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[2001] 2 C.F. 357

IMM-2639-99

Greer Shipping Ltd. (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

IMM-3997-99

Colley Motorships West Ltd. (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

IMM-3998-99

Colley Motorships West Ltd. (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Greer Shipping Ltd. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dawson Vancouver, 1er août 2000; Toronto, 29 janvier 2001.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Norme de contrôle Contrôle judiciaire d’une décision visant à recouvrer de la demanderesse, qui fournit des services à l’industrie du transport maritime, les frais de renvoi d’un marin déserteur conformément à l’art. 85(3) de la Loi sur l’immigration, qui prévoit que le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable des frais de renvoi si cette personne y est entrée illégalement Comme aucun motif n’a été exposé pour expliquer comment on en était venu à la conclusion que la demanderesse était un « transporteur », il était impossible de déterminer s’il y a eu une quelconque erreur de droit, de fait ou à la fois de droit et de fait Il a été nécessaire de déterminer les principes juridiques qu’il convenait d’appliquer avant de trancher la question de savoir si la décision pouvait résister à un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable simpliciter La demanderesse ne s’est pas opposée en 1992 quand elle a été avisée que le ministère de l’Immigration chercherait à se faire rembourser par elle les frais de renvoi Le retard a été suscité par les actions du membre d’équipage Il était impossible de calculer les frais de renvoi avant que celui-ci n’ait lieu La demanderesse ne s’est pas opposée lorsqu’elle a été avisée de l’estimation des frais de renvoi Compte tenu de l’inaction de la demanderesse, le retard, ou le processus qui a été suivi, ne constituait pas une quelconque violation de l’obligation de respecter l’équité procédurale.

Mandat Contrôle judiciaire d’une décision visant à recouvrer de la demanderesse les frais de renvoi d’un marin qui avait déserté le navire à l’égard duquel elle fournissait des services L’art. 85(3) de la Loi sur l’immigration prévoit que le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable des frais qu’occasionne le renvoi de cette personne si cette dernière n’a pas obtenu le droit d’être admise au pays et n’était pas, au moment de son arrivée au Canada, en possession d’un visa valide Le terme « transporteur » désigne les personnes, y compris leurs mandataires, qui transportent ou font transporter des personnes ou des marchandises La Cour d’appel fédérale a conclu que la définition s’appliquait à toutes les entreprises qui assurent un service de transport de voyageurs ou marchandises ou fournissent un tel service, que leur activité principale fasse intervenir ou non le transport en location de voyageurs ou marchandises Le propriétaire/exploitant du navire qui a amené le marin au Canada était un « transporteur » Pour ce qui est de l’objectif de la partie V de la Loi, en raison du sens plus restrictif de la version française, « mandataire » s’étend seulement au véritable mandataire au sens juridique du terme En ce qui concerne la nature des relations de la demanderesse, ni les nominations en vue d’agir à l’égard du navire ni le libellé utilisé par les parties n’ont été déterminants La demanderesse avait exprimé son pouvoir d’agir pour le compte du commettant, elle représentait le navire et le principal devant des tiers, et elle aurait pu acquérir des droits pour le compte de son commettant de même que lui imposer des responsabilités en signant des connaissements Il a été satisfait à la définition générale de « mandataire » Bien que le rôle de la demanderesse ait été strictement défini, il n’était pas déraisonnable de conclure qu’il avait été satisfait aux principaux critères de la relation de mandataire.

Interprétation des lois L’art. 2(1) de la Loi sur l’immigration donne la définition de « transporteur » En vertu de l’art. 85(3), le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable des frais qu’occasionne le renvoi de cette personne si cette dernière n’a pas obtenu le droit d’être admise au pays et n’était pas, au moment de son arrivée au Canada, en possession d’un visa valide Contrôle judiciaire d’une décision visant à recouvrer de la demanderesse les frais de renvoi d’un marin déserteur Le terme « transporteur » désignait les personnes, y compris leurs mandataires, qui transportent ou font transporter des personnes La définition a été modifiée le 1er février 1993 afin d’y ajouter les personnes qui font transporter des marchandises Le marin est entré au Canada en 1992 et a été renvoyé en 1998 1) La question de savoir quelle définition s’applique dépend de l’interprétation de la mesure législative modificative, l’art. 119 prévoyant que l’obligation financière aux termes d’une disposition modifiée par la présente loi, découlant d’actes commis avant l’entrée en vigueur de la modification, est déterminée comme si celle-ci n’était pas en vigueur La responsabilité financière de la demanderesse découlait de l’art. 87(3), qui n’a pas été modifié par la loi modificative L’art. 86 prévoit cette responsabilité dans le cas de tous les frais de renvois d’un marin déserteur; l’art. 87(1) prévoit la notification de l’obligation Comme les art. 86 et 87(1) ont été modifiés, la responsabilité financière de la demanderesse découlerait d’une disposition modifiée La responsabilité découlait de faits commis avant le 1er février 1993, c’est-à-dire l’entrée au Canada en tant que marin et la perte subséquente du statut de visiteur Conformément à l’art. 119, la responsabilité est déterminée en vertu de l’ancienne définition de « transporteur » qui ne mentionnait pas les marchandises 2) Quant au sens du mot « mandataire » figurant dans la définition, les principes ordinaires d’interprétation s’appliquent pour interpréter les lois bilingues Il faut déterminer l’intention du législateur à la lumière de l’objectif de la loi, du contexte dans lequel elle a été adoptée et d’autres stratégies d’interprétation Pour ce qui est de l’objectif de la partie V de la Loi (transfert des frais de renvoi aux transporteurs pour les décourager d’amener des passagers clandestins au pays), le sens plus restrictif qui se reflète dans la version française de la définition de « transporteur » est plus conforme en l’espèce Exiger qu’un « agent » soit un véritable mandataire au sens juridique du terme impose une limite logique et pratique à la définition du transporteur 3) Les résultats injustes ou déraisonnables sont considérés comme étant absurdes et non voulus Imposer une responsabilité à une entité qui n’entretient qu’un lien occasionnel avec un navire aurait des résultats déraisonnables.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de visiteurs Contrôle judiciaire d’une décision visant à recouvrer de la demanderesse, qui fournit des services à l’industrie du transport maritime, les frais de renvoi d’un marin déserteur L’art. 85(3) de la Loi sur l’immigration prévoit que le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable des frais qu’occasionne le renvoi de cette personne si cette dernière n’a pas obtenu le droit d’être admise au pays et n’était pas, au moment de son arrivée au Canada, en possession d’un visa valide La définition de « transporteur » (les personnes, y compris leurs mandataires, qui font transporter des personnes), a été modifiée le 1er février 1993 afin d’y ajouter les personnes qui font transporter des marchandises Conformément à la loi modificative, l’obligation de la demanderesse prévue à l’art. 119 est déterminée en vertu de la définition de transporteur antérieure à 1993 Le propriétaire/exploitant du navire qui a amené le marin au Canada était un « transporteur » Le terme « mandataire » utilisé dans la définition envisage le mandataire au sens juridique du terme visant l’objectif de la partie V de la Loi et de la définition figurant dans la version française Le ministre n’a pas pris une décision déraisonnable en concluant qu’il avait été satisfait aux principaux critères de la relation de mandataire dans la présente affaire.

Couronne Créanciers et débiteurs Dettes envers la Couronne Compensation Contrôle judiciaire d’une décision visant à recouvrer par voie de compensation du compte de remboursement de TPS les frais de renvoi d’un marin qui avait déserté le navire à l’égard duquel la demanderesse fournissait des services L’art. 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit que le ministre compétent responsable du recouvrement d’une créance de Sa Majesté du chef du Canada peut autoriser, par voie de compensation, la retenue d’un montant égal à la créance sur toute somme due au débiteur par Sa Majesté du chef du Canada L’art. 24(2)d) de la Loi d’interprétation prévoit que la mention d’un ministre dans le cadre de ses attributions vaut mention de toute personne ayant la compétence voulue Ni la Loi sur l’immigration ni la Loi sur la gestion des finances publiques n’élimine l’application de cette disposition Le ministre n’était pas tenu de prendre personnellement part à la décision d’obtenir une compensation.

