Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0754

 

DATE :

3 janvier 2011

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

Guy Julien, A.V.C.

Membre

Roger Dionne, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

LÉNA THIBAULT, ès qualités de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CAROLLE FERLAND (certificat 133 203)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LA PLAINTE, LES JOURNÉES D’AUDIENCE ET LE DÉROULEMENT DU DOSSIER

[1]          La plaignante a porté contre l’intimée une plainte du 20 novembre 2008 dont le seul paragraphe se lit comme suit :

« À L’ÉGARD D’AURORE GAUTHIER

 1.        « À Ville de La Baie, le ou vers le 16 janvier 2002, l’intimée CAROLLE FERLAND a contrefait ou incité un tiers à contrefaire la signature de sa cliente, madame Aurore Gauthier, sur le formulaire « Votre profil d’investisseur » de ÉCOFLEX, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière adopté en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers L.R.Q., c. D-9.2; »

[2]          Le comité de discipline (le comité) a procédé à l’audience de cette affaire à Alma les 16 et 17 décembre 2009.

[3]          Me Julie Piché a agi comme procureur de la partie plaignante et Me Charles Cantin représentait l’intimée.

[4]          Deux témoins ordinaires ont été entendus : Mme Aurore Gauthier et l’intimée.

[5]          Le comité a reconnu la qualité d’expert à Mme Yolande Gervais qui a témoigné à la demande de la partie plaignante et à Mme Johanne Bergeron dont les services ont été retenus par l’intimée.

[6]          Les parties ont plaidé par écrit. La plaidoirie de la partie plaignante est du 19 février 2010; celle de l’intimée porte la date du 9 avril 2010 et la réplique de la partie plaignante est du 26 avril 2010.

[7]          Le comité a ensuite pris l’affaire en délibéré.

LA PREUVE

[8]          Le comité retient ce qui suit des témoignages entendus.

Madame Aurore Gauthier

[9]          À la suggestion d’un membre de sa famille, Mme Gauthier a commencé à faire affaires avec l’intimée à l’été 2001. En août 2001, Mme Gauthier a souscrit à une police d’assurance par l’intermédiaire de l’intimée.  À cette époque, Mme Gauthier s’occupait de ses enfants à la maison. Elle avait auparavant travaillé comme secrétaire.  Ses revenus d’intérêt étaient de l’ordre de 700 $ par année.

[10]       Elle a de nouveau recouru aux services de l’intimée en décembre 2001 alors qu’elle a investi 10 000 $ auprès de l’Industrielle Alliance. Elle a signé, le 19 décembre 2001, une proposition pour les fonds distincts Ecoflex et un document coiffé du titre « Votre profil d’investisseur ». Mme Gauthier a témoigné que c’est l’intimée qui a complété ces documents et que l’entrevue a eu lieu dans un restaurant.

[11]       À la suggestion de l’intimée, Mme Gauthier a ensuite emprunté 10 000 $ en janvier 2002. Elle a signé, le 16 janvier 2002, « une demande de marge de crédit pour une contribution à un REER » et une proposition pour des fonds distincts Ecoflex. Hormis sa signature, toutes les mentions sur ces deux documents ont été apposées par l’intimée. Mme Gauthier a ajouté ne pas avoir signé d’autres documents à cette date. De façon plus précise, elle a témoigné du fait que ce n’est pas elle qui avait signé « Aurore Gauthier » sur le document « Votre profil d’investisseur » portant la date du 16 janvier 2002[1].

[12]       Mme Gauthier a ajouté qu’elle ne signait pas son nom et qu’elle ne faisait pas ses « A », ses « G » et ses « R » de la façon dont ils ont été exécutés sur la signature en litige.

[13]        Elle a pris connaissance du document en litige pour la première fois en 2007, lorsqu’un représentant de la Chambre de la sécurité financière lui a fait parvenir suite à une plainte qu’elle avait formulée au sujet de certains placements faits en son nom par l’intimée.

[14]        Elle a signé une déclaration solennelle le 17 octobre 2007 dans laquelle elle mentionnait ne pas avoir rempli personnellement ce « profil d’investisseur » et que sa signature avait été contrefaite. À la demande d’un représentant de la Chambre de la sécurité financière, elle a soumis certains documents écrits et signés de sa main ainsi que des spécimens de sa signature.

