Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230804


Dossiers : A-278-22

A-279-22

Référence : 2023 CAF 174

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

Dossier : A-278-22

 

 

ENTRE :

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

RÉAL GAGNON

 

 

défendeur

 

 

Dossier : A-279-22

 

 

ET ENTRE :

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

SÉBASTIEN ST-LOUIS

 

 

défendeur

 

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe,

le 29 juin 2023.

Jugement rendu à Ottawa, le 4 août 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y A (ONT) SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20230804


Dossiers : A-278-22

A-279-22

Référence : 2023 CAF 174

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

Dossier : A-278-22

 

 

ENTRE :

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

RÉAL GAGNON

 

 

défendeur

 

 

Dossier : A-279-22

 

 

ET ENTRE :

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

SÉBASTIEN ST-LOUIS

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Les présentes demandes de contrôle judiciaire portent sur deux décisions de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la Division d’appel), et mettent en cause l’admissibilité de deux prestataires à la prestation d’assurance-emploi d’urgence (PAEU) établie dans le cadre de la Partie 18 de la Loi sur les mesures d’urgence visant la COVID-19, L.C. 2020, ch. 5. Dans la mesure où ces demandes soulèvent toutes deux l’interprétation et la portée de l’article 153.9 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi) et ont été rédigées de façon identique par le même membre de la Division d’appel, la Cour a fait droit à une requête du Procureur général et a ordonné la réunion des deux dossiers de telle sorte qu’ils ont été instruits conjointement.

[2] Les deux prestataires, MM. Gagnon et St-Louis, n’ont pas participé à l’appel et n’ont fait aucune représentation devant nous. La Cour doit donc se prononcer sur la question en litige, qui en est une d’interprétation législative, sur la seule base des arguments qu’a soumis le Procureur général. Ceci dit, la Cour a un dossier complet devant elle, qui inclut notamment la décision initiale de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) ainsi que la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la Division générale) et celle de la Division d’appel qui fait l’objet du présent appel.

[3] Après avoir soigneusement considéré la position du Procureur général, ainsi que la jurisprudence du Tribunal de la sécurité sociale sur cette question, je suis d’avis que les demandes de contrôle judiciaire doivent être rejetées. En d’autres termes, j’estime raisonnable la décision de la Division d’appel selon laquelle, gagner un montant supérieur à 1 000$ au cours d’une période de quatre semaines, ne disqualifie pas un prestataire qui remplit par ailleurs les conditions prévues aux alinéas 153.9(1)a) et b) de la Loi. Je m’en expliquerai dans les paragraphes qui suivent.

I. Le contexte législatif

[4] Pour bien comprendre la problématique que soulèvent les deux décisions de la Division d’appel qui font l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire, il importe dans un premier temps de se familiariser avec le contexte législatif dans lequel elles ont pris naissance.

[5] Confronté aux conséquences désastreuses entraînées par la pandémie de COVID-19 pour l’économie canadienne et les travailleurs, le gouvernement canadien a rapidement adopté deux programmes de remplacement du revenu le 25 mars 2020. Le premier, qui ne fait pas l’objet du présent litige, a été créé par la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, L.C. 2020, ch. 5, art. 8 (la Loi sur la PCU) (édictée par l’article 8 de la Loi sur les mesures d’urgence visant la COVID-19). Cette prestation (la PCU) visait les travailleurs non éligibles à l’assurance-emploi, et s’adressait à tous les employés et travailleurs indépendants qui avaient cessé de travailler pendant au moins 14 jours consécutifs pour des raisons liées à la COVID-19, et qui n’avaient pas reçu de revenu d’emploi ou provenant de travail indépendant supérieur à 1 000$ pendant la période de quatre semaines pour laquelle ils demandaient l’allocation (Loi sur la PCU, art. 2 et paragraphe 6 (1); Règlement sur l’allocation de soutien du revenu (revenu nominal soustrait), DORS/2020-90, art. 1).

[6] Le deuxième programme est venu remplacer temporairement les prestations dont aurait pu se prévaloir une personne au titre de la Loi. Il s’agit de la PAEU, ajoutée par la Partie VIII.4 de la Loi aux termes d’un arrêté ministériel provisoire à compter du 1er avril 2020. La Partie 18 de la Loi sur les mesures d’urgence visant la COVID-19 autorisait en effet le Ministre de l’Emploi et du Développement social à prendre des arrêtés provisoires d’urgence afin d’atténuer les répercussions économiques engendrées par la pandémie. Dans son premier arrêté provisoire (DORS/2020-61), le ministre a ajouté l’article 153.5 et les paragraphes 153.9(1) à (3); ce premier arrêté provisoire a été suivi d’un deuxième le 16 avril 2020 (DORS/2020-88), qui a ajouté le paragraphe 153.9(4) à la Loi.

[7] Aux termes de l’article 153.8, tout « prestataire » peut demander la PAEU pour toute période de deux semaines commençant un dimanche et se terminant entre le 15 mars et le 3 octobre 2020. Le paragraphe 153.5(2) définit un « prestataire » en fonction de différents critères, les plus pertinents pour nos fins étant :

  • -Une personne qui cesse d’exercer son emploi ou d’exécuter un travail pour son compte, pour des raisons liées à la COVID-19;

 

  • -Une personne qui aurait pu établir une période de prestations commençant le 15 mars 2020 pour une prestation d’assurance-emploi en vertu de la Partie 1 de la Loi (c’est-à-dire les prestations régulières d’assurance-emploi et de maladie).

