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Date : 20130916


Dossier :

A-554-12

 

Référence : 2013 CAF 214

CORAM :     

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

appelant

et

IRENE J. BREMSAK

 

intimée

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 14 mai 2013

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     

LE JUGE STRATAS

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 


Date : 20130916


Dossier :

A-554-12

 

Référence : 2013 CAF 214

CORAM :     

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

appelant

et

IRENE J. BREMSAK

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

 

[1]               L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’Institut ou l’agent négociateur) interjette appel de l’ordonnance du 29 novembre 2012 de la Cour fédérale par laquelle le juge Lemieux (le juge) a reconnu l’Institut coupable d’outrage pour avoir désobéi à l’ordonnance du 26 août 2009 rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) (2009 CRTFP 103) (la décision de 2009). La Commission avait ordonné à l’Institut la réintégration de Mme Irene Bremsak (l’intimée) à tous les postes auxquels elle avait été élue ou nommée. L’Institut ne s’est pas conformé à cette ordonnance.

 

[2]               La Cour fédérale avait déclaré l’Institut coupable d’outrage au tribunal le 16 février 2012 (2012 CF 213) (l’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal) et l’Institut a été débouté de l’appel qu’il avait interjeté de cette ordonnance (2012 CAF 147).

 

[3]               À titre de sanction de l'outrage au tribunal, la Cour fédérale a condamné l’Institut à payer une amende de 400 000 $ dans les 30 jours de sa décision. Toutefois, si l'Institut et Mme Bremsak arrivaient à conclure un règlement à l'amiable, cette amende pouvait être réduite du montant prévu par ce règlement (2012 CF 396) (l’ordonnance de réparation ou les motifs de cette ordonnance).

 

[4]               Bien qu'il reconnaisse maintenant s'être rendu coupable d'un outrage au tribunal, l’Institut soutient que le juge a commis plusieurs erreurs en infligeant une peine qui est manifestement inappropriée. Plus particulièrement, l'Institut affirme que le juge a commis les erreurs suivantes :

A.                en estimant que le non-respect de l'ordonnance s'était poursuivi pendant plusieurs années;

B.                 en considérant que le non-respect de l'ordonnance de la Commission constituait une circonstance aggravante;

C.                 en ne tenant pas compte des circonstances atténuantes;

D.                en formulant sa réparation de manière à provoquer un règlement négocié;

E.                 en infligeant une sanction disproportionnée.

[5]               Dans l'appel incident qu’elle a formé, l’intimée sollicite la modification de l’ordonnance de réparation sur la question des dépens, étant donné que le juge n'en avait adjugé aucuns. Madame Bremsak sollicite les dépens et demande à ce qu'ils soient taxés sur la base procureur-client ou, à titre subsidiaire, selon le barème habituel en fonction de la colonne la plus élevée du tarif B. Elle estime à environ 14 000 $ les dépens auxquels elle a droit en vertu de la colonne V.

 

[6]               Notre Cour a été saisie de l'appel incident de Mme Bremsak sous forme de dossier de requête en prorogation du délai qui lui était imparti pour déposer son avis d'appel incident. Cette requête a été entendue dès l'ouverture de l'audience du présent appel et elle a été mise en délibéré. J'y reviendrai plus loin après avoir statué sur le présent appel. J'ai l'intention de procéder de la manière suivante.

 

A)        L'appel

I)         Faits et procédures

II)                L’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal

III)      Analyse

                        1)         Rôle de la juridiction d'appel

1.1       Matière pénale

1.2       Matière civile

2)         La peine infligée est-elle manifestement inappropriée?

                                    2.1       Le non-respect a duré plusieurs années

2.2       Le non-respect de l'ordonnance de la Commission constitue une circonstance aggravante

2.3       Défaut de tenir compte des circonstances atténuantes

2.3.1 Observation partielle et bonne foi de l'Institut

i) Modification de la politique

ii) Publication d'un avis

2.3.2    Foi accordée aux avis juridiques

2.3.3    Pondération des intérêts et des droits des membres

2.3.4    Décision de la Commission de confirmer la suspension de cinq ans

2.4       Détermination d’une sanction de l'outrage en vue de favoriser un règlement

2.5       La peine est‑elle disproportionnée?

IV)      Conclusion quant à l'appel

B)        L'appel incident

C)        Conclusion

 


A)        L'appel

 

[7]               « [S]auf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée » (9038‑3746 Québec Inc. c. Microsoft Corporation, 2010 CAF 151, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, dossier 33835 (23 décembre 2010), au paragraphe 4 [Microsoft], citant l'arrêt R. v. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au paragraphe 90).

 

[8]               Je propose de faire droit à l’appel et de modifier la peine. L’Institut m’a convaincue que la peine infligée était manifestement inappropriée, étant donné que le juge n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes dans ses motifs et qu’il a accordé une réparation disproportionnée, compte tenu des répercussions du non-respect et de la jurisprudence.

 

I)         Faits et procédures

 

[9]               Il est nécessaire d'exposer les éléments d’information de base suivants pour mieux comprendre l'ordonnance portant détermination de la peine. Les parties entretiennent des rapports acrimonieux qui se sont envenimés encore davantage à la suite des nombreuses instances judiciaires auxquelles elles ont pris part. Jusqu’à maintenant, la Commission a rendu sept décisions dans le contentieux opposant Mme Bremsak à l’Institut et à d’autres personnes faisant partie de l’agent négociateur : 2008 CRTFP 49 (demande de mesure provisoire refusée); 2009 CRTFP 103 (décision de 2009 ordonnant la réintégration); 2009 CRTFP 159 (la Commission a ordonné que la décision de 2009 soit déposée auprès de la Cour fédérale); 2010 CRTFP 126 (rejet de la demande présentée par Mme Bremsak en réexamen de la décision de 2009 rejetant sa première plainte); 2011 CRTFP 95 (rejet des plaintes supplémentaires de Mme Bremsak et de la demande d'autorisation de la Commission de poursuivre des membres de l’Institut); 2013 CRTFP 22 (rejet par la Commission des plaintes déposées par Mme Bremsak à la suite des plaintes en harcèlement déposées contre elle par d'autres membres de l'agent négociateur, ce qui a abouti à sa suspension pour cinq ans et à sa demande d'autorisation de la Commission pour intenter une poursuite); 2013 CRTFP 28 (rejet de la demande de réexamen de la décision antérieure présentée par Mme Bremsak); et Bremsak c. North Shore Investigations et Mattern, 2011 CRTFP 56 (décision faisant suite à une plainte de pratique déloyale portée contre l'enquêteur indépendant engagé par l’Institut pour enquêter sur les plaintes de harcèlement susmentionnées).

 

[10]           Devant la Cour fédérale, le dossier (T‑2049‑09) a été ouvert en décembre 2009. On trouve plus de 200 inscriptions dans le résumé des écritures consignées dans ce dossier de la Cour fédérale. Les parties se sont également présentées à plusieurs reprises devant notre Cour avant l'instruction du présent appel : 2012 CAF 147 (rejet de l'appel de l’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal); 2012 CAF 91 (rejet de la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission sous la référence 2011 CRTFP 95); 2011 CAF 258 (levée de la suspension ordonnée par le juge au cours de la poursuite pour outrage); 2009 CAF 312 (rejet de la demande de sursis à l'exécution des ordonnances de la Commission présentée par l'Institut)).

 

[11]           Dans les présents motifs, je m'en tiendrai aux décisions et ordonnances se rapportant à l’ordonnance de réparation, en commençant évidemment par la décision de 2009 ordonnant la réintégration.

 

[12]           L’intimée était au service de Santé Canada. Elle était membre de l’Institut, qui représente environ 55 000 fonctionnaires fédéraux de diverses professions. Elle a également occupé plusieurs charges à titre de membre élue ou nommée au sein de l'Institut. Bien que la question de la qualité de membre de l'Institut doive en dernière analyse être tranchée par l'Institut, les activités de celui‑ci sont supervisées par un conseil d'administration ainsi que par des conseils régionaux.

 

[13]           En juin 2007, il y avait deux postes à pourvoir au sein des conseils régionaux. Un problème est survenu au sujet de la représentation régionale et de l'élection d'une représentante de Victoria (Colombie‑Britannique). L’intimée était insatisfaite de la façon dont cette représentante se comportait et elle a exprimé son opinion auprès de plusieurs personnes de l'unité de négociation. À partir de ce moment‑là, plusieurs événements ont amené les parties à camper sur leurs positions et à intenter des poursuites.

 

[14]           Dans sa décision de 2009, la Commission résume bien les deux premières plaintes de Mme Bremsak :

 

2          [L’intimée] accuse l’agent négociateur d’avoir contrevenu à l’alinéa 188c) et au sous-alinéa 188e)(ii) de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2] (la « Loi »). L’alinéa 188c) interdit à l’organisation syndicale de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer « une sanction quelconque » en lui appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale. L’alinéa 188e) interdit à l’agent négociateur de faire des distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale, ainsi que d’user de menaces ou de coercition à son égard ou de lui imposer « une sanction, pécuniaire ou autre » pour avoir présenté une demande sous le régime de la Loi.

 

3          La première plainte [datée du 16 novembre 2007] a commencé par un courriel de [l’intimée] à propos de la controverse entourant une élection locale au sein de l’agent négociateur. [L’intimée] reprochait à un autre membre, qui avait été déclaré élu par souci d’assurer la représentation régionale, de ne pas s’être désisté, par « manque d’éthique » et de « sens moral ». La personne visée par ces commentaires a présenté une plainte à la présidente de l’agent négociateur, dans laquelle elle alléguait que [l’intimée] avait tenu des propos diffamatoires et malveillants à son égard. Le Comité exécutif de l’agent négociateur a accueilli la plainte et demandé par écrit à [l’intimée], le 12 septembre 2007, de présenter des excuses. [L’intimée] ayant refusé, le Conseil d’administration de l’agent négociateur a décidé de le faire à sa place. [L’intimée] a alors déposé une plainte, le 16 novembre 2007, devant [la Commission], dans laquelle elle alléguait que l’agent négociateur lui avait imposé une sanction ou une mesure disciplinaire quelconque d’une manière discriminatoire, en contravention de l’alinéa 188c) de la Loi.

