Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230707


Dossier : A-125-20

Référence : 2023 CAF 158

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

 

 

KEVIN HAYNES

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20230707


Dossier : A-125-20

Référence : 2023 CAF 158

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

 

 

KEVIN HAYNES

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Kevin Haynes est un développeur de logiciels et un employé de longue date d’Emploi et Développement social Canada. M. Haynes est également une personne autiste.

[2] M. Haynes n’a pas demandé de mesures d’adaptation lorsqu’il a commencé à travailler à EDSC en 2008. Comme il nous l’a expliqué, il [traduction] « voulait être normal » et être traité comme tout le monde. En 2009, cependant, il s’est rendu compte que des mesures d’adaptation étaient nécessaires et il a avisé son employeur en conséquence. Le médecin de famille de M. Haynes a informé EDSC que M. Haynes [traduction] « tirerait profit d’une communication très claire et sans ambiguïté et d’une rétroaction précise ». Le médecin a ajouté que, aussi longtemps qu’on communique clairement l’information à M. Haynes, [traduction] « il ne devrait pas y avoir de limites à sa capacité d’être productif dans son milieu de travail ».

[3] Après plusieurs années, M. Haynes s’est rendu compte que [traduction] « les choses ne fonctionnaient pas ». Le 12 juillet 2016, il a informé ses superviseurs actuels qu’il avait une déficience et a demandé des mesures d’adaptation. Lorsqu’il n’a eu aucune nouvelle de son employeur pendant plusieurs mois, M. Haynes a envoyé un courriel de suivi demandant une réponse à sa demande de mesures d’adaptation. Ensuite, il y a eu un échange de communications entre M. Haynes et des représentants de son employeur au cours des mois qui ont suivi.

[4] Insatisfait de la façon dont l’employeur a traité sa demande de mesures d’adaptation, M. Haynes a finalement déposé quatre plaintes aux termes de la politique d’EDSC sur le harcèlement, alléguant que quatre membres de la direction l’avaient harcelé et avaient fait preuve de discrimination à son égard. L’un des principaux objectifs des plaintes de M. Haynes était le fait que ses supérieurs auraient omis de mettre en place des mesures pour tenir compte de son autisme. Il a également allégué que sa charge de travail avait été réduite à pratiquement rien à la suite de la divulgation de son handicap, ce qui l’avait laissé désorienté, marginalisé et humilié.

[5] Une enquêteuse indépendante a conclu que les plaintes de M. Haynes contre son chef d’équipe et son gestionnaire étaient fondées, en partie. L’enquêteuse a également conclu que les plaintes de M. Haynes contre son directeur et son directeur général n’étaient pas bien fondées. La fonctionnaire d’EDSC désignée pour recevoir les plaintes de harcèlement (la représentante désignée) a accepté les conclusions de l’enquêteuse.

[6] M. Haynes a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la représentante désignée d’accepter les conclusions de l’enquêteuse. Dans une décision portant le numéro de référence 2020 CF 536, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Haynes. C’est sur cette décision que porte le présent appel.

[7] Bien que nous ayons déterminé que l’appel de M. Haynes devrait être rejeté, cette affaire offre néanmoins une occasion utile de rappeler aux tribunaux leur obligation de veiller à ce que les plaideurs handicapés puissent avoir accès au même système de justice équitable que celui dont disposent les autres Canadiens, ce qui témoigne de la valeur et de la dignité égales de toutes les personnes qui comparaissent devant les tribunaux.

I. L’iniquité procédurale alléguée dans le processus de la Cour fédérale

[8] Les observations écrites de M. Haynes étaient principalement centrées sur l’iniquité alléguée du processus de la Cour fédérale. Plus précisément, M. Haynes mentionne que la Cour fédérale n’a fixé qu’une journée pour l’audience de sa demande de contrôle judiciaire, plutôt que les trois jours qu’il a demandés. Selon lui, cela a fait en sorte qu’il n’a pas été en mesure de présenter correctement sa cause.

[9] M. Haynes souligne qu’il avait informé la Cour, dans sa demande d’audience, qu’il était autiste, qu’il avait besoin de plus de temps pour traiter l’information et qu’il croyait qu’il avait besoin de trois jours d’audience pour faire valoir pleinement ses arguments. La Cour a néanmoins choisi de n’allouer qu’une seule journée pour l’audience.

[10] Lorsque M. Haynes a appris qu’une seule journée avait été réservée pour l’audience de sa demande de contrôle judiciaire, il a écrit à la Cour, expliquant à nouveau que son autisme nuisait à sa capacité à traiter rapidement l’information. Il a en outre souligné qu’il cherchait à réviser quatre décisions distinctes, affirmant qu’il serait [traduction] « gravement désavantagé » à moins que la Cour n’accorde plus de temps pour son audience.

