Dossier : A-230-21
Référence : 2022 CAF 183
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
|
LA JUGE GLEASON
LA JUGE MACTAVISH
LA JUGE ROUSSEL
|
|
ENTRE : |
|
|
DAVID RANDALL MILLER |
|
|
appelant |
|
|
et |
|
|
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL |
|
|
intimé |
|
|
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 mai 2022.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2022.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE GLEASON |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE MACTAVISH LA JUGE ROUSSEL |
Date : 20221031
Dossier : A-230-21
Référence : 2022 CAF 183
CORAM :
|
LA JUGE GLEASON
LA JUGE MACTAVISH
LA JUGE ROUSSEL
|
|
ENTRE : |
|
|
DAVID RANDALL MILLER |
|
|
appelant |
|
|
et |
|
|
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL |
|
|
intimé |
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE GLEASON
[1] Le présent appel concerne le pouvoir prévu à l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), dont dispose un tribunal judiciaire d’ordonner aux contribuables de fournir des renseignements et des documents demandés précédemment dans une demande fondée sur l’article 231.1 de la LIR et que le contribuable refuse de fournir.
[2] Dans l’ordonnance faisant l’objet de l’appel, dont les motifs sont répertoriés sous la référence Canada (Revenu national) c. Miller, 2021 CF 851, 2021 D.T.C. 5104, la Cour fédérale (la juge Walker) a rendu une ordonnance conformément à l’article 231.7 de la LIR, celle-ci ordonnant à l’appelant de fournir des renseignements, de produire des documents et d’obtenir des renseignements et des documents auprès de ses comptables, de ses avocats et de sa banque au Luxembourg. L’ordonnance faisait suite à une série de demandes que le ministre a délivrées à l’appelant en application de l’article 231.1 de la LIR.
[3] L’appelant soutient que l’ordonnance rendue par la Cour fédérale devrait être annulée principalement parce que la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation, 2019 CAF 67, [2020] 4 R.C.F. 254 [Cameco] établit que la Cour fédérale n’avait pas le pouvoir de rendre l’ordonnance. Plus précisément, l’appelant soutient que l’arrêt Cameco établit que, lorsqu’une demande fondée sur l’article 231.1 de la LIR a été délivrée, un tribunal judiciaire ne peut qu’ordonner la production des documents en possession du contribuable et peut uniquement exiger que le contribuable fournisse des renseignements au sujet de la provenance, de l’emplacement et de la conservation de ses livres et registres ou d’autres documents. Comme l’ordonnance rendue par la Cour fédérale en l’espèce avait une plus grande portée, l’appelant soutient que cette ordonnance doit être annulée. L’appelant soutient également que le pouvoir de réparation conféré à la Cour fédérale était restreint par les conditions relatives aux demandes fondées sur l’article 231.1 de la LIR, et que la Cour fédérale a commis une erreur en exigeant que l’appelant fournisse des documents qui n’avaient pas été demandés ou qu’il avait déjà fournis.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en parvenant à la conclusion que les documents et les renseignements en question faisaient l’objet des demandes fondées sur l’article 231.1 de la LIR, que l’appelant n’a pas respectées. Je conclus également que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en tirant la conclusion selon laquelle l’arrêt Cameco ne limite pas la compétence de la Cour fédérale de la façon dont le fait valoir l’appelant, et que les dispositions pertinentes de la LIR conféraient à la Cour fédérale la compétence pour rendre l’ordonnance visée par l’appel. Je rejetterais donc le présent appel avec dépens fixés à la somme forfaitaire convenue de 2 000 $.
I. Dispositions législatives pertinentes
[5] Il convient de commencer par énoncer les dispositions législatives pertinentes.
[6] Au Canada, la LIR établit un régime de recouvrement des créances fiscales fondé sur l’autodéclaration des contribuables. Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627 à la p. 637, 90 D.T.C. 6243 [McKinlay Transport], il serait naïf de croire que tous les contribuables feront les autodéclarations appropriées et paieront les impôts dus. Compte tenu de cette réalité, la LIR renferme une vaste gamme de mécanismes d’application.
[7] La première de ces mesures pertinentes quant au présent appel est énoncée au paragraphe 230(1) de la LIR. Elle exige du contribuable qu’il conserve au Canada les livres et registres qui contiennent les renseignements requis servant à déterminer le montant d’impôt qu’il doit payer. Il est ainsi rédigé :
|
|
[8] Les articles 230 à 232 de la LIR prévoient le pouvoir du ministre du Revenu national (le ministre) de procéder à des vérifications, d’exiger la production de renseignements et de documents et d’obtenir des ordonnances de production. De façon générale, ces dispositions autorisent le ministre (en pratique, par l’intermédiaire d’un représentant) ou les personnes autorisées à agir au nom du ministre à procéder aux vérifications des contribuables, à demander des documents et des renseignements auprès des contribuables ou des tiers et, s’il est impossible de les obtenir, à permettre au ministre de demander une ordonnance de production à la cour supérieure d’une province ou à la Cour fédérale. L’article 231.6 de la LIR renferme des dispositions précises sur l’obtention de documents qui se trouvent à l’extérieur du Canada, et l’article 232 de la LIR porte sur certaines questions relatives aux documents détenus par les avocats, à l’égard desquels des revendications du privilège des communications entre client et avocat peuvent être invoquées.
[9] Le libellé complet des dispositions de la LIR qui s’appliquent au présent appel figure à l’annexe aux présents motifs. Les parties de ces dispositions particulièrement pertinentes sont énoncées ci-dessous.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
II. Ordonnance et motifs de la Cour fédérale
[10] Je me pencherai maintenant sur l’ordonnance et les motifs de la Cour fédérale en l’espèce.