[8] C’est le paragraphe 153.9(1) qui régit les conditions d’admissibilité. Les alinéas pertinents pour nos fins sont les suivants :

Admissibilité

Eligibility

153.9 (1) Est admissible à la prestation d’assurance-emploi d’urgence le prestataire suivant :

153.9 (1) A claimant is eligible for the employment insurance emergency response benefit

a) celui qui, à la fois :

(a) if they

(i) réside au Canada,
(i) reside in Canada,
(ii) est âgé d’au moins 15 ans,
(ii) are at least 15 years of age,
(iii) a une rémunération assurable, pour l’année 2019 ou au cours des cinquante deux semaines précédant la date à laquelle il présente une demande en vertu de l’article 153.8, qui s’élève à au moins cinq mille dollars,
(iii) have insurable earnings of at least $5,000 in 2019 or in the 52 weeks preceding the day on which they make the claim under section 153.8,
(iv) cesse d’exercer son emploi — ou d’exécuter un travail pour son compte — pendant au moins sept jours consécutifs compris dans la période de deux semaines pour laquelle il demande la prestation,
(iv) whether employed or self-employed, cease working for at least seven consecutive days within the two-week period in respect of which they claimed the benefit, and
(v) n’a aucun revenu provenant d’un emploi qu’il exerce — ou d’un travail qu’il exécute pour son compte —, pour les jours consécutifs pendant lesquels il cesse d’exercer son emploi ou d’exécuter un travail pour son compte;
(v) have no income from employment or self-employment in respect of the consecutive days on which they cease working;

b) celui visé à l’alinéa 153.5(2)b) qui n’a aucun revenu provenant d’un emploi qu’il exerce — ou d’un travail qu’il exécute pour son compte —, pendant au moins sept jours consécutifs compris dans la période de deux semaines pour laquelle il demande la prestation;

(b) if they are a claimant referred to in paragraph 153.5(2)(b) and they have no income from employment or self-employment for at least seven consecutive days within the two-week period in respect of which they claimed the benefit; or

[9] Par ailleurs, le paragraphe 153.9(2) prévoit qu’un prestataire n’est pas admissible à recevoir la PAEU s’il reçoit d’autres types énumérés de prestations. Le paragraphe 153.9(3) exclut le prestataire qui quitte volontairement son emploi. Quant au paragraphe 153.9(4), il prévoit l’exception suivante :

Exception – emploi, travail et revenu

 

Exception – employment, self-

employment and income

 

153.9 (4) Dans le cas où le total des revenus provenant d’un emploi que le prestataire exerce ou d’un travail qu’il exécute pour son compte est de mille dollars ou moins pour une période de quatre semaines qui se succèdent dans l’ordre chronologique sans nécessairement être consécutives et à l’égard desquelles la prestation d’assurance-emploi d’urgence est versée, le prestataire est réputé satisfaire aux exigences des sous alinéas (1)a)(iv) et (v), de l’alinéa (1)b) ou du sous-alinéa (1)c)(iv), selon le cas.

153.9 (4) If a claimant receives income, whether from employment or self-employment, the total of which does not exceed $1,000 over a period of four weeks that succeed each other in chronological order but not necessarily consecutively and in respect of which the employment insurance emergency response benefit is paid, the claimant is deemed to meet the requirements of subparagraphs (1)(a)(iv) and (v), of paragraph (1)(b) or of subparagraph (1)(c)(iv), as the case may be.

[10] Enfin, le paragraphe 153.6(1) (lu conjointement avec les articles 43, 44 et 153.1301) stipule qu’un prestataire doit rembourser sans délai les prestations auxquelles il n’avait pas droit mais qui ont néanmoins été versées par la Commission.

II. Les demandes de prestations de MM. Gagnon et St-Louis

A) Monsieur Gagnon

[11] M. Gagnon a présenté une demande initiale de prestation d’assurance-emploi prenant effet le 15 mars 2020. Les prestations demandées furent converties en PAEU par l’effet de l’article 153.5 et de l’alinéa 153.9(1)b). Bien que sa dernière journée payée ait été le 23 avril 2020, M. Gagnon a déclaré être sans rémunération pour la période du 15 mars 2020 au 16 mai 2020.

[12] Le 9 avril 2020, M. Gagnon a contacté la Commission et l’a informée qu’il avait reçu une rémunération au montant de 478,79$ de son employeur le 2 avril 2020. Il a expliqué que son employeur avait décidé de continuer à le payer bien qu’il n’ait pas travaillé. Il a par la suite contacté la Commission le 2 octobre 2020 pour l’informer qu’il avait été payé par son employeur jusqu’au 25 avril 2020. Il a alors demandé s’il devrait rembourser les prestations déjà reçues entre le 15 mars et le 25 avril 2020.

[13] La Commission a examiné le dossier de M. Gagnon et lui a envoyé un avis de dette en raison de la rémunération reçue de son employeur entre le 15 mars et le 25 avril 2020. Le trop-payé initial pour cette période était d’un montant de 1 376$. Il appert que M. Gagnon avait reçu 430$ par semaine de son employeur pour les quatre premières semaines de cette période, et 516$ pour les deux dernières semaines.

