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Date : 20140121


Dossier :

A‑131‑13

 

Référence : 2014 CAF 11

CORAM :     

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

IRENE BREMSAK

 

demanderesse

et

l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Kathleen Kerr

GEOFF KENDELL

STEPHEN Y. LEE

SIDDIQ ANSARI

TERRY PETERS

QUINTON JANSEN

Gary Corbett

DON BURNS

DAVID GRAY

DAN JONES

EVAN HEIDINGER

AL RAVJIANI

HELENE ROGERS

MARILYN BEST

ROBERT BOWIE‑REED

YVON BODEUR

RICHARD DEPUIS

ROBERT HUNTER

PASCAL JOSEPH

SEAN O’REILLY

JOE PODREBARAC

NITA SAVILLE

GEOFFREY GRENVILLE‑WOOD

ISABELLE ROY

PAUL GODIN

 

défendeurs

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 9 décembre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

 

LE JUGE NEAR

 

 


Date : 20140121


Dossier :

A‑131‑13

 

Référence : 2014 CAF 11

CORAM :     

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

IRENE BREMSAK

 

demanderesse

et

l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Kathleen Kerr

GEOFF KENDELL

STEPHEN Y. LEE

SIDDIQ ANSARI

TERRY PETERS

QUINTON JANSEN

Gary Corbett

DON BURNS

DAVID GRAY

DAN JONES

EVAN HEIDINGER

AL RAVJIANI

HELENE ROGERS

MARILYN BEST

ROBERT BOWIE‑REED

YVON BODEUR

RICHARD DEPUIS

ROBERT HUNTER

PASCAL JOSEPH

SEAN O’REILLY

JOE PODREBARAC

NITA SAVILLE

GEOFFREY GRENVILLE‑WOOD

ISABELLE ROY

PAUL GODIN

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire dirigée contre une décision par laquelle la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a rejeté la plainte déposée par Mme Bremsak (la demanderesse) contre son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’Institut), et ses employés et membres nommés (collectivement, les défendeurs), de même que ses demandes en obtention du consentement de la Commission à ce qu’elle intente des poursuites contre les défendeurs en vertu des articles 200 et 202 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi) (2013 CRTFP 22) [Bremsak 15].

 

[2]               Le présent contentieux s’inscrit dans une longue série de procédures qui ont amené à maintes reprises les parties devant notre Cour. La saga judiciaire a commencé en 2007, lorsque Mme Bremsak, dirigeante élue de l’Institut, a déposé sa première plainte auprès de la Commission. Elle alléguait alors que l’Institut lui avait imposé une sanction disciplinaire discriminatoire après que son conseil d’administration eut présenté des excuses en son nom pour des commentaires qu’elle avait faits au sujet d’un autre membre.

 

[3]               Peu après, l’Institut a adopté la Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs (la PRMPOE), qui prévoit que le membre élu ou nommé à un poste qui renvoie à un processus externe une affaire qui aurait dû être traitée en suivant la procédure interne de l’Institut est automatiquement suspendu temporairement. En application de la PRMPOE, Mme Bremsak a fait l’objet d’une suspension temporaire de ses postes électifs et nommés en raison de sa première plainte à la Commission. Elle a contesté avec succès cette mesure disciplinaire et a obtenu une ordonnance enjoignant à l’Institut de la réintégrer dans ses fonctions.

 

[4]               Malgré l’ordonnance, Mme Bremsak n’a jamais été réintégrée. Qui plus est, alors que la demanderesse cherchait à faire exécuter cette ordonnance, le comité exécutif de l’Institut a, le 20 octobre 2009, suspendu Mme Bremsak pour cinq ans à la suite d’une enquête indépendante portant sur des plaintes en harcèlement portées contre elle par d’autres membres de l’Institut. L’enquête a été menée par un enquêteur indépendant engagé par l’Institut. La suspension a eu pour conséquence de rendre la demanderesse inhabile à occuper une charge à l’Institut pendant la durée de la suspension.