[11] La deuxième demande de M. Haynes a été envoyée à un juge de la Cour fédérale pour examen. Le juge a émis une directive indiquant qu’après avoir examiné l’affaire et pris en compte la déficience de M. Haynes, il a conclu qu’une journée suffisait pour l’audition de sa demande. M. Haynes soutient que cela était insuffisant, faisant valoir devant notre Cour qu’il s’agissait de la [traduction] « question centrale » de son appel.

[12] M. Haynes conteste également ce qui s’est passé lors de l’audience devant la Cour fédérale. Il note que la Cour fédérale a autorisé l’avocat du procureur général à présenter une requête au début de l’audience en radiation de documents contenus dans l’affidavit de M. Haynes, sans préavis. Selon M. Haynes, l’audition de la requête a non seulement grugé le temps limité d’audience dont il disposait pour présenter le bien-fondé de sa demande, mais il affirme également qu’il s’est senti dépassé par les événements et qu’il n’a pas été en mesure de traiter la [traduction] « surcharge d’information » qu’on lui a présentés. Cela l’a amené à avoir une crise de panique et à fondre en larmes dans la salle d’audience, compromettant davantage sa capacité à présenter sa cause.

[13] Ainsi, M. Haynes affirme que la décision de la Cour fédérale devrait être annulée, car elle a été rendue de manière inéquitable sur le plan procédural. Il allègue en outre que le juge des requêtes a fait preuve de partialité.

[14] Nous comprenons que M. Haynes croit fermement que la Cour fédérale l’a traité injustement, qu’elle a fait preuve de partialité à son égard et qu’elle n’a pas tenu compte de sa déficience et de l’incidence de cette dernière sur sa capacité à présenter sa cause. Cependant, comme nous l’avons expliqué à M. Haynes lors de l’audition de son appel, notre rôle dans un appel comme celui-ci est de déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle correcte – norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable – et si elle a correctement appliqué cette norme au moment de réexaminer les décisions administratives en litige : Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, aux paras. 10 à 12; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paras. 45 à 47.

[15] Il s’agit de « se mettre à la place » du juge de la Cour fédérale et de se concentrer sur la décision administrative de l’instance inférieure plutôt que sur la décision de la Cour fédérale : arrêt Horrocks, précité, au para. 10, citant Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3.

[16] En d’autres termes, M. Haynes obtient essentiellement une « reprise »; un nouvel examen des décisions administratives prises à l’égard de ses plaintes de harcèlement. Puisqu’il a eu une occasion pleine et équitable de présenter sa cause devant cette cour, il n’est pas nécessaire que nous nous prononcions sur l’équité de l’audience accordée à M. Haynes par la Cour fédérale. Toute iniquité procédurale qui aurait pu se produire dans le processus de la Cour fédérale en l’espèce peut être corrigée par notre examen des décisions administratives en litige.

[17] Cela dit, avant de passer à l’examen du bien-fondé de l’appel de M. Haynes, il peut être utile de rappeler aux tribunaux leurs obligations lorsqu’ils traitent avec des plaideurs handicapés.

II. L’obligation des tribunaux d’offrir des mesures d’adaptation aux plaideurs handicapés

[18] L’égalité des personnes handicapées devant la loi est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Le paragraphe 15(1) de la Charte établit que « [l]a loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination […] fondées sur […] les déficiences mentales ou physiques ».

[19] De même, l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, fait de la discrimination dans la prestation de services habituellement offerts au grand public (comme ceux offerts par le Service administratif des tribunaux judiciaires) une pratique discriminatoire fondée sur un motif de distinction illicite. L’article 3 de la loi détermine que la « déficience » est l’un des motifs de distinction illicite.

[20] La discrimination n’a pas besoin d’être directe : une règle (comme le temps alloué pour une audience) peut être neutre à première vue, mais peut néanmoins avoir une incidence négative sur les membres des groupes protégés : Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, 450 D.L.R. (4th) 1, aux paras. 30 et 31. Par exemple, les personnes atteintes d’une maladie neurologique comme l’autisme peuvent avoir besoin de plus de temps pour traiter l’information. Dans les deux cas, cependant, un fournisseur de services est tenu de répondre aux besoins du bénéficiaire de services tant qu’il n’en résulte pas pour lui une contrainte excessive : voir, par exemple, Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union, [1999] 3 RCS 3.

[21] Même si une personne ayant une déficience est traitée exactement de la même manière que les autres, il peut quand même y avoir une discrimination. En effet, un traitement identique peut, dans certains cas, « engendrer de graves inégalités » : voir, par exemple, l’arrêt Fraser, cité précédemment, aux paras. 32 à 36; Law Society of British Columbia c. Andrews, [1989] 1 RCS 143, au para. 26. Il est donc parfois nécessaire de traiter les personnes ayant une déficience différemment des autres, afin d’atteindre l’égalité réelle : Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497, au para. 46.