[14] M. Gagnon a présenté une demande de révision de cette décision à la Commission. Après vérification du dossier, la Commission a conclu que M. Gagnon était effectivement inadmissible aux prestations pour la période entière du 15 mars 2020 au 9 mai 2020, puisqu’il avait gagné 1 720$ pour le premier bloc de quatre semaines (du 15 mars au 11 avril 2020), et 1 032$ pour le deuxième bloc (du 12 avril au 16 mai 2020). Voici un tableau qui résume la situation de M. Gagnon :

Réal Gagnon

Semaine

Rémunérations

PU-AE Versées

PU-AE payables

après révision

 

PREMIER BLOC

 

 

15 mars – 21 mars 2020

430$

500$

0$

22 mars – 28 mars 2020

430$

500$

0$

29 mars – 4 avril 2020

430$

500$

0$

5 avril – 11 avril 2020

430$

500$

0$

 

DEUXIÈME BLOC

 

 

12 avril – 18 avril 2020

602$

500$

0$

19 avril – 25 avril 2020

430$

500$

0$

26 avril – 2 mai 2020

0$

500$

0$

3 mai – 9 mai 2020

0$

500$

0$

Total

2 752$

4 000$

0$

10 mai au 16 mai 2020

0$

500$

0$

[15] Le 20 janvier 2022, M. Gagnon a de nouveau contesté le montant de 1 376$ qu’on lui réclamait, tout en confirmant que les montants de rémunération reçus et indiqués sur son relevé d’emploi sont exacts. Après réexamen de son dossier, la Commission a maintenu sa décision initiale tout en modifiant le montant du trop-payé pour maintenant l’établir à 2 752$. Encore une fois, ce calcul est fondé sur les montants reçus par M. Gagnon de son employeur au cours des deux blocs de quatre semaines du 15 mars au 9 mai 2020.

[16] M. Gagnon a porté cette décision de la Commission en appel devant la Division générale. Se fondant sur le paragraphe 153.9(4), la Division générale a entériné la position de la Commission et conclu que M. Gagnon n’était pas admissible à recevoir la PAEU entre le 15 mars et le 9 mai 2020, puisqu’il avait reçu un montant supérieur à 1 000$ au cours des périodes de quatre semaines qui se succèdent entre ces deux dates. M. Gagnon a demandé la permission d’en appeler de cette décision, qui lui a été accordée par la Division d’appel.

B) Monsieur St-Louis

[17] Quant à M. St-Louis, il a présenté une demande initiale de prestation d’assurance-emploi le 23 mars 2020. Cette demande a été convertie en demande de PAEU et a pris effet le 22 mars 2020. M. St-Louis a reçu un paiement anticipé de 2 000$ (équivalent à quatre semaines de prestation), qui lui a été versé le 6 avril 2020.

[18] Contacté par la Commission le 23 juillet 2020, M. St-Louis a confirmé être retourné au travail le 28 avril 2020 et avoir reçu le paiement anticipé de 2 000$. Il a demandé que ses déclarations pour la période du 22 mars au 4 avril 2020 soient supprimées et que la Commission ne les traite pas, de façon à éviter de devoir rembourser un trop-payé. Voici un tableau qui résume la situation de M. St-Louis :

Sébastien St-Louis

Semaine

Rémunérations

PU-AE Versées

PU-AE payables

après révision

22 mars – 28 mars 2020

1 200$

0$

0$

29 mars – 4 avril 2020

0

0$

0$

5 avril – 11 avril 2020

0

2 000$

(paiement anticipé)

0$

12 avril – 18 avril 2020

0

0$

0$

19 avril – 25 avril 2020

750$

0$

0$

26 avril – 2 mai 2020

925$

0$

0$

Total

2 875$

2 000$

0$

[19] Dans une décision initiale en date du 21 octobre 2021, la Commission a informé M. St-Louis qu’il n’avait pas droit au paiement de 2 000$ et qu’il devait rembourser cette somme. M. St-Louis a demandé une révision de cette décision le 5 novembre 2021, et la Commission a confirmé sa décision initiale le 17 février 2022. La Commission a expliqué que le versement anticipé ne constituait pas une prestation d’urgence mais plutôt une avance en attendant les véritables prestations d’urgence, et constituait donc un prêt remboursable. Considérant la possibilité que M. St-Louis puisse remplir des déclarations pour la période où il était en arrêt de travail, la Commission a expliqué qu’il n’avait pas droit à la PAEU du fait qu’il n’y avait aucune période de quatre semaines où il avait gagné 1 000$ ou moins. Bien qu’il n’ait reçu aucune rémunération pour les semaines du 29 mars, 5 avril et 12 avril 2020, il avait gagné 1 200$ durant la semaine du 22 mars. Il était également inadmissible pour la deuxième période de quatre semaines, puisqu’il avait reçu une rémunération de 750$ et de 925$ pour les semaines du 19 avril et du 26 avril 2020.