 

[5]               La décision de la Commission visée par la présente procédure en contrôle judiciaire, Bremsak 15, porte plus précisément sur trois demandes faites par la demanderesse à la Commission, par lesquelles elle allègue que l’Institut s’est livré à des pratiques déloyales au sens de l’article 188 de la Loi, car :

 

a)         elle n’a pas été réintégrée dans ses postes électifs;

b)         elle a fait l’objet d’un acte de représailles commis par certains membres de l’Institut qui ont décidé de déposer des plaintes de harcèlement contre elle;

c)         elle a été suspendue pour cinq ans de son statut de membre de l’Institut;

 

[6]               Dans un exposé des motifs exhaustif, la Commission a rejeté les plaintes de Mme Bremsak et, par voie de conséquence, refusé de consentir à ce qu’elle intente des poursuites contre les défendeurs. La Commission a jugé que les plaintes relatives à la réintégration et aux représailles constituaient un abus de procédure (Bremsak 15, au paragraphe 500). Quant à la suspension pour cinq ans, la Commission a estimé qu’elle était appuyée sur un « motif rationnel lié à l’inconduite de Mme Bremsak », qui « a[vait] commis des actes de harcèlement envers d’autres membres […] pendant plus d’un an » (Bremsak 15, au paragraphe 497).

 

La thèse de la demanderesse

 

[7]               Par son avis de demande, Mme Bremsak soutient que la Commission a commis plusieurs erreurs de droit et de fait qui justifieraient que notre Cour renvoie l’affaire à la Commission afin qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre membre. Elle soutient essentiellement que la Commission a commis une erreur de droit en ne concluant pas que l’Institut avait violé son droit à l’équité procédurale et à la justice naturelle. À ses dires, cette conclusion prouve [traduction] « le parti pris [du commissaire Love] au détriment de la protection de membres individuels, victimes des pratiques déloyales du syndicat » (avis de demande, au paragraphe 25). Cette accusation contre le commissaire Love est très grave et va au cœur de sa compétence. J’entends l’écarter immédiatement en disant qu’il n’y a pas un gramme de preuve qui me permette de mettre doute l’impartialité du commissaire Love, qui a rédigé la décision en cause de la Commission.

 

[8]               De plus, Mme Bremsak soutient que la Commission a commis de multiples erreurs de fait et de droit dans son appréciation de la preuve, dans le traitement qu’elle a fait des conclusions de l’enquêteur et dans sa compréhension de l’incidence d’une décision antérieure rendue par la Commission, Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Rogers, 2009 CRTFP 64. Dans la décision Veillette, la Commission a conclu que les dispositions de la PRMPOE de l’Institut, sur lesquelles celui‑ci s’était fondé pour justifier la première suspension de Mme Bremsak, violaient la Loi. Pour toutes ces raisons, la décision était déraisonnable selon Mme Bremsak.

 

La norme de contrôle

 

[9]               Les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43), alors que les autres questions soulevées par Mme Bremsak, qui sont au mieux des questions mélangées de fait et de droit, doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Comme l’enseigne la Cour suprême du Canada par la jurisprudence Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], au paragraphe 47 :

 

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[10]           Après un examen attentif du dossier et des observations écrites et orales des parties, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis des erreurs justifiant une intervention en appel. Ni la Commission ni l’Institut n’a privé Mme Bremsak de son droit à l’équité procédurale. De plus, la décision est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je vais maintenant examiner chacune des allégations de Mme Bremsak, en commençant par la question de l’équité procédurale.

 

Analyse

            a)         L’équité procédurale

[11]           L’avocat de la demanderesse a avancé quatre raisons précises à l’appui du point de vue de sa cliente selon lequel on a manqué à son endroit à l’équité procédurale. Trois de ces raisons concernent le comité exécutif de l’Institut et ses membres :

 

i)          La demanderesse ne s’était pas vu offrir la possibilité de présenter des observations au comité avant l’imposition de la suspension de cinq ans.

ii)         Les motifs donnés pour justifier la suspension étaient insuffisants.

iii)        Les membres du comité exécutif étaient en conflit d’intérêts, notamment parce qu’ils s’étaient rendus coupables d’outrage au tribunal relativement à l’ordonnance de réintégration, à la suite de quoi la Cour fédérale avait imposé à l’Institut une amende de 400 000 $. De plus, ils avaient bénéficié des services juridiques de l’avocat de l’Institut pour se défendre contre la plainte de représailles de Mme Bremsak déposée le 29 juin 2009, soit bien avant la décision du comité exécutif, datée du 15 octobre 2009, de la suspendre pour cinq ans (voir les paragraphes 122 et suivants du mémoire des faits et du droit de la demanderesse).

