Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2019-07-01(C)

 

DATE :

17 octobre 2019

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Bernard Jutras, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Maryse Pelletier, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ALAIN SÉVIGNY, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

[1]       Le 19 septembre 2019, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2019-07-01(C) ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Jean-François Noiseux et, de son côté, l’intimé se représentait seul ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant huit (8) chefs d’accusation, soit :

 

1.   À Repentigny, entre les ou vers les 6 et 24 mars 2018, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, en omettant de communiquer avec l’assurée H.C. notamment pour l’informer des démarches requises, à la suite de la réception de deux (2) Avis de résiliation émis par Royal et Sun Alliance du Canada, Société d’assurances visant respectivement le contrat d’assurance habitation no 01 MR 1015341 et le contrat d’assurance automobile no 01 AP 1015327, en contravention avec les articles 9, 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

2.   À Repentigny, entre les ou vers les 6 et 24 mars 2018, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, en ne faisant aucune démarche auprès d’un assureur pour replacer le risque, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que le contrat d’assurance habitation no 01 MR 1015341 émis par Royal et Sun Alliance du Canada, Société d’assurances au nom des assurés H.C. et D.J. serait résilié au 24 mars 2018, en contravention avec les articles 9, 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

3.   À Repentigny, entre les ou vers les 6 mars et 8 avril 2018, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, en ne faisant aucune démarche auprès d’un assureur pour replacer le risque, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que le contrat d’assurance automobile no 01 AP 1015327 émis par Royal et Sun Alliance du Canada, Société d’assurances au nom de l’assurée H.C. serait résilié au 8 avril 2018, en contravention avec les articles 9, 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

4.   À Repentigny, le ou vers le 26 mars 2018, a fait une déclaration fausse, trompeuse et/ou susceptible d’induire en erreur, en confirmant à l’assurée H.C. qu’elle bénéficiait d’une protection d’assurance jusqu’au 6 avril 2018, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que le contrat d’assurance habitation no 01 MR 1015341 émis par Royal et Sun Alliance du Canada, Société d’assurances avait été résilié le 24 mars 2018, en contravention avec les articles 15, 37(1) et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

5.   À Repentigny, entre les ou vers les 24 mars et 18 juin 2018, a exercé ses activités professionnelles de manière négligente, en omettant de faire les démarches nécessaires pour procurer aux assurés H.C. et D.J. une protection d’assurance pour leur résidence, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que le risque était alors à découvert, en contravention avec les articles 9, 26 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

6.   À Repentigny, entre les ou vers les 8 avril et 18 juin 2018, a exercé ses activités professionnelles de manière négligente, en omettant de faire les démarches nécessaires pour procurer à l’assurée H.C. une protection d’assurance pour son véhicule automobile, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que le risque était alors à découvert, en contravention avec les articles 9, 26 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

7.   À Repentigny, entre les ou vers les 13 et 18 juin 2018, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, en refusant d’aider l’assurée H.C. et en la référant à une collègue qui n’était pas disponible en temps utile, malgré l’urgence de la situation, alors que l’assurée H.C. était sans couverture d’assurance habitation et automobile depuis des mois, en contravention avec les articles 8, 9, 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

8.   À Repentigny, entre les ou vers les 26 mars et 18 juin 2018, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités dans le dossier de l’assurée H.C., en n’ayant pas une tenue de dossier à laquelle on est en droit de s’attendre d’un professionnel, en omettant d’y noter, notamment, les communications téléphoniques, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues, en contravention avec les articles 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), les articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5) et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ c. D‑9.2, r.2).

