Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0973

 

DATE :

22 novembre 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Antonio Tiberio

Membre

Mme Lise Benoit, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Plaignante

c.

STEVE KONCEVICH, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 117584 et numéro BDNI 1646941)

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion de tout renseignement, de tout document et de tout témoignage permettant d’identifier les clients dont les noms sont mentionnés à la plainte et cela dans le but d’assurer la protection de leur vie privée.

I - LE DÉROULEMENT DE L’AUDIENCE ET LES CHEFS D’INFRACTION DONT L’INTIMÉ A ÉTÉ RECONNU COUPABLE

[1]           La plaignante a porté une plainte dont les chefs d’infraction se lisent comme suit :

M.B.

1.      À Richelieu, le ou vers le 5 juillet 1996, l’intimé a fait souscrire à M.B. un investissement d’environ 38 000 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 192, 234.1 du Règlement sur les valeurs mobilières (c. V-1.1, r. 1), 3 et 157 du Règlement du Conseil des assurances de personnes sur les intermédiaires de marché en assurance de personnes (c. I-15.1, r. 0.5);

2.      À Richelieu, le ou vers le 15 septembre 1999, l’intimé a fait renouveler à M.B. un investissement d’environ 56 189,33 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 192, 234.1 du Règlement sur les valeurs mobilières ( c. V-1.1, r. 1), 3 et 157 du Règlement du Conseil des assurances de personnes sur les intermédiaires de marché en assurance de personnes (c. I-15.1, r. 0.5);

3.      À Richelieu, le ou vers le 15 août 2002, l’intimé a fait renouveler à M.B. un investissement d’environ 80 640 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme d’un an, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1);

4.      À Richelieu, le ou vers le 18 août 2003, l’intimé a fait renouveler à M.B. un investissement d’environ 71 600 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1);

S.S.

5.      À Laval, le ou vers le 27 novembre 1998, l’intimé a fait souscrire à S.S. un investissement d’environ 15 200 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 192, 234.1 du Règlement sur les valeurs mobilières (c. V-1.1, r. 1), 3 et 157 du Règlement du Conseil des assurances de personnes sur les intermédiaires de marché en assurance de personnes (c. I-15.1, r. 0.5);

6.      À Laval, le ou vers le 11 janvier 2001, l’intimé a fait souscrire à S.S. un investissement d’environ 10 400 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1);

R.S.

7.      À Laval, le ou vers le 22 février 1999, l’intimé a fait souscrire à R.S. un investissement d’environ 20 000 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 192, 234.1 du Règlement sur les valeurs mobilières (c. V-1.1, r. 1), 3 et 157 du Règlement du Conseil des assurances de personnes sur les intermédiaires de marché en assurance de personnes (c. I-15.1, r. 0.5);

8.      À Laval, le ou vers le 4 avril 2002, l’intimé a fait renouveler à R.S. un investissement d’environ 33 282,22 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de cinq ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1).

 

[2]           Lors de l’audience du 20 août 2013 à Montréal, la plaignante était représentée par Me Mathieu Cardinal et l’intimé par Me Martin Courville.

[3]           À la demande des parties, le comité a interdit, aux termes de l’article 142 du Code des professions, la divulgation, la publication ou la diffusion de tout renseignement, de tout document et de tout témoignage permettant d’identifier les clients dont les noms sont mentionnés à la plainte et cela dans le but d’assurer la protection de leur vie privée.

[4]           En début d’audience, l’intimé a plaidé coupable à tous les chefs d’infraction contenus à la plainte.

[5]           Après avoir vérifié si l’intimé comprenait bien le sens et la portée d’un tel plaidoyer, le comité l’a déclaré coupable de tous les chefs  d’infraction énoncés à la plainte.

[6]           Les parties ont ensuite indiqué au comité qu’elles étaient prêtes à procéder à l’audience sur sanction.

[7]           La plaignante n’a pas fait entendre de témoin mais a produit, avec le consentement de l’intimé, les pièces SP-1 à SP-90.

[8]           L’intimé a ensuite témoigné et produit la pièce SI-1.

[9]           Les procureurs ont soumis leurs recommandations respectives et ont plaidé.

