Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1092

 

DATE :

Le 24 novembre 2015

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

Mme Nacera Zergane

Membre

 

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MICHAEL MARSILLO, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurances et rentes collectives (numéro de certificat 122915, BDNI 2214371)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

           Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion de renseignements ou de documents permettant d'identifier la consommatrice impliquée dans la présente plainte, dans le but d’assurer la protection de sa vie privée.

[1]           Le 13 août 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé le 27 novembre 2014.

[2]           La plaignante était représentée par Me Vincent Grenier-Fontaine, alors que l’intimé était représenté par Me Antonietta Melchiorre.

LA PLAINTE

1.    À Montréal, le ou vers le 2 novembre 2011, l’intimé a fait souscrire E.V. à des fonds communs de placement Imaxx Canadian Fixed Pay Fund pour un montant d’environ 100 000 $ alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 12, 13 et 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

 

2.    À Montréal, le ou vers le 2 novembre 2011, l’intimé a fait souscrire E.V. à des fonds communs de placement Mac Sentinel Cash Management Fund Series A pour un montant d’environ 21 900,45 $ alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 12, 13 et 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

[3]           Le procureur de la plaignante a demandé de prononcer une ordonnance selon l’article 142 du Code des professions, ce que le comité a accordé.

[4]           Le comité a accordé à l’intimé la permission de fournir des notes supplémentaires et à la partie plaignante d’y répondre, le cas échéant. La réplique de la plaignante est parvenue au comité le 5 septembre 2015, date du début du délibéré.

PREUVE ET PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[5]           L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité sous chacun des deux chefs d’accusation portés contre lui. Le comité, après s’être assuré que ce dernier comprenait bien le sens et la portée de son plaidoyer de culpabilité, a donné acte à son enregistrement.

[6]           Ensuite, le procureur de la plaignante a résumé le contexte factuel des infractions, prenant soin de référer à la preuve documentaire produite (pièces P-1 à P-23).

[7]           Après l’étude de cette preuve documentaire et un court délibéré, le comité a déclaré l’intimé coupable sous chacun des deux chefs d’accusation de la plainte.

PREUVE DES PARTIES SUR SANCTION

[8]           Alors que la partie plaignante a déclaré ne pas avoir de preuve additionnelle à offrir, l’intimé a déposé de consentement les pièces I-1 à I-28, les parties déclarant que
P-28,
soit la déclaration assermentée de M. Mario Beaudoin, directeur à la conformité à la Surintendance à l’assistance à la clientèle et à l’encadrement à la distribution à l’Autorité des marchés financiers (AMF), était produite pour valoir comme son témoignage.

[9]           L’intimé a également été entendu par le comité. Il ressort de son témoignage ce qui suit. 

[10]        Il connaissait D.J., l’époux de la consommatrice E.V., depuis plus de 20 ans. Ce dernier était contrôleur pour une compagnie auprès de qui l’intimé agissait comme représentant en assurance collective. À ce titre, les deux hommes se rencontraient régulièrement.

[11]        Au cours de ces années, D.J. a souscrit par l’entremise de l’intimé deux polices d’assurance vie, une première de 500 000 $ (P-6) et une deuxième d’environ 150 000 $ (P-7).

[12]        Au printemps 2011, ayant été informé par la compagnie du décès de D.J., l’intimé a rencontré E.V. pour la première fois aux funérailles de son époux. Il l’a aidée à obtenir le paiement de ces assurances.

[13]        Le couple avait trois enfants. E.V. était dans la mi-quarantaine, absente du marché du travail, et inquiète de son avenir. Son époux était celui qui s’occupait des finances de la famille.

[14]        Entre les mois de mai 2011 et mars 2012, date de la plainte de la consommatrice à l’AMF, cette dernière et l’intimé se sont rencontrés au moins une quinzaine de fois et ont eu des échanges téléphoniques quasiment chaque semaine. Durant cette période, l’intimé l’a aidée à dresser un budget qu’il a transcrit à l’informatique et lui a proposé de noter régulièrement ses dépenses afin de l’ajuster au fur et à mesure. Ils ont rempli plusieurs documents, dont son profil d’investisseur révélant qu’elle possédait peu de connaissance en placements et avait une faible tolérance aux risques, ainsi qu’un questionnaire aux fins de déterminer ses buts et objectifs (I-2 à I-4).

