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A-283-80
Surinder Kaur Kang (Appelante)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain, le juge suppléant Verchere—Vancouver, 31 mars;
Ottawa, 6 mai 1981.
Immigration Appel contre la décision de la Commission d'appel de l'immigration qui a rejeté un appel fait en applica tion de l'art. 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 Le père de l'appelante s'est vu refuser le droit d'établissement parce qu'il avait menti aux agents des visas au sujet de son âge, en violation de l'art. 9(3) de la Loi Il échet d'examiner si la non-observation de l'art. 9(3) peut faire tomber une personne dans la catégorie des personnes non admissibles prévue à l'art. 19(2)d) de la Loi Appel accueilli (le juge Le Dain dissident) Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 9(3), 19(2)d), 79(2) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4c),d), 5(1).
APPEL. AVOCATS:
J. Aldridge pour l'appelante. A. Louie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rosenbloom, McCrea & Leggatt, Vancouver, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'un appel contre la décision de la Commission d'appel de l'immigra- tion qui a rejeté un appel fait en application du paragraphe 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52.
L'appelante, citoyenne canadienne, est origi- naire de l'Inde ses parents vivent encore. En mai 1978, elle se porta garante d'une demande de droit d'établissement faite par son père pour lui- même et pour six personnes à sa charge. Un an après, elle fut informée que la demande de son père avait été rejetée par ce motif qu'il faisait partie de la catégorie des personnes non admissi-
bles visées à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immi- gration de 1976' en ce qu'il ne remplissait pas les conditions du paragraphe 9(3) de la Loi, que voici:
(3) Toute personne doit répondre sincèrement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'il réclame pour établir que son admission ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements.
L'appelante en a saisi la Commission d'appel de l'immigration, qui a conclu qu'en réponse aux questions posées par l'agent des visas, le père de l'appelante avait menti à propos de son âge et de celui de sa femme, et qu'en conséquence le rejet de la demande était [TRADUCTION] «conforme à la loi». La Commission a rejeté l'appel en concluant par ailleurs qu'il n'y avait pas lieu à mesure spé- ciale fondée sur des considérations humanitaires ou de compassion. C'est cette dernière décision qui est portée en appel devant la Cour.
L'avocat de l'appelante ne conteste pas les con clusions de la Commission, savoir que le père de l'appelante a menti à l'agent des visas et qu'aucune considération spéciale ne justifiait l'octroi d'une mesure spéciale. Il soutient par contre que le fait, pour le père de l'appelante, de ne pas répondre sincèrement aux questions posées par l'agent des visas sur son âge ne le faisait pas tomber dans la catégorie des personnes non admissibles prévue à l'alinéa 19(2)d), ce fait ne constituant pas une violation du paragraphe 9(3). Il affirme que ce paragraphe ne requiert pas d'un requérant qu'il réponde sincèrement à toutes les questions qu'un agent des visas peut lui poser, mais seulement aux questions posées «pour établir que son admission ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements». Il s'ensuit, à son avis, qu'un requérant ne contrevient pas au paragraphe 9(3) s'il refuse de répondre ou ne répond pas sincèrement aux questions qui n'ont rien à voir avec son admissibi- lité, et que le père de l'appelante n'a pas contre- venu au paragraphe 9(3) lorsqu'il mentait sur son
' 19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous
réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
d) ne remplissent pas les conditions prévues à la présente loi ou aux règlements ainsi qu'aux instructions et directives établis sous leur empire.
âge, puisqu'il est constant que son admissibilité ne dépend pas de son âge (voir le paragraphe 5(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78- 172).
L'avocat de l'intimé soutient qu'il ressort d'une lecture attentive du paragraphe 9(3) qu'un requé- rant a l'obligation de répondre sincèrement à toutes les questions posées par l'agent des visas, que celles-ci aient ou non quelque chose à voir avec son admissibilité; que même si l'admissibilité du père de l'appelante ne dépendait pas de son âge, les questions posées à ce sujet étaient importantes pour son admission; et qu'en tout cas, le fait que le père de l'appelante a menti avait un rapport direct avec son admissibilité.
