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Date : 20230524


Dossier : A-122-21

Référence : 2023 CAF 110

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

CHAMBRE DES COMMUNES

défenderesse

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 16 mai 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20230524


Dossier : A-122-21

Référence : 2023 CAF 110

CORAM :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

CHAMBRE DES COMMUNES

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

[1] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision arbitrale (2021 CRTESPF 45) rendue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) le 21 avril 2021, en application de l’article 50 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.) (la Loi).

[2] Dans sa décision, la Commission a rejeté la proposition de la demanderesse d’ajouter une nouvelle annexe à la convention collective conclue entre les employés de la Chambre des communes faisant partie du sous-groupe des Comptes rendus et du sous-groupe du Traitement de texte (l’unité de négociation) et la Chambre des communes. La proposition consistait en un protocole d’entente prévoyant le versement d’un paiement forfaitaire de 2 500 $ à chaque membre de l’unité de négociation à titre d’indemnisation générale pour le stress, l’exaspération, la douleur et la souffrance subis en raison de la mise en œuvre du système de paye Phénix par l’employeur. La demanderesse a tenté de justifier cette proposition en établissant un parallèle avec une entente conclue entre des dizaines de milliers de fonctionnaires de l’administration publique centrale et le Conseil du Trésor (entente de 2020 concernant Phénix).

[3] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Notre Cour doit donc déterminer si la décision arbitrale était raisonnable au sens de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 [Vavilov].

[4] La demanderesse prétend que la décision arbitrale est déraisonnable et qu’elle doit être annulée. Elle affirme que la Commission a rejeté à tort sa proposition de versement d’un paiement forfaitaire de 2 500 $. Après avoir comparé la situation vécue par les membres employés par la Chambre des communes à celle des fonctionnaires de l’administration publique centrale, la Commission n’a pas été convaincue que les problèmes de mise en œuvre du système étaient suffisamment répandus parmi les membres pour justifier l’indemnisation.

[5] La demanderesse affirme que la décision arbitrale n’est pas raisonnable parce qu’elle est fondée sur la prémisse erronée selon laquelle preuve doit être faite que le système de paye Phénix a causé du stress, de l’exaspération ou de la douleur et de la souffrance. Plus précisément, la demanderesse prétend que la Commission n’a pas tenu compte du fait que l’entente de 2020 concernant Phénix n’exigeait pas que les membres de la demanderesse prouvent qu’ils avaient subi du stress, de l’exaspération, de la douleur et de la souffrance liés au système de paye Phénix pour être admissibles à l’indemnisation générale de 2 500 $. La demanderesse soutient que le fait de devoir utiliser le système de paye Phénix est en soi une preuve de stress en raison de la possibilité d’éprouver de graves problèmes de paye. Comme elle l’a fait devant la Commission, la demanderesse donne aussi l’exemple des employés de l’Agence du revenu du Canada (ARC), qui utilisaient le système de paye Phénix et ont reçu le paiement forfaitaire de 2 500 $ même s’ils n’ont pas subi de problèmes de paye liés au système Phénix. Dans son analyse sur ce point, la demanderesse affirme également que la Commission a considéré à tort que l’indemnisation générale faisait partie de la rémunération totale.

[6] Je suis d’avis que les arguments de la demanderesse ne peuvent être retenus. Je ne vois aucune raison de conclure que la décision de la Commission était déraisonnable.

[7] Selon le cadre de contrôle judiciaire énoncé dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable et d’établir qu’elle souffre de lacunes graves. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur. De plus, elle doit normalement s’abstenir de trancher la question en litige qui a été présentée au décideur et elle doit respecter les fonctions et l’expertise du décideur (Vavilov, par. 75, 83, 100 et 125).

[8] En l’espèce, la Commission disposait de vastes pouvoirs discrétionnaires en matière d’arbitrage de différends pour trancher les questions dont elle avait été saisie, établir les conditions d’emploi appropriées et imposer ces conditions en rendant une décision exécutoire. Notre Cour a reconnu que les arbitres de différends disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de fixer les modalités de la convention collective qui lie les parties, et leurs décisions sont presque toujours des décisions de principe, qui soulèvent rarement des questions de droit. Notre Cour a en outre reconnu que l’importance du caractère définitif, qui sous‐tend la nécessité de faire preuve de déférence à l’égard des sentences arbitrales en général, est particulièrement vive en matière d’arbitrage de différends (Administration de pilotage des Laurentides c. Pilotes du Saint-Laurent Central Inc., 2018 CAF 117, 299 A.C.W.S. (3d) 235, par. 60 à 61 et 63).

