont pas susceptibles de contrôle par les tribunaux.

X. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN OCTROYANT AUX INTIMÉS LES DÉPENS SUR UNE BASE PROCUREUR-CLIENT?

[300] Les appelants allèguent que la juge de première instance a exercé incorrectement son pouvoir discrétionnaire en accordant des dépens sur une base procureur-client. Ils soutiennent qu’aucun des facteurs sur lesquels elle s’est fondée ne justifient son ordonnance et qu’elle a omis de tenir compte de la conduite « répréhensible » des intimés et de leur manque de collaboration avec le GTNO dans la mise en oeuvre de la LLO.

A. Décision de première instance

[301] La juge de première instance a traité de la question des dépens aux paragraphes 961 et suivants. S’appuyant sur l’arrêt Arsenault Cameron, elle a indiqué que l’allocation des dépens peut constituer une réparation convenable et juste, suivant le paragraphe 24(1) de la Charte.

[302] Au paragraphe 963, elle a énuméré les raisons qui étayent l’octroi des dépens sur une base procureur-client. Ces raisons comprennent notamment les efforts vigoureux de la FFT pour trouver une solution politique avant de s’engager dans un recours judiciaire; le défaut du GTNO de suivre les recommandations des divers consultants, notamment quant à la nécessité d’un plan d’action global, d’une approche centralisée, d’un centre de services de guichet unique et d’un règlement visant à désigner les institutions gouvernementales qui tombent sous le coup de la LLO; les questions fondamentales d'intérêt public soulevées par le litige et le fait que les intimés ont ménagé leurs ressources en employant un seul procureur pour les besoins du procès. La juge a également tenu compte de l’incapacité pour les intimés de démontrer la mauvaise foi du GTNO, indiquant qu’il avait été difficile pour eux d’obtenir des renseignements fiables sur les accords de financement intervenus entre les deux gouvernements. Elle a estimé que l’octroi des dépens faisait partie des réparations convenables et justes en application du paragraphe 32(1) de la LLO : paragraphes 961, 963, 969 et 971. La juge de première instance a en outre affirmé qu’elle tiendrait compte, au moment de l’allocation des dépens, des violations à la LLO subies par la FFT, bien qu’elle n’ait pas jugé opportun d’octroyer des dommages-intérêts dans les circonstances : au paragraphe 295 (voir l’analyse du pourvoi incident au paragraphe 359).

B. Norme de contrôle


[303] Le juge de première instance dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui concerne l’adjudication des dépens : Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, au paragraphe 86 (« Mackin »). Il est permis à une cour d’appel d’intervenir uniquement lorsqu’elle estime que le juge de première instance a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits ou s’est fondé sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable: Okanagan, paragraphe 43

C. Analyse

[304] Les dépens procureur-client ne doivent être adjugés « que si le comportement de la partie déboutée rend l’affaire inhabituelle »: Winters c. Legal Services Society, [1999] 3 R.C.S. 160, au paragraphe 79, 177 D.L.R. (4th) 94. Les dépens sur une base procureur-client ont été adjugés dans le cas où les défendeurs ont enfreint les droits garantis par la Constitution sans motif légitime et ce, même en l’absence de mauvaise foi : Arsenault-Cameron, au paragraphe 63, rétablissant l’adjudication des dépens sur une base procureur-client ordonnée en première instance : Arsenault-Cameron c. Prince Edward Island, [1997] P.E.I.J. no 7. L’intérêt public d’une affaire justifie parfois l’adjudication des dépens sur une base procureur-client : Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, à la page 80, 88 D.L.R. (4th) 1 (« Oldman River Society »); Nouveau Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au paragraphe 109, 88 D.L.R. (4th) 1.

[305] Les appelants font valoir qu’ils ne devraient pas être pénalisés pour la position qu’ils ont adoptée quant à leurs obligations en vertu de la LLO, puisqu’il s’agit du premier litige qui met en cause ces obligations. À cet égard, ils font la distinction entre leur situation et celles des décisions Arsenault Cameron et Doucet Boudreau, où les obligations que les défendeurs avaient refusé de respecter avaient déjà été définies dans le cadre de litiges antérieurs.

[306] Il est vrai que la présente affaire se distingue en quelque sorte des décisions Arsenault Cameron et Doucet Boudreau, où il existait une jurisprudence antérieure relative au droit à l’éducation dans la langue française suivant l’article 23 de la Charte. Néanmoins, il convient de souligner que, dans Arsenault Cameron, la Cour suprême a confirmé la décision du juge de la cour de première instance en ce qui a trait à l’octroi des dépens sur une base procureur-client dans des circonstances où ce dernier avait clairement indiqué que l’octroi des dépens faisait partie d’une réparation convenable.


[307] Les motifs énoncés par la juge de première instance montrent clairement qu’elle estimait que  l’attribution des dépens sur une base procureur-client constituait une réparation convenable selon le paragraphe 32(1) de la LLO. Les motifs à l’appui de cette réparation incluaient les efforts de la FFT à trouver une solution politique avant d’introduire un recours judiciaire et le fait que le GTNO avait omis d’adopter un plan d’action global ou de mettre en oeuvre d’une façon ou d’une autre les nombreuses recommandations reçues concernant l’application efficace de la LLO. La juge de première instance a tenu compte de ces facteurs au moment de conclure que la réparation convenable incluait des dépens sur une base procureur-client. Comme elle n’a commis aucune erreur de droit ou de principe pour parvenir à cette conclusion, nous ne pouvons intervenir : Doucet-Boudreau, au paragraphe 87.

[308] La Cour estime que l’argument des appelants, selon lequel la juge de première instance n’a pas donné l’occasion aux parties de faire des représentations au regard des dépens, est sans fondement. Les dépens sur une base procureur-client ont été expressément demandés dans la déclaration modifiée. Les intimés ont fait valoir cet argument dans leurs mémoires. Rien n’indique que les appelants aient demandé une occasion additionnelle pour discuter de cette question. Les appelants n’ont été ni surpris ni privé d’une occasion de présenter des observations.

[309] En ce qui concerne l’argument des appelants au sujet des offres, les intimés soulignent que les Règles des TNO contiennent des dispositions claires encadrant la formulation des offres de règlement (voir les Régles 193 à 206). En l’espèce, aucune offre de réglement n’a été faite.

[310] De façon similaire, l’argument des appelants portant que la juge de première instance a omis de tenir compte de la conduite des intimés n’est pas fondé. Dans leur mémoire, les appelants font état de la longue, et parfois acrimonieuse, relation des parties. La juge de première instance a manifestement adopté un point de vue différent sur cette relation, qui favorisait de façon générale les intimés. L’appréciation des faits constitue une partie importante de son rôle et nous ne pouvons intervenir puisque cette appréciation ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.

[311] Aucun motif ne nous permet de modifier la décision de la juge de première instance concernant l’adjudication des dépens.

XI. CONCLUSION DE L’APPEL

[312] À notre avis, la preuve soumise et le droit applicable étayent tous deux l’ensemble de la décision de la juge de première instance d’accorder un redressement structurel qui donne des directives bien précises au GTNO quant à la façon dont il doit remplir ses obligations de mise en oeuvre de la LLO.


[313] Bien que la juge ait commis une erreur en fondant son analyse sur une notion de droit civil au moment de définir les paramètres de l’égalité réelle, cela n’a pas affecté le bien-fondé de son approche générale. Même si elle a adopté correctement une approche contextuelle de l’égalité réelle, en appliquant cette notion au paragraphe 11(1), elle n’a pas accordé le poids qui convenait à la situation particulière des TNO, notamment à la composition et l’emplacement de sa population, aux défis que posent même la prestation de services élémentaires et la nature des services demandés. La juge de première instance a erronément conclu que le libellé du paragraphe 11(1) exigeait qu’une offre active soit faite, bien qu’il soit en général nécessaire de faire une offre active lorsque les services sont de nature urgente ou confidentielle. Son interprétation de l’article 8 était correcte, mais mal appliquée au regard de M. Cousineau. Elle a également commis une erreur en lui accordant des dommages-intérêts pour les violations précises alléguées, mais non plaidées de façon explicite. La juge de première instance a déterminé avec raison que la PLD n’avait pas pour effet de créer des obligations légales. Cependant, en fondant son appréciation sur celle-ci, elle est parvenue à des conclusions inadéquates en ce qui concerne les allégations des particuliers intimés.

