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Date : 20140602


Dossier : A‑268‑13

Référence : 2014 CAF 144

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

 

ENTRE :

BOB RAFIZADEH

appelant

et

LA BANQUE TORONTO DOMINION

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 mai 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 


Date : 20140602


Dossier : A‑268‑13

Référence : 2014 CAF 144

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

 

ENTRE :

BOB RAFIZADEH

appelant

et

LA BANQUE TORONTO DOMINION

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               La Cour est saisie de l’appel de la décision du juge Hughes (2013 CF 781) de rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Rafizadeh à l’encontre d’une décision arbitrale datée du 20 février 2013.

[2]               M. Rafizadeh était employé par la Banque Toronto Dominion (la TD) comme spécialiste hypothécaire mobile. En décembre 2010, M. Rafizadeh a été congédié par la TD, qui soutient que son congédiement était justifié. M. Rafizadeh conteste cette prétention, et il a déposé, en vertu des dispositions du Code canadien du travail, LRC 1985, ch. L‑2 (CCT), une plainte de congédiement injuste. Stephen Raymond a été désigné comme arbitre chargé d’entendre la plainte.

[3]               Dans le cadre de la procédure d’arbitrage, l’arbitre a rendu une ordonnance en juin 2012 enjoignant à la TD de produire certains documents, et enjoignant à M. Rafizadeh de produire tout document qu’il entendait invoquer à l’audience. Parmi les documents communiqués par M. Rafizadeh, il y avait une copie papier des courriels échangés le 9 août 2010 entre lui et son gestionnaire/superviseur, Craig Morrison, et des courriels que se sont échangés le 15 juillet 2009 M. Rafizadeh et Jay Nicholson, vice‑président adjoint et directeur de district à la TD (qui était en outre le gestionnaire/superviseur de Craig Morrison). Selon M. Rafizadeh, ces courriels confirment que, comme il le fait valoir, la TD n’avait aucun motif de le congédier. La TD a contesté la validité de ces courriels et, les 15 et 17 octobre 2012, ainsi que le 14 janvier 2013, des audiences ont eu lieu afin de décider de leur validité.

[4]               Ayant conclu que M. Rafizadeh avait en fait fabriqué les courriels en question, l’arbitre a rejeté la plainte sans se prononcer sur le fond de l’affaire. M. Rafizadeh a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision et, ainsi que nous l’avons vu plus haut, sa demande a été rejetée.

[5]               Il ressort du mémoire des faits et du droit produit par M. Rafizadeh et des arguments qu’il a fait valoir lors de l’audition de son appel, qu’il soulève pour l’essentiel la question du caractère raisonnable de la décision, et celle de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

I.                   Le caractère raisonnable de la décision

[6]               M. Rafizadeh a manifesté un grand mécontentement à l’égard de la décision de l’arbitre. Il est notamment mécontent du fait qu’il ne se soit pas prononcé sur le fond, sa plainte ayant simplement été rejetée après que l’arbitre eut conclu que les courriels en question étaient des faux. Dans le cadre du présent appel, la Cour doit déterminer si le juge de la Cour fédérale a correctement déterminé et appliqué la norme de contrôle appropriée lors de l’examen de la décision de l’arbitre. Personne ne conteste que la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre est celle de la décision raisonnable. C’est effectivement la norme qu’a appliquée le juge de la Cour fédérale.

[7]               L’arbitre a examiné les éléments de preuve qui lui ont été présentés sur le point de savoir si les courriels en question étaient effectivement des faux, et il a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils avaient effectivement été falsifiés. Dans sa décision, l’arbitre a relevé ce qui suit :

[traduction]
Après avoir soupesé tous les éléments de preuve, je ne peux tirer, selon la prépondérance des probabilités, aucune autre conclusion que celle portant que les courriels ont été fabriqués. D’une part, j’ai entendu le témoignage du plaignant selon lequel il n’avait pas fabriqué les courriels. Il a déclaré clairement qu’il n’aurait pas su comment faire. Il a défendu sa réputation et sa moralité avec énergie, se déclarant un homme de grands principes et professionnel. D’autre part, j’ai entendu 1) le témoignage du vérificateur interne qui a déclaré que les courriels n’existaient pas dans les inscriptions journalisées, 2) le témoignage de M. Nicholson selon lequel il n’avait ni envoyé ni reçu ces courriels, 3) le témoignage de M. Morrison selon lequel il n’avait ni envoyé ni reçu ces courriels. Bien que le plaignant ait contre interrogé ces trois personnes, elles n’ont pas dérogé de leur position sur cette question clé de la preuve. Les courriels auraient dû se trouver dans les inscriptions journalisées qui sont gardées perpétuellement. Ils ne l’étaient pas. Par conséquent, M. Nicholson n’avait ni envoyé ni reçu les courriels.

