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Date : 20230512


Dossier : A-71-22

Référence : 2023 CAF 100

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

 

MAGASIN CHÂTEAU D’IVOIRE INC.

 

appelante

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimé

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20230512


Dossier : A-71-22

Référence : 2023 CAF 100

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

 

MAGASIN CHÂTEAU D’IVOIRE INC.

 

appelante

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

[1] Il s’agit d’un appel prévu par la loi, interjeté auprès de la Cour fédérale par l’appelante, Magasin Château d’Ivoire Inc. (Château d’Ivoire), relativement à une décision rendue par la directrice et présidente-directrice générale (la directrice) du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le CANAFE). Par cette décision, la directrice a confirmé le procès-verbal qui imposait des pénalités administratives pécuniaires à Château d’Ivoire en application de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17.

[2] Devant notre Cour, Château d’Ivoire interjette appel de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale (2022 FC 405, sous la plume du juge Peter G. Pamel), qui a rejeté la requête que Château d’Ivoire avait déposée en application des articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), en vue d’obtenir la transmission de certains documents. Château d’Ivoire avait présenté cette requête après que le CANAFE eut rejeté sa demande visant à obtenir des documents en application de l’article 317 des Règles parce que ces documents n’avaient pas été examinés par la directrice, laquelle avait rendu la décision contestée.

[3] Par souci de commodité, je reproduis ci-après le texte du paragraphe 317(1) des Règles :

Obtention de documents en la possession d’un office fédéral

Material in the Possession of a Tribunal

Matériel en la possession de l’office fédéral

Material from tribunal

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

[4] Conformément à l’article 350 des Règles, les articles 317 à 319 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux appels prévus par la loi du type que Château d’Ivoire a interjeté auprès de la Cour fédérale.

[5] À la demande des parties, le présent appel a été entendu sur la foi des mémoires des faits et du droit des parties, sans la tenue d’une audience.

[6] Château d’Ivoire a essentiellement fait valoir devant la Cour fédérale et soutient à nouveau devant notre Cour que, puisque la directrice a rendu la décision contestée en se fondant simplement sur la recommandation du personnel du CANAFE, le CANAFE aurait dû produire tous les documents liés au procès-verbal qui étaient en sa possession. Château d’Ivoire fait valoir que la transmission de documents n’aurait pas dû se limiter aux documents qui avaient été remis à la directrice, car cette dernière a, en fait, délégué ses pouvoirs décisionnels à son personnel et s’est contentée d’approuver la recommandation qui lui a été faite. Selon Château d’Ivoire, ni la directrice, ni le CANAFE ne devraient être autorisés à déléguer ainsi leurs pouvoirs dans le but de soustraire à l’examen des documents pertinents.

[7] La Cour fédérale a conclu que Château d’Ivoire avait fourni peu d’éléments juridiques permettant d’étayer sa thèse. Elle a reconnu ceci au paragraphe 23 :

[traduction]
Il serait plutôt kafkaïen qu’un décideur administratif soit autorisé à déléguer des pouvoirs décisionnels à des employés, afin que des documents pertinents échappent à une demande de contrôle judiciaire ou à un appel prévu par la loi, et que ces employés se contentent ensuite de présenter au décideur un nombre restreint de documents ainsi qu’un projet de décision, prêt à être signé sans que le décideur n’en fasse l’examen.

[8] La Cour fédérale a toutefois ajouté [traduction] qu’« il n’existe aucun élément de preuve indiquant que c’est ce qui s’est produit en l’espèce, et prétendre que c’est le cas n’y change rien » (paragraphe 23). La Cour fédérale a déclaré qu’il était loisible à la directrice de se fier au personnel pour qu’il étudie l’affaire et lui fasse des recommandations et qu’aucun élément de preuve n’indique que, ce faisant, la directrice a délégué ses pouvoirs décisionnels. La Cour fédérale a conclu que les éléments de preuve indiquaient, en fait, que la directrice avait elle-même pris la décision contestée.

