Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DES DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2015-01-11(C)

 

DATE :

10 août 2015

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages

Membre

M. Brian Brochet, C.d’A.Ass, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

SYLVAIN LABERGE

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

ORDONNANCE DE NON PUBLICATION, NON DIFFUSION ET NON ACCESSIBILITÉ DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT D’IDENTIFIER LES ASSURÉS, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS.

 

 

[1]       Le 14 juillet 2015, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2015‑01‑11(C);

 

[2]       Le syndic adjoint était alors représenté par Me Sébastien Tisserand et, de son côté, l’intimé se représentait seul;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant un seul chef d’accusation, soit :

 

1.   Le ou vers le 9 octobre 2012, a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux en ne s’assurant pas, avant l’émission de l’avenant procédant aux changements de couverture au contrat d’assurance habitation no P14241186PAP, pour les assurés L.C et M. P., que ledit contrat répondait aux besoins des assurés, le tout en contravention de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 26 et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

L’intimé s’étant ainsi rendu passible pour les infractions ci-haut mentionnées des sanctions prévues à la loi.

 

[4]       Dès le début de l’audition, en raison du fait que l’intimé n’était pas représenté par avocat, le président du Comité, conformément à son devoir d’assistance[1], a fourni à l’intimé quelques explications sur le processus disciplinaire et sur les manières de faire devant le Comité;

[5]       Cela dit, chacune des parties a fait entendre les témoins qu’elle estimait nécessaires au soutien de sa thèse;

 

II.         Preuve en demande

 

[6]       Dans un premier temps, le procureur du syndic adjoint, Me Tisserand, a déposé de consentement les pièces P-1 à P-6, soit :

 

Pièce P-1 :    Attestation du droit de pratique de M. Sylvain Laberge;

 

Pièce P-2 :   Feuille de route de M. Sylvain Laberge et fiches informatiques concernant M. Sylvain Laberge;

 

Pièce P-3 :   En liasse, communications écrites et téléphoniques entre Mme Luce Raymond, syndic adjoint, et Me Nicolas Veilleux, enquêteur au Bureau du syndic de la Chambre de l’assurance de dommages, et M. Sylvain Laberge;

 

Pièce P-4 :   En liasse, copie du dossier d’assurance des assurés L.C. et M.P. reçue de M. Sylvain Laberge le 18 octobre 2013, notamment :

 

           Déclaration solennelle – Chronologie des événements de M. Sylvain Laberge en date du 16 octobre 2013;

           Copie d’une télécopie de M. Sylvain Laberge à l’assurée M.P. en date du 8 février 2013;

           Copie d’une télécopie en date du 22 septembre 2009 de l’assuré L.C. à M. Sylvain Laberge avec une copie du consentement intérimaire sur mesure provisoire – dossier 700-12-XXXXXX-XXX entre les assurés M.P. et L.C. en date du 3 avril 2009;

           Copie d’une lettre en date du 26 février 2013 de M. Sylvain Laberge à l’assuré L.C. Re : fin de mandat;

           Copie d’une lettre en date du 12 novembre 2012 de M. Sylvain Laberge à l’assurée M.P. Re : corrections multiples;

 

Pièce P-5 :    En liasse, copie du dossier d’assurance des assurés L.C. et M.P. reçue de Me Carole Perron, directrice principale, Indemnisation des accidents chez Aviva Compagnie d’assurance du Canada le 16 octobre 2013, notamment :

 

           Copie du renouvellement de la police d’assurance habitation no P14241186PAP pour les assurés L.C. et M.P. pour la période du 12 août 2012 au 12 août 2013, émise le 13 juin 2012;

           Copie de la police d’assurance habitation no P14241186PAP pour les assurés L.C. et M.P. pour la période du 12 août 2012 au 12 août 2013, modifiée le 9 octobre 2012;

           Copie d’une note informatique en date du 4 octobre 2012 – avenant 2012-2013 – modification des garanties pour la situation sise au (XXXX);

 

Pièce P-6 :   En liasse, communications écrites et téléphoniques entre Mme Luce Raymond et Me Nicolas Veilleux de la Chambre de l’assurance de dommages et l’assurée M.P., notamment :

 

           Copie du formulaire de plainte ou de dénonciation de l’assurée M.P. à l’AMF en date du 24 janvier 2013 et des pièces jointes à son soutien;

           Résumé de la version des faits de l’assurée M.P. à Mme Luce Raymond lors d’une conversation téléphonique en date du 23 septembre 2009.

