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Date : 20220804

Dossiers : A-31-21 (dossier principal)

A-32-21

Référence : 2022 CAF 142

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

Dossier : A-31-21

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

appelante

et

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. et

BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND

UNLIMITED COMPANY

intimées

Dossier : A-32-21

ET ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

appelante

et

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.,

BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND

UNLIMITED COMPANY et PFIZER INC.

Intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 juin 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 août 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20220804


Dossiers : A-31-21 (dossier principal)

A-32-21

Référence : 2022 CAF 142

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

Dossier : A-31-21

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

Appelante

et

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. et

BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND

UNLIMITED COMPANY

Intimées

Dossier : A-32-21

ET ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

Appelante

et

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.,

BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND

UNLIMITED COMPANY et PFIZER INC.

Intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

I. Contexte

[1] La présente décision est le résultat de quatre appels réunis, interjetés à l’encontre d’une décision rendue par la Cour fédérale (2021 CF 1, le juge Zinn) relativement à quatre actions déposées en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), D.O.R.S./93-133. Ces actions intentées par les intimées, Bristol-Myers Squibb Canada Co., Bristol-Myers Squibb Holdings Ireland Unlimited Company et Pfizer Inc. (collectivement, BMS), contre les appelantes, Pharmascience Inc. (PMS) et Sandoz Canada Inc. (Sandoz), portaient sur la validité de certaines revendications de deux brevets de BMS, soit les brevets canadiens nos 2461202 (le brevet 202) et 2791171 (le brevet 171). La Cour fédérale a rejeté toutes les contestations des appelantes à l’égard de la validité des brevets et elle a conclu que les deux brevets étaient valides.

[2] Peu avant l’audience devant notre Cour, Sandoz a déposé des avis de désistement relativement aux appels qu’elle avait interjetés (nos de dossier de la Cour A-33-21 et A-34-21). Par conséquent, seuls les appels de PMS (nos de dossier de la Cour A-31-21 et A-32-21) demeurent en litige et la Cour ne statuera que sur les questions soulevées par PMS.

II. Brevets en litige

[3] Les brevets en litige portent sur un anticoagulant utilisé dans le traitement de la thrombose et commercialisé par BMS sous le nom ELIQUIS. Le principe actif d’ELIQUIS est l’apixaban, qui agit en bloquant certaines protéines de la coagulation présentes dans le sang. L’apixaban est un inhibiteur sélectif d’une enzyme, le facteur Xa (FXa). Il permet d’éviter les problèmes associés à la warfarine, qui était auparavant utilisée pour traiter la thrombose.

[4] Le brevet 202 décrit un grand nombre d’inhibiteurs du FXa, notamment l’apixaban. Les revendications du brevet 202 qui sont en litige concernent l’apixaban en soi, ainsi que son utilisation dans le traitement des troubles thromboemboliques. Le brevet 202 a été déposé le 17 septembre 2002, publié le 3 avril 2003 et délivré le 12 juillet 2011. Il vient à échéance le 17 septembre 2022.

[5] Un seul document au regard de l’art antérieur est utile à l’examen de bon nombre des contestations visant la validité du brevet 202; il s’agit du brevet canadien no 2349330 (le brevet 330). Le brevet 330, également détenu par BMS, décrit un grand nombre de composés comme étant des inhibiteurs du FXa. L’apixaban relève de la très large portée des composés visés par le brevet 330, mais il n’y est pas expressément mentionné. Le brevet 330 (qui est maintenant périmé) a été publié le 6 juillet 2000, avant la date de revendication du brevet 202 et plus d’un an avant sa date de dépôt. Le brevet 330 peut donc être invoqué au regard de l’art antérieur pour évaluer l’antériorité (absence de nouveauté) et l’évidence (absence d’inventivité) du brevet 202. Le brevet 330 est également pertinent pour examiner l’argument de PMS concernant le double brevet, ainsi que pour déterminer si le brevet 202 est un brevet de sélection valide par rapport au brevet 330, qui constitue le brevet de genre.

[6] L’autre brevet dont la validité est contestée est le brevet 171, qui concerne la formulation des comprimés d’apixaban. Le brevet 171 a été déposé le 24 février 2011, publié le 1er septembre 2011 et délivré le 29 août 2017. Il doit arriver à échéance le 24 février 2031. Bon nombre des questions relatives à la validité du brevet 171 résultent du fait que les revendications en litige définissent des caractéristiques liées à la taille des particules et à la vitesse de dissolution, mais qu’elles ne se limitent pas à l’utilisation d’une méthode particulière pour obtenir ces caractéristiques.

[7] Le brevet 171 explique que l’application des caractéristiques revendiquées donne lieu à des formulations d’apixaban qui permettent d’obtenir une dissolution in vivo cohérente chez les humains. Comme l’a expliqué BMS, un médicament administré par voie orale doit se dissoudre dans le tube digestif avant de pouvoir être absorbé par l’organisme. Le taux d’absorption du médicament peut être limité par la vitesse à laquelle il se dissout ou la vitesse à laquelle le médicament dissous pénètre les membranes intestinales. Si la vitesse de dissolution est au moins aussi élevée que la vitesse de perméation, le médicament se comportera dans l’organisme comme s’il avait été administré sous la forme d’une solution liquide préalablement dissoute. C’est ce qu’on appelle un comportement analogue à celui d’une solution, lequel est idéal pour optimiser l’absorption et réduire au minimum la variabilité.

III. Normes de contrôle et questions en litige

[8] Les parties conviennent que les normes de contrôle que doit appliquer notre Cour sont celles définies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, à savoir la norme de la décision correcte pour les questions de droit, et la norme de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait ou les questions de droit et de fait sans question de droit isolable. Sans surprise, toutefois, les parties ne s’entendent pas sur l’application de ces normes en l’espèce.

