Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2020-08-01(C)

 

DATE :

Le 15 décembre 2020

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Nathalie Boyer, courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Anne-Marie Hurteau, courtier en assurance de dommages

 

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ANLY CHARLES, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DE TOUT RENSEIGNEMENT ET DE TOUTES INFORMATIONS PERMETTANT D’IDENTIFIER L’ASSURÉ MENTIONNÉ À LA PLAINTE

ET DANS LES PIÈCES DOCUMENTAIRES, LE TOUT SUIVANT

L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 16 novembre 2020, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait par visioconférence pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2020-08-01(C) ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Valérie Déziel et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Patrick Garneau ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant deux (2) chefs d’accusation, soit :

 

1.   À Montréal, entre les ou vers les 29 avril et 22 mai 2019, a été négligent dans la tenue du dossier de l’assuré P.P., en faisant défaut d’y inscrire l’ensemble de ses démarches et interventions, notamment les rencontres, les communications téléphoniques, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues, en contravention avec les articles 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ c. D-9.2), les articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5) et les articles 19 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ c. 9.2, r.2);

 

2.   À Montréal, le ou vers le 11 septembre 2019, a entravé l’enquête du syndic en intervenant auprès de la personne ayant demandé la tenue de l’enquête à son sujet, en contravention avec l’article 36 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5).

 

[4]       L’intimé contestant le bien-fondé de la plainte, chacune des parties a présenté une courte preuve à l’appui de ses prétentions ;

 

II.         Les faits

 

[5]       Brièvement résumée, la preuve a permis d’établir les faits ci-après relatés ;

 

[6]       Le 29 avril 2019, l’assuré (P.P.) communique avec l’intimé pour l’informer qu’il désire remettre sur la route sa voiture de marque BMW, laquelle avait été remisée ;

 

[7]       C’est alors que l’intimé informe son client que sa police d’assurance a été annulée pour non-paiement ;

 

[8]       Il fixe alors une rencontre avec son client pour le lendemain, soit le 30 avril 2019 ;

 

[9]       Plusieurs solutions sont envisagées lors de cette rencontre ;

 

[10]    C’est ainsi que l’intimé communique avec divers assureurs afin de tenter d’obtenir une couverture d’assurance pour son client ;

 

[11]    À chaque fois, l’assuré refuse l’assurance proposée au motif que la prime est trop élevée ;

 

[12]    Or, le dossier de l’assuré n’est pas des plus reluisants, il a été annulé à plusieurs reprises pour non-paiement par divers assureurs auxquels il doit encore de l’argent et il conduit une voiture usagée louée à un locateur (non-standard), en plus d’avoir un dossier criminel ;

 

[13]    De toute évidence, les options qui s’offrent à lui sont plutôt réduites et les primes exigées sont, en conséquence, très élevées ;

 

[14]    Finalement, ce qui devait arriver arriva, l’assuré s’est fait voler sa voiture alors qu’il ne détenait pas d’assurance ;

 


[15]    L’assuré étant insatisfait des services de l’intimé, il dépose, le 9 juin 2019, une plainte à l’AMF (P-2) ;

 

[16]    Le 20 août 2019, l’assuré (P.P.) reçoit de l’AMF un accusé-réception de sa plainte l’informant qu’il recevra de l’entreprise visée (le cabinet de l’intimé) une réponse finale concernant sa plainte et que suivant cette réponse, alors son dossier pourra être évalué par les services de conciliation ou de médiation de l’AMF (P-2) ;

 

[17]    À la même date, l’intimé reçoit une lettre (D-1) de l’AMF lui demandant d’envoyer une réponse à l’assuré ;

 

[18]    Selon l’AMF, cette réponse « doit être écrite, motivée et provenir du responsable des plaintes de l’entreprise » (D-1) ;

 

[19]    Suivant la « politique de traitement des plaintes et de règlement des différents » en vigueur au cabinet de l’intimé (D-2), la personne « responsable des plaintes » est l’intimé ;

 

[20]    Cela dit, l’intimé fait parvenir à l’assuré-plaignant, le 11 septembre 2019, une réponse écrite et motivée (P-10) ;