[15]        E.V. a notamment souscrit des fonds distincts, par l’entremise de l’intimé (I-8 à I-11). E.V. détenait un Régime enregistré d’épargnes études (REEE) pour son fils auprès de la Banque HSBC, mais ignorait si toutes les subventions gouvernementales applicables avaient été perçues.

[16]        Comme son fils était susceptible de commencer des études postsecondaires dans un avenir rapproché, l’intimé a proposé à E.V. d’ouvrir un compte REEE auprès de  Mackenzie Investments (Mackenzie), ce qui fut fait en octobre 2011. L’intimé a expliqué avoir choisi Mackenzie car il considérait cette firme plus apte à récupérer les subventions non versées que l’assureur avec lequel il faisait affaires.

[17]        Le 2 novembre 2011, il lui a fait souscrire 21 900,45 $ dans les fonds communs de placement Mac Sentinel Cash Management Fund Series A (Mac). De plus, E.V. ayant besoin de revenus fixes, il lui a fait souscrire 100 000 $ dans les fonds communs de placement Imaxx Canadian Fixed pay Fund (Imaxx).

[18]        Au préalable, il avait discuté de ces placements et de ces recommandations avec son associé, lequel détenait le certificat approprié et qui est celui qui a signé la documentation nécessaire à cette fin et fait les démarches auprès de Mackenzie pour obtenir les subventions pour le REEE. L’intimé a précisé qu’il connaissait ces placements qui ont leur équivalent en fonds distincts, mais ces derniers ne procurent pas de dividendes, ce qui était moins avantageux pour sa cliente.

[19]        L’intimé n’a, par ailleurs, touché aucune rémunération pour ces transactions.

[20]        Il a déclaré avoir commis une erreur de jugement et avoir agi de façon stupide puisqu’il ne détenait pas le certificat dans la discipline d’épargne collective, même s’il l’a eu de 2008 à 2010.

[21]        Il est âgé de 56 ans, a commencé sa carrière vers 1986 et exerce sans interruption depuis près de 30 ans.

[22]        Il fait du bénévolat depuis plusieurs années, notamment comme membre du conseil d’administration (CA) d’un organisme visant à enrayer la consommation de drogues et ce, depuis sa fondation. Il est aussi membre du CA d’une association organisant des activités culturelles. Il contribue également aux campagnes de financement d’une ligue de soccer.

[23]        Il n’a pas d’antécédent disciplinaire, a beaucoup souffert de la plainte portée à l’AMF par E.V., surtout étant convaincu d’avoir toujours agi dans le meilleur intérêt de cette dernière. Nonobstant cela, il a participé à une séance de médiation organisée par l’AMF et a offert et versé 10 000 $ à E.V. qui lui a paru heureuse de ce dénouement, tous deux ayant souffert de cette situation.

[24]        Il a déclaré avoir saisi la leçon. Par ailleurs, il considère comme exagérée la radiation de six mois réclamée par la plaignante car cette sanction, qui a aussi pour effet d’entrainer la publication de la décision, lui fera revivre le tout et entachera sa réputation.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

         La plaignante

[25]        Le procureur de la plaignante a soumis les recommandations suivantes sur sanction :

a)        Sous chacun des deux chefs, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de six mois, à être purgée de façon concurrente;

b)        La publication de la décision;

c)         Et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[26]        Il a invoqué les facteurs aggravants et atténuants suivants :

Aggravants 

a)    La gravité objective des actes commis, cette pratique étant de toute évidence prohibée;

b)    L’infraction porte atteinte à la profession, l’intimé n’ayant pas respecté les limites de ses connaissances;

c)    La vulnérabilité de la consommatrice qui était profane et endeuillée;

d)    La longue expérience de l’intimé;

e)    Le préjudice pécuniaire de 46 000 $;

f)     L’intention malhonnête de l’intimé;

Atténuants

a)     Une seule victime;

b)     Enregistrement de plaidoyer de culpabilité, même si fait tardivement;

c)      Absence d’antécédent disciplinaire.

[27]        Au soutien de l’intention malhonnête mentionnée comme facteur aggravant, le procureur de la plaignante souligne que :

a)     L’intimé a fait de fausses déclarations en indiquant sur le formulaire «Know Your Client» (KYC) qu’il connaissait E.V. depuis plus de 20 ans, alors qu’il ne l’a rencontrée qu’au décès de son époux;

b)     L’intimé savait qu’il commettait une infraction, n’ayant pas renouvelé son certificat dans la discipline d’épargne collective depuis plus d’un an;

c)      Suivant la conversation téléphonique entre E.V. et l’enquêteur, l’intimé a omis de lui dire qu’il ne détenait pas le certificat approprié quand elle lui a demandé qui était M. Vecchiarino dont la signature apparaissait sur les formulaires qu’il lui a présentés.