Les présentes demandes de contrôle judiciaire, dont une seule restait contestée au moment de l’audition, soulevaient la question de savoir ce qu’est un « transporteur » dans le contexte du paragraphe 85(3) de la Loi sur l’immigration, qui prévoit que le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable des frais qu’occasionne le renvoi de cette personne si cette dernière n’a pas obtenu le droit d’être admise au pays et n’était pas, au moment de son arrivée au Canada, en possession d’un visa valide. Greer Shipping Ltd. est une société de la Colombie-Britannique qui fournit divers services à l’industrie du transport maritime, mais qui ne possède, ni n’exploite, ni n’affrète aucun navire. En 1992, Greer a convenu de fournir des services à l’égard d’un certain nombre de navires, dont le MS Trade Carrier, qui devaient charger du blé sur la côte ouest du Canada. Greer a demandé des directives précises avant d’engager des dépenses sur le plan du temps supplémentaire, elle a reçu une autorisation expresse de signer des connaissements de même que des directives précises au sujet du contenu de tels connaissements, et elle a demandé des directives précises du commettant en matière de délivrance des connaissements. Dans la correspondance, le commandant du navire identifiait Greer comme étant « le mandataire de l’affréteur ». Greer a fourni les services suivants : permettre l’admission du navire au Canada en préparant et soumettant des documents de douane, et en produisant un rôle d’équipage et un certificat de santé; prendre des dispositions en vue d’obtenir des pilotes pour entrer au Canada et en sortir; prendre des dispositions en vue d’obtenir des remorqueurs et des manœuvres de câbles; prendre des dispositions en vue d’obtenir des services de lancement vers le navire et en provenance de celui-ci; assurer la liaison avec les fournisseurs de la cargaison du navire, désigner un emplacement de chargement du navire et prendre des dispositions pour l’obtenir, de même que charger la cargaison dans le navire; prendre des dispositions en vue de la cueillette des ordures; prendre des dispositions pour que le navire soit doté d’un service téléphonique; prendre des dispositions en matière d’inspection; prendre des dispositions en vue de payer les droits de port, les droits de stationnement, les cotisations à la Chamber of Shipping, le permis de circulation, et les dépenses liées à l’équipage, notamment sur les plans médical, du transport, et des communications. La fiche de marin publiée par le ministre de l’Emploi et de l’Immigration mentionnait que Greer était le « mandataire » du navire.

Le 28 juillet 1992, soit le lendemain du départ du navire de Vancouver, Greer a avisé son commettant qu’il manquait six membres d’équipage. Le navire est demeuré dans les eaux canadiennes jusqu’au 1er août 1992, mais Emploi et Immigration Canada n’a pris aucune mesure afin d’arrêter le navire. Un des marins déserteurs, M. Nizam, est demeuré au Canada sans autorisation et un mandat d’arrestation a été délivré à son égard. En 1992, « transporteur » désignait les personnes ou groupes de personnes, y compris leurs mandataires « qui transportent ou font transporter des personnes ». Le 1er février 1993, la définition a été modifiée en ajoutant ceux qui assurent un service de transport ou qui exploitent ou fournissent un service de transport de marchandises. En septembre 1992, le ministère de l’Emploi et de l’Immigration a demandé à Greer un dépôt de 5 000 $ pour couvrir les frais de détention et d’expulsion de Nizam. Le Ministère n’a jamais reçu le dépôt. Nizam a revendiqué sans succès le statut de réfugié, mais ce n’est qu’en 1997 qu’une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle qui avait été prise contre lui est alors devenue une mesure d’expulsion. En 1998, les autorités de l’Immigration ont informé Greer d’une estimation des frais de renvoi. Greer a avisé les autorités qu’elle ne prendrait pas de dispositions en ce qui concernait le transport de Nizam à destination. Nizam a été renvoyé du pays, et Citoyenneté et Immigration Canada a transmis à Greer des relevés mensuels qui s’élevaient à 10 640 56 $.

L’article 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit que le ministre compétent responsable du recouvrement d’une créance de Sa Majesté du chef du Canada peut autoriser, par voie de compensation, la retenue d’un montant égal à la créance sur toute somme due au débiteur par Sa Majesté du chef du Canada. Citoyenneté et Immigration a plus tard recouvré la somme due, qui provenait du compte de remboursement de TPS de Greer. La déclaration produite pour étayer la demande de compensation a été signée par le directeur des opérations comptables. L’alinéa 24(2)d) de la Loi d’interprétation prévoit que la mention d’un ministre dans le cadre de ses attributions vaut mention de toute personne ayant la compétence voulue.

Voici les questions litigieuses : 1) qu’elle était la norme appropriée de contrôle judiciaire; 2) quelle est la définition de « transporteur » qui s’appliquait à la demande de contrôle judiciaire; 3) Greer était-elle le mandataire d’un transporteur; 4) une violation de l’équité procédurale a-t-elle eu lieu en raison d’un retard ou d’une absence de communication; 5) les sommes d’argent qui auraient appartenu à Greer ont-elles été convenablement affectées en compensation de la dette de cette dernière?

Jugement : la demande est rejetée.

1) Comme aucun motif n’a été exposé pour expliquer comment on était parvenu à la conclusion que Greer était un « transporteur », il était impossible de déterminer si une quelconque erreur a découlé d’une application erronée du droit, du fait qu’on a tenu compte d’une preuve non pertinente ou encore du fait qu’on a considéré l’ensemble de la preuve requise pour ensuite parvenir à la mauvaise conclusion, ou, à tout le moins, à une conclusion erronée. Si on a commis une quelconque erreur en appliquant le bon droit aux faits, il s’agissait alors d’une question à la fois de fait et de droit qui appellerait une norme de contrôle moins sévère. Par conséquent, il a été nécessaire de déterminer les principes juridiques qu’il convient d’appliquer pour ensuite trancher la question de savoir si, au regard de ces principes, la décision pouvait résister à un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable simpliciter.

2) Le choix de la définition qui s’appliquait dépendait de l’interprétation de l’article 119 de la loi modificative, qui prévoit que l’obligation financière qui incombe à une personne aux termes d’une disposition de la Loi sur l’immigration modifiée par une disposition de la présente loi est déterminée, si elle découle d’un acte commis avant l’entrée en vigueur de cette disposition, comme si celle-ci n’était pas en vigueur. La responsabilité financière de Greer, s’il en est, découlait du paragraphe 87(3), qui prévoit que le transporteur est tenu de rembourser à Sa Majesté, sur demande, les frais de renvoi. Le paragraphe 87(3) n’a pas été modifié par la loi modificative. Cependant, pour que la responsabilité du transporteur soit engagée relativement à un marin déserteur, conformément au paragraphe 87(1), le transporteur doit avoir été avisé de l’obligation de transport de la personne à destination du pays d’où elle est arrivée que lui impose l’article 86 de la Loi. Le paragraphe 87(1) et l’article 86 de la Loi ont été modifiés par la loi modificative. Donc la responsabilité financière de Greer découlerait d’une disposition de la Loi qui a été modifiée. Bien qu’aucune obligation de payer n’incombât à Greer jusqu’en 1998, la responsabilité de Greer découlait d’actes dont Greer aurait été responsable qui auraient été commis en 1992. La responsabilité de Greer dépendait du fait que Nizam était entré au Canada en tant que membre d’un équipage et qu’il avait par la suite cessé d’être un visiteur, événements qui sont survenus en 1992. Donc la responsabilité financière qui aurait incombé à Greer découlait d’actes commis avant le 1er février 1993. Par conséquent, en vertu de l’article 119, la responsabilité de Greer doit être établie comme si la définition du terme « transporteur » ne renvoyait pas à des marchandises, conformément à l’ancienne définition de ce terme.

3) Dans Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour d’appel fédérale a conclu que le terme « transporteur » s’appliquait à toutes les entreprises qui assurent un service de transport de voyageurs ou marchandises ou fournissent un tel service, que leur activité principale fasse intervenir ou non le transport en location de voyageurs ou marchandises. Le MS Trade Carrier a transporté Nizam vers le Canada en tant que membre de son équipage. En conséquence, par application des principes énoncés dans l’arrêt Flota Cubana, le propriétaire/exploitant du MS Trade Carrier était un « transporteur » au sens de la définition que comprenait la Loi en 1992. Il était ensuite nécessaire d’examiner la question de savoir si Greer était le « mandataire » d’un transporteur.

Greer a invoqué l’utilisation du mot « mandataire » dans la version française de la définition de « transporteur », en soutenant que l’intention du législateur était d’imposer une responsabilité financière seulement aux transporteurs véritablement impliqués dans le transport de personnes sans papiers vers le Canada. Ce sont les principes ordinaires d’interprétation législative qui s’appliquent pour interpréter les lois bilingues : « le but de notre interrogation doit donc consister à découvrir et à donner effet à l’intention du législateur, en regard de l’objet de la loi, du contexte dans lequel elle a été édictée et des autres stratégies d’interprétation ». Pour ce qui est de l’objectif de la partie V de la Loi, qui consiste à imputer les frais de renvoi aux transporteurs « qui […] ont amené [de telles personnes] au pays » et à décourager les transporteurs d’amener au Canada des personnes qui n’ont pas le droit d’y entrer ou d’y demeurer, le sens plus restrictif qui se reflète dans la version française de la définition du « transporteur » est le sens le plus conforme à cet objectif. Compte tenu de la nature « particulière » du lien qui existe entre l’agent maritime et le navire, et du fait qu’un tel lien peut être établi une fois que le navire a déjà quitté le port avec des passagers clandestins et qu’il est en route pour le Canada, on ne peut raisonnablement conclure qu’on puisse soutenir qu’un simple intermédiaire fait entrer au Canada des personnes qui n’ont pas le droit d’y entrer ou d’y demeurer, ou qu’il a une quelconque capacité de dissuader les navires de transport d’amener de telles personnes au Canada. Exiger qu’un « agent » soit un véritable mandataire au sens juridique du terme impose une limite logique et pratique à la définition du « transporteur », et une telle limite est ce qu’il y a de plus conforme à la loi. Dans l’arrêt Flota Cubana, les motifs de la Cour n’exigent nullement qu’une responsabilité soit imposée à une entité qui n’entretient qu’un lien occasionnel avec un navire. En outre, il existe une règle générale en matière d’interprétation des lois selon laquelle les résultats injustes ou déraisonnables sont considérés comme étant absurdes et, partant, non voulus.

