Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 3 February 2021

Location: The Henri-Julien Armoury, 3721 Henri-Julien Avenue, Montréal, QC

Language of the trial: French

Charges:

Charge 1 (alternate to charges 2, 3): – S 114 NDA, stealing, when entrusted by reason of his employment, with the custody, control or distribution of the thing stolen.
Charge 2 (alternate to charges 1, 3): – S. 115 NDA , received property obtained by the commission of a service offence, knowing the property to have been so obtained.
Charge 3 (alternate to charges 1, 3): – S. 129 NDA an act to the prejudice of good order and discipline.
Charge 4: – S. 124 NDA, negligently performed a military duty imposed on him.

Results:

FINDINGS: Charge 1: Guilty. Charges 2, 4: Withdrawn. Charge 3: A stay of proceedings.
SENTENCE: A reprimand and a fine in the amount of $300.

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AUDITION DEVANT UN JUGE MILITAIRE

 

Citation: R. c. Pépin, 2021 CM 3001

Date: 20210203

Dossier: 202030

 

Procédure préliminaire

 

Manège militaire des Fusiliers Mont-Royal

Montréal (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sergent C. Pépin, requérant

 

- et -

 

Sa Majesté la Reine, intimée

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.I.      


MOTIFS DE LA DÉCISION D’UNE REQUÊTE EN EXCLUSION DE LA PREUVE

(Oralement)

Introduction

[1]              Le sergent Pépin est accusé du vol d’une boîte de cinquante munitions de calibre 9 mm alors qu’il en était chargé de la garde et de la distribution et d’en avoir la responsabilité contrairement à l’article 114 de la Loi sur la défense nationale (LDN), de recel d’un bien obtenu par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire, sachant qu’il a été ainsi obtenu, contrairement à l’article 115 de la LDN, d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir eu la possession irrégulière d’une boîte de cinquante munitions de calibre 9 mm contrairement à l’article 129 de la LDN, et d’avoir exécuté avec négligence une tâche militaire pour avoir entreposé de façon négligente cette même boîte de munitions, contrairement à l’article 124 de la LDN.

[2]              Ces infractions alléguées se seraient produites entre les mois de juin et octobre 2019, à ou près du camp Taji en Irak.

[3]              La cour martiale générale du sergent Pépin a été initialement convoquée le 15 décembre 2020 par l’administratrice de la cour martiale (ACM) afin de commencer le 1er février 2021. Après avoir obtenu le consentement des parties, j’ai émis une directive à l’ACM le 28 janvier 2021 afin qu’elle convoque cette même cour martiale que je préside pour qu’elle débute plutôt le 3 février 2021, ce qui fut fait le même jour.

[4]              Le 29 décembre 2020, l’ACM a reçu un avis écrit de la part de l’avocat du sergent Pépin rédigé en conformité avec l’article 112.04 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) demandant au juge militaire présidant sa cour martiale de juger d’une question de nature constitutionnelle quant à la possible violation de ses droits prévus à la Charte, et ce, dans le cadre d’une procédure préliminaire au procès en vertu de l’article 187 de la LDN.

[5]              Plus précisément, le sergent Pépin me demande, à titre de juge militaire désigné pour présider sa cour martiale, d’exclure certains éléments de preuve que la poursuite à l’intention d’introduire en preuve au soutien des accusations dont il fait l’objet, soit une boîte de munitions de calibre 9 mm saisie par un policier militaire le 25 octobre 2019 dans la chambre qu’il occupait sur le camp Taji en Irak et les trois déclarations qu’il a faites à la police militaire les 10, 14 et 16 novembre 2019 à un policier militaire, le tout en conformité avec le paragraphe 24(1) de la Charte.

[6]              Il me demande d’appliquer un tel remède en raison de violations alléguées de son droit à la protection contre les saisies abusives prévues à l’article 8 de la Charte, de son droit d’être informé des motifs de sa détention prévue à l’alinéa 10a) de la Charte, et de son droit d’avoir recours sans délai et d’être informé de son droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’alinéa 10b) de la Charte.

[7]              Par la même occasion, le procureur de la poursuite m’a demandé de statuer sur l’admissibilité des déclarations faites par le sergent Pépin à un policier militaire les 10, 14 et 16 novembre 2019 puisque le requérant en conteste le caractère libre et volontaire.

[8]              En conséquence, et avec l’accord des parties, j’ai décidé d’entendre l’ensemble de ces questions dans le cadre d’un seul voir-dire mixte dont l’audition s’est déroulée au centre Asticou à Gatineau, du 25 au 29 janvier 2021.

La preuve

[9]              Au soutien de leurs demandes respectives, les parties ont présenté une preuve testimoniale et documentaire. La partie requérante a d’abord fait entendre le caporal-chef Isaac qui est l’auteur de la dénonciation au soutien de la demande pour l’émission d’un mandat de perquisition par un commandant. Par la suite, le requérant, le sergent Pépin a témoigné. Le mandat de perquisition émit le 28 octobre 2019 par un commandant autorisant la saisie d’une boîte de balles de calibre 9 mm dans la chambre du sergent Pépin et la dénonciation en vue d’obtenir ce mandat ont été déposé en plus de trois photos de la chambre du sergent Pépin qui ont été prises par ce dernier.

[10]          La partie intimée a fait entendre quatre témoins : l’adjudant Francuz, enquêteur principal au dossier, le caporal Tanguay, le sergent Villeneuve et le major Côté. Des photos de la boîte de munitions et de la table de chevet dans laquelle elle a été saisie ont été déposées, ainsi que le rapport présenté au commandant ayant autorisé la saisie et le formulaire utilisé pour fournir les droits légaux et les mises en garde à une personne détenue lors de l’entrevue faite le 16 novembre 2019 par la police militaire avec le sergent Pépin.

Le contexte

[11]          Dans le cadre d’une mission de soutien à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord en Irak en 2019, le Canada a déployé des membres des Forces armées canadiennes (FAC) dans le cadre de l’Opération IMPACT. Pour assurer le déplacement sécuritaire du matériel et du personnel, l’Escadron 438 situé à Saint-Hubert, province de Québec, a envoyé des hélicoptères CH-146 Griffon au camp Taji en Irak avec les équipages nécessaires.

[12]          Parmi les membres d’équipage de cet hélicoptère, il y a un mitrailleur de porte. Le sergent Pépin, un membre d’une unité d’infanterie de la réserve, soit les Fusiliers Mont-Royal, s’est porté volontaire pour cette mission puisqu’il avait été formé et entraîné depuis 2017 avec l’Escadron 438 pour performer cette fonction.

[13]          Il a été sélectionné avec trois autres individus de la Force de réserve, le caporal Tanguay, le sergent Villeneuve et le sergent Thompson afin d’agir comme mitrailleur de porte sur les hélicoptères Griffon dans le cadre de l’Opération IMPACT. Un exercice prédéploiement a été tenu au mois de mai 2019 avec tous les membres d’équipage qui étaient déployés pour cette mission.

[14]          Ces quatre individus ont fait plus ample connaissance et se sont rapprochés lors d’un voyage qu’ils ont effectué ensemble à Las Vegas aux États-Unis peu avant leur déploiement. Le sergent Villeneuve a même procédé à l’achat personnel d’un pistolet 9 mm au bénéfice du sergent Pépin pour lui permettre de l’utiliser pendant qu’il procédait à sa demande de permis pour la possession d’une telle arme. Il le lui a vendu par la suite. C’est ainsi que le sergent Villeneuve et le sergent Pépin ont pu se rendre à un champ de tir ensemble et tirer avec cette arme.

[15]          Dans le cadre de son déploiement en théâtre d’opérations pour cette mission en Irak, le sergent Pépin est arrivé au camp de transition au Koweït le 6 juin 2019. Par la suite il s’est rendu au camp Taji en Irak et il y est arrivé le 10 juin 2019.