[28]        Le procureur de la plaignante a ensuite passé en revue une série de décisions[1] et souligné les similitudes et les distinctions qui s’imposaient avec le cas en l’espèce.

         L’intimé

[29]        Pour sa part, la procureure de l’intimé a recommandé l’amende minimale, sous chacun des deux chefs d’accusation contenus dans la plainte, signalant que la sanction disciplinaire n’a pas pour but de punir le professionnel.

[30]        Elle a soumis une série de décisions[2] sur sanction insistant sur celle rendue par la Cour du Québec dans Martel qui fait un rappel des principes généraux à considérer lors de la détermination des sanctions. Quant à l’affaire Ledoux, cette même cour, a réduit à six mois la période de radiation de dix-huit mois ordonnée par le comité sur des infractions de même nature qu’en l’espèce. Elle a souligné les faits plus graves, le caractère répétitif vu les 25 chefs d’accusation de même nature et le préjudice de 160 000 $, alors que dans la présente plainte il n’y a qu’une seule cliente, un seul événement et aucun préjudice.

[31]        Elle a soutenu que les placements, l’en l’espèce, étaient légitimes contrairement à plusieurs de ceux visés dans les décisions citées, et sans que l’intimé n’en tire quelque avantage que ce soit.  

[32]        Contestant certains facteurs aggravants soulevés par la plaignante, elle a demandé d’écarter le préjudice allégué de 46 000 $, équivalant à la réclamation produite à l’AMF par la consommatrice vu l’absence de preuve à cet égard. Il en est de même de l’intention malhonnête découlant de l’interprétation faite par son collègue de certaines réponses de l’intimé au cours de la conversation téléphonique entre celui-ci et l’enquêteur.  À cette enseigne, elle a allégué que l’enquêteur a omis de mettre en garde l’intimé que ses déclarations pourraient être utilisées si une plainte disciplinaire était portée contre lui, que l’intimé a répondu du mieux qu'il pouvait, et ce, en dépit du fait que l’entrevue était menée en français, langue qu’il ne maîtrise pas.

[33]        Elle a signalé qu’aucun reproche n’a été porté par la plaignante à propos de la convenance des produits vendus ou d’informations et de renseignements incomplets fournis à la cliente. De plus, aucune intention malhonnête ne pouvait s’inférer de la commission de ces gestes.

[34]        Elle a rappelé que l’intimé n’avait tiré aucun avantage pécuniaire de ces transactions, ses recommandations n’étant faites que pour servir l’intérêt de sa cliente. En ce qui concerne le placement visé par le premier chef, les fonds communs recommandés procuraient des dividendes contrairement aux fonds distincts équivalents. Quant à celui visé par le deuxième chef, le choix d’ouvrir le compte REEE auprès de Mackenzie a été fait uniquement pour favoriser la récupération des subventions gouvernementales. En outre, la preuve avait démontré que les fonds communs souscrits avaient fait l’objet de discussion entre l’intimé et son associé qui détenait la certification appropriée.

[35]        Au surplus, la réaction de l’intimé à la plainte est celle d’un représentant responsable, ce dernier ayant accepté de participer à une séance de médiation organisée par l’AMF et ayant offert et versé 10 000 $ à la satisfaction de E.V.

[36]        Parmi les facteurs aggravants et atténuants énumérés par la doctrine et repris par les tribunaux, elle a allégué que seule la longue expérience professionnelle de l’intimé constituait un facteur aggravant, alors que de nombreux facteurs atténuants militaient pour l’intimé en sus de ceux mentionnés par la plaignante dont notamment :

a)     L’absence de préjudice subi par le client;

b)     L’absence d’avantage tiré par l’intimé de l’infraction;

c)      Les efforts de l’intimé pour réparer le préjudice causé;

d)     Le versement effectué de 10 000 $;

e)     La collaboration de l’intimé lors du processus disciplinaire;

f)       L’expression de remords et regrets sincères par l’intimé;

g)     La bonne réputation de l’intimé qui exerce depuis 30 ans;

h)     L’absence de risque de récidive;

i)       L’absence de motivation ou d’intention malhonnête.