 

[12]           La quatrième raison concerne la Commission. En plus de l’allégation générale visant le commissaire Love, que j’ai discutée au paragraphe [7] des présents motifs, la demanderesse allègue que la Commission aurait dû accueillir son moyen tiré de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982 (R.U.), ch. 11 (la Charte). Elle explique, au paragraphe 160 de son mémoire des faits et du droit :

 

[traduction] Le commissaire Love a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’appelante s’était livrée à des actes de harcèlement en donnant un avis légitime et conforme à la Loi afin de protéger ses droits. L’interprétation de Mme Bremsak selon laquelle la suspension violait la Loi (confirmée dans Bremsak 2) et sa déclaration au sujet de l’article 200 de la Loi [lequel porte sur les infractions que commet et les amendes qu’encourt la personne qui contrevient à l’article 188 de la Loi] sont protégées par le principe de la liberté d’expression.

 

[13]           Je suis d’avis que la Commission a dûment tenu compte des préoccupations de Mme Bremsak au sujet de l’équité procédurale (voir Bremsak 15, aux paragraphes 463 et suivants). Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 79, la Cour suprême du Canada définit comme suit l’équité procédurale :

 

L’équité procédurale est un fondement du droit administratif canadien moderne. Les décideurs publics sont tenus de faire preuve d’équité lorsqu’ils prennent des décisions touchant les droits, les privilèges ou les biens d’une personne. Le principe paraît simple, mais son application n’est pas toujours facile. Comme on l’a signalé maintes fois, « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (renvois omis) [non souligné dans l’original].

 

[14]           Il convient de noter ici que la Commission a tenu compte du contexte des relations de travail au regard de la procédure en cours. Après avoir examiné la Politique sur le harcèlement de l’Institut (dossier de demande des défendeurs, volume 3, onglet 56, à la page 590) et la Politique de règlement des différends de 2009 (dossier de demande des défendeurs, volume 1, onglet 17, à la page 112) (collectivement, les politiques), la Commission a d’abord déclaré que les politiques constituent « une approche moderne permettant de régler les différends en matière de harcèlement et de régir les mesures disciplinaires que l’agent négociateur doit imposer » et qu’elles ne transgressent pas la Loi (Bremsak 15, au paragraphe 463). Elle a ajouté que « le modèle adopté par l’Institut pour encadrer le processus disciplinaire dans cette affaire était suffisamment équitable sur le plan procédural pour rendre une décision sur le fond de ce différend » (ibidem, au paragraphe 464). Ainsi, la procédure que devait suivre Mme Bremsak était adéquate; elle était « au courant des plaintes déposées contre elle et a eu pleinement l’occasion de participer aux enquêtes » (ibidem), mais elle « a choisi ne pas participer pleinement à l’enquête » (ibidem, au paragraphe 467).

 

[15]           La Commission a donc conclu que le processus de règlement des différends de l’Institut n’avait été ni discriminatoire, ni arbitraire ou autrement déraisonnable. J’estime que la  Commission n’a commis aucune erreur en tirant cette conclusion. J’examinerai maintenant les motifs précis de la plainte soulevés par la demanderesse.

 

i)          L’absence d’observations sur la mesure

[16]           Lors de l’audition de la présente demande, la demanderesse a insisté sur le fait qu’on ne lui avait pas donné la possibilité de se faire entendre sur la mesure. La Commission apporte une réponse pleine et entière à ce motif de plainte. Elle fait observer que la Politique de règlement des différends de 2009 prévoit que le plaignant peut interjeter de la décision du comité exécutif de l’Institut devant le conseil d’administration de l’Institut, mais la demanderesse ne s’est pas prévalue de ce droit, lequel inclut le droit de présenter des observations écrites à l’appui de l’appel. La Commission conclut que « le fait qu’elle n’a pas exercé son droit de faire appel annule toute possibilité d’alléguer que l’Institut n’a pas adhéré aux principes de la justice naturelle dans le processus suivi dans son cas » (Bremsak 15, au paragraphe 470). Je suis d’accord.

 

ii)         Le caractère adéquat des motifs

[17]           La Commission a aussi commenté la pertinence des motifs invoqués à l’appui de la suspension de la demanderesse. Elle a estimé que l’Institut avançait des « raisons convaincantes » pour la suspendre. Il est écrit dans la lettre de suspension :

 

[traduction] Par votre comportement, vous avez démontré une tendance à menacer et à intimider les membres. Une telle conduite n’a aucune place dans notre organisation. Vous avez posé des gestes qui ont créé un environnement toxique et ont mené certains membres, auparavant dévoués, à remettre en question leur participation à l’Institut. Ce comportement ne sera ni accepté ni toléré par l’Institut (Bremsak 15, au paragraphe 487).