[314]  Elle a conclu avec raison que les intimés n’étaient pas tenus d’épuiser les recours prévus par la LLO.

[315] L’ interprétation faite du paragraphe 11(1) de la LLO, selon laquelle les débats législatifs diffusés en anglais devaient être diffusés de façon similaire en français, était également correcte. Les articles 7 et 11(1) emportent un résultat similaire en ce qui a trait à la publication du Journal des débats. Toutefois, la notion du privilège de la législature soustrait du contrôle judiciaire les décisions de l’Assemblée législative concernant ces deux questions. La juge de première instance n’a pas commis d’erreur relativement à l’adjudication des dépens.

[316] L’appel est donc accueilli en partie. Plus précisément, les modifications suivantes sont apportées au dispositif du jugement:

- le paragraphe C(1) est modifié par l’ajout à la fin de « lorsque les services sont de nature urgente ou confidentielle »;
- le paragraphe C(3) est annulé;
- le paragraphe D(4)a) est modifié par l’ajout des termes « s’il y lieu » après « services » à la deuxième ligne;
- le paragraphe D(4)k) est modifié par le retrait de la première ligne et des deux premiers termes de la deuxième ligne;
- le paragraphe D(6) est annulé;
- les paragraphes E(1), (4) et (5) sont annulés.

LE POURVOI INCIDENT

[317] Les questions suivantes sont soulevées dans le pourvoi incident :

1. La juge de première instance aurait-elle dû trancher la question de l’application de la Charte?

2. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en concluant que le GDC n’a pas enfreint la Partie VII de la LLOC?

3. La juge de première instance a-t-elle commis un erreur en refusant d’octroyer des dommages-intérêts à la FFT et à L’Aquilon?


4. La juge de première instance a-t-elle commis une erreur en refusant d’octroyer des dommages-intérêts punitifs?

XII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE AURAIT-ELLE DÛ TRANCHER LA QUESTION DE L’APPLICATION DE LA CHARTE?

[318] Les appelants au pourvoi incident sollicitent solidairement réparation contre les intimés au pourvoi incident et le PGC. Aux premiers, ils reprochent des violations de la LLO et des articles 16 à 20 de la Charte. En ce qui concerne le second, leur demande est fondée sur la LLOC et les articles 16 à 20 de la Charte.

A. Décision de première instance

[319] La juge de première instance a déterminé qu’il était inutile d’examiner les revendications en application de la Charte. En ce qui concerne les revendications des intimés au pourvoi incident, elle a dit que, comme les articles 4 à 11 de la LLO prévoient des garanties similaires à celles des articles 16 à 20 de la Charte et comme les mêmes mesures de redressement sont offertes aux paragraphes 32(1) de la LLO et 24(1) de la Charte, il lui appartenait de décider de trancher l’affaire sur des motifs non-constitutionnels.

[320] Au paragraphe 131, la juge de première instance affirme que cette conclusion était renforcée par l’article 43.1 de la LTNO qui « enchâss[e] aux TNO un régime de bilinguisme obligatoire ». En adoptant cet article, le Parlement s'est assuré que les droits garantis par la LLO ne seront pas limités par l’abrogation ou la modification de celle ci. Au paragraphe 849, elle a conclu que la LLO et l’article 43.1 de la LTNO constituent des réponses législatives à l’initiative de la Charte visant à protéger et à promouvoir les deux langues officielles dans tout le Canada. En conséquence, le Parlement était en droit de s’attendre à ce que la LLO soit appliquée par le GTNO d’une manière conforme à la Charte et que, sinon, la LLO fournirait un recours efficace qui concorde avec les recours de la Charte.


[321] Les appelants au pourvoi incident alléguent que le GDC a failli à ses obligations de trois façons. Premièrement, il a accepté à deux occasions de modifier la LTNO de sorte à reporter la mise en oeuvre du français à titre de langue officielle dans les TNO. Sur ce point, la juge de première instance a conclu qu’il n’avait pas été prouvé que ces retards étaient la source des violations. Deuxièmement, les appelants au pourvoi incident font valoir qu’en réduisant son financement, le GDC a failli à son obligation de fournir des services en français. La juge de première instance a déterminé au paragraphe 854 que la pénurie de fonds découlant des réductions par le gouvernement fédéral de fonds sous l’entente était le résultat de l’absence d’un plan global et non pas de gestes du GDC. Enfin, les appelants au pourvoi incident alléguent que, en adoptant une attitude passive face à la situation déficiente qui persistait aux TNO, le GDC a violé son engagement de favoriser l’épanouissement de la minorité francophone aux TNO comme l’exige le paragraphe 16(3) de la Charte. La juge de première instance a conclu que le GDC avait satisfait à son obligation puisque c’est son initiative qui a abouti à l’instauration du régime actuel en matière de bilinguisme aux TNO.

[322] En résumé, la juge a conclu que l’ensemble des violations alléguées étaient causées par des manquements au niveau territorial et que la preuve dont elle était saisie ne démontrait pas de violations au niveau fédéral. Compte tenu de ces conclusions, elle a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question de savoir si les dispositions linguistiques de la Charte s’appliquaient aux TNO.

B. Norme de contrôle

[323] Les appelants au pourvoi incident et le CLOC soutiennent que l’omission de la juge de première instance d’examiner la question constitutionnelle constitue une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Nous ne sommes pas de cet avis.

[324] Lorsqu’il est possible de trancher une question à la fois sur le fondement de moyens constitutionnels et non-constitutionnels, un juge de première instance a la discrétion de choisir sur quelle base il entend trancher l’affaire. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est contesté. Le critère applicable consiste à déterminer si le juge de première instance a accordé suffisamment d’importance à toutes les considérations pertinentes : Oldman River Society, aux paragraphes 103-104; Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, aux pages 404-405, 116 D.L.R. (4th) 61. La conclusion de la juge de première instance portant que le GDC n’est pas la source des violations est susceptible de contrôle judiciaire si elle a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits : Okanagan, au paragraphe 43.

C. Analyse

1.  Application de la Charte aux allégations contre le GTNO

[325] Les appelants au pourvoi incident font valoir que la décision de la juge en matière de réparation n’aurait pas été différente si elle avait appliqué la Charte. Toutefois, ils allèguent que des principes d’interprétation différents seraient applicables en ce qui concerne l’examen de la conduite du gouvernement. En outre, ils demandent que soit tranchée la question de savoir si le GTNO est  « une institution du Parlement et du gouvernement du Canada » au sens du paragraphe 16(1) de la Charte.

[326] La LLO est une loi de statut supérieur à d’autres. Tel que discuté au paragraphe 60, elle est de nature quasi-constitutionnelle et doit être interprétée conformément aux principes employés pour l’interprétation de la Charte. C’est précisément ce qu’a fait la juge de première instance.


[327] Par ailleurs, comme l’ont soumis les intimés au pourvoi incident, la présente affaire n’a pas pour but de déterminer s’ils ont une obligation envers les appelants au pourvoi incident. Ils reconnaissent avoir une telle obligation. Il s’agit en l’espèce de déterminer quelle est la portée de cette obligation et s’il y a eu manquement à celle-ci. Les intimés au pourvoi incident soutiennent qu’il n’est pas important de déterminer si ces questions doivent être examinées à la lumière de la LLO ou de la Charte puisque le résultat est le même.

[328] Nous sommes également de cet avis. La présente affaire peut être tranchée sur la base de motifs non-constitutionnels, d’un motif constitutionnel ou sur la base des deux à la fois. Il est approprié de faire preuve de retenue judiciaire lorsque la décision peut être rendue sur le fondement d’un motif non-constitutionnel : P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, édition à feuillets mobiles (Scarborough, Carswell, 1997), 56-21; R.J. Sharpe, « Mootness, Abstract Questions and Alternative Grounds: Deciding whether to Decide », R.J. Sharpe ed., Charter Litigation (Toronto, Butterworths, 1987) à la page 329; R. c. Skoke-Graham, [1985] 1 R.C.S. 106, aux pages 121-122, 16 D.L.R. (4th) 321.