[11] La Cour fédérale était saisie d’une demande d’ordonnance de production présentée par le ministre au titre de l’article 231.7 de la LIR, enjoignant à l’appelant de se conformer aux demandes dont le ministre a précédemment affirmé qu’elles ont été présentées conformément à l’article 231.1 de la LIR. Le ministre a sollicité des ordonnances à l’égard de plusieurs éléments, et la Cour fédérale a rendu une ordonnance portant sur sept d’entre eux et a rejeté la demande concernant plusieurs autres éléments. Plus précisément, la Cour fédérale a ordonné à l’appelant, qui exploitait une entreprise de consultation et faisait l’objet d’une vérification à l’égard de plusieurs années d’imposition, de fournir :
une réponse à la demande visant à obtenir des factures envoyées par l’appelant à l’une de ses clientes, Casala Limited (Casala), et décrivant les services fournis pour les années visées par vérification (ordonnance, sous-alinéa 1a)(i));
des renseignements concernant les modalités du ou des contrats conclus verbalement entre l’appelant et Casala et les factures présentées à Casala pour la période visée par la vérification (ordonnance, sous-alinéa 1a)(ii));
un tableau détaillé de la rémunération reçue de Casala pour la période visée par la vérification (ordonnance, sous-alinéa 1a)(iii));
les renseignements et documents des comptes bancaires de l’appelant au Luxembourg, énumérés dans les demandes délivrées à l’appelant, sous réserve de l’obtention auprès de la banque luxembourgeoise d’une déclaration selon laquelle les documents demandés ne sont pas accessibles ou ne le seront que si l’appelant se rend personnellement à la banque au Luxembourg, auquel cas il est ordonné à l’appelant de fournir une explication et des documents à l’appui concernant la réponse de la banque (ordonnance, sous-alinéa 1b)(i));
une comptabilité de tous les fonds déposés dans les comptes luxembourgeois de l’appelant et la ou les sources des fonds déposés (ordonnance, sous-alinéa 1b)(ii));
une copie des grands livres de fiducie conservés par les avocats de l’appelant au Canada, attestant les renseignements visés dans les demandes du ministre concernant les paiements reçus par les cabinets d’avocats, à moins que le ou les cabinets d’avocats en question refusent de remettre les documents à l’appelant, auquel cas l’appelant est tenu de fournir une lettre écrite à cet égard provenant du ou des cabinets d’avocats (ordonnance, alinéa 1c); et
les détails du revenu professionnel brut de l’appelant figurant à la ligne 164 de sa déclaration de revenus pour 2016, indiqués dans la demande du ministre en date du 1er mai 2019 (ordonnance, alinéa 1d)).
[12] Devant la Cour fédérale, l’appelant a avancé à peu près les mêmes arguments qu’il a fait valoir devant notre Cour, à savoir qu’il ne pouvait pas être tenu de fournir les éléments suivants en vertu de l’article 231.1 de la LIR :
(a)les renseignements au-delà de ceux qui concernent la provenance, l’emplacement ou la conservation de ses livres et registres ou d’autres documents;
(b)les documents qu’il n’avait pas en sa possession, et qui étaient en possession de tiers, qui agissaient en son nom; et
(c)les documents et les renseignements qui, selon lui, n’étaient pas exigés dans les demandes faites en application de l’article 231.1 de la LIR.
[13] Dans certains cas, il a également affirmé qu’il s’était conformé aux demandes.
[14] En revanche, le ministre a soutenu que le paragraphe 231.1(1) de la LIR conférait à la Cour le pouvoir de rendre une ordonnance de production et a invoqué la totalité du paragraphe à l’appui de sa thèse.
[15] La Cour fédérale a commencé son analyse en faisant remarquer que, pour que la demande d’ordonnance de production soit accueillie, le ministre était tenu d’établir que : (1) les éléments avaient été demandés conformément à l’article 231.1 de la LIR et l’appelant était tenu de les fournir aux termes de cette disposition; (2) l’appelant ne l’avait pas fait dans un délai raisonnable; et (3) les éléments demandés n’étaient pas protégés par le privilège des communications entre client et avocat.
[16] La dernière condition n’était pas en litige devant la Cour fédérale et ne l’est pas non plus devant notre Cour.
[17] En ce qui concerne la première des conditions précitées, la Cour fédérale a reconnu que tous les éléments qu’elle avait ordonné à l’appelant de fournir avaient été demandés conformément à l’article 231.1 de la LIR. La Cour fédérale a en outre déterminé qu’un contribuable était tenu de fournir de tels éléments en vertu de l’article 231.1 et que, par conséquent, ils pouvaient faire l’objet d’une ordonnance de production au titre de l’article 231.7 de la LIR.
[18] Plus précisément, la Cour fédérale a rejeté l’interprétation qu’a faite l’appelant de la décision de notre Cour dans l’arrêt Cameco, concluant que la décision rendue dans cet arrêt se limitait à la conclusion selon laquelle un contribuable ne pouvait pas être contraint de se soumettre à une entrevue et de répondre aux questions posées au cours de l’entrevue.
[19] Après avoir examiné les dispositions législatives applicables, la Cour fédérale a conclu que le libellé général employé au paragraphe 231.1(1) de la LIR et, plus précisément, la référence dans ce paragraphe aux renseignements qui auraient dû se trouver dans les livres et registres d’un contribuable conférait à la Cour le pouvoir de rendre l’ordonnance qu’elle a rendue parce que les éléments en question étaient effectivement visés par une demande fondée sur le paragraphe 231.1(1) de la LIR. À cet égard, la Cour fédérale a conclu que le paragraphe 231.1(1) de la LIR confère au ministre le pouvoir d’exiger la production de renseignements de la nature de ceux que la Cour a ordonné à l’appelant de fournir, qui allaient au-delà de la provenance, de l’emplacement ou de la conservation des livres et registres ou d’autres documents de l’appelant. La Cour fédérale a aussi conclu que, pour les mêmes raisons, le paragraphe 231.1(1) de la LIR conférait au ministre le pouvoir d’exiger que l’appelant tente d’obtenir les documents et les renseignements demandés auprès de sa banque au Luxembourg, de ses comptables et de ses avocats.