 

[21]    L’intimé explique avec moults détails les différentes démarches qu’il a entreprises et les raisons pour lesquelles il lui fut impossible de trouver un assureur au prix exigé par son client ;

 

[22]    Considérant ces faits, le syndic a déposé deux (2) chefs d’accusation contre l’intimé, soit :

 

Chef 1 :     pour mauvaise tenue de son dossier

 

Chef 2 :     pour avoir communiqué avec le plaignant, faisant ainsi entrave à l’enquête du syndic

 

[23]     C’est à la lumière de ces faits que le Comité devra décider du bien-fondé de la plainte disciplinaire ;

 

III.       Motifs et dispositif

 

3.1      Chef no. 1

 

[24]    Selon le chef 1, l’intimé aurait été négligent dans la tenue du dossier de l’assuré (P.P.), notamment en faisant défaut d’y inscrire :

 

      L’ensemble de ses démarches et interventions ;

      Les rencontres et les communications téléphoniques ;

      Les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues ;

[25]    Qu’en est-il au juste?

 

[26]    Dans un premier temps, rappelons le fardeau de preuve de la partie plaignante ;

 

[27]    Suivant la Cour d’appel[1], il s’agit de la prépondérance des probabilités ;

 

[28]    En pratique, cela signifie que le syndic doit présenter « une preuve claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance de la preuve »[2] ;

 

[29]    D’autre part, suivant un autre arrêt de la Cour d’appel[3], un manquement professionnel, pour constituer une faute déontologique, doit revêtir une certaine gravité[4] ;

 

[30]    Ce principe est d’autant plus important en matière de tenue de dossier où la moindre négligence ou erreur technique aurait pour effet d’entraîner une condamnation disciplinaire, sans égard aux faits particuliers du dossier[5] ;

 

[31]    Cela étant établi, il y a lieu de rappeler que le droit disciplinaire n’exige pas de chaque professionnel qu’il soit l’incarnation de la perfection[6] ;

 

[32]    Il suffit que celui-ci soit raisonnablement compétent, ainsi il n’a pas besoin d’être un premier de classe mais il ne doit pas non plus être un cancre, il lui suffit d’être dans la moyenne générale ;

 

[33]    Cela dit, le Comité considère que la tenue de dossier de l’intimé, sans être parfaite et d’aucun pourrait même prétendre que celle-ci a été faite de manière négligente, il demeure néanmoins que cette négligence n’atteint pas un niveau de gravité suffisant pour constituer une faute disciplinaire ;

 

[34]    Ainsi, l’intimé, par son témoignage et les pièces documentaires fournies, a réussi à démontrer que son dossier, sans être exemplaire, contenait suffisamment d’informations pour rencontrer les exigences imposées par l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome[7] (ci-après, le « Règlement »), soit :

 

21. Les dossiers clients qu’un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome inscrit dans la discipline de l’assurance de dommages doit tenir sur chacun de ses clients dans l’exercice de ses activités doivent contenir les mentions suivantes:

1°  son nom;

2°  le montant, l’objet et la nature de la couverture d’assurance;

3°  le numéro de police et les dates de l’émission du contrat et de la signature de la proposition, le cas échéant;

4°  le mode de paiement et la date de paiement du contrat d’assurance;

5°  la liste d’évaluation des biens de l’assuré transmise par celui-ci, le cas échéant.

Tout autre renseignement ou document découlant des produits vendus ou des services rendus recueillis auprès du client doit également y être inscrit ou déposé. (Nos soulignements)

 

[35]    À cet égard, il convient de rappeler que, suivant la Cour d’appel[8], « Les éléments essentiels d’un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du Code de déontologie ou du Règlement qu’on lui reproche d’avoir violées »[9] ;

 

[36]    Cela dit, le chef 1 réfère à plusieurs dispositions législatives et réglementaires dont une disposition qui fut même abrogée en 2009, soit l’article 19 du Règlement[10] ;

 

[37]    Par contre, de l’avis du Comité, seul l’article 21 du Règlement est vraiment pertinent au cas de l’intimé ;