[329] La juge de première instance a appliqué les bons principes de droit. Elle a tenu compte des facteurs pertinents, soulignant que le résultat aurait été le même si l’affaire avait été analysée suivant la Charte. Elle a appliqué les bons principes d’interprétation à la LLO. Elle n’a pas commis d’erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

2.  Application de la Charte aux allégations contre le PGC

[330] La juge de première instance s’est penchée sur la question de l’application de la Charte en analysant l’affaire sur le fond pour déterminer la teneur des obligations, l’existence de violations et la source de celles-ci le cas échéant. Elle a tenu compte des allégations portées contre le PGC et a conclu qu’aucune des violations alléguées n’était la source des préjudices subis par les appelants au pourvoi incident. La juge a donc déterminé qu’il était inutile d’examiner la question de la Charte.

[331] Les appelants au pourvoi incident font valoir que la juge de première instance a adopté une mauvaise approche, mettant la charrue devant les boeufs. Ils affirment qu’elle aurait d’abord dû examiner la question de la Charte. Comme elle ne l’a pas fait, le GDC a pu nier sa responsabilité en matière de droits linguistiques aux TNO. Le CLOC souscrit à cet argument.

[332] La juge de première instance a conclu que le GDC n’était pas tenu d’employer une solution unique pour satisfaire aux obligations prévues par la Charte. Même si le Parlement avait l’obligation de légiférer quant à l’instauration d’un régime de bilinguisme officiel aux TNO, il « dispos[ait] néanmoins d’une marge de manoeuvre » : au paragraphe 844.


[333] Nous sommes d’accord. Le GDC n’a pas abdiqué sa responsabilité. À la suite de négociations avec le GTNO, il a été entendu que ce dernier était en mesure d’adopter sa propre LLO, dans la mesure où celle-ci était compatible avec les articles 16 à 20 de la Charte. Par l’adoption de l’article 43.1 de la LTNO, le Parlement visait à s’assurer que le GTNO ne porte pas atteinte unilatéralement aux droits linguistiques. La juge de première instance s’est soigneusement penchée sur la relation entre les deux paliers de gouvernement après avoir examiné une preuve abondante relativement aux contributions, financières ou autres, du GDC. C’est sur la base de cet examen qu’elle a déterminé si elle devait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’application de la Charte. À notre avis, elle n’a pas commis d’erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[334] Par ailleurs, son approche n’était pas erronée. En procédant à l’analyse de la première source de violations et à l’examen de la responsabilité du GDC à cet égard, la juge de première instance a judicieusement employé les ressources judiciaires. Ses conclusions quant au lien de causalité ont rendu inutile l’examen des questions relatives à l’application de la Charte.

[335] Les appelants au pourvoi incident ont contesté les conclusions de la juge de première instance sur cet aspect, mais chaque conclusion est amplement étayée par la preuve. Les retards antérieurs à 1994 en matière de mise en oeuvre de la LLO étaient sans lien de causalité avec les violations auxquelles elle a conclu.

[336] En ce qui concerne la réduction du financement fédéral, M. Louis Chagnon, directeur du ministère du Patrimoine canadien pour le Manitoba et le Nunavut (et directeur intérimaire pour la Saskatchewan et les TNO) a témoigné que le GDC a versé plus de 40 millions de dollars sur une période de 20 ans pour financer les services en français dans les TNO. Depuis 1989, le GDC attendait que le GTNO élabore un plan global de mise en oeuvre pour étayer ses demandes de financement. En l’absence d’un plan global, le GDC ne pouvait justifier l’augmentation du financement. M. Chagnon a également affirmé qu’en 1997, le GDC a même dû refuser la demande du GTNO de transférer au budget des langues autochtones 100 000 $ du budget de 1,6 M$ consacrés aux services en français. En d’autres mots, le GTNO souhaitait affecter les fonds disponibles pour les services en français à d’autres fins.

[337] Lors des débuts de la LLO, des sommes importantes du financement fédéral allaient aux services de traduction des lois et règlements des TNO ainsi qu’à la mise en oeuvre de programmes. Lorsque la traduction a été terminée, le financement a été réduit d’environ 10 %. Ces réductions étaient toutefois universelle et ne touchaient pas uniquement les programmes de langue française. La preuve soumise appuyait la conclusion de la juge de première instance selon laquelle les réductions de financement n’étaient pas la cause de l’absence de services.


[338] Pour conclure sur cette question, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à savoir, de trancher cet aspect de la présente affaire sur des motifs non constitutionnels. Elle a appliqué les bons principes de droit et a accordé suffisamment de poids aux considérations pertinentes. L’application de la Charte aurait été théorique compte tenu des conclusions auxquelles elle était parvenue en ce qui concerne les sources des violations. Les appelants au pourvoi incident allèguent que le tribunal devrait toujours examiner une question constitutionnelle, même si elle est théorique. Cependant, la présente affaire est différente de celle de Doucet-Boudreau, où la cour a tranché une question théorique parce que cette décision allait « des repères pour l’analyse de l’importante question de la nature et de l’étendue des réparations fondées sur l’art. 24 de la Charte qui doivent être accordées dans des affaires similaires » (paragraphe 21). En l’espèce, la réparation accordée est la même qui serait disponible par l’application de la Charte. En conséquence, il n’était pas utile d’examiner la question de l’application de la Charte.

[339] Plusieurs mois après l’audition du présent pourvoi, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau Brunswick Inc. c. Canada, 2008 CSC 15, [2008] A.C.S. no 15 (« Paulin »). Au paragraphe 2, elle indique avoir été « appelée à déterminer si, en acceptant par contrat d’offrir des services de police dans la province, la Gendarmerie royale du Canada (« GRC »), une institution fédérale, est liée par le régime linguistique plus généreux du Nouveau Brunswick ou si elle n’est tenue de respecter que les normes fédérales en matière de langues officielles ». La Cour suprême a conclu que, comme la GRC était habilitée par le législateur du Nouveau Brunswick à administrer la justice dans la province, elle exerçait le rôle d’une « institutio[n] de la législature ou du gouvernement » du Nouveau Brunswick au sens du paragraphe 20(2) de la Charte, et elle était donc tenue de respecter cette disposition et de fournir des services en français et en anglais au public du Nouveau-Brunswick conformément aux conditions plus exigeantes de la province du Nouveau-Brunswick par comparaison à celles du gouvernement fédéral suivant le paragraphe 20(1) de la Charte.

[340] Bien qu’aucune des parties au présent pourvoi ou pourvoi incident n’ait invoqué les décisions des instances inférieures de l’arrêt Paulin, nous leur avons donné l’occasion de présenter de courtes observations écrites quant à l’incidence, le cas échéant, de la décision de la Cour suprême sur leurs arguments. Les intimés au pourvoi incident et le PGC ont répondu que Paulin étayait leur position ou qu’elle n’était point utile pour trancher les questions en litige en l’espèce. Les appelants au pourvoi incident et le CLOC ont fait valoir que Paulin étayait leurs arguments de maintes façons.

[341] À notre avis, l’arrêt Paulin n’est pas pertinent pour les questions en litige en l’espèce. L’une des questions fondamentales en litige dans le pourvoi incident consiste à déterminer si la juge de première instance a commis une erreur en refusant de se pencher sur l’application de la Charte alors que la LLO contient les mêmes droits et recours que les dispositions similaires de la Charte et alors que le GDC n’est pas responsable des violations de la LLO. Dans Paulin, il s’agissait de déterminer si la GRC était une institution du Nouveau-Brunswick tenue de se conformer au paragraphe 20(2) de la Charte. Comme nous confirmons la décision de la juge de première instance de ne pas trancher la question de la Charte, la question soulevée par Paulin n’est point pertinente. Tel que mentionné au paragraphe 329, le résultat serait exactement le même en application de la Charte que suivant la LLO. Ce n’était pas le cas dans l’affaire Paulin.