Selon la prépondérance de la preuve, je n’ai d’autre choix que de conclure que les courriels ont été fabriqués. Il se peut que, si le plaignant avait été représenté par un avocat compétent (comme il l’aurait été s’il avait choisi Me Heeney ou Me Fox pour le représenter), il ait peut‑être pu être en mesure de présenter des éléments de preuve pour me convaincre du contraire. J’avais devant moi un plaignant non représenté qui, malgré mes tentatives de l’informer de façon équitable de la procédure à suivre, n’était pas en mesure de réunir des éléments de preuve convaincants. D’autre part, l’avocate de la banque a présenté les éléments de preuve nécessaires pour me convaincre que je pouvais uniquement conclure que les courriels étaient fabriqués. Le témoignage des trois témoins a établi les faits énoncés dans l’avis de requête. Je suis convaincu que les courriels ont été fabriqués.

[8]               Selon le juge de la Cour fédérale, cette décision est raisonnable et je suis d’accord avec sa conclusion sur ce point. C’était une simple conclusion de fait à laquelle le juge des faits est parvenu sur la base des témoignages entendus et des éléments de preuve au dossier. Lors de l’examen de la preuve, l’arbitre a évalué la crédibilité des témoins. M. Rafizadeh a fait valoir qu’il y avait un certain nombre de contradictions dans le témoignage des témoins appelés par la TD, et il a soutenu que ces témoins s’étaient parjurés. L’allégation de parjure est une allégation grave, qui ne peut être étayée par la simple affirmation qu’il n’est pas vraisemblable qu’un témoin se souvienne avoir reçu ou envoyé un courriel deux ou trois ans plus tôt, alors que chaque jour il en envoie et en reçoit un grand nombre. Une telle affirmation n’est qu’un des facteurs que le juge des faits doit prendre en compte pour apprécier la crédibilité. En l’occurrence, l’arbitre a, sur les principaux points, retenu le témoignage des témoins appelés par la TD, et les conclusions auxquelles il est parvenu sur la question de la crédibilité appellent la déférence (Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203 au paragraphe 62).

[9]               La TD était uniquement tenue d’établir selon la prépondérance des probabilités (c.‑à‑d., qu’il était plus probable qu’improbable) que les courriels en question avaient été fabriqués. Elle n’était pas tenue d’établir ce fait au‑delà de tout doute raisonnable. Puisque la demande de contrôle judiciaire vise la décision de l’arbitre, il s’agit de déterminer si celle‑ci est raisonnable. Comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Sa Majesté la Reine du chef de la province du Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 :

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[10]           Il était raisonnable de conclure que les courriels en question avaient été fabriqués. Cela étant, il était raisonnable de rejeter la plainte déposée par M. Rafizadeh. Ces décisions appartiennent toutes deux aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

II.                La crainte raisonnable de partialité

[11]           M. Rafizadeh soutient que l’arbitre a fait preuve de partialité. Dans l’arrêt R. c. S.(R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, le juge Cory a énoncé ce qui suit :

111     Dans ses motifs de dissidence dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, le juge de Grandpré a exposé avec beaucoup de clarté la façon dont il convient d’appliquer le critère de la partialité :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique... »

C’est ce critère qui a été adopté et appliqué au cours des deux dernières décennies. Il comporte un double élément objectif: la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle‑même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire. Voir les décisions Bertram, précitées, aux pp. 54 et 55; Gushman, précitée, au par. 31. La personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris [traduction] « des traditions historiques d’intégrité et d’impartialité, et consciente aussi du fait que l’impartialité est l’une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter » : R. c. Elrick, [1983] O.J. No. 515 (H.C.), au par. 14. Voir aussi Stark, précité, au par. 74; R. c. Lin, [1995] B.C.J. No. 982 (C.S.), au par. 34. À ceci j’ajouterais que la personne raisonnable est également censée connaître la réalité sociale sous‑jacente à une affaire donnée, et être sensible par exemple à l’ampleur du racisme ou des préjugés fondés sur le sexe dans une collectivité donnée.

112     L’appelant a fait valoir que le critère exige que soit démontrée une « réelle probabilité » de partialité, par opposition au « simple soupçon ». Cet argument paraît inutile à la lumière des justes observations du juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, précité, aux pp. 394 et 395 :

Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l’on retrouve dans la jurisprudence, qu’il s’agisse de « crainte raisonnable de partialité », « de soupçon raisonnable de partialité », ou « de réelle probabilité de partialité ». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ». [Je souligne.]