[22] Un exemple simple illustre ce point : ce n’est pas une réponse à une plainte pour discrimination d’un plaideur en fauteuil roulant que de dire que tout le monde est censé gravir les marches d’un palais de justice avant de plaider sa cause devant le tribunal, et que les personnes en fauteuil roulant qui sont des plaideurs n’ont pas été traitées différemment des autres. Une loi en apparence neutre peut être discriminatoire : R. c. Sharma, 2022 CSC 39, au para. 42. Pour en savoir plus à ce sujet, voir l’analyse approfondie de la Cour suprême dans l’arrêt Fraser, aux paras. 29 à 55.

[23] Des obligations similaires sont imposées aux fournisseurs de services (comme le Service administratif des tribunaux judiciaires) par la Loi canadienne sur l’accessibilité, L.C. 2019, ch.10. Il s’agit d’une loi relativement nouvelle conçue pour repérer, éliminer et prévenir de manière proactive les obstacles à l’accessibilité pour les personnes ayant une déficience, afin, entre autres, de leur permettre d’exercer pleinement leurs droits et responsabilités dans un Canada exempt d’obstacles. L’un des principes directeurs sous-jacents à la Loi est que les fournisseurs de services doivent tenir compte des handicaps des personnes, des différentes façons dont elles interagissent au sein de leurs environnements ainsi que des formes multiples et intersectionnelles de discrimination et de marginalisation vécues par celles-ci : voir l’alinéa 6e).

[24] En ce qui concerne les juges, ces principes sont représentés dans les Principes de déontologie judiciaire (Ottawa : Conseil canadien de la magistrature, 2021). Selon la partie IV des Principes de déontologie judiciaire, les juges « adoptent une conduite propre à assurer à tous un traitement égal conformément à la loi et ils conduisent les instances dont ils sont saisis dans ce même esprit ». Les juges sont en outre invités à exercer leurs fonctions dans le respect de toutes les personnes, sans discrimination ni préjugé.

[25] Les Principes de déontologie judiciaire indiquent en outre que l’engagement du législateur envers l’égalité réelle vise à protéger les membres de la collectivité contre la discrimination directe et contre la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, et que « cette approche vise à reconnaître une même valeur à tous les êtres humains et la dignité de toutes les personnes ». De plus, l’égalité est « fondamentale pour la justice, l’égalité sous le régime de la loi est aussi étroitement liée à l’impartialité judiciaire et à la confiance du public dans l’administration de la justice ». Par conséquent, les juges devraient être inébranlables dans leur engagement envers l’égalité et s’assurer que leur conduite est telle qu’une personne raisonnable et bien renseignée y verrait la manifestation de leur respect pour le principe d’égalité et leur engagement à l’égard de celui-ci.

[26] À cela s’ajoute l’obligation du juge de veiller à ce que les personnes comparaissant devant le tribunal bénéficient d’une audience procédurale équitable. En effet, l’avocat du procureur général a reconnu à l’audience devant notre Cour que l’obligation de prendre des mesures pour répondre aux besoins des plaideurs (ou des avocats) dans la salle d’audience trouve son expression dans le cadre judiciaire par l’intermédiaire des principes d’équité procédurale.

[27] Comme la Cour suprême du Canada l’a conclu dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, les valeurs qui sous‑tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position. De plus, les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges doivent être prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte législatif, institutionnel et social de la décision : arrêt Baker, précité, au para. 28.

[28] La Cour suprême a établi plusieurs critères qui peuvent aider une cour à déterminer si les procédures suivies dans une affaire particulière ont respecté l’obligation d’équité. Cela dit, la liste des critères pertinents pour déterminer si l’obligation d’équité procédurale en common law a été respectée dans un ensemble de circonstances données n’est pas exhaustive, et d’autres considérations peuvent également être importantes dans une affaire particulière : arrêt Baker, précité, au para. 28.

[29] L’une de ces considérations concerne les besoins d’adaptation des plaideurs handicapés.

[30] Les étapes nécessaires pour répondre aux besoins d’un plaideur handicapé dépendront évidemment de la nature du handicap en question et des besoins uniques de ce plaideur. De plus, les personnes souhaitant obtenir des mesures d’adaptation ont l’obligation de faire leur part en vue de parvenir à un compromis convenable : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, au para. 43.

[31] Les tribunaux doivent toutefois garder à l’esprit leur devoir de répondre aux besoins des personnes handicapées afin de voir à ce qu’elles reçoivent le même niveau de justice procédurale équitable que celui accordé aux autres Canadiens.

[32] Enfin, il est peut-être important de préciser que ces principes n’ont rien à voir avec l’application d’une rectitude politique ou de l’idéologie « woke ». Il ne s’agit pas ici de s’incliner face à une tendance ou à une mode du moment. Ces principes correspondent à quelque chose de bien plus fondamental, de bien plus durable, de bien plus essentiel. Ils visent à faire en sorte que nos semblables se sentent inclus, bienvenus et responsabilisés dans l’une des institutions les plus fondamentales de notre État démocratique.