[20] En ce qui a trait à l’obligation de déployer de tels efforts, la Cour fédérale a fait remarquer ce qui suit : « […] un contribuable doit faire des efforts raisonnables pour répondre avec exactitude aux demandes de documents et de renseignements qui entrent dans le champ d’application du paragraphe 231.1(1) »
(au paragraphe 50).
[21] La Cour fédérale a conclu que la deuxième des conditions susmentionnées était également remplie à l’égard des éléments visés par son ordonnance. Dans chaque cas, la Cour fédérale a examiné les éléments de preuve et, au moment de rendre l’ordonnance, a déterminé que l’appelant ne s’était pas conformé aux demandes fondées sur l’article 231.1 de la LIR.
III. Analyse
[22] J’examinerai maintenant les arguments de l’appelant. En discutant de la thèse défendue par l’appelant, il convient de commencer par analyser en détail les points qui ne sont pas contestés.
A. Points non contestées
[23] Le premier des points non contestés porte sur la norme de contrôle à appliquer par notre Cour. Comme il s’agit d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, la norme de contrôle en appel s’applique. Par conséquent, les erreurs de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, alors que les erreurs de fait ou les erreurs mixtes de fait et de droit, qui ne comportent pas de question de droit isolable, sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux paras. 8, 37, [2002] 2 R.C.S. 235; BP Canada Energy Company c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 61 au para. 56, [2017] 4 R.C.F. 310).
[24] Le deuxième point non contesté porte sur le fait que l’appelant n’a pas conservé les livres et registres, comme l’exige le paragraphe 230(1) de la LIR. L’intimé affirme que les divers éléments que la Cour fédérale a ordonné à l’appelant de fournir auraient dû être inscrits dans ses livres et registres au Canada, en conformité avec le paragraphe 230(1) de la LIR. L’appelant ne conteste pas ce point. Par conséquent, si l’appelant s’était conformé à ses obligations en matière de tenue de registres, il ne fait aucun doute que le ministre aurait eu le droit d’obtenir une ordonnance de production des livres et registres contenant ces renseignements si le ministre avait délivré une demande à cet égard et si l’appelant ne les avait pas produits de son plein gré.
[25] Quant au troisième point, il est admis que le paragraphe 237.7(1) de la LIR énonce les éléments que le ministre doit établir pour avoir droit à une ordonnance de production. Avant d’énumérer ces éléments, il convient de reproduire le paragraphe encore une fois. Le paragraphe 231.7(1) de la LIR dispose de ce qui suit :
|
|
|
|
|
|
[26] Il ressort clairement de cette disposition que les conditions préalables à la délivrance d’une ordonnance de production par la Cour fédérale sont les suivantes :
la personne contre qui l’ordonnance est rendue doit avoir été tenue, aux termes de l’article 231.1 ou 231.2 de la LIR, de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents visés par l’ordonnance;
cette personne doit avoir fait défaut de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents en question; et
quant aux renseignements ou aux documents, ils ne doivent pas faire l’objet du privilège des communications entre client et avocat.
B. Points en litige
[27] Alors que les parties divergent sur la question de savoir si l’appelant était en droit de refuser de se conformer aux demandes de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) en litige dans le présent appel, cela est déterminant quant à savoir si la LIR conférait à la Cour fédérale le pouvoir de rendre une ordonnance de production de la façon dont elle l’a fait. Comme je l’ai fait remarquer, les arguments avancés par l’appelant reposent principalement sur la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Cameco. Plus précisément, l’appelant soutient que l’arrêt Cameco permet de conclure que la Cour fédérale n’avait pas le pouvoir de rendre toutes les parties de l’ordonnance visée par l’appel, à l’exception de l’alinéa 1a)(i). En ce qui concerne ce paragraphe de l’ordonnance de la Cour fédérale sur lequel nous reviendrons plus en détail plus loin, l’appelant allègue principalement qu’il s’y est conformé et qu’aucun document ne correspond aux demandes qui lui ont été délivrées. L’appelant soumet également des arguments subsidiaires fondés sur les articles 231.6 et 232 de la LIR.
[28] Les arguments de l’appelant fondés sur l’arrêt Cameco et les articles 231.6 et 232 de la LIR soulèvent des questions de droit, tandis que ses autres arguments soulèvent des questions de fait. Compte tenu de l’importance qu’a l’arrêt Cameco sur les arguments de l’appelant, il convient de commencer l’analyse en examinant précisément ce qui a été décidé dans cet arrêt.
1) Quels sont les principes qui se dégagent de l’arrêt Cameco?
[29] Dans l’arrêt Cameco, dans lequel la juge Woods a rédigé des motifs concordants, le juge Rennie s’est exprimé au nom de la majorité. Au paragraphe 1 des motifs de la majorité de la Cour, le juge Rennie énonce ainsi les questions dont la Cour est saisie :
La question en litige dans le présent appel est de savoir si le ministre du Revenu national peut exiger que des employés d’une société se présentent à des entrevues et répondent oralement à des questions posées par les vérificateurs de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Le ministre soutient que l’alinéa 231.1(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), lui confère le pouvoir de le faire.
[30] En ce qui concerne les faits dont la Cour était saisie dans l’arrêt Cameco, l’ARC avait demandé à 25 employés de Cameco et ses filiales d’assister à des entrevues et de répondre oralement à diverses catégories de questions qui, selon l’ARC, étaient pertinentes pour ses vérifications de la conformité de Cameco avec les règles en matière de prix de transfert prévues dans la LIR. Cela faisait suite à un long processus de vérification au cours duquel Cameco avait déjà fourni des renseignements détaillés à l’ARC. Cameco a indiqué à l’ARC qu’elle était disposée à répondre aux questions par écrit, mais a refusé que les employés assistent aux entrevues et répondent oralement aux questions.
