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Date : 20230412


Dossier : A-117-21

Référence : 2023 CAF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI

appelant

et

DR. KEVIN L. DAVIS DENTISTRY PROFESSIONAL CORPORATION

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 avril 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20230412


Dossier : A-117-21

Référence : 2023 CAF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI

appelant

et

DR. KEVIN L. DAVIS DENTISTRY PROFESSIONAL CORPORATION

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

I. Introduction

[1] La Couronne interjette appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (la juge Wong), intitulée Dr. Kevin L. Davis Dentistry Professional Corporation c. La Reine, 2021 CCI 25, qui a accueilli un appel interjeté à l’encontre de nouvelles cotisations établies au titre de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la LTA). La Cour de l’impôt a conclu que l’intimée (Davis Dentistry) a le droit de déduire les crédits de taxe sur les intrants (CTI) relativement aux frais engagés à l’égard des appareils orthodontiques fournis aux patients. Le montant de la taxe en litige est de 56 701,58 $.

[2] Il n’est pas contesté que Davis Dentistry a droit aux CTI si les appareils orthodontiques font l’objet d’une fourniture distincte aux fins de la LTA, et qu’ils ne sont pas une composante de la fourniture de services orthodontiques. La Couronne soutient que les appareils et les services constituent une fourniture unique de traitement orthodontique, comme la Cour de l’impôt l’a tranché antérieurement (la juge Campbell) dans la décision Dr. Brian Hurd Dentistry Professional Corporation c. La Reine, 2017 CCI 142 (décision Hurd).

[3] Dans cette décision, la juge Campbell a conclu que les appareils et les services orthodontiques en question étaient suffisamment interreliés pour constituer une fourniture unique aux fins de la LTA, selon le critère énoncé dans la décision O.A. Brown Ltd. c. Canada, [1995] A.C.I. no 678 (QL) (C.C.I.) (décision O.A. Brown).

[4] La juge Wong, en première instance, n’a pas adopté ce raisonnement. Elle a plutôt effectué une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions pertinentes de la LTA, et a conclu que les appareils orthodontiques et les services orthodontiques étaient, selon l’intention manifeste du législateur, des fournitures distinctes. Par conséquent, elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner le critère de la décision O.A. Brown. Ce raisonnement n’a pas été abordé dans la décision Hurd.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur.

II. Exposé des faits

[6] Les faits pertinents sont exposés dans les motifs de la Cour de l’impôt, aux paragraphes 21 à 26. En voici le résumé dans les paragraphes suivants.

[7] Davis Dentistry administre un groupe de cliniques d’orthodontie, qui comprend Red Hill Orthodontics. Red Hill a été acquise par Davis Dentistry en 2015 et a fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour la période du 1er octobre 2015 au 31 mars 2016, visant à refuser les CTI en litige.

[8] Au cours de la période pertinente, la clinique Red Hill comptait trois orthodontistes, y compris M. Davis, ainsi qu’une équipe composée d’hygiénistes, d’assistants dentaires, d’adjoints administratifs et de coordonnateurs de traitement.

[9] Dans son témoignage, M. Davis a mentionné qu’il se spécialisait dans le redressement des dents et des mâchoires. Il a expliqué que les orthodontistes utilisent les appareils orthodontiques comme des outils : « [...] les appareils [...] produisent les déplacements nécessaires [...] tandis que lui-même établit quelle sera la nature de ces déplacements ». (Paragraphe 24 des motifs).

[10] M. Davis a également expliqué que les appareils sont en général les suivants : « (1) des appareils dentaires collés à chacune des dents et prescrits pour chacune d’elles; 2) une série d’aligneurs transparents et détachables de marque Invisalign, qu’il conçoit sur mesure au moyen d’un logiciel et d’une scanographie tridimensionnelle des dents du patient; 3) des appareils de rétention ou des plaques à mordre, qui servent soit à déplacer les dents et les mâchoires des jeunes enfants, soit à maintenir les dents en place à la toute fin du traitement; et 4) des modificateurs de croissance, servant à changer les positions des mâchoires chez les patients en croissance ». (Paragraphe 24 des motifs).

III. Historique procédural

[11] En application d’un accord administratif intervenu entre le ministre du Revenu national (le ministre) et l’Association dentaire canadienne, les dentistes sont autorisés à demander des CTI à l’égard des appareils orthodontiques, sous réserve de certaines conditions. Les modalités de l’accord ne sont pas pertinentes aux fins du présent appel, et sont décrites aux paragraphes 19 et 20 des motifs. Selon l’accord, les CTI ne peuvent être demandés qu’à l’égard des appareils, et non des services orthodontiques.