III. Ce que cette Cour a fait pour s’assurer que M. Haynes bénéficie d’une instruction équitable

[33] Les mesures prises par notre Cour relativement à l’appel de M. Haynes peuvent servir d’exemple du type de mesures qui peuvent être nécessaires pour répondre aux besoins d’une personne atteinte d’une maladie neurologique comme l’autisme. Évidemment, toutes ces étapes ne seront pas nécessaires dans tous les cas, et des étapes différentes ou supplémentaires peuvent être nécessaires pour répondre aux besoins des plaideurs handicapés afin de s’assurer qu’ils sont en mesure de présenter pleinement leurs arguments et de bénéficier d’une instruction équitable.

a) Mesures prises avant l’audience

  1. Un appel comme celui de M. Haynes serait normalement fixé pour une audience de deux heures. Cependant, après avoir consulté les parties à l’égard des besoins de M. Haynes, la Cour a alloué une journée complète à l’appel.

  2. En réponse à une demande de M. Haynes, on l’a informé que sa mère pouvait s’asseoir avec lui à la table des avocats.

  3. De leur propre initiative (et tout à leur honneur), le personnel du greffe a pris des mesures pour éliminer les bruits perturbateurs et gênants pendant l’audience en modifiant l’équipement d’enregistrement et de son pour éviter les distractions auditives.

  4. Les membres du personnel des technologies de l’information ont terminé la configuration de l’équipement avant l’arrivée des parties. On leur a également demandé de s’assurer que, pendant l’audience, la communication ou les opérations de dépannage se fassent discrètement.

  5. Pendant l’audience, l’agent du greffe et l’huissier-audiencier ont été priés de parler clairement, mais pas trop fort pendant l’audience.

  6. La formation chargée d’entendre l’appel a examiné les renseignements relatifs à l’autisme avant l’audience pour nous renseigner sur la meilleure façon de garantir que M. Haynes bénéficie de l’instruction équitable à laquelle il avait droit.

b) Mesures prises lors de l’audience

  1. Comme ce serait le cas pour toute autre partie qui agit pour son propre compte, la Cour a expliqué à M. Haynes le processus d’audition de l’instance, bien qu’en lui fournissant un peu plus de détail que ce ne serait normalement le cas, afin qu’il ne soit pas pris au dépourvu face à un événement inattendu lors du déroulement de ce processus.

  2. Nous avons informé M. Haynes que sa mère pouvait l’aider à organiser ses observations, qu’il pouvait la consulter quand il le voulait et qu’elle pouvait parler en son nom s’il voulait qu’elle le fasse à n’importe quel moment de l’audience.

  3. Nous avons demandé à l’avocat de l’intimé d’estimer le temps dont il avait besoin pour ses observations. Après avoir avisé la Cour qu’il aurait besoin d’environ 45 minutes à une heure pour faire valoir ses arguments, le reste de la journée a été alloué à M. Haynes pour présenter ses observations (avec l’accord de l’avocat de l’intimé).

  4. Nous avons informé M. Haynes qu’il pouvait faire une pause au besoin et qu’il devait nous faire savoir de combien de temps il avait besoin à chaque occasion.

  5. M. Haynes a eu le choix de s’asseoir à la table des avocats pendant ses observations ou de se tenir à la tribune.

  6. En formulant ses questions et en dialoguant avec M. Haynes, la Cour s’est efforcée de répondre à son besoin déclaré de communications claires et sans ambiguïté.

  7. Nous avons demandé à M. Haynes de nous aviser si l’une de nos questions nécessitait des éclaircissements ou de nous demander de répéter ou de reformuler toute question qu’il ne comprenait pas. On lui a également demandé de nous faire savoir s’il avait besoin de plus de temps pour répondre à l’une de nos questions ou s’il avait besoin d’une pause avant de le faire.

  8. Une fois de plus, comme ce serait le cas pour toute partie qui agit pour son propre compte, les questions de procédure soulevées par l’avocat de l’intimé ont été expliquées à M. Haynes en termes simples.

  9. Nous nous sommes entretenus régulièrement avec M. Haynes pour voir s’il avait des questions concernant l’instance et pour répondre à toutes les questions qu’il aurait pu avoir à cet égard.

[34] L’audition de l’appel de M. Haynes a pris la plus grande partie de la journée, au cours de laquelle il a pu terminer ses observations sans incident. D’ailleurs, M. Haynes nous a confirmé à la fin de l’audience qu’il croyait avoir bénéficié d’une instruction équitable relativement à son appel.

IV. Autres questions en litige

[35] Comme je l’ai indiqué précédemment, le mémoire des faits et du droit de M. Haynes portait presque exclusivement sur l’iniquité alléguée du processus de la Cour fédérale, celui-ci ne présentant que des observations limitées concernant la question du caractère fondamentalement raisonnable de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire. Il a toutefois soulevé plusieurs autres questions au cours de l’audience devant notre Cour relativement à la décision administrative en cause, sans que l’avocat du procureur général ne s’y oppose.

[36] Bien que nous ayons soigneusement examiné toutes les questions en litige soulevées par M. Haynes, il est seulement nécessaire d’examiner certaines d’entre elles.

