Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2015-09-01(C)

 

DATE :

8 août 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Carl Hamel, C. d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

M. Marc Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me CLAUDE G. LEDUC, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

GUY BOURASSA, C. d’A.A, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

ORDONNANCE DE NON DIVULGATION, DE NON PUBLICATION ET DE

NON DIFFUSION DE LA PIÈCE P-2(A), LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142

DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

I.        La plainte................................................................................................................. 2

II.       Les faits................................................................................................................... 3

III.      Motifs et dispositif................................................................................................. 4

          3.1    Les chefs nos. 1 et 2................................................................................... 4

a)        La valeur du bâtiment........................................................................ 6

b)        Le contenu........................................................................................... 7

c)        La perte de revenus........................................................................... 8

d)        La règle proportionnelle................................................................... 8

e)        Conclusion sur les chefs nos. 1 et 2............................................. 8

          3.2    Le chef no. 3............................................................................................... 14

                    a)      Les dispositions créatrices d’infraction..................................... 15

                   b)      Conclusion sur le chef no. 3......................................................... 16

          3.3    Ordonnance de non divulgation........................................................... 17

_________________________________________________________________

 

[1]       Les 6 et 7 juillet 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2015-09-01(C);

 

[2]       Le syndic ad hoc agissait pour lui-même et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Sonia Paradis;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant trois (3) chefs d’accusation, soit :

 

1.         Au mois d’avril 2013, a fait défaut de recueillir personnellement les renseignements nécessaires en regard de la valeur du bâtiment et de son contenu afin de lui permettre d’identifier les besoins de l’assurée, 9279-**** Québec inc., afin de lui proposer le produit d’assurance qui lui convenait le mieux, le tout en contravention des articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de l’article 37(6o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

2.         Au mois d’avril 2013, a fait défaut de décrire le produit proposé à l’assurée, 9279-**** Québec inc., en relation avec les besoins identifiés et de lui préciser la nature de la garantie offerte, notamment quant à la limite de la couverture valeur à neuf, aux montants d’assurance et à la nature et l’étendue de la couverture pour le contenu, le tout en contravention des articles 16 et 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de l’article 37(6o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

3.         Du mois d’avril 2013 au mois d’octobre 2013, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités en n’ayant pas une tenue de dossier que l’on est en droit de s’attendre de la part d’un représentant en assurance de dommages en ne notant pas au dossier notamment les rencontres, les communications téléphoniques, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues, le tout en contravention des articles 9 et 37(1o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, des articles 16 et 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et des articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome;

[4]       L’intimé ayant enregistré un plaidoyer de non culpabilité, les parties ont procédé à faire leur preuve respective;

[5]       Le syndic ad hoc, en plus de déposer un nombre considérable de pièces documentaires (P-1 à P-7), a fait entendre deux (2) témoins à charge;

[6]       De son côté, la défense a fait entendre un seul témoin, soit l’intimé, et a produit quelques pièces (I-1 à I-5) à l’appui de ses prétentions;

[7]       La preuve administrée ainsi que les arguments plaidés par les parties seront analysés dans la section « Motifs et dispositif », par contre, pour une meilleure compréhension de la présente décision, un court résumé des faits s’impose;

 

II.         Les faits

[8]       Au cours du mois de mars 2013, un homme d’affaires de la région de Valleyfield décide de vendre un de ses commerces, soit un casse-croûte situé face à un terrain de balle;

[9]       L’assuré (M.H.), après quelques discussions, visites et rencontres, conclut rapidement une transaction avec le vendeur;

[10]    Le prix de vente est fixé à 250 000 $, l’assuré (M.H.) versera un acompte de 37 500 $ et le solde du prix de vente, soit 212 500$, sera financé par le vendeur;

[11]    Par contre, le vendeur, afin de conserver un certain contrôle vu la balance de vente, exige que l’acheteur retienne les services de son courtier d’assurance, soit l’intimé;

[12]    En fait, il va même jusqu’à exiger que la police d’assurance existante soit transférée au nouvel acquéreur, ce qui est peu commun;

[13]    L’assuré (M.H.) contacte alors l’intimé une première fois par téléphone et se présente ensuite pour une visite éclair au cabinet de l’intimé simplement pour prendre copie de la police d’assurance;

[14]    Vers le 12 avril 2013, une rencontre plus formelle est organisée et l’intimé discute environ 30 minutes avec son nouveau client;