[10]        Le comité a alors pris le dossier en délibéré.

II - LA PREUVE

a)    les documents produits par la plaignante

[11]        L’analyse de ces documents a permis au comité de constater ce qui suit.

[12]        L’intimé travaille dans l’industrie depuis mai 1990. Il détient, depuis plusieurs années, un certificat dans les disciplines de l’assurance de personnes et du courtage en épargne collective (SP-1 et SP-2).

[13]        Par contre, il n’a jamais été inscrit à titre de courtier en valeurs d’exercice restreint, de conseiller en valeurs de plein exercice ou de courtier en valeurs de plein exercice en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières (SP-3).

[14]        Une attestation émise par la secrétaire de l’Autorité des marchés financiers (AMF) (SP-4) fait état de ce qui suit : Focus Management inc. (Focus) n’a pas déposé de prospectus ou bénéficié de visa de prospectus ou encore, bénéficié d’une dispense d’effectuer un tel dépôt, émis par la Commission des valeurs mobilières ou l’AMF pour ce qui est des diverses périodes mentionnées à la plainte.

[15]        Le 21 décembre 2007, le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières a émis contre plusieurs personnes dont Focus, une entreprise opérant aux Îles Caïmans, une ordonnance de blocage et d’interdiction d’opération sur valeurs (SP-5).

[16]        Les nombreux documents produits par la plaignante démontrent que l’intimé a fait souscrire ou fait renouveler aux clients mentionnés à la plainte des investissements auprès de Focus sous la forme de prêts à terme.

[17]        Des trois clients dont les noms sont mentionnés à la plainte, seule M.B. a retiré une partie des sommes investies.

b)    le témoignage de l’intimé

[18]        Il a 48 ans; il est marié et il est le père de deux garçons de 11 et 16 ans. Il a obtenu, en 1989, un baccalauréat en économie.

[19]        Il est rattaché depuis le début de sa carrière au même cabinet.

[20]        Il travaille actuellement de chez lui à Rosemère et a un pied-à-terre à Laval.

[21]        Il dessert 120 clients en épargne collective et gère des actifs de l’ordre de 12 millions de dollars. Il a également une cinquantaine de clients en assurance de personnes.

[22]        Il représente des « familles entières » et plusieurs retraités. Ces personnes (souvent âgées) ont confiance en lui et il leur serait préjudiciable qu’il soit radié.

[23]        S’il l’est, il ne voit pas dans quel autre domaine il pourrait travailler. Tel qu’indiqué à l’avis de cotisation (SI-1), son revenu total (avant déductions fiscales) en 2012 a été de 57 455 $.

[24]        Il n’a pas d’antécédents disciplinaires.

[25]        Son épouse travaille huit mois par année dans le secteur des ressources humaines.

[26]        Il a appris l’existence de Focus en 1995 lorsqu’un membre de sa famille lui a dit avoir discuté de ce produit avec un conseiller de la firme Gestion de Capital Triglobal inc. (Triglobal).

[27]        L’intimé a consulté ce représentant et, afin d’en savoir plus, il a rencontré Messieurs Mario Bright et Themistoklis Papadopoulos qu’il a identifiés à l’audience comme étant les gestionnaires de fonds et propriétaires de PNB Management inc., de la firme Triglobal et de Focus.

[28]        Messieurs Bright et Papadopoulos lui ont fait valoir les avantages des investissements faits auprès de Focus en insistant particulièrement sur les taux d’intérêt intéressants, le fait qu’il s’agissait de billets à capital protégé et que, dans la pire hypothèse pour les consommateurs, le capital était remboursé, sans intérêt.

[29]        Monsieur Papadopoulos l’a rassuré sur la légalité de l’opération en lui disant que de l’avis des avocats consultés, ces placements « offshore » n’étaient pas soumis à la compétence des autorités québécoises, ni aux lois du Québec, qu’il s’agissait de prêts et non de valeurs mobilières, et que les investisseurs étaient appelés à signer des documents sur lesquels il était indiqué que les lois des Îles Caïmans s’appliquaient.