Pour trancher cet appel, il n'est pas nécessaire d'examiner si le père de l'appelante a contrevenu au paragraphe 9(3) en mentant à l'agent des visas. Ainsi que je l'ai dit à l'audience, le fait qu'une personne demandant un visa a contrevenu au para- graphe 9(3) ne la fait pas tomber dans la catégorie des personnes non admissibles au sens de l'alinéa 19(2)d).
La catégorie de personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d) comprend entre autres les per- sonnes qui
... ne remplissent pas les conditions prévues à la ... loi ou aux règlements ainsi qu'aux instructions et directives établis sous leur empire.
L'emploi du présent («ne remplissent pas») indique qu'il s'agit de personnes qui, au moment même une décision est prise au sujet de leur admissibilité, ne remplissent pas une condition prévue par la Loi ou le Règlement. Il s'ensuit à mon avis que les «conditions» mentionnées à cet alinéa sont unique- ment les conditions d'admission prévues, telle la condition, imposée par le Règlement, qu'un immi grant ou visiteur soit titulaire d'un passeport valide. Si une personne ne remplit pas cette condi tion au moment elle demande à être admise au Canada, on peut dire justement qu'elle ne remplit pas, à ce moment-là, les conditions prévues au Règlement et qu'elle tombe en conséquence dans la catégorie des personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d). Cet alinéa n'embrasse cependant pas les conditions prévues au paragraphe 9(3). Lorsqu'une personne ment à un agent des visas, elle viole, au moment même de ce mensonge, une
condition prévue par la Loi; cependant, au moment l'on considère l'admissibilité de cette personne, tout ce qu'on peut dire à son sujet, c'est qu'au moment de l'entrevue, elle ne remplissait pas les conditions prévues par la Loi; on ne peut dire qu'elle ne remplissait pas une condition prévue par la Loi au moment l'on considère son admissibi- lité. J'en conclus qu'une personne ne tombe pas dans la catégorie des personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d) du seul fait qu'elle a contrevenu à une disposition de la Loi ou du Règlement. Cet alinéa a pour seul objet de rendre inadmissibles tous ceux qui ne remplissent pas les conditions d'admissibilité prescrites par la Loi ou par un règlement d'application.
Il ne s'ensuit pas que la non-observation, de la part d'un requérant, des conditions du paragraphe 9(3) ne tire pas à conséquence. Cette non-observa tion peut ou non, selon le cas, justifier le refus d'un visa; mais elle n'a pas, comme l'a présumé la décision dont appel, pour effet de faire du requé- rant un membre de la catégorie des personnes non admissibles prévue à l'alinéa 19(2)d).
Par ces motifs, j'accueillerais l'appel, annulerais la décision attaquée et renverrais l'affaire devant la Commission pour nouvelle décision fondée sur la conclusion que la non-observation, par une per- sonne, des conditions prévues au paragraphe 9(3) ne la fait pas tomber dans la catégorie des person- nes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d) de la Loi.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: J'ai eu le privilège de lire les motifs du jugement prononcés par le juge Pratte et je souscris à ses conclusions par les mêmes motifs.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN (dissident): Les faits de la cause et les points litigieux sont rappelés dans les motifs prononcés par le juge Pratte, et que j'ai eu le privilège de lire.
