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 Date : 20131218


Dossier : A-145-13

 

Référence : 2013 CAF 292

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Demandeur

et

BOUCHAIB EL KOUCHI

 

Défendeur

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LE JUGE MAINVILLE

 

 


Date : 20131218


Dossier : A-145-13

 

Référence : 2013 CAF 292

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

Et

BOUCHAIB EL KOUCHI

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]               Le procureur général du Canada (PGC) demande la révision d’une décision de la Commission de révision agricole du Canada (la Commission), 2013 CRAC 12, déclarant que M. Bouchaib El Kouchi (le défendeur) n’a pas violé l’alinéa 34(1)(b) du Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296 (le Règlement) essentiellement parce qu’il n’y avait pas un lien de causalité entre l’importation du beurre artisanal trouvé dans sa valise et le défendeur, indépendant des actions d’une tierce partie.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

 

Contexte

 

[3]               Le 25 avril 2013, le défendeur arrive à l’aéroport international de Montréal en provenance du Maroc. Il signe sa carte de déclaration E311 de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) après avoir, entre autres choses, coché la case « non » à l’énoncé : « J’apporte (nous apportons) au Canada : … produits laitiers ».

 

[4]               Le défendeur après s’être présenté à la ligne d’inspection primaire des douanes canadiennes a dû passer à l’inspection secondaire. Avant cette inspection, en réponse à une question de l’inspecteur, le défendeur a affirmé que les bagages qu’il transportait lui appartenaient, qu’il les avait lui-même préparés et qu’il savait ce qu’ils contenaient. L’inspecteur a fouillé lesdits bagages et a trouvé dans un sac de plastique un bol contenant approximativement un kilogramme de beurre de fabrication artisanale. L’inspecteur a demandé au défendeur s’il possédait un permis ou certificat pour importer ce produit laitier du Maroc, ce à quoi le défendeur a répondu « non ».

 

[5]               Dans son rapport de non-conformité, l’inspecteur indique que le défendeur n’a pas déclaré le produit et que celui-ci a été saisi et détruit. Il a ensuite remis au défendeur un avis de violation de l’alinéa 34(1)(b) du Règlement. Ledit avis indique aussi qu’une telle violation est aux termes de l’article 4 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, DORS/2000-187 une violation grave pour laquelle une sanction de 800 $ est imposée.

 

 

[6]               Le défendeur a contesté l’avis de violation. Bien que la plupart des faits n’étaient pas contestés devant la Commission, deux témoins ont été entendus, soit l’inspecteur et le défendeur. Dans son témoignage, le défendeur a indiqué qu’il ignorait qu’il y avait du beurre dans sa valise puisque c’est sa sœur qui a préparé sa valise avant son départ du Maroc et qu’elle ne lui en a pas parlé. Quant à l’inspecteur, celui-ci a indiqué que lorsqu’il a trouvé le beurre, le défendeur lui a indiqué qu’il ignorait que la loi l’obligeait à déclarer les produits du lait.

 

Décision de la Commission

[7]               Après avoir effectué un bref survol du régime législatif et de la jurisprudence, la Commission note qu’il incombait à l’Agence de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’ensemble des éléments de la violation. La Commission explique ensuite que pour établir une violation de l’alinéa 34(1)(b) du Règlement, l’Agence devait établir les quatre éléments suivants :

 

(i) M. El Kouchi est la personne qui a commis la violation;

(ii) M. El Kouchi a apporté (importé) du lait ou des produits du lait d’un pays autre que les États-Unis;

(iii) M. El Kouchi n’a pas fourni à un inspecteur de l’Agence un certificat d’origine signé par un fonctionnaire du gouvernement du pays d’origine du produit attestant que le pays d’origine est désigné comme étant exempt de la fièvre aphteuse;

(iv) Il existe un lien de causalité direct entre les actions d’importation de produits du lait et le contrevenant, indépendant des actions d’une tierce partie.

 

[8]               Le décideur conclut que les trois premiers éléments ont été établis à sa satisfaction. Toutefois, il note que l’Agence n’avait pas établi qu’il existait le lien de causalité direct requis (4ième élément ci-dessus). En effet, après avoir résumé le témoignage du défendeur quant aux actions de sa sœur, la Commission indique que l’Agence n’a produit aucune preuve du contraire. Selon la Commission, si le défendeur ignorait qu’il y avait du beurre dans sa valise, il lui était impossible de le déclarer. La Commission souligne qu’elle en est déjà venue à une telle conclusion dans Castillo c. Canada (ASFC), 2012 CRAC 22 (Castillo 2012) (qui depuis a été cassée par notre Cour dans Canada (Agence des services frontaliers) c. Mario Castillo, 2013 CAF 271 (Castillo CAF)).