[4]       L’intimé ayant enregistré un plaidoyer de non-culpabilité à l’encontre de la plainte, les parties ont alors procédé à l’audition sur culpabilité ;

[5]       C’est ainsi que la partie plaignante a fait entendre l’assurée H.C. et l’intimé ;

[6]       De son côté, l’intimé a témoigné pour sa défense, en plus de produire comme témoin sa conjointe et collaboratrice, Mme Géraldine Viart ;

[7]       L’ensemble de cette preuve a permis d’établir les faits ci-après décrits ;

 

II.         Les faits

 

[8]       Le 26 mars 2018, l’assurée H.C. téléphone[1] à l’intimé pour l’informer qu’elle a reçu un avis de résiliation et, de toute évidence, elle est inquiète;

 

[9]       D’entrée de jeu, il y a lieu de noter que cette conversation téléphonique[2] est alléguée tant au soutien du chef 1 qu’au soutien des chefs 2, 3, 4, 5, 6 et 8, tel qu’il appert du cahier des pièces de la plaignante :

 

          P-7         Enregistrements entre H.C. et l’intimé

A.    26 mars 2018 : Chef 1

-        De 1m49x à 2m06 : Chef 8

-        De 5m40s à 8m18s : Chefs 2, 3, 4, 5 et 6

 

[10]    Cela dit, l’intimé, lors de son témoignage en preuve principale ainsi qu’en défense, a reconnu ne pas avoir fait un suivi adéquat du dossier de l’assurée H.C. ;

 

[11]    D’ailleurs, dans un aide-mémoire qu’il a produit au soutien de sa défense, il écrit :

« Malheureusement pour une raison que je ne suis pas capable de cibler ce retour d’appel m’a glissé entre les doigts. »

 

[12]    Bref, l’intimé, alors qu’il avait été informé, le 26 mars 2018, par sa cliente H.C. que celle-ci se retrouvait dans une situation fâcheuse en raison de l’annulation de ses deux (2) polices d’assurance, n’a pas pris les mesures nécessaires :

 

      pour tenter de replacer le risque (habitation) auprès d’un autre assureur (chefs 2 et 5) ;

 

      Il n’a pas, non plus, fait de démarches en regard de l’assurance-automobile (chefs 3 et 6) ;

 

 

[13]    Finalement, cette conversation téléphonique[3] du 26 mars 2018 n’a pas été inscrite à son « registre des notes »[4], d’où l’allégation que ses dossiers sont mal tenus (chef 8) ;

[14]    Quant aux faits allégués au soutien des chefs 4 et 7, ceux-ci seront décrits et commentés au moment de l’analyse de ces chefs ;

[15]    Pour l’instant, il suffit de mentionner et ce, pour l’ensemble de la plainte, que l’intimé n’a pas réellement nié les faits à l’origine de celle-ci et qu’il regrette la tournure des événements et les problèmes occasionnés par sa négligence ;

 

III.        Analyse et décision

 

3.1      Chefs nos. 1, 2, 3, 5 et 6

 

[16]    De l’avis du Comité, le syndic s’est déchargé de son fardeau de preuve[5] en démontrant que l’intimé a négligé ses devoirs professionnels[6] :

      En omettant de communiquer avec l’assurée H.C. pour l’informer des démarches requises suite à l’annulation de ses polices d’assurance-habitation et assurance-automobile (chef 1)

      En ne faisant aucune démarche auprès d’un assureur pour replacer le risque (chefs 2, 3, 5 et 6)

[17]    D’ailleurs, au cours de l’audition, l’intimé a reconnu qu’il avait été négligent dans le traitement du dossier de l’assurée H.C. ;

[18]    À cet égard, il a tenté de fournir diverses explications pour justifier son inaction sans jamais toutefois contredire les faits à l’origine de la plainte ;

[19]    En conséquence, l’intimé sera reconnu coupable des infractions alléguées aux chefs 1, 2, 3, 5 et 6, plus particulièrement pour avoir contrevenu à l’article 9 du Code de déontologie[7], pour les motifs ci-après exposés ;

 

A)        Les obligations du courtier d’assurance

 

[20]    Le Comité considère que le présent dossier justifie de rappeler les principaux devoirs qui incombent au courtier d’assurance ;

      Avant toute chose, le courtier doit faire preuve de disponibilité[8] et il ne doit pas négliger ses devoirs professionnels[9] ;

      De plus, il doit tenir compte des limites de ses aptitudes et ne pas hésiter à obtenir l’aide appropriée[10], si nécessaire ;

      Il doit, dans les plus brefs délais, donner suite aux instructions qu’il reçoit de son client ou le prévenir qu’il lui est impossible de s’y conformer[11];