[9] La Cour fédérale a invoqué certaines décisions parmi l’abondante jurisprudence établissant que la partie qui demande la transmission de documents en application de l’article 317 des Règles n’a droit qu’aux documents pertinents que le décideur avait en sa possession lorsqu’il a pris sa décision (voir, par exemple, 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 1998 CanLII 7910, au para. 11 (C.F. 1re inst.), conf. par [1999] A.C.F. n1432 (QL) (CAF), au para. 3). La Cour fédérale a également mentionné que l’article 350 des Règles ne commande pas l’application d’une norme de divulgation plus rigoureuse aux appels prévus par la loi : Athletes 4 Athletes Foundation c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 41, [2020] A.C.F. no 557, au para. 22.

[10] La Cour fédérale a reconnu que la portée de l’article 317 des Règles pouvait être élargie dans les cas de manquement allégué à l’équité procédurale, mais a conclu que Château d’Ivoire n’avait pas réussi à établir la pertinence des documents en cause censés établir le manquement, ce qui aurait été nécessaire pour que la Cour fédérale exerce son pouvoir discrétionnaire à cet égard : Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720, [2006] A.C.F. no 917, [2006] 4 R.C.F. F 43, aux para. 51 et 52, conf. par 2007 CAF 131, [2007] A.C.F. no 467.

[11] Château d’Ivoire affirme que la Cour fédérale a commis une erreur de droit et que la norme de contrôle qui s’applique dans le présent appel est celle de la décision correcte. Ainsi, il semble donc que Château d’Ivoire ne met pas en doute les conclusions de fait de la Cour fédérale. Cependant, bon nombre des observations de Château d’Ivoire montrent qu’elle n’accepte pas toutes ces conclusions. Quoi qu’il en soit, les normes de contrôle qui s’appliquent dans le présent appel sont celles définies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, à savoir la norme de la décision correcte pour les questions de droit (voir le paragraphe 8) et la norme de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait ou les questions mixtes de droit et de fait sans question de droit facilement isolable (voir les paragraphes 10 et 36). Étant donné qu’elle met en doute des conclusions de fait de la Cour fédérale, Château d’Ivoire doit convaincre notre Cour que la Cour fédérale, en formulant ces conclusions, a commis une erreur qui est à la fois manifeste (c.-à-d. qu’elle est évidente) et dominante (c.-à-d. qu’elle touche directement l’issue de l’affaire) : Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, [2012] A.C.F. no 669, au para. 46.

[12] Je souscris à la conclusion de droit de la Cour fédérale que la transmission de documents prévue à l’article 317 des Règles se limite généralement aux documents que le décideur avait en sa possession au moment de rendre sa décision. Je conviens également qu’il était loisible à la directrice de demander à un membre du personnel du CANAFE de lui faire une recommandation. Je ne crois pas que la Cour fédérale ait commis une erreur de droit.

[13] Je ne crois pas non plus que la Cour fédérale ait commis d’erreur manifeste et dominante sur quelque question mixte de droit et de fait. Je conviens avec la Cour fédérale que les éléments de preuve en l’espèce n’appuient pas une application plus large de l’article 317 des Règles. Il était loisible à la Cour fédérale de conclure que la directrice avait pris sa propre décision en se fondant sur les documents qui étaient en sa possession et qu’elle n’avait pas délégué ses pouvoirs décisionnels (Galipeau c. Canada (Procureur général), 2015 CF 984). Les éléments de preuve énoncés en détail dans le mémoire des faits et du droit de Château d’Ivoire ne commandent pas une conclusion différente. Il était également loisible à la Cour fédérale de conclure que rien n’indique qu’une tentative de délégation de pouvoirs ait été effectuée dans le but de soustraire des documents à l’examen. Enfin, la Cour fédérale pouvait conclure à l’absence de lien pertinent entre le manquement allégué à l’équité procédurale et les documents demandés par Château d’Ivoire.

[14] Bien sûr, rien dans la présente décision ni dans l’ordonnance de la Cour fédérale portée en appel ne tranche les questions en litige, lesquelles devront être examinées dans l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la directrice. Château d’Ivoire conserve le droit de plaider sa cause, mais ne peut exiger la transmission des documents en cause en l’espèce.

[15] Je rejetterais le présent appel avec dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-71-22

 

INTITULÉ :

MAGASIN CHÂTEAU D’IVOIRE INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 mai 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Guy Du Pont, Ad. E.

Léon H. Moubayed

Matthias Heilke

 

Pour l’appelante

 

Benoît de Champlain

Isabelle Mathieu-Millaire

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

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