En ce qui concerne la nature des relations de Greer, ni le fait que les parties elles-mêmes ont utilisé un libellé qui indique qu’il s’agissait d’une relation de « mandataire », ni le fait que le commandant du navire a identifié Greer comme étant le « mandataire du navire » n’a été déterminant. Greer avait exprimé son pouvoir d’agir pour le compte du « commettant » et avait consenti, à tout le moins de façon implicite, à remplir cette fonction. Greer a fourni un service à son commettant, elle représentait le navire et le principal devant des tiers, et elle aurait pu acquérir des droits pour le compte de son commettant de même que lui imposer des responsabilités en signant des connaissements. Bien que le rôle de Greer ait été strictement défini étant donné qu’elle avait demandé des directives en s’adressant au commettant au sujet des services qu’elle devait fournir au navire et qu’elle ne pouvait négocier le libellé des connaissements, le ministre n’a pas pris une décision déraisonnable en concluant qu’il avait été satisfait aux principaux critères de la relation de mandataire dans la présente affaire.

4) Compte tenu de l’inaction de Greer, il n’y a pas eu d’atteinte à l’équité procédurale. Greer n’a pas contesté lorsqu’elle a été avisée en septembre 1992 que le ministère de l’Immigration chercherait à se faire rembourser par elle. Par la suite, tout retard a été suscité par les actions de Nizam et l’impossibilité de déterminer les frais de renvoi avant que celui-ci n’ait lieu. Greer aurait pu de nouveau s’opposer à la position du défendeur ou faire des observations après avoir été avisée de l’estimation des frais de renvoi en février 1998. Dans les circonstances, le retard, ou le processus qui a été suivi, ne constituait pas une quelconque violation de l’obligation de respecter l’équité procédurale.

5) Ni la Loi sur l’immigration ni la Loi sur la gestion des finances publiques n’élimine l’application de l’alinéa 24(2)d) de la Loi d’interprétation. En effet, le paragraphe 121(1) prévoit que le ministre peut, s’il le juge indiqué, déléguer à des agents les attributions que lui confèrent la Loi ou ses règlements, et le paragraphe 121(2) prévoit que les actes accomplis par les agents visés au paragraphe 121(1) sont réputés l’avoir été par le ministre. Le ministre n’était pas tenu de prendre personnellement part à la décision d’obtenir une compensation à l’égard de la somme de 10 640 56 $.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 24(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 89).

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, art. 119.

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 155.

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 2(1) « transporteur ».

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « transporteur » (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1), 85(1) (mod., idem, art. 74), (3) (mod., idem), (5) (mod., idem), 86 (mod., idem, art. 75), 87(1) (mod., idem, art. 76), (2), (3) (mod., idem), 103(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 19), 121(1) (mod., idem, art. 22), (2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 107).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 303 (1997), 154 D.L.R. (4th) 577; 41 Imm. L.R. (2d) 175; 221 N.R. 356 (C.A.); Paterson SS Ltd. v. Aluminum Co. of Can., [1951] R.C.S. 852; [1951] 1 D.L.R. 241; Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 49 Admin. L.R. 118; 41 F.T.R. 118; 13 Imm. L.R. (2d) 123 (C.F. 1re inst.); Blandy Brothers & Co., Lda. v. Nello Simoni, Ltd., [1963] 2 Lloyd’s Rep. 393 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; conf. (1995), 127 D.L.R. (4th) 329; 21 B.L.R. (2d) 68; 63 C.P.R. (3d) 67; 185 N.R. 291 (C.A.F.); R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170; (1992), 92 D.L.R. (4th) 643; [1992] 4 W.W.R. 640; 9 B.C.A.C. 161; 68 B.C.L.R. (2d) 1; 73 C.C.C. (3d) 385; 14 C.R. (4th) 181; 137 N.R. 161; 19 W.A.C. 161; Trophy Foods Inc. v. Scott et al. (1995), 140 N.S.R. (2d) 92; 123 D.L.R. (4th) 509 (C.A.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

International Chartering Services Ltd. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 148 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Berkshire, The, [1974] 1 Lloyd’s Rep. 185 (Q.B. (Adm. Ct.)); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1998), 15 Admin. L.R. (3d) 157; 159 F.T.R. 215 (1re inst.); Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (1998), 225 N.R. 140 (C.A.).

DOCTRINE

Fridman, G. H. L. The Law of Agency, 4th ed. London : Butterworths, 1976.

Halsbury’s Laws of England, 3rd ed. Vol. 1. London : Butterworths, 1952.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du ministre selon laquelle la demanderesse était responsable en tant que transporteur des frais de détention et d’expulsion d’un membre d’équipage qui avait quitté un navire auquel la demanderesse fournissait des services et du recouvrement de cette somme, par voie de compensation, du compte de remboursement de TPS de la demanderesse. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

H. Peter Swanson pour la demanderesse.

Helen C. H. Park pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campney & Murphy, Vancouver, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Dawson : Les présentes demandes de contrôle judiciaire, entendues en même temps, soulèvent la question de l’interprétation qu’il convient de donner au terme « transporteur » qui se trouve dans la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi).

[2]        Dans chaque demande, la question se pose dans le contexte du paragraphe 85(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 74] de la Loi, qui prévoit que le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable des frais qu’occasionne le renvoi de cette personne si cette dernière n’a pas obtenu le droit d’être admise au pays et n’était pas, au moment de son arrivée au Canada, en possession d’un visa valide.

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[3]        Au début de l’audition, les avocats ont informé la Cour qu’une entente avait été conclue entre les parties, en vertu de laquelle le ministre consentirait à ce que l’une des demandes de contrôle judiciaire de Colley Motorships West Ltd. (la demande IMM-3998-99) soit accueillie, à condition que les parties puissent faire des observations sur la question des dépens. Les deux autres demandes, qui portent sur des faits très similaires, ont été pleinement contestées et débattues. Pendant que la présente décision était en délibéré, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a obtenu des propriétaires de navires qu’ils payent l’ensemble des frais de renvoi dans l’affaire IMM-3997-99. Cette instance n’ayant plus d’objet, elle a été abandonnée.

[4]        Les motifs qui suivent traitent uniquement de la dernière demande contestée, qui a été présentée par Greer Shipping Ltd. (Greer), sous le numéro IMM-2639-99.

[5]        Après que les présents motifs auront été communiqués aux parties, les avocats auront l’occasion de faire des observations écrites sur la question des dépens à l’égard de l’ensemble des demandes.

LES FAITS

[6]        Greer est une société de la Colombie-Britannique qui fournit des services à ses clients de l’industrie du transport maritime. Elle ne possède, n’exploite, ni n’affrète aucun navire, et elle ne l’a jamais fait.

[7]        Comme Greer fournit des services à l’égard de toute une gamme de circonstances, elle entretient un certain nombre de types de relations. Greer peut être désignée par des propriétaires, exploitants ou affréteurs de navires. Lorsqu’elle offre ses services à des navires de tramping, comme c’est le cas dans la présente affaire, il arrive souvent qu’elle n’entretienne pas de lien à long terme avec le propriétaire, l’exploitant ou l’affréteur du navire.

[8]        En juillet 1992, Greer a été contactée par un groupeur de marchandises, courtier et préposé au fret aérien, la Dyson Shipping Company, Inc. (Dyson), pour le compte de la Food Corporation of India, à l’égard d’un certain nombre de navires qui devaient charger du blé sur la côte ouest du Canada. Le présent litige a pris naissance à l’égard de l’un de ces navires, le MS Trade Carrier.

[9]        L’édition pertinente du Registre de la Lloyd’s mentionnait que le MS Trade Carrier appartenait à la Trade Venture Inc. et qu’il était géré et exploité par la Marine Management Services M.C. (Marine Management). Le MS Trade Carrier n’était pas un navire à passagers.

[10]      Greer a dit qu’elle avait présumé que le navire avait été affrété par la Food Corporation of India et que le contrat d’affrètement permettait à l’affréteur et à son mandataire en Amérique du Nord, Dyson, de désigner Greer afin qu’elle s’occupe du navire en Colombie-Britannique.

[11]      Greer avait déjà travaillé pour Dyson avant 1992, mais elle croit que Dyson s’est depuis retirée des affaires.

[12]      Pour des motifs qui ont été expliqués au moyen de la seule expression [traduction] « en vertu de notre désignation », Greer a commencé à communiquer avec la Brokerage and Management Corp. (Brokerage) de New York, car il semble qu’elle présumait que cette dernière possédait ou gérait le navire. Aucune autre preuve n’a été produite au sujet du rôle précis de Brokerage dans la présente affaire. Greer, conformément à sa pratique en vigueur lorsqu’on lui demandait de s’occuper d’un navire, a avisé Brokerage de l’échéancier prévu et demandé qu’elle lui verse des fonds afin de payer ses débours et frais.

[13]      Il ressort de télex qui ont été mis en preuve que Greer avait demandé à Brokerage de lui donner des directives précises avant d’engager des dépenses sur le plan du temps supplémentaire, qu’elle avait reçu une autorisation expresse de signer des connaissements de même que des directives précises au sujet du contenu de tels connaissements, et qu’elle avait demandé des directives précises de Brokerage en matière de délivrance des connaissements.

