Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230505


Dossier : A-162-20

Référence : 2023 CAF 93

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

 

 

L’ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL

ET

LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA

 

 

demanderesses

 

 

et

 

 

LE SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SECTION LOCALE 375 DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE,

L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS,

LA CHAMBRE DE COMMERCE DE L’EST DE MONTRÉAL,

LE CONSEIL DU PATRONAT DU QUÉBEC

ET

LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DU QUÉBEC

 

 

défendeurs

 

Audience tenue à Montréal (Québec), les 12 et 13 septembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y A (ONT) SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20230505

Dossier : A-162-20

Référence : 2023 CAF 93

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

L’ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL

ET

LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA

demanderesses

et

LE SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SECTION LOCALE 375 DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE,

L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS,

LA CHAMBRE DE COMMERCE DE L’EST DE MONTRÉAL,

LE CONSEIL DU PATRONAT DU QUÉBEC

ET

LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DU QUÉBEC

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI ou le Conseil), soit Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs, section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique, 2020 CCRI 927, [2020] D.C.C.R.I. no 2. Cette décision a été rendue à la suite d’une demande présentée par l’Association des employeurs maritimes (l’AEM) en vertu du paragraphe 87.4(4) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2 (le Code). L’AEM demandait au CCRI de déclarer le maintien obligatoire, au port de Montréal, de la totalité des activités exécutées par les membres du Syndicat des débardeurs, section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique (le Syndicat) en cas de grève ou de lock‑out.

[2] Le Syndicat représente les employés débardeurs qui accomplissent diverses tâches liées au chargement ou au déchargement des navires, au port de Montréal. L’AEM est leur employeur pour l’application de la partie I du Code, après avoir été désigné ainsi par le CCRI sous le régime de l’article 34 du Code. Le Syndicat et l’AEM sont donc parties à la convention collective qui s’applique aux employés de l’unité de négociation visée par la demande de l’AEM présentée en vertu de l’article 87.4.

[3] Dans la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, le CCRI a dit être en désaccord avec l’AEM et a conclu que l’article 87.4 du Code n’exigeait pas le maintien de toutes les activités accomplies par les employés de l’unité de négociation en cas de grève ou de lock-out.

[4] En l’espèce, l’AEM et les autres demanderesses demandent à la Cour d’annuler la décision du Conseil et de déclarer que toutes les activités accomplies par les employés de l’unité de négociation au port de Montréal doivent être maintenues en temps de grève ou de lock-out en application de l’article 87.4 du Code.

[5] Après l’audition de la demande de contrôle judiciaire, la Cour a demandé aux parties de lui présenter leurs observations écrites sur la possibilité que la demande soit théorique suite à l’adoption de la Loi de 2021 sur les opérations au port de Montréal, L.C. 2021, c. 6 (la LOPM), au Parlement en mai 2021. La LOPM mettait fin à une grève au port de Montréal et obligeait tous les employés de l’unité de négociation à retourner au travail. Elle prévoyait en outre la négociation entre le Syndicat et l’AEM, par voie de médiation-arbitrage, de la convention collective applicable à l’unité de négociation du port de Montréal.

[6] Après avoir pris connaissance des observations des parties concernant le caractère possiblement théorique de la demande, j’arrive à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas théorique, considérant la contestation par le Syndicat de la validité de la LOPM, toujours en instance, devant la Cour supérieure du Québec dans Syndicat des débardeurs, SCFP, section locale 375 c. Procureur général du Canada, numéro de dossier : 500-17-116886-212.

[7] Dans cette contestation, le Syndicat demande que la LOPM soit déclarée inopérante, car elle constitue une atteinte injustifiée à la liberté d’association que l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (la Charte), garantit à ses membres. Si la cour rend une telle déclaration, il est possible que le Syndicat puisse se trouver de nouveau en position légale de grève pour l’unité de négociation du port de Montréal. Cette possibilité signifie donc que les questions soulevées dans le présent contrôle judiciaire sont toujours en jeu et que la Cour doit les trancher.

[8] Comme il ressort des motifs qui suivent, les demanderesses ont soulevé une multitude de questions devant la Cour. Pour bon nombre d’entre elles, la Cour est invitée à apprécier de nouveau la preuve dont disposait le CCRI. Tel n’est toutefois pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire. La Cour ne peut reconsidérer les constatations factuelles du CCRI; elle ne peut intervenir que si le CCRI a fait fi des principes d’équité procédurale à l’égard des demanderesses ou s’il a rendu une décision déraisonnable.

[9] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour n’a aucune raison d’intervenir dans la décision du CCRI et que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

I. Article 87.4 du Code

[10] Il convient, d’entrée de jeu, de passer en revue l’article 87.4 du Code et certains de ses principes d’application tels qu’établis par le CCRI dans les décisions les plus importantes où cet article est interprété. Le texte intégral de l’article 87.4 du Code est joint à l’annexe jointe aux présents motifs. Les faits saillants de cet article peuvent se résumer de la façon qui suit.

[11] Ajouté au Code en 1999, l’article 87.4 vise à protéger l’intérêt public. Il prévoit l’obligation de maintenir, pendant les grèves et les lock-out non interdits, « […] certaines activités — prestation de services, fonctionnement d’installations ou production d’articles — dans la mesure nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public » (paragraphe 87.4(1)).

[12] Ce paragraphe confère la responsabilité première du maintien de telles activités aux parties à la convention collective et aux employés de l’unité de négociation, qui doivent veiller à maintenir les activités nécessaires pour prévenir des risques imminents et graves à la sécurité et la santé du public.

[13] Les paragraphes 87.4(2) et (3) prévoient que les parties à la convention collective peuvent déterminer les modalités du maintien des activités en cas de grève ou de lock-out et les moyens d’en assurer le maintien. Une fois que les parties se sont entendues sur le maintien des activités, l’entente doit être déposée auprès du CCRI.

[14] Par contre, si les parties ne s’entendent pas lorsqu’un avis de négociation fut donné, le paragraphe 87.4(4) du Code prévoit la procédure qui permet à l’une d’elles de demander au CCRI de trancher les questions touchant les activités à maintenir en cas de grève ou de lock-out non interdits.

[15] Le paragraphe 87.4(5) du Code confère également au ministre fédéral du Travail le pouvoir de renvoyer de telles questions au CCRI lorsque la grève ou le lock-out est imminent ou en cours.

[16] Lorsqu’une demande lui est présentée aux termes du paragraphe 87.4(4) ou (5) du Code, le CCRI peut rendre une ordonnance pour maintenir les activités en vertu du paragraphe 87.4(6) « […] s’il est d’avis qu’une grève ou un lock-out pourrait constituer un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public ».

[17] Si une question est renvoyée au CCRI dans les délais impartis par le Code (ou dans les délais prorogés par le Conseil suivant l’alinéa 16m.1) du Code), selon l’alinéa 89(1)e) du Code, les parties ne peuvent déclarer une grève ou un lock-out jusqu’à ce que le CCRI ait rendu sa décision sur le maintien des activités. Ainsi, les demandes telles que celle présentée par l’AEM au CCRI, en l’occurrence, entraînent la suspension du droit de grève ou de lock-out.

[18] Si le CCRI conclut, après qu’une demande lui a été présentée, qu’un certain niveau de services, de fonctionnement et de production doit être maintenu pendant la grève ou le lock-out, sans quoi il pourrait entraîner un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public, le Conseil jouit de larges pouvoirs pour ordonner la prise de mesures correctives. Selon les alinéas 87.4(6)a) et b) du Code, le CCRI peut déterminer les activités qui doivent être maintenues, les employés qui ne peuvent pas faire la grève ou être visés par un lock-out, de même que la manière et la mesure dans lesquelles ces derniers exécuteront les activités qui doivent être maintenues. Selon l’alinéa 87.4(6)c) du Code, le CCRI peut rendre une ordonnance « prévoyant la prise de toute mesure qu’il estime indiquée à l’application [de l’]article [87.4] ».

[19] En outre, si le CCRI est d’avis que le nombre d’employés qui ne peut faire la grève ou être visé par un lock-out est tel qu’il rend inefficace le recours à la grève ou au lock-out, le paragraphe 87.4(8) du Code confère au CCRI le pouvoir d’ordonner l’application d’une méthode exécutoire de règlement, par exemple l’arbitrage par un tiers, des questions qui font toujours l’objet d’un différend.

[20] Le paragraphe 87.4(7) du Code confère au CCRI, sur demande présentée par les parties à la convention collective ou sur renvoi fait par le ministre du Travail, au cours d’une grève ou d’un lock-out non interdits, le pouvoir de réexaminer, de confirmer, de modifier ou d’annuler une entente sur le maintien des activités ou une de ses décisions antérieures prises en vertu de l’article 87.4 du Code s’il est d’avis « que les circonstances le justifient ».

[21] Pour déterminer les services qui doivent être maintenus, le Conseil a noté que l’article 87.4 du Code est une disposition d’intérêt public qui l’oblige « […] à trouver un juste équilibre […] entre les principes des libres négociations collectives, d’une part, et la protection de la santé et de la sécurité du public, d’autre part » (Ville d’Ottawa, 2009 CCRI 447, [2009] D.C.C.R.I. no 12 au para. 34 [Ville d’Ottawa]). Dans un sens relativement similaire, dans la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Re), 2005 CCRI 314, [2005] D.C.C.R.I. no 9 au para. 27 [CN], le Conseil a indiqué que, « [q]uand il est saisi d’une demande présentée en vertu de l’article 87.4, le Conseil doit s’employer à appliquer et à interpréter le Code de manière à faciliter la réalisation de ses objectifs, c’est-à-dire favoriser des relations du travail harmonieuses ».