[30]        Monsieur Papadopoulos lui a dit que si un tel produit était offert au Québec, il faudrait obtenir une « dispense ». Il ignorait cependant à l’époque ce qu’était une « dispense ». Jusqu’en 2006, il a cru qu’il avait le droit de vendre ce produit. Il a été informé de la déroute de Focus à la fin de l’année 2007. Depuis, il n’a jamais proposé à ses clients de placements « offshore ».

[31]        Il se souvient avoir discuté avec des collègues de ce type de placement; cependant, personne ne lui a dit que c’était illégal. Il l’a découvert lors de son premier cours portant sur la « conformité » en 2006.

[32]        Il se voyait comme un intermédiaire. Les investissements auprès de Focus ne faisaient pas partie de la gamme de produits qu’il offrait de façon usuelle.

[33]        Il ne proposait pas le produit Focus à l’ensemble de ses clients. Il en discutait avec ceux qui le lui demandaient car il craignait voir ses clients s’adresser à d’autres représentants s’il refusait d’examiner ce produit avec eux.

[34]        Il indiquait à ses clients que ni le capital ni les intérêts des placements souscrits auprès de Focus étaient garantis. Il les incitait également à indiquer leurs revenus d’intérêts dans leurs déclarations fiscales.

[35]        Il a reçu des « commissions de référencement » légèrement inférieures à 1% ou 2%.

[36]        L’inscription de son numéro sur les formulaires lui permettait de toucher une commission. Il n’a jamais cherché à savoir pourquoi son numéro y apparaissait plutôt que son nom.

[37]        L’intimé a admis avoir été naïf en ce qu’il s’est fié aux propos de messieurs Bright et Papadopoulos sans faire aucune vérification sérieuse.

[38]        Quant aux clients mentionnés à la plainte, il a précisé que M.B. était la conjointe d’un représentant en épargne collective lequel lui disait s’y connaître en placements « offshore ». Lors de son interrogatoire en chef, il a souligné que l’époux de M.B. avait « piloté » les placements souscrits auprès de Focus. En contre-interrogatoire, il a par contre admis que sa meilleure connaissance de l’anglais (en comparaison de celle de l’époux de M.B.) et le fait qu’il était connu de messieurs Bright et Papadopoulos avaient fait en sorte qu’il avait été partie prenante aux placements souscrits par M.B. (paragraphes 1 à 4 de la plainte).

[39]        En ce qui a trait à S.S. et à son épouse (paragraphes 5 et 6 de la plainte), ils avaient comme projet de s’établir au Costa Rica au moment de la retraite et s’étaient montrés intéressés aux placements dans les Caraïbes. S.S. et son épouse sont encore aujourd’hui ses clients.

[40]        R.S. est une amie de l’épouse de S.S. et elle est venue le voir spécifiquement pour souscrire un investissement auprès de Focus (paragraphes 7 et 8 de la plainte).

[41]        Il n’a fait l’objet d’aucune procédure par le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières ni n’a été poursuivi au civil par ses clients.

[42]        Il a indiqué au comité regretter amèrement les gestes qu’il a posés et avoir honte d’avoir aidé trois de ses clients à investir dans Focus.

[43]        Avoir annoncé à ses clients qu’ils avaient perdu des sommes d’argent importantes dans Focus a représenté pour lui le moment le plus difficile de sa carrière.

[44]        Lorsque le « scandale » au sujet de Focus a éclaté, il s’est empressé d’informer ses clients. Selon lui, ses clients ont réalisé qu’il avait manqué de jugement mais qu’il n’avait pas été malhonnête.

[45]        Il est d’avis que ses clients ont décidé de continuer à faire affaire avec lui car il a toujours été « très transparent ». De plus, il n’a pas permis à ses clients S.S. et R.S. de souscrire plus de 10 % de leurs avoirs dans des investissements auprès de Focus. En contre-interrogatoire, il a par ailleurs admis avoir formulé à S.S. et à R.S. les mêmes recommandations que celles qu’il formule à tous ses clients eu égard à l’opportunité de diversifier leurs placements.

[46]        Dans le cas de M.B., il a rappelé que l’époux de celle-ci avait un certificat en épargne collective et qu’il s’y connaissait en placements « offshore ».