[12] Pendant la période en cause et conformément à l’accord intervenu, Davis Dentistry a demandé des CTI pour la clinique Red Hill.

[13] Le ministre a établi une nouvelle cotisation visant à rejeter la demande au motif que Davis Dentistry ne s’était pas conformée aux exigences de l’accord administratif parce que la contrepartie des appareils orthodontiques n’avait pas été indiquée séparément sur les factures des patients (paragraphe 43 des motifs).

[14] Davis Dentistry a interjeté appel devant la Cour de l’impôt. Dans sa réponse à l’avis d’appel, la Couronne a soulevé pour la première fois l’argument selon lequel les appareils et les services sont interreliés, et constituent une fourniture unique de services orthodontiques. Davis Dentistry a fait valoir que cette thèse allait à l’encontre de l’accord décrit ci-dessus.

[15] La Cour de l’impôt a rejeté l’assertion de la Couronne sur les deux questions. En ce qui a trait au caractère adéquat des factures des patients, la juge de première instance a conclu que la Cour de l’impôt n’avait pas compétence pour trancher « la question en litige des CTI sous le régime de l’accord administratif » (paragraphe 44 des motifs). Elle a cependant conclu que la contrepartie était suffisamment circonscrite en ce qu’elle respectait les dispositions réglementaires applicables (paragraphes 45 à 48 des motifs). Sur la question de la fourniture unique, la juge de première instance a conclu que les appareils orthodontiques et les services orthodontiques sont des fournitures distinctes. Par conséquent, la demande de CTI a été autorisée.

[16] Dans ses motifs, la juge de première instance a examiné en détail les dispositions législatives applicables et l’historique législatif pertinent. Au paragraphe 41 de ses motifs, elle a conclu que le texte de la Loi étant clair, il était inutile de recourir au critère de common law énoncé dans la décision O.A.Brown :

[41] Le texte de la Loi est clair (et l’intention du législateur le confirme) : l’exercice normal de l’orthodontie comporte la fourniture exonérée de services et la fourniture détaxée d’appareils. Il se révèle inutile de recourir au critère de common law pour établir s’il y a eu fourniture unique ou fournitures multiples, ou d’examiner la question de savoir si la fourniture d’un appareil donné est accessoire à la fourniture du traitement orthodontique, puisque la Loi distingue expressément les services et les appareils sous le rapport de la taxation. [Non souligné dans l’original.]

[17] La Couronne a porté cette décision en appel devant notre Cour sur la seule question de l’applicabilité du critère énoncé dans la décision O.A.Brown. Elle ne conteste pas la conclusion selon laquelle la contrepartie des appareils orthodontiques était bien circonscrite.

IV. Analyse

A. Introduction

[18] La juge de la Cour de l’impôt a entrepris une analyse approfondie des dispositions législatives applicables et de l’historique législatif pertinent. Elle a conclu que le critère de la décision O.A. Brown ne s’appliquait pas parce que le législateur a voulu que la fourniture d’appareils et de services orthodontiques aux patients constitue des fournitures distinctes. La Couronne soutient que cette conclusion est erronée.

[19] Deux questions sont soulevées :

a) La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant que le critère énoncé dans la décision O.A. Brown ne s’applique pas?

b) Si la décision O.A. Brown trouve application, la clinique Red Hill a-t-elle effectué des fournitures distinctes d’appareils et de services orthodontiques?

[20] Comme je l’explique ci-après, j’ai conclu que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que le critère de la décision O.A. Brown ne s’appliquait pas en l’espèce. Cela permet de trancher l’appel, et il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question.

[21] La première question soulève une question de droit à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, par. 8).

B. Cadre législatif applicable

[22] Il est utile de reproduire la définition de « fourniture » donnée au par. 123(1) de la LTA. Cette définition prévoit que, sous réserve des exceptions qui ne nous intéressent pas en l’espèce, une fourniture comprend la livraison de biens ou la prestation de services.