[15]        Elle a indiqué au comité ne pas avoir signé chez elle les deux documents du 16 janvier 2002; elle rencontrait toujours l’intimée dans un lieu public. Elle a dit se souvenir que cette entrevue avait eu lieu dans un restaurant.

[16]        En contre-interrogatoire, il lui a été demandé si elle était stressée au moment où elle a signé les documents et si elle était « à l’aise avec les placements ». Mme Gauthier a répondu ce qui suit : « Non, je ne suis pas à l’aise du tout avec les placements, c’est vrai. Je ne suis pas bonne là-dedans du tout, je n’aime pas ça du tout. Les termes aussi, alors, c’est toutes des choses que je ne suis pas familière avec ça ».

L’intimée

[17]        D’abord interrogée par le procureur de la plaignante, elle a reconnu avoir écrit toutes les mentions (sauf la signature Aurore Gauthier) sur les documents des 19 décembre 2001 et 16 janvier 2002 relatifs au dossier de sa cliente.

[18]        Interrogée ensuite par son procureur, elle a indiqué au comité œuvrer dans le domaine depuis 32 ans et avoir 1 500 clients. Elle a témoigné qu’elle avait comme client plusieurs membres de la famille de Mme Aurore Gauthier, que cette dernière s’y connaissait moins en matière de placements que les autres membres de sa famille et qu’elle avait eu des dizaines de rencontres et de conversations téléphoniques avec elle afin de lui fournir des explications.

[19]        Elle a également fait état des procédures mises en place à son bureau et à l’Industrielle pour corriger les erreurs qui peuvent subvenir dans un dossier.

[20]        Interrogée par le comité quant aux circonstances qui ont entouré la signature du document en litige, l’intimée a témoigné qu’elle n’avait pas de souvenirs précis. Les évènements s’étant déroulés en 2002, elle ne se souvient pas avoir fait signer les documents par Mme Gauthier, mais ne voit pas pourquoi elle aurait agi autrement.

[21]        Elle ne peut se souvenir l’avoir vue signer mais elle a ajouté que si elle avait constaté que le « profil » de janvier 2002 n’avait pas été signé, elle aurait utilisé le  « profil » de décembre 2001.

[22]        Elle a expliqué que ses clients signent parfois des documents alors qu’ils sont à l’extérieur du lieu où s’est tenue l’entrevue et qu’ils peuvent même à l’occasion signer sur le « hood de l’auto ».

[23]        Elle a confirmé que l’entrevue avait eu lieu dans un endroit public (« dans un restaurant quelque part ») puisque Mme Gauthier ne voulait pas que les entrevues aient lieu à son bureau ou à son domicile.

[24]        En réponse aux questions du procureur de la partie plaignante, elle a ajouté avoir signé les documents des 19 décembre 2001 et 16 janvier 2002 en même temps que Mme Gauthier l’avait fait.

[25]        Elle a de plus précisé qu’il fallait voyager environ une heure en automobile pour se rendre de son bureau à La Baie (l’endroit où les documents ont été signés par Mme Gauthier).

Mme Yolande Gervais

[26]        Mme Gervais agit comme expert judiciaire en écritures et documents depuis plus de trente (30) ans. Elle a été formée par des sommités en ces matières.

[27]        Elle a réalisé plus de 400 dossiers d’expertise et a évalué plus de 3 000 signatures ou écritures. Elle a témoigné plus de 200 fois devant les tribunaux à titre d’expert.

[28]        Le comité a reconnu à Mme Gervais la qualité d’expert en matière d’expertise d’écritures et de documents.

[29]        Mme Gervais a expliqué qu’elle a eu mandat de vérifier l’authenticité de la signature en litige, de faire un examen de comparaison avec des signatures reconnues comme ayant été exécutées par Mme Aurore Gauthier et, dans l’hypothèse où elle concluait que la signature en litige était fausse, de faire un examen de comparaison avec l’écriture de l’intimée afin de déterminer la probabilité que celle-ci soit l’auteure de cette signature.

[30]        Afin de réaliser cette expertise, elle a examiné le document en litige et plusieurs documents sur lesquels apparaissent les signatures et écritures de Mme Gauthier et de l’intimée.