[31] La Cour fédérale a rejeté la demande d’ordonnance exigeant que les employés assistent aux entrevues au titre de l’article 231.7 de la LIR, concluant que cet article ne conférait pas à la Cour le pouvoir de contraindre à des entrevues et que, de toute façon, certains facteurs d’ordre discrétionnaire militaient contre la délivrance d’une ordonnance de production.
[32] Notre Cour a rejeté l’appel. La juge Woods aurait rejeté l’appel en se fondant sur le pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale. La majorité, par contre, a conclu que la Cour fédérale n’avait pas le pouvoir d’ordonner aux employés d’assister aux entrevues. Dans cette affaire, le ministre, à la différence de l’espèce, s’était fondé uniquement sur l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR à l’appui de la demande. En l’espèce, comme je l’ai fait remarquer, le ministre se fonde sur la totalité du paragraphe 231.1(1) pour justifier son pouvoir de délivrer les demandes en litige dans le présent appel.
[33] Un élément central des motifs de la majorité dans l’arrêt Cameco portait sur les modifications apportées à la LIR en 1986, par lesquelles la mention du droit du ministre d’exiger des réponses verbales sous serment prévue par l’article 231.1 a été retirée et ajoutée à ce qui est maintenant l’article 231.4 de la LIR. En vertu de l’article 231.4 de la LIR, le ministre peut demander à la Cour canadienne de l’impôt de rendre une ordonnance pour qu’une enquête soit tenue devant un président d’enquête, au cours de laquelle des éléments de preuve peuvent être obtenus sous serment de toute personne.
[34] Avant les modifications apportées en 1986, le paragraphe 231.1(1) (qui figurait alors au paragraphe 231(1)) de la LIR était ainsi libellé :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[35] En grande partie en raison de la disparition de l’ancienne obligation de répondre à des questions sous serment prévue dans ce qui est maintenant l’article 231.1 de la LIR, la majorité des juges dans l’arrêt Cameco a conclu qu’à la suite des modifications, le ministre ne pouvait pas exiger que des personnes assistent à des entrevues en vertu de l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR. La conclusion de la Cour selon laquelle l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR n’autorisait pas la délivrance de la demande en litige dans l’arrêt Cameco, pour sa part, signifiait que la Cour fédérale avait raison de refuser de rendre une ordonnance au titre de l’article 231.7 de la LIR, ce qui aurait contraint les employés à assister aux entrevues.
[36] Ainsi qu’il ressort de ce qui précède, la question soumise à la Cour dans l’arrêt Cameco était uniquement de savoir si le ministre était en droit de contraindre des personnes à assister à des entrevues pour répondre à des questions en vertu de l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR. Les énoncés plus généraux formulés dans l’arrêt Cameco (par exemple, aux paragraphes 18 à 23, sur lesquels l’appelant se fonde) doivent être interprétés dans le contexte de la question soumise à la Cour dans cette instance et s’y limiter.
[37] Ainsi, l’arrêt Cameco n’est pas déterminant pour l’issue du présent appel; notre Cour ayant simplement conclu que le ministre ne peut pas contraindre des personnes à assister à des entrevues en vertu de l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR. Par conséquent, il est nécessaire que notre formation détermine si la Cour fédérale a commis une erreur dans son interprétation de l’article 231.1 de la LIR en l’espèce.
2) Texte, contexte et objet des dispositions pertinentes de la LIR
[38] Les principes régissant l’interprétation des lois sont bien établis et exigent que le tribunal examine le texte, le contexte et l’objet d’une disposition pour en déterminer le sens. Comme on peut le lire dans le passage souvent cité de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 au para. 10, [2005] 2 R.C.S. 601 :
Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, 1999 CanLII 639 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 804, au para. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble.
(Voir aussi, dans le même sens, CIBC World Markets Inc. c. Canada, 2019 CAF 147 aux paras. 27–28, A.C.W.S. (3d) 208 et Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 au para. 24, 431 D.L.R. (4th) 556).
a) Texte
[39] En analysant le texte des dispositions en cause dans le présent appel, le point de départ approprié exige de tenir compte du sens du terme « document »
à l’article 231.1 de la LIR et des dispositions connexes qui suivent. L’article 231 de la LIR dispose qu’aux fins des articles 231.1 à 231.8 de la LIR, « [s]ont compris parmi les documents les registres. Y sont assimilés les titres et les espèces »
. Le terme signifie donc beaucoup plus qu’un document pouvant faire l’objet d’une inspection physique, et comprend les fonds reçus par un contribuable qui portent sur toutes les questions visées par l’ordonnance rendue par la Cour fédérale en l’espèce.
[40] Le prochain point important de l’analyse textuelle de ces disposions porte sur l’examen du sens à attribuer au verbe « vérifier »
à l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR (ou « audit »
dans la version anglaise de l’alinéa). Contrairement au terme « document »
, les dispositions en cause ne prévoient aucune définition de ce que signifie le verbe « vérifier »
.
[41] Les définitions des dictionnaires n’étayent pas la conclusion préconisée par l’appelant, à savoir qu’une vérification empêche de demander des renseignements sur les fonds se trouvant dans le compte bancaire d’un contribuable, les comptes en fidéicommis de son avocat ou des détails sur les factures envoyées à ses clients. Au contraire, ces définitions attribuent un sens beaucoup plus large aux termes « vérifier »
et «
audit »
qui engloberaient des questions de la nature de celles qui sont soulevées en l’espèce.
[42] Le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. par Katrine Barber (Don Mills, Ont. : Oxford University Press Canada, 2004), définit le sens du substantif « audit »
comme comprenant [traduction] « une analyse ou un examen détaillé [surtout] dans le but d’évaluer les forces et les faiblesses »
et le verbe « audit »
comme l’acte de procéder à une vérification. Le Collins English Dictionary, 13e éd. par Ian Brooks et al. (Glasgow: HarperCollins Publishers, 2018) donne une définition large du terme «
audit »
comme étant [traduction] « toute vérification ou tout examen approfondi [nous soulignons] »
.