[15]    L’intimé n’a pas noté au dossier la teneur de cette rencontre, ni les conseils donnés, ni les décisions prises et ni les instructions reçues[1];

[16]    Par ailleurs, compte tenu que la transaction doit se conclure la même journée, l’intimé fait parvenir au notaire instrumentant une note de couverture[2] indiquant que le bâtiment est assuré pour un montant de 150 000 $;

[17]    La note de couverture indique également qu’en cas de perte l’indemnité sera payable au créancier hypothécaire, soit une société numérique enregistrée au nom du vendeur;

[18]    Il est à noter que suivant l’acte notarié[3] le prix de vente de 250 000 $ est ventilé comme suit :

      Inventaire :                                                            500 $

      Meubles, accessoires et équipement :       46 500 $

      Terrain :                                                            55 000 $

      Bâtiment :                                                        88 000 $

      Achalandage :                                                60 000 $

[19]    Le contrat de vente comprend également des clauses spécifiques quant aux assurances qui doivent être obtenues et maintenues par le vendeur;

[20]    Selon la preuve, l’intimé n’a jamais été informé des particularités de l’entente intervenue entre l’assuré et son vendeur;

[21]    Cela étant dit, l’assuré, suite à la signature de l’acte de vente, prend possession du commerce;

[22]    Le 5 mai 2013, il fait l’ouverture de son nouveau casse-croûte;

[23]    Le 18 juin 2013, le restaurant est ravagé par un incendie et le bâtiment est considéré comme une perte totale;

[24]    Quelques mois plus tard, l’assuré, insatisfait des indemnités d’assurance qu’il s’apprête à recevoir, décide de porter plainte[4] contre l’intimé estimant que celui-ci l’a mal conseillé au moment de lui proposer un produit d’assurance[5];

[25]    C’est à la lumière de cette trame factuelle que le Comité devra décider des infractions reprochées à l’intimé;

 

III.        Motifs et dispositif

 

3.1      Chefs nos. 1 et 2

 

[26]    Les chefs 1 et 2 reprochent à l’intimé d’avoir été négligent lors de sa rencontre avec l’assuré le 12 avril 2013;

[27]    Plus particulièrement, le chef 1 reproche à l’intimé d’avoir fait défaut :

      de recueillir personnellement les renseignements nécessaires pour établir la valeur du bâtiment et de son contenu;

[28]    Ce faisant, l’intimé n’aurait pas bien identifié les besoins de l’assuré et ne lui aurait pas proposé le produit d’assurance qui lui convenait le mieux (chef 1);

[29]    Quant au chef 2, celui-ci reproche à l’intimé d’avoir, par la même occasion, fait défaut :

      de décrire le produit proposé à son client en relation avec les besoins identifiés;

      de lui préciser la nature de la garantie offerte, notamment :

o      quant à la limite de la couverture valeur à neuf;

o      quant aux montants d’assurance;

o      quant à la nature et l’étendue de la couverture pour le contenu;

[30]    Compte tenu que ces deux (2) chefs d’accusation sont intimement liés et qu’ils concernent tous les deux les conseils prodigués par l’intimé lors de sa rencontre du 12 avril 2013 avec l’assuré, ceux-ci seront examinés et décidés de façon conjointe;

[31]    Vu l’absence de notes au dossier, chacun des participants y va de sa propre interprétation quant au déroulement de cette rencontre et quant à la teneur des discussions intervenues entre les parties;

[32]    Par contre, les deux (2) parties s’entendent sur la durée de celle-ci, soit environ 30 minutes;

[33]    D’autre part, plusieurs faits relatés, tant par l’assuré que par l’intimé, concordent;

[34]    C’est ainsi que la preuve non contredite démontre que l’assuré s’est présenté à la rencontre sans avoir en mains :

      Une évaluation de la bâtisse;

      Un inventaire des biens;

      Une copie de la promesse d’achat acceptée;

[35]    De plus, la preuve non contredite a permis d’établir que l’intimé n’avait pas connaissance de la manière dont le prix de vente était ventilé, ni des clauses particulières concernant les couvertures d’assurance exigées par le vendeur;

[36]    D’ailleurs, l’intimé n’avait en mains que la fiche descriptive de l’immeuble[6], laquelle n’indique pas le nombre de pieds carrés du bâtiment, cependant, suivant l’évaluation municipale, une valeur de 114 300 $ est accordée au bâtiment pour une valeur totale de 176 000 $;