[31]        Elle a témoigné avoir d’abord examiné la signature en litige et y avoir constaté les caractéristiques d’un faux : la lenteur, les retouches et les reprises.

[32]        À la page 4 de son rapport d’expertise, elle a écrit : « L’étude de la signature en litige révèle un tracé lent, hésitant, particulièrement dans le «r » de Aurore, l’attaque du « G » de Gauthier, avec retouche dans la finale et reprise entre le « t » et le « h » de Gauthier. Ses caractéristiques sont celles d’une fausse signature par imitation servile d’un modèle. Le faussaire a copié un modèle de signature de Aurore Gauthier ».

[33]        À la page 8 de son rapport, elle a ajouté ce qui suit : « Notre étude de la signature en litige révèle des caractéristiques de faux par imitation servile. Nous pouvons l’affirmer en toute confiance, compte tenu du nombre de caractéristiques d’insincérité comme lenteur, reprises, manque d’homogénéité ».

[34]        Mme Gervais a ensuite examiné les signatures de comparaison exécutées par Mme Gauthier pour en déterminer les caractéristiques générales et morphologiques (forme des lettres).

[35]        Mme Gervais est d’avis que l’étude des signatures de comparaison de Mme Aurore Gauthier révèle notamment un graphisme souple et spontané dans son mode de liaison, une régularité d’espacement de lettres et plusieurs constantes graphiques.

[36]        La comparaison entre la signature en litige et les signatures exécutées par Mme Gauthier a permis à Mme Gervais de distinguer de nombreuses discordances ou dissimilitudes entre la première et les secondes.

[37]        En conclusion sur cet élément, Mme Gervais a écrit ce qui suit à la page 8 de son rapport : « Notre examen de comparaison, entre la signature en litige et les signatures reconnues de Aurore Gauthier, nous permet de conclure qu’il est improbable que madame Aurore Gauthier soit l’auteur de la signature en litige. Les nombreuses dissemblances significatives entre les spécimens de comparaison et celui en litige, nous permettent de l’affirmer en toute confiance. Ce sont des caractéristiques qui n’appartiennent pas à la signataire.»

[38]        Mme Gervais a ensuite comparé la signature en litige avec les écritures manuscrites de l’intimée. Cet examen de comparaison a révélé des similitudes quant à l’orientation de certaines lettres, la morphologie du « A », le calibre des lettres majuscules et minuscules, l’espacement inter-lettres, les barres de « t » et les « r ».

[39]        À la page 8 de son rapport, Mme Gervais a conclu ainsi : « Notre examen de comparaison, entre la signature en litige et l’écriture reconnue de Carole Ferland, nous permet de conclure qu’il est probable que Mme Carole Ferland soit l’auteur de la signature en litige. Certaines caractéristiques générales et morphologiques de son écriture sont similaires à celles de la signature en litige. »

[40]        Mme Gervais a également indiqué au comité que le stress éprouvé par un signataire et le fait de signer lorsqu’il fait froid peuvent entraîner des tremblements; cependant on retrouvera la trace de ces tremblements sur toutes les lettres de la signature et non seulement sur certaines d’entre elles.  La signature en litige comporte à la fois des lettres où l’on retrouve des traces de tremblement et d’autres où l’on n’en retrouve pas. Par conséquent, elle a exclu la possibilité que le stress ou le froid ait eu un impact quelconque. Elle a insisté sur le fait que l’on retrouve sur la signature en litige les « tremblements du faussaire » seulement sur les lettres les plus difficiles à exécuter.

[41]        Elle a souligné que l’expertise a été réalisée sur une photocopie de la signature en litige puisque l’original n’a pas été retracé. Bien qu’il soit préférable d’examiner un original, Mme Gervais a témoigné que les études démontrent que les résultats sont presque aussi probants que l’on procède à l’analyse d’une copie ou d’un original; elle a indiqué au comité que la marge d’erreur lors de l’analyse d’une photocopie était seulement de 2,3 % supérieure à celle faite sur un original.