Sauf le respect que je lui dois, je ne saurais convenir qu'un requérant demandant son admis sion et ne remplissant pas la condition prévue au paragraphe 9(3) de la Loi sur l'immigration de 1976, savoir qu'il lui faut répondre sincèrement à toutes les questions posées par l'agent des visas, ne tombe pas dans la catégorie des personnes non admissibles prévue à l'alinéa 19(2)d) de la Loi, en tant que personnes qui «ne remplissent pas les conditions prévues à la présente loi ou aux règle- ments ainsi qu'aux instructions et directives établis sous leur empire.» A mon avis, les conditions d'ad- mission prévues par le paragraphe 9(3) sont d'or- dre procédural. Le paragraphe 9(1) prévoit qu'un immigrant doit «obtenir un visa avant de se présen- ter à un point d'entrée.» Aux termes du paragra- phe 9(3), il «doit répondre sincèrement aux ques tions de l'agent des visas.» Quiconque n'a pas obtenu le visa prévu au paragraphe 9(1) est indu- bitablement une personne qui ne remplit pas les conditions prévues à la Loi, au sens de l'alinéa 19(2)d) et j'estime que quiconque n'a pas répondu sincèrement à toutes les questions posées par l'agent des visas tombe également dans cette caté- gorie. A mon humble avis, la Loi ne peut pas avoir pour objet d'interdire à un agent d'immigration de rejeter une demande de droit d'établissement si le requérant ne répond pas sincèrement à toutes les questions posées par l'agent des visas.
Il échet donc d'examiner les conclusions de l'ap- pelante quant à l'applicabilité de la disposition dont s'agit. Comme je l'ai dit à l'audience, je me suis demandé, de prime abord et à la lumière de la version française du paragraphe 9(3), si le membre de phrase «pour établir que son admission ne con- treviendrait ni à la présente loi ni aux règlements» se rapporte au membre de phrase «Toute personne doit répondre sincèrement aux questions de l'agent des visas» ainsi qu'au membre de phrase «produire toutes les pièces qu'il réclame», mais, après mûre réflexion et compte tenu des deux versions de la même disposition qui figure au paragraphe 12(4) de la Loi, je pense qu'il convient d'interpréter le paragraphe 9(3) comme signifiant qu'un requérant ne doit répondre sincèrement qu'aux questions posées par l'agent des visas pour établir que son admission ne contreviendrait ni à la Loi ni au Règlement. Les questions que l'agent des visas est en droit de poser dans le cadre de l'obligation prévue par le paragraphe 9(3) doivent certaine-
ment être limitées par quelque critère de pertinence.
Il échet, dès lors, d'examiner si la question relative à l'âge des parents de l'appelante, telle qu'elle figure sur la formule de demande d'admis- sion et telle qu'elle a été posée de nouveau par l'agent des visas au cours de l'entrevue, visait à établir que leur admission ne contreviendrait ni à la Loi ni au Règlement.
Il ressort du paragraphe 5(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, rapproché des alinéas c) et d) de l'article 4 auquel il se réfère, que l'âge des père et mère, dont la demande de droit d'établisse- ment est parrainée par un citoyen canadien, ne constitue pas une condition d'admission. Attendu que leur admission ne peut contrevenir ni à la Loi ni au Règlement du seul fait de leur âge, il s'agit, à mon avis, de savoir si l'on peut dire, pour quelque raison que ce soit, que la question sur l'âge vise en l'espèce à établir que leur admission ne contrevien- drait ni à la Loi ni au Règlement. Le motif donné par la Commission—à savoir que l'âge établi par les documents d'immigration peut, en fait, servir de fondement à une réclamation de pension ou d'autres avantages au Canada—n'a aucun rapport avec l'admissibilité. Mais l'avocat du Ministre sou- tient que, l'âge est, pour les services d'immigra- tion, l'un des éléments de vérification de l'identité des requérants en tant que père et mère du répon- dant, et que l'identité est naturellement une condi tion essentielle de l'admissibilité. A mon avis, cette raison suffit pour justifier la conclusion que les père et mère de l'appelante étaient requis par le paragraphe 9(3) de la Loi de répondre sincèrement à la question de l'agent des visas relative à leur âge, et que, faute de quoi, comme l'a conclu la Commission, ils sont tombés dans la catégorie de personnes non admissibles prévue à l'alinéa 19(2)d) de la Loi. En conséquence, je rejetterais l'appel.
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