 

4          La seconde plainte est datée du 11 avril 2008 (mais n’a été déposée devant la Commission que le 8 juillet 2008) et porte sur la décision de l’agent négociateur d’établir une [Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs (la Politique)]. La Commission figure dans la liste des organismes extérieurs visés par cette politique. L’effet de la politique est le suivant : « […] [q]uand un […] membre […] renvoie […] une affaire, qui a été ou aurait dû être référée à la procédure interne de l’Institut, à un processus ou une procédure externe pour étude, ce […] membre […] [est] automatiquement suspendu […] temporairement […] » des fonctions et des tâches liées à la charge ou au poste auquel il a été élu ou nommé. Le 9 avril 2008, le président intérimaire de l’agent négociateur a avisé [l’intimée] que, conformément à cette politique, elle était suspendue temporairement de quatre postes auxquels elle avait été élue ou nommée pour avoir déposé une plainte devant la Commission. Il indiquait également que la suspension temporaire serait levée dès que les procédures externes auraient pris fin, quelle qu'en soit la raison. [L’intimée] avance que la politique est discriminatoire et que l’agent négociateur a fait des distinctions illicites à son égard en matière d’adhésion à une organisation syndicale en lui appliquant cette politique et qu’il a usé de menaces ou de coercition et lui a imposé une sanction pécuniaire « ou autre » pour avoir présenté une demande à la Commission, en contravention du sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi.

 

(Décision de 2009, Recueil conjoint de la doctrine et de la jurisprudence, volume 1, onglet 6, aux pages 48 et 49.)

 

 

 

[15]           Dans sa décision de 2009, la Commission a rejeté la première plainte, mais a accueilli la seconde :

143      L’agent négociateur doit annuler l’application de sa [Politique] à [l’intimée].

 

144      L’agent négociateur doit modifier sa [Politique] pour la rendre conforme à la Loi.

 

145      L'agent négociateur doit rétablir [l’intimée] dans son rôle de dirigeante élue de l'unité de négociation et aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que [l’intimée] a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l'application régulière des statuts et des règlements administratifs de l'agent négociateur.

(Idem, à la page 84.)

 

[16]           La mesure ordonnée au paragraphe 145 précité est au cœur de la poursuite pour outrage. L’intimée n'a jamais été réintégrée dans l'un ou l'autre des postes auxquels elle avait été élue ou nommée, malgré cette ordonnance. Qui plus est, alors que l'intimée cherchait à faire exécuter la décision de 2009, le comité exécutif de l'Institut a, le 20 octobre 2009, suspendu Mme Bremsak pour cinq ans à la suite d'une enquête indépendante portant sur les plaintes en harcèlement portées contre elle par d'autres membres de l'Institut. Madame Bremsak devenait de ce fait inhabile à exercer une charge au sein de l'Institut. Son mandat a donc expiré en septembre 2010.

 

[17]           Comme nous l'avons déjà expliqué, l’intimée a saisi la Commission de plaintes par lesquelles elle alléguait que les plaintes en harcèlement dont elle avait fait l'objet avaient été déposées à titre de mesure de représailles parce qu'elle avait tenté de faire valoir les droits que lui reconnaît la Loi. Cette affaire était toujours en instance au moment où le juge a rendu son ordonnance. La décision de la Commission a toutefois été déposée auprès de notre Cour (2013 CRTFP 22, Recueil conjoint de la doctrine et de la jurisprudence, volume 1, onglet 16, aux pages 218 à 392). Aux paragraphes 497 et 498 de ses motifs, la Commission observe :

 

[497]    À mon avis, la suspension de cinq ans de l’adhésion de Mme Bremsak à l’Institut était appuyée sur un motif rationnel lié à l’inconduite de Mme Bremsak. Cette dernière a commis des actes de harcèlement envers d’autres membres de l’exécutif du chapitre de Vancouver pendant plus d’un an. Sa conduite s’est aggravée avec le temps. Elle avait besoin de temps pour se calmer. Je conclus que Mme Bremsak n’a reçu aucun traitement discriminatoire ou même arbitraire ou autrement déraisonnable pendant les enquêtes de harcèlement ou l’application de la Politique de règlement des différends de 2009.

[498]    Par conséquent, je rejette la plainte de suspension de cinq ans et la demande connexe d’autorisation d’intenter des poursuites.

 

[18]           Après réexamen, la Commission a confirmé sa décision, estimant que la demande de réexamen de l’intimée constituait un abus de procédure (2013 CRTFP 28, Recueil conjoint de la doctrine et de la jurisprudence, volume 1, onglet 17, page 414, au paragraphe 42).

 

[19]           Je reviendrai plus loin sur certains de ces faits lors de mon examen des circonstances atténuantes. Toutefois, pour le moment, je passe à l’examen de l’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal.

 

II)        L’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal

 

[20]           L'ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal a sa propre histoire, ce qui permet de mieux comprendre les objectifs visés par le juge lorsqu'il a élaboré l'ordonnance de réparation.

 

[21]           L'ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal est datée du 16 février 2012 et a été rendue près de trois ans après que l'intimée eut déposé son dossier de requête en condamnation pour outrage au tribunal (Résumé des écritures, document no 4, 18 décembre 2009).

 

[22]           L'audience relative à l'outrage au tribunal a eu lieu le 20 octobre 2010, quelques semaines après sa mise au rôle. Dans l'espoir que les parties en arrivent à un règlement à l'amiable, le juge avait ajourné l'audience sine die, ce qui explique le fait qu'elle a été remise au rôle. L’Institut a refusé l'offre du juge d'intervenir comme médiateur. Cette série d’événements a eu lieu après que le juge eut donné une directive verbale par laquelle il précisait qu’[traduction] « il ressort de la correspondance des parties que leur position respective est trop éloignée pour qu'il y ait lieu de fixer la date d'une séance de médiation » (idem, document no 80, 1er octobre 2010). Le juge a malgré tout persisté à exhorter les parties à faire des compromis et à régler leurs différends.

 

[23]           Le juge était bien au courant du fait que les parties continuaient à comparaître devant la Commission. Par conséquent, le 1er avril 2011, il a reporté le prononcé de son ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal en attendant que la Commission rende sa décision au sujet de la suspension de cinq ans. Saisie de l'appel interjeté de cette ordonnance, notre Cour a, le 19 septembre 2011, levé la suspension et renvoyé l'affaire au juge pour qu'il rende une décision au vu du dossier dont il disposait (2011 CAF 258, précitée, au paragraphe [10]).

 

[24]           Le 16 novembre 2011, le juge s'est de nouveau dit d'avis qu'[traduction] « il est dans l'intérêt des deux parties de tenter de régler la présente affaire à l'amiable entre elles » (Résumé des écritures, document no 111, 16 novembre 2011). Aucun règlement n'est intervenu par la suite.

 

[25]           Le 16 février 2012, le juge a par conséquent déclaré l’Institut coupable d’outrage au tribunal et a ordonné aux parties :

[…] de tenter de déterminer par elles‑mêmes une réparation appropriée dans les six (6) semaines [...] le règlement amiable, le cas échéant, devant être approuvé par la Cour [fédérale] [...]

 

(Ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal (2012 CF 213), Recueil conjoint de la doctrine et de la jurisprudence, volume 1, onglet 14, à la page 209.)

 

 

[26]           L’Institut fut débouté dans sa contestation de l’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal en appel (2012 CAF 147, Recueil conjoint de la doctrine et de la jurisprudence, volume 2, onglet 30, aux pages 667 à 686). Le juge a une fois de plus invité les parties à régler l'affaire à l'amiable et il a ordonné qu'une séance de médiation ait lieu le 30 octobre 2012 (Résumé des écritures, document no 167, 30 octobre 2012). La médiation a échoué. Le juge a persisté dans sa démarche et a réclamé des renseignements exposant en détail l'offre de règlement la plus récente de chacune des parties. L'Institut n'était pas disposé à renoncer à son privilège en ce qui concerne le règlement à l'amiable. Enfin, le 29 novembre 2012, le juge de première instance a prononcé l'ordonnance contestée et accordé la réparation contestée.

 

[27]           Le juge de première instance espérait de toute évidence que les parties en arrivent à un règlement malgré le fait qu'il avait d'abord fait observer que la position de chacune des parties était trop éloignée pour que soit résolue la question à l'amiable. C'est, selon toute vraisemblance, la raison pour laquelle il a offert à l'Institut la possibilité de se libérer de sa condamnation pour outrage en parvenant à un règlement sur la totalité ou une partie du montant de l'amende. Je reviendrai sur cette partie de l'ordonnance plus loin, étant donné que l'Institut soutient que le juge a commis une erreur en déterminant une sanction censée favoriser un règlement.

 

III)      Analyse

 

                        1)         Rôle de la juridiction d'appel

 

[28]           Avant de passer à l'examen des questions mentionnées par l'Institut (voir paragraphe [4]), il convient de formuler quelques observations d'ordre général au sujet du rôle que joue la juridiction d'appel en matière de détermination de la peine, tant en matière pénale qu'en matière civile.

 

1.1       Matière pénale

 

[29]           La Cour d'appel fédérale a déclaré que les principes habituels de la détermination de la peine jouent en matière d'outrage civil (Microsoft; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1996] 1 C.F. 787, à la page 801 (C.A.) [Liberty Net], confirmé sur la condamnation pour outrage dans [1998] 1 R.C.S. 626). Par conséquent, les principes de détermination de la peine en matière pénale jouent en l’espèce.

 

[30]           Le critère connu sous le nom de critère de la « peine manifestement inappropriée » a été élaboré dans le contexte de la détermination de la peine pour outrage au tribunal en matière pénale. Ce critère porte sur les cas dans lesquels il convient que la juridiction d'appel intervienne et modifie la peine infligée par le juge de première instance. Dans le contexte de la détermination de la peine en matière criminelle, les arrêts de principe sur ce critère sont R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227 [Shropshire] et R. c. M.(C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500 [M.(C.A)]. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême du Canada a reproché à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique d'avoir réduit à tort la peine de l'accusé. La Cour a observé :

 

Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée.