[9] Les questions toujours en litige concernant la validité des brevets portent sur les aspects suivants :

  • A)Pour le brevet 202 :

    1. Statut à titre de brevet de sélection;

    2. Antériorité, évidence et double brevet;

    3. Caractère insuffisant;

  • B)Pour le brevet 171 :

    1. Évidence

    2. Ambiguïté;

    3. Portée excessive.

[10] Ces diverses questions en litige sont examinées successivement dans les paragraphes qui suivent. En bref, je conclus que les appels toujours en litige devraient être rejetés.

IV. Analyse

A. Statut du brevet 202 à titre de brevet de sélection

[11] PMS affirme que, puisque l’apixaban appartient aux types de composés déjà divulgués par le brevet 330, les revendications contestées du brevet 202 concernant l’apixaban ne peuvent être valides que s’il s’agit d’une sélection inventive par rapport au brevet 330. PMS soutient que la Cour fédérale n’a jamais clairement établi que le brevet 202 est un brevet de sélection et affirme que cette lacune témoigne d’une compréhension insuffisante du brevet 202 et de son contexte factuel. PMS affirme en outre que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant de reconnaître (i) que le brevet 202 n’indique pas d’avantage particulier et (ii) qu’un brevet de sélection doit divulguer l’avantage particulier de la sélection (car l’avantage particulier est l’invention et que le brevet doit divulguer son invention).

[12] L’affirmation de PMS selon laquelle la Cour fédérale n’a jamais clairement établi que le brevet 202 est un brevet de sélection ne permet pas de conclure que la Cour fédérale a mal interprété la nature de ce brevet. Pas plus que le désaccord entre les parties quant à l’obligation de divulguer l’avantage particulier de la sélection ne permet-il de conclure que la Cour fédérale a commis une erreur sur cette question. Aux paragraphes 106 et 107 de ses motifs, la Cour fédérale a clairement indiqué que les exigences d’un brevet de sélection (telles qu’énoncées dans la décision In re I. G. Farbenindustrie A. G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.) et citées au paragraphe 10 de l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (arrêt Sanofi)), avaient été satisfaites et que le brevet 202 révèle les avantages particuliers de l’apixaban. La Cour fédérale a invoqué les témoignages du témoin expert de Sandoz, M. Gleason, ainsi que du témoin expert de BMS, le Dr Weitz, qui ont déclaré qu’une personne versée dans l’art lisant le brevet 202 « comprendrait que l’apixaban a été sélectionné dans le genre des composés [révélé dans le brevet 330], car, alors que le genre avait le potentiel d’être utile dans le traitement des troubles thromboemboliques, l’apixaban a été sélectionné dans le brevet 202, parce qu’il était utile ». [Souligné dans l’original.] La Cour fédérale a également conclu, au paragraphe 79 de ses motifs, que « la personne versée dans l’art lisant le brevet 330 comprendrait que les composés revendiqués ne seraient pas tous utiles pour traiter et prévenir les troubles thromboemboliques ».

[13] PMS critique la Cour fédérale pour s’être concentrée sur l’apixaban simplement parce qu’une distinction avait été établie pour ce composé, sans tenir compte de l’absence de comparaisons entre l’apixaban et les composés du genre. PMS note que le brevet 202 décrit l’apixaban parmi un grand nombre d’autres composés et que l’exemple 18 qui y est mentionné ne fait que décrire comment fabriquer l’apixaban, sans discuter de ses avantages. PMS affirme que c’est uniquement parce que les revendications sont centrées sur l’apixaban que la Cour fédérale a conclu que l’apixaban présente des avantages particuliers par rapport aux autres composés décrits dans le brevet 330. Elle affirme que l’on présume à tort de la conclusion lorsqu’on invoque des revendications pour étayer la validité de ces mêmes revendications.

[14] Je suis d’avis qu’à la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés il était loisible à la Cour fédérale de conclure comme elle l’a fait que le brevet 202 divulgue un avantage particulier de l’apixaban par rapport au genre de composés décrits dans le brevet 330. La Cour fédérale n’a commis aucune erreur en tenant compte des revendications du mémoire descriptif pour déterminer comment une personne versée dans l’art comprendrait le brevet 202 dans son ensemble. De même, elle n’a commis aucune erreur en concluant qu’un avantage particulier avait été divulgué par inférence. Il n’était pas nécessaire que le brevet 202 présente une comparaison explicite entre l’apixaban et un autre composé relevant de la portée du brevet 330. Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le brevet 202 révèle un avantage particulier.

[15] En fin de compte, le brevet 202 offre au public un avantage utile que n’ont pas les autres composés visés par le brevet 330 : un inhibiteur du FXa qui est efficace comme traitement des troubles thromboemboliques.

B. Questions liées à l’antériorité, à l’évidence et au double brevet du brevet 202

[16] Les questions de l’antériorité, de l’évidence et du double brevet sont examinées ensemble, car PMS reconnaît qu’en l’espèce la question du double brevet doit être examinée de la même manière que celle de l’évidence et PMS n’aborde pas la question de l’antériorité séparément de celle de l’évidence.

[17] Le principal argument invoqué par PMS à l’égard de ces questions s’apparente à celui mentionné dans la section précédente, à savoir que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le brevet 202 divulgue une invention, c’est-à-dire l’avantage particulier que présente l’apixaban par rapport aux composés décrits dans le brevet 330 (le brevet 330 étant l’art antérieur opposable). Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le brevet 202 révèle un avantage particulier.

