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Date : 20140917

Dossier : A-306-13

Référence : 2014 CAF 203

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

ROBERT MCILVENNA

appelant

et

LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE (LA BANQUE SCOTIA)

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), les 16 et 17 septembre 2014.

Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 



Date : 20140917

Dossier : A-306-13

Référence : 2014 CAF 203

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

ROBERT MCILVENNA

appelant

et

LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE (LA BANQUE SCOTIA)

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2014)

LE JUGE STRATAS

[1]               Monsieur McIlvenna interjette appel de la décision de la Cour fédérale rendue le 18 juin 2013 (le juge Hughes) : 2013 CF 678.

[2]               En Cour fédérale, M. McIlvenna a demandé l'annulation de la décision du 14 mars 2012 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté sa plainte. M. McIlvenna avait déposé une plainte devant la Commission dans laquelle il déclarait que la banque intimée avait fait preuve de discrimination, en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6.

[3]               Monsieur McIlvenna a contracté un prêt hypothécaire sur sa maison auprès de la banque intimée. Par la suite, la banque a rappelé le prêt. La plainte déposée auprès de la Commission visait la conduite de la banque.

[4]               Monsieur McIlvenna a affirmé que la banque avait fait preuve de discrimination fondée sur la déficience physique. Il a soutenu que la banque avait rappelé le prêt quand elle a appris que du cannabis était cultivé dans la maison. Un employé de la banque lui a dit que c'était la raison. De plus, un évaluateur dont les services avaient été retenus par la banque a aussi eu une réaction défavorable quand il a su que du cannabis était cultivé dans la maison. Cependant, le cannabis était cultivé aux termes d'un permis fédéral pour des raisons médicales. Le fils et la bru de M. McIlvenna avaient reçu des ordonnances médicales qui prescrivaient la consommation de cannabis parce qu'ils souffraient de déficiences physiques.

[5]               La Commission s'est demandé si la plainte devait être rejetée en vertu de l'article 41. Cependant, les choses ont changé et la Commission s'est demandé principalement s'il était justifié de penser que la décision de la banque reposait sur une raison discriminatoire.

[6]               La Commission a posé à la banque certaines questions qui sont pertinentes à son analyse fondée sur l'article 41, questions auxquelles une avocate interne de la banque a répondu. Elle a affirmé que les décideurs de la banque — et non les personnes à qui M. McIlvenna s'était adressé — avaient rappelé le prêt. Elle a indiqué que ces décideurs s'appuyaient sur l'entente de prêt, laquelle interdisait que des rénovations majeures non autorisées soient effectuées dans la maison. La maison faisait effectivement l'objet de rénovations importantes, lesquelles visaient du moins en partie à favoriser la culture du cannabis. Au moment de sa visite, l'évaluateur de la banque a souligné que l'intérieur de la propriété avait été démoli, rendant la garantie de prêt insuffisante.

[7]               Compte tenu de la preuve, la Commission a rejeté la plainte en vertu de l'article 41. Les parties conviennent que le rapport de recommandation du 29 novembre 2011 déposé auprès de la Commission peut être invoqué pour exposer les raisons du rejet de la Commission. La Commission a tiré la conclusion suivante au paragraphe 40 :

[TRADUCTION]

Comme il a été mentionné précédemment, le critère que le plaignant doit respecter pour démontrer l'existence d'un lien avec un motif de distinction illicite n'est pas exigeant. Cependant, il ne semble pas qu'il ait été satisfait à ce critère en l'espèce. Plusieurs conditions du contrat de prêt hypothécaire n'ont pas été respectées et, dans ce contexte, l'intimée a exercé son droit de rappeler le prêt hypothécaire. Il semble donc clair et évident que la décision de rappeler le prêt hypothécaire n'était pas fondée sur un motif de distinction illicite.

[8]               La Cour fédérale a estimé que la décision de la Commission était raisonnable. Après avoir souligné (aux paragraphes 4 à 6) que la Commission avait mené une enquête, la Cour fédérale a tiré la conclusion suivante (au paragraphe 22) :

J'estime que cette décision était raisonnable. Bien que la Banque Scotia ait sûrement été informée que les changements déjà effectués et les changements proposés avaient pour objet la culture de marijuana qui aurait été approuvée pour utilisation à des fins médicales, lesdits changements étaient importants et ils avaient été effectués sans le consentement de la Banque Scotia. De plus, ils entraînaient une diminution considérable de la valeur de la propriété. La Banque Scotia a déclaré que les déficiences alléguées du fils [de M. McIlvenna] n'avaient joué aucun rôle dans sa décision de dénoncer le contrat de prêt hypothécaire. Il était raisonnable que la Commission conclue qu'il n'y avait pas eu à cet égard discrimination contre [M. McIlvenna], soit le débiteur hypothécaire.

[9]               Lors de l'appel, à la fin de l'instruction devant notre Cour, nous avons ajourné l'audience afin de rendre nos motifs le lendemain matin. Voici nos motifs.