[22] Le Conseil a en outre établi dans la décision Nav Canada, 2002 CCRI 168, [2002] D.C.C.R.I. no 12 au para. 227 [Nav Canada], que :

[t]oute restriction apportée au droit de grève, même si c’est pour des motifs de santé ou de sécurité, doit tout de même respecter l’importance que ce droit revêt au regard du Code. La liberté de négocier collectivement est gravement compromise si les employés ne peuvent pas exercer leur droit de grève pour faire contrepoids à la puissance économique de l’employeur. […]

[23] De même, dans la décision Société de transport de l’Outaouais, 2017 CCRI 849, [2017] D.C.C.R.I. no 5 [Société de transport], le CCRI a mentionné au paragraphe 164 que « […] toute restriction au droit de grève doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire et uniquement pour assurer la santé et la sécurité du public ».

[24] Cela étant dit, le Conseil a également mentionné que, si l’employeur établit que des activités exécutées par des employés d’une unité de négociation doivent être maintenues pour prévenir tout risque imminent et grave à la santé ou à la sécurité du public, « […] le facteur déterminant doit être la protection de la santé du public » (Énergie atomique du Canada Limitée, 2001 CCRI 122, [2001] D.C.C.R.I. no 19 au para. 295 [EACL CCRI], conf. par Chalk River Technicians and Technologists c. Énergie atomique du Canada Ltée, 2002 CAF 489, [2003] 3 C.F. 313 [EACL CAF]).

[25] Le CCRI a réglé des questions portant sur la charge de preuve découlant de l’article 87.4 de façon quelque peu différente, selon les circonstances des affaires dont il était saisi.

[26] Dans les décisions EACL CCRI, Nav Canada et CN, le Conseil a établi qu’il appartient initialement à la partie qui cherche à limiter le droit de grève ou de lock-out à montrer que des activités doivent être maintenues en application de l’article 87.4 du Code. Le CCRI a néanmoins ajouté que la partie opposée est tenue de s’assurer que le Conseil dispose des facteurs pertinents. Le Conseil a énoncé ces obligations au paragraphe 31 de la décision CN de cette manière :

Lorsqu’il y a désaccord sur les activités dont le maintien doit être assuré, la charge de prouver que la prestation de certains services, le fonctionnement de certaines installations ou la production de certains articles doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out appartient à l’employeur. Cela étant dit, les deux parties sont tenues de présenter au Conseil une preuve convaincante au soutien de leur position respective (Énergie atomique du Canada Limitée, précitée). Il est indispensable que les parties fournissent au Conseil des preuves qui lui permettront de déterminer si les services sont essentiels pour prévenir des risques pour la sécurité ou la santé du public et si une grève ou un lock-out constitue un risque (Nav Canada, [2002] CCRI no 168, au paragraphe 168).

[27] Le Conseil a déclaré dans Aliant Telecom Inc., 2003 CCRI LD 947 [Aliant Telecom], que le syndicat intimé peut s’acquitter de son obligation de fournir une preuve pertinente par voie de contre-interrogatoire des témoins appelés par l’employeur.

[28] Dans la décision Énergie atomique du Canada Limitée, 2015 CCRI 774, [2015] D.C.C.R.I. no 20 [EACL 2015], où le CCRI avait déterminé auparavant que certaines activités devaient être maintenues au cours d’un précédent tour de négociations et où l’employeur prétendait que les circonstances avaient changé au point où les employés devaient avoir le droit de déclencher la grève et l’employeur le droit de déclarer le lock-out, le Conseil a établi que la charge de preuve incombait à l’employeur. Ainsi l’employeur a dû établir qu’il n’était pas nécessaire de maintenir les activités durant la grève ou le lock-out pour atténuer tout risque imminent et grave à la sécurité ou la santé du public.

[29] Le CCRI a par ailleurs conclu que les éléments de preuve requis pour montrer que les activités doivent être maintenues durant la grève ou le lock-out non interdits doivent être « convaincants » (Fredericton International Airport Authority Inc., 2012 CCRI 641, 2012 CarswellNat 4351 (WL) au para. 13; voir aussi les conclusions similaires dans la décision Société de transport aux paras. 164, 173, 177, 182, 191).

[30] De l’avis du Conseil, comme les ordonnances de maintien des activités limitent le droit de grève, qui, selon les circonstances, reçoit maintenant un certain niveau de protection de l’alinéa 2d) de la Charte depuis l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245, de la Cour suprême du Canada, le maintien des activités ne doit être ordonné que s’il est démontré qu’il est requis. Dans la décision Société de transport, le CCRI a déclaré ce qui suit :

[160] Le Conseil tient compte de la double responsabilité qui lui incombe lorsqu’une question ayant trait au maintien de certaines activités lui est soumise en vertu de l’article 87.4 du Code. Il doit se préoccuper du droit du public d’être protégé contre un risque pour sa sécurité ou sa santé, tout en gardant à l’esprit le libellé du préambule du Code, qui fait état de l’engagement du Parlement du Canada à l’égard de la pratique des libres négociations collectives.

[161] Le syndicat soutient que le Conseil devrait réévaluer cet exercice d’équilibre et sa jurisprudence en priorisant la négociation collective, à la lumière de la reconnaissance constitutionnelle donnée au droit de grève dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, précité.

[162] Or, le Conseil est d’avis qu’il n’est pas nécessaire de remettre en cause cette analyse, car l’intention législative et le but du régime des services à maintenir en vertu du Code reflètent précisément l’importance et la nécessité de protéger le droit de grève. À cet égard, le Conseil a dit ceci dans NAV CANADA, 2002 CCRI 168 :

[227] ... Toute restriction apportée au droit de grève, même si c’est pour des motifs de santé ou de sécurité, doit tout de même respecter l’importance que ce droit revêt au regard du Code. La liberté de négocier collectivement est gravement compromise si les employés ne peuvent pas exercer leur droit de grève pour faire contrepoids à la puissance économique de l’employeur...

[228] Le Conseil estime en conséquence que toute restriction imposée au droit de grève doit être cantonnée dans les limites de ce qui est strictement nécessaire pour protéger en toute prudence la santé ou la sécurité du public. Donc, si le Conseil est persuadé que le risque ou le danger n’est ni « imminent » ni « grave », ou si le fonctionnement des installations, production d’articles ou prestation de services peuvent être réduits, ou ne sont pas raisonnablement nécessaires à la sécurité ou la santé du public, ou pour prévenir un risque imminent et grave, le Conseil devrait décider que le maintien de tels services ne doit pas être exigé.

[Caractères gras dans l’original.]

[163] Dans la même veine, dans Fredericton International Airport Authority inc., 2012 CCRI 641, le Conseil a reconnu l’importance qu’il faut accorder à la négociation collective. Dans cette affaire, le Conseil devait déterminer s’il allait exercer son pouvoir d’ordonner une méthode exécutoire de règlement en vertu du paragraphe 87.4(8) du Code :

[11] Le préambule du Code expose les principes et les valeurs qui sous-tendent toutes ses dispositions. Il témoigne en particulier de la préférence du Parlement pour les négociations collectives comme moyen privilégié pour la résolution des différends. Lorsqu’il est saisi d’une demande présentée en vertu de l’article 87.4, le Conseil doit s’employer à appliquer et à interpréter le Code de manière à faciliter la réalisation des objectifs de celui-ci (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 CCRI 314).

[12] Le paragraphe 87.4(8) du Code prévoit une exception, applicable dans certaines circonstances, à cet engagement à l’égard de la pratique des libres négociations collectives (voir Ville d’Ottawa, 2009 CCRI 447). Selon le Conseil, les dispositions de cette nature, qui privent les parties de droits qui leur sont conférés par la loi, doivent être interprétées soigneusement et de manière restrictive.

[13] À première vue, on pourrait estimer raisonnable la conclusion selon laquelle un arrêt de travail qui ne touche actuellement que 5 des 17 employés actifs de l’unité de négociation pourrait n’avoir qu’une faible incidence sur les activités de l’employeur. Cependant, dans la présente affaire, le syndicat conteste vivement l’inefficacité de la grève entreprise par les membres de l’unité de négociation de l’aéroport de Fredericton, et il affirme qu’à son avis, le conflit de travail peut être réglé par des négociations sérieuses. Que l’opinion du syndicat soit fondée ou non, le Conseil agirait à l’encontre de l’esprit du Code, dans ces circonstances, en rendant impossible ou en entravant la négociation d’un règlement. Lorsqu’il soupèse les droits conférés aux parties et les obligations qui leur incombent aux termes du Code, le Conseil doit, dans la mesure du possible, permettre aux employés ainsi qu’à leurs employeurs d’exercer leur droit de participer à des négociations collectives libres et de prendre les sanctions économiques dont ils disposent pour appuyer leurs demandes respectives. Il y a donc une forte présomption en faveur de la négociation collective, et des éléments de preuve convaincants sont nécessaires pour persuader le Conseil de suspendre ces droits.

[Caractères gras dans l’original.]

[164] À la lumière des décisions précitées, toute restriction au droit de grève doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire et uniquement pour assurer la santé et la sécurité du public. De plus, le fardeau de la preuve repose sur la partie qui demande que certaines activités soient maintenues malgré une grève ou un lock-out, soit l’employeur en la présente instance.

[31] Je me penche maintenant sur le sens donné par le Conseil à l’expression « dans la mesure nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public » utilisée au paragraphe 87.4(1) du Code. Le Conseil a établi que « le public », au sens de l’article 87.4 du Code, s’entend de « la collectivité » ou « la masse de la population » (Aéroports de Montréal, 1999 CCRI 23, [1999] D.C.C.R.I. no 23 au para. 19, citant Le Petit Robert).