 

[7]       La pièce P-7 fut également déposée de consentement et elle constitue la réponse de Me Perron, directrice régionale chez Aviva, à certaines questions ou précisions demandées par le procureur du syndic adjoint;

[8]       Compte tenu que certains de ces documents contiennent des informations permettant d’identifier les assurés, lesquels sont en instance de divorce depuis plusieurs années, une ordonnance de non publication, de non diffusion et de non accessibilité fut prononcée séance tenante;

[9]       Essentiellement, le témoignage de Me Lizotte a permis d’établir les éléments factuels à la base des faits reprochés à l’intimé dont les suivants :

      Les assurés sont en instance de divorce depuis 2008;

      La police d’assurance-habitation Aviva (P-5, p. 60 et ss.) est au nom des deux assurés;

      Elle couvre une résidence principale et deux chalets;

      Monsieur L.C. est le propriétaire enregistré de la résidence principale et Madame M.P. est la propriétaire des deux chalets;

      Selon un « consentement intérimaire » (P-4, p. 124 et s.) signé le 3 avril 2009 par les parties :

-        La résidence principale est occupée par Madame M.P. et ses deux enfants mais les primes d’assurance sont à la charge de Monsieur L.C.;

-        L’usage de l’un des chalets est réservé à Monsieur L.C., lequel doit en assumer tous les frais;

-        Quant au deuxième chalet, la convention ne prévoit rien et, en conséquence, Madame M.P. en conserve non seulement la propriété mais également l’usage;

      Le 22 août 2012, Monsieur L.C. contracte une nouvelle assurance avec la Promutuel (P-4, p. 32) pour la résidence familiale et pour le chalet dont il a l’usage exclusif;

      Le 9 octobre 2012, l’intimé, avec le consentement de Monsieur L.C. mais sans consulter Madame M.P., modifie la police Aviva (P-5, p. 98 et ss.) comme suit :

-     La résidence familiale devient « locataire occupant »;

-     La couverture d’assurance pour les meubles meublant passent de 255 000 $ à 35 100 $;

-     Le chalet occupé par Monsieur L.C. devient « résidence secondaire » alors qu’il n’est pas propriétaire de ce chalet;

-     Quant au deuxième chalet, l’intimé lui attribue un revenu locatif de 9 600 $ alors que celui-ci n’est pas loué à des tiers;

[10]    Au cours de son enquête, Me Lizotte a demandé à l’intimé de lui fournir des explications quant à cette situation particulièrement troublante;

[11]    Le 16 octobre 2013, l’intimé fournit au bureau du syndic une déclaration (P-4, p. 2) dans laquelle il affirme solennellement :

      Que la relation entre les deux époux est très tendue;

      Qu’il a reçu copie de l’entente intérimaire conclue entre les parties;

      Qu’il a connaissance que les frais d’assurance concernant la résidence principale sont à la charge de Monsieur L.C.;

      Que Madame M.P. demeure dans la résidence principale;

      Que suite à la réception d’une lettre de la secrétaire de Monsieur L.C. l’informant que ce dernier avait souscrit une nouvelle police d’assurance avec la Promutuel, il fut placé devant un fait accompli;

      Qu’à la demande de Monsieur L.C., il a procédé à des modifications à la police Aviva;

      Qu’il n’a pas demandé l’avis ou l’autorisation de Madame M.P. avant de procéder aux modifications car il était convaincu d’essuyer un « refus automatique »;


      Que suite à un appel téléphonique de Madame M.P. en date du 7 décembre 2012, celle-ci l’informe de son désaccord quant aux modifications effectuées;

      Il explique alors à Madame M.P. avoir considéré « l’intérêt assurable » de Monsieur L.C.;

[12]    Concernant ce dernier point, il confirmera dans sa lettre (P-4, p. 1) adressée au bureau du syndic avoir appliqué « La règle de base de l’assurance, soit celle de l’intérêt assurable »;