V. La radiation de documents

[37] Une question soulevée à la Cour fédérale que nous devons examiner concerne le contenu du dossier qui était devant la Cour fédérale concernant la demande de contrôle judiciaire de M. Haynes. Nous devons examiner cette question, car elle a une incidence sur les documents dont nous sommes dûment saisis dans le cadre du présent appel.

[38] Dans le mémoire des faits et du droit déposé avec la demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, l’avocat du procureur général a soutenu que, lorsque l’enquêteuse a examiné les plaintes de M. Haynes, elle n’avait pas en main certains des documents contenus dans l’affidavit que M. Haynes avait soumis en lien avec sa demande. Les documents en litige étaient expressément mentionnés dans le mémoire.

[39] L’avocat du procureur général a en outre soutenu que les documents en litige ne relevaient d’aucune des exceptions reconnues au principe selon lequel les demandes de contrôle judiciaire doivent être tranchées en fonction des documents dont disposait le décideur initial et qu’ils étaient donc irrecevables.

[40] Cette observation était appuyée par l’affidavit d’une conseillère du Centre d’expertise en harcèlement d’EDSC qui avait été chargée de traiter les plaintes de harcèlement de M. Haynes. En s’appuyant sur son examen des dossiers relatifs aux plaintes de M. Haynes, elle a affirmé que l’enquêteuse n’avait pas en main les documents désignés dans le mémoire des faits et du droit de l’intimé au moment de l’enquête.

[41] Cette question a été abordée au début de l’audience de la demande de M. Haynes. Le juge de la Cour fédérale a déclaré que, bien que M. Haynes fût en désaccord avec l’affirmation du procureur général selon laquelle les documents en litige n’avaient pas été fournis à l’enquêteuse, il n’avait pas déposé d’affidavit à cet effet. Le juge a choisi de s’appuyer sur le témoignage sous serment du témoin de l’intimé plutôt que sur les observations non assermentées de M. Haynes, concluant que les documents en question ne faisaient pas partie du dossier et devaient être radiés.

[42] Une décision discrétionnaire comme celle-ci ne peut être annulée en appel à moins que M. Haynes ne puisse établir que la Cour fédérale a commis ce qu’on appelle une « erreur manifeste et dominante ». Une erreur manifeste est une erreur évidente ou clairement visible. Une erreur dominante est une erreur qui influence la décision. Le fardeau de la preuve dans ce cas est particulièrement lourd : ADIR c. Apotex Inc., 2020 CAF 60, aux paras. 71 à 73.

[43] Je reconnais que M. Haynes croit que le juge de la Cour fédérale « s’est trompé » et que les documents en question ont en fait été fournis à l’enquêteuse au cours de l’enquête. Il était toutefois loisible au juge de la Cour fédérale de préférer la preuve sous serment figurant dans un affidavit aux observations non appuyées d’un serment fournies par M. Haynes à cet effet, et aucune erreur manifeste ou dominante n’a été établie à cet égard.

[44] En ce qui concerne l’équité dont la Cour fédérale a fait preuve en traitant cette question, M. Haynes a été informé qu’il y avait un problème avec l’admissibilité de certains des documents qu’il cherchait à inclure dans son dossier de demande environ quatre mois avant l’audition de sa demande de contrôle judiciaire. Cette question a été signalée dans le mémoire des faits et du droit que l’intimé lui a signifié le 25 octobre 2019 et dans l’affidavit qui se trouve dans le dossier de l’intimé qui a été signifié à M. Haynes le même jour. Si M. Haynes voulait contester la preuve fournie dans l’affidavit de l’intimé, il lui aurait été loisible de déposer son propre affidavit avant l’audience.

[45] M. Haynes soutient également que le procureur général aurait dû présenter une requête officielle avant l’audience pour régler la question des documents. Cependant, les demandes de contrôle judiciaire sont censées être des procédures sommaires, et les requêtes préliminaires de ce type augmentent considérablement le coût et le temps nécessaire pour traiter de telles questions. Elles sont donc à déconseiller : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, à la page 600 (C.A.F.); Rosianu c. Western Logistics Inc., 2021 CAF 241, aux paras. 23, 27 à 30.

[46] Il était donc loisible au juge de la Cour fédérale de régler la question des documents au début de l’audience, et la décision de le faire ne constitue pas une preuve de partialité de la part du juge. Aucune iniquité procédurale n’a donc été établie à cet égard.

VI. L’omission de la part de la Cour fédérale de nommer un avocat pour agir en son nom

[47] Une autre question soulevée dans le mémoire des faits et du droit de M. Haynes concerne l’omission alléguée de la Cour fédérale de nommer un avocat pour agir en son nom, comme, selon M. Haynes, l’exigeait l’article 121 des Règles des Cours fédérale, DORS/98-106.