[32] Quant à l’imminence du risque requis pour justifier l’ordonnance du maintien des activités, le CCRI a établi, dans EACL CCRI, que « […] même si le risque ne doit pas seulement incommoder le public, il n’est pas nécessaire qu’il se manifeste dans un très bref délai ou ‘incessamment’, comme on dirait en français » (paragraphe 288). Notre Cour a confirmé cette interprétation, où elle a déclaré, sous la plume du juge Nadon, dans l’arrêt EACL CAF, aux paragraphes 62 à 65 :

Je suis […] convaincu que le Conseil, en affirmant que « le risque ne doit pas seulement incommoder le public [et qu’] il n’est pas nécessaire qu’il se manifeste dans un bref délai ou “incessamment” », voulait dire qu’il n’est pas nécessaire que le risque se manifeste immédiatement ou d’ici quelques jours. J’estime que le Conseil n’affirme pas ainsi que le risque grave peut se manifester à tout moment dans l’avenir.

Une interprétation juste de la décision du Conseil montre que celui-ci a conclu à l’imminence du risque grave parce qu’il a estimé qu’il se manifesterait dans une dizaine de jours environ, ayant à l’esprit que dans les trois jours suivant le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out, EACL et Nordion seraient vraisemblablement dans l’impossibilité de répondre à la demande concernant leur produit, et qu’après la fin d’une grève ou d’un lock-out, 10 jours de production à Chalk River seraient nécessaires pour que Nordion puisse reprendre régulièrement les livraisons à ses clients. Le Conseil a-t-il commis une erreur en arrivant à cette conclusion? Autrement dit, la preuve était-elle suffisante pour que le Conseil puisse conclure que le risque grave se manifesterait bientôt ou dans un court délai?

À mon avis, il faut répondre par l’affirmative à cette dernière question. Compte tenu de la preuve, le Conseil pouvait conclure qu’un risque se manifestant de 10 à 12 jours après le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out constituait un risque qui se manifesterait bientôt ou dans un court délai.

Je suis donc d’avis que la conclusion du Conseil quant à l’imminence du risque ne peut être qualifiée de déraisonnable. C’est en tenant compte de la preuve et en ayant à l’esprit le libellé de la loi, qui impose au Conseil l’obligation de se former une opinion sur la question de savoir si une grève ou un lock-out pourrait constituer un risque imminent et grave, que je suis arrivé à cette opinion.

[Soulignement et caractères gras dans l’original.]

[33] Le CCRI a adopté une approche au cas par cas à l’analyse des catégories d’activités qui, si réduites, peuvent satisfaire au seuil du risque grave à la santé et la sécurité. Il s’agit principalement d’une question de fait.

[34] Par exemple, le CCRI a déterminé que les activités exécutées par tous les pompiers à un aéroport devaient être maintenues dans la décision Aéroports de Montréal; que bon nombre des activités des contrôleurs aériens devaient être maintenues dans la décision Nav Canada; et que la production de radio-isotopes utilisés pour diagnostiquer le cancer, lorsque l’employeur est la seule source de production de ces isotopes, devait être maintenue dans la décision EACL CCRI, mais non, des années plus tard, alors qu’il existait d’autres sources d’approvisionnement de ces isotopes dans la décision EACL 2015.

[35] Dans une situation factuelle plus proche de celle en l’espèce, le CCRI a conclu dans la décision Marine Atlantique S.C.C., 2004 CCRI 275, [2004] D.C.C.R.I. no 16 [Marine Atlantique], que tous les services de traversier entre le continent et Terre-Neuve devaient être maintenus durant une grève ou un lock-out non interdit. Selon la preuve dont disposait le Conseil, « la très grande majorité – 90 % – de tous les produits frais, de toutes les marchandises périssables ou de tout ce qui doit être livré rapidement (ainsi que 60 % du trafic commercial global qui débarque à Terre-Neuve-et-Labrador) y est transportée par les navires de Marine Atlantique, qui retournent ensuite à North Sydney chargés de poisson, de homard, de bétail et d’autres produits destinés aux marchés de l’extérieur de l’île » (paragraphe 18). Le CCRI a en outre conclu que le service de traversier était très important pour les soins de santé parce qu’il transportait de nombreux matériaux utilisés en soins de santé, des passagers qui nécessitent un traitement à l’extérieur de l’île et des travailleurs de la santé employés dans des centres de soins de longue durée en Nouvelle-Écosse, dont l’horaire de travail est de 15 jours suivis de 15 jours de congé. Par ailleurs, la preuve d’expert montrait que la cessation du service de traversier causerait un stress psychologique à de nombreux Terre-Neuviens. Le Conseil mentionne au paragraphe 21 de sa décision qu’il :

[…] a entendu le témoignage d’expert d’un psychiatre généraliste et judiciaire quant aux retombées immédiates et négatives sur la santé d’une interruption ou d’une baisse du niveau de ce service, retombées imputables aux répercussions économiques de même qu’aux répercussions sur les soins de santé de cette interruption ou de cette baisse, ainsi qu’au sentiment immédiat d’impuissance et d’isolement et aux troubles de comportement qui en résulteraient.

[36] Chose importante, en l’espèce, la preuve dans l’affaire Marine Atlantique indiquait que l’autre entreprise de traversier qui transportait des biens vers Terre-Neuve ne pouvait pas compenser une interruption quelconque du service de traversier de Marine Atlantique.

[37] En se fondant sur ces faits, le CCRI a conclu que le plein service de traversier devait être maintenu durant toute grève ou tout lock-out et a déclaré, aux paragraphes 41 à 45 de sa décision :

Comme je l’ai déjà dit, le Conseil a pour mandat ici de préciser le niveau du service de traversier de Marine Atlantique dont il considère le maintien nécessaire afin de prévenir un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public. Est‑il possible de fixer à la baisse un niveau acceptable de ce service? Non, car le Conseil est convaincu que toute réduction de niveau du service de traversier entraînerait un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public.

Le service de traversier est le seul moyen de transport actuellement accessible pour une importante majorité du grand public voyageur, de l’industrie du camionnage et de sa clientèle, de même que du grand public de Terre-Neuve-et-Labrador, qui n’a aucun autre moyen d’accès réaliste.

L’interruption – ou même une baisse – du niveau du service de traversier de Marine Atlantique entraînerait immédiatement des difficultés pour les nombreux clients tributaires de la régularité de ce service. Les souffrances et les troubles de comportement qui en résulteraient en seraient une conséquence immédiate, comme l’a démontré le témoignage psychiatrique que j’ai entendu. Les membres du grand public et tous les autres clients qui doivent pouvoir compter sur la régularité du service de traversier de Marine Atlantique en subiraient aussi le contrecoup économiquement, émotionnellement ou autrement, là encore avec des conséquences pour le bien‑être mental (voire physique) des personnes affectées. En outre, le transport des fournitures médicales et des autres articles médicaux serait gravement compromis.

D’après un témoignage d’expert clair et non contredit, l’interruption ou une baisse du service de traversier de Marine Atlantique entraînerait des problèmes de santé. Le Conseil ne peut pas ignorer ou rejeter cette preuve convaincante.

Le Conseil est manifestement d’avis que les niveaux du service de traversier à maintenir qu’ont proposé[s] le SCOMM et le TCA ne satisfont pas au critère de l’alinéa 87.4(6)a).

[38] Conformément à ces principes régissant la nécessité de maintenir le transport de biens vers Terre-Neuve, le CCRI a, dans une courte ordonnance rendue le 1er septembre 2010, déterminé que les services de débardage fournis par les membres du Syndicat aux navires en provenance ou à destination de Terre-Neuve devaient être maintenus, en cas de grève ou de lock-out au port de Montréal. Cette ordonnance a été rendue à la suite d’une demande présentée au Conseil par le ministre du Travail en vertu du paragraphe 87.4(5) du Code dans le contexte d’un lock-out imminent ou en cours. (Comme je le mentionne plus en détail ci-dessous, en 2010, l’AEM a lock-outé les employés de l’unité de négociation, au port de Montréal, pendant 10 jours, à l’exception des employés visés par l’ordonnance du Conseil datée du 1er septembre 2010.) Les dispositions saillantes de cette ordonnance paraissent à la page 2 :

[…] ET ATTENDU QUE le Conseil a pris en considération les répercussions graves d’une absence ou du retard de livraison de marchandises pour la population de Terre-Neuve-et-Labrador sur l’approvisionnement en produits essentiels, tels que ceux relatifs au traitement de l’eau potable, l’équipement médical, les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

ET ATTENDU QUE le Conseil a aussi pris en considération la difficulté d’identifier les marchandises critiques destinées à la population de Terre-Neuve-et-Labrador dans un, plusieurs ou tous les conteneurs à destination de Terre-Neuve-et-Labrador.

EN CONSÉQUENCE, après examen des représentations écrites des parties et de la preuve qui a été présentée à l’audience, le Conseil est d’avis qu’une grève ou un lock-out déclenchés, soit par le syndicat soit l’employeur, et qui aurait pour effet de suspendre le transport de produits essentiels vers la province de Terre-Neuve-et-Labrador, pourrait constituer un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé de public de Terre-Neuve-et-Labrador. […]

[39] Inversement, dans plusieurs autres cas concernant les transports, le CCRI a refusé de rendre une ordonnance pour maintenir les activités, par exemple, dans la décision CN. En effet, dans le domaine des services ferroviaires, le Parlement recourt à des lois de retour au travail, telle la LOPM, depuis l’adoption de l’article 87.4 du Code (voir, par exemple, la Loi de 2007 sur le maintien des services ferroviaires, L.C. 2007, c. 8 et la Loi sur la reprise des services ferroviaires, L.C. 2012, c. 8). Il a aussi adopté des lois semblables pour la Société canadienne des postes (voir, par exemple, la Loi de 1997 sur le maintien des services postaux, L.C. 1997, c. 34 et la Loi sur la reprise et le maintien des services postaux, L.C. 2018, c. 25).