III - LES REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

a)    la plaignante

[47]        Elle a recommandé au comité d’imposer à l’intimé une radiation temporaire de trois ans en regard de chacun des chefs d’infraction contenus à la plainte, d’ordonner la publication d’un avis de la décision dans un journal aux termes de l’article 156 du Code des professions et de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

[48]        En substance, son procureur a fait valoir ce qui suit.

[49]        L’étude de la législation permet de conclure qu’il est essentiel, aux yeux du législateur, que les clients reçoivent des conseils d’un professionnel compétent et autorisé à agir.

[50]        Le représentant qui conseille ses clients dans un domaine pour lequel il n’a pas de certification contourne le cadre législatif destiné à protéger les consommateurs.

[51]        Les infractions commises par l’intimé sont donc d’une gravité objective sérieuse.

[52]        Selon lui, plusieurs éléments devraient amener le comité à imposer les sanctions proposées.

[53]        Les placements souscrits sont des produits « offshore ». Si l’intimé avait effectué un minimum de vérifications, il aurait constaté que sa certification ne lui permettait pas de conseiller en cette matière les clients mentionnés à la plainte.

[54]        L’intimé a répété à huit reprises au cours de la période de 1996 à 2003 les fautes dont il a été reconnu coupable. Les clients ont perdu des sommes d’argent importantes, sommes qu’ils ne pourront recouvrer du Fonds d’indemnisation des services financiers puisque ces pertes résultent de la commission d’actes déontologiquement incorrects au sujet desquels l’intimé n’avait pas de certification.

[55]        L’intimé a reçu des commissions pour le travail qu’il a fait.

[56]        Son implication a été importante en regard de chacun des investissements.

[57]        Selon le procureur de la plaignante, l’intimé n’a pas été naïf mais il a plutôt fait preuve d’aveuglement volontaire. Il a soutenu à cet égard que le fait que l’intimé était identifié par un code plutôt que par son nom sur les divers formulaires est un indice de l’illégalité de l’opération à laquelle il était procédé et cet élément aurait dû nécessairement éveiller ses soupçons.

[58]        Par contre, il a suggéré au comité de prendre en compte les facteurs atténuants suivants :

                    le plaidoyer de culpabilité de l’intimé;

                    l’absence d’antécédents disciplinaires;

                    il a pleinement collaboré à l’enquête de la syndique et a avoué les faits aux enquêteurs sans aucune réticence;

                    ses clients ont toujours confiance en lui.

[59]        Il a référé le comité aux décisions rendues dans les affaires Rifai[1], Raymond[2], Froment[3], D’Amore[4] et Jekkel[5].

[60]        Il a souligné que s’il est vrai que l’intimé avait six ans d’expérience au moment de la commission de la première infraction, il en avait une douzaine au moment de la commission de la dernière; selon lui, il ne peut s’agir de la commission de fautes résultant de l’inexpérience.

[61]        Appelé par le comité à donner son point de vue sur le jugement de la Cour du Québec rendu dans l’affaire Ledoux[6] et aux termes duquel une sanction de radiation temporaire de six mois a été imposée, il a souligné que ce représentant n’avait touché aucune commission ou autre avantage et qu’il avait insisté auprès de ses clients pour qu’ils n’investissent pas plus de 5% de leur portefeuille dans l’entreprise mentionnée à la plainte afin de minimiser leur risque. Selon lui, ces éléments sont absents du présent dossier.

b)    l’intimé

[62]        Il a recommandé au comité de le condamner au paiement des amendes suivantes :

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 1 de la plainte : 5 000 $

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 2 de la plainte : 2 000 $

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 3 de la plainte : 2 000 $

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 4 de la plainte : 2 000 $

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 5 de la plainte : 5 000 $

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 6 de la plainte : 2 000 $

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 7 de la plainte : 5 000 $

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 8 de la plainte : 2 000 $

        pour un total de 25 000 $

        il a également suggéré au comité d’accorder à l’intimé un délai d’un an pour payer cette somme.

[63]        Son procureur a expliqué au comité que le fait d’avoir « fait souscrire » était selon lui un manquement plus grave que celui-ci de « faire renouveler » un investissement, ce qui explique pourquoi il recommande la condamnation à des amendes de 5 000 $ dans certains cas et de 2 000 $ dans d’autres.

