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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

Expropriation

Sujets connexes : Couronne, Pratique

Il s’agissait de deux requêtes dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : une visant la radiation de l’avis de demande et une visant sa modification — La demande sous-jacente cherche à faire invalider une décision de la ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (la ministre) de faire exproprier par la Couronne des biens-fonds nécessaires pour la construction et l’exploitation d’une voie ferroviaire contournant le centre-ville de Lac-Mégantic — Les terrains visés comprenaient des terrains appartenant aux demandeurs — Le défendeur sollicitait la radiation entière de l’avis de demande des demandeurs, au motif que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie — Le défendeur a noté que la juge en chef adjointe Gagné (2023 CF 1582) avait déjà conclu que la demande des demandeurs ne soulevait pas de question sérieuse à trancher — Les demandeurs, pour leur part, sollicitaient l’autorisation de la Cour de modifier leur avis de demande afin d’y ajouter (a) des allégations que la ministre a fait preuve de partialité; et (b) des allégations de faits déjà soulevées dans leur requête en injonction, laquelle a été rejetée — Le défendeur s’opposait à la requête de modification des demandeurs — Dans le cas des deux requêtes en l’espèce, la question déterminante était l’absence de toute possibilité de succès de la demande — La Loi sur l’expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21 (la Loi), accorde à la Couronne le pouvoir d’exproprier tout droit réel immobilier dont elle a besoin, de l’avis de la ministre, pour un ouvrage public ou à une autre fin d’intérêt public — Ce faisant, la Loi confère à la ministre un large pouvoir discrétionnaire pour évaluer et décider ce qui est dans «  l’intérêt public  » et quel droit réel immobilier est requis à cette fin — Il s’agissait de savoir si les demandeurs devaient se voir accorder l’autorisation de modifier leur avis de demande et si l’avis de demande devait être radié en totalité ou en partie — La demande de contrôle judiciaire sous-jacente aux deux requêtes intervenait dans le contexte de la tragédie horrifique qui a frappé la communauté de Lac-Mégantic le 6 juillet 2013 quand un train chargé de pétrole brut a déraillé, causant un incendie majeur et de multiples explosions — En mai 2018, les gouvernements du Canada et du Québec ont annoncé un projet de construction d’une voie de contournement ferroviaire qui déplacerait la voie ferrée hors du centre-ville de Lac-Mégantic — Le 24 janvier 2023, le ministre des Transports a demandé à la ministre d’enclencher un processus d’expropriation afin d’acquérir les terrains nécessaires à la construction de la voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic qui ne pourraient être acquis par négociation — La ministre a signé des avis d’intention d’exproprier, qui ont été publiés au Registre foncier approprié — Suite au rapport résumant les motifs d’opposition aux expropriations envisagées présentés lors des audiences publiques, y compris ceux des demandeurs, la ministre a décidé de confirmer les avis d’intention d’exproprier — La demande de contrôle judiciaire des demandeurs, déposée le 12 juillet 2023, visait à faire annuler cette décision de la ministre et les avis de confirmation d’intention d’exproprier en ce qui concernait les terrains des demandeurs — L’avis de demande alléguait que les avis de confirmation d’une intention d’exproprier étaient illégaux et rendus sans droit en particulier — Les demandeurs prétendaient que les modifications qu’ils cherchaient à apporter à leur avis de demande avaient pour objectif d’ajouter des références à des faits dont ils n’avaient pris connaissance qu’après avoir reçu les documents fournis selon les règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 — La modification d’un acte de procédure ne sera pas permise s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, qu’elle n’a aucune possibilité raisonnable de succès et donc qu’elle serait susceptible d’être radiée — C’était la question déterminante dans la présente affaire — L’absence de possibilité de succès est pertinente pour trancher à la fois la requête des demandeurs en modification et celle du procureur général en radiation — Les modifications proposées n’ayant aucune possibilité de succès, il s’ensuivait que la Cour ne pouvait pas les approuver et que la requête des demandeurs en modification devait être rejetée — En ce qui concernait les motifs dans l’avis de demande des demandeurs ils ont été regroupés — Les demandeurs soulevaient trois motifs liés à l’application des articles 4 et 4.1 de la Loi — En particulier, ils prétendaient que la ministre aurait dû appliquer l’article 4.1 de la Loi et non l’article 4 — Ce motif n’avait aucune chance de réussir — Le libellé de l’article 4.1 indique clairement que cette disposition permet à une compagnie de chemin de fer de présenter au ministre des Transports une demande pour que la ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux fasse exproprier par la Couronne le droit réel immobilier dont la compagnie a besoin pour un chemin de fer — L’avis de demande des demandeurs alléguait clairement qu’aucune compagnie de chemin de fer n’a fait de telle demande en l’espèce — L’article 4.1 de la Loi n’avait donc manifestement aucune application — L’argument des demandeurs était en fait que dès qu’il est question d’une voie ferroviaire, seul l’article 4.1 peut recevoir application et tout recours à l’article 4 est exclu, et qu’il n’y avait aucune indication que le «  pouvoir discrétionnaire le plus étendu  » accordé à la ministre par l’article 4 était limité d’une telle façon — Quant aux allégations des demandeurs portant sur l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la LTC), elles étaient absolument infondées et vouées à l’échec — Le paragraphe 98(1) de la LTC dispose que la construction d’une ligne de chemin de fer par une compagnie de chemin de fer est subordonnée à l’autorisation de l’Office des transports du Canada (l’OTC) — Dans l’avis de demande, les demandeurs indiquaient que la compagnie Centre du Maine et du Québec Inc. (CMQ), compagnie de chemin de fer impliquée dans le projet, a fait une demande d’autorisation auprès de l’OTC et que ce dernier n’avait pas encore rendu sa décision — La ministre s’est prononcée sur cette question dans sa décision confirmant l’intention d’exproprier en concluant qu’elle avait la compétence pour confirmer l’intention d’exproprier sans attendre l’approbation de l’OTC et elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour ce faire — Les motifs des demandeurs prétendant que la voie de contournement n’était pas un ouvrage public ou une autre fin d’intérêt public (en-tête (c) au-dessus du para. 84) étaient eux aussi voués à l’échec — L’allégation que la décision de la ministre était déraisonnable parce que le projet était pour le seul bénéfice d’une compagnie de chemin de fer qui elle-même a déclaré qu’elle n’en avait pas besoin était manifestement sans fondement — L’avis de demande soulevait aussi les impacts environnementaux du projet mais l’argument des demandeurs réitérait simplement leur opposition au projet et ses fondements — La Cour n’est simplement pas autorisée, lors d’un contrôle judiciaire d’une décision de confirmer une expropriation, à substituer sa propre décision à celle de la ministre, ni à réévaluer la preuve quant aux enjeux environnementaux pour en tirer ses propres conclusions sur l’intérêt public — Même si les questions environnementales étaient importantes, cela ne signifiait pas qu’elles constituaient en eux-mêmes un motif juridique permettant de contester la décision de la ministre — L’allégation que la ministre n’avait pas compétence et a agi de mauvaise foi n’avait aucun fondement — Quant aux modifications proposés (allégation de partialité et les faits mentionnés dans la demande en injonction), elles étaient vouées à l’échec et ne devaient pas être autorisées en vertu de la règle 75 des Règles des cours fédérales — L’avis de demande était donc radié dans sa totalité sans autorisation de le modifier — Requête en radiation du défendeur accueillie; requête en modification des demandeurs rejetée.

Vachon (Succession) c. Canada (Procureur général) (T-1450-23, 2024 CF 709, juge McHaffie, motifs du jugement en date du 8 mai 2024, 57 p.)

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