[18] PMS affirme en outre que l’analyse que la Cour fédérale a faite de l’évidence est inadéquate, car elle a été réalisée sans que la Cour suive les étapes qu’elle-même avait définies à cette fin au paragraphe 84 de ses motifs. PMS mentionne plus précisément que la Cour fédérale a omis de « définir l’idée originale » des revendications en litige. Elle n’a pas non plus établi les différences entre l’état de la technique et l’idée originale. La Cour fédérale a plutôt sauté à la dernière étape, en se demandant si les différences constituent des étapes qui auraient été évidentes pour une personne versée dans l’art.

[19] La Cour fédérale mentionne, au paragraphe 86 de ses motifs, le témoignage des experts selon lequel « la personne versée dans l’art qui lisait le brevet 330 s’attendrait à ce que seul un petit pourcentage des composés qui y figurent soient des inhibiteurs du FXa, efficaces et utiles pour traiter les troubles thromboemboliques ». Au paragraphe 87 de ses motifs, la Cour fédérale a conclu que la preuve montrait que « la découverte de l’apixaban est le résultat d’un travail acharné, d’une pensée innovatrice et d’un peu de chance ».

[20] Il est certes étrange que la Cour fédérale ait énoncé une série d’étapes à suivre pour analyser l’évidence, mais qu’elle n’ait pas tenu compte de chacune de ces étapes dans son analyse. Je juge néanmoins que le raisonnement de la Cour fédérale est intelligible. Lorsqu’on lit les motifs dans leur intégralité, il semble clair que la Cour fédérale a jugé que l’idée originale résultait de la sélection de l’apixaban parmi les autres composés visés par le brevet 330. Il semble également clair que la Cour a jugé que la différence entre l’idée originale et l’état de la technique venait du fait que l’idée originale offrait un inhibiteur efficace du FXa, utile dans le traitement des troubles thromboemboliques, plutôt qu’un composé ayant simplement le potentiel d’être utile. Je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans le défaut de la Cour fédérale de discuter séparément de chacune de ces étapes dans son analyse de l’évidence. De même, je ne relève aucune erreur dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les revendications contestées du brevet 202 ne sont pas invalides pour cause d’évidence.

[21] Il paraît également étrange que la Cour fédérale ait déclaré, au paragraphe 86 de ses motifs, qu’« [i]l ne serait pas évident pour la personne versée dans l’art que l’apixaban était inclus dans le brevet 330 […] ». Interprété isolément, ce passage pourrait indiquer que la Cour fédérale a conclu qu’une personne versée dans l’art ne saurait pas que l’apixaban faisait partie des composés décrits dans le brevet 330. Il est difficile de comprendre quels éléments de preuve permettraient d’étayer pareille conclusion. Cependant, lorsqu’on tient compte de l’ensemble des motifs, il semble clair que ce que voulait dire la Cour fédérale était qu’il ne serait pas évident pour la personne versée dans l’art d’isoler l’apixaban parmi la multitude de composés décrits dans le brevet 330. Il était loisible à la Cour fédérale de parvenir à cette conclusion. De plus, la Cour fédérale a immédiatement ajouté que, quoi qu’il en soit, il ne serait pas évident que l’apixaban était un inhibiteur efficace du FXa, utile dans le traitement des troubles thromboemboliques.

C. Insuffisance de la divulgation du brevet 202

[22] L’essentiel de l’argumentation de PMS concernant l’insuffisance de la divulgation porte sur le fait qu’il n’a pas été précisé, à la date du dépôt de la demande pour le brevet 202, que l’invention portait sur l’apixaban. Cette précision ne figurait pas non plus à la date de publication. La demande, dans sa version déposée et publiée, décrivait et revendiquait un grand nombre de composés et n’était pas centrée sur l’apixaban. L’apixaban n’était, au mieux, qu’un composé parmi plus d’une centaine de composés décrits dans le brevet 202. Ce n’est que des années plus tard, peu avant la délivrance du brevet 202, que les revendications propres à l’apixaban ont été présentées.

[23] PMS mentionne l’exigence prévue à l’alinéa 27(3)a) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, selon laquelle le mémoire descriptif du brevet doit « décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur ». PMS affirme que, puisque le brevet 202 doit être un brevet de sélection pour être valide, l’accent mis sur l’apixaban doit être l’invention. Par conséquent, le brevet 202 ne décrivait pas une invention et, donc, ne satisfaisait pas à l’alinéa 27(3)a), que ce soit à la date de dépôt ou à la date de publication. PMS affirme que le brevet 202 est invalide parce que la date à laquelle doit en être établi le caractère suffisant est la date de publication. Pour appuyer le choix de cette date, PMS renvoie à la discussion de la question faite par le juge Roger T. Hughes dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada inc. c. Teva Canada Limited, 2013 CF 283 aux para. 179 à 188 (décision Zoledronate). La décision Zoledronate a été confirmée par notre Cour, qui n’a formulé aucun commentaire sur le caractère suffisant du brevet (2013 CAF 244). Le juge Hughes a examiné si le caractère suffisant d’un brevet devrait être déterminé à la date de dépôt, à la date de publication ou à la date de délivrance. Après avoir passé en revue la jurisprudence canadienne et britannique sur la question, il a exprimé une préférence pour la date de publication, en faisant valoir que « [c]’est la date à laquelle l’auteur de la demande de brevet a arrêté les revendications de l’invention et les a communiquées au public ».