[16]          Le commandant de ce détachement tactique aérien (DTA) est physiquement demeuré au camp de transition au Koweït. Au camp Taji en Irak où les hélicoptères étaient déployés, le major Valiquette était responsable du personnel du détachement et il y était assisté du capitaine Côté. Ce dernier assurait une supervision directe des mitrailleurs de porte, incluant le sergent Pépin. Le capitaine Côté était parfois assisté pour cette tâche par le sergent Joanette qui agissait aussi comme remplaçant pour les mitrailleurs de porte lorsque le besoin s’en faisait sentir.

[17]          L’état-major du détachement était responsable de l’assignation des chambres occupées par son personnel. C’est ainsi que les quatre mitrailleurs de porte se sont vus assigner deux chambres pouvant recevoir chacune deux occupants. Le sergent Pépin s’est vu assigner une chambre avec le caporal Tanguay, considérant que ces deux individus provenaient du même régiment, soit les Fusiliers Mont-Royal.

[18]          Puisqu’il fallait assurer une période de transition entre le personnel militaire quittant la mission et ceux qui y arrivaient, les chambres assignées n’étaient pas nécessairement libres immédiatement. C’est pourquoi le caporal Tanguay a dû d’abord dormir dans une chambre temporaire. Le sergent Pépin est arrivé après le caporal Tanguay et il s’est vu assigner immédiatement la chambre qu’il occuperait durant la mission. Alors qu’il a pris possession de sa chambre, le sergent Pépin a dû la partager pendant quelques jours avec un autre mitrailleur de porte qui quittait la mission. Le caporal Tanguay a donc dû attendre quelques jours avant de rejoindre son cochambreur, le sergent Pépin, malgré le fait qu’il était arrivé avant ce dernier sur les lieux.

[19]          Le caporal Tanguay a discuté avec le sergent Pépin concernant l’aménagement de la chambre pendant ces quelques journées d’attente. Cette discussion concernait la prise de possession du côté de la chambre, l’aménagement d’une séparation physique pour augmenter l’intimité de chacun et la sélection de meubles qui étaient déjà sur place.

[20]          Il appert que le sergent Pépin n’était pas très ouvert à cette discussion. Le caporal Tanguay n’a pu que constater que le sergent Pépin avait pris des décisions quant à l’aménagement de la chambre à son arrivée. Il était très malheureux de cette situation et fâché. Cela a totalement changé sa perception et sa relation concernant le sergent Pépin ainsi que celle des autres mitrailleurs de porte, le sergent Villeneuve et le sergent Thompson qui occupait la chambre voisine.

[21]          Les trois mitrailleurs de porte ont eu maille à partir à plusieurs reprises avec le sergent Pépin. Plus particulièrement, l’utilisation du véhicule par le sergent Pépin servant à les transporter entre leur chambre et leur lieu de travail ou à tout autre endroit sur le camp a été à l’origine de plusieurs disputes.

[22]          Par contre, cela n’a pas empêché le caporal Tanguay et le sergent Pépin de s’entendre sur l’acquisition et l’utilisation de certains équipements pour la chambre. Ainsi, le caporal Tanguay a procédé à l’achat d’un petit réfrigérateur pouvant être utilisé par les deux occupants et en échange, le sergent Pépin a fait l’achat d’un purificateur d’air pour le bénéfice des deux cochambreurs. Concernant ce dernier achat, le sergent Villeneuve a trouvé l’idée intéressante et il a demandé au sergent Pépin de faire l’achat d’un autre purificateur d’air et lorsqu’il en a pris possession, il l’a remboursé. Avec l’achat des purificateurs d’air, le sergent Pépin a aussi procédé à l’achat de filtres de remplacement pour le sergent Villeneuve et lui-même. Lorsqu’il a reçu la commande, le requérant a remis un ou deux filtres au sergent Villeneuve.

[23]          Quelques jours avant le départ en congé spécial de mission pour lequel l’aide de retour au domicile en congé (ARDC) est octroyée, identifié par l’ensemble des témoins par l’acronyme anglais HLTA (Home Leave Travel Assistance), deux incidents impliquant un possible échange de coups se sont produits entre le sergent Pépin et le sergent Thompson. La première altercation aurait eu lieu le 8 septembre 2019 et la deuxième aurait eu lieu le jour du départ en congé spécial de mission du sergent Pépin, soit le 10 septembre 2019. Il semble qu’après ce deuxième incident et juste avant son départ, le sergent Pépin aurait rapporté à sa chaîne de commandement ce qui s’était passé. Ces deux incidents auraient eu lieu alors que le capitaine Côté était lui-même en congé spécial de mission.

[24]          Le requérant a donc quitté le camp Taji en Irak le 10 septembre 2019 pour profiter de son congé spécial de mission. Il a dû d’abord transiter par le Koweït avant son retour au Canada. À la fin de son congé, il a quitté le Canada pour transiter à nouveau au Koweït avant son retour pour continuer sa mission. Il est arrivé au Koweït le 26 septembre 2019. C’est à cet endroit qu’il a décidé de formellement porter plainte pour menaces de mort et voies de fait à l’égard du sergent Thompson; plainte qu’il a concrétisée auprès de la police militaire le 28 septembre 2019. C’est le caporal-chef Isaac qu’il l’a rencontré et qui a reçu la plainte.

[25]          Le lieutenant-colonel qui commandait le détachement tactique d’hélicoptères et son état-major ont décidé que le sergent Pépin demeurerait au Koweït jusqu’à ce que l’enquête de la police militaire faisant suite à sa plainte soit terminée.

[26]          Le requérant s’est retrouvé à devoir attendre plus d’un mois avant de retourner sur le théâtre d’opérations et ce n’est que le 10 novembre 2019 qu’il est arrivé au camp Taji en Irak.

[27]          Le 24 octobre 2019, après presque un mois d’absence du sergent Pépin, quelque temps après le souper, le caporal Tanguay a cherché un filtre pour remplacer celui qui était dans le purificateur d’air de la chambre qu’il occupait, car le voyant lumineux indiquant qu’il fallait le remplacer était allumé. Cette recherche découlait d’une discussion avec le sergent Villeneuve qui semblait savoir comment entretenir le purificateur d’air. Ce dernier l’a informé qu’il fallait changer le filtre et qu’il était au courant que le sergent Pépin en avait dans sa chambre.

[28]          Le sergent Villeneuve s’est donc dirigé avec le caporal Tanguay dans la chambre de ce dernier pour procéder à la recherche de filtres en question.

[29]          Le caporal Tanguay et le sergent Pépin occupaient une des trois chambres situées dans une roulotte similaire à celle qu’on voit sur les chantiers de construction. La chambre qu’ils occupaient était celle située au milieu de la roulotte. Cette chambre mesurait environ dix pieds sur dix pieds. Si l’on regardait la chambre à partir de l’entrée de la porte, on pouvait constater que le lit du caporal Tanguay était situé le long du mur du côté droit et que celui du sergent Pépin était situé le long du mur du côté gauche. Les cochambreurs avaient séparé la chambre en deux pour plus d’intimité. Ils avaient mis au milieu deux armoires dont les portes alternaient d’un côté et de l’autre, permettant ainsi à chacun d’avoir accès à l’une d’elles. Ces armoires avaient environ six pieds de haut, mais ne touchaient pas le plafond de la chambre. Le caporal Tanguay avait complété cette séparation en y ajoutant un rideau qu’il pouvait tirer pour avoir plus d’intimité. Chaque occupant avait une ou des tables de chevet et un bureau. Le réfrigérateur qu’ils utilisaient était situé au milieu de la chambre et il fallait passer devant pour accéder à l’espace occupé par le requérant. Le purificateur d’air était sur le réfrigérateur ou sur une table située du côté du sergent Pépin.

