Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220210


Dossier : A-315-21

Référence : 2022 CAF 27

Présent : LE JUGE LOCKE

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

appelant

et

ABDELHAK SEDKI

ZINEB EL AOUD

intimés

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 10 février 2022.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20220210


Dossier : A-315-21

Référence : 2022 CAF 27

Présent : LE JUGE LOCKE

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

appelant

et

ABDELHAK SEDKI

ZINEB EL AOUD

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

I. Aperçu

[1] L’appelant demande une ordonnance suspendant, pour la durée de l’appel, la partie de la décision en appel (Sedki c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1071) se lisant comme suit :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande CH de M. Sedki, accompagnée par la demande de parrainage des demandeurs, est renvoyée à un autre agent d’IRCC pour évaluation sur le fond.

[2] L’appelant a le droit de porter cette décision en appel parce que la Cour fédérale a certifié la question suivante comme question grave de portée générale :

L’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR) pendant la période énoncée à l’alinéa 40(2)(a) de la LIPR, peut-il présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent pour considérations d’ordre humanitaire au sens du paragraphe 25(1) de la LIPR, malgré l’interdiction de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent prévu au paragraphe 40(3) de la LIPR ?

[3] Le paragraphe 25(1) de la LIPR se lit comme suit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[4] L’article 40 de la LIPR se lit en partie comme suit :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

[…]

Interdiction de territoire

Inadmissible

(3) L’étranger interdit de territoire au titre du présent article ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent.

(3) A foreign national who is inadmissible under this section may not apply for permanent resident status during the period referred to in paragraph (2)(a).

[5] Les faits pertinents ne sont pas contestés. L’intimé, Abdelhak Sedki, est un étranger qui a été déclaré interdit de territoire en vertu du paragraphe 40(1) de la LIPR en raison de fausses déclarations contenues dans une demande de visa de résident temporaire faite en 2017. Conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, cette interdiction durera jusqu’au 6 décembre 2022.

[6] L’intimé a déposé une demande de visa de résidence permanente (DRP) dans la catégorie du regroupement familial, et l’intimée, Zineb El Aoud, qui est une citoyenne canadienne et mariée à l’intimé, a déposé une demande de parrainage de la DRP. Pour pallier à l’interdiction, l’intimé a inclus dans sa DRP une demande pour motif d’ordre humanitaire (CH) en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[7] La DRP a été rejetée sur la base de l’interdiction, sans traiter la question des motifs CH. Plus tard, la Cour fédérale a accordé une demande de contrôle judiciaire de cette décision, et a émis l’ordonnance présentement en appel, ce qui nous amène à la présente requête en sursis.

[8] Pour les motifs présentés ci-dessous, je rejetterai la requête.

II. Question préliminaire

[9] Avant d’aborder la requête en sursis, il faut répondre à la requête de l’appelant pour une prorogation du délai prévue à la Règle 369(3) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106, pour signifier et déposer sa réplique aux prétentions écrites des intimés sur la requête en sursis.

[10] Les prétentions écrites des intimés ont été signifiées et déposées le lundi 10 janvier 2022. Donc, le délai pour signifier et déposer la réplique, conformément à la Règle 369(3), était quatre jours plus tard – le vendredi 14 janvier 2022. Par erreur, l’avocate de l’appelant a calculé cinq jours au lieu de quatre ce qui lui a donné une date limite du lundi 17 janvier 2022. L’avocate fait référence à une erreur d’inattention causée par les symptômes de COVID-19 dont elle souffrait à l’époque.

[11] L’avocate a constaté son erreur le 18 janvier 2022 et a déposé sa requête en prorogation du délai le 19 janvier 2022. Les intimés ne consentent pas à cette requête, mais ne la contestent non plus.

[12] J’accorderai la requête en prorogation du délai pour signifier et déposer la réplique de l’appelant. Je suis convaincu que les intérêts de la justice justifient une prorogation. L’explication de l’erreur par l’avocate de l’appelant est raisonnable, et elle a pris les mesures nécessaires afin de corriger l’erreur sans délai.

III. Analyse de la requête en sursis

[13] Les parties s’entendent que les critères juridiques pour obtenir un sursis sont ceux prévus dans l’arrêt RJR – Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117, [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR – Macdonald), soit :

  • a)L’existence d'une question sérieuse à juger en appel;

  • b)Que le requérant subira un préjudice irréparable;

  • c)Que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

[14] Je traite de chacun de ces critères dans les paragraphes qui suivent.

