NATURE DE L’APPEL
Une demande à plusieurs volets a été présentée à la Commission des services policiers du Grand Sudbury (la « police ») en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée (la « Loi ») pour obtenir l’accès aux documents suivants :
1. Une copie d’un rapport rédigé par un enquêteur de la police (ainsi que le nom de son collègue) concernant une plainte formulée par un particulier identifié;
2. Une copie du rapport, avec le nom de l’enquêteur, sur une enquête menée concernant certaines circonstances impliquant le particulier identifié;
3. Une copie complète de deux dossiers de plainte du bureau des normes professionnelles (BNP) de la police.
La police a envoyé une lettre de décision à l’auteur de la demande dans laquelle elle :
1. a accordé un accès partiel à un constat de police d’une page en réponse à la première partie de la demande et divulgué le nom des agents de service. La police a invoqué les exceptions discrétionnaires énoncées à l’alinéa 38 a) (pouvoir de refuser de divulguer à l’auteur de la demande des renseignements qui le concernent) parallèlement à l’alinéa 8 (2) a) (rapport dressé au cours de l’exécution de la loi) et à l’alinéa 38 b) (vie privée), en mentionnant notamment la présomption énoncée à l’alinéa 14 (3) b) (enquête reliée à une contravention possible à la loi) pour refuser l’accès à une partie du document;
2. a refusé de confirmer ou de nier l’existence de documents qui seraient visés par la deuxième partie de la demande;
3. a soutenu que le paragraphe 52 (3) soustrait les dossiers de plainte demandés à l’application de la Loi.
L’auteur de la demande (désormais l’appelant) a interjeté appel de la décision.
La médiation n’ayant pas permis de régler le différend, l’appel est passé au stade de l’arbitrage. Pour commencer, j’ai envoyé un avis d’enquête et un avis d’enquête supplémentaire énonçant les faits et les enjeux de cet appel à la police, qui a fait des observations. J’ai ensuite envoyé un avis d’enquête à l’appelant, avec les observations intégrales de la police. L’appelant a répondu en présentant ses propres observations.
DOCUMENTS
Les documents qui demeurent en litige dans cet appel sont les parties non divulguées d’un constat de police d’une page et le contenu de deux dossiers du BNP, y compris trois disques compacts. Le refus de la police de confirmer ou de nier l’existence de documents visés par la deuxième partie de la demande est également en cause.
DOCUMENTS RELATIFS AUX RELATIONS DE TRAVAIL OU À L’EMPLOI
La police soutient que les dispositions 1 et 3 du paragraphe 52 (3) de la Loi font en sorte que le contenu des deux dossiers du BNP (troisième partie de la demande) est soustrait à l’application de la Loi.
J’aborderai pour commencer l’application de la disposition 3 du paragraphe 52 (3) de la Loi, qui est libellé ainsi :
Sous réserve du paragraphe (4), la présente loi ne s’applique pas aux documents recueillis, préparés, maintenus ou utilisés par une institution ou pour son compte à l’égard de ce qui suit :
Les réunions, les consultations, les discussions ou les communications, en ce qui a trait aux relations de travail ou à des questions en matière d’emploi, dans lesquelles l’institution a un intérêt.
Le paragraphe 52 (4) prévoit des exceptions aux exclusions du paragraphe 52 (3), mais elles ne s’appliquent pas aux documents en cause.
Le paragraphe 52 (3) repose sur les documents et les faits en question. S’il s’applique aux documents en cause dans cet appel, ces documents sont soustraits à l’application de la Loi.
Disposition 3 du paragraphe 52 (3) : questions dans lesquelles l’institution a un intérêt
Introduction
Pour que la disposition 3 du paragraphe 52 (3) s’applique, la police doit démontrer que :
1. les documents ont été recueillis, préparés, maintenus ou utilisés par elle ou pour son compte;
- les documents ont été recueillis, préparés, maintenus ou utilisés à l’égard de réunions, de consultations, de discussions ou de communications;
- les réunions, consultations, discussions ou communications avaient trait aux relations de travail ou à des questions en matière d’emploi, dans lesquelles l’institution a un intérêt.
Première partie : recueillis, préparés, maintenus ou utilisés
La police affirme avoir recueilli, préparé, maintenu ou utilisé le contenu des deux dossiers du BNP.
Je considère que le BNP a recueilli, maintenu ou utilisé le contenu des deux dossiers afin de mener une enquête sur la plainte formulée par l’appelant aux termes de la Loi sur les services policiers (LSP) au sujet de la conduite d’un policier identifié. Ces deux dossiers contiennent également des copies d’une correspondance de la Commission civile des services policiers de l’Ontario (CCSPO) adressée à la police concernant son examen de la décision du commandant du BNP de ne pas donner suite à la plainte de l’appelant.
Bref, je suis persuadé que le contenu des deux dossiers du BNP a été recueilli, préparé, maintenu ou utilisé par une institution. Par conséquent, la police a respecté la première partie du critère d’application de la disposition 3 du paragraphe 52 (3).