 

[18]           La conclusion de la Commission est raisonnable compte tenu des faits, des conclusions de l’enquêteur et de l’issue finale.

 

iii) Le conflit d’intérêts

[19]           Il reste l’allégation de la demanderesse quant à la partialité des membres du comité exécutif (voir les paragraphes 122 et 123 de son mémoire des faits et du droit) en raison de leur conflit d’intérêts présumé. La conclusion de la Commission sur cette question se trouve au paragraphe 473 de Bremsak 15. Se fondant sur les décisions Beaven c. Syndicat des travailleurs en télécommunications, (1996), 100 di 96, [1996] 32 C.L.R.B.R. (2d) 230 [Beaven] et Tomko c. Nova Scotia (Labour Relations Board), [1974] N.S.J. no 20 (C.A.), confirmé pour d’autres motifs par [1975] A.C.S. no 111, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les membres du comité exécutif [traduction] « [...] n’étaient pas motivés à tirer des conclusions honnêtes concernant les faits dans cette affaire [...] ». À l’audition de la demande, l’avocat de la demanderesse a contesté la formulation du critère pour tirer une conclusion de partialité.

 

[20]           Le critère qu’a appliqué la Commission avait déjà été employé pour rechercher s’il y avait eu partialité en matière de relations de travail (Association des employeurs maritimes et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 375, [1997] D.A.T.C. no 314; Association internationale des travailleurs du métal en feuille, section locale 437 c. 048545 N.B. Ltd., [1994] N.B.I.R.D. no 23). Dans la décision Beaven, le Conseil canadien des relations de travail définit au paragraphe 60 le critère pour établir la partialité d’un tribunal syndical :

 

Pour en arriver à cette conclusion dans Val Udvarhely [(1979), 35 di 87; [1979] 2 Can L.R.B.R. 569)], le Conseil a évoqué et adopté le critère suivant, élaboré par le Conseil privé, relatif à la partialité d’un tribunal syndical; voir White et al. v. Kuzych, [1951] 3 D.L.R [White].

 

            Quels que puissent être les détails exacts, leurs Seigneuries sont forcées de conclure qu’il existait, avant et après le procès, chez de nombreux membres du syndicat, un vif ressentiment à l’égard de l’intimé, et que Clark, entre autres, a conçu et exprimé des vues défavorables à son sujet. Si le soi‑disant « procès » et la réunion générale qui a suivi devaient être menés par des personnes préalablement exemptes de toute partialité, cette condition n’a certainement pas été respectée. Ce serait en effet une erreur d’exiger de ceux qui y ont participé la stricte impartialité avec laquelle un juge doit aborder et trancher une situation où s’affrontent deux parties – cette « impartialité de glace d’un Rhadamanthe » à laquelle le Lord juge Bowen, dans Jackson v. Barry R. Co., [1893] 1 Ch. 238, à la page 248, croyait qu’on ne pouvait s’attendre de la part de l’ingénieur‑arbitre – ou de tenir pour inhabile d’agir tout membre qui avait soutenu et exprimé l’avis que le principe « d’atelier fermé » était essentiel à la politique et aux fins du syndicat. Ceux qui ont étudié les accusations portées contre l’intimé et décidé qu’il était coupable devaient apporter à leur tâche la volonté d’arriver à une conclusion honnête après avoir entendu les allégations des deux parties, et la résolution de ne pas se faire une idée préconçue de sa culpabilité personnelle, qu’elle qu’ait été la force de leur conviction quant à la politique du syndicat et qu’elle qu’ait été la part qu’ils ont pu prendre dans les critiques négatives formulées antérieurement au sujet de la conduite de l’intimé. [Non souligné dans l’original.]

 

[21]           Il ne fait aucun doute que la formulation utilisée par la Commission, à savoir le manque de volonté en vue d’arriver à une conclusion honnête, diffère de la formulation utilisée par la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [Baker] où, au paragraphe 46, la Cour souscrit encore une fois au critère énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, dans les motifs dissidents du juge de Grandpré  :

 

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

[22]           Le contexte d’une mesure disciplinaire syndicale interne est particulier. La Commission a hésité à intervenir; elle a signalé que sa mission n’est pas d’être saisie d’appels de décisions relatives à des mesures disciplinaires syndicales internes, mais de veiller à ce qu’elles soient exemptes de pratiques discriminatoires (Horsley c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (1991), 84 di 201, 15 C.L.R.B.R. (2d) 141, citant Ronald Wheadon et autres (1983), 54 di 134, 5 C.L.R.B.R. (NS) 192, aux pages 150, 209 et 14 036‑14 037).