[13]    Comme deuxième témoin à charge, le Comité a entendu Mme M.P. dont le témoignage est venu confirmer et corroborer, en tout point, celui de Me Lizotte;

[14]    Plus particulièrement, elle insiste sur le fait qu’elle n’a jamais consenti aux modifications du 9 octobre 2012 intervenues sur la police d’assurance Aviva (P-5, p. 61 et ss.);

[15]    De plus, elle affirme n’avoir même jamais reçu lesdites modifications au motif que l’avis de M. Laberge lui fut envoyé à la mauvaise adresse;

[16]    Elle a commencé à entretenir des doutes lorsqu’elle s’est mise à recevoir des avis de rappel de paiements qui, de toute façon, auraient dû être acquittés par son mari puisqu’il était responsable des frais d’assurance;

[17]    Elle se plaint des modifications intervenues sans son accord plus particulièrement comme suit :

      La résidence familiale qu’elle occupe avec ses enfants n’aurait pas dû être désignée comme « locataire occupant » puisque c’est la résidence principale qu’elle occupe comme résidence familiale et il n’a jamais été question qu’elle paie un loyer;

      Elle n’a jamais consenti à ce que la protection couvrant les biens meubles soit réduite de 255 000 à 35 100 $;

      Enfin, on a attribué des revenus de location de 9 600 $ pour le deuxième chalet alors que celui-ci n’est pas loué à des tiers;

[18]    Bref, elle est outrée du comportement de l’intimé, lequel a procédé à ces modifications sans son consentement et sans même la consulter;

 

III.        Preuve en défense

[19]    L’intimé a témoigné pour sa défense;

[20]    À l’exception de quelques nuances, son témoignage est venu confirmer les allégations de la poursuite;

[21]    De façon très candide, il a reconnu avoir procédé aux modifications sur les instructions de Monsieur L.C. sans jamais obtenir l’approbation de Madame M.P. et sans même l’avoir consultée;

[22]    Il explique avoir été placé devant un fait accompli par Monsieur L.C. et qu’il a, tant bien que mal, tenté de sauver la situation en se fondant sur ce qu’il appelle « l’intérêt assurable » de Monsieur L.C.;

[23]    De plus, n’ayant aucune information de la part de Madame M.P., il a choisi arbitrairement d’accorder une couverture d’assurance de 35 000 $ sur les biens meubles de la résidence occupée par celle-ci et d’attribuer des revenus locatifs de 9 600 $ au deuxième chalet;

[24]    Quant aux lettres que Madame M.P. prétend ne pas avoir reçues, il mentionne que celles-ci lui étaient acheminées par courrier recommandé mais qu’elle refusait d’en prendre livraison;

[25]    Finalement, il réitère à plusieurs reprises avoir été de bonne foi et d’avoir appliqué la règle de « l’intérêt assurable » au meilleur de sa connaissance;

 

IV.       Argumentation

A)        Par le syndic adjoint

[26]    Me Tisserand souligne que l’intimé, par sa déclaration écrite (P-4, p. 2), a admis tous les éléments essentiels de l’infraction, à savoir :

      Que celui-ci a procédé à des modifications substantielles à la police d’assurance Aviva sans obtenir le consentement de Madame M.P. et sans même la consulter;

[27]    À vrai dire, l’intimé n’a eu qu’une seule conversation téléphonique avec Madame M.P., soit après les modifications, plus précisément le 8 novembre 2012 (P-4, p. 68);

[28]    Quant à la théorie de l’intimé fondée sur « l’intérêt assurable » de Monsieur L.C., il plaide que l’intimé fait abstraction du fait que Madame M.P. avait aussi un intérêt assurable notamment sur ses biens meubles et plus particulièrement sur les deux chalets qui lui appartiennent en pleine propriété;

[29]    À l’appui de ses prétentions, il cite deux décisions disciplinaires, soit :

      CHAD c. Turgeon, 2006 CanLII 53723 (QC CDCHAD);

      CHAD c. Maranda, 2001 CanLII 26462 (QC CDCHAD);

[30]    Il ressort de cette jurisprudence qu’un courtier n’est pas autorisé à procéder à une modification sans obtenir un consentement clair et net de l’assuré;