      Enfin, il doit exercer de façon honnête et ne pas faire preuve de négligence[12] ;

      De plus, il doit rendre compte de l’exécution de son mandat[13] et toujours agir en conseiller consciencieux[14] ;

[21]    Dans le présent cas, si l’intimé avait retourné ses appels et assuré un suivi adéquat de son dossier, il aurait évité un drame humain et une plainte disciplinaire ;

[22]    Cela dit, de l’avis du Comité, le présent dossier prend sa source dans le défaut de l’intimé de faire le suivi de l’appel téléphonique du 26 mars 2018 (chef 1) et les autres chefs d’accusation ne sont que le résultat en cascades (chefs 2, 3, 5 et 6) de cette première faute ;

[23]    En conséquence, il convient d’appliquer les principes de l’arrêt Kienapple[15] ;

 

B)       Interprétation large des principes de l’arrêt Kienapple

 

[24]     Depuis longtemps, la jurisprudence reconnaît l’application en droit disciplinaire des principes relatifs aux déclarations de culpabilité multiples[16] ;

[25]    Dernièrement, le Tribunal des professions, dans l’affaire Vallières[17], suggérait une application plus souple de la règle interdisant les condamnations multiples ;

 

[26]    Plus précisément, le Tribunal rejetait les prétentions du syndic visant à compartimenter les différents chefs d’accusation afin d’obtenir un plus grand nombre de condamnations et donc, de sanctions, dans les termes suivants :

[162]     La logique de l’appelant relativement au chef 20 est que celui-ci vise le comportement antérieur de l’intimée, eu égard aux chefs pour lesquels elle a plaidé coupable, le comportement ciblé par le chef 20 se situant en amont des autres chefs. Selon cette approche, l’intimée commet une première faute en acceptant les mandats et une deuxième en les exécutant, il s’agit donc de deux comportements distincts entraînant des fautes déontologiques distinctes.

[163]     Cette vision très compartimentée des faits et des chefs n’est pas sans entraîner une multiplication des fautes déontologiques qu’on peut y accoler. Si l’intimée n’a pas exécuté les tests selon les règles de l’art, c’est parce qu’elle n’avait pas les compétences. Ainsi, puisqu’elle n’avait pas les compétences, elle n’a pas administré les tests selon les règles de l’art. Il s’agit d’un enchaînement de faits qui peut entraîner un certain raisonnement circulaire.

[164]     La Cour d’appel du Québec dans un arrêt récent propose une approche plus souple des règles de l’arrêt Kienapple. Dans l’arrêt Sarazin c. R., les juges majoritaires de la Cour énoncent ce qui suit au sujet des principes de l’arrêt Kienapple :

[28]      (…) La jurisprudence récente de la Cour fait une application souple de ce principe quand les éléments constitutifs sont distincts, mais que le même évènement fonde les différentes accusations. Le principe fondamental dans Kienapple est de ne pas doubler ou multiplier les condamnations et les peines pour le même tort. C’est d’éviter la redondance juridique. (…).

(Référence omise)

[165]     Le Tribunal considère que ces récents propos de la Cour d’appel sont tout à fait appropriés en ce qui concerne les infractions en matière disciplinaire, compte tenu de la nature même de la faute déontologique. Il est fréquent de voir des plaintes déontologiques à l’égard d’un seul événement comportant de multiples chefs d’infraction avec de multiples liens de rattachement.

[166]     La présente affaire en est une illustration parfaite. Pour un même enfant à qui l’intimée a fait passer 1 ou 2 tests, l’appelant a porté une plainte comportant 2 ou 3 chefs en lien avec cet enfant et 9 liens juridiques distincts.

[167]     Cette façon très répandue de rédiger les plaintes déontologiques est souvent de nature à alourdir les débats et à étirer indûment le processus pour parfois en arriver à un résultat qui, concrètement, fait peu de différence relativement à la déclaration de culpabilité.