[37]    De plus, l’assuré a admis au cours du procès n’avoir pris connaissance de la ventilation du prix de vente qu’après la signature de l’acte notarié;

[38]    Par conséquent, au moment de sa rencontre avec l’intimé, l’assuré n’était pas en mesure de lui transmettre une information qu’il n’avait pas, de toute évidence, en sa possession;

[39]    Il y a également plusieurs autres points communs entre les deux (2) versions rapportées par l’assuré et l’intimé, soit notamment :

      Que les deux (2) trouvaient que la valeur accordée pour la bâtisse sur l’ancienne police d’assurance au montant de 103 000 $ était faible compte tenu du prix de vente de 250 000 $ payé par l’assuré;

      Qu’ils ont examiné ensemble la police d’assurance et les couvertures accordées pour chaque item, par contre, l’assuré et l’intimé ne s’entendent pas sur l’étendue et la portée de leurs discussions sur chaque garantie offerte;

[40]    Les divergences de vue entre l’assuré et l’intimé portent sur les points suivants :

      La valeur du bâtiment;

      Le contenu;

      La perte de revenus;

      La règle proportionnelle;

 

a)        La valeur du bâtiment

[41]    Suivant l’assuré, puisqu’il n’avait pas d’évaluation pour son immeuble, l’intimé lui a proposé de communiquer avec l’un de ses amis contracteur, lequel connaît bien le secteur et ledit casse-croûte;

[42]    Le contracteur aurait alors estimé le coût de la reconstruction à un montant de 150 $ le pied carré et l’intimé aurait, pour sa part, estimé la superficie du bâtiment à 1 000 pieds carrés pour un grand total de 150 000 $;

[43]    C’est d’ailleurs le montant de garantie qui fut retenu par les deux (2) parties et qui se retrouve sur la police d’assurance[7];

[44]    À cet égard, l’intimé précise avoir insisté auprès de l’assuré pour lui mentionner qu’il ne s’agissait que d’un montant indicatif puisque :

      Il n’est pas un évaluateur;

      Il appartient au client d’obtenir une évaluation de son bâtiment;

      Il ne s’agit que d’un estimé « téléphonique » sans visite des lieux et, somme toute, très approximatif;

[45]    Selon l’assuré, l’intimé ne lui aurait pas mentionné qu’il était préférable d’obtenir une véritable évaluation plutôt qu’un simple estimé;

 

b)        Le contenu

[46]    Selon l’assuré, le contenu n’a pas été modifié et il fut donc maintenu à un montant de 35 000 $;

[47]    À son avis, la garantie pour le contenu visait à couvrir les casseaux de frites en papier et les ustensiles en plastique, par conséquent, il se considérait amplement couvert pour ce montant;

[48]    La preuve a révélé que plusieurs équipements se trouvaient sur les lieux tels que des réfrigérateurs, des friteuses, des plaques chauffantes et autres accessoires de restaurant;

[49]    De plus, l’assuré a reconnu, en contre-interrogatoire, qu’après avoir constaté à la lecture de l’acte notarié la valeur de 46 500 $ attribuée aux meubles, accessoires et équipement, il n’a pas jugé opportun d’exiger une modification de la couverture d’assurance pour le contenu;

[50]    De son côté, l’intimé prétend avoir discuté du montant de la garantie pour le contenu (35 000 $) et que cela convenait à l’assuré;

[51]    Il précise que l’assuré, n’ayant pas d’évaluation, ni même un inventaire des biens, les parties ont alors conclu de maintenir le même montant de garantie que l’ancien propriétaire, soit 35 000 $;

[52]    Enfin, il ajoute avoir expliqué à l’assuré le concept de « valeur à neuf »;

 

c)        La perte de revenus

[53]     Suivant l’assuré, les parties ont à peine effleuré le sujet de la couverture pour les pertes de revenus;

[54]    Suivant le témoignage de l’intimé, celui-ci aurait expliqué « en détails » la couverture d’assurance pour les pertes réelles subies;

 

d)        La règle proportionnelle

[55]    Selon l’assuré, personne ne lui a donné des explications concernant l’application de la règle proportionnelle, ni avant, ni après l’incendie qui a détruit son commerce;

[56]    De son côté, l’intimé affirme que, non seulement a-t-il fourni des explications détaillées à l’assuré mais que, de plus, il le fait avec tous ses clients;