[31]    Pour ces motifs, il demande au Comité de déclarer l’intimé coupable des faits reprochés au chef no. 1;

 

B)       Par l’intimé

[32]    À la demande du Comité, l’intimé fut invité à faire valoir ses arguments à l’encontre de l’accusation;

[33]    Essentiellement, l’intimé a répété les arguments énoncés lors de son témoignage, à savoir :

      Qu’il a considéré l’intérêt assurable de Monsieur L.C.;

      Qu’il a dû composer avec une situation difficile, vu que les assurés étaient et sont toujours en instance de divorce;

      Qu’il n’a pas cherché à obtenir le consentement de Madame M.P. puisqu’il se buterait à un refus systématique;

      Qu’il a tenté du mieux qu’il pouvait de considérer les intérêts de Madame M.P.;

      Qu’il était de bonne foi;

 

 

V.        Analyse et décision

 

A)        Le cadre légal

 

[34]    La plainte reproche à l’intimé d’avoir fait défaut d’agir en conseiller consciencieux en ne s’assurant pas, avant de procéder aux changements de couverture au contrat d’assurance d’Aviva, que lesdits changements répondaient aux besoins des assurés;

[35]    Plusieurs dispositions législatives et réglementaires sont alléguées au soutien de la plainte, soit :

 

      Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) :

 

16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

 

Il doit agir avec compétence et professionnalisme.

 

 

 

      Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5) :

 

26.  Le représentant en assurance de dommages doit, dans les plus brefs délais, donner suite aux instructions qu'il reçoit de son client ou le prévenir qu'il lui est impossible de s'y conformer. Il doit également informer son client lorsqu'il constate un empêchement à la continuation de son mandat.

 

37.  Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d'agir à l'encontre de l'honneur et de la dignité de la profession, notamment:

 

(…)

 

  6°    de faire défaut d'agir en conseiller consciencieux en omettant d'éclairer les clients sur leurs droits et obligations et en ne leur donnant pas tous les renseignements nécessaires ou utiles;                  (Nos soulignements)

 

 

[36]    C’est à la lumière de ces dispositions que devra être examiné le comportement de l’intimé;

 

 

B)       Le libellé du chef d’accusation

 

[37]    Une lecture rapide du chef d’accusation semble indiquer que l’intimé ne fait face qu’à une seule accusation, cependant, les manquements déontologiques concernent deux assurés distincts, soit l’un et l’autre des époux;

[38]    Dans le cas de Madame M.P., la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l’intimé n’a pas obtenu son consentement avant de procéder aux changements et ni même tenté de la consulter (art. 37(6));

[39]    Dans le cas de Monsieur L.C., l’intimé a fait défaut de l’informer qu’il lui était impossible de se conformer à ses instructions sans obtenir le consentement de Madame M.P. et que cela constituait un empêchement à la continuation de son mandat (art. 26);

[40]    Cette deuxième infraction a également été clairement démontrée puisqu’en pratique, l’intimé a suivi aveuglément les instructions de Monsieur L.C. et n’a pas mis fin à son mandat malgré le fait qu’il n’avait pas le consentement de Madame M.P.;

[41]    Dans les circonstances, le Comité n’a d’autre choix que de déclarer l’intimé coupable des deux infractions reprochées au chef numéro 1 et visées par les articles 26 et 37(6) du Code de déontologie;

 


C)       L’arrêt Kienapple

[42]    Cela dit, l’intimé peut-il bénéficier de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples[2];

[43]    De l’avis du Comité, l’intimé doit être reconnu coupable de deux infractions distinctes, l’une envers Monsieur L.C. (art. 26) et l’autre envers Madame M.P. (art. 37(6));

[44]    Ainsi, même s’il semble y avoir une identité factuelle et juridique entre ces deux infractions et même si l’on peut dire que « ces infractions sont intimement liées et participent d’une seule et même transaction »[3], il demeure néanmoins qu’elles furent commises à l’égard de deux personnes différentes;

[45]    À cet égard, il convient de se référer aux enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Van Rassel[4]:

Le principe énoncé dans l'arrêt Kienapple n'apporte rien à la défense de l'accusé, puisque ce principe ne s'applique pas à des infractions reliées à des victimes différentes (tenant pour acquis sans le décider que le principe établi dans Kienapple s'applique à des accusations portées après un acquittement).  Dans l'arrêt Prince, le juge en chef Dickson a écrit aux pp. 506 et 507:

 

Il paraît se dégager de ce passage que, du moins en ce qui concerne les crimes violents contre des personnes, la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples ne s'applique pas lorsque les déclarations de culpabilité se rapportent à des victimes différentes.  En fait, je crois que la Cour à la majorité dans l'arrêt Kienapple n'a jamais voulu que la règle énoncée dans cet arrêt rende impossible deux déclarations de culpabilité pour des infractions comportant respectivement comme éléments des lésions infligées à deux personnes différentes ou le décès de deux personnes différentes.

 

   La société, par le moyen du droit criminel, exige que Prince rende compte à la fois des lésions infligées à Bernice Daniels et du décès de l'enfant, de la même manière qu'elle exigerait qu'une personne qui lancerait une bombe dans un lieu rempli de monde rende compte des blessures et des décès multiples qui pourraient résulter, et de la même manière qu'elle oblige un conducteur d'automobile qui fait preuve de négligence criminelle à répondre pour chaque personne blessée ou tuée par suite de sa conduite de l'automobile:  voir l'arrêt R. c. Birmingham and Taylor (1976), 34 C.C.C. (2d) 386 (C.A. Ont.)

 

   Il n'est pas question en l'espèce de blessures corporelles subies par des victimes différentes.  Néanmoins, il s'agit de victimes multiples.  Van Rassel avait une obligation générale de loyauté envers le peuple canadien, aussi bien qu'une obligation temporaire de loyauté envers les États-Unis, fondée sur la confiance qu'on lui avait accordée.

 

 

   Pour cette raison, je suis d'avis que la règle établie dans l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce. [5]                                                          (Nos soulignements)

 

 

[46]    Cela dit, il aurait été préférable que le chef d’accusation indique l’infraction précise pour chacun des assurés mais cela n’est pas fatal puisque l’intimé a pu fournir ses explications et ses moyens de défense pour chacun des assurés;

[47]    En effet, le Tribunal des professions, dans l’arrêt Physiothérapie c. Charest-Dombrovski[6], reconnaissait au Comité de discipline le droit d’amender un chef si cette modification ne cause pas préjudice à la défense:

«[45]  Le Comité doit décider si les actes reprochés sont des infractions déontologiques et comme aucune disposition particulière tant du Décret que du Code de déontologie n'interdit spécifiquement le comportement de l'intimée, le  Comité doit s'interroger si cet acte constitue un manquement à l'article 59.2 du Code des professions.  Le Comité pouvait examiner cette question sans amender formellement le chef d'accusation et, s'il le jugeait nécessaire, ajouter au chef d'accusation une référence à l'article 59.2 du Code des professions.  Comme le mentionne le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, le 11 avril 2007, dans la décision Me Micheline Rioux c. Réjean Poulin :

 

« [185]  La modification d'une plainte durant le délibéré est délicate en raison du préjudice qui peut être causé à l'intimé.[120]

 

[186]  Comme l'affirme le Tribunal des professions dans Lajoie c. Chiropraticiens, 2006 QCTP 76 (CanLII), 2006 QCTP 76, le comité de discipline ne peut, au cours du délibéré, amender «la plainte une fois la preuve close afin de rendre celle-ci conforme à la preuve» car il s'agit d'une « erreur de droit inacceptable »[121].

 

[…]

 

[191]  La question doit se résoudre en évaluant la nature du préjudice qui peut lui être causé par une modification de la plainte et en déterminant si l'exigence d'une notification raisonnable a été respectée.  Si la modification ne cause aucun préjudice et que l'intimé a reçu une notification raisonnable de l'infraction, la modification de la plainte peut avoir lieu.

 

[192]  La Cour d'appel de l'Ontario a évalué la question du préjudice dans le cadre de l'analyse du pouvoir d'une cour d'appel d'amender une accusation en vertu de l'art. 683(1)(g) du Code criminel dans R. v. Irwin 1998 CanLII 2957 (ON C.A.), (1998), 123 C.C.C. (3d) 316.