[14]      Le commandant du MS Trade Carrier a écrit à Greer en identifiant cette dernière comme étant « le mandataire de l’affréteur » et il lui a donné l’autorisation de signer des connaissements sous réserve de conditions bien précises.

[15]      Voici les services que Greer a fournis au MS Trade Carrier :

a) permettre l’admission du navire au Canada en préparant et soumettant des documents de douane, et en produisant un rôle d’équipage et un certificat de santé que l’équipage du navire avait préparés;

b) prendre des dispositions en vue d’obtenir des pilotes pour entrer au Canada et y sortir par l’entremise de pourparlers avec l’Administration de pilotage du Pacifique;

c) prendre des dispositions en vue d’obtenir des remorqueurs et des manœuvres de câbles en communiquant avec la compagnie de remorqueurs et le terminal;

d) prendre des dispositions en vue d’obtenir des services de lancement vers le navire et en provenance de celui-ci alors qu’il était ancré;

e) assurer la liaison avec la Commission canadienne du blé et la Grain Clearance Shippers Association, qui, selon l’entente convenue, avaient la responsabilité de fournir la cargaison du navire, désigner un emplacement de chargement du navire et prendre des dispositions pour l’obtenir, de même que charger la cargaison dans le navire, et payeraient, le cas échéant, l’indemnité de surestaries à l’égard de tout retard du chargement causé par la non-disponibilité de la cargaison;

f) prendre des dispositions en vue de la cueillette des ordures du navire;

g) prendre des dispositions pour que le navire soit doté d’un service téléphonique;

h) prendre des dispositions en matière d’inspection; et

i) prendre des dispositions en vue de payer les droits de port, les droits de stationnement, les cotisations à la Chamber of Shipping, le permis de circulation, et les dépenses liées à l’équipage, notamment sur les plans médical, du transport, et des communications.

[16]      Greer a signé une « déclaration de fait » en tant que mandataire de l’affréteur qui décrivait en détail les déplacements du navire dans le port de Vancouver. La fiche de marin publiée par le ministre de l’Emploi et de l’Immigration de l’époque mentionnait que Greer était le « mandataire » du navire. La question de savoir qui serait responsable des frais de retard a fait l’objet d’un litige. Le commandant a été avisé par Brokerage qu’il devait signer les connaissements plutôt que Greer. Greer a écrit à Brokerage, pour le compte de Dyson, pour l’informer qu’en tant que mandataire de Dyson [traduction] elle « considérait par la présente que le commandant et/ou les propriétaires du navire étaient responsables, le cas échéant, des frais de retard ».

[17]      Le 28 juillet 1992, soit le lendemain du départ du navire de Vancouver, Greer a avisé Brokerage qu’au moment du départ du navire de Vancouver, il manquait six membres d’équipage. Greer estimait qu’Emploi et Immigration Canada était au courant de cela à ce moment-là. Or, en raison d’une instance judiciaire qui n’est pas liée à la présente instance, le navire est demeuré dans les eaux canadiennes jusqu’au 1er août 1992. Au cours de cette période, Emploi et Immigration Canada n’a pris aucune mesure afin d’arrêter le navire.

[18]      Le présent litige porte sur un des marins déserteurs, Mohamed Nizam. M. Nizam est demeuré au Canada sans autorisation de la part des autorités de l’Immigration et un mandat d’arrestation a été délivré à son égard en vertu du paragraphe 103(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 19] de la Loi.

[19]      Le 9 septembre 1992, le ministère de l’Emploi et de l’Immigration de l’époque a écrit à Greer Shipping pour l’informer de ce qui suit :

[traduction] Sachez que la Loi sur l’immigration tient le transporteur responsable des frais de détention et d’expulsion (par. 87(3) de la Loi sur l’immigration) et qu’en conséquence, nous exigeons un dépôt de cinq mille dollars (5 000 $) en vertu des pouvoirs que confère l’article 93 de la Loi sur l’immigration.

Emploi et Immigration Canada n’a jamais reçu le dépôt.

[20]      Le 22 avril 1993, M. Nizam s’est présenté à un bureau d’Immigration Canada, où il a été arrêté et où il a revendiqué le statut de réfugié au Canada. Il a été débouté, mais ce n’est que le 26 avril 1997 que M. Nizam a épuisé l’ensemble des recours qui s’offraient à lui en vertu de la Loi, de sorte qu’une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle qui avait été prise contre lui est alors devenue une mesure d’expulsion.

[21]      Par la suite, M. Nizam a omis de se présenter afin d’être renvoyé du pays et un autre mandat a été délivré en vue de son arrestation. Le 4 février 1998, il a été arrêté à Saskatoon après avoir de nouveau revendiqué le statut de réfugié, cette fois en utilisant un autre nom que le sien.

[22]      Le 6 février 1998, les autorités de l’Immigration ont informé Greer, en tant que mandataire du transporteur qui avait amené M. Nizam au Canada, du départ prévu de ce dernier ainsi que d’une estimation des frais qu’occasionnerait son renvoi. Greer a avisé les autorités de renvoyer M. Nizam vu qu’elle ne prendrait pas de dispositions en ce qui concerne le transport de ce dernier à destination.

[23]      M. Nizam a été renvoyé du pays le 6 mars 1998. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a transmis à Greer une description détaillée des frais du renvoi de M. Nizam, qui s’élevaient à 10 640 56 $. Des relevés mensuels ont été envoyés à Greer d’avril à novembre 1999.

[24]      Deux avis écrits ont ensuite été remis à Greer pour l’informer que CIC prendrait des mesures afin de recouvrer la créance, en retenant à l’avenir des sommes d’argent que le gouvernement fédéral pourrait être appelé à verser à Greer. Greer n’a fait aucun paiement.

[25]      Le 5 juillet 1999, CIC a reçu de Revenu Canada la somme de 10 640 56 $, qui provenait du compte de remboursement de TPS de Greer.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[26]      Voici les questions litigieuses que notre Cour doit trancher :

1. Quelle est la définition de « transporteur » qui s’applique à la demande de contrôle judiciaire de Greer?

2. Greer est-elle le mandataire d’un transporteur au sens de la définition applicable que contient la Loi?

3. Une violation de l’équité procédurale a-t-elle eu lieu en raison d’un retard ou d’une absence de communication?

4. Les sommes d’argent qui auraient appartenu à Greer ont-elles été convenablement affectées en compensation de la dette de cette dernière?

L’ANALYSE

(i)         La norme de contrôle

[27]      L’avocat de la demanderesse a fait valoir que c’est le bien-fondé de la décision du ministre selon laquelle sa cliente constitue un transporteur qui est en cause. Il a soutenu que cela soulevait une question de droit qui portait sur la compétence et que la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer était celle de la décision correcte.

[28]      Le ministre a considéré qu’il s’agissait d’une question à la fois de fait et de droit. Appliquant la démarche pragmatique et fonctionnelle, elle a soutenu que la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer était celle de la décision raisonnable simpliciter.

[29]      Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 37, il n’est pas facile, dans certains cas, de faire la distinction entre ce qui constitue une question de droit et ce qui constitue une question à la fois de fait et de droit. En l’espèce, on n’a exposé aucun motif pour expliquer comment on était parvenu à la conclusion que Greer était un « transporteur ». Il est donc impossible de déterminer si une quelconque erreur a découlé d’une application erronée du droit, du fait qu’on a tenu compte d’une preuve non pertinente, ou encore du fait qu’on a considéré l’ensemble de la preuve requise (et seule la preuve pertinente) pour ensuite parvenir à la mauvaise conclusion, ou, à tout le moins à une conclusion erronée. Si on a commis une quelconque erreur en appliquant le bon droit aux faits, il s’agit alors d’une question à la fois de fait et de droit qui appellerait une norme de contrôle moins sévère.

[30]      Je me propose donc de déterminer les principes juridiques qu’il convient d’appliquer pour ensuite trancher la question de savoir si, au regard de ces principes, la décision résiste à un examen assez poussé (soit un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable simpliciter).

(ii) Quelle est la définition de « transporteur » qui s’applique à la demande de contrôle judiciaire de Greer?

[31]      Le régime législatif qui prévoit les obligations et responsabilités des transporteurs se trouve dans la partie V de la Loi. Voici les parties pertinentes des articles 85 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 74], 86 [mod., idem, art. 75] et 87 [mod., idem, art. 76] de la Loi, dans la mesure où elles s’appliquent à la présente instance :

85. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable par le ministre du transport de celle-ci à destination :

[…]

c) du pays désigné conformément aux paragraphes 52(2) ou (3), dans le cas d’une personne qui doit quitter le Canada par suite d’une mesure de renvoi.

[…]

(5) Le présent article ne s’applique pas aux personnes qui entrent au Canada à titre de membres du personnel d’un véhicule ou pour le devenir.

86. Dans le cas où une personne entre au Canada à titre de membre du personnel d’un véhicule ou pour le devenir et perd la qualité de visiteur aux termes du paragraphe 26(1), le transporteur qui exploite le véhicule peut être tenu responsable par le ministre du transport de la personne à destination du pays d’où elle est arrivée, ou du pays agréé par le ministre à la demande du transporteur, ainsi que des frais de renvoi de la personne.