(au paragraphe 90)

 

[31]           Comme les décisions en matière de détermination de la peine sont des décisions d'espèce, la juridiction d'appel doit faire preuve d'un degré élevé de déférence envers le juge des faits lorsqu'elle examine la justesse de la peine. Ainsi, « une cour d’appel ne peut modifier une peine pour la seule raison qu’elle aurait prononcé une sentence différente » (R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163, au paragraphe 14). En fait, « [i]l n'y a lieu de modifier la peine que si la cour d'appel est convaincue qu'elle n'est pas indiquée, c'est‑à‑dire si elle conclut que la peine est nettement déraisonnable » (Shropshire, au paragraphe 46).

 

[32]           Un juge de première instance ne commet pas d'erreur de droit du simple fait que, de l'avis de la juridiction d'appel, il a accordé trop d'importance à un facteur et pas suffisamment à un autre. La Cour suprême a observé :

La pondération des facteurs pertinents, le processus de mise en balance, voilà l’objet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La déférence dont il faut faire preuve à l’égard des décisions prises par le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire commande qu’on évalue la façon dont il a soupesé ou mis en balance les différents facteurs au regard de la norme de contrôle de la raisonnabilité. Ce n’est que si le juge du procès a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre, que le tribunal d’appel pourra modifier la peine au motif que le juge a commis une erreur de principe.

 

(R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, au paragraphe 46 [Nasogaluak], citant l’arrêt R. c. McKnight (1999), 135 C.C.C. (3d) 41, au paragraphe 35 (C.A. Ont.))

 

 

[33]           Le principe de la proportionnalité est crucial lorsqu’il s’agit de déterminer la peine au pénal. Par l'arrêt Nasogaluak, au paragraphe 43, la Cour suprême fournit les balises suivantes au sujet de ce qui constitue la « justesse » d’une peine :

Sous réserve de certaines règles particulières prescrites par la loi, le prononcé d’une peine « juste » reste un processus individualisé, qui oblige le juge à soupeser les objectifs de détermination de la peine de façon à tenir compte le mieux possible des circonstances de l’affaire (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; M. (C.A.); R. c. Hamilton (2004), 72 O.R. (3d) 1 (C.A.)). Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce. La peine sera par la suite ajustée — à la hausse ou à la baisse — dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est. Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d'arrêter la combinaison particulière d'objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au [Code criminel] et dans la jurisprudence.

 

[34]           Il ressort donc de la jurisprudence qu’en matière criminelle, une juridiction d’appel ne peut intervenir pour modifier la peine prononcée par le juge que si celle-ci n’est « pas juste », compte tenu des circonstances de l’espèce.

 

1.2       Matière civile

 

[35]           Comme nous l'avons déjà signalé, le critère permettant à la juridiction d'appel d'intervenir pour modifier une peine en matière pénale s'applique également en matière civile. De plus, comme pour les affaires pénales susmentionnées, il n'existe pas une seule et unique bonne méthode d’appréciation des circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes lorsqu'il s'agit de déterminer la peine pour outrage au tribunal en matière civile. Les Cours fédérales ont élaboré quelques principes en vue de guider les juges. Par exemple :

  • Le juge de première instance doit tenir compte de « la gravité de l'outrage, appréciée en fonction des faits particuliers de l'espèce sur l'administration de la justice » (Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. c. Cutter Canada, Ltd., [1987] 2 C.F. 557, à la page 562 (C.A.) [Baxter Travenol]; Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor (2000), 186 F.T.R. 241, au paragraphe 21 (C.F. 1re inst.));
  • Les facteurs aggravants comprennent la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal, la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement de forme ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales), et, le cas échéant, le fait que le contrevenant a enfreint de façon répétitive les ordonnances de la Cour (Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, 2006 CF 788, au paragraphe 16 [Marshall]);
  • Dans le cas des personnes morales contrevenantes, le juge de première instance devrait également tenir compte de l'ampleur, de l'importance et de la nature des activités du contrevenant et du degré de préméditation et du caractère plus ou moins délibéré de ses actes (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2003 CAF 234, au paragraphe 83 [Apotex c. Merck]);
  • l’amende ne doit pas être purement symbolique; elle doit être fonction de la capacité de payer de la personne reconnue coupable d’outrage au tribunal ((Wanderingspirit c. Première Nation Salt River 195, 2006 CF 1420, au paragraphe 4 [Wanderingspirit]; Desnoes & Geddes Ltd. c. Hart Breweries Ltd., 2002 CFPI 632 au paragraphe 7);
  • Les facteurs atténuants peuvent éventuellement comprendre les tentatives de bonne foi de se conformer à l’ordonnance (même après le non-respect de l’ordonnance), des excuses ou l’acceptation de la responsabilité, ou le fait que le manquement constitue une première infraction (Marshall, au paragraphe 16);
  • Le juge peut rechercher si l’ordonnance prononcée par la suite a modifié de façon quelconque la situation de l'auteur de l'outrage ou si l'ordonnance qu'il a violée a été jugée invalide par la Cour (R. c. Bernier, 2011 QCCA 228; R. c. Emmelkamp, 2013 ABCA 71; Liberty Net, au paragraphe 27).

 

[36]           La jurisprudence n’enseigne pas que les facteurs susmentionnés sont exhaustifs. Là encore, le juge de première instance dispose d'une vaste latitude pour déterminer la sanction appropriée en cas d'outrage civil, selon les circonstances.

 

2)         La peine infligée est‑elle manifestement inappropriée?

 

                                    2.1       Le non-respect a duré plusieurs années

 

[37]           Par son ordonnance de réparation, le juge a justifié le montant de l'amende en se fondant sur sa conclusion que l'Institut avait persisté à désobéir à l'ordonnance de la Commission pendant plusieurs années. L'Institut soutenait que son non-respect n'avait duré que six semaines à compter de la date de la décision de 2009 jusqu'à la date de la suspension de cinq ans. Au cours de l'instance, l'Institut avait également soutenu que son non-respect ne pouvait avoir duré plus d'un an à compter de la décision de 2009 jusqu'en septembre 2010, à l’expiration de tous les mandats de Mme Bremsak. .

 

[38]           Tout au plus, la durée du non-respect et le moment où il est survenu constituent une question mélangée de fait et de droit qui appelle la déférence. Le juge était appelé à décider si le non-respect de l'ordonnance de réintégration de l'intimée se poursuivait malgré le fait que la réparation qui avait été ordonnée au départ ne pouvait plus être exécutée, étant donné que les mandats de l'intimée avaient expiré (en septembre 2010) et qu'elle avait été suspendue de l'Institut pour cinq ans (en octobre 2009).

 

[39]           En droit, les ordonnances judiciaires demeurent en vigueur et elles doivent être respectées tant qu'elles ne sont pas annulées au terme d’un processus judiciaire ou tant qu’un juge n’a pas rendu une ordonnance tout aussi valable précisant qu'il n'est pas nécessaire d'y obéir (Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, aux pages 87 et 88; Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général) (1991), 52 O.A.C. 151, 85 D.L.R. (4th) 694 (C.A.), au paragraphe 13; MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson (1994), 90 B.C.L.R. (2d) 24, 43 B.C.A.C. 1, 113 D.L.R. (4th) 368 (C.A., au paragraphe 49), confirmé pour d'autres motifs par l’arrêt MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725, 14 B.C.L.R. (3d) 122)).

 

[40]           Qui plus est, la partie visée par une ordonnance judiciaire ne peut faire échec à une ordonnance judiciaire parce qu'elle estime qu'elle n’est pas valide (Newfoundland (Treasury Board) v. N.A.P.E., (1986), 59 Nfld. & P.E.I.R. 93, 39 A.C.W.S. (2d) 149 (CA T. N.‑L.)). Notre Cour a également appliqué ce principe, en statuant sur l'appel de l’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal (2012 CAF 147), étant donné que l'Institut avait invoqué une thèse semblable. S'exprimant au nom d'une formation unanime, notre collègue la juge Sharlow a observé, au paragraphe 8 :

 

L’Institut soutient aussi qu’il serait déraisonnable de le déclarer coupable d’outrage au tribunal pour la période antérieure au 28 octobre 2009, date à laquelle notre Cour a statué sur ses deux demandes de sursis. Cet argument est si dénué de fondement qu’il convient de l’écarter d’entrée de jeu. Une demande de sursis ne saurait justifier en droit le non-respect d’une ordonnance, bien que dans certains cas on puisse considérer le fait qu’une telle demande soit en instance comme une circonstance atténuante dans l’appréciation des conséquences du non-respect.

 

 

[41]           Il ressort du dossier que l’Institut s’est effectivement reconnu le droit de trancher lui-même la question. Il n'a jamais demandé à la Commission ou à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concluant qu'il avait cessé de désobéir à l'ordonnance et qu'il n'était plus nécessaire qu'il obtempère à l'ordonnance de réintégration prononcée par la Commission qui avait par la suite été confirmée par notre Cour. Par conséquent, l'Institut a continué à violer l'ordonnance de la Commission malgré la suspension de cinq ans de Mme Bremsak et l'expiration de ses mandats.

 

2.2       Le non-respect de l'ordonnance de la Commission constitue une circonstance aggravante

 

[42]           Le juge observe : [traduction] « L'outrage dont l'Institut s'est rendu coupable est particulièrement grave parce qu'il a désobéi à une ordonnance de la Commission » (ordonnance de réparation, au premier paragraphe). L’Institut est d'avis qu’ [traduction] « il n'y a absolument rien en droit ou selon la logique qui permette de conclure que le non-respect de l'ordonnance d'un tribunal administratif est plus grave que le non-respect de l’ordonnance d'un autre tribunal ou de la Cour (mémoire des faits et du droit de l'Institut, au paragraphe 32). Je ne retiens pas l'interprétation de l'Institut de l'ordonnance du juge sur ce point.

 

[43]           Ainsi que le juge l'a rappelé dans son ordonnance de réparation, la Commission est l'organisme chargé de surveiller l'Institut. Sa mission est d’assurer le respect de la loi fédérale régissant les relations de travail de l'agent de négociation et de ses membres (ordonnance de réparation, au paragraphe 12). Les observations du juge doivent être interprétées au regard de ce contexte.