[30]          Le sergent Villeneuve et le caporal Tanguay sont donc entrés dans l’espace occupé par le requérant. Après avoir examiné les objets bien en vue, ils ont décidé de regarder dans l’armoire et les tables de chevet utilisées par le sergent Pépin sans cependant déplacer quoi que ce soit. Le caporal Tanguay a ouvert rapidement les portes de l’armoire et il n’a rien vu. Le sergent Villeneuve a ouvert le tiroir de l’une des tables de chevet et il a aperçu une boîte neuve de munitions de calibre 9 mm. Il a pris la boîte dans ses mains, il l’a examiné et il l’a ouverte pour confirmer le contenu. Cette boîte contenait bien cinquante balles de calibre 9 mm non utilisées. Il a montré la boîte au caporal Tanguay puis il l’a remise à sa place. Ils ont tous les deux immédiatement cessé de chercher le filtre de remplacement et ils ont quitté ce côté de la chambre. Ils ont quitté la chambre et ils ont discuté de leur découverte avec le sergent Thompson. Ils ont décidé de réfléchir à la situation avant de faire quoi que ce soit.

[31]          Le lendemain matin, le 25 octobre 2019, dans le cadre d’une activité sportive sur le camp, soit une partie de balle-molle, ils ont informé le sergent Joanette du résultat inattendu de la recherche de la veille.

[32]          Le caporal Tanguay a fourni le numéro de lot de la boîte de balles au sergent Joanette et ce dernier a vérifié sommairement si elle provenait du lot de munitions sous la responsabilité du détachement. Il s’est avéré que c’était le cas. Le capitaine Côté a été informé de la situation, mais pas du lien qui existait entre les munitions trouvées et celle sous la responsabilité de l’unité.

[33]          Considérant que la situation était louche et peu sécuritaire, le capitaine Côté a décidé de communiquer avec l’adjudant Francuz, policier militaire, pour lui demander d’intervenir. Ce dernier a décidé de se rendre sur place accompagné d’un autre policier militaire, le caporal Lauder, pour s’enquérir de la situation.

[34]          Il s’est donc dirigé vers l’enceinte du camp Taji occupée par l’unité et y a rencontré le capitaine Côté, le sergent Joanette et le sergent-major régimentaire (SMR) pour discuter de la situation. Ils l’ont informé que les munitions qui avait été retrouvée dans la chambre du sergent Pépin faisait partie d’un lot qui avait été déclaré comme ayant été utilisé dans le cadre d’un champ de tir tenu par l’unité au cours du mois de juillet 2019.

[35]          Ensuite ils se sont tous rendus à la chambre. L’adjudant Francuz désirait se rendre sur les lieux afin de parler aux personnes sur place pour comprendre ce qui se passait et pour l’aider à décider des actions à prendre. Une fois arrivé sur place, il a rencontré le caporal Tanguay qui l’attendait à la porte de la chambre. Il savait que ce dernier partageait la chambre du sergent Pépin.

[36]          Il a demandé au caporal Tanguay s’il pouvait entrer et ce dernier l’a invité à l’intérieur. L’adjudant Francuz est entré avec le caporal Lauder et le caporal Tanguay. Le capitaine Côté s’est joint à eux par la suite. Le sergent Joanette et le SMR sont demeurés à l’extérieur de la chambre.

[37]          Une fois à l’intérieur de la chambre, le caporal Tanguay a expliqué à l’adjudant Francuz la manière et les circonstances qui l’ont amené à découvrir la boîte de munitions. Par la suite, selon l’adjudant Francuz, le caporal Tanguay se serait dirigé spontanément vers une table de chevet dans l’espace occupé par le sergent Pépin, il aurait ouvert un tiroir et il l’aurait pris dans sa main et il lui aurait montrée. L’adjudant Francuz lui aurait alors demandé de la remettre à l’endroit où il l’avait trouvée et de se retirer. Selon le caporal Tanguay, c’est le policier qui lui aurait demandé de lui montrer à quel endroit il avait trouvé la boîte de munitions.

[38]          Ceci étant dit, le caporal Lauder a pris des photos de la table de chevet et du tiroir où se trouvait la boîte de munitions, puis il l’aurait saisie. Par la suite, il l’a transportée jusqu’au bureau des policiers militaires et il l’a sécurisée dans un casier verrouillé prévu pour la gestion des éléments de preuve par la police militaire dans le cadre de leurs enquêtes.

[39]          La présence des deux policiers dans la chambre s’est limitée à la seule saisie de la boîte de munitions et aucune autre fouille n’a été effectuée.

[40]          Le 26 octobre 2019, l’adjudant Francuz a fait plusieurs entrevues avec les membres du détachement, comme le caporal Tanguay, le sergent Villeneuve et le capitaine Côté.

[41]          Le 28 octobre 2019, un officier de la police militaire affectée au Koweït a demandé au caporal-chef Isaac de préparer une dénonciation afin d’obtenir un mandat de perquisition à l’égard de la boîte de munitions saisie par le caporal Lauder. Cette dénonciation a été présentée au commandant du détachement qui a autorisé, le même jour, l’émission d’un mandat de perquisition pour la saisie de la boîte de munitions.

[42]          Le 31 octobre 2019, l’adjudant Francuz a exécuté le mandat de perquisition en question. Il a ouvert le casier où était sécurisée la boîte de munitions, il l’a prise et vérifiée, il l’a photographiée, et il l’a remise à sa place.

[43]          Le 2 novembre 2019, un rapport a été fait au commandant qui avait autorisé le mandat de perquisition pour l’aviser du résultat et pour confirmer que l’objet saisi pourrait toujours être gardé.

[44]          Pendant ce temps, l’enquête concernant la plainte du sergent Pépin à l’égard du sergent Thompson suivait son cours. Une fois qu’elle a été conclue, l’état-major a décidé que le requérant retournerait sur le théâtre d’opérations en Irak, mais dans une fonction différente. Ainsi, il serait physiquement séparé des trois autres mitrailleurs de porte. De plus, il a été aussi décidé qu’il changerait de chambre et de cochambreur. Finalement, il a été décidé de prendre des mesures de mise en garde et surveillance à l’égard du sergent Thompson et du sergent Pépin en raison de leur comportement.

[45]          C’est dans ce contexte que le sergent Pépin a fait son retour au camp Taji en Irak le 10 novembre 2019. À son arrivée, il a été rencontré par le capitaine Côté qu’il l’a informé qu’il devait changer de chambre, qu’il occuperait des fonctions différentes au sein du détachement et qu’il devait prendre une mesure de mise en garde et surveillance à son égard.

[46]          De plus le capitaine Côté lui a indiqué que la police militaire désirait le rencontrer pour discuter de la boîte de munitions qui avait été retrouvée dans sa chambre pendant son absence.

[47]          Alors qu’il était dans l’enceinte du détachement sur le camp Taji pour les fins d’une autre enquête, l’adjudant Francuz a aperçu le requérant et il l’a approché pour prendre contact avec lui. Il s’est identifié et il lui a demandé s’il pouvait lui parler, ce qu’il a accepté de faire. Le policier lui a suggéré d’aller dans un endroit plus tranquille, et le sergent Pépin l’a suivi dans une pièce d’une roulotte située tout près. Le policier militaire lui a alors expliqué qu’une boîte de munitions de cinquante balles de calibre 9 mm, qui avait été prétendument utilisée dans le cadre d’un champ de tir, avait été retrouvée dans un tiroir d’une table de chevet dans sa chambre et qu’il enquêtait pour comprendre comment cela avait pu se produire et qui en était responsable. À son avis, soit le sergent Pépin avait pris cette boîte ou quelqu’un l’avait déposée à son insu dans sa chambre. À ce moment-là, l’adjudant Francuz n’avait aucun motif raisonnable et probable de croire que le requérant avait commis cette infraction et il n’avait aucune raison pour procéder à son arrestation.