[43] De même, le sens du terme français « vérifier »
ne se limite pas au sens préconisé par l’appelant. Le Petit Robert, éd. par Alain Rey et Josette Rey-Debove (Paris : Dictionnaires Le Robert — SEJER, 2022) à la p. 2693, définit le verbe « vérifier »
comme suit : « Examiner la valeur de (qqch.), par une confrontation avec les faits ou par un contrôle de la cohérence interne »
. Le Petit Larousse illustré, éd. par Claude Nimmo et Julie Pelpel-Moulian (Paris : Larousse, 2018), définit également le verbe « vérifier »
comme étant le fait de « contrôler »
et de « [s]oumettre à un contrôle »
.
[44] Ainsi, les termes « vérifier »
ou «
audit »
sont de portée large et englobent davantage que l’examen physique d’un document en possession du contribuable.
[45] À ce stade de l’analyse, il est utile de citer encore une fois le paragraphe 231.1(1) de la LIR, qui dispose de ce qui suit :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[46] Le libellé clair de l’alinéa 231.1(1)a) permet aux personnes autorisées par le ministre de « vérifier »
les « documents »
(les espèces) du contribuable ou d’autres personnes qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui devraient figurer dans les livres ou registres du contribuable, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la LIR.
[47] Compte tenu de la définition large du terme « document »
, qui comprend des espèces, des définitions du verbe « vérifier »
(ou du terme «
audit »
) tirées des dictionnaires, ainsi que de la reconnaissance, à l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR, de ce qui peut faire l’objet d’une vérification, y compris les renseignements qui devraient figurer dans les livres et registres du contribuable ou qui se rapportent à des sommes payables par le contribuable en vertu de la LIR, je suis d’avis que le libellé clair de cet alinéa confère à l’ARC le pouvoir d’obtenir le genre de renseignements demandés en l’espèce.
[48] Je ne suis pas la seule à être de cet avis.
[49] Dans l’arrêt Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643 [Redeemer], la Cour suprême du Canada a rejeté une demande de contrôle judiciaire visant à annuler une demande de l’ARC fondée sur l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR pour qu’un organisme de bienfaisance fournisse des renseignements sur ses donateurs. Au premier paragraphe des motifs de la Cour suprême, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel, qui se sont exprimés au nom de la majorité, ont fait remarquer que la question dont la Cour était saisie était de déterminer « […] si [...] le ministre devait demander une autorisation judiciaire, en vertu du par. 231.2(2) de la [LIR], avant d’exiger que [l’appelante] lui remette des renseignements sur l’identité de ses donateurs »
. La Cour suprême a conclu que cette autorisation n’était pas requise, et que « [l]’effet combiné de l’al. 230(2)a) [l’obligation en matière de tenue de registres applicable aux organismes de bienfaisance] et de l’art. 231.1 permettait au ministre d’obtenir des renseignements sur l’identité des donateurs »
(au paragraphe 1).
[50] Bien que dans l’arrêt Redeemer, l’appelante n’ait pas présenté le même argument que l’appelant soumet en l’espèce, il ressort clairement des motifs prononcés par notre Cour dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Fondation Redeemer, 2006 CAF 325, [2007] 3 R.C.F. 40, que l’ARC a demandé des renseignements à l’appelante, par opposition à de simples documents écrits, et a demandé à l’appelante de compiler une liste de reçus pour dons de bienfaisance. Au paragraphe 37, le juge Pelletier, qui s’est exprimé au nom de notre Cour, a déclaré ce qui suit :
Il n’est pas contesté que, dans l’exercice du pouvoir de vérification énoncé à l’article 231.1, le vérificateur de l’ARC peut examiner tous les livres et registres de la Fondation, y compris les doubles de reçu, et préparer, à la suite de cette inspection, une liste comportant les noms et adresses des donateurs pour diverses années d’imposition. Si le vérificateur peut obtenir les renseignements en examinant lui‑même les livres et registres de la Fondation, je ne connais aucun principe qui l’obligerait à solliciter une ordonnance judiciaire avant de demander l’aide de la Fondation pour obtenir exactement les mêmes renseignements.
[51] En rejetant l’appel, la Cour suprême du Canada a conclu en termes très clairs que le ministre peut obtenir des renseignements visés à l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR. Au paragraphe 13 des motifs de l’arrêt Redeemer, après avoir cité l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR, les juges majoritaires se sont exprimés comme suit :
Au vu même de son libellé, cette disposition vise la situation dont il est question en l’espèce. Elle autorise le ministre à examiner les « renseignements qui figurent dans les livres [de la Fondation] [...] ou qui devraient y figurer ». Les renseignements en cause concernant des tiers, savoir les contribuables donateurs de la Fondation, se trouvaient dans les livres de la Fondation ou auraient dû y figurer conformément aux vastes exigences de tenue de registres établies par le par. 230(2) [...]
[Non souligné dans l’original.]
[52] Au paragraphe 24, après avoir traité de l’objet de l’article 231.1, les juges majoritaires ont déclaré ce qui suit :
[…] le par. 231.1(1) est libellé en termes généraux. Il permet l’accès « aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer ». Il donne donc accès tant aux renseignements concernant des tiers que le contribuable est tenu de conserver, qu’à ceux que le contribuable n’est pas tenu de conserver, mais qui se trouvent dans ses registres.
[Non souligné dans l’original.]
[53] Il appert que la conclusion tirée dans l’arrêt Redeemer n’a pas suffisamment été portée à l’attention de la formation saisie de l’appel dans l’affaire Cameco puisque les motifs prononcés dans l’arrêt Cameco n’en font pas mention. Cette omission donne une raison supplémentaire d’interpréter l’arrêt Cameco comme se limitant étroitement à la conclusion selon laquelle le ministre ne peut pas contraindre des personnes à assister à des entrevues en vertu de l’alinéa 231.1(1)a).