 

[23]           Abstraction faite du critère de partialité appliqué, le dossier et les motifs de la Commission militent dans le sens de la conclusion que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait (Bremsak 15, au paragraphe 473). La relation hostile entre les parties, le contentieux précédent et la désignation des membres du comité exécutif à titre de défendeurs sont en soi des faits insuffisants pour permettre à la demanderesse de s’acquitter du fardeau qui lui incombait. Tout critère doit être appliqué au regard des faits et du contexte. En l’espèce, l’Institut a retenu les services d’un tiers pour enquêter au sujet des plaintes de harcèlement d’avril 2009 et de juin 2009. L’enquêteur a présenté quatre rapports définitifs, qui comprenaient des conclusions de fait qui n’ont jamais été contestées. L’Institut s’est fondé sur ces rapports et les conclusions qu’ils contenaient et a défini la sanction qui s’imposait.

 

[24]           Dans les circonstances, je ne puis conclure qu’une personne raisonnable conclurait que l’Institut, par l’entremise de son comité exécutif, a selon toute vraisemblance tranché l’affaire de façon inéquitable, que ce soit consciemment ou non.

 

[25]           Pour ce qui est de l’intérêt financier allégué des membres nommés dans la plainte de représailles, il s’agit d’un argument nouveau. L’avocat de la demanderesse admet que ce point a été soulevé devant la Commission d’une [traduction] « façon plus générale », dans le cadre d’une allégation beaucoup plus large selon laquelle le règlement des plaintes de harcèlement a été supervisé par l’Institut. De plus, à l’audience, l’avocat de la demanderesse a été incapable de relever des éléments pertinents quant à ce nouvel argument. Cela dit, je prends acte du paragraphe 453 de la décision Bremsak 15, où la Commission précise ceci : « Chaque défendeur nommé dans la plainte de représailles a témoigné. Leurs témoignages sont demeurés inébranlables, malgré un contre‑interrogatoire exhaustif de la part du représentant de Mme Bremsak, sur le fait qu’ils ont tous pris personnellement la décision de soulever les allégations de harcèlement et de déposer une plainte de harcèlement, sans que le Conseil d’administration de l’Institut s’en mêle. » Je note également qu’aux termes de la Politique sur le harcèlement, « […] l’Institut reconnaît sa responsabilité de faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher ces harcèlements et appuyer et aider l(es)’employé(s) ou le(s) membre(s) qui les subissent ». Cet engagement de l’Institut n’exclut pas la possibilité que son avocat défende des employés ou des membres contre une plainte de représailles comme celle  qu’a logée Mme Bremsak contre les défendeurs nommés. J’en conclus que les défendeurs n’ont pas été traités différemment que tout autre employé ou membre l’aurait été en vertu de cette politique.

 

iv)        L’article 2 de la Charte

[26]           J’examinerai maintenant les allégations de la demanderesse selon lesquelles la Commission a aussi violé son droit à l’équité procédurale en refusant d’accueillir son moyen tiré de l’article 2 de la Charte. Comme il a été signalé précédemment, l’essentiel de l’argumentation de Mme Bremsak est que ses diverses communications avec l’Institut et ses membres sont protégées par le principe de la liberté d’expression. Elle défendait l’exercice de ses droits de membre et de ses droits prévus par la Loi. Par conséquent, le rejet de sa plainte de représailles et les conclusions de harcèlement de l’enquêteur violaient son droit constitutionnel à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte. Le commissaire Love aurait dû examiner l’argument de la demanderesse à la lumière de l’article 2.

 

[27]           Compte tenu des faits de l’espèce, cet argument ne peut être retenu. Premièrement, l’avocat de la demanderesse admet que cet argument puisé dans la Charte est venu bien tard au cours de l’instance devant la Commission, qui a siégé environ 15 jours entre août 2011 et juin 2012 pour l’instruction de l’affaire. Dans ces circonstances, il est difficile d’imaginer que la Commission ait commis une erreur en rejetant la proposition de la demanderesse d’ajourner l’audience pour donner à l’Institut le temps de répondre à ce nouvel argument. De plus, je suis d’accord avec l’Institut sur le fait que la liberté d’expression garantie par la Charte ne peut servir de moyen de défense, par exemple, contre des actes de harcèlement. Comme la Commission l’a indiqué : « […] Mme Bremsak avait le devoir de se comporter avec un minimum de civilité à l’endroit des autres membres de l’Institut. Elle avait l’obligation de ne pas commettre de harcèlement » (Bremsak 15, au paragraphe 433).