87. (1) Le transporteur doit être avisé de l’obligation de transport que lui imposent les articles 85 et 86 et doit avoir la possibilité de s’en acquitter au moyen de ses propres véhicules ou par tout autre moyen.

(2) Si le transporteur, une fois avisé, ne fait pas diligence, le ministre peut ordonner que les dispositions soient prises pour faire effectuer le transport par un autre transporteur, aux frais de Sa Majesté.

(3) Dans le cas visé au paragraphe (2), le transporteur à qui incombait le transport est tenu de rembourser à Sa Majesté, sur demande, les frais de renvoi.

[32]      Le terme « transporteur » est défini dans la Loi. La définition qui se trouve au paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] de la Loi est pertinente pour ce qui est de la présente instance :

2. (1) […]

« transporteur » Personne ou groupement, y compris leurs mandataires, qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen […] La présente définition s’applique aux gouvernements fédéral et provinciaux ainsi qu’aux municipalités, dans la mesure où ils exploitent ou fournissent un tel service.

[33]      Voici l’ancienne définition du terme « transporteur » [Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52] :

2. (1) […]

« transporteur » désigne les personnes ou groupes de personnes et leurs mandataires ainsi que les gouvernements fédéral, provinciaux ou les municipalités du Canada qui transportent ou font transporter des personnes

a) en recourant à des véhicules, à d’autres moyens ou en leur faisant emprunter un pont ou un tunnel, lorsque le terme « transporteur » se retrouve au paragraphe 90(2), aux articles 93 et 94 et à l’alinéa 115(1)bb), et

b) en recourant à des véhicules ou à d’autres moyens, mais sans leur faire emprunter un pont ou un tunnel, lorsque le terme « transporteur » se retrouve ailleurs dans la présente loi.

[34]      La définition a été modifiée par la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49 [article premier], qui est entrée en vigueur le 1er février 1993. La principale modification consistait à ajouter à la définition les personnes qui assurent un service de transport de marchandises ou fournissent un tel service.

[35]      Greer a dit que comme le MS Trade Carrier était un navire de charge, le ministre devait établir, pour soutenir qu’il pouvait imposer à Greer la responsabilité de payer les frais du renvoi de M. Nizam, qu’il convenait d’appliquer la définition modifiée du terme « transporteur », qui renvoie aux personnes qui assurent un service de transport des marchandises.

[36]      Greer a ensuite soutenu que pour faire une telle prétention, le ministre devait considérer que la modification de 1993 avait un effet rétroactif, mais qu’il existe des présomptions selon lesquelles on ne doit pas considérer que la loi s’applique de façon rétroactive et qu’elle a une incidence sur des droits acquis. Greer a dit que bien que ces présomptions puissent être réfutées, il devait y avoir une indication claire que le législateur entendait adopter une disposition ayant un effet rétroactif. Greer a fait valoir qu’un examen de la loi modificative ne laissait pas entrevoir une telle intention, mais qu’en fait, il étayait plutôt l’opinion contraire. Greer a mentionné l’article 119 de la loi modificative, qui prévoyait :

119. L’obligation financière qui incombe à une personne aux termes d’une disposition de la Loi sur l’immigration modifiée par une disposition de la présente loi est déterminée, si elle découle d’un faitacte ou omissioncommis avant l’entrée en vigueur de cette disposition, comme si celle-ci n’était pas en vigueur.

[37]      À mon avis, il convient de trancher cette question par une interprétation convenable de l’article 119 de la loi modificative, ce qui exige qu’on détermine si la responsabilité financière de Greer découle de l’une ou l’autre disposition de la Loi modifiée par la loi modificative, et, le cas échéant, si sa responsabilité est engagée par suite d’un quelconque faitacte ou omissionqui remonte à la période avant le 1er février 1993.

[38]      La responsabilité financière de Greer, s’il en est, découle du paragraphe 87(3) de la Loi, qui prévoit que le transporteur est tenu de rembourser à Sa Majesté, sur demande, les frais de renvoi. Or, le paragraphe 87(3) de la Loi n’a pas été modifié substantiellement par la loi modificative.

[39]      Cependant, pour que la responsabilité du transporteur soit engagée relativement à un marin déserteur, conformément au paragraphe 87(1) de la Loi, le transporteur doit avoir été avisé de l’obligation de transport de la personne à destination du pays d’où elle est arrivée que lui impose l’article 86 de la Loi.

[40]      Or, le paragraphe 87(1) et l’article 86 de la Loi ont été modifiés par la loi modificative.

[41]      Je conclus donc que la responsabilité financière de Greer découlerait d’une disposition de la Loi qui a été modifiée.

[42]      La prochaine question à trancher que soulève l’article 119 de la loi modificative est de savoir si la responsabilité est engagée par suite d’un faitacte ou omissionsurvenu avant l’entrée en vigueur des modifications. Le ministre a soutenu que la responsabilité n’était engagée qu’après le renvoi de M. Nizam du Canada en 1998 et que lorsqu’une demande de paiement a été faite par la suite.

[43]      Bien que je sois d’accord qu’aucune obligation de payer n’incombait à Greer jusqu’à ce moment-là, je n’accepte pas que cela permette de trancher la question. La responsabilité de Greer ne découlait pas exclusivement de l’exigence du ministre. Elle découlait également d’actes dont Greer aurait été responsable qui auraient été commis en 1992. En effet, pour que la responsabilité de Greer soit engagée, il fallait nécessairement que M. Nizam soit entré au Canada en tant que membre d’un équipage et qu’il ait par la suite cessé d’être un visiteur. En l’absence de ces actes, il ne pouvait y avoir d’exigence, aux termes du paragraphe 87(1) de la Loi, à laquelle Greer devait satisfaire en tant que mandataire d’un transporteur. Or, ces événements sont survenus en 1992.

[44]      Je conclus donc, dans le contexte de l’article 119 de la loi modificative, que la responsabilité financière qui aurait incombé à Greer découlerait d’actes commis avant le 1er février 1993. En conséquence, j’estime qu’en vertu de cet article, la responsabilité de Greer doit être établie comme si la définition du terme « transporteur » ne renvoyait pas à des marchandises, conformément à l’ancienne définition de ce terme.

(iii) Greer est-elle mandataire d’un transporteur au sens de la définition applicable que contient la Loi?

[45]      Le ministre a soutenu que peu importe la définition qu’on applique, la responsabilité de Greer est engagée vu qu’il n’existe pas d’exigence prévoyant que le transporteur doit s’adonner au transport en location de voyageurs.

[46]      Le ministre a fait valoir que dans la Loi de 1976, de même que sa version modifiée, la définition de « transporteur » vise tout navire qui transporte des personnes, peu importe qu’il y ait eu à son bord des marchandises ou des passagers. Le ministre s’est fondé sur l’arrêt Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 303 de la Cour d’appel fédérale, à la page 321.

[47]      Greer a fait valoir que le MS Trade Carrier était un navire de charge et qu’en conséquence, il ne constituait pas un transporteur au sens de l’ancienne définition de la Loi.

[48]      Dans l’arrêt Flota Cubana, la Cour d’appel a examiné la définition actuelle du terme « transporteur ». La Cour d’appel a rejeté la prétention selon laquelle seuls les transporteurs dont l’activité principale consiste à transporter en location des voyageurs ou des marchandises peuvent être tenus responsables des frais de renvoi de membres d’équipage. La Cour d’appel a conclu que le terme « transporteur » s’applique à toutes les entreprises qui assurent un service de transport de voyageurs ou marchandises, par véhicule ou tout autre moyen, ou fournissent un tel service. Il ne se limite pas aux seules entreprises dont l’activité principale fait intervenir le transport en location de voyageurs ou marchandises.

[49]      Bien que la Cour d’appel n’ait pas interprété la définition de « transporteur » que comprenait la Loi de 1976, j’estime qu’aucun aspect de son analyse ne dépendait de la présence des mots « ou de marchandises » que la modification de 1992 a ajoutés à la définition, ou de l’expression « qui assurent un service de transport […] ou fournissent un tel service », qui a été remplacée par l’expression « qui transportent ou font transporter ».

[50]      La Cour d’appel a été fortement influencée par la présence dans la Loi d’un certain nombre de dispositions en matière de recouvrement des frais que suscite le renvoi de marins déserteurs, et elle a fait remarquer que des marins pouvaient être transportés vers le Canada à bord d’un navire, peu importe que le navire servait ou non principalement au transport en location de voyageurs ou de marchandises.

[51]      La Cour d’appel a expressément rejeté l’un des arguments les plus forts qui m’ont été présentés pour le compte de Greer, soit que le fait que la version française de la définition actuelle renvoie au « transport de voyageurs », qui laisse entendre des voyageurs ou passagers, est significatif.

[52]      Il ne fait pas de doute que le MS Trade Carrier a transporté M. Nizam vers le Canada en tant que membre de son équipage. En conséquence, appliquant les principes que la Cour d’appel a énoncés dans l’arrêt Flota Cubana, j’estime que le propriétaire/ exploitant du MS Trade Carrier était un « transporteur » au sens de la définition que comprenait la Loi en 1992.

[53]      Il est ensuite nécessaire d’examiner la question de savoir si Greer était le « mandataire » d’un transporteur.