[48] Selon l’article 121 « [l]a partie qui n’a pas la capacité d’ester en justice […], se fait représenter par un avocat à moins que la Cour, en raison de circonstances particulières, n’en ordonne autrement ». Comme nous l’avons expliqué à M. Haynes lors de l’audience, la référence à une partie qui « n’a pas la capacité d’ester en justice » fait référence à une personne qui n’a pas la capacité juridique d’agir pour son propre compte. Rien n’indique que M. Haynes n’ait pas la capacité juridique d’agir pour son propre compte et, d’ailleurs, il a fourni à la Cour des observations détaillées et satisfaisantes pour appuyer son appel. Aucune erreur de la part de la Cour fédérale n’est donc établie à cet égard.

VII. Questions relatives au caractère raisonnable de la décision de l’employeur

[49] Compte tenu de la nature éminemment factuelle des questions en litige en l’espèce, la Cour fédérale a correctement défini le caractère raisonnable comme étant la norme de contrôle qu’elle devrait appliquer pour examiner la décision de la représentante désignée d’accepter les conclusions de l’enquêteuse. La question à trancher est donc de savoir si la Cour a appliqué cette norme correctement.

[50] M. Haynes soutient que la décision de l’employeur était déraisonnable. Avant d’aborder les arguments de M. Haynes, cependant, il est d’abord nécessaire d’expliquer ce qui rend une décision raisonnable.

[51] La question de savoir ce qui constitue une décision administrative raisonnable a fait couler beaucoup d’encre. Les directives les plus récentes de la Cour suprême du Canada indiquent qu’une décision raisonnable est une décision justifiée, transparente et intelligible, et qui contient un raisonnement cohérent justifiant ses conclusions : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux paras. 85, 102 et 103.

[52] La Cour suprême a également dit aux cours de révision que les motifs des décideurs administratifs doivent être lus de manière globale et contextuelle à la lumière du dossier, en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils ont été présentés : arrêt Vavilov, précité, aux paras. 97 et 103.

[53] Les décisions administratives, telles que la décision de la représentante désignée d’accepter les conclusions de l’enquêteuse en l’espèce, ne doivent pas être jugées au regard d’une norme de perfection : arrêt Vavilov, précité, aux paras. 91 et 104. De telles décisions n’ont pas non plus besoin de faire référence à l’ensemble des arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire et que cela ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : arrêt Vavilov, au para. 91. En fin de compte, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » : arrêt Vavilov, précité, au para. 104.

[54] Avant d’aborder les arguments de M. Haynes relativement au caractère raisonnable de la décision de la représentante désignée, je dois ajouter un point supplémentaire.

[55] Dans des cas comme en l’espèce, où la décision de la représentante désignée était superficielle, en adoptant simplement les conclusions de l’enquêteuse, les rapports d’enquête constituent les motifs de la décision : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au para. 37.

[56] En gardant ces principes à l’esprit, j’aborderai ensuite certains des arguments avancés par M. Haynes pour appuyer sa prétention que la décision de la représentante désignée était déraisonnable.

VIII. L’application du délai de prescription de 12 mois

[57] M. Haynes soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur le Guide d’application de la Politique sur le processus de résolution du harcèlement de l’employeur, qui prévoit que les incidents qui se produisent plus d’un an avant le dépôt d’une plainte ne doivent pas faire l’objet d’une enquête. M. Haynes note qu’il existe toutefois des exceptions à cette règle et que les allégations de harcèlement peuvent remonter à plus de 12 mois dans le temps dans certaines circonstances précises.

[58] Autrement dit, le Guide établit ce qui suit : « si la partie plaignante peut démontrer qu’un incident est survenu moins de douze mois avant le dépôt de la plainte, les allégations peuvent remonter plus loin dans le temps pour décrire des comportements ou événements s’ils sont directement liés à la plainte ». Le Guide indique en outre que cela est particulièrement nécessaire lorsque, comme en l’espèce, la partie plaignante a l’intention de démontrer la récurrence d’événements.

[59] M. Haynes a déposé ses plaintes de harcèlement au printemps 2018. Deux de ses plaintes font référence, à titre de contexte, à son manque de possibilités d’avancement au cours de la période comprise entre 2013 et 2016. Cependant, les quatre plaintes concernent des événements qui ont commencé en juillet 2016 – en dehors du délai de prescription de 12 mois – lorsqu’il a divulgué à son employeur qu’il avait une déficience. M. Haynes soutient que l’omission de la Cour fédérale de reconnaître l’exception au délai de prescription de 12 mois signifie qu’elle n’a pas tenu compte de la totalité de ses plaintes et de leur contexte entier.

[60] Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour, dans un appel comme celui-ci, met l’accent sur le caractère raisonnable de la décision de la représentante désignée, plutôt que sur celle de la Cour fédérale.

[61] Le problème avec l’argument de M. Haynes relativement à la question du délai de prescription est qu’il n’y a rien dans les rapports de l’enquêteuse qui indique qu’elle n’était pas au courant ou qu’elle n’a pas pris en compte toutes les allégations de harcèlement et de discrimination de M. Haynes, qui remontent à juillet 2016.