[20] La Division générale a rejeté l’appel de M. St-Louis et a adopté l’interprétation de la Commission en concluant que M. St-Louis devait rembourser le montant total du paiement anticipé de 2 000$, dans la mesure où il avait reçu une rémunération provenant de son emploi de plus de 1 000$ pour chaque période de quatre semaines qui se succèdent. La Division d’appel a accueilli sa demande de permission d’en appeler de cette décision.

III. Les décisions contestées

[21] Tel que mentionné précédemment, le même membre de la Division d’appel a conclu dans les deux cas, et pour des motifs quasi-identiques, que la Division générale avait commis une erreur de droit en interprétant de manière erronée les dispositions de la Loi traitant de l’admissibilité à la PAEU. En conséquence, elle a rendu la décision qu’aurait dû rendre à son avis la Division générale, et a conclu que les deux prestataires étaient admissibles à la PAEU.

[22] Devant la Division d’appel, comme devant cette Cour, le Procureur général avait soutenu que le paragraphe 153.9(4) avait un double objectif : 1) introduire de la flexibilité dans les critères d’admissibilité à la PAEU, pour ceux qui gagnent un revenu nominal; et 2) établir un montant maximal (1 000$) de revenu au-delà duquel une personne perdrait son admissibilité à la PAEU. Se disant d’avis que la décision rendue précédemment dans l’affaire Commission de l’assurance-emploi du Canada c. JE (2022 TSS 201 (JE)) était convaincante et qu’on ne lui avait présenté aucune bonne raison de s’en écarter, la Division d’appel a conclu que le libellé du paragraphe 153.9(4) était clair et précis et ne pouvait avoir qu’un seul objectif : considérer que certaines personnes sont admissibles à la PAEU même si elles ne répondent pas aux critères plus rigoureux prévus au paragraphe 153.9(1). Selon la Division d’appel, « aucune lecture de l’article 153.9(4) de la [Loi] ne peut justifier son interprétation comme incluant un deuxième objectif selon lequel une personne est rendue inadmissible à la prestation d’assurance-emploi d’urgence si son revenu sur quatre semaines s’avère être plus de 1 000$ » (RG c. Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1207, au para. 36; SS c. Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1459, au para. 39).

[23] La Division d’appel a de plus conclu que l’intention du législateur était de faire en sorte que le plus grand nombre de personnes possible puisse bénéficier de la PAEU, qu’elle soit offerte de façon simple et rapide, et qu’elle permette aux bénéficiaires de maintenir des liens avec le marché du travail. Selon elle, l’interprétation de la Commission allait à l’encontre de ces objectifs et risquait de créer un montant important de trop-perçus, car les prestataires pourraient demander des prestations toutes les 2 semaines alors que leur droit aux prestations ne pourrait être confirmé qu’à la fin de la période de 4 semaines. Enfin, la Division d’appel s’est dite d’avis que le fait de créer une exception selon laquelle une personne gagnant moins qu’un certain montant devient éligible à la PAEU ne signifie pas qu’une personne qui a déjà droit à la prestation deviendrait inadmissible si elle gagnait plus que ce montant.

[24] Sur la base de ces considérations, la Division d’appel a examiné les dossiers de MM. Gagnon et St-Louis. Dans le cas de M. Gagnon, la Division d’appel n’a considéré que les demandes de prestations pour les semaines du 19 avril au 2 mai 2020 et du 3 mai au 16 mai 2020, du fait que le prestataire ne prétendait plus avoir droit à des prestations pour les périodes couvertes par ses demandes antérieures. Dans ce contexte, la Division d’appel a conclu que M. Gagnon n’avait touché un revenu que pendant une semaine au cours de cette période de quatre semaines, soit 430$ pour la semaine du 19 au 25 avril 2020. En conséquence, il avait satisfait aux exigences relatives à la perte de revenu pour ces deux périodes puisqu’il n’avait touché aucun revenu pendant au moins sept jours consécutifs au cours de chacune des deux périodes de deux semaines pour lesquelles il demandait une prestation.

[25] En ce qui concerne M. St-Louis, la Division d’appel a considéré les périodes de deux semaines à compter du moment où la demande de prestations avait été établie, soit le 22 mars 2020. Considérant qu’il avait touché 1 200$ au cours de cette première semaine mais qu’il n’avait eu aucun revenu au cours des trois semaines subséquentes, la Division d’appel a conclu qu’il y avait deux périodes de deux semaines pendant lesquelles le prestataire se qualifiait en vertu du paragraphe 153.9(1), du fait qu’il n’avait eu aucun revenu pendant sept jours consécutifs durant chacune des deux périodes. Il était donc admissible aux prestations pour ces deux périodes de deux semaines, soit du 22 mars au 18 avril 2020, puisque selon l’interprétation de la Division d’appel le paragraphe 153.9(4) n’entrait pas en jeu.

IV. Question en litige

[26] La seule question en litige dans le présent pourvoi est celle de savoir si l’interprétation qu’a retenue la Division d’appel des paragraphes 153.9(1) et (4) est raisonnable.