[42]        Contrairement à ce que Mme Bergeron a fait, elle n’a pas considéré aux fins de son expertise les écritures manuscrites provenant des pages de l’agenda de l’intimée pour deux motifs : elle y a retrouvé des écritures semblant appartenir à d’autres personnes qu’à l’intimée et la qualité d’exécution des lettres n’était pas très bonne.

Madame Johanne Bergeron

[43]        Depuis 12 ans, elle agit comme spécialiste judiciaire en écritures. Elle a suivi des formations dispensées par plusieurs associations.

[44]        Elle a témoigné devant les tribunaux à une trentaine de reprises.

[45]        Le comité a reconnu à Mme Bergeron la qualité d’expert en écritures.

[46]        Contrairement à ce qu’a fait Mme Gervais, Mme Bergeron a examiné des photocopies des documents de comparaison et non les originaux. Elle a de plus écarté des éléments de comparaison considérés, les mentions (autres que la signature) apposées par l’intimée sur le document en litige et a préféré examiner l’écriture manuscrite de l’intimée tirée de certaines pages de son agenda.

[47]        Les conclusions auxquelles elle en est arrivée dans son rapport se retrouvent aux pages 7 et 8 :

« 1) Qu’il y a une très forte probabilité que la signature au nom de « Aurore Gauthier » sur le document en litige L1 n’émane pas de la même personne qui a rédigé les signatures sur les documents de comparaison C1 à C35[2].

2) Qu’il y a une très forte probabilité que la signature au nom de « Aurore Gauthier » sur le document en litige L1 n’émane pas de la même personne qui a rédigé les documents de comparaison D2 à D8[3] ».

[48]        Lorsqu’elle a été interrogée par le procureur de l’intimée, Mme Bergeron a répété ces mêmes conclusions.

[49]        Cependant, lors du contre-interrogatoire et en réponse aux questions du comité, Mme Bergeron a changé d’avis quant à la première conclusion. Elle a témoigné que le stress et le froid avaient pu avoir un effet sur la façon de signer de Mme Gauthier et qu’elle en venait maintenant à la conclusion qu’il était plus probable (que moins probable) que Mme Gauthier soit l’auteure de la signature en litige.

 

 

 

Les prétentions des parties

La partie plaignante

[50]        Me Julie Piché, procureure de la partie plaignante, a d’abord soumis que le témoignage de Mme Gauthier était crédible et qu’il devait être préféré à celui de l’intimée.

[51]        Elle a ensuite soumis que Mme Yolande Gervais est un expert plus compétent et expérimenté que ne l’est Mme Bergeron.

[52]        En référant à la preuve, elle a mis en doute la formation suivie par Mme Bergeron; elle a notamment souligné qu’elle avait été supervisée dans son apprentissage par des personnes qui n’étaient pas suffisamment qualifiées.  Elle a de plus référé le comité à des décisions judiciaires où les conclusions de Mme Bergeron n’ont pas été retenues.

[53]        Elle a ensuite critiqué la façon suivant laquelle Mme Bergeron a procédé à l’expertise.

[54]        Le fait que Mme Bergeron ait changé d’opinion en cours de témoignage a soulevé chez Me Piché des doutes quant à sa rigueur et à son objectivité.

[55]        Elle a conclu que la partie plaignante avait, par prépondérance de preuve, prouvé les éléments constitutifs des infractions reprochées.

 

L’intimée

[56]        Me Charles Cantin, au nom de l’intimée, a soumis que Mme Aurore Gauthier avait « livré un témoignage ambigu et imprécis quant à l’endroit et aux circonstances entourant la signature de certains documents fournis par l’intimée ».

[57]        Il a également prétendu que la preuve avait révélé que Mme Gauthier avait reconnu « avoir été stressée à chaque fois qu’elle avait à signer ces types de documents ». Il a de plus ajouté que le document en litige avait été remis en main propre à Mme Gauthier par l’intimée.

[58]        Quant au témoignage de l’intimée, il a souligné qu’elle avait témoigné avec franchise et répondu au meilleur de ses souvenirs à des questions relatives à des évènements survenus il y a plusieurs années.

[59]        Il a ajouté qu’elle a décrit la procédure usuelle entourant la signature des documents. Il a soumis que l’intimée était toujours présente lors de la signature de documents par ses clients et qu’elle n’aurait retiré aucun avantage pécuniaire de la commission de l’infraction reprochée.