123 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

123 (1) In section 121, this Part and Schedules V to X,

[…]

[…]

fourniture Sous réserve des articles 133 et 134, livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

supply means, subject to sections 133 and 134, the provision of property or a service in any manner, including sale, transfer, barter, exchange, licence, rental, lease, gift or disposition;

[23] La LTA et ses annexes prévoient un traitement fiscal différent pour les fournitures d’appareils orthodontiques et les services orthodontiques.

[24] La fourniture d’un appareil orthodontique figure à l’annexe VI de la LTA. Cette fourniture peut être détaxée selon la définition de « fourniture détaxée » donnée au par. 123(1) de la LTA. Le renvoi précis à un appareil orthodontique se trouve à l’article 11.1 de la partie II de l’annexe VI :

11.1 La fourniture d’un appareil orthodontique.

11.1 A supply of an orthodontic appliance.

[25] La fourniture de services orthodontiques figure à l’annexe V de la LTA. Cette fourniture peut être exonérée selon la définition de « fourniture exonérée » donnée au par. 123(1) de la LTA. La fourniture de services orthodontiques peut être qualifiée de fourniture de services de santé en application de l’article 5 de la partie II de l’annexe V :

5 La fourniture de services de consultation, de diagnostic ou de traitement ou d’autres services de santé, rendus par un médecin à un particulier.

5 A supply of a consultative, diagnostic, treatment or other health care service that is rendered by a medical practitioner to an individual.

[26] Le fait de déterminer dans quelle catégorie se trouve une fourniture, soit qu’elle est détaxée ou exonérée, est important en l’espèce, car Davis Dentistry a le droit de récupérer les CTI à l’égard des fournitures détaxées, mais non à l’égard des fournitures exonérées. De façon générale, le CTI comprend une taxe sur les intrants, soit la TPS/TVH, que le contribuable paie pour obtenir les intrants utilisés dans le cadre de ses activités commerciales (par. 169(1) de la LTA). Sous réserve de certaines exceptions qui ne nous intéressent pas en l’espèce, le CTI réduit le montant de « taxe nette » payable par le contribuable (par. 225(1) et 228(2) de la LTA).

C. Critère énoncé dans la décision O.A. Brown

[27] Il est utile de fournir certaines précisions sur le critère énoncé dans la décision O.A. Brown.

[28] O.A. Brown Ltd. exploitait une entreprise d’achat et de vente de bétail. Elle ne percevait pas la TPS sur ses ventes de bétail parce que ces fournitures étaient détaxées. Le ministre a toutefois établi une nouvelle cotisation pour l’entreprise au motif qu’elle ne percevait pas la TPS sur la fourniture de services connexes, qui étaient facturés aux clients et qui constituaient des fournitures taxables, comme le marquage, l’inoculation et le transport.

[29] O.A. Brown Ltd. a interjeté appel de la nouvelle cotisation devant la Cour de l’impôt au moment où la loi relative à la TPS n’existait que depuis peu. La question à trancher était de savoir si O.A. Brown Ltd. avait effectué une fourniture unique de bétail détaxé ou de multiples fournitures de bétail et de services connexes, dont certains étaient taxables. À cette époque, les tribunaux canadiens n’avaient donné aucune directive visant à déterminer si un ensemble de circonstances donnait lieu à une fourniture unique ou à des fournitures multiples. Par conséquent, le juge de première instance (le juge Rip) a adopté les principes qui avaient été élaborés par les tribunaux du Royaume-Uni pour les besoins de la taxe sur la valeur ajoutée. Le juge a conclu que la TPS n’était pas payable puisque la contrepartie des services connexes faisait partie intégrante de la fourniture de bétail (décision O.A. Brown, par. 31).

[30] En 2012, le critère établi dans la décision O.A. Brown a été confirmé par la Cour suprême du Canada (le juge Rothstein) dans l’arrêt Calgary (Ville) c. Canada, 2012 CSC 20, [2012] 1 R.C.S. 689, par. 32 (arrêt Calgary (Ville)).