[24] PMS reconnaît que le paragraphe 27(6) et l’article 38.2 de la Loi sur les brevets permettent que des modifications soient apportées à une demande de brevet avant que le brevet soit délivré afin que celui-ci satisfasse aux exigences pour être jugé valide. PMS note toutefois que, selon le paragraphe 38.2(2), de telles modifications ne peuvent « ajouter des éléments qui ne peuvent raisonnablement s’inférer des dessins ou du mémoire descriptif qui sont compris dans la demande à sa date de dépôt ». PMS affirme que l’introduction de nouvelles revendications qui définissent une invention qui n’avait pas été définie dans la demande initialement déposée est inadmissible, parce qu’une telle invention ne pourrait pas raisonnablement s’inférer de la demande déposée. Tout comme la Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S 153 (arrêt AZT), qu’il était injuste pour le public qu’une demande de brevet soit déposée sans que son utilité ait été démontrée ou ait été valablement prédite au moment du dépôt, de même PMS affirme qu’il est tout aussi injuste pour le public de déposer une demande de brevet qui ne décrit pas l’invention qui y est revendiquée.

[25] En l’espèce, PMS critique la Cour fédérale pour avoir évalué le caractère suffisant en se fondant sur les revendications du brevet 202 à sa date de délivrance (plutôt qu’à sa date de dépôt ou de publication) et pour l’avoir fait sans respecter le fondement de la décision Zoledronate ou sans tenir compte des exigences énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets dans le contexte du régime des brevets et du brevet 202.

[26] Je note tout d’abord qu’aucune interprétation contextuelle officielle du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets n’a été faite non plus dans la décision Zoledronate. Je note par ailleurs que les propos dans la décision Zoledronate, concernant la date pour juger du caractère suffisant, relèvent d’une observation incidente. Le brevet qui était en litige dans cette affaire avait été déposé avant l’adoption de la Loi sur les brevets de 1989, de sorte qu’il n’a été publié que lorsqu’il a été délivré. Il n’était donc pas nécessaire, dans cette décision, d’établir une distinction entre la date de publication et la date de délivrance.

[27] Je note par ailleurs que la jurisprudence britannique à laquelle renvoie le juge Hughes repose sur le libellé des lois sur les brevets en vigueur dans ce pays. Dans le cas du brevet 202, notre Cour doit se concentrer sur le libellé de la Loi sur les brevets du Canada et sur la jurisprudence canadienne. Je note en outre que le juge Hughes n’a pas invoqué la Loi sur les brevets ni quelque autre jurisprudence canadienne pour justifier le choix de la date de publication comme date pertinente pour juger du caractère suffisant. Il a plutôt décrit la date de publication comme étant la date à laquelle le demandeur communique pour la première fois au public les revendications qui définissent l’invention. Je ne vois pas pourquoi cette communication publique devrait servir de base à l’examen des revendications qui étaient toujours en instance plutôt que des revendications du brevet délivré.

[28] Il est toutefois un autre élément important qu’il convient de souligner et c’est que la décision Zoledronate n’est pas la seule décision où la Cour fédérale a commenté la question de la date pertinente pour juger du caractère suffisant du brevet. Dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., [1994] A.C.F. no 1898 (QL), 59 C.P.R. (3d) 133 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 115 à 120, le juge W. Andrew MacKay a passé en revue quelques-uns des mêmes éléments de la jurisprudence canadienne qui avaient été examinés dans la décision Zoledronate, et il a conclu que c’était le mémoire descriptif du brevet à la date de délivrance qui était pertinent. Il a expliqué que, tant qu’un brevet n’a pas été délivré, il s’agit simplement d’une demande en instance qui peut être modifiée. Dans la décision Zoledronate, le juge Hughes n’a pas tenu compte dans son analyse des commentaires du juge MacKay.

[29] Les deux parties mentionnent la déclaration suivante de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, 25 C.P.R. (3d) 257, p. 1638 (CSC) (arrêt Pioneer Hi-Bred) :

Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle-ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie (le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, à la p. 316). Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation (le juge Pigeon dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 RCS 555, à la p. 563; Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 RCS 1108, à la p. 1113), et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316).

[30] L’élément central qui ressort de cet extrait est que, pour respecter ses engagements, le titulaire du brevet doit présenter un mémoire descriptif qui permet à une personne versée dans l’art, après l’expiration du brevet, « d’utiliser l’invention, [...], avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande ». Rien n’indique que le mémoire descriptif doit satisfaire à cette exigence à la date de la demande et qu’on ne peut pas le modifier durant la poursuite de la demande du brevet afin de le rendre conforme. De même, nulle part dans le libellé de l’article 27, ni ailleurs dans la Loi sur les brevets, n’est-il indiqué que le mémoire descriptif du brevet ne peut être modifié durant la poursuite de la demande de brevet afin de satisfaire aux exigences quant à la suffisance de la divulgation. De fait, cette loi prévoit explicitement que des modifications peuvent être apportées dans les limites du paragraphe 27(6) et de l’article 38.2.

[31] Il est important d’établir une distinction entre la date pour juger du caractère suffisant et les revendications qui doivent être prises en compte à cette fin. Comme le souligne BMS, il est bien établi que d’autres questions liées à la validité du brevet sont déterminées à une date précédant la délivrance, mais ces décisions sont fondées sur les revendications du brevet délivré, et non sur les revendications dans leur forme à une date antérieure. À titre d’exemple, selon les articles 28.2 et 28.3 de la Loi sur les brevets, le caractère de la nouveauté et de l’inventivité d’une invention brevetée est généralement déterminé à la date de la revendication. Cependant, il ne fait aucun doute que ces éléments sont jugés en fonction des revendications du brevet délivré, et non des revendications qui étaient toujours en instance devant le Bureau des brevets à la date de la revendication. La même approche vaut pour l’évaluation de l’utilité, laquelle est établie à la date de dépôt (AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943 au para. 55), ainsi que pour l’interprétation les revendications, qui se fait à la date de publication (Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 au para. 31e)(ii)). Ces questions sont elles aussi examinées en fonction des revendications du brevet délivré.