[37]        Enfin, réitérant sa recommandation pour l’amende minimale, elle a fait valoir qu’advenant une sanction de radiation, l’intimé aurait à subir les délais administratifs inhérents à la remise en vigueur de son certificat[3] ainsi que des dommages à sa réputation, non seulement à la suite de la publication de la décision faite à ses pairs et dans un journal, mais aussi du fait que ces décisions sont dorénavant accessibles sur les réseaux sociaux professionnels et autres.

RÉPLIQUE

[38]        Le procureur de la plaignante a réitéré que l’intimé avait sciemment agi en dehors de sa certification, contrairement à l’intimé Ledoux qui l’ignorait dans l’affaire citée par sa consœur.

[39]        Au soutien de l’intention malhonnête de l’intimé, il a avancé que le fait d’avoir préalablement daté et fait signer par son associé les formulaires de souscription supporte également ce facteur aggravant et a qualifié de mensonges, ou à tout le moins de réticences, certaines des réponses de l’intimé à l’enquêteur, ce qui entacherait sa collaboration à l’enquête.

[40]        Quant à l’affaire Robertson concluant à la radiation de l’intimé pour une période d’un mois, il a souligné qu’il s’agissait de recommandations communes et qu’elle se distinguait par le fait que l’intimé prenait sa retraite.

ANALYSE ET MOTIFS

[41]        Conformément à l’article 154 du Code des professions, le comité consigne par écrit la décision sur culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé, donnant ainsi acte à l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité et le déclarant coupable sous chacun des deux chefs de la plainte portée contre lui.

[42]        Les sanctions recommandées par les parties diffèrent considérablement. La plaignante réclame la radiation temporaire de l’intimé pour une période de six mois pour chacun des deux chefs, alors que l’intimé propose l’amende minimale pour chacun d’eux.

 

[43]        Aussi, le procureur de la plaignante a allégué comme facteur aggravant une intention malhonnête de l’intimé. Il l’explique d’une part par le fait que ce dernier a agi sachant qu’il ne détenait pas le certificat approprié pour faire souscrire des fonds communs, et d’autre part, en raison de son interprétation des réponses de l’intimé lors de son échange avec l’enquêteur qu’il qualifie de mensonges ou réticences. Ce facteur est vivement contesté par l’intimé. 

[44]        Avec égards, le comité ne partage pas l’avis de la plaignante quant à la présence de ce facteur aggravant dans le présent dossier. Le fait que l’intimé savait qu’il ne détenait pas le certificat approprié ne permet pas de conclure automatiquement qu’il était mû d’une intention malhonnête. Il a certes pris un raccourci et transgressé ses obligations déontologiques et en a été déclaré coupable. Toutefois, la preuve non contredite a démontré que les transactions étaient effectuées dans l’intérêt de sa cliente. D’ailleurs, aucune infraction relative à la convenance des produits n’a été portée contre l’intimé par la plaignante. Au surplus, l’intimé n’a tiré aucun avantage de ces transactions. 

[45]        Quant à l’interprétation faite par le procureur de la plaignante des réponses de l’intimé lors de son échange avec l’enquêteur, le comité estime que ni l’écoute de l’enregistrement audio des débats ni l’étude de l’entièreté de la transcription de cet échange ne soutiennent l’existence d’une intention malhonnête chez l’intimé. Comme signalé par sa procureure, l’échange s’est déroulé principalement en français, alors que l’intimé ne maîtrise pas cette langue, ce qui peut expliquer l’hésitation ou la confusion dans ses réponses. Cet échange est survenu plusieurs mois, après que l’intimé ait participé à une séance de médiation organisée par l’AMF lors de laquelle il a versé à E.V. 10 000 $ pour régler le litige. Il pouvait en conséquence légitimement croire que le tout était réglé. Au surplus, l’intimé en était à son premier échange avec l’enquêteur de la syndique et n’était pas accompagné d’avocat. Même si le comité partageait l’interprétation des réponses de l’intimé faite par le procureur de la plaignante, cette interprétation ne pourrait qu’appuyer un reproche d’entrave à l’enquête de la syndique.  D’ailleurs, le procureur de la plaignante le reconnait lui-même en écrivant:

12.       Cette version des faits pouvait se concilier avec le fait que les documents étaient signés par M. Vecchiarino, mais ne correspondait pas à la réalité, ne constituait pas une présentation honnête des faits et visait à induire en erreur l’enquêteur

[46]        Rappelons que la convenance des transactions recommandées par l’intimé à E.V. n’est pas en cause et qu’une preuve prépondérante de l’existence d’un préjudice pécuniaire découlant de celles-ci n’a pas été faite.  