[54]      Le mot « mandataire », qui se trouve dans l’ancienne et l’actuelle définitions de « transporteur », peut avoir deux sens. En effet, il peut avoir un sens générique, soit désigner le représentant ou l’intermédiaire d’une autre personne. Par ailleurs, le mot « mandataire » peut également désigner une relation plus formelle dans laquelle on considère, en droit, qu’une personne en représente une autre de sorte qu’elle est en mesure d’influer sur la situation juridique du commettant à l’égard de tierces parties.

[55]      Greer a dit que l’utilisation du titre « mandataire » ne crée pas en soi une relation de mandataire, et que le ministre a utilisé le mot « mandataire » qui se trouve dans la définition dans son sens générique, alors que la définition légale du « transporteur » renvoie au sens plus formel de ce mot.

[56]      Pour étayer cette prétention, Greer a soutenu que la démarche traditionnelle en matière d’interprétation de lois bilingues consiste à identifier le sens que partagent l’une et l’autre des versions de la disposition et de lui conférer un tel sens.

[57]      Greer a souligné le fait que la version française de la définition de « transporteur » n’utilise pas le mot « agent », mais plutôt le mot « mandataire ». Or, a-t-on soutenu, le mot « mandataire » impose une certaine limite pratique et logique à la définition de « transporteur », et il démontre que l’intention du législateur était d’imposer une responsabilité financière aux transporteurs véritablement impliqués dans le transport de personnes sans papiers vers le Canada. Greer a fait valoir que l’interprétation du ministre donnait lieu à des résultats inéquitables, injustes et absurdes.

[58]      J’entame mon analyse en considérant les directives de la Cour d’appel fédérale qui se trouvent aux pages 316 et 317 de l’arrêt Flota Cubana, selon lesquelles les tribunaux doivent continuer à utiliser les principes ordinaires d’interprétation législative pour interpréter les lois bilingues : « [l]e but de notre interrogation doit donc consister à découvrir et à donner effet à l’intention du législateur, en regard de l’objet de la loi, du contexte dans lequel elle a été édictée et des autres stratégies d’interprétation ».

[59]      Pour ce qui est de l’objectif que vise la loi, la Cour d’appel a conclu, dans l’arrêt Flota Cubana, à la page 321, que le « but principal [de la loi en cause] consiste à libérer le gouvernement fédéral des coûts associés à l’entrée de personnes sans statut au Canada et à leur renvoi subséquent en les imputant plutôt aux transporteurs qui les ont amenées au pays. Les dispositions de la partie V favorisent également la réalisation de l’objectif général de la Loi en décourageant les transporteurs d’amener au Canada des personnes qui n’ont pas le droit d’y entrer ou d’y demeurer ».

[60]      Pour ce qui est de l’objectif de la partie V de la Loi, qui consiste à imputer les frais de renvoi aux transporteurs « qui […] ont amené […] [de telles personnes] au pays » et à décourager les transporteurs d’amener au Canada des personnes qui n’ont pas le droit d’y entrer ou d’y demeurer, j’estime que le sens plus restrictif qui se reflète dans la version française de la définition du « transporteur » est le sens le plus conforme à cet objectif. Compte tenu de la nature « particulière » du lien qui existe entre l’agent maritime et le navire, et du fait qu’un tel lien peut être établi une fois que le navire a déjà quitté le port avec des passagers clandestins et qu’il est en route pour le Canada, je ne peux raisonnablement conclure qu’on puisse soutenir qu’un simple intermédiaire fait entrer au Canada des personnes qui n’ont pas le droit d’y entrer ou d’y demeurer, ou qu’il a une quelconque capacité de dissuader les navires de transport d’amener de telles personnes au Canada. J’accepte qu’exiger qu’un « agent » soit un véritable mandataire au sens juridique du terme impose une limite logique et pratique à la définition du « transporteur », et qu’une telle limite est ce qu’il y a de plus conforme à la loi.

[61]      Malgré l’interprétation large que la Cour d’appel a donnée à la définition du terme « transporteur » dans l’arrêt Flota Cubana, j’estime que les motifs de la Cour n’exigent nullement qu’une responsabilité soit imposée à une entité qui n’entretient qu’un lien occasionnel avec un navire.

[62]      De la même façon, j’estime que mon interprétation ne va nullement à l’encontre de l’objectif de la partie V de la Loi. Le 28 juillet 1992, le commandant du MS Trade Carrier avait certifié aux autorités de l’Immigration que M. Nizam n’était pas à bord du navire quand ce dernier a quitté Vancouver. Or, le navire est demeuré en eaux canadiennes jusqu’au 1er août 1992. Les autorités de l’Immigration pouvaient, au cours de cette période, saisir ou détenir le navire pour s’assurer que les frais de renvoi en cause leur seraient remboursés, ou encore obtenir une garantie de paiement. Il n’est pas nécessaire d’interpréter largement le terme « mandataire » pour que le recours soit disponible.

[63]      En outre, il existe une règle générale en matière d’interprétation des lois selon laquelle les résultats injustes ou déraisonnables sont considérés comme étant absurdes et, partant, non voulus. Or, l’interprétation que propose le ministre vise un certain nombre de circonstances distinctes. Il semble qu’aussi longtemps qu’un agent maritime tel Greer fournissait des services à un navire, peu importe que de tels services aient été négligeables et qu’il ait agi en tant que mandataire de l’affréteur d’un navire, du chargeur de la cargaison ou du réclamateur de celle-ci, sa responsabilité serait engagée en tant que transporteur. Greer a soutenu qu’en vertu de l’interprétation que propose le ministre, la Commission canadienne du blé serait le mandataire d’un transporteur lorsqu’elle prendrait des dispositions pour qu’un terminal charge une cargaison dans un navire, et qu’un courtier en carburant qui, moyennant une commission, prendrait des dispositions en vue de la vente de carburant à un navire qui se trouve dans un port serait un « mandataire de ce dernier ».

[64]      Exiger qu’il existe une relation de mandataire en bonne et due forme met un agent maritime ou une quelconque autre entité dans une position si proche du transporteur qu’on pourrait soutenir que le mandataire en bonne et due forme a, à tout le moins, une certaine capacité de dissuader les navires de transport de faire entrer illégalement des individus au Canada. Une telle exigence rend également plus probable la conclusion d’une entente visant l’indemnisation de l’agent par le commettant, un facteur qui, en soi, pourrait dissuader les propriétaires et exploitants de navires.

[65]      Comme j’ai conclu que la définition de « transporteur » exige qu’il y ait une relation de mandataire en bonne et due forme lorsqu’elle renvoie aux « mandataires », je dois maintenant trancher la question de savoir si Greer a établi que la décision du ministre de la considérer comme étant le « mandataire » d’une personne ou d’un groupe de personnes qui transportent ou font transporter des personnes satisfait ou non à la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[66]      Pour ce qui est de la nature de la relation de mandataire en bonne et due forme, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont fait les remarques suivantes dans l’arrêt R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170, aux pages 183 et 184 :

La nature du mandat

Dans The Law of Agency (5e éd. 1983), Fridman propose, à la p. 9, la définition suivante du mandat :

[traduction] Le mandat est le rapport qui existe entre deux personnes dont l’une, l’agent, est en droit considérée comme la représentante de l’autre, le commettant, si bien que cet agent peut, par la conclusion de contrats ou l’aliénation de biens, influer sur la situation juridique du commettant à l’égard de tierces parties. [En italique dans l’original.]

Le commettant doit pouvoir faire confiance à l’agent car ce dernier peut influer sur sa situation juridique. C’est peut-être là l’élément central du rapport. Essentiellement, l’agent vise à atteindre les mêmes résultats que ceux qu’aurait atteints le commettant s’il avait agi pour son compte. L’agent peut exercer une si grande influence sur les affaires du commettant et il possède un si grand pouvoir d’agir pour le compte de ce dernier qu’il doit, cela va de soi, agir en tout temps au mieux des intérêts du commettant.

[67]      Dans son arrêt Trophy Foods Inc. v. Scott et al. (1995), 140 N.S.R. (2d) 92, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a cité avec approbation, à la page 101, l’ouvrage de Fridman intitulé The Law of Agency, 4e éd., et a paraphrasé la thèse du traité de ce dernier, mentionnant que [traduction] « l’essence même d’une véritable relation entre commettant et agent est le pouvoir de celui-ci d’influer sur la situation juridique du commettant en concluant des contrats avec des tiers qui lient le commettant ».

[68]      Greer a soutenu qu’elle n’était pas un mandataire pour les raisons suivantes :

a) ce n’est pas le propriétaire ou l’exploitant du navire qui a fait appel à ses services, mais plutôt l’affréteur du navire; et

b) elle n’avait pas le pouvoir de lier le commettant ou de modifier la situation juridique de ce dernier.

[69]      Pour soutenir qu’elle n’était pas le mandataire d’un transporteur vu ce n’est pas le propriétaire ou l’exploitant du navire qui a fait appel à ses services, mais plutôt l’affréteur, Greer s’est fondée sur la distinction qu’on doit faire entre ceux qui fournissent des services à la demande d’un affréteur et ceux qui le font à la demande du propriétaire. Greer s’est fondée sur l’arrêt Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 de la Cour d’appel fédérale pour soutenir qu’en l’absence d’un contrat de société ou d’une entente de coentreprise, l’exploitation d’un navire en vue du transport de marchandises par mer ne constitue pas une coentreprise du propriétaire et de l’affréteur.