[54] Je suis d’avis que l’arrêt Redeemer de la Cour suprême répond entièrement aux arguments de l’appelant en l’espèce et appuie entièrement la thèse du ministre. Il y est établi que les renseignements qui auraient dû figurer dans les livres et registres de l’appelante, mais qui n’y s’y trouvent pas, peuvent être demandés dans une demande fondée sur l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR.
[55] En outre, mon interprétation de l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR est conforme à l’arrêt de notre Cour intitulé Friedman c. Canada (Revenu national), 2021 CAF 101, 2021 D.T.C. 5056, rendu après l’arrêt Cameco, comme l’intimé le fait remarquer à juste titre au paragraphe 31 de son mémoire des faits et du droit. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé une ordonnance de production rendue par la Cour fédérale, exigeant des réponses écrites à un questionnaire de l’ARC dans lequel étaient demandés des renseignements semblables à ceux qu’il a été ordonné à l’appelant de produire en l’espèce. L’ARC s’était fondée sur l’alinéa 231.1(1)a) en établissant une obligation de remplir le questionnaire.
[56] En plus de l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR, le libellé de l’alinéa 231.1(1)b) de la LIR appuie également le droit du ministre d’exiger les renseignements que l’appelant a été ordonné de fournir en l’espèce. L’alinéa 231.1(1)b) de la LIR permet à une personne autorisée par le ministre d’« examiner »
toute « matière concernant […] [l]e contribuable »
qui « peut aider »
à « établir l’exactitude [...] [des] renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer »
ou qui « peut aider […] à établir l’exactitude de […] tout montant payable par le contribuable »
. Il est difficile de voir comment cette disposition pourrait être rédigée de façon plus générale.
[57] Les définitions tirées des dictionnaires des termes « examiner »
et «
examine »
ne se limitent pas à l’examen physique des éléments en possession du contribuable, et comprennent des questions de la nature qui se posent en l’espèce. À titre d’exemple, le Canadian Oxford Dictionary définit le verbe «
examine »
de façon aussi large que [traduction] « étudier la nature ou l’état de »
; le Collins English Dictionary le résume comme suit : [traduction] « enquêter »
. Le Petit Robert, à la page 966, définit le verbe « examiner »
comme suit : « [c]onsidérer avec attention, avec réflexion »
, et Le Petit Larousse illustré donne la définition suivante : « [é]tudier attentivement, minutieusement »
.
[58] Aussi, l’emploi des termes « toute matière »
et «
matter »
indique la portée de l’enquête visée par le législateur.
[59] Peut-être plus important encore, l’alinéa 231.1(1)b) élargit la portée de l’examen non seulement aux renseignements figurant dans les livres et registres du contribuable, mais également aux renseignements qui devraient y figurer, ainsi qu’à toute matière dont l’examen aiderait la personne autorisée à établir l’exactitude du montant payable par le contribuable sous le régime de la LIR. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que la portée de ces termes appuie sa thèse. Les renseignements qui devraient figurer dans les livres et registres du contribuable, mais qui n’y s’y trouvent pas, sont souvent non étayés par des documents. Une personne autorisée ne pourrait examiner ces renseignements qu’en obtenant une réponse à toutes questions pertinentes.
[60] Je conclus donc que, selon le libellé des alinéas 231.1(1)a) et b) de la LIR, le ministre avait le pouvoir de délivrer les demandes en question dans le présent appel.
b) Contexte
[61] Le contexte pertinent comprend d’abord le reste du paragraphe 231.1(1) de la LIR.
[62] Je suis d’accord avec l’appelant sur le fait que le passage intercalaire du paragraphe 231.1(1) de la LIR limite les alinéas 231.1(1)c) et d) à l’exercice du pouvoir conféré par le paragraphe 231.1(1) de la LIR précédant le passage intercalaire. Les alinéas 231.1(1)c) et d) doivent donc être lus conjointement avec les parties précédentes du paragraphe. Bien que cela puisse fort bien signifier que ni l’alinéa 231.1(1)c) ni l’alinéa 231.1(1)d) de la LIR ne confèrent une source de pouvoir indépendante à elle seule en l’espèce, on ne peut faire abstraction de ces alinéas.
[63] Pour les besoins du présent appel, l’alinéa 231.1(1)d) de la LIR est particulièrement pertinent. Cette disposition, dans sa forme actuelle, a été adoptée en 1986, au même moment que l’obligation de donner des réponses orales aux questions posées, y compris celles sous serment, a été supprimée de l’article 231.1 et que l’article 231.4 a été ajouté à la LIR. La version actuelle de l’alinéa 231.1(1)d) est libellée en termes généraux et exige de toute personne que le vérificateur rencontre ou dont la présence est exigée sur les lieux d’affaires du contribuable donne des réponses à « toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la [LIR] »
. Je le répète, il est difficile de concevoir comment la disposition pourrait être rédigée de façon plus générale. Je suis d’accord avec le ministre sur le fait que la portée de cette disposition appuie son interprétation des alinéas 231.1(1)a) et b) de la LIR.
[64] Le contexte pertinent comprend également les articles 231.2, 231.6 et 232 de la LIR.
[65] L’article 231.2 précise les pouvoirs qui sont conférés au ministre d’exiger des contribuables et des tiers qu’ils fournissent des renseignements et des documents. Contrairement à l’article 231.1, l’article 231.2 confère des pouvoirs au ministre plutôt qu’aux personnes autorisées par le ministre. En pratique, le ministre délègue son pouvoir d’agir conformément à cette disposition et à d’autres dispositions de la LIR à « un fonctionnaire ou une catégorie de fonctionnaires »
en application du paragraphe 220(2.01) de la LIR. On doit toutefois s’attendre à ce que les délégations prévues au paragraphe 220(2.01) de la LIR soient accordées à un nombre plus restreint d’employés de l’ARC qu’aux « personnes »
autorisées à procéder à des vérifications.