 

[193]  Après avoir reconnu l'existence du pouvoir d'amendement d'une cour d'appel, le juge Doherty s'exprime ainsi à l'égard de la question du préjudice :

 

 

There is no "vested right" to any particular defence in a criminal proceeding: R. v. P. (M.B.) 1994 CanLII 125 (S.C.C.), (1994), 89 C.C.C. (3d) 289 at 296‑97 (S.C.C.)  Were it otherwise, any amendment which had the effect of removing a defence or legal argument in support of an acquittal would be automatically prejudicial.  Were that the law, the power to amend on appeal would be rendered almost nugatory.

 

Prejudice in the present context speaks to the effect of the amendment on an accused's ability and opportunity to meet the charge.  In deciding whether an amendment should be allowed, the appellate court must consider whether the accused had a full opportunity to meet all issues raised by the charge as amended and whether the defence would have been conducted any differently had the amended charge been before the trial court.  If the accused had a full opportunity to meet the issues and the conduct of the defence would have been the same, there is no prejudice: e.g. see R. v. Foley, (1994), 90 C.C.C. (3d) 390 at 400-403 (Nfld. C.A.).  As I see it, had the appellant been charged with unlawfully causing bodily harm, the trial would have proceeded exactly as it did save that there would have been no argument as to the applicability of the doctrine of transferred intent.[125]

 

[194]     La Cour d'appel de l'Ontario examina de nouveau cette question dans R. v. McConnell 2005 CanLII 13781 (ON C.A.), (2005), 196 C.C.C. (3d) 28 :

 

As this court said in R. v. Irwin 1998 CanLII 2957 (ON C.A.), (1998), 123 C.C.C. (3d) 316, at para. 38, prejudice "speaks to the effect of the amendment on an accused's ability and opportunity to meet the charge".  Thus, in deciding whether an amendment should be allowed, the court will consider whether the accused will have a full opportunity to meet all issues raised by the charge and whether the defence would have been conducted differently.  The respondent was aware of the essential elements of the charges and was aware of the transaction being alleged against him from the Crown disclosure.  There would have been no prejudice in this case and defence counsel in his submissions to the trial judge did not point to any relevant prejudice.  In his submissions before us, counsel for the respondent conceded that there was no relevant prejudice.  As Morden J.A. said in R. v. Melo, (1986), 29 C.C.C. (3d) 173 (Ont. C.A.) at 185:

 

The only prejudice which would be occasioned to the accused by the amendment is the removing of a defence which is both technical and unrelated to the merits of the case or to procedural fairness.  The refusal of the amendment, with respect, resulted in the matter being decided on a basis that was not "in accordance with the very right of the case": [R. v. Adduono (1940), 73 C.C.C. 152 (Ont. C.A.), at 155].[126]

 

 

[195]  Comme le faisait remarquer le juge en chef Lamer dans R. c. Côté, 1996 CanLII 170 (C.S.C.), [1996] 3 R.C.S. 139 à l'égard d'un amendement en appel :

 

La norme applicable en matière de modification est la même dans les affaires fondées sur la Loi sur les poursuites sommaires.  Lorsqu'une accusation peut être corrigée, on corrige.  Dans la mesure où la preuve est conforme à la bonne accusation et où les appelants n'ont pas été induits en erreur ou n'ont pas subi de préjudice irréparable en raison d'une divergence entre la preuve et les dénonciations, la défectuosité peut et doit être corrigée.[127]»

(Nos soulignements)

 

[48]    Dans le présent dossier, le témoignage de l’intimé et les arguments plaidés démontrent que celui-ci était parfaitement conscient des deux infractions contenues dans le chef numéro 1;

[49]    Dans tous les cas, le Comité ne considère pas avoir amendé la plainte mais simplement d’avoir identifié plus précisément chacune des infractions;

[50]    En conséquence, comme il s’agit de deux infractions différentes, le Comité devra imposer une sanction distincte pour chacune des infractions[7];

[51]    Toutefois, tel que l’indiquait la Cour d’appel dans l’arrêt Morand c. McKenna[8], le Comité devra tenir compte du fait que les infractions sont intimement liées et, en conséquence, le Comité ne devra pas imposer une sanction trop sévère ou accablante :