Deuxième partie : réunions, consultations, discussions ou communications
L’examen des deux dossiers et la nature des documents révèlent que des réunions, consultations, discussions ou communications diverses faisant intervenir la police ou la CCSPO ont eu lieu concernant les documents.
Par conséquent, je considère que la police a recueilli, préparé, maintenu et utilisé le contenu des deux dossiers pour des réunions, consultations, discussions ou communications.
Je juge donc que la deuxième partie du critère d’application de la disposition 2 du paragraphe 52 (3) a été respecté en ce qui a trait au contenu de ces dossiers.
Troisième partie : relations de travail ou questions en matière d’emploi dans lesquelles l’institution a un intérêt
Les réunions, consultations, discussions et communications en cause ont porté sur des questions de nature éventuellement disciplinaire impliquant un agent de police identifié. Or, le CIPVP a déjà établi que les questions disciplinaires impliquant des policiers constituent des « questions en matière d’emploi » [voir à cet égard les ordonnances M-835, PO-2499 et PO‑2426].
Dans l’ordonnance PO-2658, l’arbitre Colin Bhattacharjee a abordé l’incidence de la décision Ontario (Ministry of Correctional Services) v. Goodis [2008] O.J. No. 289 (Goodis) sur les dispositions 1 et 3 du paragraphe 65 (6) de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, les équivalents provinciaux des dispositions 1 et 3 du paragraphe 52 (3) de la Loi. Il a écrit :
[Traduction]
[...] la Cour divisionnaire a statué que le paragraphe 65 (6) n’exclut pas tous les documents concernant les actes ou les omissions d’un employé uniquement parce que cette conduite pourrait donner lieu à un litige civil dans lequel la Couronne pourrait être reconnue responsable des torts causés par ses employés [Goodis]. En particulier, la Cour a déclaré ce qui suit concernant le sens des dispositions 1 et 3 du paragraphe 65 (6) :
La disposition 1 du par. 65 (6) traite de documents recueillis, préparés, maintenus ou utilisés par l’institution à l’égard d’instances ou d’instances prévues « en ce qui a trait aux relations de travail ou à l’emploi d’une personne par l’institution ». Les instances dont il semble être question dans cette disposition ont trait à l’emploi ou aux relations de travail, c’est-à-dire à des modalités d’emploi, par exemple, des mesures disciplinaires prises contre un employé ou des instances de grief. En d’autres mots, cette disposition exclut les documents concernant des questions dans lesquelles l’institution a un intérêt en tant qu’employeur. Par contre, elle n’exclut pas les documents concernant des poursuites intentées par un tiers contre le ministère à la suite de mesures prises par des employés du gouvernement.
En outre, le libellé de la disposition 3 du par. 65 (6) indique clairement que les documents recueillis, préparés, maintenus ou utilisés par le ministère à l’égard de réunions, de consultations ou de communications sont exclus uniquement si ces réunions, consultations, discussions ou communications ont trait aux relations de travail ou à des « questions en matière d’emploi » dans lesquelles l’institution a un intérêt. Les questions en matière d’emploi sont distinctes des questions touchant les actes des employés.
On se demande donc si les documents ayant trait à des questions disciplinaires impliquant des policiers sont des « questions en matière d’emploi » au sens de la disposition 3 du paragraphe 65 (6) de la Loi, car ces documents ont été créés à la suite de plaintes déposées par un tiers concernant les actes de ces policiers. Dans sa décision, la Cour divisionnaire a donné des indications à ce sujet. Ainsi, elle a commenté la décision de la Cour d’appel dans Ontario (Solicitor General) v. Ontario (Assistant Information and Privacy Commissioner) (2001), 55 O.R. (3d) 355, où l’un des documents en cause était une copie d’un dossier de plainte du public du Bureau du commissaire aux plaintes contre la police :
[...] il ne fait aucun doute en l’occurrence que le dossier documentant l’enquête sur la plainte était une question en matière d’emploi, ce qui n’est pas étonnant car cette plainte pouvait donner lieu à des mesures disciplinaires contre un policier. Cependant, on ne peut prétendre que tous les documents concernant la conduite d’un employé sont soustraits à l’application de la Loi, même s’ils sont contenus dans un dossier concernant une instance civile ou une plainte déposée par un tiers. La question de savoir si un document en particulier est une « question en matière d’emploi » doit être établie au cas par cas. (Les italiques sont de moi.)
J’ai examiné attentivement les documents en cause dans et appel et qui portent sur l’enquête du BNP au sujet des plaintes déposées contre les deux agents de la Police provinciale de l’Ontario et sur l’examen mené par la CCSPO des deux décisions rendues par le commandant du BNP. À mon avis, ces documents sont des « questions en matière d’emploi » du fait que les deux policiers étaient exposés à des mesures disciplinaires. Je juge donc que les réunions, discussions, consultations et communications qui ont eu lieu étaient des « questions en matière d’emploi ».