[48]          L’adjudant Francuz lui a alors indiqué qu’il désirait le rencontrer dans le cadre de cette enquête. Le policier a noté la confusion du requérant qu’il attribue en partie à la surprise et à la barrière des langues, car il s’est adressé à lui dans la langue anglaise puisqu’il est unilingue anglophone. Il n’avait aucun moyen à ce moment-là de s’adresser au sergent Pépin dans sa langue maternelle, soit le français, car il ne le parle pas et ne le comprend pas. Il a donc été convenu entre les deux qu’ils allaient se reparler quelques jours plus tard, car le requérant avait plusieurs choses à faire suite à son arrivée sur les lieux, incluant son déménagement de chambre.

[49]          Lorsqu’il s’est rendu à sa chambre pour prendre ses affaires personnelles et les transférer dans sa nouvelle chambre, le sergent Pépin a constaté que plusieurs de ses affaires personnelles avaient été déplacées en son absence. Il a d’ailleurs pris des photos qu’il a introduites en preuve.

[50]          N’ayant reçu aucune nouvelle du sergent Pépin depuis quelques jours déjà, le policier militaire a donc contacté le capitaine Côté pour lui indiquer qu’il désirait rencontrer le requérant dans l’après-midi du 14 novembre 2019. Le capitaine Côté à informer le sergent Pépin qu’il devait aller rencontrer le policier militaire en début d’après-midi du 14 novembre 2019. L’entrevue du requérant s’est déroulée dans l’enceinte du détachement dans une pièce constituant une aire de repos. Pour les fins de cette entrevue, le sergent Dumont, policier militaire, qui ne travaillait pas avec l’adjudant Francuz, car il occupait d’autres fonctions que celle d’enquêteur, y a assisté afin d’agir à titre d’interprète, lorsque nécessaire, entre l’enquêteur et le sergent Pépin.

[51]          L’entrevue a duré entre une et deux heures et elle a été enregistrée par moyens vidéo et audio. Le sergent Pépin a été informé de ce fait. L’enquêteur s’est identifié formellement et a fait la même chose concernant le sergent Dumont. L’adjudant Francuz a mentionné au requérant que tout ce qui était dit durant l’entrevue pouvait servir aux fins de l’enquête, qu’il pouvait quitter les lieux en tout temps et que la porte donnant accès au local n’était pas verrouillée de l’intérieur.

[52]          L’entrevue a porté sur le champ de tir auquel a participé le requérant. Ce dernier a révélé que plusieurs personnes du détachement avaient accès aux munitions et qu’il avait peut-être revu des munitions d’extra traîné dans un local lors de sa participation au champ de tir. Il a décrit l’état de sa relation avec les trois autres mitrailleurs de porte, il a fait une description physique de sa chambre, et il a décrit l’entente qui existait sur l’utilisation en commun de certains équipements avec le caporal Tanguay.

[53]          Il a dit à l’enquêteur qu’il n’avait aucune idée comment la boîte de munitions qui a été retrouvée dans son tiroir a pu atterrir à cet endroit. Considérant l’état de la relation avec les trois autres mitrailleurs de porte, il n’a pas éliminé la possibilité qu’une de ces trois personnes, ou les trois, ait voulu lui faire porter la responsabilité de ce vol.

[54]          L’adjudant Francuz lui a alors offert la possibilité de passer un test de polygraphe en lui indiquant qu’il voulait offrir aussi cette possibilité aux autres mitrailleurs de porte afin de l’aider à aller au fond de cette affaire. Le sergent Pépin a d’abord refusé. Il a indiqué qu’il en avait déjà passé deux dans le passé qu’il avait réussi, mais qu’il n’en gardait pas un bon souvenir. Puis, suite aux explications de l’enquêteur et du sergent Dumont l’assurant que le test de polygraphe ne porterait que sur la question concernant la découverte de la boîte de munitions, le requérant a accepté. En conséquence, l’enquêteur lui a indiqué qu’il le recontacterait dans ce but avec l’intention que ce test ait lieu au cours de la semaine suivante.

[55]          L’entrevue s’est déroulée de manière cordiale et le sergent Pépin a pu quitter sans aucun problème les lieux à la fin de celle-ci.

[56]          Le 16 novembre 2019, l’adjudant Francuz a été approché par le sergent Pépin, car ce dernier voulait lui parler concernant la boîte de munitions qui avaient été retrouvées dans sa chambre. Le policier militaire lui a alors demandé s’il connaissait celui qui avait fait cela, ce à quoi le requérant a répondu : « je l’ai fait ».

[57]          L’adjudant Francuz a mentionné immédiatement au sergent Pépin de cesser de dire quoi que ce soit d’autre et qu’il le rencontrerait un peu plus tard de manière plus formelle, car il avait besoin de procéder à l’installation de son équipement avant de procéder à l’entrevue. Ils se sont quittés et le policier militaire a décidé d’approcher le capitaine Côté afin d’utiliser la salle de repos où il avait précédemment mené une entrevue avec le sergent Pépin afin d’y installer son équipement d’enregistrement, ce à quoi le capitaine Côté à acquiescer.

[58]          C’est environ deux heures plus tard après la rencontre initiale que l’entrevue formelle du sergent Pépin a débutée. Le sergent Dumont a assisté encore une fois à cette entrevue afin d’agir à titre d’interprète. L’adjudant Francuz a d’abord résumé les circonstances dans lesquelles le requérant l’a approché et il a confirmé avec ce dernier qu’il lui avait avoué qu’il était celui qui avait pris la boîte de munitions. Par la suite, il a informé le requérant de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat, ce à quoi il a renoncé, de son droit de garder le silence, ce à quoi il a indiqué qu’il avait compris, et de son droit de garder le silence malgré le fait qu’il avait parlé auparavant de la situation avec des personnes en autorité, ce qui incluait ce qu’il venait juste de faire et dire avec le policier militaire, ce à quoi il a indiqué qu’il avait bien compris.

[59]          Le sergent Pépin a avoué avoir pris la boîte de munitions de calibre 9 mm alors qu’elle traînait dans un local et qu’il l’a mise dans un sac personnel. La boîte est restée dans ce sac pendant quelques jours et il l’a oubliée. Il a pris son sac et il l’a transporté de son lieu de travail à sa chambre pour y faire le ménage. C’est à ce moment qu’il a réalisé que la boîte de munitions était toujours dans son sac. Il a décidé de la mettre dans un tiroir de sa table de chevet. Il a ramené son sac à son lieu de travail, probablement le lendemain et il a oublié ce qu’il avait fait concernant la boîte de munitions. Il a affirmé qu’en aucun temps, il avait eu l’intention d’utiliser d’une manière quelconque ces munitions ou de les ramener au Canada pour son utilisation personnelle considérant qu’il possède un pistolet de calibre 9 mm.

[60]          Il est à noter que les témoins ont confirmé qu’il devait porter en tout temps leur arme personnelle sur le camp Taji, soit le pistolet de calibre 9 mm avec les chargeurs qui leur avaient été attribués et qu’il pouvait sécuriser le tout dans leur chambre lorsqu’ils y dormaient. De plus, ils devaient garder leurs chargeurs pour leur fusil dans leur veste avec eux, ce qui impliquait qu’ils gardaient aussi ces munitions dans leur chambre avec eux lorsqu’ils y dormaient.

[61]          Suite à l’entrevue, le sergent Pépin n’a fait l’objet d’aucune mesure particulière. Il a quitté le camp à la fin de son service en mission tel que prévu au mois de décembre 2019.

La position des parties

Le requérant

[62]          Le requérant affirme d’abord que la saisie de la boîte de munitions de cinquante balles de calibre 9 mm dans la chambre qu’il occupait avec le caporal Tanguay a été effectuée sans mandat par les policiers militaires et qu’il n’y avait aucun motif d’agir de la sorte en raison de l’urgence de la situation, car il n’existait aucun risque imminent requérant une action immédiate dans les circonstances.