[62] L’enquêteuse a préparé quatre rapports d’enquête distincts : un pour chacune des plaintes de M. Haynes. Chaque rapport d’enquête suit la même structure de base. Dans chaque rapport, l’enquêteuse indique chacune des allégations précises avancées par M. Haynes, puis elle passe en revue l’information disponible pour analyse relativement à l’allégation en question. Cela comprenait des renseignements remontant au moins à juillet 2016, lorsque M. Haynes a divulgué sa déficience à son employeur.

[63] Au début de son analyse de chaque allégation, l’enquêteuse a déclaré qu’elle avait examiné [traduction] « tous les renseignements et documents accessibles aux fins d’analyse » relativement à l’allégation en question, et que son analyse de chacune des allégations de M. Haynes était fondée sur [traduction] « la totalité de ces renseignements et documents ». Cette information aurait inclus des renseignements remontant à juillet 2016.

[64] En effet, lorsque l’enquêteuse n’était pas disposée à tenir compte d’un élément, elle l’a dit expressément dans son analyse : voir, par exemple, Dossier d’appel, vol. 10, p. 3102, au para. 135. M. Haynes ne nous a rien indiqué au sujet des rapports d’enquête qui suggérerait que l’enquêteuse a limité son examen aux événements survenus au cours des 12 mois précédant immédiatement le dépôt des plaintes de M. Haynes, ni n’a-t-il signalé aucun incident indiqué dans ses plaintes, remontant à juillet 2016, qui n’ont pas été pris en compte par l’enquêteuse.

[65] Il n’y a donc aucun motif justifiant la révision de la décision de la représentante désignée d’accepter les conclusions de l’enquêteuse fondées sur l’application abusive du délai de prescription de 12 mois prévu au Guide d’application de la Politique sur le processus de résolution du harcèlement.

IX. Le refus des supérieurs de M. Haynes de lui confier du travail

[66] Un élément central des plaintes de harcèlement de M. Haynes était le manquement allégué de son chef d’équipe et de son gestionnaire à lui fournir du travail. Il a affirmé que sa charge de travail a été réduite à pratiquement rien à la suite de la divulgation de son invalidité, et que cela l’a laissé désorienté, marginalisé et humilié.

[67] M. Haynes souligne que son chef d’équipe a fourni une déclaration à l’enquêteuse dans laquelle il reconnaissait qu’il n’avait confié aucun travail à M. Haynes entre le mois d’août 2017, lorsqu’il est devenu chef d’équipe, et le printemps de 2018. M. Haynes dit que l’enquêteuse a néanmoins conclu que la preuve n’était [traduction] « pas concluante » quant à savoir s’il avait ou non obtenu du travail pendant cette période. Pour la forme, il pose la question suivante : [traduction] « Comment une enquête pourrait être considérée comme approfondie alors que l’enquêteuse n’a pas été en mesure de tirer une conclusion relativement à cette question, malgré l’aveu clair de la part de son chef d’équipe que cela s’est produit? ».

[68] Cependant, un examen des rapports de l’enquêteuse relativement aux plaintes contre le chef d’équipe de M. Haynes et son gestionnaire explique cette prétendue incongruité.

[69] Le chef d’équipe de M. Haynes a en effet reconnu qu’il n’avait confié aucun travail à M. Haynes après avoir commencé à occuper le poste de superviseur de M. Haynes en août 2017. L’enquêteuse a reconnu que c’était le cas, concluant que la plainte de M. Haynes contre son chef d’équipe relativement à la non-assignation de travail était fondée.

[70] Cependant, le chef d’équipe de M. Haynes a également déclaré qu’il n’avait jamais reçu d’information officielle concernant la déficience de M. Haynes, sa demande d’application de mesures d’adaptation ou ses besoins en matière d’adaptation. Le chef d’équipe dit que les renseignements dont il disposait relativement à ces questions, il les avait dégagés lui-même lors de conversations informelles avec des gestionnaires, ce qui faisait en sorte qu’il devait [traduction] « tirer ses propres conclusions et lire entre les lignes ». Le chef d’équipe a en outre déclaré qu’il n’avait jamais reçu de conseils ou de formation sur la façon de gérer la situation de M. Haynes.

[71] L’enquêteuse a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il était plus probable qu’improbable que le chef d’équipe n’ait jamais été informé de la déficience de M. Haynes ou de son besoin de mesures d’adaptation. Par conséquent, l’enquêteuse a conclu que les éléments de preuve ne corroboraient pas l’affirmation de M. Haynes selon laquelle le chef d’équipe avait largement fait fi de ses besoins en matière de mesures d’adaptation et s’en était tenu à l’affirmation de l’employeur selon laquelle [traduction] « ils ne savent pas comment [le] gérer à cause de [sa] déficience ». Il s’agissait d’une conclusion que l’enquêteuse pouvait raisonnablement tirer en fonction du dossier dont elle disposait.