 

[38]    En effet, quant aux autres dispositions alléguées, il n’y a aucune preuve démontrant que l’intimé aurait été négligent au sens des articles 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (ci-après « LDPSF ») ou des articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[11] (ci-après « Code de déontologie ») ;

 

[39]    Enfin, concernant une quelconque infraction à l’article 21 du Règlement, le Comité considère que la partie plaignante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve aux motifs que :

 

1)        Le dossier de l’intimé, sans être impeccable, contient suffisamment de renseignements et d’informations pour répondre aux exigences minimales de l’article 21 du Règlement ;

2)        Les manquements qui ont pu être soulevés par le syndic ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer une faute déontologique ;

[40]    Cela dit, la réponse de l’intimé à l’assuré (P-10) démontre que son dossier était suffisamment documenté pour lui permettre de fournir moults détails concernant les services rendus à l’assuré (P-10) ;

 

[41]    Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimé sera acquitté de toutes et chacune des infractions reprochées au chef 1 de la plainte ;

 

3.2      Chef no. 2

 

[42]    Le chef 2 de la plainte reproche à l’intimé d’avoir, le 11 septembre 2019, entravé l’enquête du syndic en intervenant auprès de la personne (P.P.) ayant demandé la tenue de l’enquête à son sujet ;

 

[43]    La disposition réglementaire alléguée au soutien du chef 2 est l’article 36 du Code de déontologie[12], lequel se lit comme suit :

 

36. Le représentant en assurance de dommages ne doit pas intervenir auprès du plaignant ou de la personne qui a demandé la tenue d’une enquête lorsqu’il est informé d’une enquête ou d’une plainte à son sujet, sauf dans l’exécution de son mandat, le cas échéant. (Nos soulignements)

 

[44]    Concernant l’interprétation de l’article 36 du Code de déontologie, on peut se référer au jugement de la Cour du Québec rendu dans l’affaire Laurin c. Chauvin[13] et plus particulièrement aux passages suivants :

 

[93]    Une interprétation stricte et littérale de l'article 36 du Code de déontologie laisse croire que l'interdiction d'intervention vaut à l'égard de tout, excepté des éléments entrant dans l'exécution du mandat.  Tel que libellé, l'article 36 pourrait faire en sorte qu'il serait totalement impossible pour un représentant en assurance de dommages de tenter de conclure à l'amiable une réclamation civile par exemple.  Il serait également impossible (d'un point de vue déontologique, à tout le moins), d'intervenir dans le cadre d'une instance civile qui pourrait survenir entre les mêmes parties relativement à cette même réclamation civile. 

[94]    Le tribunal est d'avis qu'en édictant cet article, le législateur n'avait aucunement comme intention d'empêcher toute négociation quant à un règlement civil pouvant potentiellement survenir.  Voilà pourquoi il est important de bien cerner ce sur quoi cette intervention doit porter, afin de ne pas conférer une portée non-compatible avec l'objet premier de cette décision.

[95]    Le tribunal est d'avis que l'intervention mentionnée à l'article 36 doit être faite à l'égard de la plainte.  C'est une intervention faite avec l'intention d'influer sur son déroulement.  Par exemple, une intervention demandant le retrait d'une plainte sera visée par cet article(Nos soulignements)

 

[45]    Dans le présent dossier, malgré le fait que la réponse de l’intimé à l’assuré (P‑10) ne contient aucune demande de retrait de la plainte, la partie plaignante avance comme hypothèse que l’intimé, par cette réponse (P-10) cherchait à obtenir ultimement le retrait ou l’abandon de la plainte ;

 

[46]    À ce sujet, il y a lieu de préciser qu’on ne peut fonder une condamnation sur l’article 36 en se basant uniquement sur des conjectures ou des hypothèses non démontrées[14] ;

 

[47]    Cela dit, il convient de rappeler les faits à l’origine du dépôt du deuxième chef d’accusation :

 

1)        Le 9 juin 2019, l’assuré (P.P.) dépose une plainte à l’AMF (P-2) ;

 