[342] Il faut également distinguer la présente affaire d’avec Paulin pour d’autres motifs. Dans Doucet c. Canada, 2004 CF 1444, [2005] 1 C.F. 671, il a été conclu que la GRC était une institution fédérale pour l’application de la Charte. En l’espèce, les appelants au pourvoi incident demandent à la Cour de déterminer si le GTNO est une institution du Parlement au sens du paragraphe 16(1). L’arrêt Paulin est fondé en bonne partie sur l’interprétation d’un contrat entre le Canada et le Nouveau-Brunswick et sur l’interprétation des dispositions législatives fédérales et provinciales en matière de services de police; il n’y a pas de questions analogues en l’espèce. Enfin, si la question de la Charte était tranchée et qu’une question de « délégation » était soulevée, il est difficile de concevoir comment la GRC pourrait être comparée au GTNO sur une base équivalente, puisque le GTNO est un gouvernement élu démocratiquement.

XIII. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LE GDC N’A PAS ENFREINT LA PARTIE VII DE LA LLOC?

[343] Les appelants au pourvoi incident allèguent que la juge de première instance a commis une erreur de droit en omettant d’examiner la question de savoir si, en vertu de la partie VII de la LLOC (Promotion du français et de l’anglais), le GDC avait l’obligation de promouvoir activement les services de langue française dans les TNO. Ils font également valoir que cette obligation n’a jamais été déléguée au GTNO et ne pouvait pas l’être. Ils appuient leur argument sur l’article 41 de la LLOC. Modifiée le 25 novembre 2005, cette disposition prévoyait auparavant :

41. Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

[344] Par l’entrée en vigueur le 25 novembre 2005 de la Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), L.C. 2005, ch. 41, la numérotation a changé, l’article 41 est devenu le paragraphe 41(1) et les dispositions suivantes ont été ajoutées :

(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en oeuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en oeuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces.

(3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie leur impose.

[345] Ce motif d’appel est rejeté pour plusieurs raisons.


[346] Premièrement, nous faisons nôtre le raisonnement de la Cour d’appel fédérale portant que l’article 41 de la LLOC (maintenant le paragraphe 41(1)) est simplement déclaratoire et qu’il ne peut être sanctionné par les tribunaux : Forum des maires C.A.F., au paragraphe 46. Bien qu’il soit possible que les paragraphes (2) et (3) imposent au GDC une obligation de promouvoir activement les langues des minorités, ces paragraphes ont été adoptés après la fin du présent litige et longtemps après que soient survenus la plupart des événements pertinents en l’espèce. Conformément aux articles 6 et 10 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, la LLOC doit être interprétée telle qu’elle était au moment où les événements en litige se sont déroulés.

[347] Dans la décision Forum des maires C.A.F., la cour a fait référence aux débats du Parlement et du Sénat qui divulguaient que les partisans (sénateurs et députés) de la LLOC estimaient que l’article 41 était simplement de nature déclaratoire et ne pouvait être sanctionné par les tribunaux. Ceci était appuyé en preuve par les tentatives faites pour modifier la disposition et la rendre exécutoire (telle qu’elle est maintenant en application des paragraphes (2) et (3)). La cour a également souligné la similarité entre le libellé de l’article 41 et le septième « attendu que » du préambule de la LLOC (se distinguant ainsi d’autres dispositions à caractère obligatoire). De même, la cour a commenté la note marginale accompagnant le texte anglais, « Government policy » ([TRADUCTION] politique gouvernementale), qui confirme également la nature déclaratoire de cette disposition. Cette preuve étayait la conclusion de la cour selon laquelle l’article 41 de la LLOC énonçait simplement un principe et n’était pas susceptible d’être sanctionné par les tribunaux.

[348] Deuxièmement, quelle que soit l’issue de la cause, le tribunal de première instance n’avait pas compétence pour trancher cette question. L’article 77 de la LLOC qui prévoit les recours judiciaires dans le cas d’infractions à la partie VII énonce que « [q]uiconque [...] peut former un recours devant le tribunal ». L’article 76 de la LLOC indique pour sa part que le « tribunal » est la Cour fédérale.

[349] Les appelants au pourvoi incident font valoir que leur demande présentée à la Cour fédérale a été déboutée au motif que le litige devait être entendu par le tribunal de première instance des TNO. Le présent litige englobait un grand nombre de plaintes, la majorité d’entre elles relevaient à bon droit de la compétence de ce tribunal. La plainte examinée ici est la seule qui relève de la compétence exclusive de la Cour fédérale. La compétence d’un tribunal de première instance ne peut être élargie simplement parce que quelques-unes ou la majorité des revendications contenues dans les actes de procédure lui incombent, et ce, même si les parties sont identiques et que les causes d’action sont connexes.

[350] Troisièmement, l’article 77 de la LLOC comporte des conditions préalables. Pour obtenir, devant la Cour fédérale, une réparation découlant d’une infraction à la LLOC, les plaignants doivent d’abord saisir le CLOC de la plainte. Ce n’est qu’après l’enquête du CLOC et la communication des conclusions de celui-ci que le plaignant peut former son recours contre la partie qui a enfreint la LLOC, pourvu que ce recours soit introduit dans un délai de 60 jours ou à l’intérieur du délai supérieur accordé par la Cour fédérale.


[351] Aucune des parties n’a présenté d’éléments de preuve additionnels au procès démontrant qu’elles avaient déposé des plaintes devant le CLOC ou qu’elles avaient formé leur recours à l’intérieur du délai de 60 jours suivant la communication des conclusions de ce dernier ou à l’intérieur d’un délai supérieur accordé par un tribunal.

[352] Enfin, les procédures en application de la LLOC sont de nature législative. Le droit d’intenter de telles procédures découle de la loi et est limité par celle-ci. La partie de la LLOC concernant les recours est la partie X qui, comme nous l’avons mentionné plus haut, exige que les plaintes soient présentées au CLOC. Toutefois, au cours de la période pertinente, il n’était possible de soumettre des plaintes en vertu de l’article 77 qu’en application de certaines parties de la LLOC et la partie VII n’était pas de celles-là. En conséquence, aucun tribunal ne peut adjuger des réparations pour des violations à la partie VII de la LLOC.

[353] Ce motif d’appel est sans fondement.

XIV. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN REFUSANT D’OCTROYER DES DOMMAGES-INTÉRÊTS À LA FFT ET À L’AQUILON?

A. Décision de première instance

[354] La juge de première instance a  bien saisi les principes généraux régissant l’élaboration d’une « réparation convenable et juste » : aux paragraphes 865 et suivants. Par exemple, au paragraphe 867, elle a cité l’opinion exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Doucet-Boudreau, au paragraphe 52, selon laquelle le juge doit « exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits et sur l'application des principes juridiques pertinents _ et au paragraphe 59 _ l'approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et doit tenir compte des besoins en cause ».

[355] Elle a aussi bien saisi les principes régissant les dommages en matière constitutionnelle : aux paragraphes 902 et suivants. Rien ne laisse supposer qu’elle les a mal compris. Néanmoins, les appelants au pourvoi incident soutiennent qu’en refusant d’octroyer des dommages-intérêts à la FFT et à L’Aquilon, la juge de première instance n’a pas accordé une « réparation convenable et juste » et, qu’en conséquence, elle a incorrectement exercé son pouvoir discrétionnaire.

[356] Il est important de souligner que, dans l’évaluation minutieuse du comportement du GTNO, dans le cadre de la décision d’octroyer ou non des dommages-intérêts punitifs (voir l’analyse qui suit à compter du paragraphe 366), la juge de première instance a été incapable de conclure que le GTNO avait eu un comportement excessif, méprisant ou malicieux. Elle a aussi mentionné que l'allégation de mauvaise foi portée contre le GTNO n'a pas été étayée par la preuve : au paragraphe 965.


B. Norme de contrôle

[357] Les principes régissant la norme de contrôle de la décision d’un juge de première instance concernant la réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte ont été analysés précédemment au paragraphe 56 et s’appliquent au présent contexte quasi-constitutionnel. En termes simples, il faut faire preuve de déférence et respecter l’exercice par un juge de première instance de son pouvoir discrétionnaire.

C. Analyse

1.   FFT

[358] La FFT a revendiqué des dommages sous deux chefs, qui ont tous deux été rejetés par la juge de première instance.