[47]        Le comité convient avec la procureure de l’intimé que les facteurs atténuants sont nombreux. L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité et a indemnisé la consommatrice, même en l’absence de preuve de préjudice pécuniaire découlant de ses gestes. Il n’a pas non plus tiré avantage de ces transactions. À ces facteurs, s’ajoute l’expression par l’intimé de regrets sincères. Enfin, il y a aussi absence d’antécédent disciplinaire.

[48]        Par ailleurs, la gravité objective des gestes commis par l’intimé est indéniable et ces gestes portent atteinte à la profession. L’intimé était un représentant d’expérience, ce qui aurait dû le préserver de commettre ces infractions. Ces facteurs doivent être pris en compte dans la détermination de la sanction en l’espèce.

[49]        Il est cependant reconnu que la sanction en droit disciplinaire a pour objectif de corriger un comportement fautif et non de punir le professionnel.

[50]        Traitant de l’effet des sanctions dissuasives, le Tribunal des professions, dans l’affaire Ouellet c. Médecins[4] rapporte ce qu’a énoncé à ce sujet la Cour suprême dans Cartaway Resources Corp.[5]:

Les peines dissuasives fonctionnent à deux niveaux. Elles peuvent cibler la société en général, y compris les contrevenants potentiels, dans le but d'illustrer les conséquences négatives d'un comportement fautif. Elles peuvent aussi cibler le contrevenant particulier afin de démontrer que la récidive ne profite pas. Il s'agit, dans le premier cas, de dissuasion générale et, dans le second, de dissuasion spécifique ou individuelle : voir C.C. Ruby, Sentencing (5e éd. 1999). Dans les deux cas, la dissuasion est prospective et vise à prévenir des comportements futurs.

[51]        En l’espèce, il est raisonnable de penser que le versement par l’intimé de 10 000 $ à E.V., en plus des autres frais relatifs au processus disciplinaire qu’il aura à supporter, a un effet dissuasif important à son égard. Aucune preuve ne permet de penser que les sommes ainsi encourues sont sans conséquence pour lui.

[52]        Sans en faire un motif, le comité croit opportun de mentionner que la preuve a révélé que l’intimé a rencontré sa cliente et communiqué avec elle à de nombreuses reprises avant de procéder à ces transactions. Il a préparé de nombreux documents lui permettant de bien la connaître et à celle-ci de suivre ce qu’il lui proposait. Il a pris le soin et le temps de lui enseigner comment faire un budget et a assuré un suivi tout au long de sa relation d’affaires avec elle. Les fonds communs choisis constituaient l’équivalent des fonds distincts pour la même compagnie, mais procuraient des dividendes ce qui, de l’avis de l’intimé, répondait mieux aux objectifs et besoins de la cliente. L’intimé ne tirait aucun avantage de ce choix. Somme toute, selon la preuve, le travail de l’intimé dépasse celui qu’accomplit habituellement un représentant.

[53]        Quant au risque de récidive, le comité l’estime peu probable, voire inexistant, considérant plutôt les gestes commis comme un accident de parcours malheureux dans la carrière sans tache de l’intimé.

[54]        Ainsi, même si le comité ne peut ignorer les décisions rendues à l’égard d’infractions de même nature, il estime toutefois que le présent cas se distingue sur plusieurs points de ceux rapportés, y compris de l’affaire Robertson dans laquelle le comité a donné suite aux recommandations communes des parties et a ordonné la radiation temporaire de l’intimé pour un mois seulement. Il ressort de la décision qu’un des éléments particulièrement favorables à M. Robertson était qu’il avait de son propre chef remboursé la plupart de ses clients des sommes investies par son entremise, et ce, avant même qu’une ordonnance de blocage ne soit émise à l’endroit de Focus, une compagnie située off-shore offrant des produits risqués. Le fait qu’il prenait sa retraite était un facteur parmi d’autres, mais non déterminant. On peut toutefois penser que dans ces circonstances une période de radiation convenait davantage à l’intimé que des amendes élevées. Cependant, contrairement au présent dossier, le nombre de consommateurs impliqués était important, les infractions se sont échelonnées sur plusieurs années et l’intimé avait tiré avantage de ces transactions

[55]        Même si conscient que la radiation est la sanction habituellement retenue pour ce type d’infraction, le comité est d’avis de ne pas l’ordonner en l’espèce. Par ailleurs, le comité considère que l’amende minimale recommandée par la procureure de l’intimé n’atteint pas l’objectif de dissuasion générale.