[60]        Le procureur de l’intimée a rappelé au comité que Mme Gervais avait analysé non pas l’original mais une copie de la signature en litige et que son analyse comportait une marge d’erreur. Il a soumis que le comité ne devrait pas se satisfaire de la « conclusion timide » de Mme Gervais quant au fait qu’il était « probable » que l’intimée soit l’auteure de la signature en litige.

[61]        En ce qui a trait au témoignage de Mme Bergeron, Me Cantin a rappelé au comité qu’elle n’avait pas modifié la deuxième conclusion de son expertise et demeurait d’avis que l’intimée n’est  probablement pas l’auteure de la signature en litige.

[62]        Pour ce qui est du changement apporté à la première conclusion de son expertise, il a souligné que Mme Bergeron avait, à juste titre, changé d’avis après avoir entendu Mme Gauthier témoigné du fait « qu’elle était stressée et nerveuse à la vue de ce type de transaction ».

[63]        Il a conclu ses représentations en soumettant que la partie plaignante avait fait défaut de présenter une preuve prépondérante et convaincante que l’intimée était l’auteure de la signature en litige.

Motifs et analyse

[64]        Sur les éléments essentiels du dossier, le comité considère que Mme Aurore Gauthier a témoigné de façon franche et précise. Son témoignage est crédible et convaincant.

[65]        L’intimée, de son côté, ne se souvient pas bien des circonstances qui ont entouré la signature du document en litige.

[66]        Le comité retiendra donc le témoignage de Mme Gauthier.

[67]        Elle a rencontré l’intimée dans un restaurant en janvier 2002. Elle a signé « une demande de marge de crédit » et une proposition pour des fonds distincts. Elle nie avoir apposé sa signature sur le document en litige. L’intimée ne lui a d’ailleurs pas donné de copie de ce document.

[68]        En 2007, elle a examiné, pour une première fois, le document en litige; elle a aussitôt réalisé que ce n’était pas sa signature qui apparaissait sur celui-ci. Le comité, formé de profanes en matière d’analyse d’écritures, constate également qu’il y a des différences notables entre la signature en litige et les signatures attribuées à Mme Gauthier.

[69]        Le procureur de l’intimée a plaidé que la signature de Mme Gauthier avait pu être altérée du fait qu’il faisait froid et qu’elle était stressée au moment de signer. Le comité est d’avis que ces faits n’ont pas été révélés par la preuve.

[70]        Mme Gauthier a témoigné que l’entrevue de janvier 2002 avait eu lieu dans un restaurant. Elle n’a pas été contredite à cet égard.

[71]        La preuve n’a pas révélé non plus que Mme Gauthier était stressée (au point de trembler) au moment de signer les documents en janvier 2002. Elle a dit, tout au plus, qu’elle n’était pas à l’aise avec les placements et qu’elle n’aimait pas cela.

[72]        Quant aux experts, Mme Gervais bénéficie d’une formation et d’une expérience (notamment devant les tribunaux) supérieures à celles dont Mme Bergeron a fait état. Les éléments soulevés à cet égard par le procureur de la partie plaignante sont convaincants.

[73]        Plus important encore, le comité est d’avis que Mme Bergeron a manqué de rigueur dans son analyse et a modifié, sans raison valable, son opinion lors de l’audience.

[74]        Elle a souligné que les documents de comparaison qu’elle avait examinés n’étaient que des photocopies. À ce sujet, elle a expliqué au comité ce qui suit :

« Comme j’expliquais, le fait de faire, d’avoir des signatures qui sont écrites en série, une à la file de l’autre, c’est déjà un petit peu pas l’idée… en tout cas, je vous disais que ce n’était pas l’idéal en ce qui concerne le matériel de comparaison. C’est mieux lorsqu’on peut avoir des signatures dans le cadre des affaires courantes où c’est, évidemment, d’avoir des originaux plutôt que des photocopies, ça fait une grosse différence lorsqu’on a à faire des expertises.