[10]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable. Par conséquent, en l'espèce, nous devons déterminer si la Cour fédérale a eu raison de conclure que la décision de la Commission était raisonnable : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47; Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23, au paragraphe 18.

[11]           À notre avis, la Cour fédérale a commis une erreur. La décision de la Commission est déraisonnable.

[12]           La Cour fédérale a examiné la décision de la Commission comme si une enquête appropriée avait été menée et elle a supposé qu'aucune autre enquête n'était nécessaire. De cette façon, elle a examiné le bien‑fondé de la décision de la Commission d'après le dossier dont elle disposait.

[13]           La véritable question est celle de savoir s'il était raisonnable pour la Commission de conclure qu'il était « clair et évident », au vu du dossier, que la plainte devait être rejetée. La norme de la preuve « claire et évidente » est la norme justifiant le rejet à cette étape initiale des procédures en vertu de la Loi (en vertu de l'article 41 seulement) : Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1997 CanLII 13678 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 3, conf. par [1999] A.C.F. no 705 (QL) (C.A.F.). Autrement dit, il faut se demander si, dans ces circonstances, il était raisonnable pour la Commission de rendre une décision sans mener l'enquête prévue à l'article 43 de la Loi et de rejeter la plainte en vertu de l'article 41.

[14]           Aux termes de l'article 41 de la Loi, la Commission peut rejeter une plainte notamment parce que la plainte n'est pas de sa compétence ou qu'elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, p. ex., la plainte contient une simple allégation de discrimination totalement invraisemblable ou qui ne peut pas être acceptée dans les circonstances : voir, p. ex., Hartjes c. Canada (Procureur général), 2008 CF 830; Boiko c. Conseil national de recherches, 2010 CF 110.

[15]           Cependant, ce n'est pas le cas en l'espèce. Dans ce cas-ci, il y avait un véritable conflit dans le dossier dont disposait la Commission :

●          d'une part, en raison du récit de M. McIlvenna sur les motifs potentiellement discriminatoires invoqués par des personnes qui étaient associées à la banque et qui, directement ou indirectement, ont fourni des renseignements aux personnes chargées de rendre une décision sur le prêt;

●          d'autre part, en raison des dires de l'avocate interne de la banque qui a rapporté ce que les décideurs lui ont expliqué.

[16]           À cette étape du processus, la Commission ne peut pas, de façon acceptable ou défendable, régler le conflit entre M. McIlvenna et le récit de l'avocate interne de la banque en faveur de cette dernière, du moins jusqu'à ce qu'elle procède à une enquête plus approfondie aux termes de l'article 43. Cependant, en l'espèce, la Commission a tout de même voulu régler le conflit de cette façon. Ce faisant, elle doit s'être engagée dans un certain processus d'appréciation qui l'a amenée à favoriser le récit de l'avocate interne de la banque, chose qu'elle ne peut pas faire. Au cours de l'enquête prévue à l'article 41, un processus d'appréciation semblable à celui dont il est question ici ne relève pas des devoirs de la Commission.

[17]           Ce n'est qu'après avoir mené l'enquête prévue à l'article 43 de la Loi — par exemple, en interrogeant les employés de la banque qui ont rappelé le prêt et en examinant si des motifs discriminatoires leur ont été signalés et s'ils se sont fondés sur ces motifs — que la Commission peut apprécier la preuve pour déterminer si « un examen est justifié » : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 49. Cependant, même lors de l'enquête prévue à l'article 43 — bien après l'étape où s'est rendue la Commission en l'espèce —– la Commission ne peut pas aller plus loin et « juger si la plainte est fondée » : Cooper, au paragraphe 53.

[18]           En l'espèce, la Commission ne s'était pas rendue aussi loin. Elle était seulement à l'étape de l'article 41.

[19]           Par conséquent, la décision de la Commission de rejeter la plainte de M. McIlvenna sur le fondement de l'article 41 est déraisonnable et doit être annulée.

[20]           Devant la Commission, la banque a affirmé que M. McIlvenna n'a pas qualité pour déposer une plainte. Elle affirme que seuls son fils et sa bru ont cette qualité. La Commission n'a pas statué sur cette question et nous ne ferons pas d'observations à cet égard.

[21]           Par conséquent, nous sommes d'avis d'accueillir l'appel avec dépens, tant en première instance qu'en appel, d'infirmer le jugement de la Cour fédérale, d'annuler la décision de la Commission, d'accueillir la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l'affaire à la Commission afin qu'elle procède à une enquête plus approfondie sur la plainte de M. McIlvenna.

 « David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

 

A-306-13

 

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE HUGHES LE 18 JUIN 2013, DOSSIER NO T-841-12

INTITULÉ :

ROBERT MCILVENNA c. LA BANQUE DE NOUVELLE‑ÉCOSSE (LA BANQUE SCOTIA)

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LES 16 ET 17 SEPTEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR 

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Andrew Astritis

Amanda Montague-Reinholdt

 

POUR L'APPELANT

 

George Vuicic

Cheryll Waram

 

POUR L'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'APPELANT

 

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

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