[70]      En ce qui concerne cette prétention, voici ce qu’il ressort de la preuve qui m’a été soumise. Greer a reçu un télex daté du 17 juillet 1992 de Brokerage, dans lequel cette dernière lui demandait notamment [traduction] « [d’]agir en tant que mandataire » du navire et de la tenir [traduction] « constamment au courant de toutes les directives de chargement que [Greer] recevrait des affréteurs ». Dans un télex ultérieur, Greer demandait des directives à Brokerage concernant la possibilité que l’accostage donne lieu à du temps supplémentaire et à l’égard de la délivrance du connaissement. Brokerage a remis des fonds à Greer afin de couvrir les débours de celle-ci le 22 juillet 1992. Il ressort d’une autre communication que le propriétaire du navire avait approuvé un échantillon de connaissement que Greer avait soumis à l’égard de la cargaison, et que Greer avait reçu l’autorisation de signer des connaissements pour le compte du commandant du navire [traduction] « strictement conformes à l’échantillon ». Une lettre conférant cette autorisation à Greer renvoyait à celle-ci en tant que [traduction] « mandataires de l’affréteur ». La note de débours que Greer avait soumise à Brokerage et qui établissait les frais relatifs aux divers services qu’elle avait fournis mentionnait que Brokerage était le « commettant », et elle comprenait, sous la rubrique intitulée [traduction] « Général (dépenses) », une [traduction] « commission de mandataire ». Dans un télex daté du 28 juillet 1992, Greer informait Brokerage que six membres de l’équipage avaient quitté le navire, que CIC exigerait un cautionnement de 30 000 $US, et qu’elle l’aviserait lorsqu’elle recevrait une facture. Selon un autre télex que Greer avait reçu, Brokerage avait, pour le compte des propriétaires du navire, donné des directives précises au commandant du navire au sujet du libellé du connaissement. Le 28 juillet 1992, Greer a informé Brokerage que [traduction] « Greer Shipping Ltd., en tant que mandataires de Dyson NY, tient par la présente le commandant et/ou les propriétaires du navire responsables de tout frais de retard liés au refus du commandant de signer le connaissement comme le stipule la charte-partie ». Enfin, la fiche de marin qui avait été remplie à l’égard du marin déserteur M. Nizam, datée du 30 juillet 1992, mentionnait que Greer Shipping Ltd. était le « mandataire » du transporteur.

[71]      Il ressort donc de la preuve que Greer avait fourni des services et travaillé en tant que représentante du propriétaire/exploitant du navire (par l’entremise de Brokerage) ainsi que de l’affréteur (par l’entremise de Dyson).

[72]      Cela a pour effet de miner la prétention de Greer selon laquelle le propriétaire/exploitant du navire n’avait pas retenu ses services. À tout le moins, Greer fournissait des services au propriétaire/exploitant du navire et agissait pour le compte de ce dernier avec son consentement implicite.

[73]      En outre, bien que Greer se fonde sur la décision Jian Sheng, précitée, pour soutenir qu’un affréteur n’est pas nécessairement un transporteur, je ne suis pas convaincue que cette distinction, qu’on établit dans les cas de responsabilité à l’égard du transport de marchandises par mer, s’applique à l’examen de la définition du « transporteur » aux termes de la Loi. Cette définition ne rend pas pertinentes les questions de la propriété du navire ou du statut de l’affréteur; elle renvoie plutôt à la personne ou au groupe de personnes qui « transportent » ou « organisent » le transport de personnes ou de marchandises. Compte tenu des considérations qui sous-tendent la partie V de la Loi, il se peut fort bien que l’affréteur ou encore le propriétaire d’un navire constitue un transporteur dans la mesure où il transporte ou organise le transport de personnes ou de marchandises.

[74]      Enfin, la prétention de Greer qu’elle n’est pas un « mandataire » parce que ni le propriétaire ni l’exploitant du navire n’a retenu ses services n’est pas étayée par les décisions qui ont examiné la position générale dans laquelle se trouvait l’agent maritime qui agissait pour le compte de propriétaires de navires ou d’affréteurs. Dans l’arrêt Blandy Brothers & Co., Lda. v. Nello Simoni, Ltd., [1963] 2 Lloyd’s Rep. 393 (C.A.), la Cour était saisie d’une demande d’agents maritimes contre l’affréteur d’un certain nombre de navires. Dans sa décision, la Cour a fait des remarques, sur le plan du droit, au sujet du pouvoir de l’agent d’un navire. En réponse à la question de savoir si [à la page 403] [traduction] « on peut déduire de principes généraux et du droit en général concernant les obligations des propriétaires de navires et affréteurs dans une situation comme la présente affaire quelle doit être la portée du pouvoir de l’agent du navire à moins qu’une quelconque preuve tend à l’élargir ou le restreindre », le lord juge Pearson a souligné, à la page 404, que [traduction] « l’agent du navire est habituellement l’agent du propriétaire au port en question, et il agit donc, à ce port, pour le compte du propriétaire du navire; et il est raisonnable de supposer qu’il a le pouvoir de faire tout ce que le propriétaire du navire doit faire à ce port ». Le lord juge Diplock a souscrit à cet avis, faisant remarquer, à la page 404, que [traduction] « dans ces circonstances, il me semble que le juge avait raison de dire, comme il l’a fait, que le pouvoir de l’agent du navire, en l’absence de directives précises, est une question de droit général. En l’espèce, les demandeurs ont été désignés en tant qu’agents du navire en vue du chargement de cinq cargaisons à Funchal à bord de cinq navires distincts. De telles directives, à mon avis, autorisent l’agent à remplir, au port, les tâches qui incombent au propriétaire du navire en ce qui concerne le transport des marchandises ».

[75]      Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il est préférable d’analyser la nature des relations de Greer et de trancher la question de savoir si elles font de cette dernière un mandataire au sens propre du terme compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire. Le fait que Greer ait été désignée par Dyson pour prendre des mesures à l’égard du navire n’est qu’une des circonstances de l’affaire qui, en soi, n’est pas déterminante selon moi pour ce qui est de la question de savoir si Greer agissait en tant que mandataire d’un transporteur.

[76]      En ce qui concerne la nature des relations de Greer, il est évident que les parties elles-mêmes ont utilisé un libellé qui indique qu’il s’agissait d’une relation de « mandataire ». L’entente conclue entre Greer et Brokerage prévoyait que Greer agirait en tant que [traduction] « mandataire du navire », et qu’à ce titre, son « commettant », Brokerage, lui verserait une [traduction] « commission de mandataire ». Le commandant du navire paraît également avoir mentionné sur la fiche de marin qui a été remise à Emploi et Immigration Canada que Greer était le « mandataire » du navire. Cependant, le libellé que les parties ont utilisé ne permet pas de déterminer la véritable nature de la relation.

[77]      J’estime néanmoins que la situation de Greer paraît satisfaire à la définition générale du mandat que fournit la jurisprudence : Greer avait exprimé son pouvoir d’agir pour le compte de Brokerage, le « commettant », et avait consenti, à tout le moins de façon implicite, à remplir cette fonction (voir Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 1, à la page 145). Greer a fourni un service à son commettant, elle représentait le navire et Brokerage devant des tiers, et elle aurait pu acquérir des droits pour le compte de son commettant de même que lui imposer des responsabilités en signant des connaissements.

[78]      Bien qu’elle ait reconnu son pouvoir de signer des connaissements, Greer a soutenu que ce pouvoir était de nature « ministérielle » et qu’elle n’avait pas de pouvoir discrétionnaire indépendant à cet égard. Greer s’est fondée sur des remarques incidentes faites dans la décision Berkshire, The, [1974] 1 Lloyd’s Rep. 185 (Q.B. (Adm. Ct.)), pour soutenir que le fait de signer un connaissement constitue un acte ministériel qui vicie la qualité de « mandataire » de sa relation avec le propriétaire du navire.

[79]      À mon avis, cette prétention n’est pas étayée par la jurisprudence. Dans l’arrêt Paterson SS Ltd. v. Aluminum Co. of Can., [1951] R.C.S. 852, la Cour suprême a examiné l’effet d’un connaissement signé par des agents maritimes désignés par l’affréteur d’un navire. Le juge Rand, qui a exposé des motifs auxquels le juge en chef Rinfret et le juge Fauteux ont souscrit (les autres membres de la Cour souscrivant au résultat), a énoncé, à la page 854, le principe général suivant :

[traduction] Pour les fins du transport d’une cargaison, le capitaine, l’affréteur et l’agent du navire sont tous des mandataires du propriétaire qui agissent au nom du capitaine; et lorsque l’affréteur a le pouvoir, comme c’est le cas en l’espèce, de signer pour le capitaine, il ne fait pas de doute selon moi qu’il peut désigner un mandataire et agir par l’entremise de ce dernier.