A. Question sérieuse

[15] Les parties s’entendent qu’il y a une question sérieuse à juger dans cet appel et je suis d’accord. La Cour fédérale, en certifiant une question, a reconnu l’existence d’une question grave de portée générale : Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 112 aux para. 14 et 18.

B. Préjudice irréparable

[16] Tel qu’indiqué à la page 341 de RJR – Macdonald,

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre.

[17] De plus, cette Cour a noté dans Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 au para. 24 (Janssen), que « le requérant doit établir de manière détaillée et concrète qu'il subira un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural — qui ne pourra être redressé plus tard », et qu’il serait « étrange que de vagues hypothèses et de simples affirmations, plutôt que des éléments de preuve détaillés et précis, puissent justifier un redressement aussi important ».

[18] L’appelant invoque différents types de préjudice irréparable si la présente requête en sursis n’était pas accordée. Premièrement, l’appelant note la possibilité que le présent appel devienne théorique si la DRP était tranchée à nouveau avec les motifs CH. Dans un tel cas, le litige entre les parties n’existerait plus et l’appel serait théorique. La question à savoir si cette Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’entendre l’appel malgré son état théorique dépendrait d’un test exigeant. Les parties et le public risqueraient de ne pas bénéficier de l’orientation de la Cour sur la question certifiée.

[19] Un deuxième type de préjudice irréparable invoqué par l’appelant est le déni d’un recours effectif si la DRP (incluant les motifs CH) était accordée avant que l’appel soit décidé, et que l’appel soit subséquemment décidé en faveur de l’appelant. L’intimé aurait déjà obtenu la résidence permanente. De plus, l’appelant aurait eu à allouer des ressources à l’étude d’un dossier qui ultimement il n’aurait pas dû évaluer.

[20] Les intimés notent que les allégations de l’appelant de préjudice irréparable ne sont pas appuyées par de la preuve, et que l’appelant se base sur des hypothèses spéculatives. Par exemple, dans le cas où le présent appel devienne théorique, l’appelant aurait à ce moment l’opportunité de soumettre à la Cour que l’appel doit être décidé.

[21] Sur la question de l’absence de la preuve en appuie des allégations de préjudice irréparable, j’accepte l’argument de l’appelant en réplique que les éléments de preuve ne sont pas nécessaires puisque ces allégations découlent par conséquence logique. Ceci étant dit, il est vrai qu’il existe la possibilité que les types de préjudice irréparable invoqués par l’appelant ne se produiront pas. Donc, le préjudice invoqué par l’appelant est hypothétique et fait défaut du caractère d’inévitabilité exigé dans Janssen. J’accepte aussi que, dans le cas où le présent appel devienne théorique, l’appelant aura une autre opportunité de convaincre cette Cour de l’importance que la question certifiée soit décidée.

[22] Je conclus que le préjudice invoqué par l’appelant n’est pas d’un caractère irréparable, tel que requis.

C. Prépondérance des inconvénients

[23] Même si j’étais convaincu que l’appelant a démontré un préjudice irréparable, je ne serais pas convaincu que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Tel qu’indiqué dans la section précédente, le préjudice invoqué par l’appelant est hypothétique.

[24] Inversement, le préjudice aux intimés si l’ordonnance de la Cour fédérale est suspendue est certain. Il est aussi important. L’appelant reconnait qu’un sursis de la décision de la Cour fédérale causerait un délai additionnel pour une décision sur la DRP de l’intimé. Ce délai additionnel pourrait causer un délai additionnel de la réunification des intimés. Il est vrai, comme l’appelant le note, que le résultat de la décision sur la DRP n’est pas garanti vu la nature discrétionnaire des demandes CH, mais le délai additionnel pour avoir cette décision semble être assez certain.

[25] Les intimés notent aussi que l’interdiction de territoire de l’intimé prendra fin en décembre 2022, ce qui réduit l’inconvénient pour l’appelant. De toute façon, la DRP de l’intimé sera examinée d’ici quelques mois.

[26] Je conclus que la prépondérance des inconvénients penche en faveur des intimés.

IV. Conclusion

[27] La requête en sursis sera rejetée. Si l’appelant cherche à réduire son inconvénient, il a toujours l’option de demander que cet appel soit expédié, ce qu’il n’a pas fait à date.

[28] Puisqu’aucuns dépens n’ont été demandés, aucuns dépens ne seront accordés.

« George R. Locke »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-315-21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. ABDELHAK SEDKI, ZINEB EL AOUD

 

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 février 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Lynne Lazaroff

 

Pour l'appelant

 

Guillaume Cliche-Rivard

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'appelant

 

Cliche-Rivard, Avocats inc.

Montréal (Québec)

 

Pour les intimés

 

 

 

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