 

[44]           Par ailleurs, il y a outrage au tribunal non seulement lorsqu'il y a inobservation d’une ordonnance d'un tribunal administratif ou d'une cour de justice; mais une foule d’agissements constituant entrave à la justice peut également donner lieu à une constatation d’outrage. À titre d'exemple, l'article 466 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) [les Règles] dispose que commet un outrage au tribunal lorsque, notamment, étant présent à une audience de la Cour, l’intéressé ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l'instance; il désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour; ou agit de manière à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. Dans d'autres cas, le refus de produire des documents ou de se soumettre à un interrogatoire préalable peut également constituer un outrage au tribunal. Dans ces conditions, tout acte qui revient à faire fi d'une ordonnance d'une Cour de justice ou d'un tribunal administratif risque fort d'être considéré comme un acte plus grave et comme une circonstance aggravante.

 

2.3       Défaut de tenir compte des circonstances atténuantes

 

[45]           L’Institut fait grief au juge de n’avoir tenu compte d'aucune circonstance atténuante que ce soit. À son avis, le juge aurait dû tenir compte de trois circonstances atténuantes : le fait que l'Institut s'était en partie conformé à l'ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal; le fait que l'Institut s’était fié de bonne foi, mais par erreur, aux conseils juridiques qui lui avaient été donnés; et le fait que l'Institut recherchait un équilibre entre les intérêts et les droits de ses membres.

 

[46]           L’intimée rétorque que ces circonstances n'ont pas été portées à l'attention du juge dans les observations écrites et qu’elles ne peuvent être soulevées à ce stade. Je n'ai trouvé au dossier aucun élément de preuve allant nettement dans le sens de la thèse de Mme Bremsak. Il ressort de la transcription que l'Institut a soulevé ces facteurs lors de l'audience relative à l'outrage au tribunal pour convaincre le juge qu'il ne devait pas, dès lors qu’une preuve hors de tout doute raisonnable lui était soumise, le condamner pour outrage au tribunal (recueil des transcriptions, aux pages 13 et suivantes).

 

[47]           Je constate toutefois que les mots « circonstances atténuantes » sont absents de l'ordonnance de réparation du juge et des motifs de cette ordonnance. Par conséquent, je ne puis savoir si le juge a tenu compte de ces facteurs ou d'autres facteurs pour infliger la peine. D'ailleurs, le juge a été bel et bien conscient des objectifs de la détermination de la peine, à savoir la dissuasion particulière et la dénonciation et la protection du public et, outre ces objectifs, la conformité à l'ordonnance de la Commission (ordonnance de réparation, au paragraphe 10). Le juge a clairement recensé les facteurs qu'il estimait aggravants dans les circonstances. Toutefois, nulle part dans ses motifs ne discute‑t‑il de circonstances atténuantes qui auraient pu donner lieu à une peine moins lourde. Il semble que le juge ait fortement mis l’accent sur la nature de l'outrage lui‑même, c'est‑à‑dire le fait que l'Institut avait désobéi à l'ordonnance de la Commission.

 

[48]           Je suis par conséquent d'avis que le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière incomplète. Il n’a pas fait preuve de la pondération appropriée qui était nécessaire pour en arriver à une peine juste.

 

[49]           Cette omission est regrettable, étant donné que les deux parties et la Cour ne sont pas en mesure de déterminer quelle démarche juridique le juge a suivie pour rendre l'ordonnance de réparation. Il est possible que le juge ait eu ces facteurs à l'esprit lorsqu'il a élaboré la sanction. En principe, la juridiction d'appel a tendance à tenir pour acquis que le premier juge connaît la loi et a appliqué le bon critère juridique, même s'il ne l'a pas exprimé clairement dans ses motifs.

 

[50]           Toutefois, il s’agit en l'espèce d’une ordonnance portant condamnation qui comporte de graves conséquences pour l'auteur de l'outrage. Vu que le juge n’a pas tenu compte des éventuelles circonstances atténuantes dans son ordonnance de réparation et dans les motifs de cette ordonnance, et vu le montant de l'amende infligée, je suis portée à croire qu'il n'a pas tenu compte de ce volet du critère. Je conclus que la peine infligée est par conséquent déraisonnable.

 

[51]           Par conséquent, ayant examiné de nouveau les arguments invoqués par l'Institut sur cette question, je conclus qu'ils militent en faveur d'une peine moins lourde. J'accorde par ailleurs une certaine importance à la décision récente dans laquelle la Commission a estimé que la suspension de cinq ans était justifiée.

 

2.3.1    Observation partielle et bonne foi de l'Institut

 

[52]           L’Institut affirme qu'il s'est en partie conformé à l'ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal en modifiant sa politique et en affichant un avis au sujet de la réintégration de Mme Bremsak. L’Institut soutient que ces actes démontrent qu’il a tenté de bonne foi de se conformer à l'ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal, ajoutant que ces agissements s’accordent avec les principes consacrés par la jurisprudence Marshall, précitée.

 

i)          Modification de la politique

 

[53]           La politique a effectivement été modifiée à la satisfaction de la Commission (2009 CRTFP 159, 4 décembre 2009), bien qu'il faille signaler que cette modification ne faisait pas suite seulement à la décision de 2009, mais qu'elle s'expliquait aussi par des facteurs extrinsèques. Alors que les parties rédigeaient leurs observations écrites destinées à la Commission en vue de la décision de 2009, la Commission a conclu, dans un autre dossier complètement distinct portant sur l'agent de négociation, que la politique en question violait la loi et les principes de justice naturelle (Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Rogers, 2009 CRTFP 64, 29 mai 2009). Le comportement de l'agent négociateur s'explique donc par d'autres raisons que le différend l'opposant à Mme Bremsak et la décision de 2009 de la Commission. Je suis également consciente du fait que la politique initiale infligeait une forme de pénalité à une membre parce qu'elle la démettait de son poste élu si elle exerçait son droit reconnu par la loi de présenter une demande à la Commission ou à un autre organisme tel qu'un tribunal canadien indépendamment de l'agent de négociation. Je conclus que ce facteur ne milite pas en faveur d'une peine moins lourde.

 

ii)         Publication d'un avis

 

[54]           S’agissant des mesures prises par l'appelant pour publier un avis informant ses membres de la réintégration de l'intimée, le juge a clairement douté de la possibilité qu'il s'agisse là d'une mesure qu’il a prise en vue de se conformer à l'ordonnance d'août 2009. Le juge a souligné le fait que Mme Bremsak n’avait jamais été réintégrée et qu’aucune mesure n’avait été prise en ce sens (ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal, au paragraphe 87). La Cour a interrogé à plusieurs reprises l'avocat de l'appelant au sujet du libellé de cet avis et sur la question de savoir s'il était effectivement exact (recueil des transcriptions, aux pages 119 et 120). De plus, dans sa décision sur la requête en justification (2010 CF 661, Recueil conjoint de la doctrine et de la jurisprudence, volume 1, onglet 9, à la page 120), le protonotaire Lafrenière a tiré la conclusion suivante au paragraphe 30 :

[30]      L'Institut ne s'est de toute évidence pas conformé à l'ordonnance de la Commission lui enjoignant de publier un communiqué à un endroit bien visible « dans le prochain numéro d'une de ses publications périodiques et significatives destinées à ses membres ». L’obligation de respecter l’ordonnance de la Commission s’est cristallisée le 8 décembre 2009 lorsque la décision de la Commission est devenue une ordonnance de la Cour. Bien que l’Institut ait publié un communiqué le 22 décembre 2009, il s’était déjà écoulé deux semaines. Ce communiqué a été publié à la fin de la page Web de l’Institut pendant la période des vacances d’hiver alors que peu de membres consultent ce site. Il était également accompagné d’une clause de non-responsabilité. Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je conclus qu’en publiant ce communiqué et en l’accompagnant d’une clause de non-responsabilité, et en laissant s’écouler un délai, n’ayant pas été expliqué, avant de les publier sur son site Internet, l’Institut ne s’est pas conformé aux modalités et à l’esprit de l’ordonnance de la Cour.

 

Ce facteur ne contribue pas à atténuer la peine de l'Institut. Au contraire, il démontre la réticence de l'Institut à se conformer rapidement et sans réserve à l'ordonnance de la Commission.

 

                        2.3.2    Foi accordée aux avis juridiques

 

[55]           L’Institut affirme qu'il [traduction] « a constamment tenté de se conformer à ce qu'il estimait être ses obligations légales » (mémoire des faits et du droit de l'Institut, au paragraphe 46). L'Institut s'est fié aux conseils juridiques qui lui ont été donnés, et ce, de plusieurs manières : (1) lorsqu'il a choisi de ne pas se conformer à l'ordonnance de la Commission en attendant la décision du juge sur le sursis, parce qu'il croyait que, sinon, il ne pourrait affirmer qu'il subirait un préjudice irréparable en raison de l'ordonnance de la Commission; (2) lorsqu'il a estimé que le délai applicable à l'outrage commençait à courir à la date du dépôt de l'ordonnance de la Commission devant la Cour fédérale (certificat de dépôt délivré le 8 décembre 2009); (3) lorsqu'il s'est fondé sur la suspension de cinq ans imposée à Mme Bremsak le 20 octobre 2009 pour décider de ne pas la réintégrer dans ses fonctions.

 

[56]           Dans son ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal, le juge a tenu compte de ces arguments. En premier lieu, s’agissant de la décision de l’Institut de ne pas respecter l’ordonnance, voici ce qu'il dit :

 

[79] […] C'est la raison pour laquelle [l’Institut] a cherché à obtenir un sursis à l'exécution de l'ordonnance à un moment où l'enquête qu'il menait au sujet du harcèlement était déjà bien avancée, à tel point d'ailleurs que des rapports provisoires avaient déjà été distribués.

 

[80]      Dans ses conditions, il était déraisonnable de la part de l’Institut d’interpréter l’ordonnance de la Commission comme l’autorisant à prendre par la suite une mesure, comme la suspension du statut de membre, qui aurait pour effet d’empêcher la réintégration. Les termes de l’ordonnance ne comportent aucune ambiguïté; c’est comme si la Commission avait dit : qu’on la réintègre immédiatement dans ses fonctions! Si des questions disciplinaires surgissaient plus tard et justifiaient une intervention, il était toujours loisible à l’Institut de prendre à ce moment‑là les mesures qui s’imposaient.