[40] Suivant une approche relativement semblable à celle en l’espèce, dans la décision Société de transport, le CCRI a refusé de rendre une ordonnance pour maintenir les services de transport en commun fournis par la Société de transport de l’Outaouais et, dans la décision Ville d’Ottawa, a refusé d’ordonner le maintien des services de transport par autobus et par train fournis par OC Transpo.

[41] Dans l’affaire Ville d’Ottawa, la preuve indiquait que des travailleurs de la santé et des patients qui nécessitent des soins de santé utilisaient les services visés. Toutefois, la preuve indiquait également que les travailleurs et patients en question pouvaient aussi utiliser d’autres moyens de transport, incluant les services de Para Transpo offerts aux patients. Para Transpo avait étendu ses services durant la grève du Syndicat uni du transport et le syndicat avait convenu volontairement d’affecter des employés de l’unité de négociation aux services d’entretien de l’équipement de Para Transpo. Ces solutions de rechange ont amené le Conseil à rejeter la demande. Pour ce qui est de la pertinence des autres services, le CCRI a mentionné au paragraphe 42 de sa décision :

[…] Le Conseil tient également compte de la disponibilité d’autres modes de prestation de services pour déterminer si l’interruption du service est susceptible de poser un risque imminent et grave pour la santé ou la sécurité du public. Dans Nav Canada, [2002] CCRI no 168; et 79 CLRBR (2d) 161, le Conseil a statué que les mesures de rechange permettant d’assurer les services essentiels doivent être nettement capables de prévenir tout risque pour la sécurité ou la santé du public au cas où les services nécessaires ne pourraient pas être assurés. Dans Nav Canada, [2007] CCRI no 375; et 142 CLRBR (2d) 77, le Conseil a conclu que, dans les cas où les services en question peuvent facilement être fournis par d’autres, on ne peut pas raisonnablement dire que l’exécution des tâches par les membres de l’unité de négociation est nécessaire. Seulement, dans cette affaire, le Conseil a fait une mise en garde en ajoutant que, pour en arriver à cette conclusion, il fallait d’abord se demander si d’autres employés ayant l’expérience de la prestation de ces services et les compétences pour le faire sont raisonnablement accessibles.

II. La décision du CCRI

[42] En gardant ce contexte général à l’esprit, j’examine maintenant la décision du CCRI en l’espèce.

[43] L’audition de la demande de l’AEM présentée en vertu de l’article 87.4 a duré 30 jours. Le CCRI a convenu que l’audience serait transcrite. La transcription n’est pas monnaie courante en droit du travail, mais elle se produit parfois dans les cas les plus importants du CCRI.

[44] La lecture de la transcription révèle que l’audience devait initialement durer 10 jours et que le Conseil a déclaré au début de l’audience avoir pris connaissance des documents produits par les parties. La présidente du banc du CCRI a encouragé les parties à se concentrer sur leur preuve des questions pertinentes. Elle a précisé, entre autres, que le Conseil s’intéressait particulièrement aux détails concernant l’approvisionnement en produits précis qui sont prétendument nécessaires pour prévenir le risque imminent et grave à la santé et la sécurité du public s’ils ne seraient plus disponibles advenant une interruption de travail.

[45] Comme les séances initialement prévues se sont avérées insuffisantes, le Conseil a, à plus d’une reprise, ajouté d’autres dates d’audience à mesure que l’affaire progressait. Dans l’espoir d’accélérer l’audience, le Conseil a éventuellement demandé à l’AEM de présenter la preuve principale de certains de ses témoins par affidavit.

[46] Au cours des audiences, le Syndicat s’est engagé, en cas de grève, à maintenir tous les services aux navires en provenance et à destination de Terre-Neuve, comme le Conseil l’avait jugé essentiel en 2010.

[47] En juillet 2019, alors qu’elle devait terminer la présentation de sa preuve le lendemain, l’AEM a demandé par requête à ce qu’un des membres du banc du CCRI se récuse du fait qu’il y avait, selon elle, apparence de partialité. Le 21 août 2019, le Conseil a rejeté la requête : Association des employeurs maritimes, 2019 CCRI 909, [2019] D.C.C.R.I. no 2. L’AEM a ensuite demandé au Conseil de suspendre la procédure étant donné qu’elle a demandé à notre Cour de contrôler la décision du CCRI datée du 21 août 2019. Le Conseil a refusé de suspendre la procédure.

[48] Le 29 janvier 2020, la Cour a rejeté à l’audience la demande de contrôle judiciaire de la décision du CCRI datée du 21 août 2019 présentée par l’AEM : Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs, section locale 375 (Syndicat canadien de la fonction publique), 2020 CAF 29, [2020] A.C.F. no 124 (QL).

[49] Le 28 août 2019, le dernier jour d’audience prévu par le CCRI pour entendre la preuve de l’AEM, l’avocat de l’AEM a refusé de terminer l’interrogatoire de M. Murray, le président du Syndicat, que l’AEM avait appelé à témoigner. L’avocat a prétendu qu’il ne devait pas être tenu de terminer l’interrogatoire alors même que la demande de contrôle judiciaire de l’AEM était en instance. L’avocat de l’AEM a finalement accepté d’appeler le dernier témoin de l’AEM, qui a rendu son témoignage complet. Après un long échange avec le banc pendant lequel l’avocat de l’AEM a maintenu qu’il ne devrait pas être obligé de clore l’interrogatoire de M. Murray, le Conseil a déclaré que la preuve de l’AEM était close. Le Syndicat a choisi de ne pas présenter de preuve, et les jours d’audience résiduels ont été consacrés aux plaidoiries finales.

[50] Dans la décision visée par le présent contrôle judiciaire, le Conseil fait état de l’historique procédural mentionné ci-dessus ainsi que des décisions interlocutoires qu’il a rendues. Il résume ensuite longuement la preuve de l’AEM, en mettant l’accent à plusieurs reprises sur la preuve principale que les témoins appelés par l’AEM avaient fournie. Il n’est pas nécessaire de passer en revue le résumé de la preuve fait par le CCRI autrement que pour mentionner les points qui suivent.

[51] Le Conseil a résumé la preuve de plusieurs témoins de l’AEM, qui ont déclaré qu’il était impossible de décharger en toute sécurité seulement certains conteneurs des navires amarrés au port de Montréal ou même de distinguer avec certitude les conteneurs qui contiennent des produits requis pour la santé et la sécurité du public de ceux qui n’en contiennent pas (voir, par exemple, les paragraphes 23, 28, 29, 43 à 45 et 59 des motifs du Conseil).

[52] Le Conseil mentionne ensuite que les témoins experts appelés par l’AEM ont dit être d’avis qu’il n’existe aucune solution de rechange au port de Montréal qui puisse recevoir ou expédier tous les biens qui transitent à Montréal (voir, par exemple, les paragraphes 52, 67, 83, 97, 101, 115, 116 et 118 des motifs du Conseil). Le Conseil note aussi, cependant, que les experts ont désigné d’autres ports qui pourraient au moins s’occuper d’une certaine partie des biens qui transitent au port de Montréal, mais avec des délais et des frais supplémentaires (voir, par exemple, les paragraphes 108, 117 et 119 à 123 des motifs du Conseil). L’un de ces témoins experts a en outre déclaré que les produits médicaux ou pharmaceutiques finis pourraient être transportés par voie aérienne (voir le paragraphe 71 des motifs du Conseil). Le Conseil résume aussi la preuve de nombreux témoins au sujet de la complexité des chaînes d’approvisionnement, le rôle que tient le port de Montréal dans ces chaînes d’approvisionnement et la nature « juste à temps » des chaînes d’approvisionnement qui devient de plus en plus répandue (voir, par exemple, les paragraphes 20 à 26, 50, 56 à 59, 61 à 66, 68 et 82 des motifs du Conseil).

[53] Pour ce qui est des produits médicaux et pharmaceutiques, le Conseil mentionne que les représentants de trois sociétés pharmaceutiques ont dit être d’avis que l’arrêt de travail, au port de Montréal, causerait un danger imminent et grave pour la santé et la sécurité du public en rompant les chaînes d’approvisionnement de médicaments et de produits médicaux (voir, par exemple, les paragraphes 137, 139 et 142 à 148 des motifs du Conseil). Quoi qu’il en soit, aucun d’eux n’a précisé les médicaments ou produits particuliers qui seraient affectés. Un témoin a déclaré que des arrangements autres ont été pris pour remplacer des produits destinés au marché canadien lorsque l’une de ses usines, à Porto Rico, a dû fermer après un ouragan (paragraphe 154 des motifs du Conseil). Le Conseil note que l’une des sociétés pharmaceutiques a par le passé expédié par avion ses produits au Canada, qu’elle utilise encore parfois ce moyen de transport pour expédier ses produits et qu’une autre société pharmaceutique avait des usines aux États-Unis (paragraphes 129, 136 et 159 des motifs du Conseil). Le Conseil fait aussi référence à des plans de secours que l’une des sociétés a mis en place pour pallier les pénuries (paragraphe 153 des motifs du Conseil).