 

[9]               La Commission note aussi que l’obligation d’établir un lien de causalité a été énoncée clairement dans l’arrêt Doyon c. Procureur Général du Canada, 2009 CAF 152 (Doyon). Elle en conclut que sa position  n’est pas contraire au paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, L.C. 1995, ch. 40 (Loi sur les sanctions) où le législateur prévoit expressément qu’un contrevenant ne peut invoquer une défense de diligence raisonnable ou une croyance raisonnable à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

 

Législation

[10]           Les dispositions statutaires pertinentes sont reproduites à l’Annexe « A » de même que l’article 138 du Règlement sur lequel portaient les commentaires de notre Cour dans Doyon.

 

Question en litige

[11]           La seule question en litige est de savoir si la Commission a erré dans son énoncé des éléments que l’Agence devait prouver pour établir qu’il y a eu violation de l’alinéa 34(1)(b) du Règlement, notamment en exigeant, que l’Agence établisse qu’il existe un lien de causalité direct entre les actions d’importation d’un produit du lait et le contrevenant indépendant des actions d’une tierce partie.

 

[12]           Il faut souligner que le défendeur n’a pas déposé de mémoire et n’était pas présent à l’audience devant nous.

 

[13]           Le PGC allègue que notre Cour a établi dans Castillo (CAF) au paragraphe 11 que la norme applicable à cette question est celle de la décision correcte. Toutefois, selon moi, la norme applicable n’a pas d’importance ici, puisque même en appliquant celle de la décision raisonnable le résultat serait le même. En effet, le texte de l’alinéa 34(1)(b) du Règlement est clair et non ambigu. Il n’est pas susceptible de plus d’une interprétation raisonnable : Qin c. Canada (Citizenship and Immigration), 2013 FCA 263 aux paragraphes 32-33; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au paragraphe 38.

 

[14]           Comme l’indique la Commission, elle a déjà annulé un avis de violation en vertu du Règlement dans une situation où le produit non autorisé (dans ce cas, un sous-produit animal interdit en vertu de l’article 40 du Règlement) avait été mis dans les valises du contrevenant par une tierce personne (sa mère) sans qu’il en soit au courant dans Castillo 2012. Deux commentaires s’imposent à cet égard.

 

[15]           D’abord, dans cette décision, rendue quelques mois avant la décision en l’espèce, la Commission avait aussi énoncé les éléments que l’Agence devait établir. Il est déconcertant de constater que malgré la similitude des dispositions en jeu qui portent sur des interdictions d’importer des produits, le fardeau de preuve de l’Agence se limitait a trois éléments (qui correspondent plus ou moins aux trois premiers éléments utilisés en l’espèce). Il n’était alors aucunement question de prouver un lien de causalité direct entre l’importation et le contrevenant.

 

[16]           Deuxièmement, dans Castillo (CAF), notre Cour a très clairement décidé au paragraphe 24 :

Il se peut que M. Castillo n'ait pas su que le poulet se trouvait dans ses bagages, mais cela ne lui est d'aucun secours, en raison du libellé clair des dispositions et de l'intention manifeste du législateur d'imposer un régime de responsabilité absolue pour ces infractions. Comme notre Cour l'a déjà affirmé, le régime des sanctions administratives pécuniaires peut mener à des résultats sévères (Westphal Larsen, [2003 CAF 383] au paragraphe 12), mais le législateur souhaitait manifestement qu'il en soit ainsi, compte tenu de l'importance de l'objectif énoncé, soit de protéger le Canada de l'introduction de maladies animales étrangères. [Traduction non-officielle]

 

 

[17]           Quant à l’énoncé des éléments à établir pour prouver une violation de l’alinéa 138 (2)(a) du Règlement que l’on retrouve dans Doyon (paragraphe 41), il est difficile de concevoir qu’il puisse s’appliquer à une violation de l’alinéa 34(1)(b) du Règlement, puisque le libellé de ces deux dispositions est complètement différent.

 

[18]           Le texte même de l’alinéa 138(2)(a) du Règlement qui porte sur le transport d’animaux fait référence à divers facteurs causant des souffrances indues au cours du voyage prévu. C’est ce vocabulaire qui a motivé la référence à un lien de causalité entre le transport, les souffrances indues et les facteurs décrits dans cette disposition. L’alinéa 34(1)(b) indique simplement et clairement qu’il est interdit d’importer un produit du lait d’un pays autre que les États-Unis, à moins que le pays soit désigné comme étant exempt de la fièvre aphteuse ou qu’un certificat d’origine soit produit.

 

[19]           La Commission n’explique pas sur quelle base elle pouvait appliquer ce passage de Doyon en l’espèce. De plus, la distinction qu’elle fait pour éviter l’application du paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions ne tient tout simplement pas. Il est évident que l’approche adoptée par la Commission a pour effet de contourner l’intention que le législateur a si clairement exprimée. Il n’y a aucune raison valide selon moi de ne pas appliquer le raisonnement de notre Cour dans Castillo (CAF) ici. La Commission a erré en droit en exigeant que l’Agence établisse un lien de causalité indépendant des actions d’une tierce partie et plus particulièrement que le contrevenant avait connaissance de la présence du produit interdit dans ses bagages.

