Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 4 février 2019

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Jonasson, 2019 CM 2002

 

Date : 20190205

Dossier : 201819

 

Cour martiale permanente

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Lieutenant‑colonel J.D. Jonasson, requérant

 

- et -

 

Sa Majesté la Reine, intimée

 

 

En présence du :capitaine de frégate S.M. Sukstorf, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE FONDÉE SUR L’ABSENCE DE PREUVE PRIMA FACIE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]        Le requérant fait face aux deux chefs d’accusation subsidiaires suivants :

 

« PREMIER CHEF

(subsidiairement au second chef)

Article 95 de la LDN

MAUVAIS TRAITEMENTS À SUBALTERNE (PAR LE GRADE)

 

Détails : Le 13 octobre 2017, ou vers cette date, à Petawawa (Ontario), ou près de cet endroit, a tiré le capitaine C.T. par les cheveux et l’a embrassée.

 

 

SECOND CHEF

(subsidiairement au premier chef)

Article 97 de la LDN

IVRESSE

 

Détails : Le 13 octobre 2017, ou vers cette date, à Petawawa (Ontario), ou près de cet endroit, était ivre. »

 

[2]        Sous le régime de l’alinéa 112.05(13) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), la défense a présenté, à la fin de l’exposé de la poursuite, une requête faisant valoir qu’aucune preuve prima facie n’avait été établie relativement au second chef pour l’infraction d’ivresse.

 

[3]        Il incombe au requérant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune preuve prima facie n’a été établie pour ce chef d’accusation. Le requérant a fait valoir que la poursuite n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que le lieutenant‑colonel Jonasson était sous l’influence de l’alcool ou de la drogue ni que cela l’avait entraîné à adopter une conduite répréhensible ou à agir d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

[4]        En réponse à la requête, la poursuite a présenté un résumé du témoignage de la plaignante, en se fondant sur le fait que le requérant avait consommé du vin rouge vers 18 h 30, le 12 octobre 2017, et qu’aux petites heures du matin du 13 octobre 2017, le requérant avait tiré la plaignante par les cheveux et avait tenté de l’embrasser. Toutefois, s’appuyant sur la décision R. c. Caporal-chef R.E. Barkley, 2006 CM 23, le requérant a soutenu que la preuve n’étayait pas le fait que le comportement allégué énoncé dans le premier chef d’accusation découlait de ce que le requérant se trouvait sous l’influence d’une drogue ou de l’alcool.

 

Le droit applicable

 

[5]        Le critère applicable pour trancher la question de savoir si une preuve prima facie a été établie est décrit dans la Note (B) de l’article 112.05 des ORFC :

 

(B) Une preuve prima facie est établie si la preuve, qu’on y ajoute foi ou non, suffit, en l’absence de toute autre preuve, à prouver tous les éléments essentiels de l’infraction de sorte que l’accusé pourrait raisonnablement être reconnu coupable à ce stade-ci du procès en l’absence de toute autre preuve. Il n’est tenu compte ni de la crédibilité des témoins, ni du poids accordé à la preuve pour établir une preuve prima facie. La doctrine du doute raisonnable ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de décider si une preuve prima facie est établie.

 

[6]        En rendant une décision sur une requête dans laquelle il est allégué qu’aucune preuve prima facie n’a été établie, la Cour ne doit pas soupeser ou évaluer la qualité de la preuve concernant les éléments essentiels des chefs d’accusation. Le critère consiste à déterminer s’il existe des éléments de preuve à partir desquels un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait prononcer une déclaration de culpabilité, même si certains des éléments de la preuve peuvent en fait être insuffisants pour établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.

 

L’analyse

 

[7]        La plaignante a déclaré dans son témoignage qu’au début de la soirée du 12 octobre 2017, elle est arrivée au club de golf vers 18 h 30. Lorsqu’on a demandé à la plaignante si elle avait vu le requérant consommer de l’alcool, elle a répondu : [traduction] « Oui, il buvait du vin rouge. ». Elle a déclaré qu’elle prenait place à la même table que le requérant, qui lui se trouvait du côté opposé à elle. Deux bouteilles de vin rouge se trouvaient à proximité du requérant qui, selon elle, les partageait avec le commandant adjoint, le major Ayotte. Elle a confirmé n’avoir rien constaté d’autre. La plaignante a également reconnu que l’accusé avait acheté une bouteille de vin blanc, dont elle avait consommé un verre. Sans aller jusqu’à évaluer cette preuve, on peut soutenir qu’existent « certains » éléments de preuve qui, si l’on y ajoute foi, le requérant a consommé « un peu » d’alcool en début de soirée le 12 octobre 2017.

 

[8]        Après la réception au chalet du club de golf, un groupe a décidé de poursuivre la soirée dans un bar appelé l’[traduction] « Entrepôt ». La plaignante a déclaré qu’à l’Entrepôt, la plupart des militaires de leur groupe consommaient de l’alcool, dont certains au moins une consommation pour chacune de trois tournées.

 

[9]        Lorsqu’on lui a demandé si l’accusé consommait de l’alcool à l’Entrepôt, la plaignante a répondu qu’elle le croyait, puisque tous, dans le groupe, avaient un verre à la main; toutefois, elle était incertaine de ce que ce dernier avait consommé. Lorsqu’on lui a demandé de décrire ce qu’elle avait vu, elle s’est rétractée et a déclaré qu’elle ignorait ce que chacun des militaires buvait. En contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle n’avait pas vu le requérant en particulier consommer de l’alcool à l’Entrepôt.