[54] Le Conseil expose en détail la preuve concernant les effets des pénuries de denrées alimentaires, du sel de déglaçage et de matériaux de construction et autres qui, selon l’AEM, se produiraient si les employés de l’unité de négociation cessaient de travailler (voir, par exemple, les paragraphes 24, 46, 53, 109, 110, 187 et 194 des motifs du Conseil). Le Conseil observe que le sel de déglaçage est expédié à d’autres ports au Québec, en plus du port de Montréal (paragraphe 92 des motifs du Conseil).

[55] Le Conseil fait aussi état de la preuve d’un psychiatre et d’un psychologue qui ont déclaré que la grève au port de Montréal engendrerait vraisemblablement un stress et une tendance à faire des provisions excessives de produits ou de médicaments chez certains membres du public, ce qui aggraverait les pénuries (voir, par exemple, les paragraphes 183 à 186 et 189 à 192 des motifs du Conseil).

[56] Le Conseil passe en revue les arguments des parties et les analyse ensuite. Vu la nature et le nombre d’arguments avancés par les demanderesses devant nous, : il convient d’examiner l’analyse du Conseil de manière assez détaillée.

[57] Le Conseil commence son analyse en notant que l’AEM a demandé une ordonnance pour le maintien de la totalité des activités exécutées par membres du Syndicat au port de Montréal, alléguant que « […] le droit de grève ne pourrait être exercé, au nom de l’intérêt public » (paragraphe 274).

[58] Le Conseil annonce ensuite qu’il n’entend pas se pencher sur toutes les situations de perturbation dans les chaînes d’approvisionnement qu’une grève pourrait engendrer, car l’article 87.4 du Code ne lui permet pas de prendre en compte les conséquences économiques. Il mentionne qu’« [a]ucune preuve ne démontre que, si ces denrées importées [tels des matériaux de construction, des fertilisants ou du sucre] venaient à manquer, la santé de la population en serait menacée » (paragraphe 277 des motifs du Conseil). Le Conseil a donc limité son analyse aux répercussions qu’un arrêt de travail au port de Montréal aurait aux quatre points suivants : 1) les médicaments et les produits pharmaceutiques; 2) le sel de déglaçage; 3) les risques de congestion et les mesures de sécurité au port; et 4) les solutions de rechange en cas de grève.

[59] Le CCRI fait état de la majeure partie de la jurisprudence exposée ci-dessus et se penche ensuite sur la question de la charge de preuve. Le Conseil rejette l’argument de l’AEM selon lequel le CCRI est tenu d’accepter la preuve de l’AEM et les conclusions offertes par ses experts en l’absence de témoin appelé par le Syndicat. Le Conseil conclut que le Syndicat était en droit de procéder ainsi et qu’il incombait à l’AEM « […] de présenter une preuve convaincante pour justifier le maintien de services essentiels » (paragraphe 297).

[60] Le Conseil déclare ensuite que l’AEM ne s’est pas acquittée de la charge de preuve, constatant que l’AEM « […] n’a pas identifié précisément les produits qu’elle considère comme indispensables et essentiels à la santé et la sécurité du public parmi les 39 millions de tonnes de marchandises qui transitent chaque année par le Port de Montréal, en import ou en export » (paragraphe 302 des motifs du Conseil).

[61] Le Conseil expose ensuite sa conclusion, à savoir qu’il « […] est d’avis qu’aucune preuve directe ne lui permet de conclure qu’une grève ou un lock-out au Port de Montréal occasionnera des ruptures de stock ou des pénuries au point de créer un risque imminent et grave pour la santé ou la sécurité du public » (paragraphe 303 des motifs du Conseil).

[62] Le Conseil présente ensuite les motifs qui l’amènent à cette conclusion. Il note d’abord qu’il y a eu lock-out en 2010 et que le témoin de l’AEM qui a fait état des conséquences du lock-out n’a pas précisé de quelle façon ou pour quelles raisons ce lock-out aurait compromis la santé ou la sécurité du public.

[63] Le CCRI examine ensuite les témoignages du psychologue et du psychiatre et note que ces deux témoins « […] ont traité de manière générale, sans faire référence aux services ou produits essentiels dont il pourrait s’agir, de réactions du public en cas de pénurie, voire de pénurie appréhendée » (paragraphe 306 des motifs du Conseil). Le Conseil conclut que la preuve de ces deux témoins n’est pas concluante, car elle reposait sur la prémisse qu’il y aurait pénurie de produits advenant une grève au port de Montréal, mais cette pénurie n’a pas été établie par l’AEM. Le Conseil note qu’aucun de ces témoins n’a précisé les produits qui, s’il devait y avoir pénurie, seraient susceptibles de provoquer des réactions d’ordre psychologique et que l’un d’eux ne connaissait pas les mesures mises en place par Santé Canada pour contrer les pénuries de médicaments, alors que celles-ci étaient pourtant exposées en détail dans un document déposé par le Syndicat.

[64] Le CCRI se penche ensuite sur les médicaments et les produits pharmaceutiques. Il constate que l’industrie pharmaceutique utilise de façon importante le port de Montréal « […] en raison notamment de sa fiabilité et de ses coûts, ainsi que du fait qu’elle peut compter sur une chaîne logistique fiable pour transporter ses produits par train ou par camion, une fois les produits arrivés au Port, ou pour exporter ses produits à l’étranger » (paragraphe 316 des motifs du Conseil). Il poursuit en notant qu’aucun des représentants de l’industrie pharmaceutique qui ont témoigné « […] ne nie que sa compagnie puisse recourir au transport par avion si une situation d’urgence se présentait ou qu’une rupture de stock venait à se produire » (paragraphe 316 des motifs du Conseil). Il constate que toutes les sociétés ont des usines de fabrication un peu partout dans le monde, mais que peu d’éléments de preuve, voire aucun, ont été présentés relativement aux capacités de stockage de ces sociétés. Le Conseil note que, bien que l’un des témoins d’une société pharmaceutique ait déclaré que le transport aérien ne serait pas une option en cas de grève au port, la preuve déposée par le Syndicat montre que les produits pharmaceutiques font partie des marchandises de grande valeur transportées par avion.

[65] Le Conseil fait ensuite état d’un document de Santé Canada déposé par le Syndicat, qui expose en détail les mesures prises par Santé Canada en cas de pénurie de médicaments, et cite abondamment ce document. Ce document mentionne notamment que Santé Canada travaille avec les intervenants en temps de pénurie de médicaments afin de coordonner le partage de l’information et de mettre au point des stratégies d’atténuation axée sur la collaboration. Le Conseil note en outre que document d’appel d’offres de Sigma Santé, qui gère l’approvisionnement des hôpitaux du Québec en médicaments et en matériel médical, renfermait « […] des dispositions très claires concernant d’éventuelles ruptures d’approvisionnement en médicaments, dont des solutions de rechange » (paragraphe 324 des motifs du Conseil).

[66] Le Conseil fait ensuite référence à la preuve d’un témoin expert qui a témoigné en ce qui concerne les chaînes d’approvisionnement et qui a confirmé que, dès 2008, l’avion était utilisé pour transporter une gamme de produits, notamment des médicaments, et que la tendance à utiliser le fret aérien s’est accentuée depuis les dernières années (paragraphe 325 des motifs du Conseil).

[67] Compte tenu de la preuve mentionnée ci-dessus, le CCRI conclut que :

[326] […] une situation de pénurie de médicaments pourrait survenir à n’importe quel moment, qu’il y ait grève ou non au Port de Montréal. Pour faire face à une telle pénurie – dont l’AEM n’a pas démontré, par sa preuve, qu’elle se concrétiserait en cas de grève au Port de Montréal –, Santé Canada dispose d’un certain nombre d’outils et de stratégies visant à aider les entreprises et les fabricants à établir ou à mettre en œuvre des solutions de rechange. Santé Canada a mis en place une chaîne d’approvisionnement en médicaments hautement intégrée et interdépendante, et tous les intervenants ont un rôle important à jouer en situation de pénurie de médicaments.

[327] De plus, le Conseil est d’avis que […] le transport aérien constitue incontestablement une option pour les fabricants de produits pharmaceutiques ou pour tout intervenant de cette industrie, advenant qu’un médicament ou qu’un autre produit pharmaceutique soit en rupture de stock pour une raison ou pour une autre. Ainsi, le Conseil est d’avis, à la lumière de la preuve, qu’il y a des solutions de rechange et que les mécanismes mis en place par Santé Canada font en sorte que cette industrie peut réagir promptement en cas de pénurie de médicaments.

[68] Le Conseil établit une distinction entre la situation en cause et celle d’EACL CCRI, où la preuve montrait concrètement que l’arrêt du réacteur d’EACL aurait entraîné incessamment une pénurie critique de radio-isotopes nécessaires à des fins diagnostiques. À défaut d’une preuve similaire dans l’affaire dont il est saisi, le Conseil conclut que la pénurie alléguée de produits pharmaceutiques ne justifie pas la prise d’une ordonnance en vertu de l’article 87.4 du Code.

