Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20140605


Dossier : A-149-14

Référence : 2014 CAF 145

 

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

 

ONTARIO FEDERATION

OF ANGLERS AND HUNTERS

 

appelante

- et -

 

 

BANDE INDIENNE D’ALDERVILLE, maintenant connue sous le nom de Première nation des Mississaugas d’Alderville, GIMAA JIM BOB MARSDEN, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation des Mississaugas d’Alderville, BANDE INDIENNE DE BEAUSOLEIL, maintenant connue sous le nom de Première nation de Beausoleil, GIMAA VALERIE MONAGUE, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Beausoleil, BANDE INDIENNE DES CHIPPEWAS DE GEORGINA ISLAND, maintenant connue sous le nom de Première nation des Chippewas de Georgina Island, GIMAANINIIKWE DONNA BIG CANOE, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation des Chippewas de Georgina Island, BANDE INDIENNE DES CHIPPEWAS DE RAMA, maintenant connue sous le nom de Première nation de Mnjikaning, GIMAANINIIKWE SHARON STINSON-HENRY, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Mnjikaning, BANDE INDIENNE DE CURVE LAKE, maintenant connue sous le nom de Première nation de Curve Lake, GIMAA KEITH KNOTT, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Curve Lake, BANDE INDIENNE DE HIAWATHA, maintenant connue sous le nom de Première nation de Hiawatha, GIMAANINIIKWE LAURIE CARR, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Hiawatha, BANDE INDIENNE DES MISSISSAUGAS DE SCUGOG, maintenant connue sous le nom de Première nation des Mississaugas de Scugog Island, GIMAANINIIKWE TRACY GAUTHIER, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation des Mississaugas de Scugog Island, SA MAJESTÉ LA REINE et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

 

intimés

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 5 juin 2014.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE WEBB


Date : 20140605


Dossier : A-149-14

Référence : 2014 CAF 145

 

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

ONTARIO FEDERATION

OF ANGLERS AND HUNTERS

appelante

- et -

 

BANDE INDIENNE D’ALDERVILLE, maintenant connue sous le nom de Première nation des Mississaugas d’Alderville, GIMAA JIM BOB MARSDEN, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation des Mississaugas d’Alderville, BANDE INDIENNE DE BEAUSOLEIL, maintenant connue sous le nom de Première nation de Beausoleil, GIMAA VALERIE MONAGUE, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Beausoleil, BANDE INDIENNE DES CHIPPEWAS DE GEORGINA ISLAND, maintenant connue sous le nom de Première nation des
Chippewas de Georgina Island,
GIMAANINIIKWE DONNA BIG CANOE, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation des Chippewas de Georgina Island, BANDE INDIENNE DES CHIPPEWAS DE RAMA, maintenant connue sous le nom de Première nation de Mnjikaning, GIMAANINIIKWE SHARON STINSON-HENRY, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Mnjikaning, BANDE INDIENNE DE CURVE LAKE, maintenant connue sous le nom de Première nation de Curve Lake, GIMAA KEITH KNOTT, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Curve Lake, BANDE INDIENNE DE HIAWATHA, maintenant connue sous le nom de Première nation de Hiawatha, GIMAANINIIKWE LAURIE CARR, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation de Hiawatha, BANDE INDIENNE DES MISSISSAUGAS DE SCUGOG, maintenant connue sous le nom de Première nation des Mississaugas de Scugog Island, GIMAANINIIKWE TRACY GAUTHIER, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation des Mississaugas de Scugog Island, SA MAJESTÉ LA REINE et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO  

intimés

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Est interjetté appel d’une ordonnance en date du 18 février 2014 par laquelle la Cour fédérale (le juge Mandamin) (2014 FC 155) a rejeté la requête en autorisation d’intervenir dans l’affaire Première nation des Mississaugas d’Alderville et autres c. Canada et autres (dossier T-195-92).

 

[2]               Je suis saisi en l’espèce des trois requêtes suivantes :

 

●          La requête relative au respect des délais. Les intimés autres que la Couronne fédérale et la Couronne ontarienne (les bandes indiennes intimées) ont présenté une requête en radiation de l’avis d’appel au motif qu’il a été déposé tardivement.

 

●          Requête contestant divers moyens d’appel. Les bandes indiennes intimées et la Couronne ontarienne ont présenté une requête par laquelle elles contestent divers passages de l’avis d’appel, principalement au motif qu’ils sont scandaleux, frivoles et vexatoires et qu’ils ne sont pas pertinents quant aux questions déférées à la Cour.