Ensuite, concernant le fait que c’est des photocopies, c’est beaucoup plus difficile, justement, de voir, au niveau des retouches et des reprises, qu’est-ce qui se passe. Parce que, des fois, ça peut-être, la photocopie peut déformer et puis je regardais l’agrandissement qu’on a eu, c’est un peu flou, les contours, en tout cas, il y a certaines difficultés là »[4]

[75]        Mme Bergeron, au moment de procéder à la contre-expertise, savait pertinemment que Mme Gervais avait travaillé à partir d’originaux et que ceux-ci étaient disponibles.

[76]        Mme Bergeron, pour chercher à éclairer le comité adéquatement, se devait de travailler avec les meilleurs éléments de comparaison disponibles. Elle a négligé sans raison valable de le faire.

[77]        Le comité s’explique encore plus difficilement comment Mme Bergeron a pu changer d’opinion quant à l’auteur probable de la signature en litige. Elle a d’abord écrit dans son rapport qu’il y avait une très forte probabilité que la signature sur le document en litige n’émane pas de Mme Gauthier.

[78]        À l’audience, Mme Bergeron a témoigné après que Mme Gauthier l’ait fait.

[79]        En réponse aux questions du procureur de l’intimée, elle a répété les conclusions mentionnées à son rapport.

[80]        Par la suite, lors du contre-interrogatoire et en réponse aux questions du comité, elle a modifié cette conclusion en invoquant le stress de Mme Gauthier et le froid de janvier. 

[81]        Le comité ne peut comprendre pourquoi Mme Bergeron n’a pas soulevé ces éléments dès l’interrogatoire en chef plutôt que de répéter les conclusions énoncées à son rapport pour ensuite, plus tard au cours de l’audience, énoncer une conclusion différente.

[82]        De plus, tel qu’indiqué précédemment, le témoignage de Mme Gauthier n’avait pas révélé qu’elle avait signé « au froid » ni qu’elle était particulièrement stressée. Le comité est d’avis que le changement d’opinion de ce témoin expert n’est pas fondé sur des faits probants.

[83]        Ce changement d’opinion inopiné doublé d’un manque de rigueur amène le comité à accorder peu de crédibilité à l’ensemble du témoignage de Mme Bergeron et à lui préférer nettement celui de Mme Gervais.

[84]        En effet, Mme Gervais a témoigné de façon claire et explicite sur les étapes qu’elle a suivies dans son analyse, sur les caractéristiques de la signature en litige lui permettant de conclure qu’il s’agit d’un faux et sur les similitudes qui l’ont amenée à conclure qu’il est probable que l’intimée en soit l’auteure.  Le comité estime que le témoignage de cet expert est crédible et convaincant; le comité en retiendra les conclusions.

[85]        Le fardeau imposé à la partie plaignante est celui de la prépondérance de preuve.  Elle s’est acquittée de ce fardeau en présentant une preuve claire, convaincante et persuasive de tous les éléments essentiels de l’infraction[5].   Le comité tire donc de la preuve les conclusions suivantes :

            il est improbable que Mme Gauthier soit l’auteure de la signature en litige;

            il est probable que l’intimée en soit l’auteure.

[86]        En agissant de la sorte, l’intimée a contrevenu aux exigences d’honnêteté, de loyauté, d’intégrité, de compétence et de professionnalisme prévues aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[87]        Le comité déclarera donc l’intimée coupable des infractions reprochées.


POUR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 1 de la plainte;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de fixer une date et une heure pour l’audience de la preuve et des représentations des parties sur sanction.

 

 

 

(s) Sylvain Généreux_________________

Me SYLVAIN GÉNÉREUX

Président du comité de discipline

 

(s) Guy Julien   ______________________

GUY JULIEN, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Roger Dionne_____________________

ROGER DIONNE, A.V.C. PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE, avocats, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Charles Cantin

CANTIN BONNEAU PERRON, avocats

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

16 et 17 décembre 2009

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 


 

 
 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0754

 

DATE :

20 juillet 2011

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Guy Julien, A.V.C.