[359] Premièrement, elle a réclamé des dommages-intérêts compensatoires en raison du refus du GTNO et de la CL de communiquer avec elle en français et parce que le rapport annuel de cette dernière n’était pas disponible en français avant 1998. La juge de première instance a refusé d’octroyer de tels dommages déclarant que les mesures correctives qu’elle avait ordonnées remédieraient à ces problèmes et que les activités de promotion de la langue française de la FFT étaient compatibles avec son rôle : au paragraphe 925. Elle a aussi souligné qu’elle prendrait en compte ces questions au moment de l'octroi des dépens, sujet sur lequel nous nous sommes déjà penchés aux paragraphes 300 et suivants.

[360] Au paragraphe 926, la juge de première instance a examiné le deuxième chef de dommages réclamés par la FFT portant, notamment, sur le fait que ses efforts de promotion des droits linguistiques avaient privé la communauté francophone de ressources qui auraient pu servir à d’autres fins. Elle a souligné que la FFT demandait la création d’un fonds fiduciaire d’un million de dollars par année en dommages-intérêts depuis la proclamation de la Charte, au bénéfice des francophones dont les droits auraient été violés.

[361] La juge de première instance a convenu que l’octroi de dommages-intérêts pouvait constituer une mesure de redressement en cas de violation de droits linguistiques, mais elle a aussi estimé que les montants accordés étaient généralement beaucoup plus conservateurs que ceux demandés par la FFT : au paragraphe 928. Elle a souligné que la FFT n'a produit aucun élément de preuve quant aux pertes subies et, de plus, que la preuve produite n'établissait pas un lien de causalité suffisant entre les violations reprochées et les fonds fiduciaires réclamés : au paragraphe 929. À son avis, une « solution efficace » serait d'obliger le GTNO à définir clairement et à actualiser les droits garantis par la LLO. Elle s’est également dit d’avis que la réclamation de 23 millions de dollars de la FFT devait plutôt être assimilée à une demande de dommages intérêts punitifs ou exemplaires; cette question est traitée ci-dessous à compter du paragraphe 366.


[362] La décision de la juge de première instance de refuser le versement d’une réparation à la FFT sous les deux chefs de dommages était en grande partie fondée sur sa perception que ses ordonnances seraient « convenables et justes ». En l’absence d’erreur de droit, nous ne saurions remettre en question l’évaluation qu’elle a faite à cet égard. Les appelants au pourvoi incident  n’ont démontré aucune erreur qui justifierait notre intervention sur cet aspect de la décision de la juge de première instance.

[363] De plus, sa conclusion selon laquelle aucune preuve ne justifiait la réclamation de la FFT pour perte de ressources qui auraient pu servir à d’autres fins répond complètement à la deuxième partie de la réclamation en dommages-intérêts de cette dernière.

2.   L’Aquilon

[364] L’Aquilon a réclamé plus de 1 million de dollars pour perte de revenus entre 1986 et 2005, par suite du refus du GTNO de publier les annonces gouvernementales en anglais et en français. La juge de première instance a statué qu’une réclamation de cette nature ne pouvait couvrir une période antérieure à 1993, année à compter de laquelle L’Aquilon a commencé à se plaindre de cette situation : au paragraphe 931. L’Aquilon a également réclamé 50 000 $ pour perte de réputation, puisque les gens d'affaires francophones ne pouvaient pas se fier au journal pour obtenir des renseignements sur les projets du GTNO. La juge de première instance a rejeté  cette réclamation, qualifiant la preuve de « bien mince », et ajoutant que le GTNO n’avait aucune obligation d’utiliser L’Aquilon pour publier ses annonces en français : aux paragraphes 932 et 933. Elle a souligné que, dans son action pour perte de revenus, L'Aquilon n’avait pas cherché à faire valoir son droit d'employer la langue de son choix dans ses communications avec le GTNO, ni celui de lui fournir des services dans la langue de son choix. Elle a aussi fait remarquer, au paragraphe 934, que l’objet de l’article 8 de la  LLO est de préserver et de maintenir la collectivité de langue minoritaire, alors que le défaut, pour le GTNO de publier ses avis dans L’Aquilon était plutôt l’un de ses effets.

[365] Ce motif au soutien de l’appel incident doit être rejeté. Les appelants au pourvoi incident n’ont pas démontré d’erreur qui permettrait à notre Cour d’intervenir sur le fondement de la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Doucet-Boudreau. L’avis de la juge de première instance selon lequel la réclamation pour perte de réputation n’était fondée sur aucun élément de preuve répond complètement à cette prétention. Enfin, nous convenons avec elle que le GTNO n’avait aucune obligation de publier quoique ce soit dans L’Aquilon et qu’il avait le libre choix des moyens pour satisfaire à son obligation de publier les avis en français.

XV. LA JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN REFUSANT D’OCTROYER DES DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS?


[366] Les appelants au pourvoi incident soutiennent que la juge de première instance n’a pas appliqué le principe approprié en rejetant leur demande de dommages-intérêts punitifs contre le PGC et les intimés au pourvoi incident. Ils affirment qu’elle a commis une erreur lorsqu’elle s’est demandé si le comportement des intimés au pourvoi incident avait eu pour effet d’intensifier l’angoisse morale des appelants au pourvoi incident, alors qu’elle aurait plutôt dû se demander si, selon l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, 126 D.L.R. (4th) 129 (« Hill »), ce comportement n’avait pas plutôt choqué le sens de la dignité de la cour. Ils ont exposé en détail les faits qui, selon eux, justifiaient l’octroi de dommages-intérêts punitifs, quoiqu’ils n’aient cité aucune décision où de tels  dommages auraient été accordés pour une violation de droits garantis par la Charte ou pour une violation de droits linguistiques.

A. Norme de contrôle

[367] Lorsqu’elle évalue si des dommages-intérêts punitifs devraient être octroyés, et leur quantum, une cour d’appel doit déterminer si les dommages intérêts punitifs servent un objectif rationnel : Hill, au paragraphe 197; Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595, au paragraphe 101. Il s’agit pour la cour d’appel de déterminer si la conduite était si outrageante qu'il était rationnellement nécessaire d'accorder des dommages intérêts punitifs dans un but de dissuasion : Hill, au paragraphe 197. Bien que le rôle d’une cour d’appel soit un peu plus large lorsqu’elle se penche sur des dommages-intérêts punitifs que dans le cas de dommages de nature différente, elle doit toujours faire preuve de déférence envers la décision du juge de première instance.  Voir l’arrêt Fidler c. Sun Life Assurance Co. of Canada, 2006 CSC 30, [2006] 2 R.C.S. 3 (« Fidler »), où la Cour suprême a rétabli la décision du juge de première instance de refuser de condamner une compagnie d’assurance à des dommages-intérêts punitifs en se fondant sur l’examen minutieux des faits qu’il avait effectué.

[368] La Cour suprême a récemment réaffirmé que les dommages-intérêts punitifs ont pour objet le châtiment, la dissuasion et la dénonciation : Fidler, au paragraphe 61. « [L]a conduite reprochée doit s’écarter de façon marquée des normes de conduite acceptées; c’est le cas exceptionnel d’une conduite que l’on peut qualifier de si malveillante, opprimante ou abusive qu’elle choque le sens de la dignité de la cour »: ibid., au paragraphe 62. Les dommages intérêts punitifs ne devraient être octroyés que dans les cas exceptionnels, et encore, avec retenue : ibid.

[369] L’allégation selon laquelle la juge de première instance aurait commis une erreur en ne condamnant pas le PGC à des dommages-intérêts punitifs n’est pas fondée, compte tenu de notre conclusion, au paragraphe 335, portant que la conclusion à laquelle est arrivée la juge de première instance au sujet du lien de causalité doit être confirmée.  De toute façon, les conclusions explicites de cette dernière selon lesquelles le GDC n’a montré aucune mauvaise foi sont solidement étayées par la preuve : aux paragraphes 956 à 959.


[370] En ce qui concerne son refus de condamner les intimés au pourvoi incident à des dommages intérêts punitifs, la juge de première instance a correctement établi les distinctions fonctionnelles entre les dommages-intérêts compensatoires et punitifs, soulignant au passage que l’objet de ces derniers est de punir et de dissuader : au paragraphe 937. À partir du paragraphe 939, elle a soigneusement examiné la demande des appelants au pourvoi incident, y compris les éléments de preuve sur lesquels ils se sont fondés.  Elle a examiné plusieurs allégations précises, rejetant  l’idée que ces actions constituaient un « comportement abusif, méprisant ou malveillant » : aux paragraphes 942, 945, 947. Au paragraphe 949, elle résume ainsi:

[...] l'ensemble de la preuve [...] n'établi[t] pas que les défendeurs territoriaux ont agi d'une manière abusive, méprisante ou malveillante qui justifierait l'octroi de dommages intérêts punitifs ou exemplaires.