[64]        Référant à l’arrêt de la Cour d’appel rendu dans l’affaire Pigeon c. Daigneault[7] et au jugement de la Cour du Québec prononcé dans l’affaire Martel c. Chambre de la sécurité financière[8], il a souligné que les décisions antérieures pouvaient servir de « guide » mais que le comité devait chercher avant tout à « individualiser » les sanctions à imposer.

[65]        Selon lui, le montant total d’amendes suggéré (25 000 $) est élevé compte tenu des revenus de l’intimé en 2012. Par conséquent, les sanctions qu’il propose sont dissuasives et exemplaires. De plus, elles satisfont au principe de la globalité des sanctions.

[66]        Il a souligné que l’intimé était un tout jeune conseiller à l’époque où les infractions ont été commises.

[67]        Il a insisté sur le fait que l’intimé n’avait pas sollicité les trois clients mentionnés à la plainte. Il a rappelé que M.B. était conseillé par son mari (lequel travaillait dans l’industrie) et que les clients S.S. et R.S. ont souscrit l’investissement auprès de Focus de façon éclairée. Il a également rappelé que ceux-ci étaient toujours les clients de l’intimé.

[68]        Il a ajouté que la preuve n’avait pas été faite que l’intimé était l’un des « rouages » de Focus.

[69]        Il a soutenu que M.B. avait, au cours des années, retiré 48 000 $ des sommes qu’elle avait investies.

[70]        Il a soutenu que l’intimé ne représentait qu’un faible risque de récidive et qu’une radiation temporaire de trois ans l’écarterait à tout jamais de l’industrie.

[71]        Il a plaidé que les décisions soumises par le procureur de la plaignante et pour lesquelles des sanctions de radiation temporaire de deux ou trois ans avaient été imposées comportaient des facteurs aggravants que le dossier de l’intimé ne présente pas.

[72]        En regard du jugement rendu par la Cour du Québec dans l’affaire Ledoux[9] (et dans lequel une radiation temporaire de six mois avait été imposée), il a souligné au comité que ce représentant avait mentionné à certains de ses clients que le placement auquel il leur suggérait de souscrire était garanti (ce qui n’était pas le cas) alors que l’intimé dans le présent dossier n’a pas fait de telles représentations.

IV - L’ANALYSE

[73]        Faire souscrire à des clients des placements pour lesquels un représentant n’a ni certification ni compétence reconnue est une infraction dont la gravité objective est grande et qui appelle l’imposition de sanctions sévères. En procédant ainsi, un représentant met à risque les intérêts de ses clients.

[74]        Afin de déterminer les sanctions à imposer, il est nécessaire de considérer les circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises et les caractéristiques propres à l’intimé.

[75]        Examinons donc les facteurs aggravants et les facteurs atténuants.

[76]        Au nombre des facteurs aggravants, le comité retient ceux-ci :

        le nombre de fois où les infractions ont été commises (huit) et la période au cours de laquelle elles l’ont été (six ans);

        l’importance des sommes d’argent impliquées;

        l’intimé a touché des « commissions de référencement »;

        les clients ont perdu des sommes importantes qu’ils ne pourront manifestement pas recouvrer.

[77]        En contrepartie, les facteurs atténuants retenus sont les suivants :

        l’intimé a indiqué à ses clients que le capital et les intérêts de leurs placements n’étaient pas garantis; en d’autres termes, l’intimé n’a pas « fardé » le produit Focus afin d’inciter ses clients à investir;

        l’intimé n’a pas sollicité tous ses clients pour leur offrir ce type de placement mais a plutôt répondu à la demande de certains de ceux-ci;

        l’intimé a fait preuve de transparence à l’égard de ses clients : dès qu’il a appris la déconfiture de Focus, il les a prévenus;

        malgré leurs pertes, certains des clients ont continué à faire affaire avec l’intimé;

        il a pleinement collaboré à l’enquête de la syndique et a reconnu ses fautes à la première occasion;

        il a plaidé coupable devant le comité;

        il n’a pas d’antécédents disciplinaires;

        il a fait preuve de remords et d’un repentir sincère;

        depuis le moment où il a réalisé avoir commis les fautes qui lui sont reprochées dans la plainte, il a cessé de faire souscrire à ses clients des investissements « offshore ».