[63]          Le sergent Pépin est d’avis que les policiers militaires ont agi de manière abusive en contravention de ses droits. Considérant l’attente raisonnable au respect de vie privée qu’il avait concernant la section de la chambre qu’il occupait avec le caporal Tanguay, il était nécessaire qu’ils obtiennent un mandat de perquisition en bonne et due forme. L’obtention d’un mandat de perquisition et son exécution six jours après la saisie initiale de la boîte de munitions constitue un acte superfétatoire et totalement inutile qui n’a aucune portée juridique remédiant au défaut d’en avoir obtenu un initialement.

[64]          Considérant la gravité élevée de la conduite des policiers et de son incidence sur ses droits constitutionnels, et la trivialité du contexte et des infractions qui sont reliées qui fait en sorte qu’il existe un intérêt plutôt mitigé de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, il m’invite à conclure que la boîte de munitions doit être exclue à titre d’éléments de preuve dans cette affaire.

[65]          Concernant les déclarations du sergent Pépin faites aux policiers militaires les 10, 14 et 16 novembre 2019, le requérant affirme qu’à chaque fois, il faisait l’objet d’une détention et que la situation requérait qu’il soit informé des motifs de sa détention ainsi que de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Plus particulièrement, l’information qu’avait accumulée le policier militaire qui enquêtait au moment où il l’a rencontré était suffisante pour lui permettre d’avoir des motifs probables et raisonnables de croire qu’il était l’auteur d’une infraction d’ordre militaire. D’ailleurs, la conduite de l’enquêteur à son égard lors des deux premières entrevues démontre clairement, selon lui, cet état de choses. En conséquence, les aveux qu’il aurait faits lors de sa troisième entrevue découlent directement de ce qui a été dit et fait auparavant rendant ainsi inadmissible l’ensemble de ces déclarations.

[66]          Il soumet que ce contexte est suffisant pour soulever un doute raisonnable quant à l’obligation de la poursuite de démontrer le caractère libre et volontaire de ses déclarations, ce qui devrait m’amener à conclure à leur inadmissibilité.

La partie intimée

[67]          Le procureur, à titre de partie intimée dans cette affaire, reconnaît le caractère abusif de la saisie effectuée par les policiers militaires le 25 octobre 2019, puisqu’elle a été effectuée sans mandat. En effet, il admet que le sergent Pépin bénéficiait d’une attente raisonnable de vie privée à degré suffisant pour arriver à une telle conclusion. Cependant, il est d’avis qu’il a réussi à réfuter la présomption liée au caractère déraisonnable de cette saisie car elle était autorisée par la loi, et que l’intrusion des policiers militaires a été extrêmement limitée. En effet, il soumet qu’ils se sont limités à saisir la boîte de munitions et qu’ils n’ont effectué aucune autre fouille ou perquisition dans le lieu de la saisie.

[68]          Puisque la découverte de l’objet n’a pas été faite initialement par les policiers militaires et que la saisie découle plutôt de cette découverte, il prétend que la boîte de munitions n’a pas été obtenue dans des conditions qui portent atteinte au droit du sergent Pépin. De plus, il est d’avis que cette preuve, en raison de son caractère matériel et de sa grande fiabilité, n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice si elle est utilisée. En conclusion, il soumet qu’il n’existe aucune raison pour moi de conclure à l’exclusion de cet élément de preuve dans cette affaire.

[69]          En ce qui a trait à l’admissibilité des déclarations, le procureur de la poursuite est d’avis qu’il a démontré hors de tout doute raisonnable le caractère libre et volontaire de la déclaration du 16 novembre 2019. Quant aux deux autres déclarations, puisqu’elles ne contiennent aucun aveu de la part du sergent Pépin, il n’avait pas à faire une telle démonstration. En revanche, il est d’avis qu’il était nécessaire pour moi d’en prendre connaissance afin de pouvoir rendre une décision quant à l’admissibilité concernant la dernière déclaration de nature incriminante qui avait été faite par l’accusé.

[70]          La discussion qui a eu lieu entre le sergent Pépin et l’adjudant Francuz le 10 novembre 2019 constituait, selon lui, une simple prise de contact de la part du policier militaire et en aucun temps le requérant n’a fait l’objet d’une détention. Au même effet, même si elle s’est déroulée dans un cadre différent, la discussion entre le requérant et le policier militaire qui a eu lieu le 14 novembre 2019 ne soutient d’aucune façon la prétention qu’il avait fait l’objet d’une détention psychologique qui aurait entraîné l’obligation pour l’enquêteur de l’informer sans délai des motifs de sa détention et de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat sans frais.

[71]          Quant à la déclaration du requérant qu’il a fait aux policiers militaires le 16 novembre 2019, en raison de la mise en garde supplémentaire faite par l’enquêteur et le policier militaire qui l’assistait dans les deux langues officielles à l’effet que le sergent Pépin n’avait aucune obligation de lui parler en raison de ce qu’il avait dit antérieurement à des personnes en autorité ou de pression que ces dernières auraient exercées sur lui. En ce sens, malgré qu’il eût fait de courts aveux avant de recevoir ses droits légaux et mises en garde, l’enquêteur s’est assuré du respect des droits du requérant pour pouvoir commencer cette entrevue sur une nouvelle base.

[72]          Ainsi, les déclarations du sergent Pépin ont été faites dans le respect de ses droits constitutionnels et sont, par les faits même, admissibles.

L’analyse

[73]          Le paragraphe 24(2) de la Charte est ainsi libellé :

Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[74]          En conséquence, je dois décider si le requérant a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve a été obtenue d’une façon qui portait atteinte à ses droits que la Charte lui reconnaît.

[75]          S’il s’avère que c’est le cas, il doit alors établir que l’élément de preuve qu’il veut que j’exclue a été obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits que lui confère la Charte.

[76]          Dans l’affirmative, je devrai décider si, eu égard aux circonstances, l’admission de ces éléments de preuve pour les fins de cette cour martiale est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

La boîte de munitions de calibre 9 mm

[77]          En ce qui concerne la découverte et la saisie de la boîte de munitions de calibre 9 mm, il s’agit de déterminer si elle a été obtenue d’une manière qui porte atteinte à son droit à la protection contre les saisies abusives que l’article 8 de la Charte protège.

[78]          D’entrée de jeu, il est admis par la poursuite que l’intervention des policiers militaires dans la chambre du sergent Pépin le 25 octobre 2019 afin de saisir la boîte de munitions constitue une intervention de l’État autorisant l’application de la Charte.

[79]          De plus, la poursuite convient que puisqu’il s’agit d’une saisie sans mandat, cette saisie est présumée abusive et qu’il lui revient de réfuter cette présomption.

[80]          Dans cette perspective, la poursuite a déclaré que le sergent Pépin bénéficiait d’une attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée, mais qu’en raison des pratiques, des politiques et des dispositions règlementaires s’appliquant à un théâtre d’opérations à l’étranger, cette attente était réduite. En conséquence, cela aurait pour effet de minimiser la violation du droit de l’accusé découlant de la saisie effectuée par la police militaire.

[81]          La partie intimée est aussi d’avis que cette saisie ne peut être qualifiée d’abusive en raison de la manière dont elle s’est déroulée. Elle invoque le fait que les policiers militaires se sont limités à saisir l’objet montré par le caporal Tanguay et qu’ils ont agi de manière à diminuer le plus possible l’impact de leur intrusion en se limitant à ce fait et en ne procédant à aucune autre fouille ou perquisition dans la chambre.

[82]          Sur le plan subjectif, il est tout à fait raisonnable que le sergent Pépin ait quelques attentes en matière de respect de sa vie privée puisque la chambre qui lui a été assignée lui a permis de développer et de maintenir un espace personnel. Objectivement, il était tout à fait raisonnable d’en arriver à une telle conclusion, considérant que l’accès à la chambre était limité aux deux occupants, soit caporal Tanguay et lui-même, en raison d’une clé que chacun possédait, leur permettant de gérer l’accès à celle-ci, et qu’il s’agissait du seul endroit où ils pouvaient entreposer leurs effets personnels. Au surplus, l’espace personnel utilisé était clairement délimité pour chacun des cochambreurs, et personne ne pouvait y avoir accès, tel qu’illustré par le caporal Tanguay qui, malgré les deux mois d’absence du sergent Pépin, a clairement déclaré qu’il n’était jamais allé du côté occupé par le requérant sans sa permission, à l’exception de la fois où il a cherché un filtre de remplacement pour le purificateur d’air avec le sergent Villeneuve. L’attente du sergent Pépin quant au respect de sa vie privée était donc raisonnable.