[32] Même dans l’arrêt Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625 (arrêt Sildenafil), dans lequel le brevet en litige a été jugé non valide pour cause de divulgation insuffisante, c’est le mémoire descriptif au moment de la délivrance qui a été pris en compte, et non le mémoire descriptif dans sa forme à quelque date antérieure.

[33] Cette approche est conforme au libellé du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. PMS note que le paragraphe 27(3) énonce les critères que le « mémoire descriptif » doit respecter et fait valoir que le paragraphe 27(2) précise que c’est le mémoire descriptif tel qu’il était à la date de dépôt qui doit satisfaire à ces exigences. Un tel argument ne peut toutefois pas résister à un examen rigoureux. Premièrement, une telle interprétation aurait pour effet d’écarter le paragraphe 27(6), qui prévoit que des modifications peuvent être apportées pour satisfaire aux exigences relatives à la suffisance de la divulgation. Deuxièmement, il semble qu’un argument comparable pourrait être invoqué à l’appui des exigences en matière de nouveauté (le contraire de l’antériorité) et d’inventivité (le contraire de l’évidence). Les articles 28.2 et 28.3, qui abordent ces questions, renvoient tous les deux à « [l]’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ». L’argument de PMS selon lequel le caractère suffisant doit être déterminé en fonction du mémoire descriptif au moment du dépôt supposerait que l’antériorité et l’évidence devraient elles aussi être déterminées en fonction des revendications au moment du dépôt, puisque les dispositions pertinentes mentionnent « la revendication d’une demande ». Je ne vois aucune raison pour laquelle l’approche que PMS exhorte d’utiliser pour juger du caractère suffisant ne devrait pas elle aussi s’appliquer à l’évaluation de l’antériorité et de l’évidence. Cependant, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, il ne fait aucun doute que l’antériorité et l’évidence sont évaluées en fonction des revendications du brevet délivré, et non des revendications en instance avant la délivrance.

[34] Je suis d’avis que les réserves exprimées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt AZT, relativement aux demandes de brevet déposées avant toute démonstration ou prédiction valable d’utilité, ne s’appliquent pas de la même manière à la question du caractère suffisant de la divulgation. Au paragraphe 70 de l’arrêt AZT, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

[...] Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaire [dans laquelle l’invention est la découverte d’une nouvelle utilisation pour un composé connu], toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet [...]. [Italiques dans l’original.]

[35] Au paragraphe 80, en réponse à un argument de Glaxo/Wellcome selon lequel l’utilité du brevet devrait être établie à la date à laquelle le brevet est contesté, la Cour a écrit ce qui suit :

En toute déférence, j’estime que l’argument de Glaxo/Wellcome n’est conforme ni à la Loi (où la preuve de l’utilité requise n’est pas différée aléatoirement au moment où cette preuve pourrait être exigée) ni à la politique en matière de brevets (qui ne consiste pas à encourager l’accumulation de divulgations inutiles ou trompeuses). Si l’état du droit était différent, les grandes sociétés pharmaceutiques pourraient (sous réserve de considérations relatives aux coûts) adopter une approche tous azimuts en faisant breveter une multitude de composés chimiques à toutes sortes de fins souhaitables mais non réalisées, dans l’espoir que, comme à la loterie, un certain pourcentage des composés s’avéreront, par un heureux hasard, utiles aux fins revendiquées. Un tel système de brevets récompenserait la capacité de payer ainsi que l’ingéniosité des agents de brevets plutôt que celle des véritables inventeurs.

[36] Personne ne conteste devant notre Cour que BMS, en l’espèce, avait démontré l’utilité de l’apixaban avant la date de dépôt du brevet 202. L’utilité n’est pas en litige. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une demande de brevet conjecturale. De plus, le paragraphe 27(6) et l’article 38.2 de la Loi sur les brevets, bien qu’ils limitent les éléments qui peuvent être ajoutés à une demande de brevet par voie de modification, permettent néanmoins que des modifications soient apportées, et ce, sans imposer de limites quant à savoir si ces modifications pourraient étayer le caractère suffisant du mémoire descriptif.

[37] La véritable question en l’espèce devrait être de savoir si l’ajout de revendications propres à l’apixaban a introduit, dans le mémoire descriptif du brevet 202, de nouveaux éléments qui ne pourraient raisonnablement s’inférer de la demande à la date de son dépôt. PMS affirme que l’importance accordée à l’apixaban ne pouvait s’inférer de la demande comme elle a été déposée, car rien dans la demande initiale ne mettait l’apixaban au premier plan. Malheureusement, cette question précise n’a pas été débattue devant la Cour fédérale, qui n’a donc formulé aucune conclusion à ce sujet. BMS fait valoir que l’examen de cette nouvelle question ne devrait pas se faire pour la première fois en appel. La thèse de BMS semble avoir un certain fondement, puisque la Cour fédérale n’a commis aucune erreur alléguée dont notre Cour pourrait être saisie, et qu’il est difficile de savoir quels autres éléments de preuve ou arguments auraient pu être invoqués devant la Cour fédérale si cette question avait été soulevée. Quoi qu’il en soit, je ne serais pas porté à conclure que les revendications visant l’apixaban ne peuvent pas raisonnablement s’inférer de la demande initiale présentée pour le brevet 202. Il semble que la description de l’apixaban et de son mode de fabrication, à l’exemple 18, serait suffisante pour donner ouverture aux revendications s’y rapportant, malgré la vaste gamme de composés initialement revendiqués. Fréquemment, il arrive que soient déposées des demandes de brevet dans lesquelles sont revendiquées une vaste gamme de réalisations décrites dans la divulgation du brevet, et que cette gamme soit ensuite considérablement réduite avant la délivrance du brevet. La situation pourrait être différente si les revendications en litige concernaient un composé que BMS n’avait pas décrit dans la demande initiale, mais BMS s’est clairement concentrée (entre autres composés) sur l’apixaban avant la date de dépôt.