V. Analyse

[27] Il ne fait aucun doute que les décisions de la Division d’appel sont sujettes à la norme de la raisonnabilité lorsqu’elles font l’objet d’un contrôle judiciaire par cette Cour : voir, par exemple, Stavropoulos c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 109, au para. 11; Stojanovic c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 6, au para. 34; Canada (Attorney General) v. Johnson, 2023 FCA 49, au para. 9 (Johnson). Le rôle de cette Cour n’est donc pas de se demander comment elle aurait tranché la question si elle en avait été saisie, mais bien plutôt de se demander si la demanderesse a démontré le caractère déraisonnable de la décision rendue par la Division d’appel. Par conséquent, la question que la Cour doit se poser est celle de savoir si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, à savoir la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux paras. 99-102; Canada (Procureur général) c. Hull, 2022 CAF 82, au para. 12.

[28] Le Procureur général a tenté de faire valoir que l’intervention de la Division d’appel dans le dossier de M. Gagnon était déraisonnable, parce qu’elle n’avait pas identifié l’erreur qu’aurait commise la Division générale. Il distingue cette décision de celle rendue dans le dossier de M. St-Louis, où la Division d’appel a explicitement énoncé que la Division générale avait erré en droit en ne motivant pas son interprétation des dispositions pertinentes et n’avait pas expliqué pourquoi elle s’écartait d’une décision précédente.

[29] À mon avis, cet argument est sans fondement. D’une part, il est clair que la Division d’appel pouvait intervenir si elle était d’avis que la Division générale avait commis une erreur de droit, tel que le prévoit l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 : voir notamment Johnson, au para. 8. Il est clair à la lecture de ses motifs que la Division d’appel n’était pas simplement en désaccord avec l’interprétation retenue par la Division générale; au contraire, elle a expliqué pourquoi cette dernière avait erré, en s’appuyant notamment sur la décision JE citée plus haut. C’est sur cette base, et en s’appuyant sur les paragraphes 59(1) et 64(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, que la Division d’appel a rendu la décision que la Division générale aurait dû rendre.

[30] Le Procureur général soutient également que la Division d’appel ne pouvait intervenir puisque la Division générale n’a pas commis d’erreur de droit en rendant sa décision. Au soutien de cette prétention, le Procureur général fait valoir les mêmes arguments qu’il a développés devant nous à l’encontre de la décision de la Division d’appel. Si l’on devait faire droit à cet argument, la Cour se trouverait indirectement à réviser la décision rendue par la Division générale. Tel n’est pas notre rôle. C’est la décision de la Division d’appel qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire, aux termes de l’article 68 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, et non la décision de la Division générale. Si le Procureur général voulait contester la décision de la Division d’appel d’accorder la permission d’en appeler, c’est de cette décision qu’il aurait dû demander le contrôle judiciaire, comme semble l’autoriser l’article 68 en référant à la décision du Tribunal « à l’égard d’une demande présentée ». Bien entendu, une telle demande n’aurait été considérée que dans la mesure où elle n’aurait pas été jugée prématurée : Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61.

[31] En tout état de cause, le Procureur général ne conteste pas que la Division d’appel était fondée à intervenir dans le dossier St-Louis. Par conséquent, la question relative à la raisonnabilité de l’interprétation législative des paragraphes 153.9(1) et (4) se pose et doit être tranchée.

[32] À ce chapitre, le Procureur général soutient que l’interprétation de ces deux dispositions retenues par la Division d’appel est déraisonnable et n’est pas conforme au texte, au contexte et à l’intention du législateur.

[33] Le Procureur général fait d’abord valoir que le texte du paragraphe 153.9(4) est susceptible de plusieurs interprétations. Si cette disposition s’applique seulement lorsque les critères du paragraphe 153.9(1) ne sont pas satisfaits, comme l’a établi la Division d’appel, comment expliquer la présence des mots « à l’égard desquelles la prestation d’assurance-emploi d’urgence est versée », qui laissent supposer que des prestations ont déjà été versées conformément au paragraphe 153.9(1)?

[34] Étant donné cette ambiguïté, le Procureur général soutient que la Division d’appel se devait d’accorder « un certain poids » à l’intention du législateur. Cette intention, poursuit-il, peut se déduire de trois éléments. Tout d’abord, la PCU prévoit une limite de revenu de 1 000$; bien que ce régime soit distinct de celui de la PAEU, il s’agissait dans les deux cas de verser rapidement des prestations pour aider les travailleurs qui ont perdu leur revenu d’emploi en raison de la pandémie.

[35] Un deuxième élément contextuel serait la note explicative accompagnant le deuxième arrêté provisoire qui a introduit le paragraphe 153.9(4). Cette note explicative se lit (en partie) comme suit :

Les travailleurs pourraient être admissibles à la Prestation d’assurance-emploi d’urgence s’ils cessent de travailler en raison de la COVID-19 ou s’ils étaient autrement admissibles aux prestations régulières ou de maladie de l’assurance-emploi en vertu des règles habituelles. L’arrêté provisoire vise à faire en sorte que ces groupes de prestataires de l’assurance-emploi doivent rencontrer les mêmes restrictions relatives au revenu. De plus, il spécifie que les prestataires peuvent recevoir un revenu nominal provenant d’un emploi ou d’un travail qu’ils exécutent pour leur compte, tout en maintenant leur admissibilité à la prestation.

Arrêté provisoire no 2 modifiant la Loi, cité au para 6. La note précise qu’elle ne fait pas partie de l’arrêté provisoire.