[57]    D’ailleurs, il utilise toujours le même exemple de calcul pour démontrer au client l’importance de la règle proportionnelle;

[58]    Enfin, il produit, pour illustrer ses propos, un document émanant de la Chambre de l’assurance de dommages portant sur la clause de règle proportionnelle[8];

[59]    Cela dit, il convient de décider si l’intimé s’est rendu coupable des infractions reprochées aux chefs 1 et 2 de la plainte;

 

e)        Conclusion sur les chefs nos. 1 et 2

[60]    Le Comité tient à souligner que la crédibilité de l’assuré laisse à désirer sur plusieurs points;

[61]    Premièrement, le Comité doute de la sincérité du témoin lorsque ce dernier affirme, sans sourciller, qu’il croyait sincèrement que le montant de la couverture pour le contenu de 35 000 $ servait à couvrir les casseaux de frites en papier et les ustensiles en plastique;

[62]    Or, avant de procéder à l’achat du casse-croûte, il a effectué deux (2) visites au restaurant, lequel contient tout l’équipement nécessaire pour ce type de commerce, soit les friteuses, les plaques chauffantes, les réfrigérateurs, etc.;

[63]    De plus, suite à la signature de l’acte notarié dans lequel on accorde une valeur de 46 500 $ à l’équipement, il n’a pas jugé opportun de mentionner ce fait à son courtier d’assurance;

[64]    Mais il y a plus, au moment où il s’apprête à renouveler ses assurances pour un autre de ses commerces, le cabinet de l’intimé l’invite, par écrit[9], à retenir les services d’un évaluateur agréé afin d’établir la valeur de son bâtiment;

[65]    Or, malgré le fait qu’il vient de subir, quelques mois auparavant, un important sinistre pour lequel d’ailleurs il reproche à l’intimé d’avoir mal évalué sa bâtisse, il décide de passer outre à ce conseil et répond très candidement « aucun changement »[10];

[66]    Enfin, en plus des accusations que l’on retrouve aux chefs 1 et 2 de la plainte, l’assuré reproche également à l’intimé de l’avoir mal conseillé dans sa réclamation d’assurance suite au sinistre subi;

[67]    D’ailleurs, il finira par également porter plainte contre l’expert en sinistre chargé du règlement de sa réclamation;

[68]    Tous ces éléments amènent le Comité à douter fortement de la crédibilité du plaignant;

[69]    C’est ainsi que le Comité considère qu’il ne peut accorder foi aux propos de l’assuré lorsque celui-ci prétend :

      Que l’intimé ne lui aurait pas expliqué la règle proportionnelle ou le concept de « valeur à neuf »;

      Que l’intimé ne lui aurait pas conseillé d’obtenir une évaluation pour le casse-croûte;

[70]    Il est important de rappeler que l’intimé est présumé innocent et qu’il appartient au syndic de démontrer la culpabilité de l’intimé;

[71]    À cet égard, le syndic doit démontrer par une preuve claire, nette et convaincante tous les éléments essentiels de l’infraction;

[72]    Dans les circonstances particulières du présent dossier, il sied de rappeler le lourd fardeau de preuve imposé au syndic suivant les enseignements du Tribunal des professions dans l’arrêt Vaillancourt[11] :

 

[62] En matière disciplinaire, il est établi depuis longtemps que le fardeau de la preuve, d'une part, incombe totalement à la plaignante, et d'autre part, que ce fardeau en est un de prépondérance des probabilités, identique à celui qui a cours en droit civil, énoncé de la manière suivante par l'article 2804 du Code civil du Québec :

La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[63] Il s'agit d'une preuve qui privilégie l'aspect qualitatif dont la capacité de convaincre ne se fonde donc pas, par exemple, sur le nombre de témoins appelés par les parties. Les faits devant être prouvés doivent dépasser le seuil de la possibilité et s'avérer probables. Toutefois, au bout du compte, la preuve par prépondérance des probabilités est moins exigeante que la preuve hors de tout doute raisonnable requise en droit criminel. Conséquemment, on peut dire qu'elle requiert un degré de conviction moins élevé que la preuve hors de tout doute raisonnable. Il faut aussi retenir que ce même fardeau s'applique tout autant à la partie défenderesse qui entend faire la preuve d'un fait.