[69] Le CCRI se penche ensuite sur le sel utilisé en hiver pour faire fondre la glace sur les routes et constate que l’approvisionnement habituel depuis Goderich avait été remplacé lorsqu’une grève s’est déclenchée à la mine de Goderich en Ontario. Le Conseil note l’absence de preuve concernant la capacité de stockage des municipalités et le fait que le sel de déglaçage est expédié à d’autres ports au Québec. Il conclut ainsi :

[335] À la lumière de la preuve, le Conseil n’est pas convaincu qu’une grève au Port de Montréal causerait une pénurie de sel, compte tenu du fait que plusieurs ports reçoivent du sel de route au Québec, sans compter que le Port de Montréal est en mesure de recevoir du sel d’outre-mer même pendant l’hiver. Il a également été démontré que d’autres compagnies reçoivent du sel de déglaçage en sus [de celle qui opère au port de Montréal], dont Cargill et Canadian Salt. L’employeur n’a pas su démontrer […] quel est le volume de stockage de sel nécessaire dans les municipalités pour faire face à la demande pendant l’hiver. Par ailleurs, la preuve de l’employeur n’a pas non plus démontré qu’une pénurie de sel de déglaçage aurait pour effet de causer un risque imminent et grave pour la santé ou la sécurité du public.

[70] Le Conseil conclut donc que la pénurie éventuelle de sel de déglaçage ne justifie pas la prise d’une ordonnance en vertu de l’article 87.4 du Code.

[71] Quant au risque de congestion sur le Saint-Laurent et sur les quais, le Conseil a établi que l’obligation du Syndicat de donner un préavis de grève de 72 heures selon l’alinéa 89(1)f) et l’article 87.2 du Code allège les risques de congestion et permet de rediriger en toute sécurité les navires qui devaient à l’origine se rendre au port de Montréal.

[72] Le Conseil conclut donc, au paragraphe 374 de ses motifs, que la preuve était :

[…] insuffisante pour qu’il accueille la demande présentée par l’employeur afin que soit maintenue la totalité des services de débardage en cas de déclenchement d’une grève au Port de Montréal […] [et qu’]à la lumière de la preuve présentée, qu’il serait nécessaire de maintenir toutes les activités de débardage, tel que le demande l’employeur, pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public.

[73] Pour terminer, le Conseil prend acte de l’engagement du Syndicat de maintenir, en cas de grève, tous les services de débardage aux navires en provenance et à destination de Terre-Neuve. Il rappelle aussi aux parties « qu’en tout temps, et si les circonstances le justifient », l’AEM, le Syndicat ou le ministre du Travail peut lui demander, en vertu de l’article 87.4 du Code, de modifier ou d’annuler sa décision (paragraphe 376 des motifs du Conseil).

III. Analyse des arguments des demanderesses

[74] Je me tourne maintenant vers les divers arguments avancés par les demanderesses. Ces dernières soutiennent que le CCRI a commis douze erreurs susceptibles de révision et que chacune d’elles justifierait l’annulation de la décision du CCRI. Pour analyser ces questions, il convient de les regrouper par catégorie, car bon nombre d’entre elles se recoupent.

[75] Quelques points préliminaires méritent d’être mentionnés.

[76] D’abord, les demanderesses soutiennent que notre Cour ne devrait accorder aucun poids à l’affidavit de Martin Lapierre, produit par le Syndicat, parce qu’il serait truffé d’arguments et de preuve inadmissibles. Je conviens que de longs passages de cet affidavit sont inadmissibles. Toutefois, on peut en dire autant de longs passages de l’affidavit de Guillaume Couture, que les demanderesses ont déposé.

[77] À la lumière des arguments des demanderesses et du fait que l’audience devant le CCRI a été transcrite, aucune preuve autre que les transcriptions, les pièces et les autres documents dont disposait le CCRI et, peut-être, les décisions interlocutoires du CCRI n’est pertinente par rapport à la présente demande de contrôle judiciaire.

[78] En règle générale, la preuve dans les demandes de contrôle judiciaire se limite à celle dont disposait le tribunal administratif parce que le rôle de la cour de révision est d’évaluer le caractère raisonnable de la décision du tribunal administratif et non de trancher l’affaire de nouveau. Il y a un nombre limité d’exceptions à cette règle : tel est le cas, par exemple, pour la preuve renfermant des renseignements sur le contexte général susceptibles d’aider la Cour, la preuve ayant trait au manquement allégué à l’équité procédurale ou autre vice de procédure, ou la preuve indiquant que le tribunal administratif n’avait aucune preuve sur un point particulier (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, [2012] A.C.F. no 93 (QL) au para. 20; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, [2015] A.C.F. no 1396 (QL) aux paras. 13 à 28, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 36834 (9 juin 2016)).

[79] En l’occurrence, de grandes parties des affidavits déposés par les deux parties excèdent, et de loin, les exceptions à la règle générale et constituent en somme une seconde présentation des arguments de l’affaire devant le CCRI. Je n’accorde aucun poids aux passages des deux affidavits qui sont inadmissibles, et je me suis plutôt concentrée sur les documents joints aux affidavits qui ont un lien direct avec les questions en jeu dans la présente demande.

[80] Le deuxième point préliminaire porte sur la norme de contrôle que la Cour doit appliquer, et qui se résume en peu de mots.

[81] Le CCRI n’a droit à aucune déférence sur les questions d’équité procédurale, comme la Cour l’a établi dans Watson c. Syndicat canadien de la fonction publique, 2023 FCA 48 au para. 17 [Watson]; Clark c. Air Line Pilots Association, 2022 FCA 217 au para. 10 [Clark]; et Canadian Airport Workers Union c. Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux paras. 23–24 (renvoyant à Wsáneć School Board c. Colombie‑Britannique, 2017 CAF 210 aux paras. 22–23; et Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121 aux paras. 34–56).

[82] En revanche, le contrôle des conclusions de fait du CCRI et de son interprétation des dispositions du Code est fait suivant la norme de la décision raisonnable, laquelle commande une retenue, comme l’ont établi les arrêts Watson au para. 16; Clark aux paras. 8–9; et Grant c. Unifor, 2022 CAF 6, 2022 CarswellNat 6743 (WL) au para. 8.

A. Questions d’équité procédurale soulevées par les demanderesses

[83] Pour ce qui est des diverses questions soulevées par les demanderesses, trois d’entre elles (les deuxième, onzième et douzième motifs du mémoire des faits et du droit des demanderesses) portent sur de prétendus manquements à l’équité procédurale.

[84] Les demanderesses prétendent, au deuxième motif, que le CCRI a brimé leurs droits en limitant indûment leur preuve. Elles mentionnent à cet effet les limites de temps imposées par le CCRI, l’obligation imposée à l’AEM de déposer par affidavit la preuve principale de certains témoins, l’obligation imposée à l’AEM d’appeler son dernier témoin avant de pouvoir terminer l’interrogatoire de M. Murray et la décision du CCRI de déclarer la preuve de l’AEM close lorsque l’avocat a refusé de terminer l’interrogatoire de M. Murray. Les demanderesses soutiennent que la limitation de leur preuve d’une telle façon est particulièrement inquiétante d’autant plus que le CCRI a, au final, fondé sa décision sur le fait que l’AEM n’est pas parvenue à prouver que le maintien des activités était nécessaire.

[85] En toute déférence, je ne partage pas cet avis.

[86] Le CCRI est maître de sa procédure et peut de bon droit prendre de telles décisions, surtout s’il s’inquiète du temps que prendra l’audition de l’affaire. La maxime maintes fois répétée que « les relations de travail reportées sont des relations de travail refusées » est particulièrement à propos lorsqu’il s’agit de l’audition de demandes, comme c’est le cas en l’espèce, qui ont pour effet de suspendre le droit de grève et de lock-out et qui, du coup bien souvent, minent les progrès à la table de négociations. L’objectif premier du Code, comme en fait foi son préambule, est d’encourager la pratique des libres négociations collectives, auxquelles peuvent très bien nuire les longs délais dans l’audition et le règlement des demandes présentées en vertu de l’article 87.4.

[87] Chacune des décisions procédurales que les demanderesses attaquent a été vue par le CCRI comme étant nécessaire au bon déroulement de l’affaire. Vu la durée de l’audience, le CCRI avait de très bonnes raisons de craindre les retards.

[88] Il convient en outre de noter que le CCRI peut, en vertu de l’article 16.1 du Code, trancher toute affaire sans tenir d’audience. Notre Cour a souvent conclu que la décision du CCRI de ne pas tenir d’audience du tout ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale (voir, par exemple, Watson aux paras. 50–52 (renvoyant à Maritime Broadcasting System Limited c. La Guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, [2014] A.C.F. no 236 (QL) au para. 50); Nadeau c. Métallurgistes unis d’Amérique, 2009 CAF 100, [2009] A.C.F. no 398 aux paras. 3–6; NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, 2001 CAF 30, [2001] A.C.F. no 257 au para. 10). Si le Conseil peut procéder sans audience, il va sans dire qu’il peut aussi demander le dépôt d’affidavits et fixer les échéances pour clore la preuve.

[89] Je constate par ailleurs que le simple fait qu’une partie intente un contrôle judiciaire ne met pas cette partie en droit de s’attendre à la suspension des procédures devant une commission des relations de travail (voir, par exemple, Société canadienne des postes, 2013 CCRI 697, [2013] D.C.C.R.I. no 25 aux paras. 18–23; et Société Radio-Canada, 2002 CCRI 193, [2002] D.C.C.R.I. no 41 aux paras. 20–34).

[90] Il était donc entièrement loisible au Conseil d’insister pour que l’AEM termine sa preuve et, lorsque cette dernière a refusé de le faire, de clore sa preuve à sa place. Il lui était aussi entièrement loisible de rendre les autres décisions concernant le dépôt d’affidavits et la clôture de la preuve, décisions auxquelles les demanderesses s’opposent.

[91] Ainsi, les arguments avancés par les demanderesses, sous le deuxième motif de leur mémoire des faits et du droit, au sujet de la prétendue limitation par le CCRI du droit de l’AEM de présenter sa cause devant ce dernier, sont sans fondement.