[31] Au paragraphe 35 de cet arrêt, le juge Rothstein a résumé ainsi le critère énoncé dans la décision O.A. Brown :

[35] Le critère suivant se dégage de la décision O.A. Brown pour déterminer si un ensemble de faits donné révèle l’existence d’une fourniture unique ou de fournitures multiples pour les besoins de la LTA :

Le critère qui ressort de la jurisprudence anglaise est de savoir si, au fond et en réalité, la présumée fourniture séparée fait partie intégrante ou est un élément constitutif de la fourniture globale. Il faut examiner la nature véritable de la transaction pour en déterminer les attributs fiscaux. [p. 40‑6]

[32] Dans l’arrêt Calgary (Ville), la Cour suprême précise également (au paragraphe 44) que le critère de la décision O.A. Brown, élaboré au fil du temps, ne s’applique pas sauf s’il y a des éléments ou des composants distincts de la fourniture :

[44] De plus, il appert que pour recourir à l’analyse opposant fourniture unique et fournitures multiples, il faut pouvoir distinguer les différents éléments ou composants d’une fourniture. Or, en l’espèce, les fournitures que l’on prétend distinctes sont si liées les unes aux autres qu’il serait difficile d’en distinguer les différents éléments ou composants.

[33] Le critère énoncé dans la décision O.A. Brown est large et souple. Il est censé s’appliquer dans une myriade de cas auxquels s’applique la TPS/TVH. Dans certains cas, le critère ne peut être concilié avec l’interprétation textuelle du terme « fourniture » défini dans la LTA, parce que la définition exige que la détermination soit faite pour chaque bien et pour chaque service.

[34] La prémisse sur laquelle repose le critère de la décision O.A. Brown est qu’il correspond à une interprétation téléologique de la loi parce qu’il est nécessaire d’avoir un régime fiscal pratique et efficace. Dans la décision O.A. Brown (au paragraphe 22), le juge Rip y fait allusion lorsqu’il renvoie au passage suivant du jugement Mercantile Contracts Ltd. v. Customs & Excise Commissioners, LON/88/786, U.K. (inédit) :

22 Un facteur à prendre en considération est de savoir s’il est possible, en réalité, d’enlever de la fourniture globale la présumée fourniture séparée. Ce facteur n’est pas concluant, mais il aide à déterminer le fond de l’opération. Cette position a été formulée dans les termes suivants :

[traduction]
Ce qui devrait constituer une fourniture unique de services, par opposition à deux fournitures séparées, n’est pas établi expressément par les textes législatifs concernant la taxe sur la valeur ajoutée. Il serait donc erroné de tenter de proposer une définition stricte et précise non fondée sur la loi. Il nous semble qu’il faut simplement appliquer le libellé de la loi, en interprétant les termes qui y sont employés, dans la mesure où le sens ordinaire des mots le permet, de façon à faire du régime légal de la taxe sur la valeur ajoutée un régime pratique qui fonctionne bien. À cette fin, il faudrait se demander dans quelle mesure les services qui constitueraient apparemment une fourniture unique sont liés les uns aux autres, quelle est l’étendue de leur interdépendance et de leur enchevêtrement, et si chaque service fait partie intégrante d’un ensemble complet ou en constitue un élément. Il faut se demander si les services sont rendus en vertu d’un seul contrat, ou pour une seule contrepartie non divisée, mais, pour les motifs susmentionnés, ce facteur n’est pas concluant. Compte tenu de la nature, du contenu et de la méthode d’exécution des services, et de toutes les circonstances, par rapport à l’historique du régime de la taxe sur la valeur ajoutée et, en particulier, des méthodes employées pour comptabiliser et payer la taxe, s’il est jugé que les services sont si interdépendants et si enchevêtrés qu’ils font partie intégrante d’un ensemble complet ou en constituent de simples éléments ou composantes à un point tel qu’ils ne peuvent pas, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, être raisonnablement considérés comme des fournitures séparées de services, il faut considérer qu’en adoptant le régime de la taxe sur la valeur ajoutée, le Parlement a voulu le traiter comme un régime unique; autrement, ces services devraient être considérés, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, comme des fournitures séparées.

D. Inapplicabilité du critère énoncé dans la décision O.A. Brown

[35] L’argument principal de la Couronne semble être le fait que l’espèce n’est pas différente des décisions portant sur la TPS/TVH dans lesquelles le critère dégagé dans la décision O.A. Brown est appliqué régulièrement. Je ne suis pas de cet avis. Je reconnais que les tribunaux appliquent régulièrement le critère dégagé dans la décision O.A. Brown, mais l’intention du législateur doit l’emporter sur la décision O.A. Brown lorsque l’intention du législateur est claire, comme c’est le cas pour les dispositions applicables en l’espèce.