[36] Selon le Procureur général, cette note explicative confirme que l’intention du législateur était de limiter le revenu qu’un prestataire pouvait gagner tout en étant admissible à la PAEU et qu’à l’inverse, ledit prestataire ne pouvait rester admissible à la PAEU s’il avait des revenus supérieurs à la limite permise. Dans la même veine, le Procureur général cite certaines déclarations du premier ministre et de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes en situation de handicap, Carla Qualtrough (la ministre), à l’effet que les demandeurs de prestations d’urgence (PCU et PAEU) peuvent gagner jusqu’à 1000$ tout en restant admissibles à ces prestations. En n’accordant pas suffisamment de poids à ces déclarations et à la note explicative, et en ne reconnaissant pas que le paragraphe 153.9(4) avait non seulement pour objectif d’introduire une certaine flexibilité quant à l’admissibilité à la PAEU pour ceux qui gagnent un revenu minimal mais également de plafonner le montant des revenus considérés comme « nominaux », la Division d’appel aurait erré et en serait arrivé à un résultat absurde.

[37] Contrairement au Procureur général, je ne vois aucune ambiguïté dans le texte des paragraphes 153.9(1) et (4). Le premier traite des conditions d’admissibilité, au nombre desquelles se trouve l’exigence relative à la perte de revenu. Dans tous les cas prévus par cette disposition, un prestataire sera admissible s’il remplit un certain nombre de conditions, notamment celle de ne pas avoir reçu de revenu pendant au moins sept jours consécutifs au cours de la période de deux semaines pour laquelle il a demandé la prestation. Quant au paragraphe 153.9(4), il prévoit une exception à l’exigence relative à la perte de revenu. Dans l’hypothèse où un prestataire reçoit des revenus d’emploi de 1 000$ ou moins pendant une période de quatre semaines (la méthode pour calculer cette période sera abordée plus loin), il est « réputé » satisfaire à l’exigence relative à la perte de revenu du paragraphe 153.9(1). Il ne s’agit donc là que d’une présomption; dans l’hypothèse où la condition n’est pas remplie, la présomption ne s’applique pas et l’on doit donc s’en remettre aux exigences prévues au paragraphe 153.9(1).

[38] Je ne vois pas comment on pourrait interpréter cette présomption a contrario, pour lui faire dire qu’un prestataire n’est plus admissible s’il gagne plus de 1 000$ durant une période de quatre semaines. C’est le paragraphe 153.9(1) qui fixe les exigences relatives à la perte de revenu; le paragraphe 153.9(4) n’est là que pour prévoir une exception. Si un prestataire ne satisfait pas à cette exception, le paragraphe 153.9(1) continue de s’appliquer et le prestataire continuera d’être admissible s’il satisfait à l’exigence relative à la perte de revenu prévue par ce paragraphe. Si le législateur avait voulu fixer un plafond de revenu au-delà duquel un prestataire ne serait plus admissible à la PAEU, il ne se serait pas contenté d’énoncer une présomption suivant laquelle un prestataire qui touche un revenu de 1 000$ ou moins est réputé satisfaire aux exigences d’admissibilité. Il en aurait plutôt fait un critère de non-admissibilité, comme il l’a fait pour d’autres situations au paragraphe 153.9(2), ou même un motif d’exclusion dans le cadre du paragraphe 153.9(3).

[39] J’ajouterais que s’il subsiste le moindre doute quant à l’interprétation de ces dispositions, il devrait être résolu en faveur des prestataires. Il est bien établi en droit canadien que les lois de nature sociale doivent recevoir une interprétation libérale de façon à ce qu’elles puissent atteindre leurs objectifs : voir Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la p. 10; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paras. 36 et 40; Canada (Procureur général) c. Frye, 2005 CAF 264, aux paras. 14-18; Ballantyne v. Sakatchewan Government Insurance, 2015 SKCA 38, au para. 21; Symons v. Insurance Corporation of British Columbia, 2016 BCCA 207, au para. 18.

[40] Quant à l’argument fondé sur la PCU, il ne me semble pas tenir la route. En vertu du paragraphe 6(1) de Loi sur la PCU, deux conditions d’admissibilité étaient prévues : a) n’avoir aucun revenu pendant au moins 14 jours consécutifs au cours d’une période de prestations de quatre semaines; et b) ne pas recevoir de revenus, pour les jours consécutifs pendant lesquels le travailleur cesse d’exercer son emploi. L’article 1 du Règlement sur l’allocation de soutien du revenu (revenu nominal soustrait) est subséquemment venu préciser qu’un revenu inférieur ou égal à 1 000$ durant cette période était soustrait à l’application de cette exigence et qu’il n’en serait donc pas tenu compte. Cela ne faisait cependant pas en sorte de soustraire le prestataire à la première exigence. En revanche, le prestataire qui gagnait plus de 1 000$ ne satisfaisait pas à la deuxième exigence du paragraphe 6(1) et n’était donc pas admissible à la PCU puisque les deux conditions devaient être remplies.