[80]      Greer s’est également fondée sur des remarques incidentes que le protonotaire Hargrave a faites dans International Chartering Services Ltd. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 148 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.), selon lesquelles on pouvait soutenir, voire il se pouvait même, que l’agent maritime de la demanderesse dans cette affaire n’était pas un transporteur. Cependant, j’estime qu’on peut distinguer cette affaire de la présente espèce vu que l’agent, dans cette affaire, paraissait ne pas avoir de pouvoir de signer des connaissements. On a soutenu que le seul lien qui existait entre l’agent et le propriétaire provenait du fait que l’agent avait préparé une déclaration de douane pour le compte du propriétaire et qu’il avait transmis à ce dernier un avis qu’il avait reçu des autorités canadiennes de l’Immigration. De plus, il ne ressort nullement des motifs que le protonotaire s’est fondé sur l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Flota Cubana.

[81]      Bien qu’il faille reconnaître que le rôle de Greer avait été strictement défini étant donné qu’elle avait demandé des directives en s’adressant à Brokerage au sujet des services qu’elle devait fournir au navire et qu’elle ne pouvait négocier le libellé des connaissements, je conclus que le ministre n’a pas pris une décision déraisonnable en concluant qu’il avait été satisfait aux principaux critères de la relation de mandataire dans la présente affaire.

(iv) Une violation de l’équité procédurale a-t-elle eu lieu en raison d’un retard ou d’une absence de communication?

[82]      En faisant valoir cet argument, Greer a d’abord soutenu qu’elle a été privée de l’occasion de prendre part au processus de prise de décision et qu’on ne lui a pas convenablement communiqué qui avait pris la décision, ce dont on avait tenu compte, et quel était le fondement de la décision. Elle a fait valoir qu’il s’agissait là d’un processus vicié qui allait à l’encontre de l’obligation générale de respecter l’équité procédurale. Elle s’est fondée à cet égard sur l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Deuxièmement, Greer a avancé qu’il y avait eu un retard indu qui avait donné lieu à une atteinte de l’obligation d’agir équitablement. Elle s’est fondée à cet égard sur la décision Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.).

[83]      Le 9 septembre 1992, CIC a écrit à Greer pour l’informer du fait que M. Nizam avait déserté le navire le 27 juillet 1992, mentionnant :

[traduction] Sachez que la Loi sur l’immigration tient le transporteur responsable des frais de détention et d’expulsion (par. 87(3) de la Loi sur l’immigration) et qu’en conséquence, nous exigeons un dépôt de cinq mille dollars (5 000 $) en vertu des pouvoirs que confère l’article 93 de la Loi sur l’immigration.

Nous apprécierions que vous portiez rapidement attention à la présente affaire.

[84]      Greer n’a pas répondu à cette lettre.

[85]      Par la suite, soit le 6 février 1998, deux jours après l’arrestation de M. Nizam, CIC a envoyé une télécopie à Greer pour l’informer du renvoi prévu de M. Nizam et lui communiquer une estimation des frais qu’occasionnerait le renvoi. CIC invitait Greer à lui téléphoner si elle avait des questions. Greer a dit à CIC qu’on pouvait renvoyer M. Nizam et qu’elle ne prendrait pas de dispositions en ce qui concerne le transport de ce dernier à destination.

[86]      Le 6 mars 1998, CIC a soumis à Greer un « registre des frais à la charge du transporteur » qui la désignait en tant que transporteur et l’informait du montant total des dépenses, soit 10 000 09 $. Aucune preuve n’établit que Greer a répondu à ce registre.

[87]      Des relevés mensuels ont été envoyés à Greer, mais celle-ci n’y a pas répondu.

[88]      Le 31 décembre 1998, CIC a informé Greer qu’on prendrait des mesures afin de recouvrer la créance.

[89]      Compte tenu de l’inaction de Greer, j’estime qu’il n’y a pas eu d’atteinte à l’équité procédurale. En septembre 1992, Greer a été avisée que CIC chercherait à se faire rembourser par elle les frais du renvoi de M. Nizam. Greer aurait pu contester cette intention de CIC à ce moment-là. Par la suite, tout retard a été suscité par les actions de M. Nizam et l’impossibilité de déterminer les frais de renvoi avant que celui-ci n’ait lieu. Greer aurait pu de nouveau s’objecter à la position du défendeur ou faire des observations après avoir reçu la télécopie de février 1998. Dans les circonstances, je ne peux conclure que le retard, ou le processus qui a été suivi, constituait une quelconque violation de l’obligation de respecter l’équité procédurale.

(v) Les sommes d’argent qui auraient appartenu à Greer ont-elles été convenablement affectées en compensation de la dette de cette dernière?

[90]      Des observations écrites supplémentaires traitant de cette question ont été déposées par l’une et l’autre partie après les plaidoiries. Les observations du ministre étaient accompagnées d’un « document de délégation du ministre » signé par le ministre et d’un document d’« acceptation des pouvoirs financiers ». Greer s’est objectée à l’admission de ces documents au motif qu’on aurait dû les introduire dans le cadre d’un affidavit en bonne et due forme, ce qui lui aurait donné une occasion de faire un contre-interrogatoire à leur sujet.

[91]      Je suis d’accord. Cette question a été clairement soulevée par Greer dans ses documents, et j’estime qu’on aurait dû produire tous les éléments de preuve nécessaire conformément à l’ensemble des exigences des règles de notre Cour. Je ne me suis donc pas fondée sur ces documents.

[92]      Le ministre a justifié la compensation sur le fondement de l’article 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, qui prévoit :

155. (1) Le ministre compétent responsable du recouvrement d’une créance soit de Sa Majesté du chef du Canada, soit de Sa Majesté du chef d’une province s’il s’agit d’impôts provinciaux visés par une entente entre le Canada et la province en vertu de laquelle le Canada est autorisé à percevoir les impôts pour le compte de la province, peut autoriser, par voie de déduction ou de compensation, la retenue d’un montant égal à la créance sur toute somme due au débiteur ou à ses héritiers par Sa Majesté du chef du Canada.

(2) Le ministre, s’il estime qu’une personne est débitrice d’une province pour avoir reçu de celle-ci, sans y avoir droit, un paiement auquel le Canada a contribué en conformité avec une loi et que la province a fait des efforts raisonnables en vue de recouvrer cette créance, peut exiger la retenue, par voie de déduction ou de compensation, d’un montant égal à la créance sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada; le montant ainsi déduit, moins la partie de ce dernier qui, selon le ministre, est proportionnelle à la contribution que le Canada a faite à cet égard, peut être versé à la province sur le Trésor.

(3) Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.

(4) La retenue d’argent prévue par le paragraphe (1) ne peut être effectuée sans l’assentiment du ministre compétent responsable, en l’absence de ce paragraphe, du paiement de la somme en cause.

[93]      Greer s’est objectée à cet argument, faisant valoir que bien que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration dût autoriser la compensation, aucune preuve n’établissait que le ministre avait pris part à la décision. La déclaration produite pour étayer la demande de compensation a été signée par André Couture, directeur des opérations comptables de Citoyenneté et Immigration Canada.

[94]      En réponse, le ministre s’est fondé sur l’alinéa 24(2)d) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, modifiée par L.C. 1992, ch. 1, art. 89. Voici le libellé de cet alinéa :

24. (1) […]

(2) La mention d’un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions, que celles-ci soient d’ordre administratif, législatif ou judiciaire, vaut mention :

a) de tout ministre agissant en son nom ou, en cas de vacance de la charge, du ministre investi de sa charge en application d’un décret;

b) de ses successeurs à la charge;

c) de son délégué ou de celui des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) indépendamment de l’alinéa c), de toute personne ayant, dans le ministère ou département d’État en cause, la compétence voulue.

[95]      Bien que l’applicabilité de cette disposition puisse être éliminée par une loi précise ou par déduction nécessaire, j’estime que ni la Loi, ni la Loi sur la gestion des finances publiques n’élimine l’application de cette disposition. En effet, le paragraphe 121(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 22] de la Loi prévoit que le ministre peut, s’il le juge indiqué, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, déléguer à des agents de l’administration publique fédérale les attributions que lui confèrent la Loi ou ses règlements. Par ailleurs, le paragraphe 121(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 107] prévoit que les actes accomplis par les agents visés au paragraphe 121(1) sont réputés l’avoir été par le ministre.

[96]      Comme l’a souligné le juge Strayer (tel était alors son titre) dans Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 49 Admin. L.R. 118 (C.F. 1re inst.), à la page 138 :

[…] il est inconcevable que le Parlement ait souhaité que le gouverneur en conseil se penche sur chaque demande [fondée sur des motifs d’ordre humanitaire]. Un régime de délégation extensive doit être implicite.

[97]      De la même façon, j’estime qu’en l’espèce, le ministre n’était pas tenu de prendre personnellement part à la décision d’obtenir une compensation à l’égard de la somme de 10 640 56 $.

CONCLUSION

[98]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire dans l’affaire IMM-2639-99 est rejetée.

[99]      L’avocate du défendeur disposera d’un délai de dix (10) jours, après avoir reçu les présents motifs, pour signifier et déposer des observations à l’égard des questions des dépens et de la certification d’une question de portée générale. Par la suite, l’avocat de la demanderesse disposera à son tour d’un délai de dix (10) jours pour signifier et déposer des observations sur ces questions. L’avocate du défendeur disposera alors d’un délai de quatre (4) jours pour signifier et déposer, le cas échéant, des observations en guise de réponse.

[100]   Après avoir examiné, le cas échéant, de telles observations, la Cour rendra un jugement rejetant la présente demande de contrôle judiciaire.

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