[83]          Je suis d’accord avec la poursuite que l’attente en matière de vie privée du sergent Pépin était quand même réduite car l’occupation de la chambre était temporaire, soit pour un séjour d’environ six mois, que l’accès était quand même possible pour des raisons d’inspection reliée à la salubrité et la sécurité, et qu’il occupait cette chambre avec quelqu’un d’autre. Cependant, même si ces circonstances réduisaient l’attente en matière de vie privée que pouvait avoir le sergent Pépin quant à sa chambre, elle existait quand même.

[84]          Même si le caporal Tanguay pouvait donner un certain accès à la chambre, il est évident qu’il ne possédait pas la même autorité en ce qui concerne l’espace occupé par le sergent Pépin, car il ne s’agissait pas d’un espace commun.

[85]          Lors de la saisie effectuée par les policiers militaires, le caporal Tanguay a agi dans le cadre de l’enquête et sous la supervision des policiers. Ainsi, qu’il ait montré de sa propre initiative ou non l’objet auquel il référait en raison d’une demande des policiers m’apparaît superflu, car c’est en raison de l’intervention et en présence des policiers qu’il a ouvert le tiroir donnant accès à la boîte de munitions.

[86]          À mon avis, les policiers ont donc effectué une fouille et une saisie sans mandat sans aucun égard quant à l’attente du respect à la vie privée du requérant. Sur cette question, l’adjudant Francuz a d’ailleurs concédé dans le cadre de son témoignage qu’il aurait probablement été préférable d’obtenir un mandat de perquisition avant de procéder à la fouille et la saisie de la boîte de munitions, ce qui dénote qu’il existait une conscience chez le policier qu’il avait franchi une ligne alors qu’il n’aurait pas dû concernant le respect de la vie privée du requérant.

[87]          La dénonciation au soutien de la demande de l’émission de mandat de perquisition par le commandant présenté trois jours après que la saisie a été effectuée vient d’ailleurs supporter cette perspective. Le fait qu’un supérieur du policier militaire ait cru bon qu’il fallait obtenir un mandat de perquisition pour documenter la manière dont la saisie a été effectuée et aussi préserver la preuve qu’elle constituait pour les fins de l’enquête, et aussi pour essayer de lui procurer une validation juridique, illustre très bien l’état d’esprit des policiers militaires quand la nécessité d’avoir eu un tel mandat avant que la saisie soit effectuée.

[88]          C’est en toute connaissance de cause que les policiers savaient qu’ils interféraient dans la vie privée du requérant, et malgré cette connaissance, ils ont quand même décidé de procéder à la saisie de l’objet en question dans la chambre du requérant.

[89]          Cet état de fait a pour résultat de m’amener à conclure que la poursuite n’a pas réussi à se décharger de son fardeau de preuve à l’effet de démontrer que la saisie effectuée de la boîte de munitions de calibre 9 mm dans la chambre du requérant le 25 octobre 2019 n’était pas abusive.

[90]          En conséquence, la preuve a été obtenue d’une façon qui portait atteinte aux droits du sergent Pépin que l’article 8 de la Charte protège et lui reconnaît, et l’obtention de celle-ci a été faite dans des conditions qui portent atteinte aux droits que lui confère ce même article de la Charte.

[91]          Il me reste donc à déterminer si l’admission de ces éléments de preuve pour les fins de cette cour martiale est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[92]          Le premier élément à examiner est la gravité de la conduite attentatoire des policiers. D’entrée de jeu, je tiens à rappeler qu’une attente en matière de respect de la vie privée, quoique réduite, en demeure une quand même. Comme je l’ai écrit auparavant, malgré la conscience qu’avait l’adjudant Francuz quant à la nécessité de l’obtention d’un mandat de perquisition avant de procéder à la saisie, il a décidé consciemment de saisir l’objet sans en obtenir un.

[93]          Le contexte de l’urgence de la situation ne constitue nullement une excuse. Si la présence des balles dans la chambre constituait une urgence exigeant une action immédiate, je crois qu’il est évident que le caporal Tanguay, le capitaine Côté ou tout autre membre du détachement qui était au courant de la situation serait intervenu en retirant les balles de la chambre et en les déposant dans un endroit plus sécuritaire. La preuve démontre plutôt qu’en théâtre opérationnel, la présence de cette boîte de munitions en plus des munitions et de l’arme que le caporal Tanguay avait déjà en sa possession dans sa chambre, ne constituait pas un souci pour sa sécurité. C’est plutôt le fait qu’un tel objet n’aurait pas dû être normalement en possession du requérant qui préoccupait tout le monde.

[94]          C’est d’ailleurs plutôt dans cette perspective que l’intervention de la police militaire a été faite, expliquant ainsi le commentaire de l’adjudant Francuz quant à l’obtention préalable de mandat de perquisition pour effectuer la saisie de l’objet.

[95]          L’intervention des policiers est grave même si elle est limitée, car elle démontre une grande insouciance et une témérité très préoccupante quant au respect des droits constitutionnels des militaires canadiens, droits qui continuent à recevoir application même dans le cadre d’une opération à l’étranger. Les policiers ont agi d’une manière flagrante, conscients qu’ils agissaient fort probablement en contravention avec le droit constitutionnel du requérant quant à la protection contre une saisie abusive et il n’existe aucune circonstance atténuante qui pourrait justifier leur geste.

[96]          Le deuxième élément que je dois évaluer est l’incidence de cette violation sur les droits protégés. La manière dont les policiers ont agi donne à penser que les droits constitutionnels d’un militaire ont très peu de poids et qu’ils peuvent simplement être bafoués en raison du contexte sans avoir à se justifier.

[97]          Lorsqu’une personne devient un militaire au sein des Forces armées canadiennes, ses droits individuels ne disparaissent pas. Au contraire, ils demeurent dans leur entièreté. C’est en raison des obligations additionnelles qui découlent de l’exercice d’un tel métier que leur modulation peut trouver une justification dans la société canadienne, particulièrement en raison du fonctionnement exigé par la profession des armes.

[98]          En allant fouiller et saisir un objet dans la chambre du sergent Pépin où ses affaires personnelles étaient conservées, ce qui lui avait permis de se créer une forme d’intimité personnelle dans un endroit restreint sur le camp à Taji dans le cadre d’une opération à l’étranger, les policiers ont volontairement ignoré la protection minimale que notre Constitution lui confère alors qu’il se met volontairement en danger au bénéfice de tous les autres Canadiens.

[99]          L’incidence de cette violation sur les droits du sergent Pépin est donc très grande.

[100]      Quant à l’intérêt de la société à trancher l’affaire au fond, il m’apparaît clair que la boîte de munitions est une preuve matérielle qui n’est pas si essentielle pour la preuve de la poursuite, même si elle est une preuve fiable. Rien n’empêche la poursuite de faire référence à la nature de l’objet par le biais d’une preuve testimoniale pour en faire la démonstration au soutien d’un élément essentiel d’une accusation.

[101]      Je conclus que l’admissibilité de la boîte de munitions de calibre 9 mm saisie par les policiers militaires dans la chambre du requérant sur le camp Taji en Irak déconsidèrera l’administration de la justice et, en conséquence, j’ordonne l’exclusion de cette preuve.