[371] Quoique la juge de première instance ait pu mal exposer le critère de l’arrêt Hill, au paragraphe 938, elle a, au même paragraphe, correctement énoncé celui de l’arrêt Mackin, une décision de droit constitutionnel où le gouvernement du Nouveau-Brunswick faisait l’objet d’une demande de dommages-intérêts punitifs parce qu’une de ses lois était inconstitutionnelle. Tel que l’a souligné la juge de première instance, la Cour suprême a décidé dans cette affaire que des dommages-intérêts punitifs ne devaient être octroyés que dans les cas de « comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir » : Mackin, au paragraphe 79.

[372] L’évaluation sérieuse des éléments de preuve faite par la juge de première instance contredit la prétention des appelants au pourvoi incident selon laquelle cette dernière a commis une erreur de droit ou de fait en rejetant leur demande de dommages-intérêts punitifs à l’encontre des intimés au pourvoi incident. Ses conclusions légitimes sur l’absence de comportement abusif, méprisant ou malicieux de la part du GTNO, et sur celle de mauvaise foi, au paragraphe 965, constituent une réponse complète au présent motif de l’appel incident : Fidler, au paragraphe 75.

XVI. CONCLUSION

[373] L’appel incident est rejeté.

XVII. DÉPENS DE L’APPEL ET DE L’APPEL INCIDENT

[374] Étant donné que les parties ont partiellement gain de cause, nous accepterons des observations écrites sur les dépens.

[375] Les appelants devront déposer leurs observations sur les dépens de l’appel dans les 15 jours de la présente décision, et les appelants au pourvoi incident déposeront les leurs dans les 15 jours qui suivront. Les intimés au pourvoi incident et le PGC auront alors un délai de 15 jours additionnels pour présenter des observations concernant les dépens de l’appel incident.

[376] Le nombre limite suivant de pages _ double interligne devra être observé:

1. Les appelants :     10 pages

2. Les intimés/appelants au pourvoi incident : 15 pages
3. Les intimés au pourvoi incident et le PGC : 5 pages.



Appel entendu les 19, 20 et 21 novembre 2007

Mémoire déposé à Yellowknife (T.N.-O.)
ce    27th   jour de juin, 2008




 Madame le juge Hunt



 Monsieur le juge Ritter



 Madame le juge Rowbotham


Présences:

Me Roger Tassé, c.r.
Me Maxime Faille

pour les défendeurs (appelants/intimés au pourvoi incident)  Procureur général des Territoires du Nord-Ouest, Commissaire des Territoires du Nord-Ouest, Président de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest et Commissaire aux langues des Territoires du Nord-Ouest

Me Roger J.F. Lepage
Me Rupert Baudais
pour les demandeurs (intimés/appelants au pourvoi incident) Fédération Franco-ténoise, Éditions Franco-ténoises/L’Aquilon, Fernand Denault, Suzanne Houde, Nadia Laquerre, Pierre Ranger, Yvon Dominic Cousineau.

Me Alain Préfontaine
Me Marie Crowley
pour les défendeurs (intimés au pourvoi incident) Procureur général du Canada

Me Pascale Giguère
Me Amélie Lavictoire
pour l’intervenant le Commissaire aux langues officielles du Canada





















Annexe A
Dispositions législatives pertinentes


Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11

16.(1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

(2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.

(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

16.1.(1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

(2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe (1) est confirmé.

17.(1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement.
(2) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick.

18.(1) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

(2) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

19.(1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent.


(2) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent.

20.(1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;

b)  l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

(2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.

23.(1) Les citoyens canadiens :

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province :

a) s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité;


b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.


Loi constitutionnelle de 1867, (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3

18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.

133. Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l'autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l'une ou de l'autre de ces langues.

Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.


Loi d’interprétation, L.R.T.N.-O. ch. I-8

10. Tout texte est réputé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

28.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à tous les textes.

«Législature» Le commissaire agissant sur l’avis et avec le consentement de l’Assemblée législative.  (Legislature)



Loi d’interprétation, L.R.C., 1985, ch. I-21

6.(1) Un texte prend effet à zéro heure à la date fixée pour son entrée en vigueur; si la date de cessation d’effet est prévue, le texte cesse d’avoir effet à vingt-quatre heures à cette date.

(2) En l’absence d’indication de date d’entrée en vigueur, un texte prend effet :

a) s’il s’agit d’une loi, à zéro heure à la date de sa sanction au nom de Sa Majesté;

b) s’il s’agit d’un règlement non soustrait à l’application du paragraphe 5(1) de la Loi sur les textes réglementaires, à zéro heure à la date de l’enregistrement prévu à l’article 6 de cette loi, et, s’il s’agit d’un règlement soustrait à cette application, à zéro heure à la date de sa prise.

(3) La date d’entrée en vigueur d’un texte fixée par règlement publié dans la Gazette du Canada est admise d’office.

10. La règle de droit a vocation permanente; exprimée dans un texte au présent intemporel, elle s’applique à la situation du moment de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet.


Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.T.N.-O. 1988, ch. J-1

27. Dans l’exercice de sa compétence à l’égard de toute cause ou affaire dont il est saisi, le tribunal a le pouvoir d’accorder et doit accorder, soit de façon inconditionnelle, soit aux conditions raisonnables qu’il estime justes, tous les recours auxquels toute partie à cette cause ou affaire paraît avoir droit relativement à toute demande, en equity ou en common law, que cette partie a dûment portée devant lui dans cette cause ou affaire afin, autant que possible, de régler définitivement et complètement toutes les questions en litige entre ces parties et d’éviter la multiplicité des procédures judiciaires à l’égard de ces questions.


Loi sur l’Assemblée Législative et le conseil exécutif, L.T.N.-O. 1999, ch. 22

12.1.(1) En plus des droits, des privilèges, des immunités et des pouvoirs conférés par la présente loi, l’Assemblée législative, ses députés et ses comités ont les mêmes droits, les mêmes privilèges, les mêmes immunités et les mêmes pouvoirs que ceux qu’ont la Chambre des communes, ses députés et ses comités.


Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Vict., chap. 3 (Canada)


23. Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats des chambres de la Législature du Manitoba et l'usage de ces deux langues est obligatoire pour les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de ces chambres. Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Canada établis sous le régime de la loi de 1867 sur l'Amérique du Nord britannique ou ceux de la province et dans tous les actes de procédure qui en découlent. Les lois de la Législature du Manitoba sont imprimées et publiées dans les deux langues.


Loi sur le Territoires du Nord-Ouest, 1985, ch. N-27

43.1 Sous réserve de l’article 43.2, le commissaire en conseil ne peut modifier ou abroger l’ordonnance sur les langues officielles prise par lui le 28 juin 1984, et modifiée le 26 juin 1986, que si le Parlement donne son agrément à cet effet par voie de modification de la présente loi.


Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.-O. 1988, ch. O-1

1. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

«institution gouvernementale» Tout ministère ou direction relevant du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le Bureau de l’Assemblée législative et tout autre organisme désigné dans les règlements.  (government institution)

4. L’anglais, le chipewyan, le cri, l’esclave du Nord, l’esclave du Sud, le français, le gwich’in, l’inuinnaqtun, l’inuktitut, l’inuvialuktun et le tåîchô  sont les langues officielles des Territoires du Nord–Ouest.

5. Les langues officielles ont, dans la mesure et de la manière prévues par la présente loi et ses règlements d’application, un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions gouvernementales.

6. Chacun a le droit d’employer l’une quelconque des langues officielles dans les débats et travaux de l’Assemblée législative.

7.(1) Les lois promulguées par la Législature ainsi que les archives, comptes rendus et procès?verbaux de l’Assemblée législative sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.


(2) Le commissaire en conseil peut prescrire qu’une loi soit traduite après sa promulgation et qu’elle soit imprimée et publiée dans une ou plusieurs des langues officielles en plus du français et de l’anglais.