 

 

[57]           Sur l’argument du moment où le délai a commencé à courir, il a estimé que, lorsque les circonstances le justifient, la conclusion d’outrage pouvait être fondée sur des faits antérieurs au dépôt de la décision de la Commission devant la Cour fédérale. Il a conclu, au paragraphe 85, que « les faits à l’origine de la conclusion d’outrage peuvent reposer sur le dispositif de l’ordonnance même de la Commission dont on cherche à obtenir l’exécution forcée, en l’occurrence, celui prescrivant une réintégration immédiate ».

 

[58]           En ce qui concerne la suspension de cinq ans, le juge a remis en question sa validité. Il a exprimé plusieurs réserves, en ce qui concerne notamment l’équité procédurale, la question de savoir si le comité exécutif avait le pouvoir de suspendre l’intimée et la proportionnalité de la sanction. Voici ce qu’il écrit :

 

[83]           En soulevant ces questions, je ne voudrais pas que l’on pense que je me prononce sur le bien‑fondé de la décision de l’Institut. L’Institut avait le droit d’ouvrir une enquête et de prendre des mesures disciplinaires contre Mme Bremsak. Les allégations dont elle et son mari faisaient l’objet étaient sérieuses. La question qui se pose est celle de savoir si les actes reprochés équivalaient à des actes de harcèlement et si la mesure infligée et le moment où elle l’a été étaient raisonnables et proportionnés.

 

[84]           Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu que l’Institut s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer l’existence d’une excuse légitime.

 

 

[59]           Le fait que toutes ces conclusions du juge appuyaient sa décision de prononcer l'ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal ne signifie toutefois pas que l'un de ces facteurs ou la totalité d'entre eux n'aurait pas pu militer en faveur d'une peine moins lourde à l'étape de l'instance consacrée à la détermination de la sanction. Mais, encore une fois, aucune circonstance atténuante n'est mentionnée ni dans l'ordonnance de réparation ni dans ses motifs.

 

[60]           Néanmoins, j'estime que le fait que l’Institut se soit fié aux conseils juridiques qu'il a reçus ne constitue pas, dans ces conditions, une circonstance atténuante. Le dossier est mince sur ce point, de sorte qu'il est difficile d'apprécier la nature des conseils juridiques qui ont été donnés, la mesure dans laquelle l'Institut s'y est fié, le caractère raisonnable objectif de la confiance de l'Institut et les éléments de preuve subjectifs se rapportant à la décision de l'appelant de se fier à ces conseils juridiques (Blair c. Consolidated Enfield Corp., [1995] 4 R.C.S. 5; Dockside Brewing Co. v. Strata Plan LMS 3837, 2007 BCCA 183, autorisation d'appel à la CSC refusée, dossier no 32060 (27 septembre 2007).

 

[61]           Il est également utile de rappeler que notre Cour enseigne que, lorsqu'une partie se fie à un avis juridique pour fonder une action ou appuyer un moyen de défense, la partie adverse doit être informée de cet avis. Autrement, une partie pourrait tenter de se fonder sur un avis juridique pour justifier sa conduite sans avoir à révéler en quoi consiste cet avis, ce qui [traduction] « pourrait être injuste pour la partie adverse, auquel cas le tribunal pourrait être justifié de conclure que la partie a renoncé implicitement au privilège de par ses agissements » (Mid-West Quilting Co. v. Canada, 2007 FC 735, au paragraphe 8, citant Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1480, [2004] 2 C.F.R. 137, conf. par 2004 CAF 280) [Apotex c. Canada]. En appel, le juge Evans a confirmé le principe professé par la Cour fédérale par la jurisprudence Apotex c. Canada suivant lequel « le fait d'appuyer sa défense sur l'obtention d'un avis juridique met forcément en cause les communications entre les agents du ministre et ses conseillers juridiques de façon telle qu'il serait injuste d'empêcher la divulgation de ces communications » (Apotex v. Canada, 2004 CAF 280, 34 C.P.R. (4th) 289, au paragraphe 2). Je conclus donc que le fait que l'Institut se soit fondé sur les avis juridiques qu'il a reçus ne constitue pas un facteur atténuant, compte tenu des circonstances de l'espèce.

 

2.3.3    Pondération des intérêts et des droits des membres

 

[62]           Je ne peux retenir la thèse de l'Institut suivant laquelle ses agissements [traduction] « doivent être considérés comme une tentative sincère qui s'est toutefois avérée par la suite erronée d'agir dans l'intérêt de ses membres dans le respect des limites prévues par la loi » (mémoire des faits et du droit de l'Institut, au paragraphe 57). Madame Bremsak était également membre de l'agent négociateur bien qu’étant donné le contexte, elle était plus exigeante et plus intransigeante. Néanmoins, il me semble que l'Institut a fait certains choix sans démontrer qu'il avait tenu compte des droits de Mme Bremsak à la suite de la décision de 2009. Malgré le fait que la Commission lui a donné gain de cause, Mme Bremsak n’a rien obtenu, pas même une lettre d'excuse. Ainsi que le juge l'a déclaré lors de l'audience relative à l'outrage au tribunal : [traduction] « [...] lorsque quelqu'un a obtenu une ordonnance de réintégration et que cette personne n'est jamais réintégrée dans ses fonctions, il faut chercher longtemps pour trouver ce qui n'a pas marché et pour savoir si cette inaction est justifiée (recueil des transcriptions, à la page 190, lignes 15 et suivantes). En conséquence, j'estime qu'il ne s'agit pas là d'une circonstance atténuante.

 

2.3.4    Décision de la Commission de confirmer la suspension de cinq ans

 

[63]           Nous savons maintenant que la Commission a confirmé la décision du comité exécutif de suspendre l'intimée pour cinq ans et qu'elle a jugé que Mme Bremsak (de même que son mari, qui la représentait) avait harcelé d'autres membres de l'exécutif de Vancouver pendant plus d'une année. Madame Bremsak a attaqué la décision de la Commission en introduisant une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour le 11 avril 2013 (dossier A‑131‑13). Au bas mot, elle fait grief de 51 erreurs de droit et de fait à la Commission.

 

[64]           Je suis d'avis que cette décision récente de la Commission donne du poids aux explications avancées par l'Institut pour justifier sa décision de ne pas réintégrer l'intimée à la suite de la décision de 2009. Par conséquent, j’accorderai une certaine importance à cette série d'événements en tant que circonstances atténuantes.

 

2.4       Formulation d'une sanction de l'outrage en vue de favoriser un règlement

 

[65]           La thèse de l'Institut est exposée aux paragraphes 33 à 37 de son mémoire des faits et du droit :

 

[traduction]

 

33.       Avant d'exposer ses motifs au sujet de la réparation, le juge Lemieux tenait beaucoup à favoriser un règlement à l'amiable entre les parties [...] Le 26 novembre 2012, trois jours avant de rendre sa décision, [le juge] a donné la directive suivante aux parties :

 

Je voudrais connaître la dernière offre de règlement présentée par chacune des parties et ce sur quoi repose l'offre. Je suis disponible en tout temps pour une conférence téléphonique. Sinon, les parties peuvent m'écrire.

 

Je m'apprête à rendre mon jugement. J'ai besoin de ces renseignements d'ici la fin de la journée le mercredi 28 novembre 2012 au plus tard (Directive du 26 novembre 2012 du juge Lemieux, dossier d'appel, onglet 13, à la page 30.)

 

34.       Le représentant de l'Institut a écrit au [juge] le 27 novembre pour l'informer que l'Institut n'était « pas disposé à renoncer au privilège découlant d'un règlement » et demandait « qu'on ne tire aucune conclusion défavorable du fait que le défendeur a exercé son droit d'exercer son privilège en ce qui concerne les communications visant à conclure un règlement » (idem, onglet 14, à la page 31). Le 28 novembre, le mari de Mme Bremsak, John Lee, a écrit à la Cour au nom de sa femme pour expliquer que celle‑ci « n'a pas fait de dernière offre finale de règlement parce qu'elle estimait que, dans les circonstances, aucune offre de règlement faisable n'était possible ou envisageable » (idem, onglet 15, à la page 32).

 

35.       Dans les motifs qu'il a rendus le lendemain au sujet de la sanction, le [juge] a observé :

 

 

Cette affaire aurait dû être réglée depuis longtemps. La Cour a tenté de le faire avant le début de l'audience sur l'outrage au tribunal. Dans l'ordonnance dans laquelle elle a reconnu l'Institut coupable d'outrage au tribunal, la Cour a ordonné que les parties tentent de résoudre leur différend par elles-mêmes. La Cour a tout fait pour inciter les parties à parvenir à un règlement à l'amiable et ce, il y a à peine quelques semaines encore. L'intransigeance semble être le mot d'ordre que les parties se sont donné. [Souligné dans l'original.]

 

[Le juge] a conclu que Mme Bremsak avait le droit d'être indemnisée, mais a estimé que, pour ce faire, il fallait présenter à la Cour des éléments de preuve « que la Cour n'a pas en mains », estimant qu’« une entente négociée [avec l’aide d'un protonotaire] constitue la solution la plus appropriée dans les circonstances ». [Renvois omis.]

 

36.       Se fondant sur la directive du 26 novembre et sur les motifs [du juge], l'Institut ne peut que présumer qu'une des principales raisons qui ont motivé [le juge] à infliger une amende aussi sévère était son désir de provoquer un règlement. Dans son ordonnance, le juge a reconnu que Mme Bremsak avait le droit d'être indemnisée, sans toutefois lui accorder d'indemnité. En revanche, l'Institut a été condamné à une lourde amende, vraisemblablement pour la motiver à parvenir à un règlement avec Mme Bremsak. D'ailleurs, en réponse au défaut des parties de s'entendre sur un règlement mutuel, [le juge] a puni l'Institut. En effet, suivant les termes mêmes de l'ordonnance, l'Institut n'avait aucune mesure l'incitant à parvenir à une transaction, étant donné qu'il était toujours tenu de payer le reste de l'amende de 400 000 $, indépendamment du montant d’un éventuel règlement à l’amiable.

 

37.       En toute déférence, l'approche retenue par [le juge] en ce qui concerne la question de la réparation – consistant vraisemblablement à provoquer une entente négociée – n'était pas celle qui était indiquée. La Cour d'appel de l'Ontario a fait observer que l'outrage au tribunal « est une atteinte à l'autorité du tribunal et une entrave à l'administration de la justice qu'il y a lieu de distinguer d’une action civile en responsabilité délictuelle ou en inexécution de contrat » (SNC – Lavalin Profac Inc. v. Sankar, 2009 ONCA 97, au paragraphe 14).