[36] La Couronne n’a fait référence à aucune décision judiciaire traitant de cette question, qui a été brièvement examinée par notre Cour (par la juge Sharlow) dans une observation incidente dans l’arrêt Hidden Valley Golf Resort Assn. c. Canada, 2000 CanLII 15583 (CAF), par. 20. La juge Sharlow a fait remarquer que le critère énoncé dans la décision O.A. Brown ne s’applique pas lorsque la LTA commande un résultat différent. Prise isolément, cette observation est utile, mais elle n’aide pas à déterminer si le législateur a dicté un résultat différent dans un cas donné. Il s’agit de la question centrale en l’espèce.

[37] Je ne partage pas l’avis de la Couronne selon lequel l’espèce ne diffère pas des autres affaires. Les circonstances particulières de l’espèce remettent clairement en question l’application de la décision O.A. Brown. Fait important, la disposition législative applicable (l’art. 11.1 de la partie II de l’annexe VI) est formulée en termes restrictifs pour décrire un bien particulier, soit un appareil orthodontique. De plus, le bien est destiné à un seul usage : le déplacement des dents et des mâchoires. Il est également pertinent d’indiquer que les appareils fournis aux patients sont presque toujours assortis de services orthodontiques. Il y une exception limitée à l’égard des ventes directes d’appareils orthodontiques par la poste (c.-à-d. Smile Direct), mais la Couronne n’indique pas qu’il s’agit d’un aspect important en l’espèce.

[38] Par conséquent, les appareils orthodontiques énumérés à l’annexe VI n’auraient que très peu de pertinence si la thèse de la Couronne était bien fondée.

[39] En ce qui concerne la fourniture d’appareils orthodontiques et de services orthodontiques, qui sont généralement effectués ensemble, le fait qu’une des fournitures est détaxée et que l’autre est exemptée laisse clairement entendre que c’était intentionnel et que la fourniture d’appareils orthodontiques doit être détaxée même si elle est assortie de services orthodontiques.

[40] Comme je l’ai déjà mentionné, les faits de la décision Hurd sont très semblables et la décision ne traitait pas de cette question. Cependant, la question ou une version de la question semble avoir été soulevée devant la Cour de l’impôt dans la décision Hurd, mais la Cour de l’impôt n’a pas examiné cette question et s’est contentée de dire que la décision O.A. Brown devait s’appliquer (décision Hurd, par. 12 et 20).

[41] La Couronne fait également valoir que l’intention du législateur était de détaxer les appareils orthodontiques uniquement lorsque les appareils sont vendus à un dentiste par un fabricant, parce que ces ventes ne sont pas assorties de services orthodontiques. La juge de première instance a rejeté cette interprétation parce qu’elle contredit les notes explicatives du ministère des Finances, qui laissent entendre que les appareils orthodontiques fournis aux patients peuvent être détaxés (paragraphes 37 à 41 des motifs). Les notes explicatives sont rédigées ainsi :

Le nouvel article 11.1 de la partie II de l’annexe VI a pour effet de détaxer inconditionnellement les fournitures d’appareils orthodontiques. Selon la loi actuelle, ces appareils sont détaxés inconditionnellement par l’effet de l’article 23 de cette partie à titre de supports orthopédiques.

[…]

Les articles 23 et 23.1 de la partie II de l’annexe VI ont été regroupés afin de préciser le traitement applicable aux orthèses et appareils orthopédiques. Dans sa version modifiée, l’article 23 prévoit la détaxation inconditionnelle des fournitures d’orthèses et d’appareils orthopédiques qui sont fabriqués sur commande pour un particulier. Il est à noter que les appareils orthodontiques sont détaxés inconditionnellement selon le nouvel article 11.1. Les autres orthèses et appareils orthopédiques seront détaxés seulement lorsqu’ils sont achetés sur l’ordonnance écrite d’un médecin remise à un consommateur. D’autres articles, comme les écharpes, les minerves, les attelles pour le genou et les supports dorsaux Obus Form, sont donc taxables au taux de sept pour cent, sauf s’ils sont achetés sur ordonnance écrite d’un médecin.

[42] Je suis d’accord avec la juge de première instance sur ce point, et je mentionnerais également que l’interprétation donnée par la Couronne outrepasse une interprétation raisonnable de la loi. Il est très peu probable que le législateur prévoie explicitement la détaxation de toute fourniture d’appareils orthodontiques s’il souhaite que cette fourniture se limite au commerce en gros. Une telle rédaction imprécise n’est pas une caractéristique des lois fiscales ou de la LTA.