[38] En plus de prétendre que la demande initiale ne comportait pas de revendications propres à l’apixaban, PMS affirme également que le brevet 202 est insuffisant, car il ne divulgue aucune propriété particulière de l’apixaban par rapport aux autres composés couverts par le brevet 330, ce qui serait essentiel pour être un brevet de sélection valide. En l’absence d’une telle divulgation, affirme PMS, le public n’a rien obtenu en contrepartie d’un deuxième monopole sur l’apixaban. Je ne suis pas de cet avis. Ainsi que nous l’avons indiqué précédemment au paragraphe 15, le public a obtenu un inhibiteur du FXa efficace comme traitement des troubles thromboemboliques. Il n’existe aucune exigence selon laquelle le brevet de sélection doit mentionner, d’une manière précise, les avantages particuliers du brevet de sélection par rapport au brevet de genre. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a mentionné dans l’extrait de l’arrêt Pioneer Hi-Bred cité précédemment au paragraphe 29, il faut décrire l’invention et définir la façon de la produire ou de la construire. La Cour fédérale a conclu que ces exigences avaient été satisfaites et je ne relève aucune erreur de droit, ni erreur de fait ou erreur de droit et de fait manifeste et dominante, permettant à notre Cour d’infirmer cette conclusion.

D. Évidence du brevet 171

[39] J’examinerai maintenant les questions en litige relativement à la validité du brevet 171. La première question en litige est celle de l’évidence.

[40] L’article 28.3 de la Loi sur les brevets dispose de ce qui suit :

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

[…]

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.[Non souligné dans l’original.]

(b) information disclosed before the claim date … in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere. [Emphasis added.]

[41] Personne ne conteste le critère juridique que la Cour fédérale a appliqué pour évaluer l’évidence. Au paragraphe 120 de ses motifs, la Cour fédérale a défini en ces termes l’approche énoncée au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi :

Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelconque inventivité?

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour se prononcer sur l’évidence. [Souligné par la CSC.]

[42] Puis, dans les paragraphes suivants, la Cour suprême du Canada a décrit plus en détail la question de l’« essai allant de soi » en ces termes :

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

[68] Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

[69] Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci-après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[70] Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme de métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[43] Personne ne conteste non plus les renseignements dont la Cour fédérale a tenu compte pour évaluer l’évidence. De fait, PMS se fonde sur les connaissances générales courantes pertinentes énoncées au paragraphe 129 des motifs de la Cour fédérale, lesquelles comprennent les faits suivants :

  1. Les doses d’apixaban de 2,5 et 5 mg sont des médicaments de classe III dans le système de classification biopharmaceutique (le SCB), ayant une solubilité élevée et une faible perméabilité (ce qui signifie qu’elles sont absorbées lentement dans l’organisme, après leur dissolution);

  2. La dissolution du médicament ne devrait pas avoir d’incidence sur l’absorption des médicaments de classe III du SCB;

  3. La réduction de la taille des particules n’est pas une stratégie de formulation reconnue pour les médicaments de classe III du SCB comme l’apixaban;

  4. La vitesse de dissolution visée, pour qu’un médicament de classe III du SCB ait, de manière fiable, un comportement analogue à celui d’une solution, est nettement supérieure à celle revendiquée dans les revendications en litige du brevet 171.

[44] PMS note également que la Cour fédérale a accepté son résumé de l’approche adoptée par un formulateur dans le processus de développement d’un médicament (voir le paragraphe 126 des motifs). Cette approche consiste notamment à mener des études sur diverses caractéristiques du médicament, à considérer un comportement analogue à celui d’une solution comme étant idéal pour les comprimés à libération immédiate, à déterminer le point auquel le médicament devient une solution, à faire l’essai de différentes méthodes et de différents milieux, à évaluer des caractéristiques telles que la dissolution, l’absorption et la biodisponibilité tout au long du processus, ainsi qu’à ajuster la formulation proposée en fonction des résultats obtenus.

[45] De plus, PMS ne conteste pas, dans sa preuve principale, la description que fait la Cour fédérale de l’idée originale (à savoir que les comprimés, ayant les caractéristiques revendiquées quant à la taille des particules et à la vitesse de dissolution, ont un comportement cohérent analogue à celui d’une solution) ni les différences entre l’état de la technique et l’idée originale (aux paragraphes 131 à 138 des motifs de la Cour fédérale). La Cour fédérale a mentionné que BMS avait découvert le point auquel la dissolution des comprimés in vitro commençait à influer sur un indicateur de l’absorption de l’apixaban. Elle a aussi noté que BMS avait découvert quelles formulations faites de grosses particules d’apixaban donnaient une exposition moins qu’optimale.

[46] PMS affirme que la Cour fédérale, à la lumière des faits qu’elle considérait comme établis, aurait dû conclure que les revendications en litige du brevet 171 sont non valides pour cause d’évidence, car l’invention allait nécessairement de soi. PMS critique le quatrième volet de l’analyse de la Cour fédérale portant sur l’évidence, le jugeant incomplet et conjectural.

[47] Je reproduis ci-après la conclusion formulée par la Cour fédérale, aux paragraphes 139 et 140 de ses motifs, sur la question visant à savoir si les différences entre l’état de la technique et l’idée originale exigeaient un certain degré d’invention :

[139] Étant donné les différences significatives entre l’état de la technique concernant les médicaments de la classe III du SCB, comme l’apixaban, et les conclusions des inventeurs, qui leur étaient directement opposées, je n’hésite pas à conclure qu’un certain degré d’invention était nécessaire pour parvenir aux différences mentionnées ci-dessus.