Je suis d’accord avec l’analyse de l’arbitre Bhattacharjee et je la reprends aux fins du présent appel. Je considère qu’elle s’applique aussi bien à l’analyse de la troisième partie du critère d’application de la disposition 3 du paragraphe 52 (3). L’examen des copies des documents contenus dans les deux dossiers du BNP me porte à conclure que ces copies sont des questions en matière d’emploi, du fait que le policier identifié pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires à la suite de la plainte de l’appelant. Je considère donc que les réunions, discussions, consultations ou communications qui ont eu lieu étaient des « questions en matière d’emploi ».
Il reste à déterminer si ces réunions, discussions, consultations et communications étaient des questions en matière d’emploi « dans lesquelles l’institution a un intérêt ». Cet « intérêt » doit être plus qu’une simple curiosité ou préoccupation; ces questions font intervenir les employés de l’institution [Ontario (Solicitor General) v. Ontario (Assistant Information and Privacy Commissioner), précitée].
À mon avis, la police a un intérêt dans les questions en matière d’emploi traitées dans les deux dossiers, et cet intérêt est plus qu’une simple curiosité ou préoccupation. En tant qu’employeur du policier identifié, la police, de toute évidence, n’a pas qu’un intérêt négligeable dans les décisions du commandant du BNP relativement à la plainte déposée contre le policier identifié et dans l’issue de l’examen subséquent mené par la CCSPO.
Je suis persuadé que la police a respecté la troisième partie du critère d’application de la disposition 3 du paragraphe 52 (3).
Étant donné que la police a respecté les trois parties du critère d’application de la disposition 3 du paragraphe 52 (3), je considère que les copies des documents contenues dans les deux dossiers du BNP sont soustraites à l’application de la Loi en vertu de cette disposition. Par conséquent, je n’ai pas à déterminer également s’ils sont soustraits à la Loi en vertu de la disposition 1 du même paragraphe.
RENSEIGNEMENTS PERSONNELS
Pour déterminer quelles dispositions de la Loi peuvent s’appliquer, il faut établir si les documents contiennent des « renseignements personnels » au sens du paragraphe 2 (1) de la Loi et, le cas échéant, à qui ces renseignements ont trait.
Le paragraphe 2 (1) de la Loi définit notamment comme suit l’expression « renseignements personnels »:
« renseignements personnels » Renseignements consignés ayant trait à un particulier qui peut être identifié. S’entend notamment :
a) des renseignements concernant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou familial de celui-ci;
b) des renseignements concernant l’éducation, les antécédents médicaux, psychiatriques, psychologiques, criminels ou professionnels de ce particulier ou des renseignements reliés à sa participation à une opération financière;
c) d’un numéro d’identification, d’un symbole ou d’un autre signe individuel qui lui est attribué;
d) de l’adresse, du numéro de téléphone, des empreintes digitales ou du groupe sanguin de ce particulier;
e) de ses opinions ou de ses points de vue personnels, sauf s’ils se rapportent à un autre particulier;
g) des opinions et des points de vue d’une autre personne au sujet de ce particulier;
h) du nom du particulier, s’il figure parmi d’autres renseignements personnels qui le concernent, ou si sa divulgation risque de révéler d’autres renseignements personnels au sujet du particulier.
Pour que des renseignements soient considérés comme des renseignements personnels, il faut qu’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que le particulier puisse être identifié si les renseignements sont divulgués [ordonnance PO-1880, confirmée en révision judiciaire dans Ontario (Attorney General) v. Pascoe, [2002] O.J. No. 4300 (C.A.)].
La liste d’exemples donnée au paragraphe 2 (1) n’est pas exhaustive. Par conséquent, les renseignements qui n’entrent pas dans les catégories mentionnées aux alinéas a) à h) peuvent tout de même être considérés comme des renseignements personnels [ordonnance 11].
Je considère que le constat de police d’une page contient des renseignements personnels sur l’appelant. Ces renseignements sont des renseignements personnels le concernant car il s’agit de renseignements consignés qui comprennent son nom et d’autres renseignements à son sujet [alinéa h)].
Ce constat de police d’une page contient également des renseignements personnels sur un autre particulier pouvant être identifié. Ces renseignements constituent des renseignements personnels sur ce particulier car il s’agit notamment de son adresse [alinéa d)] et de son nom accompagné d’autres renseignements personnels à son sujet [alinéa h)].
POUVOIR DE REFUSER DE DIVULGUER À L’AUTEUR DE LA DEMANDE DES RENSEIGNEMENTS QUI LE CONCERNENT
Le paragraphe 36 (1) de la Loi confère aux particuliers le droit général d’accéder aux renseignements personnels les concernant dont une institution a la garde. L’alinéa 38 a) prévoit un certain nombre d’exceptions à ce droit. Il est libellé comme suit :
La personne responsable peut refuser de divulguer au particulier concerné les renseignements personnels :
dont la divulgation est régie par l’article 6, 7, 8, 8.1, 8.2, 9, 10, 11, 12, 13 ou 15. [Le caractère gras est de moi.]
EXÉCUTION DE LA LOI