 

●          Requête visant à faire préciser le contenu du dossier d’appel. L’appelante sollicite une ordonnance l’autorisant à verser divers documents au dossier d’appel.

 

[3]               Je radierais l’avis d’appel au motif qu’il a été déposé tardivement et que l’appelante n’a pas droit à une prorogation de délai. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les requêtes portant sur le bien‑fondé des moyens d’appel ou le contenu du dossier d’appel.

 

A.                Faits à l’origine du litige

 

[4]               La Cour fédérale a rendu son jugement le 18 février 2014 sur la requête en intervention de l’appelante. L’appelante a présenté son avis d’appel 22 jours plus tard, soit le 12 mars 2014.

 

[5]               Pour savoir si l’avis d’appel a été déposé avant l’expiration du délai prescrit, il faut rechercher si le jugement de la Cour fédérale était définitif ou interlocutoire. Dans le premier cas, le délai est de 30 jours (à l’exclusion des mois de juillet et d’août) : alinéa 27(2)b) de la Loi sur les Cours fédérales. Dans le second, le délai prescrit est de 10 jours : alinéa 27(2)a) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[6]               Le greffe a reconnu que, si l’avis d’appel concerne une affaire interlocutoire, il a été déposé tardivement. Toutefois, s’il porte sur un jugement définitif, il a été déposé dans le délai prescrit. Le greffe ne savait pas avec certitude si le jugement de la Cour fédérale était définitif ou interlocutoire. Il a donc renvoyé l’avis d’appel à un juge de notre Cour pour qu’il lui donne des directives à cet égard.

 

[7]               Le 19 mars 2014, notre Cour (le juge Webb) a ordonné que le dépôt de l’avis d’appel soit accepté provisoirement. La Cour a toutefois confirmé le droit de toute partie de présenter une requête pour contester l’avis d’appel au motif qu’il porte sur une décision interlocutoire et qu’il a été déposé tardivement. Les bandes indiennes intimées ont présenté une telle requête.

 

B.                 Formation de la Cour aux fins de la présente requête

 

[8]               Si l’avis d’appel n’avait pas été déposé, un juge unique aurait pu statuer sur la question de savoir s’il avait été déposé conformément à l’article 72 ou à l’article 74 des Règles. Toutefois, dès lors qu’un avis d’appel est déposé, la Cour est saisie d’un appel. L’ordonnance annulant l’avis d’appel et prescrivant son retrait du dossier met fin à l’appel. L’ordonnance mettant fin à l’appel doit être rendue par une formation de trois juges (Rock-St Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192, au paragraphe 30).

 

[9]               Par conséquent, une formation collégiale de juges a été constituée pour trancher la requête en radiation de l’avis d’appel.

 

C.                Thèse des parties sur la requête en radiation de l’avis d’appel

 

[10]           Les bandes indiennes intimées affirment que l’avis d’appel qui a été présenté pour dépôt porte sur une question interlocutoire et qu’il a par conséquent été déposé tardivement.

 

[11]           L’appelante et la Couronne fédérale soutiennent que l’avis d’appel porte sur une décision définitive et qu’il a donc été déposé dans le délai prévu. Toutefois, s’il porte sur une question interlocutoire, l’appelante demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire nunc pro tunc pour accorder une prorogation du délai qui lui est imparti pour déposer son avis d’appel. Il n’est pas controversé entre l’appelante, les bandes indiennes intimées et la Couronne fédérale s’entendent pour dire que la Cour a le pouvoir d’accorder pareille prorogation de délai aux termes du paragraphe 27(2) de la Loi sur les Cours fédérales. La Couronne ontarienne n’a pas pris position au sujet de la requête.

 

D.                L’ordonnance de la Cour fédérale est‑elle interlocutoire ou définitive?

 

[12]           L’appelante et la Couronne fédérale citent toutes deux la jurisprudence Hollinger Inc. c. Ravelston Corp., 2008 ONCA 207, [2008] O.J. No 1126 (C.A.) relativement à la question de savoir si l’ordonnance de la Cour fédérale est interlocutoire ou définitive.

 

[13]           L’affaire Hollinger portait sur les Règles de procédure civile de l’Ontario, L.R.O. 1990, Règl. 194 (modifiées), tandis que la présente affaire relève de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (modifiée) et les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (modifiées) (les règles de procédure fédérales). La jurisprudence interprétant les règles de procédure ontariennes est de peu d’utilité en matière de règles procédurales fédérales.