[140] En outre, je n’hésite pas non plus à conclure que ce que BMS a fait n’allait pas de soi. Aux paragraphes 65 et 66 de l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a conclu que la notion d’« essai allant de soi » n’est applicable que lorsqu’il est très clair ou lorsqu’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux. Compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, je ne peux trouver aucun élément de preuve qui me convainc, selon la prépondérance des probabilités, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention, étant donné les différences entre l’invention et l’état de la technique.

[48] Bien que le paragraphe 139 n’explique pas plus en détail la conclusion selon laquelle « un certain degré d’invention était nécessaire » pour réaliser les formulations revendiquées, ce paragraphe s’appuie clairement sur l’analyse présentée dans les paragraphes qui le précèdent, notamment les conclusions énoncées aux paragraphes 43 à 45 précités. Lorsque les motifs sont lus dans leur ensemble, il appert que la Cour fédérale a bel et bien expliqué que les formulations revendiquées dans le brevet 171 sont inventives, car un formulateur qualifié mais non inventif de l’apixaban n’aurait pas pensé à réduire la taille des particules pour améliorer l’absorption du médicament ou à cibler la vitesse de dissolution beaucoup plus lente des revendications en litige.

[49] Il était loisible à la Cour fédérale d’en arriver à ces conclusions, et la description que la Cour fédérale a faite de l’approche qu’un formulateur serait censé prendre ne les exclut pas. Comme l’a souligné la Cour fédérale, même l’expert de PMS, M. Laskar, a admis qu’une personne versée dans l’art ne se serait pas attendue à obtenir une biodisponibilité accrue en réduisant la taille des particules d’un médicament de classe III du SCB, comme l’apixaban (voir le paragraphe 137 des motifs de la Cour fédérale), ou à observer un comportement analogue à celui d’une solution à une vitesse de dissolution beaucoup plus lente (voir le paragraphe 132 des motifs de la Cour fédérale). Je suis d’avis que ces résultats inattendus n’auraient pas nécessairement été révélés durant le processus de développement du médicament décrit au paragraphe 126 des motifs de la Cour fédérale. Cette description est suffisamment générale qu’il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un inventeur aurait fait abstraction des connaissances générales courantes et aurait pris des mesures qui aurait révélé l’idée originale.

[50] Je n’accepte pas l’argument de PMS selon lequel la Cour fédérale en l’espèce a commis la même erreur que celle décrite dans l’arrêt Tetra Tech EBA Inc. c. Georgetown Rail Equipment Company, 2019 CAF 203 (arrêt Tetra Tech). Au paragraphe 63 de l’arrêt Tetra Tech, notre Cour a conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de la manière dont une personne versée dans l’art aurait réagi aux antériorités. En l’espèce, la Cour fédérale a clairement pris en compte ce qu’une personne versée dans l’art aurait, et n’aurait pas, envisagé et ce que cette personne aurait fait.

[51] De même, les conclusions formulées par la Cour fédérale au paragraphe 145 de ses motifs en regard de l’insuffisance et de la portée excessive – à savoir qu’aucun élément de preuve ne démontre que les essais requis pour exploiter l’invention dépassaient le cadre des essais et des expériences de routine – ne contredisent pas ses conclusions sur l’inventivité. Le caractère ordinaire des essais requis pour exploiter une invention, après que celle-ci a été définie, n’est pas nécessairement déterminant de l’évidence de l’invention proprement dite.

[52] De plus, je ne suis pas d’avis que le passage « je ne peux trouver aucun élément de preuve », au paragraphe 140 des motifs de la Cour fédérale, va à l’encontre de l’analyse précédant ce paragraphe (comme l’affirme PMS). La Cour fédérale ne faisait pas référence à une absence totale de preuve, mais plutôt à l’absence d’éléments de preuve pouvant la convaincre, « selon la prépondérance des probabilités, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention [...] ». Il était loisible à la Cour fédérale de parvenir à cette conclusion.

[53] Quant à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’invention du brevet 171 n’allait pas de soi, PMS affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en définissant le critère juridique qui s’applique. PMS critique plus précisément la déclaration, au paragraphe 140 des motifs, selon laquelle « la notion d’”essai allant de soi” n’est applicable que lorsqu’il est très clair ou lorsqu’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux ». À cet égard, PMS invoque les motifs que j’ai exposés au paragraphe 90 de l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 (arrêt Hospira), et qui sont rédigés comme suit :

Il convient de mentionner que, tandis qu’aller « plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention » (voir Sanofi, au paragraphe 66) est une exigence pour l’essai allant de soi, être « plus ou moins évident que l’essai sera fructueux » (voir Sanofi, au paragraphe 69) n’est pas une exigence, mais simplement un facteur à prendre en considération.

[54] PMS soutient que la Cour fédérale a interprété, à tort, l’expression « plus ou moins évident que l’essai sera fructueux » comme étant une exigence, plutôt que comme un de plusieurs facteurs devant être pris en compte.

[55] Je ne crois pas que la Cour fédérale a commis une erreur sur ce point, et ce, pour deux raisons principales. La première est que la Cour fédérale n’a pas fait d’erreur en citant l’extrait de l’arrêt Sanofi. Bien que la Cour suprême du Canada ait indiqué, au paragraphe 66, que l’expression « il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention » devrait être considérée une exigence et, au paragraphe 69, que l’expression « plus ou moins évident que l’essai sera fructueux » devrait être considérée comme un facteur, elle a donné des signaux contradictoires sur ce point (voir mon propos dans l’arrêt Apotex Inc. c. Janssen Inc., 2021 CAF 45, au para. 36). Au paragraphe 65, la Cour suprême a déclaré que « la notion d’”essai allant de soi” n’est applicable que lorsqu’il est très clair ou, [...], qu’il est plus ou moins évident, que l’essai sera fructueux ». Et c’est ce qu’a déclaré la Cour fédérale dans l’extrait contesté figurant au paragraphe 140. Il convient également de mentionner que, plus loin dans le même paragraphe, la Cour fédérale a mentionné, à juste titre, l’exigence selon laquelle « il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention ».