 

[10]      En ce qui concerne les interactions entre la plaignante et le requérant à l’Entrepôt, celle-ci n’a fourni aucun élément de preuve établissant qu’elle avait vu le requérant consommer de l’alcool, et n’avait pas non plus été en mesure de fournir d’élément de preuve précis qui expliquerait pourquoi elle le croyait en état d’ébriété. Lorsqu’on lui a demandé de décrire ce qu’elle avait observé à son sujet, elle a simplement déclaré qu’il affichait une attitude très amicale et semblait en état d’ébriété de par son comportement, tout en précisant que ce n’était [traduction] « pas au point de ne plus pouvoir marcher, mais seulement éméché ». Elle a déclaré qu’il avait une attitude amicale. La Cour a relevé que la plaignante n’a pas mentionné que le requérant présentait un trouble de l’élocution, qu’il avait les yeux vitreux, titubait ou affichait d’autres signes typiques d’un état d’ébriété.

 

[11]      Il est nécessaire de préciser que le fait de se retrouver sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue ne constitue pas, en soi, une infraction à l’article 97 de la LDN (voir l’arrêt R. c. Simard, 2002 CACM 6, 6 C.M.A.R. 270, au paragraphe 3, la décision R. c. Yanchus, 2016 CM 1014, au paragraphe 60, et la décision R. c. Barkley, précitée, aux paragraphes 7 et 8). L’ivresse, au sens de la LDN, n’est prouvée que si l’une ou l’autre des éventualités prévues au paragraphe 97(2) est établie hors de tout doute raisonnable.

 

Les éléments constitutifs de l’infraction d’ivresse

 

L’ivresse

 

[12]      Pour qu’un accusé puisse être reconnu coupable de l’infraction d’ivresse, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable l’identité de celui-ci et son état d’esprit répréhensible, de même que la date et le lieu précisés dans l’acte d’accusation. Le paragraphe 97(2) de la LDN se lit comme suit :

 

Existence de l’infraction

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il y a infraction d’ivresse chaque fois qu’un individu, parce qu’il est sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue :

 

a)            soit n’est pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombe ou peut lui être confiée;

 

b)            soit a une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

L.R. (1985), ch. N-5, art. 97 L.R. (1985), ch. 31 (1er suppl.), art. 60

 

[13]      Pour prouver une accusation d’ivresse, il incombe à la poursuite d’établir hors de tout doute raisonnable que, parce qu’il est sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue, l’accusé soit n’est pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombe, soit a une conduite qui est répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

[14]      La poursuite n’ayant présenté aucun élément de preuve de l’éventualité énoncée à l’alinéa 97(2)a), la Cour s’est attardée sur les deux autres moyens de commettre l’infraction, c’est-à-dire le fait d’avoir une conduite répréhensible ou le fait d’avoir une conduite susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

[15]      Le requérant a fait valoir qu’il n’y avait pas de preuve que la prétendue conduite susceptible d’avoir jeté le discrédit sur le service de Sa Majesté ou d’avoir été répréhensible était [traduction] « attribuable à l’influence » de l’alcool ou d’une drogue. En fait, la conduite alléguée visée par le premier chef, lequel est subsidiaire au second chef, aurait tout aussi bien pu se produire sans l’influence d’une drogue ou de l’alcool. Je souscris à ce point de vue.

 

[16]      La Cour a remarqué que la plaignante a déclaré que le requérant présentait un comportement généralement décontracté pendant le cours des événements. Dans la description qu’elle a faite de l’état d’ébriété du requérant, elle s’est bornée à affirmer qu’il affichait une attitude amicale.

 

[17]      Bien que la poursuite ne soit pas tenue de prouver que l’accusé était en état d’ébriété, elle ne peut se fonder sur la simple affirmation suivant laquelle, étant donné qu’il avait bu un peu de vin six heures plus tôt, il était en état d’ébriété au moment des faits qui se seraient produits plus tard. Il doit y avoir des éléments de preuve donnant à penser que la conduite alléguée — répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté — a été influencée d’une façon ou d’une autre par la consommation d’alcool ou de drogue.

 

Conclusion

 

[18]      La Cour estime qu’il existe « certains » éléments de preuve selon lesquels le requérant était sous l’influence de l’alcool, au vu du témoignage de la plaignante selon lequel elle l’aurait vu consommer du vin rouge en début de soirée.

 

[19]      Toutefois, en l’espèce, l’accusation d’ivresse doit tenir davantage qu’au simple fait d’avoir consommé quelques verres de vin. Il doit exister un lien de causalité entre l’influence effective de la consommation d’alcool du requérant et les exigences énoncées au paragraphe 97(2) de la LDN. Or le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve établissant un tel lien de causalité.

 

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

 

[20]      STATUE que la poursuite n’a pas établi de preuve prima facie à l’égard de l’infraction d’ivresse.

 

[21]      DÉCLARE le lieutenant‑colonel Jonasson non coupable en ce qui a trait au second chef d’accusation.


 

Avocats :

 

Le capitaine de corvette J.E. Léveillé, Services d’avocats de la défense, avocat du lieutenant‑colonel J.D. Jonasson

 

Le directeur des poursuites militaires, représenté par le major R. Gauvin

 

 

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