[64] Par ailleurs, la norme de la prépondérance des probabilités ne comporte pas en elle-même de degrés intermédiaires. Après revue de la jurisprudence canadienne et le constat d'un certain flottement à cet égard, la Cour suprême du Canada, unanime, en énonce clairement le principe dans F.H. c. McDougall. Le juge Rothstein écrit au nom la Cour :

[40] […] notre Cour devrait selon moi affirmer une fois pour toutes qu'il n'existe au Canada, en common law, qu'une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités. Le contexte constitue évidemment un élément important et le juge ne doit pas faire abstraction, lorsque les circonstances s'y prêtent, de la probabilité ou de l'improbabilité intrinsèque des faits allégués non plus que de la gravité des allégations ou de leurs conséquences. Toutefois, ces considérations ne modifient en rien la norme de preuve. À mon humble avis, pour les motifs qui suivent, il faut écarter les approches énumérées précédemment.

[65] La Cour rappelle que « la preuve doit être toujours claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités » tout en reconnaissant toutefois qu'il n'existe aucune norme objective pour déterminer si elle l'est suffisamment. Cependant, la norme de la prépondérance des probabilités présuppose un examen attentif et minutieux de tous les éléments pertinents de preuve qui permettent de conclure dans un sens ou dans l'autre. La Cour conclut :

[49] En conséquence, je suis d'avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s'applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[66] L'arrêt McDougall clarifie donc la question de la norme de preuve applicable en matière civile mais n'évacue pas de son application des considérations liées à la gravité des allégations ou de leurs conséquences. En cela, les propos tenus par notre Tribunal il y a presque 20 ans dans Osman c. Médecins (Corp. professionnelle des) restent d'actualité :

[…]

Il n'y a pas lieu de créer une nouvelle charge de preuve. Il importe toutefois de rappeler que la prépondérance, aussi appelée balance des probabilités, comporte des exigences indéniables. Pour que le syndic s'acquitte de son fardeau, il ne suffit pas que sa théorie soit probablement plus plausible que celle du professionnel. Il faut que la version des faits offerts par ses témoins comporte un tel degré de conviction que le Comité le retient et écarte celle de l'intimé parce que non digne de foi.

Si le Comité ne sait pas qui croire, il doit rejeter la plainte, le poursuivant n'ayant pas présenté une preuve plus persuasive que l'intimé. Il ne suffit pas que le Comité préfère la théorie du plaignant par sympathie pour ses témoins ou par dégoût envers les gestes reprochés au professionnel. Il est essentiel que la preuve à charge comporte un degré de persuasion suffisant pour entraîner l'adhésion du décideur et le rejet de la théorie de l'intimé.

La prépondérance de preuve n'est pas une sinécure pour les Comités de discipline. Elle n'est pas affaire de préférence émotive, mais bien d'analyse rigoureuse de la preuve. Elle impose au syndic un fardeau exigeant et une preuve de qualité, faute de quoi il se verra débouté purement et simplement.

[…]

[67] Dans Médecins c. Lisanu, notre Tribunal, citant sa décision dans Osman, réitère que le fardeau de la preuve en droit disciplinaire requiert une preuve sérieuse, claire et sans ambiguïté. (Nos soulignements)

 

[73]    Dans les circonstances, vu le manque de crédibilité de l’assuré, le Comité considère que le syndic ne s’est déchargé de son fardeau de preuve;

[74]    De plus, l’intimé a témoigné de façon franche et de manière détaillée quant aux conseils et explications qu’il a fournis lors de leur rencontre du 12 avril 2013;

[75]    Mais il y a plus, suivant la jurisprudence, il y a des limites aux obligations que l’on peut imposer aux courtiers dans des circonstances semblables;

[76]    C’est ainsi que la Cour d’appel, dans l’affaire Waterloo[12], décidait que :

Sur le plan des principes j'estime que le premier devoir d'un courtier d'assurances à l'égard de la personne qui lui confie la tâche de transiger avec un assureur consiste essentiellement à prendre les instructions de son client et à s'y conformer. Il n'a pas à tordre le bras de celui-ci pour l'inciter à protéger ce que d'ores et déjà l'assuré ne veut pas couvrir. Par contre le devoir de celui qui veut s'assurer consiste, c'est le moins qu'on puisse exiger, à informer son courtier d'une façon précise et non équivoque de la marchandise qu'il entend recevoir par son intermédiaire, soit une protection dont il détermine lui-même la nature et l'extension. L'importance du devoir de conseil doit par ailleurs varier selon les circonstances de chaque cas. L'une d'elles est en rapport avec l'ignorance ou la connaissance relative de l'assuré en semblable matière; ce dernier élément est singulièrement pertinent dans l'affaire en litige.[13] (Nos soulignements)