[9] Dans ses motifs, la Commission a tenu compte des facteurs énoncés à l’article 53 de la Loi. Elle a apprécié les éléments de preuve et pris en compte les propositions présentées par les parties. Aux paragraphes 75 à 83 de ses motifs, la Commission expose un raisonnement cohérent et rationnel pour justifier sa décision de rejeter la proposition de versement d’un paiement forfaitaire de 2 500 $ à chaque membre de l’unité de négociation. Après avoir soupesé tous les facteurs, la Commission n’était pas disposée à établir, dans la décision arbitrale, le précédent d’égaler l’entente de 2020 concernant Phénix. Elle n’a pas souscrit à l’idée qu’égaler l’indemnité pour dommages destinée à indemniser les employés pour les problèmes particuliers qui sont survenus dans la compétence du Conseil du Trésor se justifiait par un argument de comparabilité sans qu’il y ait également une preuve plus claire que des problèmes d’une ampleur semblable ou substantielle fussent survenus à la Chambre des communes.

[10] De même, la situation des employés de l’ARC qui ont eu droit à un paiement forfaitaire n’a pas convaincu la Commission. La Commission a noté, au paragraphe 77 de ses motifs, que les employés de l’ARC avaient obtenu des augmentations économiques générales moins élevées au cours de la troisième et de la quatrième année d’application de leur convention collective par rapport à ce que la Commission avait accordé dans sa décision. Il était loisible à la Commission de tenir compte de la rémunération totale dans son analyse de comparabilité avec les employés de l’ARC.

[11] En ce qui concerne plus précisément les éléments de preuve versés au dossier, je note que les éléments présentés par la demanderesse à la Commission consistaient en un échantillon de quatre employés de l’unité de négociation (sur un total de 62) qui ont éprouvé des problèmes de paye lors de la mise en place du système Phénix. Rien ne prouve que les membres ont subi du stress, de l’exaspération, de la douleur et de la souffrance liés à des problèmes de paye.

[12] En réponse, la défenderesse a présenté à la Commission des éléments de preuve indiquant qu’elle avait mis en place des mécanismes souples et efficaces pour atténuer les effets négatifs du système de paye Phénix sur ses employés. De plus, la défenderesse a énoncé des motifs détaillés pour s’opposer au versement d’un paiement forfaitaire. Elle a exposé l’historique de la mise en œuvre du système Phénix dans l’administration publique centrale et expliqué pourquoi cet historique différait considérablement de la situation vécue par les employés de la Chambre des communes. En outre, trois des quatre cas soumis par la demanderesse ne concernaient pas des problèmes liés à Phénix, mais plutôt des erreurs humaines.

[13] Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, la Commission a examiné et soupesé les propositions des deux parties, comme elle était tenue de le faire. Aucun élément de preuve présenté à la Commission n’indique que les membres de la demanderesse travaillant à la Chambre des communes ont subi du stress, de l’exaspération, de la douleur et de la souffrance causés par les problèmes de paye liés au système Phénix, et encore moins des problèmes d’une ampleur substantielle ou comparable à celle des problèmes vécus par les employés de l’administration publique centrale.

[14] Je suis donc d’avis que la demanderesse n’est pas parvenue à démontrer que la décision de la Commission n’était pas raisonnable. Je ne relève aucune lacune grave dans le raisonnement de la Commission, d’après le dossier qui lui a été présenté et les thèses défendues par les deux parties dans le différend soumis à l’arbitrage. La décision arbitrale est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard du dossier et des pouvoirs qui sont conférés à la Commission par la Loi.

[15] La demanderesse demande à notre Cour d’apprécier de nouveau la preuve qui a été présentée à la Commission, ce qui n’est pas son rôle. Je ne vois aucune raison d’intervenir.

[16] Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-122-21

 

INTITULÉ :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c. CHAMBRE DES COMMUNES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

16 mai 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

DATE DES MOTIFS :

24 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Andrew Astritis

Simcha Walfish

 

Pour la demanderesse

 

Carole Piette

Jean-Michel Richardson

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Emond Harnden LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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