Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2018-12-01(E)

 

 

DATE :

4 septembre 2019

 

 

LE COMITÉ :

Me Daniel M. Fabien, avocat

Président

M. Yvan Roy, FPAA, expert en sinistre

Membre

Mme Valérie Mastrocola, PAA, B.A.A.,

expert en sinistre

Membre

 

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

 

c.

 

JIMMY FEQUET, expert en sinistre (5A)

 

Partie intimée

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

RECTIFIÉE[1]

 

 

 

[1]       Le 9 mai 2019, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (« le Comité ») est réuni pour instruire la plainte logée contre l’intimé Jimmy Fequet.

 

[2]       Me Marie-Josée Belhumeur, ès qualité de syndic, est représentée par Me Sylvie Poirier.  Quant à l’intimé, il est présent et dûment  représenté par Me Giuseppe Battista.

 

[3]       Nous sommes informés qu’une entente est intervenue entre les parties.

 

[4]       En effet, suite au retrait du chef 3 de la plainte et l’acceptation par le Comité des modifications apportées au chef  2, il est entendu que l’intimé plaidera coupable aux chefs 1, 2 et 4 de la plainte amendée.

 

[5]       Séance tenante, le Comité autorise l’amendement du chef 2 et le retrait du chef 3.

 

I.          Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé

 

 

[6]       L’intimé, par l’entremise de son procureur, enregistre un plaidoyer de culpabilité sur chacun des chefs restants de la plainte, laquelle se lit comme suit :

 

« 1.    Le ou vers le 27 juin 2017, a prévu dans l’entente intitulée « Contrat de l’expert en

sinistre – Mandaté par un sinistré » qu’il a fait signer aux assurés J.T. et M.C., des intérêts à un taux déraisonnable de 26,56 %, soit un taux supérieur à celui de 6 % fixé conformément à l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31) devenue la Loi sur l’administration fiscale (L.R.Q. c. A-6.002), en contravention avec l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

2. Entre les ou vers les 23 mars et 23 août 2018, a exercé ses activités professionnelles

de manière négligente, en omettant de rendre compte à J.T avec diligence et d’effectuer un suivi auprès de ce dernier dans le cadre du mandat confié par les assurés J.T. et M. C., et en ignorant leur volonté de révoquer son mandat, sans y donner suite, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 27, 32, 33, 37 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre et l’article 4(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;

3. (…)

 

4. Entre les ou vers les mois de juin 2017 et août 2018, a agi avec négligence en n’ayant

pas une  tenue de dossier à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un expert en sinistre, notamment en ne tenant aucune « feuille de temps » quant au travail effectué, en contravention avec les articles 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome. »

 

 

[7]       Séance tenante, le Comité a pris acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé et a déclaré celui-ci coupable des infractions reprochées.

 

[8]       Sur le chef 1, l’intimé est déclaré coupable d’avoir enfreint l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre .

 

[9]       Cet article stipule ce qui suit :

 

« Art. 42. À moins d’une entente avec le mandant, l’expert en sinistre ne peut recevoir des intérêts sur un compte en souffrance. Dans le cas d’une telle entente, les intérêts ainsi exigés doivent être d’un taux raisonnable, lequel ne peut être supérieur au taux fixé conformément à l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002). »

 

[10]    Sur le chef 2, l’intimé est déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 37 du Code de déontologie des experts en sinistre qui stipule :

 

« Art. 37. L’expert en sinistre doit cesser de représenter un mandant si son mandat est révoqué. »

 

[11]    Quant au chef 4, l’intimé est coupable d’avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome. Cette disposition prévoit :

 

« Art. 21. Les dossiers clients qu’un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome inscrit dans la discipline de l’assurance de dommages doit tenir sur chacun de ses clients dans l’exercice de ses activités doivent contenir les mentions suivantes:

 

1°  son nom;

 

2°  le montant, l’objet et la nature de la couverture d’assurance;

 

3°  le numéro de police et les dates de l’émission du contrat et de la signature de la proposition, le cas échéant;

 

4°  le mode de paiement et la date de paiement du contrat d’assurance;

 

5°  la liste d’évaluation des biens de l’assuré transmise par celui-ci, le cas échéant.