(3) Une copie de l’enregistrement sonore des débats publics de l’Assemblée législative, dans sa version originale et traduite, est fournie à toute personne qui présente une demande raisonnable en ce sens.

8. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, sont établis en français et en anglais et dans toute autre langue officielle désignée par les règlements les actes écrits qui s’adressent au public et qui sont censés émaner de la Législature ou du gouvernement des Territoires du Nord– Ouest, ou d’un organisme judiciaire, quasi judiciaire ou administratif, ou d’une société d’État, créés sous le régime d’une loi.

9.(1) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par la Législature et dans les actes de procédure qui en découlent.

(2) Chacun a le droit d’employer le chipewyan, le cri, l’esclave du Nord, l’esclave du Sud, le gwich’in, l’inuinnaqtun, l’inuktitut, l’inuvialuktun et le tåîchô devant les tribunaux établis par la Législature.

(3) Un tribunal peut, à l’occasion des débats qui se déroulent devant lui, prendre des mesures pour que des installations soient disponibles en vue de l’interprétation simultanée de ces débats, y compris les témoignages recueillis, d’une langue officielle à une autre lorsqu’il estime que les débats présentent de l’intérêt ou de l’importance pour le public ou que ces mesures sont souhaitables pour le public qui y assiste.

10.(1) Les décisions définitives exposé des motifs compris d’un organisme judiciaire ou quasi judiciaire établi par une loi ou en conformité avec une loi sont rendues en français et en anglais :

a)  si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public;

b) lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues.

(2) Dans les cas où un organisme estime que l’établissement au titre du paragraphe (1) d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision — exposé des motifs compris  est rendue d’abord en français ou en anglais, puis, dans les meilleurs délais, dans l’autre langue. Elle est exécutoire à la date de prise d’effet de la première version.


(3) Les paragraphes (1) et (2) n’ont pas pour effet d’interdire le prononcé, dans une seule langue officielle, d’une décision ou de l’exposé des motifs.

(4) Les décisions définitives exposé des motifs comprise d’un organisme judiciaire ou quasi judiciaire établi par une loi ou en comformité avec une loi sont enregistrées sur bande magnétique dans une ou plusieurs des langues officielles autres que le français ou l’anglais.  Des copies de l’enregistrement sont fournies à toute personne qui présente une demande raisonnable en ce sens, lorsque :

a) d’une part, la décision en cause tranche un point de droit qui présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public;

b) d’autre part, il est possible de fournir la ou les versions et que la communication de la décision en cause aura pour effet d’accroître la connaissance qu’en a le public.

(5) Le paragraphe (4) n’a pas pour effet de porter atteinte à la validité des décisions visées aux paragraphes (1), (2) ou (3).

11.(1) Le public a, aux Territoires du Nord–Ouest, le droit d’employer le français ou l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions gouvernementales ou pour en recevoir les services.  Il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante;

b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

(2) Le public a, aux Territoires du Nord–Ouest, le droit d’employer toute autre langue officielle que le français ou l’anglais pour communiquer avec le bureau régional, local ou communautaire des institutions gouvernementales ou pour en recevoir les services là où, selon le cas :

a) l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante;

b) l’emploi de cette langue se justifie par la vocation du bureau.

15.(1) Sur la recommandation de l’Assemblée législative, le commissaire nomme un commissaire aux langues.  Celui-ci exerce les pouvoirs et les fonctions qui lui sont attribués en vertu de la présente loi.


20.(1) Il incombe au commissaire aux langues de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance des droits, du statut et des privilèges liés à chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions gouvernementales.

21.(1) Le commissaire aux langues instruit toute plainte légitime reçue, au sujet d’un acte ou d’une omission, d’une institution gouvernementale, et faisant état d’un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement sur le statut ou l’usage des langues officielles ou encore à l’esprit de la présente loi et à l’intention du législateur.

23.(1) Au plus tard le 1er octobre de chaque année, le commissaire aux langues présente au président le rapport d’activité du commissariat pour l’année précédente, assorti éventuellement de recommandations quant aux modifications qu’il estime souhaitable d’apporter à la présente loi pour la rendre conforme à son esprit et à l’intention du législateur.

(2) Le président dépose le rapport annuel devant l’Assemblée législative dès que les circonstances le permettent.

(3) Le rapport annuel est, après son dépôt, renvoyé devant le comité désigné ou constitué par l’Assemblée législative et ce comité fait rapport de son examen du rapport annuel au plus tard 180 jours après le renvoi.

26.(2) Dans l’accomplissement de ses fonctions en vertu du paragraphe (1), le ministre :

b) supervise le développement de politiques et de règlements nécessaires à la mise en oeuvre de la présente loi;

32.(1) Toute personne lésée dans les droits que lui confèrent la présente loi et ses règlements peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

34. Le commissaire en Conseil exécutif peut, par règlement :

a) désigner les agences, les conseils, les commissions, les sociétés, les bureaux ou les autres organismes qui sont des institutions gouvernementales;

b) prendre toute mesure qu’il estime nécessaire à la mise en oeuvre de l’article 9;


c) désigner le français ou l’anglais, ou ces deux langues à titre de langue officielle qui peut être utilisée pour communiquer avec un bureau d’une institution gouvernementale autre que le siège ou l’administration centrale ou dans lesquelles des services doivent être fournis en vertu du paragraphe 11(1);

d) désigner une ou des langues officielles qui peuvent être utilisées pour communiquer avec le bureau régional, local ou communautaire ou dans lesquelles des services doivent être fournis en vertu du paragraphe 11(2);

e) prendre toute mesure relative à l’offre active pour les services qui peuvent être offerts dans une langue officielle par le siège ou l’administration centrale et le bureau régional, local ou communautaire d’une institution gouvernementale, lorsque ces services doivent être fournis au public dans cette langue officielle en vertu du paragraphe 11(1) ou (2);

f) déterminer les personnes, les institutions ou les organismes qui peuvent agir à titre de représentants des communautés linguistiques désignées pour l’application des paragraphes 28(2) et 30(2);

g) régir la structure, les activités et les fonctions du conseil des langues officielles et du conseil de revitalisation des langues autochtones;

h) prendre toute mesure qu’il estime nécessaire à l’application de la présente loi.


Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.)


4.(1) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Parlement; chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans les débats et travaux du Parlement.

(3) Les comptes rendus des débats et d’autres comptes rendus des travaux du Parlement comportent la transcription des propos tenus dans une langue officielle et leur traduction dans l’autre langue officielle.

12. Les actes qui s’adressent au public et qui sont censés émaner d’une institution fédérale sont établis ou délivrés dans les deux langues officielles.

25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu’à l’étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu’il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.


28. Lorsqu’elles sont tenues, sous le régime de la présente partie, de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux ou recevoir les services de ceux-ci ou de tiers pour leur compte, dans l’une ou l’autre langue officielle, il incombe aux institutions fédérales de veiller également à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public, notamment par entrée en communication avec lui ou encore par signalisation, avis ou documentation sur les services, que ceux-ci lui sont offerts dans l’une ou l’autre langue officielle, au choix.

29. Tous les panneaux et enseignes signalant les bureaux d’une institution fédérale doivent être dans les deux langues officielles, ou placés ensemble de façon que les textes de chaque langue soient également en évidence.

30. Sous réserve de la partie II, les institutions fédérales qui, sous le régime de la présente partie, communiquent avec le public dans les deux langues officielles sont tenues d’utiliser les médias qui leur permettent d’assurer, en conformité avec les objectifs de la présente loi, une communication efficace avec chacun dans la langue officielle de son choix.

41.(1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en oeuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en oeuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces.

(3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie leur impose.

76. Le tribunal visé à la présente partie est la Cour fédérale.

77.(1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.


Loi sur les langues officielles, L.N.-B. 2002, ch. O-0.5

8. Les archives, les comptes-rendus, les procès-verbaux et les rapports de l’Assemblée législative et de ses comités sont imprimés et publiés dans les deux langues officielles, les deux versions ayant même valeur.

14. Les avis, annonces et autres pièces à caractère officiel devant paraître ou non dans la Gazette royale sont imprimés et publiés dans les deux langues officielles.