 

[14]           Lorsque nous sommes appelés à interpréter des règles de procédure fédérales, notre mission consiste à examiner les mots précis employés dans les règles en question – et non dans les règles ontariennes – et à les interpréter à la lumière des dispositions connexes, spécialement celles dans lesquelles on trouve des définitions. Nous devons également examiner le rôle joué par ces mots dans le contexte plus général des règles et les objets du texte lui-même et des règles dans leur ensemble (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559).

 

[15]           Il est vrai que les règles ontariennes et les règles de procédure fédérales opèrent une distinction entre les décisions définitives et les décisions interlocutoires. Mais les similitudes s’arrêtent ici.

 

[16]           Dans les deux ensembles de règles, les concepts de la décision définitive et de la décision interlocutoire jouent un rôle différent et visent des objectifs distincts. Suivant les règles ontariennes, la distinction entre les décisions interlocutoires et les décisions définitives a une incidence sur le choix de la juridiction et sur l’opportunité de demander, ou non, l’autorisation d’appel; selon les règles de procédure fédérales, la distinction entre les questions interlocutoires et les questions définitives n’a d’incidence que sur la date limite pour déposer un avis d’appel.

 

[17]           La jurisprudence Hollinger, précitée, qui porte sur les règles ontariennes, reposait en partie sur le rôle que la distinction entre les décisions interlocutoires et les décisions définitives joue dans les règles en question.

 

[18]           Dans l’affaire Hollinger, un journal avait été débouté de sa requête en accès à un dossier de la Cour malgré l’existence d’une ordonnance préventive. La Cour d’appel a conclu que l’ordonnance déboutant le journal de sa requête était une décision définitive. Elle a fondé sa décision sur le fait que, si l’ordonnance était interlocutoire, le journal aurait de sérieuses difficultés à exercer son droit d’appel et qu’il devrait notamment saisir divers tribunaux de multiples appels en raison des conséquences des dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires (Hollinger, aux paragraphes 48 à 51). Ce problème ne se pose pas avec nos règles de procédure fédérales.

 

[19]           La jurisprudence Hollinger s’inscrit dans le sillage d’un courant jurisprudentiel ontarien suivant lequel on doit examiner l’effet de l’ordonnance sur l’intéressé pour rechercher si l’ordonnance est définitive ou interlocutoire. Dans l’affaire Hollinger, le rejet de la requête avait des conséquences définitives sur le journal en question.

 

[20]           Le libellé explicite des règles de procédure fédérales, et plus particulièrement des articles 2 et 27 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, fait obstacle à la thèse qu’il faut tenir compte de l’effet de l’ordonnance sur la partie qu’elle vise. Voici les dispositions pertinentes des articles en question :

*                    (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

*                    

*       « jugement définitif » Jugement ou autre décision qui statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d’une ou plusieurs des parties à une instance.

*        

[…]

*        (1) Il peut être interjeté appel, devant la Cour d’appel fédérale, des décisions suivantes de la Cour fédérale :

 

a) jugement définitif;

 

b) jugement sur une question de droit rendu avant l’instruction;

 

c) jugement interlocutoire;

 

 

d) jugement sur un renvoi d’un office fédéral ou du procureur général du Canada.

 

 

[…]

 

*     (2) L’appel interjeté dans le cadre du présent article est formé par le dépôt d’un avis au greffe de la Cour d’appel fédérale, dans le délai imparti à compter du prononcé du jugement en cause ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour d’appel fédérale peut, soit avant soit après l’expiration de celui-ci, accorder. Le délai imparti est de :

 

a) dix jours, dans le cas d’un jugement interlocutoire;

 

 

 

 

 

 

 

 

b) trente jours, compte non tenu de juillet et août, dans le cas des autres jugements.

 (1) In this Act,

 

 

 

“final judgment” means any judgment or other decision that determines in whole or in part any substantive right of any of the parties in controversy in any judicial proceeding;

 

 (1) An appeal lies to the Federal Court of Appeal from any of the following decisions of the Federal Court:

 

(a) a final judgment;

 

(b) a judgment on a question of law determined before trial;

 

(c) an interlocutory judgment; or

 

(d) a determination on a reference made by a federal board, commission or other tribunal or the Attorney General of Canada.