 

 

[66]           À mon humble avis, l'argument formulé par l'Institut ne tient pas compte des divers objectifs que la Cour peut légitimement chercher à atteindre lorsqu'elle formule une sanction de l’outrage au tribunal, ainsi qu'il est précisé dans la jurisprudence, et ce, sans oublier les diverses mesures que la Cour peut ordonner en vertu de l'article 472 des Règles. Suivant la jurisprudence canadienne, l'outrage civil comporte des aspects privés et lorsqu'il s'agit d'infliger une peine en cas d'outrage au tribunal, les objectifs dont on doit tenir compte sont notamment les suivants :

         Réparation de « l'atteinte portée à l'autorité de la Cour » (International Forest Products Ltd. v. Kern, 2001 BCCA 48, au paragraphe 20),

  • Respect des ordonnances du tribunal (Marshall, au paragraphe 16; Majormaki Holdings LLP v. Wong, 2009 BCCA 349, au paragraphe 27 [Majormaki]),

         Dissuasion particulière ou générale (Marshall, au paragraphe 16; Apotex c. Merck, aux paragraphes 83 à 89),

         Dénonciation ou punition (Majormaki, aux paragraphes 27 et 28), et

         Indemnisation (Saskatchewan Health-Care Assn. v. Saskatchewan Union of Nurses, [1999] 12 W.W.R. 240, 182 Sask. R. 248, aux paragraphes 39 à 42 (C.B.R. Sask.) [Saskatchewan Health-Care Assn]).

 

 

[67]           Lorsque l’Institut soutient que le juge a commis une erreur de droit en le condamnant à une peine aussi lourde en vue de favoriser une transaction, il présume que le montant de l'amende aurait dû être moins élevé si la conclusion d’une transaction n'avait pas été le principal objectif visé par le juge. À mon avis, la juridiction d'appel doit se garder d'infirmer la décision discrétionnaire du juge de première instance en se fondant sur une telle présomption. Au paragraphe 1 de l'ordonnance de réparation où il justifie le montant de l'amende, le juge ne fait aucune mention d'une transaction.

 

[68]           La jurisprudence n’aborde pas directement la question de savoir s'il est loisible au juge de première instance de formuler une mesure visant à favoriser un règlement à l’amiable en cas d'outrage au tribunal. Toutefois, dans l'arrêt Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612, au paragraphe 35, la juge Deschamps, qui s’exprimait au nom de la majorité, observe:

 

En droit canadien, une ordonnance pour outrage au tribunal est avant tout une déclaration qu’une partie a transgressé une ordonnance judiciaire. Par conséquent, une requête pour outrage au tribunal ne peut être réduite à un moyen de faire pression sur un débiteur défaillant ou d’être indemnisé d’un préjudice.

 

 

[69]           De même, dans l'affaire Wanderingspirit (précitée, au paragraphe 35), les demandeurs souhaitaient que l'amende infligée soit égale au montant qui aurait été puisé dans les comptes de la Première Nation de Salt River (la PNSR) pour l'émission de chèques contrairement aux ordonnances de la Cour. La juge Snider a, au paragraphe 8, rejeté cette approche au motif que la peine infligée en cas d'outrage civil ne visait pas à permettre aux demandeurs de recouvrer des sommes qu'ils estimaient avoir été effectivement volées à la PNSR. La peine devrait servir à rétablir la réputation de la Cour et à dissuader les auteurs de l'outrage d'enfreindre d'autres ordonnances à l'avenir.

 

[70]           L'Institut a toutefois reconnu que, dans les cas où il est impossible pour les auteurs de l'outrage de se conformer à l'ordonnance initiale, il existe des jurisprudences qui permettent au juge de première instance d'accorder à l'auteur de l'outrage la possibilité de se libérer de sa condamnation pour outrage par d'autres moyens. Ainsi, dans le jugement British Columbia Public School Employers Assoc. v. British Columbia Teachers Federation, 2005 BCSC 1490 [British Columbia Teachers Federation], au paragraphe 24, le juge Brown a souscrit au principe général suivant lequel lorsqu’il condamne à une amende pour outrage en matière civile [traduction] « le juge peut, en imposant des conditions appropriées, permettre à l'auteur de l'outrage de s'acquitter de son amende d'une autre manière, notamment en faisant un don à un organisme de charité ou en offrant à titre gratuit ses services aux personnes qui ont été lésées par l’outrage au tribunal qu’il a commis ».

 

[71]           Cette démarche a été reprise à l’occasion de l'affaire Saskatchewan Health-Care Assn. Le syndicat avait été déclaré coupable d’outrage au tribunal pour avoir déclenché une grève illégale et pour avoir refusé d’obtempérer à une loi ordonnant leur retour au travail. La Cour a condamné le syndicat à une amende de 120 000 $. Cette amende a toutefois été suspendue pour une période de 30 jours pour permettre au syndicat de se libérer de sa condamnation pour outrage en faisant des dons d'environ 120 000 $ à diverses fondations d’hôpitaux de la province.

 

[72]           La présente affaire est particulièrement intéressante parce que le montant de l'amende et celui des dons étaient équivalents. Le syndicat n'avait donc aucune raison particulière pour l’inciter à verser des dons plutôt qu'à payer l'amende, sinon son désir général [traduction] « de démontrer à la population de la Saskatchewan qu'il respecte ses obligations légales et qu'il entend continuer à les respecter » (Saskatchewan Health Care Assn, au paragraphe 38).

 

[73]           De même, en l’espèce, il n'y avait aucune incitation financière particulière qui aurait motivé l'Institut à s'entendre avec Mme Bremsak, étant donné que le montant total payé aurait été le même. Toutefois, il est possible que le juge ait tenté d'offrir à l'Institut la possibilité de démontrer qu'il respectait également ses obligations légales. En fait, devant notre Cour, l'Institut a reconnu qu’[traduction] « il se pourrait que la Cour estime qu’il convient d’ordonner que l'amende infligée à l'Institut soit versée en totalité ou en partie à Mme Bremsak ou à un organisme de bienfaisance du choix de cette dernière » (mémoire des faits et du droit de l'Institut, au paragraphe 38).

 

[74]           L’Institut ne s’est appuyé sur aucune jurisprudence pour avancer la thèse que le juge avait commis une erreur de droit en formulant sa réparation de manière à favoriser une transaction. Par l'arrêt Nasogaluak, au paragraphe 43, la Cour suprême a déclaré qu'« [a]ucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s'il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l'espèce ». Cet enseignement est peut-être moins exact dans les cas d'outrage civil, parce qu'il est de jurisprudence constante que l'exécution des ordonnances judiciaires doit être l'objectif premier de l'imposition de sanctions. Toutefois, en l'espèce, le juge avait fait observer que (1) Mme Bremsak avait le droit d'être indemnisée, mais qu'il fallait des éléments de preuve dont la Cour ne disposait pas (ordonnance de réparation, au paragraphe 13); (2) qu'il était impossible de se plier à l'ordonnance initiale. Dans ces conditions, il était loisible au juge de première instance d'offrir à l'auteur de l'outrage la possibilité de se libérer de sa condamnation pour outrage par un règlement à l'amiable. Je ne crois pas qu'il y a là erreur de droit.

 

 

2.5       La peine est‑elle disproportionnée?

 

[75]           L’Institut explique bien sa thèse au paragraphe 58 de son mémoire des faits et du droit :

 

 

 

[traduction]

 

58.       […] l’Institut soutient que l'amende de 400 000 $ infligée par [le juge] à titre de pénalité pour l'outrage était nettement disproportionnée. L'outrage commis par l'Institut en l'espèce découlait de son défaut de réintégrer Mme Bremsak dans l'un des postes bénévoles des organes de l'Institut. Comme la [Commission] l'a fait observer en ce qui concerne la suspension de Mme Bremsak pour harcèlement, cette suspension [traduction] « n'a aucune incidence sur le droit de travailler de Mme Bremsak, son droit d'être représentée par l'Institut en ce qui concerne les griefs qu'elle a avec l'employeur ou celui de bénéficier de tous les avantages qu'un agent négociateur peut obtenir pour ses membres ». Au contraire, le défaut de réintégrer Mme Bremsak n'a eu d'incidence que sur la capacité de cette dernière de participer aux activités internes de l'Institut. L'Institut ne cherche pas à minimiser l'importance de son outrage sur Mme Bremsak personnellement, mais la peine infligée doit être proportionnée [...]

 

59.       Il y a lieu de signaler que [le juge] n'a mentionné aucune jurisprudence pertinente dans ses motifs. L'Institut soutient que, s'il l'avait fait, le caractère excessif de la sanction qu'il a imposée aurait été manifeste.

 

 

[76]           Dans son ordonnance de réparation, le juge a formulé des observations au sujet des thèses avancées par les parties quant à l'amende appropriée. Le juge a estimé que leur thèse était [traduction] « totalement déraisonnable » (au paragraphe 9). Madame Bremsak proposait une amende dans une fourchette allant de 500 000 à 2 000 000 $ et l'obligation de verser cette somme aux services d'aide juridique, tandis que l'Institut proposait une amende de 5 000 $.

 

[77]           Les parties ont cité de la jurisprudence à l'appui de leur position respective. Ces décisions, ainsi que d'autres, sont mentionnées dans le tableau annexé aux présents motifs.

 

[78]           Le calcul du montant de la pénalité est en dernière analyse une décision discrétionnaire fondée sur les circonstances de chaque affaire. L’Institut fait valoir que, par l'arrêt Baxter Travenol, notre Cour a déclaré que la pénalité devait « refléter la sévérité de la loi et être suffisamment modérée pour démontrer la clémence de la justice » (Baxter Travenol, au paragraphe 11). À l’occasion de cette affaire, la Cour a également fait observer que le fait de réduire considérablement la peine ou de n'imposer qu'une amende « symbolique » était « incompatible avec la gravité des infractions reprochées et risquait d'encourager d'autres personnes » à faire fi de la loi s'il y allait de leur intérêt (au paragraphe 17).