 

[20]           Notre Cour a indiqué dans le passé que le présent régime est très punitif, voire draconien : Doyon au paragraphe 21. Qu’elle soit d’accord ou non avec ce régime ou la façon dont il est appliqué, la Commission doit appliquer la loi.

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et la décision de la Commission annulée. L’affaire devrait être renvoyée à la Commission pour qu’elle procède à un nouvel examen conformément aux présents motifs. Le tout sans frais.

                                                                                                              « Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            Pierre Blais »

 

« Je suis d’accord

            Robert M. Mainville »

 

 

 


ANNEXE “A”

Règlement sur la santé des animaux 

C.R.C., ch. 296

 

34. (1) Il est interdit d’importer du lait ou des produits du lait d’un pays autre que les États-Unis, ou d’une partie d’un tel pays, à moins :

a) que le pays ou la partie de pays n’ait été désigné comme étant exempt de la fièvre aphteuse en vertu de l’article 7;

b) de produire un certificat d’origine signé par un fonctionnaire du gouvernement du pays d’origine du produit attestant que le pays d’origine ou la partie de ce pays est celui visé à l’alinéa a).

[…]

 

 

40. Il est interdit d’importer un sous-produit animal, du fumier ou une chose contenant un sous-produit animal ou du fumier, sauf en conformité avec la présente partie.

[…]

 

138. (2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit de charger ou de faire charger, ou de transporter ou de faire transporter, à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire un animal :

a) qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu;

b) qui n’a pas été alimenté et abreuvé dans les cinq heures précédant l’embarquement, si la durée prévue de l’isolement de l’animal dépasse 24 heures à compter de l’embarquement; ou

c) s’il est probable que l’animal mette bas au cours du voyage.

Health of Animals Regulations 

C.R.C., c. 296

 

34. (1) No person shall import milk or milk products into Canada from a country other than the United States or from a part of such a country, unless

(a) the country or part of the country is designated as free of foot and mouth disease pursuant to section 7; and

(b) the person produces a certificate of origin signed by an official of the government of the country of origin that shows that the country of origin or part of such a country is the designated country or part thereof referred to in paragraph (a).

[…]

40. No person shall import into Canada an animal by-product, manure or a thing containing an animal by-product or manure except in accordance with this Part.

[…]

138. (2) Subject to subsection (3), no person shall load or cause to be loaded on any railway car, motor vehicle, aircraft or vessel and no one shall transport or cause to be transported an animal

(a) that by reason of infirmity, illness, injury, fatigue or any other cause cannot be transported without undue suffering during the expected journey;

(b) that has not been fed and watered within five hours before being loaded, if the expected duration of the animal’s confinement is longer than 24 hours from the time of loading; or

(c) if it is probable that the animal will give birth during the journey.

 

Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire

 

DORS/2000-187

 

4. La violation d’une disposition mentionnée à la colonne 1 de l’annexe 1 est qualifiée de mineure, de grave ou de très grave selon ce qui est prévu à la colonne 3.

[…]

 

ANNEXE 1(articles 2 à 4)

 

PARTIE 1 LOI SUR LA SANTÉ DES ANIMAUX ET RÈGLEMENT SUR LA SANTÉ DES ANIMAUX

 

[…]

 

 

Section 2 Règlement sur la santé des animaux

(C.R.C., ch. 296; DORS/91-525)

[…]

                          

Agriculture and Agri-Food Administrative Monetary Penalties Regulations

 

SOR/2000-187

 

 

4. The classification of a violation as a minor, serious or very serious violation of a provision set out in column 1 of an item of Schedule 1 is as set out in column 3 of that item.

[…]

 

SCHEDULE 1(Sections 2 to 4)

 

PART 1 HEALTH OF ANIMALS ACT AND HEALTH OF ANIMALS REGULATIONS

[…]

 

 

Division 2 Health of Animals Regulations

(C.R.C., c. 296; SOR/91-525)

[…]

67.

34(1)b)

Importer un produit animal sans le certificat prévu

Grave

67.

34(1)(b)

Import an animal product without the required certificate           

Serious

 

 

Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire

 

L.C. 1995, ch. 40

18. (1) Le contrevenant ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

 

 

 

 

Agriculture and Agri-Food Administrative Monetary Penalties Act 

 

 

S.C. 1995, c. 40

18. (1) A person named in a notice of violation does not have a defence by reason that the person

(a) exercised due diligence to prevent the violation; or

(b) reasonably and honestly believed in the existence of facts that, if true, would exonerate the person.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

A-145-13

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. BOUCHAIB EL KOUCHI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 10 décembre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE EN CHEF BLAIS

LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 18 décembre 2013

COMPARUTIONS :

Me. Talitha A. Nabbali

 

Pour le demandeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le demandeur

 

 

 

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