2)        Le 20 août 2019, l’intimé reçoit une lettre de l’AMF lui demandant d’envoyer une réponse à l’assuré (D-1) ;

 

3)        Le 11 septembre 2019, l’intimé fait parvenir à l’assuré une « réponse écrite et motivée » (P-10), tel que requis par l’AMF (D-1) ;

 

4)        Le 4 janvier 2020, l’intimé est informé par la ChAD que le Bureau du syndic a ouvert une enquête concernant le dossier de l’assuré (P-4) ;

 

5)        Le 20 avril 2020, l’avocate-enquêteur du Bureau du syndic de la ChAD confirme, encore une fois, à l’intimé que « le syndic a pris la décision de procéder à une enquête déontologique » (p. 3 de P-5) ;

 

[48]    L’intimé soulève plusieurs moyens de défense à l’encontre de l’infraction reprochée au chef 2 de la plainte ;

 

A)       L’ouverture de l’enquête

 

[49]    Dans un premier temps, il plaide qu’au moment de l’envoi de la lettre du 11 septembre 2019 (P-10), il n’était pas informé qu’une enquête du syndic avait été déclenchée à son égard ;

 

[50]    Ce premier moyen de défense sera rejeté pour les motifs suivants ;

 

[51]    Premièrement, la lettre du 20 août 2019 adressée au syndic de la ChAD (P-2) indique que « les avis nécessaires en vertu de l’art. 186.1 LDPSF ont été transmis ;

 

[52]    L’article 186.1 LDPSF prévoit ce qui suit :

 

186.1 Dans le cas d’une plainte formulée contre un titulaire de certificat, l’Autorité avise le cabinet ou la société autonome auquel est rattaché ce titulaire du dépôt et de la nature de la plainte.

Elle en avise également le titulaire. (Nos soulignements)

 

[53]    Cela étant établi, il en découle que l’intimé, à titre de titulaire d’un certificat, était dûment informé, dès le 20 août 2019, qu’il faisait l’objet d’une plainte ;

 

[54]    Dans les circonstances, ce premier moyen de défense sera rejeté ;

 

B)       La demande de l’AMF

 

[55]    Comme deuxième moyen de défense, l’intimé prétend, d’une part, qu’il n’a fait qu’obéir à la demande de l’AMF et ce, sans aucune malice, ni intention malveillante, et que, d’autre part, il n’avait pas le choix puisque suivant la « politique de traitement des plaintes » en vigueur à son cabinet (D-2), il est la « personne responsable » et il doit agir « à titre de répondant » auprès de l’AMF ;

 

[56]    Selon l’intimé, c’est à la demande expresse de l’AMF qu’il a envoyé au demandeur d’enquête (P.P.) une lettre-réponse (P-10), le 11 septembre 2019 ;

 

[57]    D’ailleurs, la demande de Mme Da Costa, analyste aux plaintes de la Direction des plaintes et de l’indemnisation de l’AMF (D-1), est très claire et ne porte pas à interprétation :

 

« Monsieur,

Nous avons reçu la plainte ci-jointe.

Nous vous demandons de la traiter dans un délai raisonnable et d’envoyer votre réponse finale à la personne mentionnée ci-dessus.

Nous vous rappelons que toute réponse à une plainte doit être écrite, motivée et  provenir du responsable des plaintes de l’entreprise.

Veuillez aussi nous transmettre une copie de votre réponse pour nous permettre d’assurer le suivi du dossier. » (Nos soulignements)

 

[58]    Rappelons que tout représentant a l’obligation de collaborer avec les autorités de l’AMF et de la ChAD et qu’il ne doit pas entravé le travail de l’AMF ou de la ChAD[15];

 

[59]    De plus, suivant les articles 103 et 103.1 LDPSF, le cabinet et, plus particulièrement, la personne responsable des plaintes de l’entreprise, soit l’intimé, a l’obligation de traiter la plainte et d’y répondre, conformément à la politique de traitement des plaintes en vigueur (D-2) ;

 

[60]    Dans les circonstances, l’intimé avait-il vraiment le choix ?