[66] L’article 231.2 comprend également des exigences procédurales absentes de l’article 231.1 de la LIR. Il s’agit notamment de l’obligation d’envoyer un avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé, qui indique la nature des renseignements à fournir (paragraphes 231.2(1) et (1.1)). Si le ministre était tenu de recourir à l’article 231.2 de la LIR chaque fois que des renseignements qui auraient dû être inscrits dans les livres et registres sont exigés du contribuable, le processus de vérification s’en trouverait probablement entravé de façon importante.
[67] Je remarque également que l’article 231.2 de la LIR s’applique « [m]algré les autres dispositions de [la LIR] »
. Compte tenu de ce libellé, il n’est pas nécessaire d’interpréter l’article 231.2 comme conférant un pouvoir distinct de celui qui est énoncé ailleurs. En fait, la nécessité de cette disposition tend à prouver la conclusion contraire et prévoit la possibilité que les dispositions se recoupent.
[68] L’effet de l’argument avancé par l’appelant en l’espèce est d’affirmer que les articles 231.1 et 231.2 de la LIR constituent chacun un code complet, de sorte que les pouvoirs conférés par l’article 231.2 ne peuvent être exercés aux termes de l’article 231.1. Je suis d’avis que cet argument est insoutenable à la lumière de la conclusion tirée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Redeemer. Cet arrêt établit que les diverses dispositions en cause dans le présent appel ne sont pas des cloisons étanches et qu’elles se recoupent.
[69] L’existence d’un tel recoupement empêche également l’appelant d’invoquer les articles 231.6 et 232 de la LIR. Parce que le recoupement est possible, on ne peut interpréter l’article 232 comme énonçant qu’il s’agit du seul processus permettant d’obtenir des documents auprès des avocats de l’appelant ou l’article 231.6 comme énonçant que le seul processus d’obtention de documents est auprès de la banque de l’appelant au Luxembourg.
[70] De plus, en ce qui concerne les documents détenus par l’avocat d’un contribuable, notre Cour a confirmé dans l’arrêt Revcon Oilfield Constructors Incorporated c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 22, 2017 D.T.C. 5019 [Revcon], que le ministre peut obtenir une ordonnance comme celle prononcée en l’espèce, enjoignant à l’appelant de solliciter les documents demandés auprès de ses avocats. Le juge Stratas, qui s’exprimait au nom de notre Cour dans l’arrêt Revcon, a indiqué que, dans cette affaire, l’ordonnance rendue obligeait légitimement l’appelante à communiquer tous les documents en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde (au paragraphe 9). Il s’agissait notamment de documents non privilégiés que l’appelante était en droit de recevoir de ses avocats.
[71] La Cour fédérale a également confirmé que les ordonnances rendues en application de l’article 231.1 de la LIR visent légitimement les documents en la possession, sous l’autorité ou sous la garde du contribuable (voir, par exemple, Canada (Revenu national) c. Amdocs Canadian Managed Services Inc., 2015 CF 1234 aux paras. 33, 34, 75, 76, 2015 D.T.C. 5117 et Canada (Revenu national) c. Ghermezian, 2022 CF 236 aux paras. 73–78, 2022 D.T.C. 5029).
[72] En l’espèce, la Cour fédérale a formulé son ordonnance avec soin visant à ne pas dépasser les bornes. Il n’a pas été ordonné à l’appelant de produire les documents détenus par ses avocats, mais plutôt de les obtenir et, advenant l’impossibilité de les obtenir, de fournir la correspondance reçue par l’appelant expliquant pourquoi les documents ne lui seraient pas communiqués par les personnes qui les ont en leur possession. Aussi, la partie de l’ordonnance portant sur l’obtention des détails du revenu professionnel de l’appelant inscrit à la ligne 164 de sa déclaration de revenus de 2016 exigeait que l’appelant fasse des recherches auprès de son comptable.
[73] Compte tenu du libellé général des alinéas 231.1(1)a), b) et d) de la LIR, la Cour fédérale était en droit d’exiger que l’appelant effectue ces recherches en conformité avec les efforts raisonnables qu’il doit déployer pour se conformer aux demandes du ministre.
[74] Dans le même ordre d’idées, l’ordonnance rendue par la Cour fédérale portant sur les documents et les renseignements détenus par la banque de l’appelant en Suisse n’exige pas leur production, mais simplement que l’appelant en fasse la demande et, advenant un refus, qu’il fournisse l’explication du refus qu’il a lui-même reçu. Compte tenu de la manière dont la Cour fédérale a formulé son ordonnance, la décision de notre Cour dans l’arrêt eBay Canada Limited c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145 [eBay], sur laquelle se fonde l’appelant, vient en fait au secours du ministre en l’espèce. Dans le présent appel, comme dans l’arrêt eBay, il n’a pas été ordonné à l’appelant de produire des documents étrangers.
[75] J’estime également que l’arrêt de notre Cour intitulé BP Canada Energy Company c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 61, [2017] 4 R.C.F. 310 [BP] sur lequel se fonde l’appelant, ne lui est d’aucun secours. L’arrêt BP portait sur une situation tout à fait différente. Dans l’affaire BP, l’ARC a demandé d’obtenir des parties des documents de travail préparés par des vérificateurs d’une société ouverte en vue de préparer les états financiers, comme l’exige la législation provinciale en matière de valeurs mobilières. Les parties de documents de travail en question précisaient les raisons pour lesquelles des provisions avaient été prévues dans les états financiers pour pallier le risque d’impôt sur le revenu impayé. Cet impôt éventuel n’était pas visé par la vérification de l’ARC. Notre Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire qu’ils soient communiqués partiellement parce que cela aurait pour effet de déconsidérer la fonction de vérification et de porter atteinte à l’intégrité du processus entourant les rapports financiers exigés par les lois sur les valeurs mobilières. En parvenant à cette conclusion, le juge en chef Noël, s’exprimant au nom de notre Cour, a déclaré que l’« obligation d’auto-cotisation [exigée par la LIR] n’exige pas du contribuable qu’il assujettisse à l’impôt des sommes qu’il estime non imposables »
, et il ne peut donc pas être tenu de révéler ses « points faibles »
(au paragraphe 82). Ces considérations sont à des années-lumière des questions ayant fait l’objet de l’ordonnance en l’espèce, qui ne concernent que les revenus reçus par l’appelant et leur mode de paiement.