Membre

M. Roger Dionne, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

LÉNA THIBAULT, ès qualités de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CAROLLE FERLAND, certificat 133 203

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]   Par décision du 3 janvier 2011, le comité de discipline (le comité) a reconnu l’intimée coupable d’une plainte dont le seul paragraphe se lit comme suit :

« À L’ÉGARD D’AURORE GAUTHIER

 1.  À Ville de La Baie, le ou vers le 16 janvier 2002, l’intimée CAROLLE FERLAND a contrefait ou incité un tiers à contrefaire la signature de sa cliente, madame Aurore Gauthier, sur le formulaire « Votre profil d’investisseur » de ÉCOFLEX, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière adopté en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers L.R.Q., c. D-9.2; »

 

[2]   Lors d’une conférence téléphonique en gestion d’instance tenue le 14 avril 2011, le procureur de l’intimée a invoqué le fait qu’il ne connaîtrait que plus tard ses dates de disponibilité pour suggérer la tenue d’une autre conférence le 2 mai 2011. À cette date, il a été convenu de procéder à Alma le 3 juin 2011 à l’audience sur sanction.

LA PREUVE ET LES REPRÉSENTATIONS SUR SANCTION

[3]   Lors de l’audience sur sanction le 3 juin 2011, la plaignante était représentée par Me Julie Piché et l’intimée par Me Dominic Bouchard.

[4]   Le début de l’audience a été retardé : les procureurs des parties ont en effet indiqué au comité qu’ils souhaitaient poursuivre les discussions entamées.  Au terme de celles-ci, l’audience a débuté.

[5]   Les procureurs des parties ont d’abord soumis, de consentement, certains éléments de preuve additionnels à ceux présentés lors de l’audience sur culpabilité pour ensuite faire part au comité de recommandations conjointes sur sanction.

[6]   Il a ainsi été mis en preuve ce qui suit :

     l’attestation de droit de pratique de l’intimée portant la date du 6 mai 2011 a été produite; on y constate que l’intimée œuvre depuis une vingtaine d’années à titre de représentante;

     l’intimée n’a pas d’antécédents disciplinaires;

     la cliente dont le nom est mentionné à la plainte n’a pas subi de préjudice comme résultat de l’infraction commise; elle a obtenu le placement qu’elle désirait obtenir;

     l’intimée a l’intention, pour clore le dossier, de se désister de l’appel logé en Cour du Québec à l’encontre de la décision sur culpabilité du 3 janvier 2011.

[7]   La procureure de la plaignante a ensuite énoncé les mesures que les 2 parties suggéraient au comité d’imposer à l’intimée :

     une radiation temporaire de 2 mois;

     la publication d’un avis de la décision dans un journal aux termes de l’article 156 du Code des professions;

     la condamnation aux déboursés.

[8]   Après avoir rappelé la gravité objective du manquement dont l’intimée a été reconnue coupable, la procureure de la plaignante a mis l’accent sur les facteurs subjectifs, atténuants et aggravants, que le comité devait considérer :

     une seule consommatrice a été victime du manquement énoncé à la plainte;

     l’infraction commise remonte à plus de 9 ans;

     la cliente n’a subi aucun préjudice puisqu’elle a obtenu le placement voulu;

     l’intimée n’a pas d’antécédents disciplinaires;

     par contre, l’infraction commise ne peut être expliquée par l’inexpérience de l’intimée laquelle oeuvrait alors dans le domaine depuis plusieurs années.

[9]   Au soutien de la sanction proposée, la procureure de la plaignante a référé le comité au jugement rendu par la Cour du Québec dans Brazeau c. Chambre de la sécurité financière, 2006 QCCQ 11715.

[10]        Dans cette affaire, le représentant avait été reconnu coupable par le comité de discipline d’avoir contrefait la signature de 2 clientes et s’était vu imposer une période de radiation temporaire d’un an.  En appel, la Cour du Québec a maintenu les verdicts de culpabilité mais a réduit la période de radiation temporaire à 2 mois.

[11]        Le juge Jacques Paquet a écrit ce qui suit aux paragraphes 130 à 137 :

« 130. Ces deux chefs énoncent des infractions semblables. L’appelant a imité la signature des clientes concernées mesdames Perreault et Bertrand.

131.     La gravité de ces infractions ne doit pas être minimisée. Par contre elle ne doit pas non plus être maximisée pour des considérations incorrectes.

132.     À la lumière de la preuve le Tribunal ne partage pas le point de vue que le Comité émet dans ses décisions sur culpabilité lorsqu’il écrit que l’appelant « a agi dans toute cette affaire avec fourberie et une malhonnêteté évidente ».