 

 

(2) An appeal under this section shall be brought by filing a notice of appeal in the Registry of the Federal Court of Appeal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) in the case of an interlocutory judgment, within 10 days after the pronouncement of the judgment or within any further time that a judge of the Federal Court of Appeal may fix or allow before or after the end of those 10 days; and

 

(b) in any other case, within 30 days, not including any days in July and August, after the pronouncement of the judgment or determination appealed from or within any further time that a judge of the Federal Court of Appeal may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

 

[21]           Pour être un « jugement définitif », il faut que l’ordonnance de la Cour fédérale « statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d’une ou de plusieurs des parties à une instance » (article 2 de la Loi sur les Cours fédérales). Le mot « instance » est constamment utilisé dans la Loi sur les Cours fédérales pour désigner l’affaire dont la Cour est saisie – notamment, une action ou une demande – et non un volet de l’affaire tel qu’une requête (voir, par ex. les paragraphes 17(4) et 17(5), l’article 23, et les paragraphes 36(1), 36(5) et 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[22]           En l’espèce, l’« instance » est l’action. L’appelante n’est pas partie à l’action. Les parties à l’action sont les bandes indiennes intimées, la Couronne fédérale et la Couronne ontarienne.

 

[23]           De plus, sur le fond, les droits de l’appelante ne sont pas en cause. Le droit d’intervenir n’est pas un droit matériel. Il s’agit d’un droit procédural de formuler des observations accordé à une partie pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la question de savoir si l’intéressé fait lui‑même valoir des droits matériels. Il n’est pas nécessaire que les intervenants disposent d’un droit matériel d’intervention et, souvent, ce droit ne leur a pas été reconnu (Canada (Procureur général c. Conseil de la bande de Pictou Landing, 2014 CAF 21).

 

[24]           En l’espèce, la Cour fédérale, en rejetant la requête en intervention de l’appelante, n’a statué sur aucun des droits matériels de l’appelante. Elle a plutôt refusé à l’appelante le droit procédural d’avoir un mot à dire dans une instance portant sur les droits matériels d’autres personnes.

 

[25]           Autrement dit, l’ordonnance de la Cour fédérale tranche la demande de participation de l’appelante, et non un droit que l’appelante revendiquerait pour obtenir une sanction pour elle-même en vertu d’un moyen reconnu par la constitution, la loi ou la common law.

 

[26]           Mes conclusions à cet égard s’appuient sur la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle l’ordonnance frappée d’appel qui ne tranche pas de droits matériels est une ordonnance interlocutoire (Reebok Canada c. Canada (Ministre du Revenu national) (1995) 179 N.R. 300 (C.A.F.) (ordonnance accordant l’autorisation d’appel); Simpson Strong‑Tie Co. c. Peak Innovations Inc., 2008 CAF 235 et 2008 CAF 236 (ordonnance refusant l’autorisation de modifier une déclaration d’opposition); Canada (Procureur général) c. Hennelly (1995), 185 N.R. 389 (C.A.F.) (ordonnance refusant de proroger le délai imparti pour déposer un dossier de demande). Précisons que les affaires Simpson Strong-Tie Co. et Hennelly portaient sur des faits analogues à ceux de la présente affaire.

 

[27]           Je conclus, par conséquent, que l’ordonnance de la Cour fédérale n’était pas un « jugement définitif », mais qu’il s’agissait plutôt d’une ordonnance interlocutoire. L’appelante devait déposer son avis d’appel dans les 10 jours suivant le prononcé de l’ordonnance de la Cour fédérale. Or, elle n’a pas respecté ce délai. Sauf si l’appelante a droit à une prorogation de délai, l’avis d’appel doit être retiré du dossier de la Cour.

 

E.                 L’appelante a‑t‑elle droit à une prorogation de délai?

 

[28]           L’alinéa 27(2)a) permet aux juges de notre Cour d’accorder à l’appelant une prorogation du délai qui lui est imparti pour déposer son avis d’appel.

 

[29]           Les facteurs suivants sont pertinents lorsque notre Cour est appelée à exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une demande de prorogation de délai :

 

(1)   l’intention constante de poursuivre l’appel;

 

(2)   l’existence d’un certain fondement;

 

(3)   les parties à l’appel n’ont pas subi de préjudice;

 

(4)   l’existence d’une explication raisonnable pour justifier le retard.

 

(Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, au paragraphe 62. L’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances particulières de l’espèce.

 

[30]           De plus, il n’est pas nécessaire que chacun de ces quatre facteurs milite en faveur de la demande de l’appelante. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » (Grewal, à la page 282). Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l’ordinaire, d’autres questions peuvent s’avérer pertinentes. La considération primordiale est de savoir si la prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice (voir, de façon générale, Grewal, aux pages 278 et 279).