[47]   Premièrement, les facteurs atténuants excèdent de beaucoup ici les facteurs aggravants. Les infractions commises sont graves. Toutefois, l'absence de volonté de causer préjudice, notée d'ailleurs par le Comité de discipline, l'absence d'antécédents disciplinaires et l’absence de risque de récidive font en sorte que la sanction imposée est particulièrement sévère dans les circonstances de l'espèce. Elle l'est d'autant plus que ces deux infractions sont intimement liées et participent d'une seule et même transaction.          (Nos soulignements)

 

 

[52]    En dernier lieu, quant à l’infraction visée par l’article 16 LDPSF, il y a clairement, dans ce cas, un dédoublement avec les infractions précédentes et, en conséquence, l’intimé bénéficiera d’un arrêt des procédures pour cette infraction;

 

D)       Le cas des ex-conjoints et le devoir de conseil

[53]    Le présent dossier n’est pas sans rappeler l’affaire Lareau[9] dans laquelle les intimés avaient préféré avantager l’ex-conjoint de Madame au détriment des intérêts de celle-ci et sans jamais obtenir son consentement ni même l’avoir consultée[10];

[54]    Cela dit, il y a lieu de rappeler l’importance du devoir de conseil imposé aux courtiers d’assurance;

[55]    Ce devoir de conseil est intimement lié à l’obligation d’informer, tel que l’écrit la Cour suprême dans l’affaire Laflamme[11] : 

30   Le mandat fait aussi naître pour le gestionnaire l’obligation d’informer son client ainsi que, dans certaines circonstances, le devoir de le conseiller.  L’obligation d’informer, maintenant codifiée à l’art. 2139 C.c.Q., exige du gestionnaire, en sa qualité de mandataire, qu’il renseigne le mandant des faits et du déroulement de sa gestion.  Le professeur Claude Fabien résume ainsi l’objet de cette obligation («Les règles du mandat», dans Chambre des notaires du Québec, Extraits du Répertoire de droit – Mandat – Doctrine – Document 1 (1986), no 127):

 

Cette obligation a pour finalité d’empêcher que le mandant ne fasse des actes contradictoires ou de lui permettre de modifier ses instructions ou de réagir selon les circonstances.  Cette obligation implique aussi que le mandataire demeure en contact avec le mandant de manière à permettre la communication dans les deux sens.  On pourrait aussi y associer l’obligation pour le mandataire de s’informer auprès du mandant en cas de doute sur ses instructions ou ses pouvoirs.  [Notes omises.] 

 

31   S’impose aussi au mandataire professionnel le devoir de conseil (J.‑L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (5e éd. 1998), no 1570).  Ce devoir découle notamment de la nature même du contrat de gestion de portefeuille (art. 1024 C.c.B.C.; art. 1434 C.c.Q.). Comme le note L’Heureux,loc. cit., à la p. 419, ce devoir de conseil du courtier est «d’ailleurs ce qui incite souvent un client à avoir recours à ses services».  Et, de dire Philippe Pétel (Les obligations du mandataire (1988), aux pp. 151 et 152):

 

Il est de fait que le mandant faisant appel aux services d’un professionnel pour s’entremettre dans ses relations avec les tiers attend beaucoup de cet intermédiaire.  Il ne s’agit pas seulement d’accomplir un acte juridique en dehors de sa présence car ce résultat pourrait la plupart du temps être atteint en ayant recours aux moyens de télécommunications modernes.  Le mandant veut en outre que ses intérêts soient mieux soignés qu’ils ne l’auraient été s’il avait agi directement.  C’est la raison d’être de certains mandataires professionnels tels que le courtier en assurances ou le commissionnaire de transport.  [En italique dans l’original; notes omises.]

(Nos soulignements)

 

 

[56]    Cette obligation de rendre compte signifie, plus particulièrement, que l’on doit informer son client du suivi de son dossier;

[57]    Tel que le rappelait la Cour suprême dans l’arrêt Fletcher[12], les courtiers d’assurances «sont plus que de simples vendeurs » :

« (57) Il est évident, tant dans le milieu des assurances que devant les tribunaux, que l'on considère que les agents et courtiers d'assurances sont plus que de simples vendeurs. Les actes du colloque de 1985 sur le droit des assurances tenu par la Continuing Legal Education Society de la Colombie‑Britannique mettent l'accent sur les services qu'ils fournissent (à la p. 6.1.03):

 

[TRADUCTION] Les services d'un agent ou d'un courtier compétent incluent, outre les conseils sur les assurances et le courtage ou la négociation de polices pour le compte du client, un intérêt et une participation concrets dans la prévention des sinistres, ainsi qu'un contrôle des demandes de règlement destiné à aider le client à obtenir un règlement satisfaisant.