[77]    Ce principe fut appliqué à plusieurs reprises par les tribunaux, notamment dans l’affaire 125057 Canada inc. (Tricots LG Ltée) c. Rondeau[14]:

[49]  Ainsi, un assuré peut choisir de s'assurer pour une valeur inférieure à la valeur réelle. Dans un tel cas, il choisit de supporter lui-même une partie du risque et ne peut, en cas de sinistre, demander plus que la valeur assurée; cette dernière étant en relation avec la prime exigée. (Nos soulignements)

[78]    Dans le même ordre d’idées, il convient de citer l’affaire Croteau[15] dont les passages suivants :

[45]  Dans l’arrêt 2164-6930 Québec inc. c. Agence J.L.Paillé Cie Ltée, la Cour d’appel, sous la plume de monsieur le juge Rothman, explicite ainsi les limites aux obligations du courtier d’assurance :

«But if the insurance broker, in principle, has a duty of reasonable care in advising his client, this duty must be examined in the context of the mandate he receives and the information he is given by his client. He cannot be expected to foresee every contingency and he cannot be expected to examine every possible factor which might affect the adequacy of the coverage, particularly where the client gives him no reason to believe that the amount of the coverage stipulated in the policy is inadequate

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 [46] En d’autres termes, on ne peut demander à l’agent d’assurance de prévoir l’imprévisible, d’une part et d’exiger, à tout prix, que son client augmente le montant de la garantie d’assurance lorsque ce dernier ne lui indique pas que celle-ci est possiblement insuffisante, d’autre part. Le Tribunal doit aussi prendre en considération, dans l’analyse de la conduite du représentant en assurances, la nature du mandat que lui confie le client et les informations que celui-ci lui fournit. (Nos soulignements)

 

[79]    À cela s’ajoute le fait que l’assuré s’est présenté, en urgence, chez l’intimé le jour même de la signature de l’acte notarié sans avoir en mains une évaluation de la bâtisse, ni un inventaire des biens, ni même une copie de l’offre d’achat acceptée;

[80]    À cet égard, il convient de citer, encore une fois, l’affaire Rondeau[16] :

[47]   Cependant, comme en matière de courtage de valeurs mobilières, les courtiers ne sont pas tenus de donner les recommandations qui se révèlent idéales, en rétrospective. L'intensité des obligations varie en fonction des circonstances, dont la nature du mandat confié par l'assuré et les informations qu'il fournit. (Nos soulignements)

 

[81]    Enfin, tel que le soulignait le Comité dans l’affaire Cloutier[17]et, par la suite, dans l’affaire Hébert[18], le droit disciplinaire n’exige pas que le professionnel soit l’incarnation même de la perfection :

[82]    Sur ce point particulier, le Comité estime que l’intimé a rempli son devoir de conseil même si celui-ci n’était peut-être pas le meilleur, ni le plus complet;

[83]    En effet, le droit disciplinaire n’exige pas la perfection;

[84]    À cet égard, qu’il nous soit permis de référer aux enseignements du Tribunal des professions dans l’affaire Ayotte c. Gingras[19] dans laquelle on peut lire :

«Il y a une distinction à faire entre une faute technique et une faute disciplinaire.»

«De l’avis du Tribunal, le Comité de discipline a bien disposé de ce chef de la plainte. Il y a peut-être eu, ici, une faute technique poursuivable en matière civile, mais le Tribunal n’a pas à en décider. Toutefois, il n’y a sûrement pas faute disciplinaire. Rien dans la preuve ne permet de conclure que l’intimé Gingras ne rencontre pas en effet les standards moyens requis en regard du comportement d’un avocat.» (Nos soulignements)

 

[85]    De la même façon, l’auteur Sylvie Poirier[20], nuance les obligations imposées aux professionnels comme suit :

 «Les standards de compétence que doit rencontrer un professionnel sont ceux qui seraient suivis par un professionnel raisonnablement compétent placé dans des circonstances similaires. Il est entendu du professionnel qu’il détienne et applique le degré de connaissance et d’habilité technique requis d’un professionnel adéquatement formé et entraîné.