[168]     Cependant, cette multiplication des chefs et des condamnations potentielles peut entraîner des conséquences importantes pour le professionnel à l’égard des sanctions, obligeant parfois les conseils de discipline à de sérieux ajustements au moment d’imposer les sanctions pour maintenir celles-ci à l’intérieur d’une globalité raisonnable. (Nos soulignements)

 

[27]    Cela dit, cette interprétation beaucoup plus souple des règles d’application de l’arrêt Kienapple fut suivie par de nombreux Conseils de discipline, dont les suivants :

      Barreau du Québec c. Diomande, 2019 QCCDBQ 54 (CanLII);

      Chambre de la sécurité financière c. Marcoux, 2019 QCCDCSF 54 (CanLII);

      Podiatres c. Tranchemontagne, 2019 CanLII 28668 (QC OPODQ);

      Pharmaciens c. Escobar, 2019 CanLII 20204 (QC CDOPQ);

[28]    L’origine de cette nouvelle approche est bien expliquée par le juge Vanchestein dans l’affaire Collège des médecins du Québec c. Labrie[18] :

[331]   Notre Cour d’appel dans une affaire de Dubourg présente les deux approches des principes de l’arrêt Kienapple :

[31]      En conclusion, sur le principe dans l’arrêt Kienapple, la jurisprudence a toujours été divisée en deux courants dans son application. Selon un courant, les tribunaux semblent insister plutôt sur un critère d’identité formel entre les éléments de deux infractions. Selon l’autre, ils semblent insister sur une proximité fonctionnelle entre les éléments. Dans le premier, la jurisprudence souligne l’importance de faire preuve de déférence envers le législateur en ce qui a trait à la définition des éléments de culpabilité et des contours de la responsabilité criminelle. Cette approche est plus stricte et technique. Elle souligne également la déférence dont doivent faire montre les tribunaux face à la discrétion de la poursuite dans la sélection de chefs d’accusation. Dans le second courant, la jurisprudence souligne une finalité téléologique qui est d’éviter la redondance inutile dans les condamnations et l’administration de la peine. Cette approche est entièrement compatible avec la démonstration d’une déférence envers le législateur et envers la poursuite parce que dans son application le principe de l’arrêt Kienapple n’empêche pas une détermination de culpabilité sur plus d’un chef, mais plutôt l’imposition d’une peine sur un chef redondant et moins grave. Elle a également l’avantage d’être plus flexible. À mon avis, la jurisprudence actuelle au Québec et en Ontario s’inscrit de manière générale dans le second courant et donc suit le principe téléologique qui a pour finalité d’éviter la redondance dans l’imposition de la peine. (Soulignements du Tribunal)

[332]   Cette approche souple a été confirmée à nouveau par notre Cour d’appel dans l’affaire J.B. c. R. :

[16]      Quant à la règle interdisant les condamnations multiples, l’appelant a raison de dire qu’elle s’applique entre certains chefs d’accusation. Notre Cour adopte une approche souple, fondée sur une analyse des faits qui sous-tendent les infractions et qui cherche avant tout à éviter la redondance dans les condamnations et dans la détermination de la peine : voir récemment Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065 (CanLII), par. 27-31; Touchette c. R., 2016 QCCA 460 (CanLII), par. 49; Brais c. R., 2016 QCCA 355 (CanLII), par. 33-36. (Soulignements du Tribunal)

[333]   Ainsi, pour déterminer s’il y a multiplicité des condamnations dans le présent dossier, le Tribunal adoptera l’approche prônée par la Cour d’appel du Québec.  (Nos soulignements)

 

[29]    Cela étant établi, le Comité ordonnera un arrêt conditionnel des procédures sur les chefs 2, 3, 5, et 6 au motif que ceux-ci découlent tous de la même faute, soit le manque de suivi du dossier de l’assurée H.C. qui débute par le défaut de donner suite à l’appel téléphonique du 26 mars 2018 (chef 1) ;

[30]    À cet égard, le Comité prend appui sur les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt J.B. c. R. [19] :

[16]        Quant à la règle interdisant les condamnations multiples, l’appelant a raison de dire qu’elle s’applique entre certains chefs d’accusation. Notre Cour adopte une approche souple, fondée sur une analyse des faits qui sous-tendent les infractions et qui cherche avant tout à éviter la redondance dans les condamnations et dans la détermination de la peine : voir récemment Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065 (CanLII), par. 27-31; Touchette c. R., 2016 QCCA 460 (CanLII), par. 49; Brais c. R., 2016 QCCA 355 (CanLII), par. 33-36.