[41] Au contraire, le paragraphe 153.9(4) prévoit, dans le cadre de la PAEU, qu’un prestataire qui touche des revenus de 1 000$ ou moins est « réputé satisfaire » aux exigences relatives à la cessation de travail et à l’absence de revenu, et qu’il n’a donc pas à les satisfaire. S’il gagne plus de 1 000$, la présomption ne s’applique plus, mais il peut quand même se qualifier en respectant les conditions prévues au paragraphe 153.9(1). Le résultat diffère d’un régime à l’autre tout simplement parce que la technique de rédaction utilisée n’est pas la même : dans le cas de la PCU, on prévoit une exception à l’une des conditions d’admissibilité (le revenu gagné) tout en maintenant la première condition (la cessation d’emploi), tandis que dans le cas de la PAEU, on présume que le respect d’une condition (un revenu de 1 000$ ou moins) entraîne le respect des autres conditions d’admissibilité (et notamment de la cessation d’emploi).

[42] Les déclarations du premier ministre et de la ministre que nous a citées l’avocate du Procureur général, de même que la note explicative, ne me semblent pas davantage appuyer la thèse selon laquelle le paragraphe 153.9(4) aurait non seulement pour objectif de rendre admissibles à la PAEU des personnes qui ne répondent pas aux critères plus restrictifs du paragraphe 153.9(1), mais également de rendre inadmissibles les personnes dont le revenu sur quatre semaines s’élève à plus de 1 000$. Les déclarations du premier ministre et de la ministre s’inscrivent dans un débat portant sur la meilleure façon d’élargir ou d’assouplir les critères d’admissibilité à la PAEU. L’objectif poursuivi était clairement de permettre à des personnes ayant peu de revenus de continuer à toucher des revenus d’emploi et de bénéficier quand même de la PAEU. Les discussions à la Chambre des communes font également ressortir l’objectif d’offrir une prestation de façon simple et rapide tout en permettant aux bénéficiaires de maintenir des liens avec le marché du travail. L’interprétation suggérée par le Procureur général et la Commission irait à l’encontre de cet objectif et créerait de nombreux trop-perçus. Une personne pourrait en effet demander des prestations toutes les deux semaines, mais ne voir confirmer son droit de les recevoir qu’à la fin d’une période de quatre semaines, avec le risque de devoir rembourser les prestations reçues si elle a perçu des revenus supérieurs à 1 000$ au cours de ces quatre semaines.

[43] Enfin, je ne vois pas en quoi l’interprétation retenue par la Division d’appel serait incompatible avec les objectifs de la Loi. Je conviens que ce régime d’assurance-contributive a pour objet d’indemniser ceux et celles qui se retrouvent sans emploi et de leur fournir une certaine sécurité économique et sociale pendant qu’ils cherchent à retourner au travail. Il n’en demeure pas moins que le but de la PAEU, comme celui du régime d’assurance-emploi, est de venir en aide aux prestataires qui se trouvent involontairement sans emploi, sans distinction en fonction des revenus ou de la richesse du prestataire. : voir Canada (Procureur général) c. Lafrenière, 2013 CAF 175, au para. 33, citant Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, 2005 CSC 56, au para. 48. Le prestataire qui perd son emploi subit une perte de revenu, peu importe le revenu global qu’il gagnera (ou qu’il a gagné) dans l’année ou la valeur de ses actifs. C’est cette perte de revenu que vient compenser la PAEU, et il n’y a donc aucune incongruité à ce qu’une personne ayant par ailleurs gagné 1 000$ ou plus au cours d’une période de quatre semaines puisse recevoir des prestations pour les semaines où il a été sans emploi et sans revenu, pourvu qu’il respecte par ailleurs tous les critères prévus par le paragraphe 153.9(1).

[44] Le Procureur général a tenté de nous convaincre que l’interprétation de la Division d’appel crée un résultat absurde dans la mesure où un groupe de prestataires pourrait gagner n’importe quel revenu et continuer de toucher la PAEU tant et aussi longtemps qu’ils sont sans emploi et sans revenu pendant au moins sept jours par période de deux semaines, alors qu’un autre groupe de prestataires ne pourrait être admissible à des prestations s’ils retournent au travail et gagnent plus de 1 000$ répartis sur quatre semaines. Je conviens que ce résultat peut paraître injuste. Mais il en va de même si l’on adopte la position du Procureur général et de la Commission. Tout comme la Division d’appel dans les présents dossiers, j'adopte à cet égard les propos de la Division d’appel dans l’affaire JE, qui écrivait :

[59] Je comprends que la Commission s’inquiète du fait que l’on verse la PAEU à des personnes [traduction] « qui n’ont pas nécessairement besoin d’une sécurité économique et sociale temporaire ». Mais ni la PAEU ni le régime d’assurance-emploi habituel ne sont fondés sur les besoins : les personnes qui pourraient se débrouiller sans recevoir de prestations ne sont pas exclues. L’accent est plutôt mis sur la perte de revenu d’emploi.

[60] Au lieu du prestataire hypothétique qui gagne un million de dollars par semaine, considérons une personne ordinaire – quelqu’un qui gagne le salaire industriel moyen de 1 042$ par semaine en 2020 – qui a satisfait à l’exigence de n’avoir aucun revenu pendant au moins sept jours consécutifs en deux semaines. Elle aurait perdu entre 1 042$ et 2 084 en deux semaines, et gagné 1 000$ en PAEU. C’est peut-être généreux si la personne n’a perdu que 1 042$, mais cela ne me semble pas absurde.