15. Les avis, pièces ou documents dont la présente loi ou toute autre loi exige la publication par la province ou ses institutions sont imprimés et publiés dans les deux langues officielles.

28.1. Il incombe aux institutions de veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public que leurs services lui sont offerts dans la langue officielle de son choix.


Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1.01

4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants :

a) d’une part, ceux que possédaient, à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;

b) d’autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu’ils n’excèdent pas ceux que possédaient, à l’adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie intégrante du droit général et public du Canada et n’ont pas à être démontrés, étant admis d’office devant les tribunaux et juges du Canada.

6. Dans le cadre d’une enquête sur les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ou de l’un de leurs membres, un exemplaire des journaux de l’une des deux chambres, imprimé ou réputé l’être sur ordre de l’une ou l’autre, est admis en justice comme preuve de l’existence de ces journaux, sans qu’il soit nécessaire de prouver qu’il a été imprimé sur un tel ordre.

7.(1) Le défendeur dans une affaire civile ou pénale résultant de la procédure intentée et poursuivie de quelque façon que ce soit en relation directe ou indirecte avec la publication, par lui-même ou son préposé, d’un document quelconque sous l’autorité du Sénat ou de la Chambre des communes peut, après préavis de vingt-quatre heures donné conformément au paragraphe (2), produire devant le tribunal saisi de l’affaire — ou l’un de ses juges — outre un affidavit l’attestant, un certificat :

a) signé du président ou du greffier du Sénat ou de la Chambre des communes;

b) affirmant que le document en question a été publié par le défendeur ou son préposé, sur l’ordre ou sous l’autorité du Sénat ou de la Chambre des communes.

(2) Le préavis prévu par le paragraphe (1) est donné à la partie adverse, directement ou par l’intermédiaire de son procureur.

(3) Dès la production du certificat visé au paragraphe (1), le tribunal ou le juge arrête les poursuites; celles-ci ainsi que tous les actes de procédure y afférents sont dès lors réputés éteints ou annulés de par l’application de la présente loi.

8. (1) Dans les cas où la publication du document visé au paragraphe 7(1) fait directement ou indirectement l’objet d’une poursuite civile ou pénale, le défendeur peut, à tout stade, produire en justice le document original ainsi qu’un exemplaire de celui-ci accompagné d’un affidavit certifiant l’authenticité de l’original et la conformité de la copie.

(2) Sur production de l’original et de la copie certifiés par affidavit, le tribunal ou le juge arrête les poursuites; celles-ci ainsi que tous les actes de procédure y afférents sont dès lors réputés éteints ou annulés de par l’application de la présente loi.

9. Dans toute poursuite civile ou pénale occasionnée par l’impression d’un extrait ou résumé du document visé au paragraphe 7(1), le document en question peut être produit à titre de preuve, et le défendeur peut démontrer que l’extrait ou le résumé a été publié de bonne foi et sans intention malveillante; dès lors, si le jury est de cet avis, un verdict de non-culpabilité est rendu en faveur du défendeur.

10. (1) Le Sénat ou la Chambre des communes peuvent faire prêter serment aux témoins comparaissant devant eux.

(2) Le Sénat ou la Chambre des communes peut ordonner l’interrogatoire sous serment de témoins devant un comité.

(3) Les comités du Sénat ou de la Chambre des communes peuvent faire prêter serment aux témoins comparaissant devant eux.

11. (1) Le témoin qui, devant être interrogé dans le cadre de la présente loi, allègue ses convictions pour refuser de prêter serment peut faire une déclaration solennelle.

(2) La déclaration solennelle prévue au paragraphe (1) a la même valeur et le même effet qu’un serment.

12. Quiconque, étant interrogé dans le cadre de la présente partie, fait délibérément un faux témoignage encourt les peines prévues en cas de parjure.

13. (1) Sont habilités à faire prêter ou recevoir les serments ou déclarations solennelles prévus par la présente partie :


a) les présidents du Sénat et de la Chambre des communes;

b) le président d’un comité du Sénat ou de la Chambre des communes;

c) les personnes désignées à cette fin soit par le président du Sénat ou celui de la Chambre des communes, soit par règlement ou ordre de l’une ou l’autre des deux chambres.

(2) Les serments ou déclarations solennelles prévus par la présente partie suivent les modèles 1 et 2 reproduits à l’annexe.


Rules of the Legislative Assembly of the Northwest Territories, amended June 2, 2005
(non-disponible en français)

Règles de la Cour Suprême des Territoires du Nord-Ouest, T.N.-O R-010-96

106. L’acte de procédure consiste en un exposé sommaire des faits importants sur lesquels repose l’acte de procédure de la partie relativement à sa demande ou à sa défense, selon le cas, mais ne comprend pas la preuve permettant d’établir ces faits.
Cet exposé est aussi bref que possible, compte tenu de la nature de l’affaire.

121. Dans un acte de procédure, il n’est pas nécessaire de réclamer ni les dépens, ni un redressement général ou autre, car ils peuvent tous deux être accordés tout comme s’ils avaient fait l’objet d’une demande.

Loi sur les statistiques vitales et l’état civil, L.R.T.N.-O 1988, ch. V-3

1.   Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

«certificat»  Extrait certifié conforme des renseignements réglementaires figurant sur un bulletin d’enregistrement déposé au bureau du registraire général.  (certificate)
























Annexe B
  Acronymes



Assemblée
Assemblée législative des TNO

Charte
Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, énoncée à l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11

CL
Commissaire aux langues des TNO

CLOC
Commissaire aux langues officielles du Canada

Comité spécial
Un comité spécial, établi depuis novembre 2000, qui a pour but de se pencher sur l’efficacité de la LLO et qui est formé de députés des TNO

Commissaire
Commissaire des TNO

FFT
Fédération Franco ténoise

GDC
Gouvernement du Canada

GTNO
Gouvernement des TNO

L’Aquilon
Éditions Franco ténoises/L’Aquilon

LLO
Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.-O. 1988, ch. O-1

LLOC
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.)

LLONB
Loi sur les langues officielles, L.N.-B. (2002), ch.O-0.5

LTNO
Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), ch. N-27

PGC
Procureur général du Canada

PLD
La politique et les lignes directrices

Président
Président de l’Assemblée législative des TNO

Rapport
Le rapport Bastarache

Règles
Rules of the NWT Legislative Assembly

TNO
Territoires du Nord-Ouest






Annexe C
Similarités et différences entre la Charte et la LLO


Charte
LLO

16.(1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
4. L’anglais, le chipewyan, le cri, l’esclave du Nord, l’esclave du Sud, le français, le gwich’in, l’inuinnaqtun, l’inuktitut, l’inuvialuktun et le tåîchô  sont les langues officielles des Territoires du Nord–Ouest.

5. Les langues officielles ont, dans la mesure et de la manière prévues par la présente loi et ses règlements d’application, un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions gouvernementales.

17.(1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement.
6. Chacun a le droit d’employer l’une quelconque des langues officielles dans les débats et travaux de l’Assemblée législative.

18.(1) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.
7.(1) Les lois promulguées par la Législature ainsi que les archives, comptes rendus et procès–verbaux de l’Assemblée législative sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.


19.(1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent.
9.(1) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par la Législature et dans les actes de procédure qui en découlent.

(2) Chacun a le droit d’employer le chipewyan, le cri, l’esclave du Nord, l’esclave du Sud, le gwich’in, l’inuinnaqtun, l’inuktitut, l’inuvialuktun et le tåîchô devant les tribunaux établis par la Législature.



Charte
LLO

20.(1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;

b)  l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

11.(1) Le public a, aux Territoires du Nord– Ouest, le droit d’employer le français ou l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions gouvernementales ou pour en recevoir les services.  Il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante;

b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

(2) Le public a, aux Territoires du Nord–Ouest, le droit d’employer toute autre langue officielle que le français ou l’anglais pour communiquer avec le bureau régional, local ou communautaire des institutions gouvernementales ou pour en recevoir les services là où, selon le cas :

a) l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante;

b) l’emploi de cette langue se justifie par la vocation du bureau.



24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
32.(1) Toute personne lésée dans les droits que lui confèrent la présente loi et ses règlements peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.



   
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