Néanmoins, le niveau de compétence exigé d’un professionnel n’est pas la perfection. C’est habituellement une obligation d’un moyen plutôt que la garantie d’un résultat parfait. Mais cette règle n’est pas absolue et, dans certaines circonstances, c’est le résultat et non les moyens pour y parvenir qui sont pris en considération par les tribunaux pour déterminer la responsabilité d’un professionnel.» [21] (Nos soulignements)

 

[86]    Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimé sera acquitté des chefs 1 et 2 de la plainte;

 

3.2    Le chef no. 3

[87]    Le chef 3 reproche à l’intimé de ne pas avoir noté à son dossier les rencontres, les communications téléphoniques, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues de son client;

[88]    La preuve a démontré hors de tout doute raisonnable que l’intimé ne prend pas de notes de ses rencontres ou de ses conversations téléphoniques avec ses clients;

[89]    Le seul document qui s’apparente, un tant soit peu, à des notes au dossier est un « journal des activités »[22]  dans lequel on retrouve :

      Le nom du client;

      La date de l’activité;

      Le type d’activité;

      Le nom du courtier chargé du dossier;

      Le numéro de police et la compagnie;

      Le type de police;

      Les commentaires;

[90]    Par contre, ce « journal des activités » ne contient aucune annotation concernant la rencontre ayant eu lieu le 12 avril 2013;

[91]    À cet égard, l’avocate de l’intimé plaide qu’il s’agit d’une légère lacune et qu’il aurait été probablement « souhaitable » que cette rencontre soit consignée dans un document mais cela n’est pas déontologiquement condamnable en soi;

[92]    À l’appui de ses prétentions, elle cite, par analogie, la décision suivante :

      Chambre de la sécurité financière c. Zhang, 2015 QC CDSF 44 (CanLII);

[93]    Elle ajoute que de nos jours, les dossiers professionnels sont remplis de courriels à partir desquels il est facile de retracer les différentes étapes du dosser sans qu’une note soit formellement inscrite au dossier;

[94]    Bref, elle plaide l’erreur de bonne foi et l’absence de gravité suffisante pour conclure à une faute déontologique;

[95]    De son côté, le syndic plaide que l’intimé ne peut prétendre que l’omission de consigner au dossier sa rencontre du 12 avril 2013 n’est pas suffisamment grave pour constituer une faute déontologique;

[96]    Il précise que l’intimé ne peut s’appuyer sur l’arrêt Prud’homme c. Gilbert[23] puisque dans ce jugement l’intimé avait tout de même pris des notes mais les avaient égarées par la suite, d’où son impossibilité de démontrer l’exactitude de ses calculs à titre d’ingénieur;

[97]    C’est en considérant ces différents arguments que le Comité devra déterminer si l’intimé est coupable du chef 3;

 

a)        Les dispositions créatrices d’infractions

[98]    Le chef 3 réfère à plusieurs dispositions législatives et réglementaires dont les plus pertinentes sont les suivantes :

      Article 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) :

88. Un cabinet tient au Québec les dossiers de ses clients conformément aux règlements.

Il y conserve et rend accessible à l’Autorité, par les moyens que celle-ci indique, tous les documents et tous les renseignements provenant de ses représentants.

      Article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, c. D-9.2, r.02) :

21. Les dossiers clients qu’un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome inscrit dans la discipline de l’assurance de dommages doit tenir sur chacun de ses clients dans l’exercice de ses activités doivent contenir les mentions suivantes:

1°  son nom;

2°  le montant, l’objet et la nature de la couverture d’assurance;

3°  le numéro de police et les dates de l’émission du contrat et de la signature de la proposition, le cas échéant;

4°  le mode de paiement et la date de paiement du contrat d’assurance;

5°  la liste d’évaluation des biens de l’assuré transmise par celui-ci, le cas échéant.

Tout autre renseignement ou document découlant des produits vendus ou des services rendus recueillis auprès du client doit également y être inscrit ou déposé.