[61] Je reconnais qu’il était mathématiquement possible qu’un travailleur touchant un faible revenu ou travaillant à temps partiel qui a été mis à pied, mais qui a ensuite travaillé une semaine sur deux (satisfaisant ainsi à l’exigence de perte de revenu) reçoive plus d’argent de la PAEU qu’il n’a perdu. Cela n’est pas, en soi, absurde. Le ministre a accepté la possibilité d’une surcompensation lorsqu’il a choisi une prestation de 500$ par semaine, sans égard à la rémunération hebdomadaire moyenne et aux heures de travail. C’était le prix à payer pour avoir une prestation simple et à taux fixe pour tous les prestataires. Le risque de surcompensation a été atténué par la réalité des confinements entraînés par la COVID-19 et par la nature à court terme de la PAEU.

[45] Je ne disconviens pas du fait que l’interprétation du paragraphe 153.9(4) retenue par la Division d’appel pourra dans certains cas entraîner des situations qui peuvent paraître injustes. Mais il en irait de même dans l’hypothèse où l’on adoptait l’interprétation mise de l’avant par le Procureur général, comme l’illustre l’extrait de la décision JE citée dans le paragraphe qui précède. Toutes les législations sociales qui ont pour objet de conférer des bénéfices doivent tracer des lignes arbitraires pour en délimiter l’application. Dans ce contexte, l’interprétation qu’a faite la Division d’appel du paragraphe 153.9(4) ne me paraît pas absurde, comme le soutient le Procureur général, d’autant plus qu’il était loisible au Parlement, si tel était sa volonté, de rendre inadmissible à la PAEU les personnes ayant gagné plus de 1 000$ sur une période de quatre semaines en utilisant des termes clairs à cet effet.

[46] Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que l’interprétation retenue par la Division d’appel dans les deux dossiers dont nous sommes saisis n’était pas déraisonnable. Elle s’accorde avec le texte de l’article 159, le contexte dans lequel son paragraphe (4) a été adopté, et l’objectif plus large poursuivi par le législateur non seulement dans le cadre de la PAEU mais également du régime des prestations régulières d’assurance-emploi.

[47] Reste la question de savoir comment doivent être déterminées les semaines pertinentes aux fins de déterminer l’admissibilité d’un prestataire à la PAEU. Le Procureur général soutient que la Division d’appel a fait un choix arbitraire à cet égard, puisque les périodes de deux semaines sous le paragraphe 153.9(1) et les périodes de quatre semaines sous le paragraphe 153.9(4) n’ont pas été calculées de la même façon dans les dossiers de MM. Gagnon et St-Louis. Dans le cas de M. Gagnon, la Division d’appel a appliqué le paragraphe 153.9(1) seulement à partir du moment où il avait atteint sept jours consécutifs sans revenu au cours d’une période de deux semaines (soit les semaines du 19 avril au 2 mai), de telle sorte qu’il ne lui était pas nécessaire d’appliquer le paragraphe 153.9(4) et d’examiner le revenu reçu au cours des périodes de quatre semaines antérieures au 19 avril 2020. Dans le cas de M. St-Louis, au contraire, la Division d’appel a calculé les périodes de deux semaines dès la première semaine où il a touché une prestation (soit la semaine du 22 au 28 mars 2020).

[48] Il ne me semble pas opportun de trancher cette question dans le cadre des présents dossiers. D’une part, nous n’avons pas eu le bénéfice de représentations en réponse à celles du Procureur général, qui soutient que les périodes de quatre semaines devraient être calculées en commençant par la première semaine réclamée et pour laquelle la PAEU a été versée. Je note d’ailleurs que des divergences semblent exister au sein de la Division générale sur cette question, et que la thèse du Procureur général a récemment été écartée par la Division d’appel dans une décision non encore publiée que nous a courtoisement fait parvenir l’avocate du Procureur général la veille de l’audition : Canada Employment Insurance Commission v. H.M., AD-23-50, décision rendue le 21 juin 2023.

[49] D’autre part, cette question ne se posait pas dans les deux dossiers qui sont devant nous, et la Division d’appel a explicitement conclu que les deux prestataires avaient pu établir leur admissibilité à la PAEU au titre du paragraphe 153.9(1) sans qu’il soit nécessaire de recourir au paragraphe 153.9(4). Si la Division d’appel n’a considéré que les périodes du 19 avril au 2 mai et du 3 au 16 mai dans le dossier de M. Gagnon, c’est uniquement parce qu’il s’agissait des seules demandes de prestations qui étaient visées par l’appel. Le prestataire avait en effet admis ne pas avoir droit aux prestations pendant les périodes visées par ses demandes antérieures. Les motifs de la Cour ne pourraient donc que constituer des obiter.

VI. Conclusion

[50] Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais donc les demandes de contrôle judiciaire, et maintiendrais les deux décisions de la Division d’appel.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-278-22 ET A-279-22

DOSSIER :

A-278-22

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. RÉAL GAGNON

 

ET DOSSIER :

A-279-22

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. SÉBASTIEN ST-LOUIS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 juin 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

DATE DES MOTIFS :

LE 4 août 2023

 

COMPARUTIONS :

Dani Grandmaître

Jessica Grant

Pour le demandeur

 

Réal Gagnon

Pour le défendeur

(se représentant lui-même)

 

Sébastien St-Louis

Pour le défendeur

(se représentant lui-même)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour le demandeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.