Les trois déclarations de l’accusé

[102]      Le sergent Pépin soumet qu’à chaque fois qu’il a rencontré le policier militaire, l’adjudant Francuz, dans le cadre de l’enquête visant à établir comment et qui était responsable d’avoir pris illégalement la boîte de munitions, il faisait l’objet d’une détention de nature psychologique qui aurait dû entraîner l’obligation constitutionnelle pour le policier de l’informer des motifs de sa détention et de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. En omettant d’agir ainsi, le policier militaire aurait porté atteinte à ses droits prévus aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.

[103]      Tel que mentionné dans la décision de la Cour suprême du Canada de R. c. Suberu, 2009 CSC 33, au paragraphe 22, il y a détention psychologique soit quand un individu est légalement tenu d’obtempérer à la demande contraignante ou à la sommation faite par un policier, soit quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite du policier, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer. C’est à celui qui s’en plaint de démontrer que, dans les circonstances, on l’a effectivement privé de sa liberté de choix. Le critère applicable est donc objectif.

[104]      Tel que mentionné par la Cour suprême du Canada dans R. c. Grant, 2009 CSC 32 au paragraphe 44 :

2.             En l’absence de contrainte physique ou d’obligation légale, il peut être difficile de savoir si une personne a été mise en détention ou non.  Pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation conclurait qu’elle a été privée par l’État de sa liberté de choix, le tribunal peut tenir compte, notamment, des facteurs suivants :

a)            Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers fournissaient‑ils une aide générale, assuraient‑ils simplement le maintien de l’ordre, menaient‑ils une enquête générale sur un incident particulier, ou visaient‑ils précisément la personne en cause dans le cadre d’une enquête ciblée?

b)            La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes et la durée de l’interaction.

c)             Les caractéristiques ou la situation particulière de la personne, selon leur pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou son degré de discernement.

[105]      Lors de ces rencontres les 10, 14 et 16 novembre 2019 avec l’adjudant Francuz, le sergent Pépin n’a fait l’objet d’aucune contrainte physique de la part du policier militaire et il ne sait pas exposer à une sanction juridique s’il refusait de lui parler ou de le rencontrer.

[106]      Je me dois donc d’examiner si le policier militaire, dans le contexte général de chacune de ces interactions, aurait porté une personne raisonnable, placée dans la même situation, à conclure que le requérant n’était pas libre de partir et qu’il devait obtempérer à la demande du policier de le rencontrer.

[107]      Lors de la rencontre du 10 novembre 2019, le sergent Pépin avait été informé que le policier militaire désirait le rencontrer concernant la boîte de munitions qui avait été retrouvée dans sa chambre. Lorsque le policier militaire l’a approché, il s’agissait d’une première prise de contact afin d’établir un moment opportun pour le requérant de discuter de cette affaire avec le policier.

[108]      Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances conclurait aisément qu’elle était libre de ne pas suivre l’adjudant Francuz et de refuser de lui parler. Ce n’est pas parce que le policier militaire a décidé d’aller dans un endroit assurant une plus grande confidentialité au requérant que cela fait en sorte que ce dernier pouvait penser raisonnablement qu’il était détenu. En réalité, le policier militaire a noté la confusion apparente qui habitait le sergent Pépin et il n’a eu aucune difficulté à constater qu’il valait mieux, dans les circonstances, qu’il le rencontre plus tard. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances arriverait facilement à la conclusion que le policier militaire ne désirait qu’exprimer son intérêt à rencontrer le requérant et qu’il n’y avait aucune forme quelconque de détention durant cette brève interaction.

[109]      En ce qui a trait à l’entrevue du sergent Pépin faite par le policier militaire le 14 novembre 2019, l’attitude qu’avait le requérant et la convivialité dans laquelle elle s’est déroulée n’offrent aucun indice quelconque quant à une forme de détention psychologique. Le sergent Pépin s’est rendu à cet endroit de son plein gré et il est clair qu’il n’avait aucune obligation de se rendre à cette entrevue. Une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, serait arrivée à la conclusion que le policier militaire cherchait à comprendre comment la boîte de munitions avait pu arriver dans la chambre du sergent Pépin et qu’il essayait d’abord de comprendre comment la relation qui existait entre le requérant et les trois autres mitrailleurs de porte avaient pu influencer sur une telle situation et l’aiguiller d’une manière ou d’une autre sur le ou les auteurs de l’infraction.

[110]      Les sujets abordés durant cette entrevue sont révélateurs de cette intention, car le policier militaire s’est attardé à discuter du fonctionnement du détachement lors de la tenue d’un champ de tir, à connaître mieux la relation entre les mitrailleurs de porte, à comprendre la relation entre les cochambreurs et l’accès permis à la chambre.

[111]      Outre le fait que la boîte de munitions a été retrouvée dans la chambre du sergent Pépin, l’enquêteur n’avait aucune autre information concrète à ce moment-là qui pourrait l’avoir aidé à penser que le requérant était l’auteur du vol de la boîte de munitions.

[112]      Le test de polygraphe n’est qu’un outil pour l’enquêteur et ce dernier a choisi de l’évoquer de manière raisonnable, car cela pouvait l’aider à se faire une idée dans les circonstances. Le niveau de familiarité exprimée par le sergent Pépin avec ce test, et le fait qu’il a subséquemment accepté de le passer n’est en rien un indicateur quelconque qu’il se sentait contraint psychologiquement au point d’être détenu par le policier militaire. Objectivement, ce fait ne démontre aucunement que le requérant agissait sous l’effet de la contrainte. Au contraire, en raison de la discussion franche et des explications additionnelles fournies par les policiers sur cette question, il est évident que le sergent Pépin était tout à fait libre d’accepter ou de refuser de passer ce test.

[113]      Il n’est pas étonnant que cette entrevue ait duré plus longtemps que celle conduite à l’égard des autres personnes interrogées dans cette affaire, car son déroulement démontre que le sergent Pépin était à l’écoute et qu’il avait plusieurs questions auxquelles les policiers ont tenté de répondre clairement afin d’éviter tout malentendu. C’est sans hésiter et même parfois en faisant quelques blagues que le requérant a décidé de répondre avec beaucoup de détails aux questions du policier militaire, ce qui peut expliquer la longueur de l’entrevue.

[114]      Pour moi, une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait conclu qu’elle était libre de partir quand bon il lui semblait, surtout considérant que les policiers militaires présents ont mentionné ce fait et qu’ils n’ont posé aucun geste qui pourrait laisser croire qu’il tentait, sur le plan psychologique, de retenir le sergent Pépin.

[115]      Finalement, l’entrevue du 16 novembre 2019 s’est tenue à la demande expresse du sergent Pépin qui désirait faire part à l’adjudant Francuz de nouvelles informations concernant cette enquête. C’est de manière tout à fait avisée que le policier militaire qui a reçu les débuts d’un aveu en apparence volontaire a décidé de demander au requérant de cesser de lui parler jusqu’à ce qu’il soit en mesure d’enregistrer sa déposition et de lui faire part de ses droits légaux et mises en garde nécessaires dans les circonstances.

[116]      Vu objectivement, aucun des gestes et des paroles posés par le policier ne peut amener une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, à conclure qu’il était sous l’exercice d’une contrainte de la part de ce dernier.

[117]      En effet, après avoir commencé à faire un aveu, le sergent Pépin a dû attendre environ une heure avant que le policier militaire soit prêt à le rencontrer à nouveau. L’adjudant Francuz a pris la peine de confirmer les circonstances dans lesquelles le requérant l’avait approché, puis il a pris le soin de lui indiquer de quoi il le soupçonnait en raison de ces circonstances, de son droit à l’assistance d’un avocat sans frais, de son droit de garder le silence et, plus spécifiquement, de son droit de garder le silence malgré tout ce qu’il avait dit ou fait auparavant en présence d’une personne en autorité, ce qui incluait ce qui venait de se passer juste auparavant. C’est en toute connaissance de cause et malgré le fait qu’il s’est fait dire au début et durant l’entrevue qu’il pouvait partir de son propre gré que le sergent Pépin a décidé de faire certains aveux.