 

b)      Conclusion sur le chef no. 3

[99]    Comme on peut le constater à la lecture de ces dispositions et plus particulièrement de l’article 21 du Règlement, il s’agit d’une obligation impérative et non pas facultative, autrement dit, contrairement aux prétentions de la défense, c’est non seulement « souhaitable », c’est obligatoire;

[100] Le « journal des activités »[24] produit par l’intimé et utilisé par son cabinet pour la gestion quotidienne de ses dossiers et pour la facturation de ceux-ci est probablement fort utile comme outil de travail, mais il ne répond pas aux exigences de l’article 21 du Règlement puisqu’il ne comporte pas « tous les renseignements découlant des produits vendus ou des services rendus »;

[101] Pour paraphraser la Cour d’appel dans l’arrêt Prud’homme c. Gilbert[25], « ce type de règlement se suffit à lui-même… et le non-respect de l’une de ses dispositions impératives constitue une faute déontologique » [26];

[102] Enfin, tel que plaidé par le syndic, l’intimé ne peut pas se prévaloir de l’exception créée par la Cour d’appel dans l’arrêt Prud’homme puisque, dans ce dernier cas, un dossier avait été dûment constitué par l’intimé et ce dernier avait simplement égaré ses notes portant sur les calculs qu’il avait effectués[27];

[103] Dans notre cas, l’intimé n’a pas constitué un dossier selon les normes prescrites par l’article 21 du Règlement et n’a pas consigné de notes de sa rencontre du 12 avril 2013;

[104] Encore l’eut-il fait qu’il se serait épargné une plainte disciplinaire et tous les inconvénients qui en découlent et l’opprobre qui en résulte;

[105] Il aurait alors été en mesure de démontrer au syndic le bien-fondé de ses prétentions et de s’éviter possiblement la tenue d’un procès disciplinaire;

[106] Cela dit, vu l’absence de notes au dossier et considérant le caractère impératif de l’article 21 du Règlement, l’intimé sera reconnu coupable du chef 3;

[107] En conséquence, un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des autres dispositions alléguées au soutien du chef 3;

 

3.3    Ordonnance de non divulgation

[108] Au cours du procès, un document[28] fut produit dans lequel on retrouve le nom de l’expert en sinistre ayant aussi fait l’objet d’une plainte par l’assuré et les conclusions de l’enquête du syndic à son sujet;

[109] En conséquence, le Comité a émis une ordonnance suivant l’article 142 du Code des professions afin de préserver le caractère confidentiel des enquêtes du syndic[29].

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

          ACQUITTE l’intimé des chefs 1 et 2;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef 3 pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, c. D-9.2, r.02);

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 3;

PRONONCE une ordonnance de non divulgation, de non publication et de non diffusion de la pièce P-2(A), le tout suivant l’article 142 du Code des professions;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties, dans les meilleurs délais, pour les représentations sur sanction;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

M. Carl Hamel, C. d’A.Ass, courtier en assurance de dommages,

Membre        

 

____________________________________

M. Marc Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Claude G. Leduc (personnellement)

Partie plaignante

 

Me Sonia Paradis

Procureure de la partie intimée

 

Dates d’audience : 6 et 7 juillet 2016

 



[1]    Voir le chef 3 de la plainte;

[2]    P-4, p. 206;

[3]    P-4, p. 260 à 273;

[4]    P-2, p. 11 à 22;

[5]    Voir chefs 1 et 2 de la plainte;

[6]    Pièce I-3;

[7]    Pièce P-2, p. 28;

[8]    Page 4 de I-2;

[9]    Pièce I-2;

[10]   Pièce I-5;

[11]   Vaillancourt c. Avocats, 2012 QCTP 126 (CanLII);

[12]      Les Marbres Waterloo Ltée c. Gérard Parizeau Ltée, 1987 CanLII 773 (QCCA);

[13]   Ibid., p. 5;

[14]   2011 QCCS 94 (CanLII);

[15]   Croteau c. Promutuel Bois-Franc, 2005 CanLII 23659 (QCCS);

[16]   Op.cit., note14;

[17]   CHAD c. Cloutier, 2007 CanLII 54103 (QC CDCHAD);

[18]   CHAD c. Hébert, 2013 CanLII 10706 (QC CDCHAD);

[19]   [1995] D.D.O.P. 189;

[20]   S. Poirier. La discipline professionnelle au Québec, principes législatifs, jurisprudentiels et aspects pratiques, Les Éditions Yvon Blais inc. 1998;

[21]   Ibid, p. 33;

[22]   P-4, p. 304 à 340;

[23]   2012 QCCA 1544 (CanLII);

[24]   P-4, p. 304 à 340;

[25]   Op. cit., note 23;

[26]   Ibid., par. 32;

[27]   Ibid., par. 37 et 41;

[28]   Pièce P-2(A);

[29]   Art. 366.1 LDPSF;

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