[92] Cette conclusion vaut est également pour les autres arguments d’ordre procédural que les demanderesses soulèvent.

[93] Selon le onzième motif des demanderesses, le CCRI aurait brimé les droits à l’équité procédurale des demanderesses : a) en adoptant une nouvelle norme de preuve (norme de preuve « directe » et « convaincante ») et en l’imposant à l’AEM sans l’avoir prévenue; b) en omettant de trancher plusieurs objections soulevées par l’AEM; et c) en se fondant sur un document de Santé Canada, mentionné plus haut, sans aviser au préalable les demanderesses de cette possibilité.

[94] Pour ce qui est de l’adoption alléguée d’une nouvelle norme de preuve, je suis d’avis que le CCRI n’a rien fait de tel. La mention de la preuve « directe » et « convaincante » par le Conseil ne diffère d’aucune façon significative de la norme appliquée dans les affaires antérieures, qui nécessite, comme mentionné plus haut, que la partie qui cherche à limiter l’exercice du droit de grève ou de lock-out présente « des éléments de preuve convaincants » du risque imminent et grave à la santé ou la sécurité du public.

[95] En outre, si je lis, à la lumière de l’ensemble de sa décision, les expressions du Conseil que les demanderesses attaquent, il ressort clairement que le CCRI a utilisé les termes « directe » et « convaincante » pour qualifier la preuve simplement pour montrer que l’AEM a négligé de présenter une quelconque preuve de l’imminence et de la gravité alléguées du risque pour la santé et la sécurité du public. Comme le Conseil l’a constaté, les témoins des demanderesses s’exprimaient en termes généraux et aucun d’eux n’a fourni de détail précis.

[96] Je conclus donc que le CCRI n’a pas adopté une nouvelle norme de preuve à laquelle l’AEM était tenue de satisfaire.

[97] Quant au prétendu défaut de disposer des objections des demanderesses, ces dernières n’ont pas établi un tel défaut. Elles ont mentionné les pièces P-51, I-23, I-30 et I-31 dans leur mémoire des faits et du droit, pourtant elles n’en ont pas parlé dans leurs observations orales. Il semblerait que ces pièces faisaient partie des recueils de documents que les parties ont déposés devant le CCRI et que le CCRI a admis, suivant la pratique souvent adoptée en droit du travail, sous réserve d’une preuve ultérieure de la part d’un témoin. Les demanderesses n’ont pas montré que ces documents n’ont pas été reconnus par la suite et, de toute façon, la décision du Conseil ne repose sur aucune d’elles.

[98] La pièce I-33 du Syndicat, la thèse de doctorat de Mme Amiel, l’un des témoins experts appelés par l’AEM, est la seule pièce mentionnée dans les observations orales qui ont été présentées à la Cour. La transcription de l’audience devant le Conseil (dossier des demanderesses, vol. 34, aux pp. 7213–7226) indique bien que le CCRI a disposé des objections de l’avocat des demanderesses et a admis le document malgré ces objections, déterminant que le document avait une certaine pertinence. La réserve concernant ce document qu’avait posé la présidente du banc du CCRI visait à permettre à l’AEM d’avancer ses arguments sur le poids à donner à ce document, étant donné qu’il datait de 2008.

[99] Ainsi, les demanderesses ne sont pas parvenues à établir que le CCRI a omis de trancher une objection, contrairement à ce qu’elles prétendent.

[100] Quant à l’omission alléguée de prévenir les demanderesses que le CCRI pourrait se fonder sur le document de Santé Canada, il n’était pas tenu de le faire. Le Syndicat a déposé ce document. Ce document faisait donc partie de la preuve et il appartenait à l’AEM de formuler des observations, si elle en sentait le besoin, ou de produire une preuve additionnelle si elle voulait contredire ce document. Elle ne peut prétendre avoir été surprise par le document en question.

[101] Je conclus donc que le onzième motif des demanderesses ne justifie aucune intervention.

[102] Bien que présenté comme une question d’équité procédurale, le douzième motif des demanderesses n’est ni plus ni moins que le résumé des autres arguments formulés concernant le contenu de la décision du CCRI, dont il est question ci-dessous. Pour les mêmes raisons que celles exposées dans la section suivante des présents motifs, les arguments invoqués sous le douzième motif sont sans fondement et n’établissent aucun manquement à l’équité procédurale.

B. Questions soulevées par les demanderesses quant au caractère prétendument déraisonnable de la décision du CCRI

[103] Les neuf autres motifs avancés par les demanderesses portent sur le prétendu caractère déraisonnable de la décision du Conseil pour des raisons qui se ressemblent et se recoupent.

[104] Les demanderesses prétendent d’abord que le CCRI s’est écarté sans raison valable de sa propre jurisprudence : a) en refusant déraisonnablement de déterminer s’il y avait lieu de maintenir, en cas de grève, une partie des services en vertu de l’article 87.4 du Code, et non la totalité comme le demandait l’AEM dans sa demande (premier motif); b) en refusant déraisonnablement de suivre son précédent et de l’appliquer au port puisqu’il n’y avait aucune différence significative entre les faits de l’espèce et les faits qui ont mené à son ordonnance de 2010, visant le maintien des services de débardage des navires en provenance ou à destination de Terre-Neuve (quatrième motif); et c) en refusant déraisonnablement de suivre ses précédents dans les décisions Aéroports de Montréal, EACL CCRI et Nav Canada (dixième motif).

[105] Pour ce qui est du premier motif, je conviens avec l’AEM que l’article 87.4 du Code impose au CCRI une obligation, indépendamment de la position des parties. Il appartient au Conseil de voir au maintien des activités qui, si elles devaient cesser ou être réduites durant une grève ou un lock-out, pourraient, selon lui, causer un risque imminent et grave pour la santé et la sécurité du public, indépendamment de la thèse des parties. Le CCRI a reconnu que telle est son obligation dans les décisions Aéroports de Montréal, EACL CCRI et Nav Canada.

[106] Ce principe n’est toutefois d’aucune utilité pour les demanderesses en l’espèce. En l’occurrence, le CCRI a conclu qu’il n’y avait pas lieu de maintenir des activités, car la preuve n’a pas permis d’établir qu’il y avait de fait des activités qui, si elles devaient cesser ou être réduites, pourraient causer un risque à la santé et la sécurité du public. Il n’était donc pas nécessaire pour le Conseil d’envisager la possibilité que seules certaines activités doivent être maintenues.

[107] En outre, comme mentionné dans la décision CN, précitée, le Conseil s’en remet aux parties pour lui présenter la preuve pertinente, et c’est pourquoi la charge de preuve revient aux deux parties. Il n’est pas incompatible avec cette obligation de permettre à la partie syndicale de s’acquitter de la charge de preuve en contre-interrogeant les témoins de la partie patronale, comme l’a mentionné le Conseil dans sa lettre de décision, dans l’affaire Aliant Telecom, précitée. Le CCRI n’est pas tenu de déclencher un processus inquisitoire non plus, malgré ce que les demanderesses suggèrent. Ainsi, le premier motif est sans fondement.

[108] Pour ce qui est des quatrième et dixième motifs, en l’espèce, le CCRI a écarté les précédents sur lesquels les demanderesses s’appuyaient. Il a plus précisément conclu qu’il n’y avait aucun produit médical semblable à ceux en cause dans l’affaire EACL CCRI, et qu’il y avait des différences factuelles majeures avec les affaires Nav Canada, Aéroports de Montréal et autres décisions dans lesquelles des ordonnances pour maintenir les activités ont été rendues.

[109] Le Conseil a également écarté la présente affaire de celles visant Terre-Neuve parce qu’il existe en l’espèce des solutions de rechange, notamment d’autres ports et le transport aérien pour expédier et recevoir des produits pharmaceutiques dans les cas de nécessité urgente. Comme il a été mentionné plus haut, l’absence de telles solutions de rechange était un facteur important de l’affaire Marine Atlantique.

[110] Il est vrai que le Conseil n’a pas mentionné son ordonnance motivée de septembre 2010 visant le port de Montréal dans la décision. Vu la différence factuelle concernant les solutions de rechange relevée dans l’analyse de l’affaire Marine Atlantique, je ne pense pas que cette absence de mention rende la décision déraisonnable. Comme l’ont noté les juges majoritaires dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 au para. 91 [Vavilov] :

[…] les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : Newfoundland [and Labrador] Nurses[’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)], [2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 au] par. 16.

[111] Ainsi, contrairement à ce que les demanderesses prétendent, le CCRI n’a pas déraisonnablement omis de suivre sa propre jurisprudence. Dans ses motifs, le CCRI explique les raisons pour lesquelles il en est arrivé à une décision différente de celles dans les affaires sur lesquelles l’AEM s’appuyait.

[112] Les premier, quatrième et dixième motifs invoqués par les demanderesses ne donnent aucune raison d’intervenir.

[113] Le huitième motif, qui présente la décision du CCRI sous un faux jour, ne fournit aucune raison d’intervenir non plus. Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, le Conseil n’a pas donné au droit de grève préséance sur son obligation, aux termes de l’article 87.4 du Code. Le Conseil a en fait adopté la même approche en l’espèce que dans les affaires précédentes, qui établissent qu’il faut une preuve convaincante pour ordonner le maintien des activités. Le Conseil a simplement conclu à l’absence d’une telle preuve.

[114] Les questions résiduelles que soulèvent les demanderesses (à savoir les troisième, cinquième, sixième, septième et neuvième motifs) sont factuelles et visent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et d’arriver à une conclusion différente de celle du CCRI. Comme je l’ai déjà mentionné, tel n’est pas le rôle de notre Cour.