[72] Là où la preuve est devenue plus obscure, c’est relativement à la raison pour laquelle on n’a pas attribué de travail à M. Haynes pendant la période en question et si sa déficience a été un facteur dans la décision de ne pas lui donner de travail.

[73] Le chef d’équipe de M. Haynes a informé l’enquêteuse que, lorsqu’il a commencé à agir à titre de superviseur de M. Haynes en août 2017, son gestionnaire lui avait dit de ne donner aucun travail à M. Haynes, car du travail lui avait déjà été confié par les superviseurs précédents. Le chef d’équipe de M. Haynes a en outre déclaré qu’on lui avait dit qu’il ne devait pas donner de travail à M. Haynes tant que l’évaluation du rendement n’était pas terminée et que des objectifs de travail concrets n’avaient pas été fixés pour lui.

[74] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le chef d’équipe dit qu’il n’était pas au courant de la déficience de M. Haynes ni de ses besoins d’adaptation et que, par conséquent, cela n’a pas été un facteur dans sa décision de ne pas lui attribuer de travail.

[75] En revanche, le directeur de M. Haynes a affirmé ne pas avoir dit une seule fois au chef d’équipe de M. Haynes de ne pas donner de travail à ce dernier. Le gestionnaire a dit à l’enquêteuse qu’il s’attendait à ce que le chef d’équipe [traduction] « maintienne une communication appropriée avec M. Haynes au sujet de son travail et de ses attentes ».

[76] C’est dans ce contexte que l’enquêteuse a noté qu’aucun témoin ou élément de preuve documentaire n’était disponible qui mettrait en cause la crédibilité du chef d’équipe de M. Haynes ou de son gestionnaire, et que la preuve n’était donc pas concluante quant à savoir si le chef d’équipe avait ou non reçu l’ordre du directeur de ne pas donner de travail à M. Haynes. L’enquêteuse a toutefois conclu qu’il y avait [traduction] « probablement une mauvaise communication » entre le chef d’équipe de M. Haynes et son gestionnaire à cet égard.

[77] L’enquêteuse a également conclu que le gestionnaire de M. Haynes n’avait pas discuté avec lui de sa déficience, de ses besoins en matière d’adaptation, de son rendement et des attentes à son égard, et que cela contrevenait à la Directive sur la gestion du rendement, au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et à la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale. L’enquêteuse a en outre conclu que le gestionnaire savait, ou aurait dû savoir, que le fait de ne pas donner suite à la demande de mesures d’adaptation de M. Haynes et de tenir des discussions liées au rendement avec lui ferait en sorte que M. Haynes se sentirait isolé, anxieux et désengagé, et que cette conduite constituait du harcèlement.

[78] La jurisprudence reconnaît que, dans le cadre d’enquêtes du même genre que celle en litige en l’espèce, il appartient à l’enquêteur d’apprécier la preuve et de tirer des conclusions de fait. Les cours de révision sont tenues de s’en remettre à l’évaluation par les décideurs administratifs de la valeur probante de la preuve : Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne, [1994] ACF no 181, au para. 56.

[79] Confrontée à des éléments de preuve contradictoires sur la question de savoir si le gestionnaire de M. Haynes avait ordonné qu’il ne reçoive aucun travail, l’enquêteuse a conclu que les éléments de preuve dont elle disposait n’appuyaient pas une telle conclusion. Il s’agissait d’une conclusion que l’enquêteuse pouvait raisonnablement tirer en fonction du dossier dont elle disposait.

[80] De plus, le fait que l’enquêteuse n’ait pas tiré de conclusions de fait alors qu’elle disposait d’éléments de preuve contradictoires n’est pas révélateur d’un parti pris de sa part. L’évaluation par l’enquêteuse de la preuve en l’espèce était plutôt justifiée, transparente et intelligible, et M. Haynes n’a pas réussi à démontrer que les conclusions de l’enquêteuse à cet égard étaient soit injustes, soit déraisonnables.

X. Conclusion

[81] M. Haynes n’a nommé aucun témoin qui n’a pas été interrogé par l’enquêteuse, et n’a pas non plus établi de parti pris de la part de celle-ci. Les rapports d’enquête sont exhaustifs, complets et détaillés. Bien que M. Haynes ait sans doute voulu que l’enquêteuse tire des conclusions différentes à partir des éléments de preuve dont elle disposait, il n’a pas établi que la décision en litige était fondamentalement déraisonnable ou qu’il a été traité de manière inéquitable par l’enquêteuse.

[82] Par conséquent, je rejetterais l’appel de M. Haynes. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je ne rendrais pas d’ordonnance quant aux dépens.

XI. Un dernier commentaire

[83] Avant de conclure, la Cour souhaite remercier M. Haynes pour ses arguments clairs et complets, et féliciter et remercier Me Stelpstra pour la courtoisie, la coopération et le professionnalisme dont il a fait preuve tout au long de l’audience.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-125-20

INTITULÉ :

KEVIN HAYNES c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 7 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Kevin Haynes

POUR SON PROPRE COMPTE

Joel Stelpstra

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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