 

Tout autre renseignement ou document découlant des produits vendus ou des services rendus recueillis auprès du client doit également y être inscrit ou déposé. »

 

 

 

[12]    Considérant ce qui précède, un arrêt conditionnel des procédures est ordonné sur les autres dispositions législatives et règlementaires alléguées au soutien des chefs d’accusation susdits.

 

II.         Preuve de part et d’autre

 

 

[13]    La partie plaignante dépose avec le consentement de la partie intimée les pièces documentaires PS-1 et PS-2.

 

[14]    Il s’agit respectivement de l’attestation de droit de pratique de l’intimé qui provient de l’AMF et d’une mise en garde du 16 juin 2017 transmise par le syndic à l’intimé relativement à sa tenue de dossier.

 

[15]    Quant à l’intimé, Me Battista dépose en preuve sous la cote IS-1 un exemple du contrat maintenant utilisé par l’intimé dans le cadre de l’exercice de ses activités. De plus, et sous la cote IS-2, il introduit en preuve une attestation de son médecin qui établit que M. Fequet a eu plusieurs investigations médicales en 2017 et 2018.  De même qu’une importante chirurgie.

 

 

 

III.        Recommandations communes sur sanction

 

 

[16]    Me Poirier déclare au Comité que les parties se sont entendues sur les sanctions suivantes, à savoir :

 

       Chef no 1 : une amende de 2 000 $;

 

       Chef no 2 : une amende de 3 000 $;

 

       Chef no 4 : une amende de 2 500 $;

 

       Condamner l’intimé aux débours.

 

 

[17]    Les parties recherchent donc des amendes totalisant la somme de 7 500 $ plus le paiement des déboursés.

 

[18]    Me Poirier nous explique pour quelles raisons les parties nous recommandent d’imposer les sanctions ci-haut décrites.

 

[19]    À titre de facteurs aggravants, Me Poirier souligne :

 

       l’expérience de l’intimé;

 

       qu’il s’agit d’infractions qui sont au cœur de la profession;

 

       la mise en garde du mois de juin 2017;

 

       les conséquences pour les assurés;

 

       la longue durée des infractions (environ 10 mois).

 

 

[20]    Quant aux facteurs atténuants dont doit bénéficier l’intimé, Me Poirier nous fait part de :

 

       l’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé;

 

       son plaidoyer de culpabilité à la première occasion ;

 

       la collaboration de l’intimé à l’enquête;

 

       les problèmes de santé de l’intimé;

 

       le fait qu’il a modifié son contrat type (PS-1);

 

       qu’il s’agit d’un acte isolé et que M. Fequet n’avait pas d’intention malveillante.

 

[21]    Afin d’appuyer la recommandation commune, le procureur du syndic nous réfère à l’affaire ChAD c. Bernard 2017 CanLII 47418.

 

[22]    Me Battista nous confirme que la sanction suggérée est juste et appropriée dans les circonstances.  

 

 

IV.       Analyse et décision

 

A)        Les recommandations communes

 

 

[23]    La jurisprudence a établi à maintes reprises l’importance qu’un comité de discipline doit accorder aux recommandations communes[2].

 

[24]    En 2016, la Cour suprême confirmait que les recommandations communes sont essentielles au bon fonctionnement de la justice[3].

 

[25]    Dans l’arrêt Anthony-Cook, la Cour suprême précise que le Comité doit faire preuve de retenue lorsque les procureurs des parties présentent une recommandation commune sur sanction.

 

[26]    Ci-après quelques extraits pertinents de cet arrêt important, à savoir :

 

 

« [40] En plus des nombreux avantages que les recommandations conjointes offrent aux participants dans le système de justice pénale, elles jouent un rôle vital en contribuant à l’administration de la justice en général. La perspective d’une recommandation conjointe qui comporte un degré de certitude élevé encourage les personnes accusées à enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Et les plaidoyers de culpabilité font économiser au système de justice des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires. Il ne s’agit pas là d’un léger avantage. Dans la mesure où elles font éviter des procès, les recommandations conjointes relatives à la peine permettent à notre système de justice de fonctionner plus efficacement. Je dirais en fait qu’elles lui permettent de fonctionner. Sans elles, notre système de justice serait mis à genoux, et s’effondrerait finalement sous son propre poids.