 

[79]           Lorsque sont en cause les syndicats, la jurisprudence tient compte de la taille de ces organismes et de l'importance de leurs ressources pour s'acquitter des peines auxquelles elles étaient condamnées en cas d’outrage au tribunal. Par exemple, dans l’arrêt British Columbia Teachers Federation, aux paragraphes 30 et 31, la Cour a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

Notre Cour doit infliger une sanction qui tient compte de la gravité de l'outrage, dissuade l'auteur de l'outrage de continuer à désobéir et dissuade d'autres personnes d'agir de la même façon. La BC Teachers Federation compte environ 38 000 membres. Elle possède des actifs nets dépassant 30 millions de dollars. Le fonds de défense constitué pour la négociation collective se chiffrait à 14 644 000 $ en date du 30 juin 2005 […] Compte tenu des effectifs de la BC Teachers Federation et de l'ampleur de ses actifs, une amende analogue à celle à laquelle le syndicat des employés des hôpitaux avait été condamné serait insignifiante et équivaudrait à environ 4 $ par syndiqué ».

 

 

La Cour a fixé à 500 000 $ le montant de la peine pour outrage en réponse à l’inobservation par le syndicat d'une ordonnance interdisant une grève qui avait duré dix jours.

 

[80]           Il ressort toutefois de la jurisprudence que, bien que l'amende doive tenir compte des moyens de l'auteur de l'outrage et qu'elle doive être supérieure au coût réel d'exploitation de l'entreprise pour dissuader l'intéressé de récidiver, l'amende doit également refléter la gravité du manquement à l’ordonnance et ses répercussions sur le grand public et concorder avec les amendes déjà infligées à l’occasion d’autres affaires d'outrage civil. Par exemple, dans l'arrêt Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd. (1998), 162 D.L.R. (4th) 111, [1998] 10 W.W.R. 455, au paragraphe 320, l'amende infligée par le juge de première instance pour un outrage au tribunal avait été ramenée de 1,25 million de dollars à 100 000 $ au motif qu'elle allait [traduction] « plus loin que ce qui est nécessaire pour tenir compte de l'intérêt public » et qu'elle dépassait de loin les amendes consacrées par la jurisprudence en matière d'outrage civil.

 

[81]           De plus, comme nous l'avons déjà vu, les amendes auraient dû être formulées au regard tant des circonstances atténuantes que des circonstances aggravantes pour pouvoir être considérées comme proportionnées et justes.

 

[82]           La gamme d'amendes infligées en matière d'outrage civil est vaste. Toutefois une amende de 400 000 $ se situe dans la fourchette supérieure.

 

[83]           Comme l’Institut l'a souligné, son défaut de réintégrer Mme Bremsak a empêché cette dernière d’être réintégrée dans l'un ou l'autre des postes auxquels elle avait été élue ou nommée au sein de l'unité de négociation, mais n'a eu aucune incidence sur son droit de travailler et de bénéficier des autres protections et avantages auxquels elle avait droit en tant que membre.

 

[84]           Des mesures comparables ou des amendes moins élevées ont été ordonnées à l’occasion d’affaires qui avaient des répercussions plus graves sur l'intérêt public que dans le cas qui nous occupe. Par exemple, dans le jugement British Columbia (Health Employers Assn.) v. Facilities Subsector Bargaining Assn., 2004 BCSC 762, 31 B.C.L.R. (4th) 124, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a condamné à une amende de 150 000 $ (valeur actualisée de 175 547,10 $) les employés d'un hôpital qui refusaient d'obéir à une ordonnance de retour au travail prononcée par une commission des relations du travail. Comme nous l'avons déjà mentionné, dans le jugement British Columbia Teachers Federation, une amende de 500 000 $ (valeur actualisée de 574 304,02 $) avait été infligée à des enseignants qui avaient eux aussi désobéi à une ordonnance de retour au travail prononcée par une commission des relations du travail. Dans le jugement Saskatchewan Health-Care Assn, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan avait infligé une amende de 120 000 $ (valeur actualisée de 158 800,52 $) pour défaut de mettre fin à une grève à la suite d'une injonction. De plus, dans le jugement Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Métro Média Inc., [1996] A.C.F. no 1605, 67A.C.W.S. (3d) 899 [Métro Média], la Cour fédérale a condamné la défenderesse à payer une pénalité de 5 000 $ (valeur actualisée de 6 910,11 $) pour avoir refusé d’obtempérer à une ordonnance lui enjoignant de réintégrer la demanderesse dans le poste rémunéré qu'elle occupait avant son congédiement injuste.

 

[85]           Il semble qu'à la lumière de la jurisprudence, une amende de 400 000 $ soit bien plus élevée que ce qu’appellent l'intérêt public et de la gravité de l'outrage; toutefois, une amende comparable à celle qui a été infligée à l’occasion de l'affaire Métro Média (5 000 $) serait également insuffisante, compte tenu des autres facteurs au dossier.

 

[86]           En l’espèce, le dossier ne contient pas suffisamment de renseignements au sujet des actifs de l'Institut; il en ressort seulement que l'agent négociateur représente environ 55 000 membres. Toutefois, compte tenu de la taille de l'Institut, il est nécessaire que l'amende corresponde à plus qu'un montant symbolique pour ses membres.

 

[87]           Qui plus est, l'amende doit tenir compte des circonstances aggravantes susmentionnées, la durée de la violation par exemple, ainsi que des circonstances atténuantes, par exemple la décision de la Commission de confirmer la suspension de cinq ans de Mme Bremsak.

 

IV)      Conclusion quant à l'appel

 

[88]           Après avoir examiné l'ensemble des faits de la présente espèce et après avoir apprécié les facteurs pertinents mentionnés dans les présents motifs, je suis d'avis que l'amende à laquelle l'Institut a été condamné devrait être ramenée au montant de 250 000 $ payable dans les soixante‑cinq jours de la date du jugement à prononcer. Je constate que, conformément à l'article 149 des Règles, l'Institut a déjà consigné la somme de 400 000 $ à la Cour.

 

[89]           À ce moment‑ci, je ne vois aucune raison de conserver les paragraphes 2 et 3 de l’ordonnance de réparation par laquelle le juge accordait à l’Institut la possibilité de se libérer de sa condamnation pour outrage en concluant une entente à l'amiable avec Mme Bremsak. Je retiens l’idée que la médiation constitue une option valide permettant aux parties de tenter de résoudre leurs différends, mais il vient un temps où l'optimisme judiciaire doit céder le pas à la réalité. Les parties se disputent devant les tribunaux depuis 2007. La Commission, la Cour fédérale et notre Cour en sont toutes arrivées à la même conclusion : l'intransigeance manifestée par une partie s'est butée à la méfiance de l’autre partie (2012 CAF 91, au paragraphe 4). Le mot d'ordre entre les parties est l'intransigeance (ordonnance de réparation, au paragraphe 6).

 

B)        L'appel incident

 

[90]           Je passe maintenant à l'appel incident. Bien qu'il ait été formé après l'expiration du délai prévu par les Règles, l'appel incident a été débattu à fond lors de l'audience et le dossier confirme que Mme Bremsak a toujours l'intention de poursuivre cette affaire. Je ne vois aucune raison valable de ne pas statuer sur l'appel incident à cette étape‑ci. La question est simple et les parties nous ont déjà fait part de leurs observations. L'Institut ne subit aucun préjudice et il est dans l'intérêt des parties que la présente affaire pour outrage connaisse son dénouement sans plus de délais ou de procédures. Je propose donc de faire droit à la requête en prorogation du délai imparti pour former le présent appel incident, d'accepter le dépôt de l'avis d'appel incident figurant au dossier de requête de Mme Bremsak (annexe A, à la page 4) et de trancher l'appel incident.

 

[91]           Par son ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal, le juge a reporté à plus tard la question des dépens. Alors que son ordonnance portant condamnation pour outrage faisait l'objet d'un appel, le juge a, deux mois plus tard, ordonné aux parties de déposer leurs observations écrites au sujet de la réparation appropriée. Il a toutefois également précisé qu'il n'y aurait pas d’adjudication des dépens à ce moment‑là, étant donné que ceux-ci dépendaient de la décision que notre Cour rendrait (dossier de requête présenté par le défendeur dans le cadre de l'appel incident, page 23, au paragraphe 3). Il a ensuite prononcé son ordonnance de réparation, laquelle est muette sur la question des dépens.

 

[92]           À la suite du prononcé de l’ordonnance de réparation, Mme Bremsak a communiqué avec la Cour fédérale au sujet de cette omission. Le juge Lemieux avait alors pris sa retraite et c'est le juge Martineau qui a donné une directive le 11 février 2013 dans le dossier T‑2049‑09. Voici l'extrait qui nous intéresse :

[traduction]

Il semble que la question de la mesure ait été tranchée de façon définitive par le juge Lemieux dans son jugement du 29 novembre 2012. Malgré le fait que le jugement du 16 février 2012 mentionne que « l'adjudication des dépens est reportée à plus tard », il appert que la question des dépens aurait dû être soulevée par la demanderesse devant le juge Lemieux avant que celui‑ci ne rende son jugement définitif. Compte tenu du fait que le jugement définitif prononcé par le juge Lemieux dans l'instance relative à l'outrage au tribunal n’adjuge pas de dépens et qu'il refuse « toutes les mesures » réclamées à l'exception de celles qui sont expressément mentionnées, notre Cour est maintenant dessaisie et n'a pas le pouvoir d'adjuger des dépens spéciaux en faveur de la demanderesse.

 

Par conséquent, la Cour refuse de rendre quelque ordonnance que ce soit au sujet des dépens.

 

 

[93]           Une directive n'est évidemment pas susceptible d'appel et Mme Bremsak se retrouve donc avec l'avis de requête qu'elle a déposé devant notre Cour en prorogation du délai qui lui est imparti pour former un appel incident sur la question des dépens. Madame Bremsak sollicite les dépens spéciaux pour défrayer les coûts du procès pour outrage, de l'audience de justification et du contre-interrogatoire de Mme Isabelle Roy (pour tenir compte des frais de 727,13 $ afférents à la transcription et aux services de sténographie). Madame Bremsak a déjà obtenu un montant forfaitaire de 7 000 $ pour l'appel interjeté de l'ordonnance portant condamnation pour outrage. L'Institut soutient que Mme Bremsak a droit aux débours qu'elle a engagés au cours de l'audience devant le protonotaire et le juge, mais qu’elle n’a droit à aucun autre frais. L'Institut ajoute que rien ne permet de penser que Mme Bremsak a dû renoncer à des activités rémunératrices en raison de sa participation aux instances en question.