 

b)         Les autres erreurs de droit et de fait qu’aurait commises la Commission

[28]           La demanderesse n’a pas démontré que la décision de la Commission était déraisonnable. Plus particulièrement, je ne retiens pas l’allégation de la demanderesse voulant qu’il y ait de graves lacunes dans les conclusions de l’enquêteur au sujet des plaintes de harcèlement et que la Commission ait eu tort de souscrire aux conclusions de l’enquêteur. L’enquêteur avait pour mission de mener une enquête en vertu de la Politique de règlement des différends et en tenant compte de la Politique sur le harcèlement. Par conséquent, il a analysé les faits portés à son attention à la lumière de la définition du mot « harcèlement » figurant dans la Politique sur le harcèlement. La Commission a rejeté l’interprétation stricte de Mme Bremsak du mot « harcèlement » et a conclu que la demanderesse « ne peut pas choisir quelle définition du harcèlement doit être appliquée aux plaintes de harcèlement » (Bremsak 15, au paragraphe 477). La demanderesse attaque l’opinion de la Commission selon laquelle l’accent d’une enquête sur une conduite de harcèlement « est mis sur les effets probables sur la personne vers qui sont dirigés les actes, et non sur les intentions de Mme Bremsak » (ibidem, au paragraphe 481). Cette conclusion est raisonnable. Toute tentative par Mme Bremsak de défendre son comportement par son désir de communiquer avec l’Institut ou ses membres « afin de se conformer à la loi » est éclipsée par la conclusion suivante de la Commission : « [s]elon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve montrent clairement que Mme Bremsak a adopté une conduite de harcèlement […] » (ibidem, au paragraphe 482).

 

[29]           Quant à l’argument tiré de la jurisprudence Veillette, il est sans fondement. Au paragraphe 433 de ses motifs, la Commission a conclu que « l’illégalité de la suspension de Mme Bremsak de ses fonctions élues […] n’avait pas d’influence sur la question de déterminer si la conduite de Mme Bremsak, survenue entre avril 2008 et le 3 juin 2009, constituait du harcèlement ». La Commission a estimé que les questions dont elle était saisie visaient ce que Mme Bremsak « a dit et fait à d’autres membres de l’Institut, et non le dépôt de ses plaintes auprès de la [Commission] » (ibidem). Il fallait tenir compte de la situation personnelle de Mme Bremsak, car chaque cas est unique. Encore une fois, la demanderesse ne m’a pas convaincue que la Commission a eu tort de conclure que l’Institut avait des motifs légitimes de continuer à se défendre contre les plaintes originales dont la Commission était saisie plutôt que de réintégrer automatiquement Mme Bremsak sur le fondement de la jurisprudence Veillette, qui a été rendue par une autre formation de la Commission dans une affaire qui ne concernait pas la demanderesse directement (Bremsak 15, au paragraphe 441).

 


Conclusion

[30]           Je propose donc de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens, lesquels sont fixés à 4 500 $ incluant débours et taxes.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

           Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

           D.G. Near, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

A‑131‑13

 

INTITULÉ :

IRENE BREMSAK c. L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA, KATHLEEN KERR, GEOFF KENDELL, STEPHEN Y. LEE, SIDDIQ ANSARI, TERRY PETERS, QUINTON JANSEN, GARY CORBETT, DON BURNS, DAVID GRAY, DAN JONES, EVAN HEIDINGER, AL RAVJIANI, HELENE ROGERS, MARILYN BEST, ROBERT BOWIE‑REED, YVON BODEUR, RICHARD DEPUIS, ROBERT HUNTER, PASCAL JOSEPH, SEAN O’REILLY, JOE PODREBARAC, NITA SAVILLE, GEOFFREY GRENVILLE‑WOOD, ISABELLE ROY, PAUL GODIN

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 9 DÉCEMBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                          

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

 

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 21 janvier 2014

COMPARUTIONS :

David W. Donohoe

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Steven Welchner

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donohoe & Co

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Cabinet d’avocats Welchner

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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