[43] Enfin, la Couronne soutient que, si l’intention du législateur est d’imposer une fourniture unique ou des fournitures multiples, il ne le fait qu’en employant des termes explicites. La Couronne renvoie à deux règles déterminatives – le par. 136(2) de la LTA (fourniture combinée d’immeubles) et l’art. 139 (services financiers dans une fourniture mixte).

[44] Ces dispositions, qui sont reproduites en annexe, énoncent les règles détaillées servant à déterminer s’il s’agit d’une fourniture unique ou de fournitures multiples dans des situations précises. Elles semblent cibler des problèmes précis dans le domaine immobilier et dans le secteur des services financiers. Je suis d’avis que ces règles déterminatives ont une incidence limitée et ne représentent pas l’ensemble du régime législatif, comme le laisse entendre la Couronne.

[45] Pour ces motifs, je ne souscris pas à la thèse avancée par la Couronne. La Cour de l’impôt a effectué une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions en cause, et a conclu que le législateur a voulu que la fourniture d’appareils orthodontiques soit une fourniture détaxée distincte, éliminant donc la nécessité d’appliquer le critère énoncé dans la décision O.A. Brown. Il n’y a aucune erreur dans cette conclusion.

[46] Je rejetterais l’appel avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Yves de Montigny, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, par. 136(2) et art. 139

Excise Tax Act, R.S.C. 1985, c. E-15, s. 136(2) and s. 139

136(2) Pour l’application de la présente partie, dans le cas où la fourniture d’un immeuble comprend deux catégories de biens, visées respectivement aux alinéas a) et b), les biens de chaque catégorie sont réputés être des biens distincts et être l’objet de fournitures distinctes et aucune des fournitures n’est accessoire à l’autre :

136(2) For the purposes of this Part, where a supply of real property includes the provision of

a) un immeuble qui est, selon le cas :

(a) real property that is

(i) un immeuble d’habitation,

(i) a residential complex,

(ii) un fonds, un bâtiment ou une partie de bâtiment qui fait partie d’un immeuble d’habitation ou dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en fasse partie,

(ii) land, a building or part of a building that forms or is reasonably expected to form part of a residential complex, or

(iii) un parc à roulottes résidentiel;

(iii) a residential trailer park, and

b) d’autres immeubles qui ne font pas partie de l’immeuble visé à l’alinéa a).

(b) other real property that is not part of the property referred to in paragraph (a),

 

the property referred to in paragraph (a) and the property referred to in paragraph (b) shall each be deemed to be a separate property and the provision of the property referred to in paragraph (a) shall be deemed to be a separate supply from the provision of the property referred to in paragraph (b), and neither supply is incidental to the other.

[…]

[…]

139 Pour l’application de la présente partie, dans le cas où au moins un service financier est fourni avec au moins un service non financier ou un bien qui n’est pas une immobilisation du fournisseur, pour une contrepartie unique, la fourniture de chacun des services et biens est réputée être une fourniture de service financier si les conditions suivantes sont réunies :

139 For the purposes of this Part, where

a) le service financier est lié au service non financier ou au bien;

(a) one or more financial services are supplied together with one or more other services that are not financial services, or with properties that are not capital properties of the supplier, for a single consideration,

b) le fournisseur a l’habitude de fournir ces services ou des services semblables, ou des biens et des services semblables, ensemble dans le cours normal de son entreprise;

(b) the financial services are related to the other services or the properties, as the case may be,

c) le total des montants dont chacun représenterait la contrepartie d’un service financier ainsi fourni, s’il était fourni séparément, compte pour plus de la moitié du total des montants dont chacun représenterait la contrepartie d’un service ou d’un bien ainsi fourni, s’ils étaient fournis séparément.

(c) it is the usual practice of the supplier to supply those or similar services, or those or similar properties and services, together in the ordinary course of the business of the supplier, and

 

(d) the total of all amounts, each of which would be the consideration for a financial service so supplied if that financial service had been supplied separately, is greater than 50% of the total of all amounts, each of which would be the consideration for a service or property so supplied if that service or property had been supplied separately,

 

the supply of each of the services and properties shall be deemed to be a supply of a financial service.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-117-21

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LE ROI c. DR. KEVIN L. DAVIS DENTISTRY PROFESSIONAL CORPORATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Neil E. Bass

Josh Kumar

 

Pour l’appelant

 

Michael Ezri

Natasha Mukhtar

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’intimée

 

 

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