 

(58) Il est tout à fait légitime, à mon sens, d'imposer aux agents et aux courtiers d'assurances privés une obligation stricte de fournir à leurs clients des renseignements et des conseils. Ils sont, après tout, des professionnels agréés qui se sont spécialisés dans l'évaluation des risques au profit des clients et dans la négociation de polices personnalisées. Ils offrent un service très personnalisé, axé sur les besoins de chaque client. La personne ordinaire a souvent de la difficulté à comprendre les différences subtiles entre les diverses protections offertes. Les agents et les courtiers ont reçu une formation qui les rend aptes à saisir ces différences et à fournir des conseils adaptés à la situation de chaque individu. Il est à la fois raisonnable et opportun de leur imposer l'obligation non seulement de fournir des renseignements mais encore de conseiller les clients.                                                                          (Nos soulignements)

 

 

E)        Conclusion

[58]    Cela dit, l’intimé a clairement manqué à ses obligations déontologiques :

      En se fiant uniquement aux instructions reçues de Monsieur L.C.;

      En faisant défaut d’informer et de conseiller Monsieur L.C. qu’il lui était légalement impossible de donner suite à ses instructions et qu’en l’absence du consentement de Mme M.P., il se devait de mettre fin à ce mandat (art. 26);

      En faisant défaut de conseiller Madame M.P. et de l’éclairer sur ses droits et surtout en ne l’informant pas des modifications qu’il s’apprêtait à faire à la police d’assurance et en procédant à celles-ci sans son consentement (art. 37(6));

[59]    En conséquence, l’intimé sera reconnu coupable des infractions reprochées à la plainte.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimé coupable du chef numéro 1 et plus particulièrement comme suit :

Chef 1 :    pour avoir contrevenu à l’article 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5) à l’égard de Monsieur L.C.;

                   pour avoir contrevenu à l’article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5) à l’égard de Madame M.P.;

                   PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre de l’infraction visée par l’article 16 LDPSF;         

ORDONNE la non publication, non diffusion et non accessibilité à tout renseignement permettant d’identifier les assurés, le tout suivant l’article 142 du Code des professions;

ENJOINT la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour l’audition sur sanction;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages

Membre        

 

____________________________________

M. Brian Brochet, C.d’A.Ass, courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Sébastien Tisserand

Procureur de la partie plaignante

 

Sylvain Laberge

Partie intimée se représentant seule

 

Date d’audience : 14 juillet 2015

 



[1]    Ménard c. Gardner, 2012 QCCA 1546 (CanLII);

[2]    R. c. Kienapple, 1974 CanLII 14 (CSC);

[3]    Par analogie, voir le par. 47 de l’arrêt Morand c. McKenna, 2011 QCCA 1197 (CanLII);

[4]    R. c. Van Rassel, [1990] 1 R.C.S. 225;

[5]    P. 237-238;

[6]    Physiothérapie c. Charest-Dombrovski, 2008 QCTP 135;

[7]        Pigeon c. Proprio-Direct, 2003 CanLII 45825 (QCCA);

     Gilbert c. Castiglia, 2011 QCCA 2277 (CanLII);

[8]    2011 QCCA 1197 (CanLII);

[9]    CHAD c. Lareau, 2012 CanLII 64435 (QC CHAD) confirmé par la Cour du Québec, 2014 QCCA 8877 (CanLII);

[10]      Voir les part. 103 à 145 de la decision de première instance, 2012 CanLII 64435;

[11]   Laflamme c. Prudentiel-Bache Commodities Canada Ltd., 2000 CSC 26 (CanLII) ou [2000] 1 R.C.S. 638;

[12]      Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, 1990 CanLII 59 (CSC), par. 57 et 58 ou 1990 CanLII 59 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 191;

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