[78]        Le comité est d’avis que les fautes commises ne peuvent être mises sur le compte de « l’inexpérience » de l’intimé. En effet, il a commis la première infraction dont il a été reconnu coupable à une époque où il était représentant depuis six ans; il aurait dû alors réaliser qu’il devait procéder à des vérifications auprès des autorités compétentes avant de faire souscrire ses clients à de tels placements. Les représentations de Messieurs Bright et Papadopoulos et la teneur de la documentation relative aux placements auraient dû l’amener à s’interroger davantage avant d’agir.

[79]        Le comité est par contre d’avis que les risques que l’intimé récidive sont minces.

[80]        Au cours des dernières années, le comité et la Cour du Québec (en appel) ont sanctionné plusieurs représentants reconnus coupables d’infractions analogues à celles commises par l’intimé.

[81]        Dans les décisions citées par la partie plaignante, on retrouve certains facteurs aggravants qu’on ne retrouve pas dans le présent dossier et l’on constate l’absence de certains facteurs atténuants qui profitent à l’intimé dans la présente affaire.

[82]        Dans l’affaire Rifai[10] (radiation temporaire de deux ans), l’intimée n’avait pas donné l’heure juste à ses clients sur les risques que comportaient les billets ou instruments financiers de Real Vest et de Mount Real.

[83]        Dans l’affaire Raymond[11] (radiation temporaire de trois ans), l’intimé a menti à l’enquêteur du bureau de la syndique et a fait miroiter à ses clients des rendements annuels très élevés.

[84]        L’intimé Froment[12] (radiation temporaire de trois ans), n’a pas manifesté de regrets pour les fautes objectivement graves qu’il avait commises; il a plutôt fait valoir les effets négatifs que les procédures intentées contre lui ont eus sur sa vie en général.

[85]        Dans l’affaire D’Amore[13] (radiation temporaire de trois ans), l’intimé a fait défaut de collaborer à l’enquête de la syndique.

[86]        Dans Jekkel[14] (radiation temporaire de deux ans), l’intimé n’a pas collaboré de façon efficace à l’enquête de la syndique et n’a pas non plus manifesté de remords ou de repentir sincère lors de l’audience sur sanction.

[87]        Bien que chaque dossier doive être jugé à son mérite, le comité croit nécessaire d’accorder une grande importance à l’analyse faite par la Cour du Québec dans l’affaire Ledoux[15] et cela pour deux raisons : il s’agit du tribunal d’appel du comité et les faits relatifs à ce dossier sont similaires, à plusieurs égards, à ceux que l’on retrouve dans la présente affaire.

[88]        Dans l’affaire Ledoux, la Cour du Québec a imposé une radiation temporaire de six mois à ce représentant.

[89]        Les placements totalisaient 160 000 $ et concernaient quinze clients; ces sommes n’ont pas été récupérées par les clients et ne le seront probablement jamais; en plus d’investir lui-même dans le Groupe Krypton inc., il avait incité sa conjointe, ses parents et ses beaux-parents à faire de même; il avait proposé ce produit financier à certains de ses clients mais il avait insisté pour que chacun n’investisse pas plus dans cette entreprise que 5% de la valeur de son portefeuille afin d’assurer une certaine diversification de leurs investissements; certains clients ont témoigné que le représentant les avait avisés d’un risque potentiel élevé alors que d’autres ont indiqué qu’il leur avait présenté l’investissement comme étant sûr; il n’en a retiré aucune commission ni autre avantage; plusieurs clients n’ont pas perdu confiance en ce représentant et font encore affaire avec lui; il a pleinement collaboré à l’enquête de la syndique et a plaidé coupable à la première occasion; l’intimé avait une dizaine d’années d’expérience à l’époque de la commission des infractions dont il s’est reconnu coupable. La Cour du Québec a réduit de dix-huit mois à six mois la sanction de radiation temporaire qui avait été imposée à ce représentant.