[56]        Par conséquent, étant donné les faits propres à ce dossier, les facteurs tant aggravants qu’atténuants, objectifs que subjectifs, l’intimé sera condamné au paiement d’une amende de 7 500 $ sous chacun des deux chefs d’accusation contenus à la plainte, le tout totalisant 15 000 $. Le comité estime que ces sanctions sont justes et appropriées et respectent les principes de dissuasion et d’exemplarité.

[57]        L’intimé sera également condamné au paiement des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE PRENDRE ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous chacun des deux chefs d’accusation portés contre lui;

RÉITÈRE DÉCLARER l’intimé coupable de chacun des deux chefs d’accusation mentionnés à la plainte;

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion de renseignements ou de documents permettant d'identifier la consommatrice impliquée dans la présente plainte.

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 7 500 $ sous chacun des deux chefs d’accusation contenus à la plainte, totalisant 15 000 $;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Jacques Denis____________________

M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Nacera Zergane___________________

Mme Nacera Zergane

Membre du comité de discipline

 

 

Me Vincent Grenier-Fontaine

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Antonietta Melchiorre

LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 13 août 2015           COPIE CONFORME À L’ORIGINAL

 

 



[1] Thibault c. Côté, CD00-0703, décision sur culpabilité du 25 novembre 2008 et décision sur sanction du 30 avril 2009; Thibault c. Tardif, CD00-0734, décision sur culpabilité et sanction du 8 mars 2010; Champagne c. Francoeur, CD00-0883, décision sur culpabilité du 9 mars 2012 et décision sur sanction du 15 juin 2012; Lelièvre c. Deschênes, CD00-0890, décision sur culpabilité et sanction du 30 octobre 2012; Champagne c. Koncevich, CD00-0973, décision sur culpabilité et sanction du 22 novembre 2013; Champagne c. Chartrand, CD00-1021, décision sur culpabilité et sanction du 21 octobre 2014.

[2] Martel c. Thibault et Chambre de la sécurité financière, 2012 QCCQ 90, jugement de la Cour du Québec du 16 janvier 2012; Ledoux c. Champagne et Chambre de la sécurité financière, 2011 QCCQ 15733, jugement de la Cour du Québec du 1er décembre 2011; Thibault c. Pistilli, CD00-0655, décision sur culpabilité et sanction du 6 juin 2008; Champagne c. Côté, CD00-0837, décision sur culpabilité et sanction du 5 avril 2011; Thibault c. Duguay, CD00-0631, décision sur culpabilité et sanction du 27 juin 2007; Champagne c. Tremblay, CD00-0865, décision sur culpabilité et sanction du 14 février 2012; Champagne c. Ardouin, CD00-0864, décision sur culpabilité et sanction du 14 février 2012; Chauvin c. Darkaoui, 2012 CANLII 6492, décision du Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages, sur sanction du 31 janvier 2012; Lizotte c. McDougall, 2013 CANLII 10705, décision du Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages sur culpabilité et sanction du 28 février 2013; Champagne c. Robertson, CD00-0978, décision sur culpabilité et sanction du 10 décembre 2014; Champagne c. Nuckle, CD00-0812, décision sur culpabilité et sanction du 16 septembre 2010; Champagne c. Chartrand, CD00-1021, décision sur culpabilité et sanction du 21 octobre 2014; Pellerin c. Guimont et Ordre professionnel des avocats, 2009 QCTP 120, jugement du Tribunal des professions du 20 octobre 2009; Lelièvre c. Teng Yee, CD00-0849, décision sur culpabilité et sanction du 26 août 2011; Champagne c. Drury, CD00-0971, décision sur culpabilité et sanction du 4 octobre 2013.

[3] Voir I-28.

[4] 2006 QCTP 74, paragraphe 62.

[5] [2004] 1 R.C.S. 672, paragraphe 52.

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