[17]        Dans les circonstances, un arrêt conditionnel des procédures s’impose sur les chefs 2, 5, 8 et 9. En l’espèce, le fondement de chacune des infractions réside dans la perpétration d’attouchements sexuels ou d’actes sexuels pouvant constituer à la fois de la grossière indécence ou des attentats à la pudeur ou encore des agressions sexuelles, selon l’époque dans ce dernier cas : R. c. Kienapple, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729, 750; R. c. Prince, 1986 CanLII 40 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 480, 500. Certes, les gestes sont de gravités différentes, mais la preuve démontre qu’ils sont, lors de chacune de leur manifestation, inextricablement liés à toutes les infractions reprochées. (Nos soulignements)

 

[31]    Il convient maintenant d’examiner les autres chefs de la plainte ;

 

3.2      Chef no. 4

 

[32]    Le chef 4 reproche à l’intimé d’avoir fait une déclaration fausse, trompeuse et/ou susceptible d’induire en erreur sa cliente H.C. en prétendant qu’elle bénéficiait d’une protection d’assurance jusqu’au 6 avril 2018 alors qu’il aurait dû savoir que le contrat d’assurance-habitation avait été résilié le 24 mars 2018 ;

[33]    En défense, l’intimé plaide qu’il s’agit d’une simple erreur puisqu’une fois que la police d’assurance est annulée, celle-ci n’apparaît plus au dossier de l’intimé; il doit alors retourné à l’historique du dossier pour avoir accès aux anciennes polices ;

[34]    Bref, il s’agit d’une erreur ou d’un oubli commis par inadvertance et sans arrière-pensée ;

[35]    Ce type d’infraction nécessite habituellement la preuve d’une intention coupable, tel que le rappelait dernièrement le Tribunal des professions dans l’affaire Teixeira[20] :

[20]      Maître Teixeira plaide que la nature de l’infraction qu’on lui reproche requiert la preuve d’une intention blâmable. Or, le Conseil en évaluant la preuve, a omis de considérer cet élément pourtant essentiel. De plus, elle souligne qu’en aucun temps le Conseil n’a remis en question la crédibilité de son témoignage.

[21]       Qu’en est-il?

[22]      Il convient d’abord de reproduire l’article 3.02.01 i)  du Code sur lequel repose la déclaration de culpabilité :

3.02.01 Les actes suivants, entre autres, contreviennent à l’obligation d’agir avec intégrité :

(…)

i) agir de façon à induire en erreur la partie adverse non représentée par avocat.

(…)

[23]        Dans Renaud c. Barreau du Québec, notre tribunal a interprété l’article 3.02.01 c) du Code afin de déterminer si la preuve d’une intention blâmable était requise. Notons que la rédaction de cette disposition est similaire à celle dont il est question, en l’espèce, puisqu’elle se lit ainsi :

3.02.01. Les actes suivants, entre autres contreviennent à l’obligation d’agir avec intégrité :

(…)

c) induire ou tenter d’induire le tribunal en erreur ou, par des moyens illégaux, créer le doute en faveur du client;

(…)

[24]     Dans cette décision, notre tribunal conclut que pour déclarer un professionnel coupable de cette infraction, il est nécessaire de démontrer qu’il a agi intentionnellement dans le but de tromper. Notre tribunal s’exprime ainsi :

[105] D’abord, la disposition se trouve dans une section intitulée « intégrité ». Au plan des concepts, le Tribunal trouve difficile de concevoir comment le professionnel peut manquer d’intégrité, ou dit en d’autres mots, d’honnêteté ou de probité, s’il n’est pas animé d’une intention blâmable. Cela ne signifie pas bien sûr que toutes les dispositions de la section commandent la preuve d’un élément d’intention pour qu’il y ait faute déontologique. Il faut simplement, dans chaque cas, s’arrêter au but visé et au choix des termes utilisés.