133.     Le travail professionnel de l’appelant peut certes être remis en question.  Il n’a pas agi avec la rigueur qui doit être constante dans l’exécution de ses fonctions et il a posé des actes répréhensibles. Cependant le Tribunal ne voit pas en quoi les situations résumées dans les chefs 1 et 4 relèvent de la malhonnêteté ou de la fourberie.

134.     L’avantage que pouvait retirer l’appelant, dans les dossiers des deux personnes visées dans ces deux chefs, était inexistant, ou à ce point minime, qu’il n’explique pas pourquoi l’appelant a imité les signatures des deux clientes concernées.

135.     Le Tribunal croit plutôt que l’appelant a voulu compléter des documents requis pour donner suite à ce qu’il croyait être les instructions de ces personnes.

136.     Le fait d’imiter des signatures et de les utiliser est en soi un geste grave qui justifie une période de radiation. Cette période de radiation sera plus ou moins longue toutefois, selon que la personne concernée pose ce geste avec une intention frauduleuse ou non. En l’espèce, le Tribunal ne peut pas conclure que l’appelant avait une telle intention.

137.     Conséquemment, en prenant en considération la gravité objective des infractions commises, la nécessité de dissuader l’appelant et le besoin de lancer un message aux autres membres de la profession, tout en considérant l’absence d’antécédents disciplinaires chez l’appelant qui compte 25 ans de services, le Tribunal conclut que la période de radiation d’un an est trop sévère. Pour chacune des infractions énoncées aux chefs 1 et 4 une période de radiation de deux mois paraît adéquate. »

[12]        Le procureur de l’intimée a indiqué au comité qu’il était d’accord avec les propos de la procureure de la plaignante et a insisté sur l’absence de malhonnêteté, sur le passé sans tache et sur les nombreuses années d’expérience de sa cliente. Il a requis, au nom de l’intimée, un délai de 3 mois pour payer les déboursés; la procureure de la plaignante a souscrit à cette demande.

L’ANALYSE ET LES MOTIFS

[13]        La jurisprudence enseigne qu’un tribunal ne devrait rejeter les recommandations sur sanction formulées par les procureurs des parties suite à de sérieuses et intenses négociations que si elles sont déraisonnables, inadéquates, contraires à l’intérêt public ou encore si elles jettent un discrédit sur l’administration de la justice.[6]

[14]        Dans le présent dossier, le comité ne voit rien qui devrait l’amener à rejeter les recommandations formulées.  Au contraire, il souscrit aux arguments soumis par les procureurs des parties et au jugement rendu par la Cour du Québec dans l’affaire Brazeau.

[15]        La sanction suggérée est suffisamment dissuasive et répond, de façon adéquate, au critère de l’exemplarité; la protection du public devrait ainsi être assurée.

[16]        Le comité donnera donc suite aux recommandations conjointes formulées.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ :

ORDONNE à l’égard des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 1 de la plainte : la radiation temporaire de l’intimée pour une période de 2 mois;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, conformément à ce qui est prévu à l’article 156 du Code des professions, aux frais de l’intimée, un avis de la décision dans un journal circulant dans le lieu où cette dernière a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où l’intimée a exercé ou pourrait exercer sa profession;

CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés prévus à l’article 151 du Code des professions et lui accorde un délai de 3 mois pour payer.

 

 

 

(s) Sylvain Généreux_________________

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

(s) Guy Julien_______________________

Guy Julien, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Roger Dionne_____________________

Roger Dionne, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE, avocats, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Dominic Bouchard

CANTIN BONNEAU PERRON

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

3 juin 2011

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Afin d’alléger le texte, le comité réfèrera au « document en litige » et à la « signature en litige ».

[2]  Il s’agit des documents de comparaison examinés par Mme Gervais sur lesquels apparaissent la signature de Mme Aurore Gauthier.

[3]   Il s’agit des pages de l’agenda de l’intimée.

[4] Notes sténographiques de l’audience du 16 décembre 2009, pages 275 et 276.

[5] Constantine c. Avocats 2008 QCTP 16.

[6] Malouin c. Notaires, Tribunal des professions, 2002 QCTP 015.

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