 

[61]    S’il faisait défaut de répondre, il entravait le travail de l’AMF (art. 35 du Code de déontologie et art. 468(4) LDPSF) ;

 

[62]    Or, c’est précisément en se fondant sur cette réponse (P-10) que le syndic l’accuse maintenant d’avoir entravé son enquête ;

 

[63]    De l’avis du Comité, l’interprétation prônée par le syndic mène à un non-sens ;

 

[64]    De plus, suivant la Cour suprême, une interprétation qui constitue un non-sens et engendre une absurdité doit être écartée[16] ;

 

[65]    Cela dit, si l’intimé fait défaut de répondre, il se place en situation d’infraction avec l’article 35 du Code de déontologie et s’il répond, il commet alors une infraction à l’article 36 du Code de déontologie ;

 

[66]    De l’avis du Comité, une telle situation n’a certainement pas été voulue par le législateur ;

 

[67]    À cet égard, l’article 36 du Code de déontologie nous permet de concilier les obligations imposées aux courtiers par les articles 35 et 36 du Code de déontologie ;

 

[68]    En effet, l’article 36 du Code de déontologie prévoit une exception à cette interdiction de communiquer avec un plaignant en stipulant « sauf dans l’exécution de son mandat » ;

 

[69]    Or, le Code de déontologie impose aux représentants l’obligation de respecter les dispositions de la LDPSF (art. 2), de ne pas négliger leurs devoirs professionnels (art. 9) et d’appuyer toute mesure visant la protection du public (art. 11) ;

 

[70]    Finalement, le représentant ne doit pas entraver, directement ou indirectement, le travail de l’AMF (art. 35)

 

[71]    Bref, l’intimé n’avait d’autre choix que de répondre à l’assuré, tel qu’exigé par l’AMF ;

 

[72]    Cela dit, l’intimé aurait-il pu confier la préparation et la rédaction de la réponse à un autre représentant de son cabinet?

 

[73]    De l’avis du Comité, l’intimé, en tant de « personne responsable du traitement des plaintes », n’avait pas d’autre choix que de répondre personnellement à la plainte puisque la politique du cabinet (D-2) lui impose cette obligation ;

 

[74]    Son choix de répondre personnellement à la plainte pouvait également se justifier par la doctrine de la nécessité, tel que le Comité de discipline en a déjà décidé dans l’affaire Gingras[17] :

 

[68]    Son choix pouvait également se justifier par la doctrine de la nécessité.

[69]   Par analogie, lorsque tous les membres d’un Comité ou d’un tribunal sont en situation de partialité alors, la doctrine de la nécessité leur reconnait le droit de siéger sinon l’instance disciplinaire serait paralysée, ce qui serait contraire à l’intérêt public.

[70]    C’est ainsi que le Tribunal des professions dans l’affaire Girard se référant alors à l’arrêt Ruffo, écrivait :

« [44] Enfin, compte tenu de la doctrine de la nécessité ([14]), le processus disciplinaire devrait suivre son cours devant le Comité tel que formé puisque l’article 152 du Code édicte que le comité de discipline décide privativement à tout tribunal si un professionnel a commis l’infraction visée à l’article 116.

 [45] Ce dossier n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’affaire Ruffo ([15]) qui présente de nombreuses similitudes avec celui-ci.  Il faut par analogie, en appliquer ici les principes.

[46] Non seulement la décision du Comité ne dénote aucune faiblesse apparente, mais au surplus, la question soulevée a peu de chance d’être débattue avec succès en appel à ce stade-ci des procédures.  En effet, le Comité n’a pas encore débuté ses audiences et, comme le soulignait l’un des procureurs du syndic, Me Jacques Prévost, se référant à l’arrêt de la cour suprême précité ([16]), même dans l’hypothèse où le requérant avait raison, l’enquête du Comité doit avoir lieu :

"Malgré la règle générale selon laquelle un juge qui n’est pas impartial est inhabile à entendre une affaire, la doctrine de la nécessité - - qui constitue une exception à cette règle générale - - permet dans certaines circonstances à un juge, qui serait par ailleurs inhabile à connaître d’un litige, d’entendre cette affaire s’il n’y a pas de juge impartial en mesure de le remplacer.  Le droit reconnaît que, dans certaines situations, il est préférable d’avoir une juge qui n’est ni indépendant ni impartial plutôt que de ne pas avoir de juge du tout.  La doctrine de la nécessité tient compte de l’importance des notions de la finalité et de continuité dans l’administration de la justice et autorise un degré limité d’iniquité envers un accusé." (Mon emphase) » 

[71]    Dans le même ordre d’idée, le droit criminel reconnait à un accusé confronté à deux obligations légales contradictoires le droit de soulever la défense de nécessité.