[118]      Le capitaine Côté a témoigné qu’en raison de la relation qu’il avait avec le sergent Pépin, ce dernier ne s’est jamais fait ordonner de rencontrer les policiers, mais plutôt a été avisé de l’intérêt que l’adjudant Francuz avait à le rencontrer pour faire progresser son enquête. Être informé que nous sommes une personne d’intérêt parmi d’autres pour un enquêteur n’a pas pour effet d’exercer automatiquement une contrainte de nature psychologique au point qu’à chaque fois que nous sommes en présence d’un enquêteur, nous devons considérer que nous sommes détenus. Dans les circonstances de cette affaire, je vois difficilement comment une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, en serait arrivée à une telle conclusion.

[119]      En conclusion, le sergent Pépin ne faisait pas l’objet d’une détention psychologique lors des rencontres qu’il a eues avec l’adjudant Francuz les 10, 14 et 16 novembre 2019, et en conséquence, le policier militaire n’avait pas l’obligation constitutionnelle de l’informer des motifs de sa détention et de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Vu objectivement, la prétention du sergent Pépin qu’il faisait l’objet d’une détention de nature psychologique lorsqu’il a rencontré à trois reprises l’adjudant Francuz est déraisonnable.

[120]      Le requérant n’a donc pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que ces trois déclarations ont été obtenues d’une façon qui portait atteinte à ses droits que la Charte lui reconnaît.

[121]      Concernant la question de l'admissibilité des déclarations verbales du sergent Pépin du 10, 14 et 16 novembre 2019 en vertu de l'article 42 des Règles militaires de la preuve (RMP) ainsi qu'en vertu de la règle de common law, j’en viens à la conclusion qu’elles sont toutes les trois admissibles.

[122]      L'article 42 des RMP reprend dans son essence la règle de common law définie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3. Cependant, cette dernière décision a pour effet de préciser un certain nombre de facteurs qui ne se retrouve pas actuellement à l'article 42 des RMP comme l'état d'esprit conscient et les ruses policières, et en cela, cette situation commande que cette cour utilise plutôt les facteurs précisés dans Oickle, reflétant ainsi la situation la plus favorable pour l'accusé en matière de recevabilité d'un aveu non officiel.

[123]      C’est donc parce qu’il existe une règle de preuve de common law sur le même principe qui est plus favorable au requérant que ce qui existe à l’article 42 des RMP que je me dois de considérer l’utiliser.

[124]      Il est essentiel de rappeler qu'aucune déclaration d'un accusé à une personne en autorité n'est admissible en tant que partie intégrante de la preuve présentée par la poursuite, ou encore dans le cadre du contre-interrogatoire d'un accusé, qu'à la condition que son caractère volontaire soit prouvé hors de tout doute raisonnable.

[125]      Le caractère volontaire d'une déclaration exige, d'une part, qu'elle n'ait pas été obtenue à la suite d’une crainte de quelque préjudice ou l'espoir d'un avantage suite à une promesse faite par une personne en autorité, et d'autre part, qu'elle soit le produit d'un état d'esprit conscient. Les fondements d'une telle règle proviennent du fait d'éviter les condamnations qui s'appuient sur des confessions dont la fiabilité pourrait être douteuse et aussi pour dissuader toute tactique coercitive de l'État.

[126]      En appliquant la règle de common law des confessions, il est important de garder à l'esprit son double objectif qui est, à la fois le besoin de protéger les droits d'un accusé, sans pour autant limiter celui de la nécessité pour la société que soit enquêté et résolu les crimes, tel que mentionné par le juge Iacobucci, au nom de la majorité, au paragraphe 33 de la décision Oickle.

[127]      Qu'une déclaration soit volontaire est une question presque entièrement contextuelle. En raison de la variété et de l'interaction complexe des circonstances qui peuvent en vicier le caractère volontaire, la détermination de cette question est gouvernée beaucoup plus par des directives que par des règles. Le juge doit considérer l'ensemble des circonstances entourant la déclaration et se demander si cela soulève un doute raisonnable en ce qui a trait à son caractère volontaire. Comme mentionné dans la décision de Oickle aux paragraphes 47 à 71, les facteurs pertinents que le juge doit considérer incluent :

a)         les menaces ou promesses;

b)         l'oppression;

c)         l'état d'esprit conscient;

d)         les autres ruses policières.

[128]      Dans le présent voir-dire, il n'est pas contesté par la poursuite que la déclaration de l'accusé a été faite à une personne en autorité. Une personne en autorité est toute personne pour qui l'accusé croit raisonnablement qu'elle agit au nom de l'État et qu'elle pourrait influencer le cours de l'enquête ou du procès. Cette définition comporte à la fois des aspects objectifs et subjectifs.

[129]      Ici, le sergent Pépin a été rencontré à deux reprises par un policier militaire dans le cadre d'une enquête et lors de la troisième rencontre, il était soupçonné de vol et de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[130]      La tenue d’un voir-dire sur cette question était nécessaire, considérant que le sergent Pépin a clairement annoncé qu’il n’admettait pas le caractère libre et volontaire de ses déclarations.

[131]      À mon avis, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable, qu’à l’égard des trois déclarations, qu’il n’y avait eu aucune menace ou promesse faite pour l’obtention de celles-ci par l’adjudant Francuz. De plus, il a été démontré hors de tout doute raisonnable que ce dernier n’a exercé aucune oppression pour leur obtention.

[132]      La poursuite a aussi démontré que le requérant avait l’état d’esprit conscient requis. Tel qu’il appert des déclarations enregistrées, le sergent Pépin apparaît comme étant un individu articulé, conscient des risques auxquels il s’exposait et ayant la capacité de poser les questions nécessaires pour comprendre ce qui se passait.

[133]      Il n’y a aucune prétention voulant que le policier militaire a fait l’usage de ruses. À la suite de l’analyse de la preuve, j’en viens à la conclusion hors de tout doute raisonnable que ce n’est effectivement pas le cas.

[134]      Par suite de l'analyse de ces facteurs, que ce soit de manière individuelle ou en les considérants dans leur ensemble, j'en viens à la conclusion que la poursuite à démontrer hors de tout doute raisonnable le caractère libre et volontaire des déclarations verbales du sergent Pépin du 10, 14 et 16 novembre 2019.

POUR TOUTES CES RAISONS :

[135]      J’ACCUEILLE en partie la requête du requérant quant à la question de la saisie de la boîte de munitions de calibre 9 mm.

[136]      JE DÉCLARE que la boîte de munitions de calibre 9 mm qui a été saisie par la police militaire le 25 octobre 2019 a été obtenue d’une façon qui portait atteinte aux droits du sergent Pépin que l’article 8 de la Charte lui reconnaît, et l’obtention de celle-ci a été faite dans des conditions qui portent atteinte aux droits que lui confère ce même article de la Charte.

[137]      J’ORDONNE l’exclusion de la boîte de munitions de calibre 9 mm à titre de preuve conformément au paragraphe 24(2) de la Charte, car son admission déconsidérait l’administration de la justice.

[138]      JE DÉCLARE que l’obtention des déclarations verbales du sergent Pépin fait à la police militaire les 10, 14 et 16 novembre 2019 n’ont pas été obtenues d’une façon qui portait atteinte au droit du sergent Pépin prévu aux alinéas 10a) et 10b) de la Charte.

[139]      JE DÉCLARE que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable le caractère libre et volontaire des déclarations verbales du sergent Pépin faites à la police militaire les 10, 14 et 16 novembre 2019.

[140]      JE DÉCLARE admissibles dans le cadre de la cour martiale générale les déclarations verbales du sergent Pépin faites à la police militaire les 10, 14 et 16 novembre 2019.


Avocats :

Lieutenant de vaisseau J.-M. Tremblay, Service d’avocats de la défense, avocat du sergent C. Pépin, le requérant

Major É. Baby-Cormier, Major L. Langlois et Capitaine B. Richard, représentants du Directeur des poursuites militaires, avocats de l’intimée

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