Néanmoins, la jurisprudence anglaise et canadienne appuie avec raison la prétention de l’appelant selon laquelle il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant. Voir R. c. Camborne Justices, Ex parte Pearce, [1954] 2 All E.R. 850 (Q.B.D.); Metropolitan Properties Co. c. Lannon, [1969] 1 Q.B. 577 (C.A.); R. c. Gough, [1993] 2 W.L.R. 883 (H.L.); Bertram, précité, à la p. 53; Stark, précité, au par. 74; Gushman, précité, au par. 30.

[12]           À l’audition de sa demande de contrôle judiciaire, M. Rafizadeh a fait valoir que le fait que l’arbitre ait autrefois été un associé du cabinet d’avocats Hicks Morley, qui représentait la TD, démontre bien l’existence d’une réelle probabilité de partialité. L’arbitre a effectivement été un associé de ce cabinet d’avocats, mais a cessé de l’être en 2000 à l’époque où il a joint les rangs de la Commission des relations de travail de l’Ontario. Lors de l’audition de son appel, M. Rafizadeh a déclaré ne plus soutenir que l’arbitre était partial parce qu’il avait fait partie du cabinet Hicks Morley, et que c’était plutôt son comportement qui témoignait de l’existence d’une réelle probabilité de partialité.

[13]           M. Rafizadeh a plus particulièrement insisté sur l’approche que l’arbitre a adoptée en janvier 2012 concernant la divulgation des courriels. À cette date, lors d’une réunion avec l’arbitre et les représentants de la TD, M. Rafizadeh a fait savoir qu’il avait en sa possession une copie papier de certains courriels importants qu’il avait échangés avec son gestionnaire. Bien qu’il fût réticent à communiquer cette copie papier, il s’est résigné à le faire sur l’insistance de l’arbitre. La copie papier des courriels qui a été communiquée à ce stade contenait une série de courriels que M. Rafizadeh et M. Craig Morrison s’étaient échangés le 17 juillet 2009 et le 20 juillet 2009. Ce ne sont pas les courriels qui ont été jugés faux par l’arbitre. La copie papier de ceux‑ci a été communiquée en vertu d’une ordonnance rendue par l’arbitre en juin 2012. M. Rafizadeh prétend qu’après avoir reçu la copie papier des courriels en janvier 2012, la TD aurait supprimé de son système les autres courriels qui ont été jugés faux. M. Rafizadeh n’a de cela aucune preuve, et ne fait que soupçonner que c’est ce qui s’est passé.

[14]           Le fait d’insister pour que la partie qui a en sa possession un document pertinent le communique à la partie adverse avant la tenue d’une audience sous le régime du CCT ne saurait susciter une crainte raisonnable de partialité. Cela fait simplement partie du processus de communication qui doit avoir lieu avant la tenue de l’audience.

[15]           M. Rafizadeh ne fait que soupçonner que l’arbitre a fait preuve de partialité. Mais de simples soupçons ne suffisent pas. Je suis donc d’avis de rejeter l’appel sur la question de la crainte raisonnable de partialité.

III.             Les dépens

[16]           Le juge de la Cour fédérale a condamné M. Rafizadeh à payer des dépens de 10 000 $ en raison du fait que M. Rafizadeh a formulé des allégations de fraude et de parjure qui ne sont pas fondées. Dans le cadre du présent appel, M. Rafizadeh a de plus formulé des allégations de collusion (sans aucune preuve) ainsi que de parjure. Il s’agit de graves allégations et la personne qui les formule doit être en mesure d’en faire la preuve. Les simples soupçons ne suffisent pas. En outre, le simple fait d’affirmer que des déclarations des témoins sont contradictoires, ou de mettre en doute que des témoins ayant déclaré ne pas avoir envoyé certains courriels deux ou trois ans auparavant puissent se souvenir de ces faits, ne prouve aucunement qu’il se sont parjurés. Étant donné que M. Rafizadeh a formulé ces allégations, il lui incombait de les prouver. Il ne suffit pas de formuler une allégation.

[17]           J’accorderais la somme de 2 500 $ au titre des dépens.

IV.             Dispositif proposé

[18]           En conséquence, je rejetterais l’appel, avec dépens fixés à 2 500 $.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord. 

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord. 

D.G. Near, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A‑268‑13

 

INTITULÉ :

BOB RAFIZADEH c. LA BANQUE TORONTO DOMINION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS ET LE JUGE NEAR

 

DATE :

LE 2 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Pour son propre compte

 

POUR L’appelant

 

Frank Cesario

Jacqueline Luksha

 

POUR L’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

 

POUR L’APPELANT

 

HICKS MORLEY HAMILTON

STEWART STORIE LLP

 

POUR L’intimée

 

 

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