[72]    À cet égard, rappelons les sages paroles du Juge Lamer dans l’affaire Perka.

« L’exigence que l’obéissance à la loi soit « démonstrativement impossible » pousse cette appréciation un cran plus loin.  Si l’accusé se devait d’agir, pouvait-il vraiment agir de manière à éviter le danger ou à prévenir le mal sans contrevenir à la loi? Y avait-il moyen de s’en sortir légalement? Je crois que c’est que Bracton veut dire lorsqu’il mentionne la « nécessité » comme moyen de défense pourvu que l’acte mauvais n’ait pas été « évitable ».  Il faut se demander si l’auteur de l’acte avait réellement le choix : pouvait-il faire autrement? S’il y avait une solution raisonnable et égale autre que celle de contrevenir à la loi, alors la décision de contrevenir à la loi est un acte volontaire, mu par quelque considération autre que les impératifs de la « nécessité » de l’instinct humain.

On ne saurait trop insister sur cette exigence qu’il n’y ait pas d’autre solution légale et raisonnable possible (pp. 252-253). »

[73]     Le législateur ayant prévu d’une part, le droit pour le consommateur de soumettre une plainte et d’autre part, l’obligation pour le responsable du traitement des plaintes, d’y répondre, l’intimé n’avait d’autre choix que de s’exécuter. (Nos soulignements)

 

[75]    En conséquence, vu l’obligation imposée à l’intimé par l’article 35 du Code de déontologie et vu la doctrine de la nécessité, le Comité conclut que l’intimé ne pouvait pas légalement, ni dans les faits, agir autrement, d’où son acquittement à l’égard du chef 2 de la plainte.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACQUITTE l’intimé de toutes et chacune des infractions reprochées aux chefs 1 et 2 de la plainte;

PRONONCE une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation de tout renseignement et de toutes informations permettant d’identifier l’assuré mentionné à la plainte et dans les pièces documentaires, le tout suivant l’article 142 du Code des professions ;

DÉCLARE que les frais de l’instance seront à la charge de la partie plaignante.

 

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

___________________________________

Mme Nathalie Boyer, courtier en assurance de dommages

Membre        

 

___________________________________

Mme Anne-Marie Hurteau, courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Valérie Déziel

Procureure de la partie plaignante

 

Me Patrick Garneau

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience : 16 novembre 2020 (visioconférence)

 

 

 



[1]    Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (CanLII);

[2]    Ibid., par. 67;

[3]    Prud’homme c. Gilbert, 2012 QCCA 1544 (CanLII);

[4]    Ibid., par 33 à 39;

[5]    Ibid. par. 38 et 41;

[6]    ChAD c. Hébert, 2013 CanLII 10706 (QC CDCHAD), par. 43 à 47;

[7]    R.L.R.Q., c. D-9.2, r.2;

[8]    Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441 (CanLII);

[9]    Ibid., par. 84;

[10]   R.L.R.Q., c. D-9.2, r.2;

[11]   R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5;

[12]   R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5;

[13]   2006 QCCQ 6115 (CanLII);

[14]   ChAD c. Houle, 2004 CanLII 56990 (QC CDCHAD);

[15]   Art. 35 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5);

[16]   Poulin c. Serge Morency et associés inc., 1999 CanLII 662 (CSC), par. 31; Voir, au même effet, l’arrêt Bissonnette c. R., 2020 QCCA 1585 (CanLII), par. 93

[17]   ChAD c. Gingras, 2009 CanLII 13204 (QC CDCHAD);

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