[90]        En 2012, le comité a rendu une décision sur sanction dans l’affaire de Deschênes[16] qui offre certaines similitudes avec notre dossier. Le représentant a enregistré un plaidoyer de culpabilité; les investissements totalisaient 117 000 $ et cinq consommateurs étaient concernés; les manquements ont été commis entre 2005 et 2008; le représentant a touché des commissions; au moment de l’audience, il était âgé de 63 ans, œuvrait dans le domaine des services financiers depuis dix-sept ans et n’avait pas d’antécédents disciplinaires; il a collaboré à l’enquête de la syndique; il s’est assuré que la valeur des investissements suggérés ne représentait qu’une faible part des actifs de ses clients; il a de plus aidé ses clients en contribuant « de sa poche » aux honoraires des avocats dont les services ont été retenus aux fins de la présentation d’une réclamation auprès du syndic à la faillite des entreprises en cause; deux des consommateurs touchés ont témoigné qu’ils n’avaient pas perdu confiance en ce représentant et continuaient à faire affaire avec lui; le représentant a lui-même souscrit le produit qu’il recommandait à ses clients. Le comité lui a imposé une radiation temporaire de six mois.

[91]        Le comité est d’avis que la condamnation au paiement d’amendes (même de montants importants) est une sanction inadéquate pour des infractions de la nature de celles dont l’intimé a été reconnu coupable. Le comité considère que des sanctions de radiation temporaire doivent être imposées. Cependant, la recommandation de la plaignante (trois ans de radiation temporaire) lui semble trop sévère en regard des principes retenus dans la jurisprudence récente et des faits qui ont été mis en preuve devant lui. Rappelons que la sanction doit avoir pour but de protéger le public et non de punir le professionnel.

[92]        Cela dit, le comité est d’avis que l’imposition d’une période de radiation temporaire de six mois pour les infractions contenues à chacun des paragraphes de la plainte (sanctions de radiation temporaire à être purgées concurremment) satisfait aux impératifs de dissuasion et d’exemplarité requis en matière disciplinaire et que la sécurité du public sera assurée de façon adéquate.

[93]        La plaignante a requis du comité qu’il ordonne à la secrétaire du comité de faire publier un avis de la décision dans un journal aux termes du 5e alinéa de l’article 156 du Code des professions. En l’absence de circonstances particulières justifiant qu’il y ait dispense de publication, le comité l’ordonnera.

POUR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé en regard de tous les chefs d’infractions énoncés à la plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable de tous les chefs d’infractions énoncés à la plainte;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de six mois en regard de chacun des chefs énoncés à la plainte disciplinaire;

ORDONNE que les périodes de radiation temporaire soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la décision rendue, dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’article 156(5) du Code des professions;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions.

 

 

(s) Sylvain Généreux

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

(s) Antonio Tiberio

M. Antonio Tiberio

Membre du comité de discipline

 

(s) Lise Benoit

Mme Lise Benoit, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Mathieu Cardinal

Bélanger Longtin, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la plaignante

 

Me Martin Courville

De Chantal, D’Amour, Fortier, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de l’intimé

 

Date d’audience :

20 août 2013

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] Thibault c. Rifai, CD00-0717, 3 décembre 2008 (C.D.C.S.F.)

[2] Thibault c. Raymond, CD00-0763, 22 décembre 2009 (C.D.C.S.F.)

[3] Thibault c. Froment, CD00-0773, 13 avril 2010 (C.D.C.S.F.)

[4] Thibault c. D’Amore, CD00-0739 9 juillet 2010 (C.D.C.S.F.)

[5] Champagne c. Jekkel, CD00-0771 et CD00-0804, 16 avril 2012 (C.D.C.S.F.)

[6] Ledoux c. Chambre de la sécurité financière, 2011 QCCQ 15733.

[7] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QCCA).

[8] Martel c. Chambre de la sécurité financière, 2012 QCCQ 90.

[9] Supra, note 6.

[10] Supra, note 1.

[11] Supra, note 2.

[12] Supra, note 3.

[13] Supra, note 4.

[14] Supra, note 5.

[15] Supra, note 6.

[16] Lelièvre c. Deschênes, 30 octobre 2012 (C.D.C.S.F.).

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