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Date : 20240320


Dossier : A-343-21

Référence : 2024 CAF 54

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

LA SUCCESSION DE MANOUTCHEHR BIGDELI-AZARI

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 20 mars 2024.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 20 mars 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

 


Date : 20240320


Dossier : A-343-21

Référence : 2024 CAF 54

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

LA SUCCESSION DE MANOUTCHEHR BIGDELI-AZARI

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 20 mars 2024.)

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

[1] Les faits à l’origine de la présente affaire sont pour le moins inusités. Monsieur Manoutchehr Bigdeli-Azari a présenté le 11 août 2004 une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) et une demande de prestations de Supplément de revenu garanti (SRG). Cette demande a été accueillie en partie, du fait que M. Bigdeli-Azari n’avait pas cumulé les années requises de résidence au Canada pour obtenir une pleine pension. Il a donc obtenu une pension partielle de 10/40, et les prestations de la SV et de la SRG sont devenues payables à partir de juillet 2005.

[2] Le 20 août 2007, le fils de M. Bigdeli-Azari (qui représente également la succession de M. Bigdeli-Azari devant nous) a été désigné comme curateur aux biens et à la personne de M. Bigdeli-Azari par la Cour supérieure du Québec. Un mois plus tard (soit le 25 septembre 2007), le curateur a avisé le Ministre que M. Bigdeli-Azari avait quitté le pays, présumément à la suite d’un enlèvement. Le Ministre a donc suspendu les prestations de la SV et du SRG de M. Bigdeli-Azari à partir du mois d’avril 2008, soit six mois après son départ du Canada.

[3] En avril 2016, le curateur a communiqué avec le Ministre pour réclamer le paiement de toutes les prestations de la SV et du SRG de M. Bigdeli-Azari à partir de la date à laquelle elles ont cessé d’être versées, au motif que son père aurait dû être considéré résident canadien même s’il ne s’y trouvait plus à la suite de son enlèvement. Le Ministre a refusé, en expliquant que M. Bigdeli-Azari ne pouvait toucher à la pension de la SV à l’extérieur du Canada que pour les six mois suivants son départ du Canada, du fait qu’il n’avait pas habité au Canada pendant au moins 20 ans après son 18e anniversaire.

[4] Finalement, le curateur a avisé le Ministre du retour de M. Bigdeli-Azari au Canada en date du 11 août 2016, et a de nouveau demandé le paiement de toutes les prestations de la SV et du SRG ainsi que leur paiement rétroactif depuis la date où elles avaient cessé. Le Ministre a cependant reçu le 18 août 2016 l’avis de décès de M. Bigdeli-Azari, en date du 14 août 2016.

[5] Le curateur a par la suite demandé la révision de la décision du Ministre autorisant uniquement le versement de la pension de la SV pour le mois de retour au Canada, soit août 2016. Le Ministre ayant maintenu sa décision initiale, la succession de M. Bigdeli-Azari a fait appel à la Division générale du Tribunal de la Sécurité Sociale. La Division générale a rejeté l’appel le 31 mars 2021, et cette décision a été maintenue par la Division d’appel du même Tribunal le 20 octobre 2021. C’est à l’encontre de cette décision que la succession a déposé une demande de contrôle judiciaire.

[6] Il est bien établi depuis la décision rendue par cette Cour dans l’arrêt Hurtubise c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 147 (aux para. 5-6) que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la Division d’appel est celle de la raisonnabilité. Notre Cour doit donc décider s’il était raisonnable pour la Division d’appel de confirmer la décision de la Division générale, compte tenu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, c. 34. Cette disposition n’autorise la Division d’appel à intervenir que dans la mesure où la Division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, a commis une erreur de droit ou s’est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Au terme de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, c. O-9 (« la Loi »), seule une personne ayant résidé au Canada pendant au moins vingt ans (après l’âge de 18 ans) au moment de son départ peut toucher une pension de la SV pendant qu’elle se trouve à l’extérieur du Canada (para. 9(2)). Le paragraphe 9(1) précise par ailleurs que la pension est suspendue « après le sixième mois d’absence ininterrompue du Canada qui suit l’ouverture du droit à la pension (…) et il ne peut reprendre que le mois où le pensionné revient au Canada ». L’alinéa 21(1)b) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., c. 1246 prévoit d’autre part qu’une personne est présente au Canada « lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada ».

[8] Or, la preuve démontre que M. Bigdeli-Azari s’est absenté du Canada pendant presque neuf ans, de 2008 à 2016, après que la pension partielle de 10/40 lui ait été accordée en juillet 2005. Le demandeur ne conteste pas que M. Bigdeli-Azari ne cumulait pas 20 ans de résidence avant son départ du Canada, et ne remet pas en question non plus le fait qu’il n’était pas au Canada de 2008 à 2016. Sa prétention est plutôt qu’un enlèvement ne constitue pas un départ, et qu’une personne ne peut être considérée absente à moins qu’elle ne quitte volontairement le Canada. Compte tenu du fait que la Loi et le Règlement sur la sécurité de la vieillesse ne prévoient pas d’exception à la règle selon laquelle la pension est suspendue en cas d’absence de plus de six mois, même pour des motifs humanitaires, et que le demandeur ne nous a soumis aucun précédent jurisprudentiel au soutien de son argumentation, la Division d’appel pouvait raisonnablement conclure que la Loi ne lui accorde aucune discrétion.

[9] Nous sommes également d’avis que la Division d’appel pouvait raisonnablement conclure que la Division générale n’avait pas fait défaut d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Pour en arriver à cette conclusion, la Division d’appel a écouté l’enregistrement de l’audience devant la Division générale; elle en a retenu que le demandeur n’a soulevé aucune objection de procédure, et qu’il a eu l’opportunité de présenter sa cause et de faire valoir ses arguments par écrit et oralement. Ces constats n’ont pas été remis en question devant nous.

[10] Enfin, nous sommes tous d’opinion que les arguments fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés invoqués par le demandeur ne peuvent être considérés par cette Cour. Dans une décision interlocutoire en date du 3 octobre 2019 (Dossier de la demanderesse, à la p. 53), la Division générale a refusé d’entendre les arguments du demandeur à cet égard en s’appuyant sur l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, D.O.R.S./2013-60 tel qu’il existait à l’époque. Cette disposition prévoyait qu’une partie désirant soulever l’invalidité d’une disposition devait envoyer un avis au Tribunal contenant la disposition visée et toutes observations à l’appui de la question soulevée. Dans sa décision, la Division générale a considéré que le demandeur n’expliquait pas comment la ou les dispositions contestées brimaient ses droits constitutionnels. De son côté, la Division d’appel a conclu que la Division générale n’avait commis aucune erreur dans son interprétation de l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, et que les observations du demandeur à l’appui de sa contestation constitutionnelle n’étaient pas suffisamment précises pour lui permettre de déceler les grandes lignes d’un argument fondé sur la Charte. Or, le demandeur ne nous a pas convaincus du caractère déraisonnable de cette décision.

[11] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

« Yves de Montigny »

Juge en chef

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-343-21

 

 

INTITULÉ :

LA SUCCESSION DE MANOUTCHEHR BIGDELI-AZARI c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 mars 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE ROUSSEL

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

 

COMPARUTIONS :

Farzad Bigdeli-Azari

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Yanick Bélanger

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Farzad Bigdeli-Azari

Montréal (Québec)

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

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