[115] Comme la Cour l’a établi dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CAF 41, et Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161, [2021] A.C.F. no 848 (QL) [Best Buy], compte tenu de l’évolution du droit administratif au cours des dernières années, l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, permet l’intervention dans les cas factuels, même en présence d’une clause privative telle celle prévue à l’article 22 du Code.

[116] Toutefois, la marge d’intervention est très étroite. L’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que les décisions fondées sur des conclusions de fait erronées, « […] tirée[s] de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [l’office fédéral] dispose » peuvent donner lieu à une intervention. La formulation légale du critère des conclusions de fait déraisonnables, devant les Cours fédérales, s’apparente à celle des conclusions de fait déraisonnables établie par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vavilov, où les juges majoritaires ont noté, au paragraphe 126, que les conclusions de fait déraisonnables se produisent lorsque « […] le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte ».

[117] Les conclusions sont dites abusives si elles sont tirées délibérément, en dépit de la preuve. Les conclusions sont dites arbitraires ou non fondées sur la preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’elles ne sont rationnellement étayées d’aucun élément de preuve ou lorsque le décideur a omis de tenir raisonnablement compte d’éléments de preuve importants qui étaient contraires à ses conclusions (Best Buy au para. 123).

[118] En l’espèce, aucune des questions factuelles soulevées par les demanderesses n’atteint le seuil d’un tel critère. Les demanderesses invitent en fait la Cour à annuler les conclusions du CCRI et à accepter les conclusions offertes par leurs experts et lui demandent de passer la preuve en revue et d’en arriver à une conclusion différente. En fait, elles ont consacré la majeure partie de leurs observations écrites et orales à exposer la preuve en menus détails et ont exhorté la Cour à l’apprécier à nouveau.

[119] Tel n’est pas notre rôle. Il était loisible au Conseil de rejeter les conclusions offertes par les témoins de l’AEM pour les raisons qu’il a données. Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, le Conseil a longuement motivé sa décision de rejeter ces conclusions, comme en fait foi l’analyse approfondie de la décision du Conseil, ci-dessus.

[120] Ainsi, aucun des arguments des demanderesses n’est fondé.

IV. Dispositif proposé

[121] Je rejetterais donc la présente demande, avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc »


Annexe

L’article 87.4 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, est ainsi libellé :

Maintien de certaines activités

Maintenance of activities

87.4 (1) Au cours d’une grève ou d’un lock-out non interdits par la présente partie, l’employeur, le syndicat et les employés de l’unité de négociation sont tenus de maintenir certaines activités — prestation de services, fonctionnement d’installations ou production d’articles — dans la mesure nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public.

87.4 (1) During a strike or lockout not prohibited by this Part, the employer, the trade union and the employees in the bargaining unit must continue the supply of services, operation of facilities or production of goods to the extent necessary to prevent an immediate and serious danger to the safety or health of the public.

Avis à l’autre partie

Notice

(2) L’employeur ou le syndicat peut, au plus tard le quinzième jour suivant la remise de l’avis de négociation collective, transmettre à l’autre partie un avis pour l’informer des activités dont il estime le maintien nécessaire pour se conformer au paragraphe (1) en cas de grève ou de lock-out et du nombre approximatif d’employés de l’unité de négociation nécessaire au maintien de ces activités.

(2) An employer or a trade union may, no later than fifteen days after notice to bargain collectively has been given, give notice to the other party specifying the supply of services, operation of facilities or production of goods that, in its opinion, must be continued in the event of a strike or a lockout in order to comply with subsection (1) and the approximate number of employees in the bargaining unit that, in its opinion, would be required for that purpose.

Entente entre les parties

Agreement

(3) Si, après remise de l’avis mentionné au paragraphe (2), les parties s’entendent sur la façon de se conformer au paragraphe (1), l’une ou l’autre partie peut déposer une copie de l’entente auprès du Conseil. L’entente, une fois déposée, est assimilée à une ordonnance du Conseil.

(3) Where, after the notice referred to in subsection (2) has been given, the trade union and the employer enter into an agreement with respect to compliance with subsection (1), either party may file a copy of the agreement with the Board. When the agreement is filed, it has the same effect as an order of the Board.

Absence d’entente

Where no agreement entered into

(4) Si, après remise de l’avis mentionné au paragraphe (2), les parties ne s’entendent pas sur la façon de se conformer au paragraphe (1), le Conseil, sur demande de l’une ou l’autre partie présentée au plus tard le quinzième jour suivant l’envoi de l’avis de différend, tranche toute question liée à l’application du paragraphe (1).

(4) Where, after the notice referred to in subsection (2) has been given, the trade union and the employer do not enter into an agreement, the Board shall, on application made by either party no later than fifteen days after notice of dispute has been given, determine any question with respect to the application of subsection (1).

Renvoi ministériel

Referral

(5) En tout temps après la remise de l’avis de différend, le ministre peut renvoyer au Conseil toute question portant sur l’application du paragraphe (1) ou sur la capacité de toute entente conclue par les parties de satisfaire aux exigences de ce paragraphe.

(5) At any time after notice of dispute has been given, the Minister may refer to the Board any question with respect to the application of subsection (1) or any question with respect to whether an agreement entered into by the parties is sufficient to ensure that subsection (1) is complied with.

Ordonnance du Conseil

Board order

(6) Saisi d’une demande présentée en vertu du paragraphe (4) ou d’un renvoi en vertu du paragraphe (5), le Conseil, s’il est d’avis qu’une grève ou un lock-out pourrait constituer un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public, peut — après avoir accordé aux parties la possibilité de s’entendre — rendre une ordonnance :

(6) Where the Board, on application pursuant to subsection (4) or referral pursuant to subsection (5), is of the opinion that a strike or lockout could pose an immediate and serious danger to the safety or health of the public, the Board, after providing the parties an opportunity to agree, may, by order,

a) désignant les activités dont il estime le maintien nécessaire en vue de prévenir ce risque;

(a) designate the supply of those services, the operation of those facilities and the production of those goods that it considers necessary to continue in order to prevent an immediate and serious danger to the safety or health of the public;

b) précisant de quelle manière et dans quelle mesure l’employeur, le syndicat et les employés membres de l’unité de négociation doivent maintenir ces activités;

(b) specify the manner and extent to which the employer, the trade union and the employees in the bargaining unit must continue that supply, operation and production; and

c) prévoyant la prise de toute mesure qu’il estime indiquée à l’application du présent article.

(c) impose any measure that it considers appropriate for carrying out the requirements of this section.

Révision de l’ordonnance

Review of order

(7) Sur demande présentée par le syndicat ou l’employeur, ou sur renvoi fait par le ministre, au cours d’une grève ou d’un lock-out non interdits par la présente partie, le Conseil peut, s’il estime que les circonstances le justifient, réexaminer et confirmer, modifier ou annuler une entente, une décision ou une ordonnance visées au présent article. Le Conseil peut en outre rendre les ordonnances qu’il juge indiquées dans les circonstances.

(7) On application by the employer or the trade union, or on referral by the Minister, during a strike or lockout not prohibited by this Part, the Board may, where in the Board’s opinion the circumstances warrant, review and confirm, amend or cancel an agreement entered into, or a determination or order made, under this section and make any orders that it considers appropriate in the circumstances.

Règlement du différend

Binding settlement

(8) Sur demande présentée par le syndicat ou l’employeur, le Conseil, s’il est convaincu que le niveau d’activité à maintenir est tel qu’il rend inefficace le recours à la grève ou au lock-out, peut, pour permettre le règlement du différend, ordonner l’application d’une méthode exécutoire de règlement des questions qui font toujours l’objet d’un différend.

(8) Where the Board is satisfied that the level of activity to be continued in compliance with subsection (1) renders ineffective the exercise of the right to strike or lockout, the Board may, on application by the employer or the trade union, direct a binding method of resolving the issues in dispute between the parties for the purpose of ensuring settlement of a dispute.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


INTITULÉ :

L’ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES, L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL ET LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA c. LE SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SECTION LOCALE 375 DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS, LA CHAMBRE DE COMMERCE DE L’EST DE MONTRÉAL, LE CONSEIL DU PATRONAT DU QUÉBEC ET LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DU QUÉBEC

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LEs 12 et 13 septembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

le 5 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Nicola Di Iorio

Me Mélanie Sauriol

Me Geneviève Beaudin

Pour lA demanderesse

L’ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

Me Michel Brisebois

Me Marc-André Groulx

Pour la demanderesse

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL

Me Jean-Denis Boucher

Pour la demanderesse

LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA

Me Jacques Lamoureux

Pour le défendeur

LE SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SECTION LOCALE 375 DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

Me Julie Plante

POUR LE DÉFENDEUR

LE CONSEIL DU PATRONAT DU QUÉBEC

Me Alexandre Gagnon

POUR LA DÉFENDERESSE

LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DU QUÉBEC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DS Avocats Canada s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

Pour lA demanderesse

L’ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

BCF s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

Pour lA demanderesse

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL

Robinson Sheppard Shapiro s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

Pour lA demanderesse

LA FÉDÉRATION MARITIME DU CANADA

Lamoureux Morin avocats inc.

Longueuil (Québec)

Pour le défendeur

LE SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SECTION LOCALE 375 DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

Me Julie Plante

POUR LE DÉFENDEUR

LE CONSEIL DU PATRONAT DU QUÉBEC

Me Alexandre Gagnon

POUR LA DÉFENDERESSE

LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DU QUÉBEC

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.