 

[31]           La question de savoir si l’appelante a manifesté une intention constante de poursuivre l’appel et a une explication raisonnable pour justifier son retard exige qu’elle présente des éléments de preuve. Les simples affirmations formulées par l’appelante dans ses observations écrites ne constituent pas des éléments de preuve. En l’espèce, l’appelante n’a pas déposé d’affidavit à l’appui de sa requête en prorogation de délai. La Cour ne dispose donc d’aucun élément de preuve sur ces questions.

 

[32]           De plus, à mon avis, l’appelante n’a pas démontré que l’appel avait un certain fondement.

 

[33]           L’appelante n’attaque pas le critère juridique que la Cour fédérale a appliqué. On pourrait plutôt dire que l’appelante fait vigoureusement grief à la Cour fédérale d’avoir mal exercé son pouvoir discrétionnaire.

 

[34]           L’exercice par la Cour fédérale de son pouvoir discrétionnaire fut dicté par son appréciation des faits. Dans le présent appel, la norme de contrôle applicable est donc celle de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). Le critère de l’erreur manifeste et dominante est exigeant :

 

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services, (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; [Waxman c. Waxman (2004), 186 O.A.C. 201, aux paragraphes 278 à 284]. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

 

(Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165)

 

[35]           La Cour fédérale a énoncé plusieurs conclusions à l’appui de son ordonnance, notamment :

 

●          la question à l’égard de laquelle l’appelante souhaitait intervenir n’était pas formulée dans l’action;

 

●          l’appelante cherche à soulever une nouvelle question dans le cadre de l’action;

 

●          la Cour fédérale n’a pas besoin de l’aide de l’appelante pour rechercher si la jurisprudence R. c. Howard, [1994] 2 R.C.S. 299 la lie;

 

●          l’appelante était au courant de l’action avant l’ouverture du procès, mais a tardé à présenter sa requête et a attendu que le procès soit en cours depuis un bon moment avant de la présenter;

 

●          les autres parties subiront un préjudice en raison de la complexité accrue et des coûts supplémentaires;

 

●          la Cour n’a pas besoin de l’aide de l’appelante vu l’importance et la connaissance des parties actuelles à l’instance.

 

[36]           L’appelante ne discute pas bon nombre de ces conclusions. Elle n’explique par ailleurs aucunement en quoi ces conclusions seraient entachées d’erreurs manifestes et dominantes. Elle cherche plutôt à plaider de nouveau le bien‑fondé de sa requête et à plaider en réalité le fond de sa thèse dans l’action si elle est autorisée à intervenir.

 

[37]           L’appelante soutient également que la Cour fédérale avait un parti pris parce qu’elle a refusé de réagir à la rhétorique agressive de l’avocat de la partie adverse à l’encontre de la requête. Le critère de la partialité est exigeant; il s’agit d’une allégation sérieuse qui ne doit pas être prise à la légère (R. c. S.(R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 113; Es‑Sayyid c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 59, au paragraphe 50). Les juges sont habitués aux excès de langage des avocats trop enthousiastes et à leurs arguments parfois cinglants. Les juges ne se laissent pas égarer par ce genre de plaidoirie. D’ailleurs, de telles plaidoiries ont plutôt l’effet contraire : elles rebutent. Les arguments avancés par l’appelante au sujet du parti pris n’ont aucun fondement discernable.

 

[38]           Par les motifs qui ont été exposés, l’appelante n’a pas droit à la prorogation de délai.

 

F.                 Dispositif proposé

 

[39]           L’avis d’appel a été déposé tardivement et l’appelante n’a pas droit à la prorogation de délai. Par conséquent, j’ordonnerais que l’avis d’appel soit retiré du dossier et que le dossier A‑149‑14 soit clos, et j’adjugerais les dépens aux bandes indiennes intimées.

 

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

       Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

       Wyman W. Webb, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-149-14

 

INTITULÉ :

ONTARIO FEDERATION OF ANGLERS AND HUNTERS c. BANDE INDIENNE ALDERVILLE et autres

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LES JUGES TRUDEL ET WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUIN 2014

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Timothy Danson

Marjan Delavar

 

pOUR L’appelante

 

Denis W. Brown, c.r.

 

POUR L’INTIMÉE SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

 

Owen Young

POUR L’INTIMÉE SA MAJESTÉ LA REINE

Peter W. Hutchins

POUR LES INTIMÉS AUTRES QUE SES MAJESTÉS INTIMÉES


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Danson, Recht, LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Ministère du Procureur général

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE SA MAJESTÉ LA REINE

Hutchins Legal Inc.

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉS AUTRES QUE SES MAJESTÉS INTIMÉES

 

 

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