 

[94]           Il n'y a aucun doute que Mme Bremsak a consacré du temps et de l'énergie à défendre la décision de 2009 ordonnant sa réintégration. La partie qui se représente seule peut avoir droit à une certaine forme d’indemnité « particulièrement lorsque sa présence à une audience est nécessaire et qu’elle encourt, de ce fait, des pertes de revenus » (Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115, au paragraphe 24, citant l'arrêt Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national), [2003 CAF 202, [2003] 4 C.F. 865]). En l’espèce, peut‑on accorder à Mme Bremsak le montant de 14 000 $ qu'elle propose à titre de dépens? Non. Compte tenu notamment de la nature des instances introduites devant la Cour fédérale, du fait que l'audience relative à l'outrage n'a duré qu'une journée, du fait que le juge a réclamé des observations supplémentaires et d'autres communications avec la Cour fédérale au sujet des dépens et, enfin, du fait que le présent appel incident a été formé tardivement, je propose de faire droit à l'appel incident, le tout sans frais devant notre Cour, et de fixer à 4 000 $, incluant les débours et les taxes, les dépens payables à Mme Bremsak pour l'instance en outrage au tribunal introduite devant la Cour fédérale.

 

 

 

C)        Conclusions

 

[95]           En résumé je propose les mesures suivantes :

 

a)         faire droit à l'appel, annuler l'ordonnance de réparation et condamner l'Institut à une amende de 250 000 $. payable dans les soixante‑cinq (65) jours de la date du jugement à prononcer;

 

b)         adjuger à l’Institut 4 000 $ à titre de dépens dans le présent appel, ce qui comprend les débours et les taxes;

 

c)         accepter le dépôt de la requête en prorogation du délai imparti pour former un appel incident;

 

d)         faire droit à l'appel incident, le tout sans frais devant notre Cour, et fixer à 4 000 $, incluant les débours et les taxes, les dépens payables à Mme Bremsak pour l'instance en outrage au tribunal introduite devant la Cour fédérale.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            David Stratas, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 



ANNEXE

 

 

 

 

Affaire

Outrage au tribunal

Durée de l'outrage

 

Peine

CIT Financial Ltd. v. Western Waste Recyclers Inc.,

[2008] O.J. no 2386

Défaut de rendre de l'équipement loué.

Près de dix mois

6 000 $ (10 % des gains bruts de l'auteur de l'outrage)

 

Valeur actualisée : 6 395 $

 

9038-3746 Québec Inc. c. Microsoft Corporation,

2010 CAF 151

Distribution de 88 copies d'un logiciel et possession de 545 copies en vue de la vente.

Environ six mois

50 000 $ pour chaque infraction (pour un total de 100 000 $)

 

Valeur actualisée :

105 852 $

 

College of Optometrists of Ontario v. SHS Optical Ltd.,

2009 ONCA 19

Délivrer des lunettes prescrites à des clients sans prescription après avoir déjà été déclarée coupable d'outrage au tribunal.

Environ onze mois

50 000 $ pour chaque jour de désobéissance, pour un total de 16 000 000 $

 

Valeur actualisée :

17 098 175 $

 

Doobay v. Diamond, 2012 ONCA 580

Refus de répondre aux questions après que le protonotaire le lui eut ordonné.

Près de trois ans entre la date du premier interrogatoire et le délai final fixé pour fournir des réponses écrites aux questions

40 000 $ et 42 jours de prison

 

Valeur actualisée :

40 461 $

British Columbia (Health Employers Assn.) v. Facilities Subsector Bargaining Assn.

2004 BCSC 762,

31 B.C.L.R. (4th) 124

 

Employés d'hôpitaux refusant d'obéir à l'ordonnance de retour au travail d'une commission des relations du travail.

Quatre jours

150 000 $

 

Valeur actualisée :

175 547 $

 

British Columbia Public School Employers Assn. v. British Columbia Teachers Federation,

2005 BCSC 1490

Enseignants refusant d'obéir à une ordonnance de retour au travail d'une commission des relations du travail.

Dix jours

500 000 $

 

Valeur actualisée :

575 304 $

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Métro-Média Inc.

[1996] A.C.F. no 1605,

67 A.C.W.S. (3d) 899.

 

Employeur refusant d'obéir à l'ordonnance de réintégration prononcée par un arbitre.

Quatre mois et deux semaines

Amende de 5 000 $

 

Valeur actualisée :

6 910 $

Manitoba Teachers’ Society, local 65 v. Fort Alexander Indian Band,

[1984] 1 C.F. 1109 (C.F. 1re inst.)

Bande indienne refusant de se conformer à l'ordonnance de réintégration de quatre enseignants. prononcée par une commission des relations du travail.

Trois mois

Amendes :

15 000 $ (la bande), 5 000 $ (le chef), 1 000 $ (chaque conseiller de la bande)

 

Valeur actualisée :

30 446 $ (la bande) 10 149 $ (le chef)
2 030 $ (les conseillers)

 

United Food and Commercial Workers, Local 1252 v. Western Star, a Division of Thomson Newspaper Co., (1995)

130 D.L.R. (4th) 538 (C.S. T.‑N.‑L. 1re inst.)

 

A essentiellement refusé de se conformer à l'ordonnance de réintégration de l'employé prononcée par un arbitre en ne confiant pas les mêmes fonctions à cet employé.

 

S/O

S/O parce que l’intéressé s'est vu offrir la possibilité de se libérer de sa condamnation pour outrage

L’Union des employés de commerce, local 503 c. Baribeau et al., [1978] R.P. 338

À la suite de la réintégration, l'employeur a imposé des fonctions punitives à l'employé.

 

Aucun renseignement plus détaillé disponible au sujet de cette affaire

Amende de 2 000 $

 

Valeur actualisée :

6 721 $

Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall,

2006 CF 788

Défaut de fournir des renseignements et des documents à l'ARC en conformité avec une ordonnance judiciaire.

 

Trois mois

3 000 $

 

Valeur actualisée :

3 370 $

Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. c. Cutter
Canada Ltd.
,

[1987] 2 C.F. 557

 

Disposition du produit breveté au lieu de le remettre au breveté contrairement à ce qui avait été ordonné.

S/O

50 000 $

 

Valeur actualisée :

89 781 $

Autres exemples :

 

Affaire

Outrage au tribunal

Durée de l'outrage

 

Peine

Apotex Fermentation Inc. v. Novopharm Ltd., (1998),

162 D.L.R. (4th) 111,

[1998] 10 W.W.R. 455, (CA Man)

Recherche sur un médicament au mépris d'une injonction.

Dix-neuf mois

100 000 $ (personne morale)

10 000 $ (pour chacune des 4 personnes physiques)

 

Valeur actualisée :

134 573 $

13 457 $

Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2003 CAF 234

Vendre des médicaments brevetés et aider d'autres personnes à les vendre malgré une injonction.

A vendu directement des médicaments pendant 10 jours et a aidé d'autres à le faire pendant presque quatre mois

125 000 $ contre la société, 4 500 $ contre le PDG de la société

 

Valeur actualisée :

150 000 $ (société)

5 400 $ (PDG)

 

Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor (2000),

186 F.T.R. 241,

(C.F.)

Représentation d'un personnage pour enfants en violation d'une ordonnance judiciaire interdisant de contrefaire une marque de commerce et de violer le droit d'auteur.

 

S/O

3 000 $

 

Valeur actualisée :

3 864 $

Telewizja Polsat S.A. c. Radiopol Inc.,

2006 CF 137.

Manquement à des ordonnances judiciaires interdisant de violer le droit d'auteur, intention nette de violer les ordonnances et absence d'excuse.

Cinq mois

25 000 $ (personne morale défenderesse)

10 000 $ + six mois d'emprisonnement (personne physique défenderesse)

 

Valeur actualisée :

28 082 $

11 233 $

Saskatchewan Health-Care Assn. v. Saskatchewan Union of Nurses,

[1999] 12 W.W.R. 240

182 Sask. R. 248

Défaut de mettre fin à une grève à la suite d'une injonction.

Sept jours

120 000 $

 

Valeur actualisée :

158 881 $

Great Canadian Railtour Co. v. Teamsters Local Union No. 31,

2012 BCSC 632

 

Dresser des lignes de piquetage malgré une injonction.

Onze jours

25 000 $

 

Valeur actualisée :

25 288 $

 

Dursol-Fabrik Otto Durst GmbH & Co. KG c. Dursol North America Inc.

2006 CF 1115

 

Défaut de respecter des ordonnances judiciaires enjoignant de cesser la commercialisation et la vente de marchandises contrefaites.

 

Minimum de sept mois

20 000 $ et 14 jours d'emprisonnement à défaut de payer l'amende dans les 60 jours

 

Valeur actualisée :

22 466 $

Builders Energy Services Ltd. v. Paddock,

2009 ABCA 153, 457 A.R. 266

Violation d'un jugement sur consentement.

S/O

500 000 $ ou 15 mois d'emprisonnement à défaut de payer l'amende

 

Valeur actualisée :

534 318 $

 

Nota : Les valeurs actualisées sont calculées à l'aide de la feuille de calcul de l'inflation de la Banque du Canada http://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation/ La feuille de calcul de l'inflation utilise les données mensuelles de l'indice des prix à la consommation depuis 1914 jusqu'à aujourd’hui.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :

A-554-12

 

INTITULÉ :

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c. IRENE J. BREMSAK

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                lE 14 MAI 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                          

LE JUGE STRATAS

                                                                                               

LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :                    

                                                                                                                        LE 16 SEPTEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

PETER ENGELMANN

BENJAMIN PIPER

 

POUR L’APPELANT

 

DAVID DONOHOE

POUR L’INTIMÉe

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sack Goldblatt Mitchell LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Donohoe & Company

Vancouver-Nord (Colombie-Britannique)

 

POUR L’INTIMÉe

 

 

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