[106] Ensuite, l’expression induire en erreur, et sa parente, sinon synonyme, tromper, évoque l’idée, si l’on s’en remet au dictionnaire de la langue française, le Petit Robert, édition 2002, de mensonge, duperie, dissimulation, ruse. Un mensonge n’est pas autre chose qu’une assertion sciemment contraire à la vérité et faite dans l’intention de tromper.

[107] Certes, l’on ne peut exclure que quelqu’un puisse être induit en erreur involontairement. Toutefois, le Tribunal ne croit pas que la disposition vise une telle situation.

[108] La norme en cause fait partie d’un ensemble de règles qui entendent maintenir chez les avocats, en leur qualité d’auxiliaires de la justice, le plus haut standard d’intégrité et de probité. Dans une perspective déontologique, il faut plutôt envisager que l’avocat qui induit le Tribunal en erreur ne peut pas ne pas rechercher un but à atteindre ou provoquer une conséquence dont il entend tirer un avantage.

[109] Dès lors que l’article 3.02.01 c) du Code nécessite la démonstration d’un élément intentionnel, le Comité devait s’y arrêter et se demander si au regard de l’ensemble des faits et de tout le contexte, en incluant le témoignage de l’appelant, il pouvait conclure à la présence d’un état d’esprit blâmable. En ne le faisant pas pour la raison que l’on sait, il commet une erreur de droit.

[25]        Cette exigence de prouver l’élément intentionnel à l’égard de l’infraction prévue à l’article 3.02.01 c) du Code a été réitérée par notre tribunal dans Vaillancourt c. Avocats (Ordre professionnel des).

[26]     En l’espèce, le Tribunal constate que les mots employés à l’article 3.02.01 i) du Code « agir de façon à induire en erreur » renvoient à la notion de mensonge, duperie, dissimulation ou ruse qui inclut l’intention de tromper.

[27]     Par conséquent, le Conseil devait analyser la preuve pour déterminer la présence de l’élément intentionnel, ce qu’il a omis de faire, commettant ainsi une erreur de droit. (Nos soulignements)

 

[36]    D’ailleurs, une simple erreur commise par inadvertance n’est pas génératrice d’infraction, tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’arrêt Constantine c. Avocats[21] :

[80]     Pour que l'appelant soit déclaré coupable du second chef, l'article 4.02.01 d) exige que preuve soit faite de sa connaissance de la fausseté de l'affidavit.  On ne peut assimiler dans ce contexte, déclaration fausse à déclaration inexacte ou erronée. (Nos soulignements)

 

[37]    Dans les circonstances, l’intimé sera acquitté du chef 4 puisque le Comité n’a pas été en mesure de déceler chez ce dernier aucune intention malicieuse ou malhonnête ;

 

3.3      Chef no. 7

 

[38]    Le chef 7 de la plainte reproche à l’intimé d’avoir référé l’assurée H.C. à une collègue qui n’était pas disponible en temps utile, malgré l’urgence de la situation ;

[39]    Qu’en est-il au juste ?

[40]    Selon l’assurée H.C., celle-ci aurait placé un appel téléphonique auprès de l’intimé, le 13 juin 2018, lequel lui mentionne que sa collègue, « Géraldine », verra à la rappeler le soir même[22] ;

[41]    En pratique, sa collègue, Mme Géraldine Viart, ne rappellera l’assurée H.C. que le lendemain, soit le 14 juin 2018 ;

[42]    L’intimé explique ce retard par le fait que, suite à de nombreux orages électriques durant la soirée du 13 juin 2018, ils ont subi une panne d’électricité, l’empêchant, lui et sa collègue, de rejoindre Mme H.C. ;

[43]    Toujours est-il que dès le lendemain, soit le 14 juin 2018, Mme Viart communiquait avec l’assurée H.C.[23] ;

[44]    Mais il y a plus, la preuve démontre qu’entre le 14 juin 2018 et le 18 juin 2018, Mme Viart a fait de nombreuses démarches pour replacer le risque auprès d’un autre assureur[24] ;

[45]    En l’espèce, le dossier de l’assurée H.C. était rendu plus difficile en raison de ses annulations pour non-paiement ;