 

[41] Cependant, comme je l’ai mentionné, la présentation de recommandations conjointes ne reste possible que si les parties sont très confiantes qu’elles seront acceptées. Si elles doutent trop, les parties peuvent plutôt choisir d’accepter les risques d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Si les recommandations conjointes en viennent à être considérées comme des solutions de rechange insuffisamment sûres, l’accusé en particulier hésitera à renoncer à un procès et à ses garanties concomitantes, notamment la faculté cruciale de mettre à l’épreuve la solidité de la preuve du ministère public.

 

[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé. »

 

(nos soulignements)

 

[27]    Dans l’affaire Ungureanu[4] , le Tribunal des professions décrit lui aussi qu’elle est la fonction des recommandations communes en matière disciplinaire :

[21Les ententes entre les parties constituent en effet un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Lors de toute négociation, chaque partie fait des concessions dans le but d'en arriver à un règlement qui convienne aux deux. Elles se justifient par la réalisation d'un objectif final. Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d'expérience devrait être respectée à moins qu'elle ne soit déraisonnable, inadéquate ou contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice.

(nos soulignements)

[28]    En réalité, lorsqu’une suggestion commune est formulée par des avocats d’expérience, notre marge de manœuvre est excessivement limitée. Autrement dit, il est pratiquement impossible pour nous de l’écarter. Pour ce faire, il faudrait qu’elle soit contraire à l’intérêt public ou au bon fonctionnement de notre système de justice disciplinaire, ce qui n’est évidemment pas le cas.

 

B)       Décision

 

[29]    La recommandation commune formulée par les parties est entérinée séance tenante par le Comité.

 

[30]    Tel qu’établi par la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[5], la sanction disciplinaire doit atteindre les objectifs suivants : 

 

         en premier lieu, la protection du public ;

 

         ensuite, la dissuasion du professionnel de récidiver; et

 

         l'exemplarité à l'égard des membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables;

 

         et finalement, le droit du professionnel visé d'exercer sa profession.

 

 

[31]    Or, nous sommes d’avis que la suggestion commune des parties tient compte de la gravité objective des infractions et, d’autre part, qu’elle assurera la protection du public.

 

[32]    Quant aux frais, l’intimé devra assumer les frais et déboursés de l’instance.

 

 

 

Par CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

AUTORISE l’amendement du chef no 2 de la plainte;

AUTORISE le retrait du chef no 3 de la plainte;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé Jimmy Fequet sur les chefs nos 1, 2 et 4 de la plainte amendée;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef no 1 pour avoir contrevenu à l’article à l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef no 2 pour avoir contrevenu à l’article 37 du Code de déontologie des experts en sinistre ;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef no 4 pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs d’accusation susdits;

Sur le chef n1 :

IMPOSE à l’intimé une amende de 2 000 $;

Sur le chef n2 :

IMPOSE à l’intimé une amende de 3 000 $;

Sur le chef n4 :

IMPOSE à l’intimé une amende de 2 500 $;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés.

 

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président du Comité de discipline

 

 

 

____________________________________

M. Yvan Roy, FPAA, expert en sinistre 

Membre        

 

 

 

____________________________________

Mme Valérie Mastrocola, PAA, B.A.A.,

expert en sinistre

Membre

 

Me Sylvie Poirier

Procureur de la partie plaignante

 

Me Giuseppe Battista

Procureur de la partie intimée

 

 

Date d’audience : 9 mai 2019

 



[1] Au paragraphe 10 de notre décision originale, une erreur cléricale s’est glissée au paragraphe 10 lorsque nous avons cité l’article 28 du Code de déontologie des experts en sinistre alors que nous aurions dû faire référence à l’article 37 du même Code.

[2]  Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 CanLII 82189 (QC TP) et Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5 (CanLII);

[3] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 QCTP 5 (CanLII);

[4]  Infirmières et Infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel de) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

[5]  2003 CanLII 32934 (QC CA), aux paragraphes 38 et suivants;

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