[76] Par conséquent, le contexte en cause dans la LIR et la jurisprudence interprétant la LIR appuient le pouvoir de la Cour fédérale de rendre l’ordonnance portée en appel en l’espèce.
c) Objet
[77] Les dispositions en cause dans le présent appel servent à fournir au ministre, par l’intermédiaire de l’ARC, un mécanisme visant à veiller au respect de la LIR. La nécessité de se prévaloir d’un tel mécanisme est évidente en soi compte tenu du régime d’autocotisation établi sous le régime de la LIR, comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans les arrêts McKinlay Transport Ltd. aux pp. 636, 637, 648, et R c. Jarvis, 2002 CSC 73 aux paras. 49–51, [2002] 3 R.C.S. 757.
[78] Pareil objet vient étayer mon interprétation de l’article 231.1 et est incompatible avec l’interprétation que fait l’appelant de cet article, qui, comme je l’ai déjà mentionné, nuirait à la capacité de l’ARC d’exercer ses fonctions de vérification.
[79] Je détermine donc que le texte, le contexte et l’objet de l’article 231.1 de la LIR mènent à la conclusion que la Cour fédérale a eu raison de conclure qu’elle avait le pouvoir d’ordonner à l’appelant de fournir les renseignements qu’il a fournis et de chercher à obtenir les documents et les renseignements auprès de ses comptables, de ses avocats et de sa banque au Luxembourg.
[80] Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit.
3) Erreurs supplémentaires alléguées par l’appelant
[81] Je me pencherai finalement sur les autres arguments invoqués par l’appelant, qui visent des questions de fait et qui sont susceptibles de contrôle selon la norme déférente de l’erreur manifeste et dominante.
[82] À cet égard, l’appelant allègue : (1) qu’il s’est conformé à la demande de production des factures, et que la portée de l’alinéa 1a)(i) de l’ordonnance de la Cour fédérale le mènerait à répondre qu’il n’est pas en possession de ces factures; (2) qu’il s’est conformé à la demande exigeant un tableau détaillé de la rémunération reçue de Casala, comme l’exige le sous-alinéa 1a)(iii) de l’ordonnance de la Cour fédérale; et (3) qu’il a déjà fourni, dans une certaine mesure, les renseignements exigés à l’alinéa 1d) de l’ordonnance de la Cour fédérale ou qu’il ne semble pas avoir en possession ces renseignements.
[83] En ce qui concerne la première des questions susmentionnées, la Cour fédérale a conclu que l’appelant « n’a[vait] pas fourni au ministre une déclaration selon laquelle il n’existait aucune facture écrite, sous quelque forme que ce soit »
(au paragraphe 39). Je ne vois aucune erreur dans cette conclusion. Dans ses réponses aux demandes, l’appelant n’a pas mentionné clairement que ces factures n’existaient pas. Il était donc loisible à la Cour fédérale d’ordonner leur production. Quant à la réponse à l’ordonnance de produire les factures envoyées à Casala, dont la Cour fédérale a ordonné leur production, l’appelant est tenu de déterminer si ces factures existent et, dans l’affirmative, de les produire.
[84] Quant à la deuxième question susmentionnée, la Cour fédérale a conclu que les réponses de l’appelant étaient « incomplètes et équivoques »
puisque la seule réponse que l’appelant avait donnée était qu’il croyait être payé par Casala au moyen de deux virements télégraphiques d’environ 20 000 € chacun en plus des sommes versées à ses avocats. À la lumière de cette réponse, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en apposant les termes « incomplètes et équivoques »
aux réponses, et il lui était donc loisible de rendre l’ordonnance qu’elle a rendue au sous-alinéa 1a)(iii).
[85] Enfin, en ce qui concerne l’alinéa 1d) de l’ordonnance de la Cour fédérale, cette dernière a conclu que l’appelant avait demandé ces renseignements, mais qu’il n’avait pas encore reçu de réponse de ses comptables en raison de retards liés à la pandémie de COVID-19. Les éléments de preuve dont la Cour fédérale était saisie étayent cette conclusion. Par conséquent, je ne vois aucune erreur commise par la Cour fédérale lorsqu’elle a ordonné à l’appelant de chercher à obtenir ces renseignements et, s’il les recevait, de les produire.
IV. Conclusion proposée
[86] Par conséquent, je rejetterais le présent appel avec dépens. Les parties ont convenu que les dépens devraient suivre l’issue de la cause et être établis à 2 000 $, ce que je trouve raisonnable. Je les établirais donc à cette somme.
« Mary J.L. Gleason »
j.c.a.
« Je souscris à ces motifs.
Anne L. Mactavish, j.c.a. »
« Je souscris à ces motifs.
Sylvie E. Roussel, j.c.a. »
Annexe : dispositions de la LIR pertinentes dans le cadre du présent appel
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
A-230-21 |
|
|
INTITULÉ :
|
DAVID RANDALL MILLER c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL |
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 11 mai 2022
|
||
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LA JUGE GLEASON
|
||
Y ONT SOUSCRIT :
|
LA JUGE MACTAVISH LA JUGE ROUSSEL |
||
DATE DES MOTIFS :
|
Le 31 octobre 2022 |
||
COMPARUTIONS :
Thang Trieu Salvatore Mirandola |
Pour l’appelant |
Montano Cabezas |
Pour l’intimé |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L. Toronto (Ontario) |
Pour l’appelant |
A. François Daigle Sous-procureur général du Canada |
Pour l’intimé |