[46]    Finalement, le 18 juin 2018, Mme Viart a réussi à lui obtenir de l’assurance-habitation et automobile dont la protection débutait le 14 juin 2018 (pièce I-2) ;

[47]    Dans les circonstances, le Comité est d’avis que le syndic ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve ;

[48]    Pour ces motifs, l’intimé sera acquitté des infractions reprochées au chef 7 de la plainte ;

 

3.4      Chef no. 8

 

[49]    Le chef 8 reproche à l’intimé une mauvaise tenue de ses dossiers ;

[50]    La preuve démontre que les conversations téléphoniques du 26 mars 2018 et celles des 13 et 14 juin 2018 n’ont pas été notées au dossier[25] ;

[51]    Qui plus est, l’intimé a reconnu à l’audition que son dossier n’était pas complet, plusieurs démarches effectuées n’ayant pas été inscrites au dossier ;

[52]    En conséquence, l’intimé sera reconnu coupable des infractions reprochées au chef 8 de la plainte ;

 

IV.       Conclusion

 

[53]    Le Comité tient à souligner qu’un arrêt conditionnel des procédures n’est pas un acquittement et que l’intimé devra, à l’avenir, prendre les moyens nécessaires pour éviter la répétition de tels gestes ;

[54]    De plus, le Comité demande aux parties, en prévision de l’audition sur sanction, d’examiner la possibilité de recommander, au conseil d’administration de la ChAD, l’imposition d’un ou plusieurs cours de perfectionnement ;

[55]    À cet égard, le Comité rappelle que la sanction n’est pas punitive et qu’elle vise plutôt à assurer la protection du public.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimé coupable de toutes les infractions reprochées aux chefs 1, 2, 3, 5 et 6 de la plainte et plus particulièrement comme suit :

Chef 1 :              pour avoir contrevenu à l’article 9 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommage (RLRQ, c. D-9.2, r. 5)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions réglementaires alléguées au soutien du chef 1 ;

Chefs 2, 3, 5 et 6 :     

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard sur les chefs 2, 3, 5 et 6 de la plainte ;

Chefs 4 et 7 :

ACQUITTE l’intimé de toutes et chacune des infractions reprochées aux chefs 4 et 7 de la plainte ;

Chef 8 :

DÉCLARE l’intimé coupable du chef 8 pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, c. D-9.2, r. 2) ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 8 ;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour l’audition sur sanction pour les chefs 1 et 8 ;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

___________________________________

M. Bernard Jutras, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre        

 

___________________________________

Mme Maryse Pelletier, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Jean-François Noiseux

Procureur de la partie plaignante

 

M. Alain Sévigny (se représentant seul)

Partie intimée

 

Date d’audience : 19 septembre 2019

 

 

 



[1]    Pièce P-7A);

[2]    Pièce P-7A)

[3]    Pièce P-7A);

[4]    Pièce P-6;

[5]    Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (CanLII), par. 63 à 68;

[6]    Art. 9 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

[7]    Ibid.;

[8]    Art. 8 du Code de déontologie;

[9]    Art. 9 du Code de déontologie;

[10]   Art. 17 du Code de déontologie;

[11]   Art. 26 du Code de déontologie;

[12]   Art. 37(1) du Code de déontologie;

[13]   Art. 37(4) du Code de déontologie;

[14]   Art. 37(6) du Code de déontologie;

[15]   R. c. Kienapple, 1974 CanLII 14 (CSC);

[16]   Auger c. Monty, 2006 QCCA 596 (CanLII);

[17]   Psychologues c. Vallières, 2018 QCTP 121 (CanLII);

[18]   2019 QCCQ 5048 (CanLII);

[19]   2019 QCCA 761 (CanLII);

[20]   Teixeira c. R.K., 2019 QCTP 39 (CanLII);

[21]   2008 QCTP 16 (CanLII);

[22]   Pièce P-7B) : enregistrement de la conversation téléphonique du 13 juin 2018;

[23]   Pièce P-7B) : enregistrement de la conversation téléphonique du 14 juin 2018;

[24]   Pièce I-8 : aide-mémoire de Mme Géraldine Viart;

[25]   Pièce P-6;

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