[56] La deuxième raison pour laquelle je ne crois pas que la Cour fédérale a commis une erreur concernant la notion de l’essai allant de soi est qu’elle a dûment tenu compte des autres facteurs pertinents (mentionnés précédemment au paragraphe 42), bien qu’elle ne les ait pas désignés comme tels. La Cour a mentionné qu’il avait fallu près de sept ans pour développer la formulation brevetée (voir le paragraphe 6 des motifs) et elle a rejeté l’argument de PMS selon lequel BMS avait fait un historique révisionniste de l’invention (voir le paragraphe 125 des motifs). Il semble également que la Cour fédérale ait compris l’importance vitale de trouver une formulation pratique de l’apixaban afin d’en faire un produit commercial, et elle a mentionné que les connaissances générales courantes allaient en direction opposée de l’approche décrite dans le brevet 171.

[57] PMS affirme, subsidiairement, que la Cour fédérale a commis une erreur en définissant l’idée originale du brevet 171. PMS fait plus précisément valoir ce qui suit :

[traduction]

  1. L’idée originale devrait être définie par le texte des revendications (arrêt Hospira au para. 94), mais la mention d’un comportement analogue à celui d’une solution dans la définition de l’idée originale, au paragraphe 130 des motifs de la Cour fédérale, n’est pas corroborée par les revendications en litige;

  2. Une seule idée originale générale devrait lier toutes les revendications d’un brevet (arrêt Sildenafil au para. 64, Apotex Inc. c. Shire LLC, 2021 CAF 52 (arrêt Shire) aux para. 77 et 86); or, la revendication 2 du brevet 171 (qui n’est pas en litige) ne prévoit aucune limite quant à la vitesse de dissolution.

[58] J’estime qu’aucun de ces arguments n’est fondé. En ce qui concerne le premier argument, je rejette l’observation selon laquelle la Cour fédérale a introduit à tort un comportement analogue à celui d’une solution dans l’idée originale. Au paragraphe 130 de ses motifs, la Cour fédérale a conclu que l’idée originale du brevet 171 est son enseignement selon lequel, si la taille des particules ne dépasse pas celle qui y est définie et que la vitesse de dissolution est au moins égale à celle qui y est définie, « alors les comprimés fourniront des expositions cohérentes analogues à une solution ». J’interprète l’expression « expositions […] analogues à une solution » comme un énoncé justifiant l’utilité de l’idée originale, et non comme un élément distinct de cette idée. Au paragraphe 127 de ses motifs, la Cour fédérale a mentionné l’observation de BMS voulant que, « [s]i vous fabriquez ces comprimés de la manière indiquée dans le brevet 171, vous êtes assuré d’obtenir des comprimés qui fournissent des expositions cohérentes analogues à une solution ». Rien dans l’analyse de la Cour fédérale n’indique qu’elle a interprété le comportement (ou l’exposition) analogue à celui d’une solution comme étant un élément distinct de l’idée originale.

[59] Quant au deuxième argument subsidiaire concernant l’idée originale, la jurisprudence invoquée par PMS montre clairement que différentes revendications peuvent correspondre à différentes idées originales : voir l’arrêt Sildenafil, au para. 64, l’arrêt Shire, au para. 87. Par conséquent, je juge que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en concluant que la vitesse de dissolution était un élément de l’idée originale des revendications en litige du brevet 171, même si cet élément est omis d’une autre revendication. De fait, la Cour fédérale aurait commis une erreur si elle n’avait pas intégré la vitesse de dissolution dans l’idée originale, lorsqu’elle a examiné les allégations d’évidence des revendications en litige, puisque la vitesse de dissolution est l’un des éléments explicitement définis dans ces revendications.

E. Ambiguïté du brevet 171

[60] Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets dispose que « [le] mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif ».

[61] L’invalidité pour cause d’ambiguïté repose sur le fait que le brevet doit aviser comme il se doit le public quant aux activités revendiquées comme étant exclusives au breveté : Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. c. M-I LLC, 2021 CAF 24 au para. 121. Une revendication peut être jugée non valide pour cause d’ambiguïté si elle est rédigée d’une manière ambiguë ou obscure qui aurait pu être évitée : Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc., [1995] A.C.F. n1005 (QL), 61 C.P.R. (3d) 499 au para. 31 (CAF). Cependant, la revendication ne sera vraisemblablement pas jugée invalide si la phrase en litige « peut être interprétée à la lumière des règles grammaticales et du bon sens » : Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc., [1995] A.C.F. no 1243 (QL) au para. 23, 63 C.P.R (3d) 473 au para. 22 (CAF). Une revendication est ambiguë si elle peut être interprétée de plus d’une manière, de sorte qu’il serait impossible pour la personne versée dans l’art d’en connaître à l’avance la portée exacte : Apotex Inc. c. Hoffmann-La Roche Ltd., [1989] A.C.F. no 321 (QL) au para. 21, 24 C.P.R. (3d) 289, p. 299 (CAF). Cependant, une revendication n’est pas invalide du simple fait qu’elle n’est pas un modèle de concision et de clarté : Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp., 2016 CF 883 au para. 137; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725 au para. 52; Letourneau c. Clearbrook Iron Works Ltd., 2005 CF 1229 au para. 37.

[62] PMS fait valoir, comme elle l’avait fait à la Cour fédérale, que les revendications en litige du brevet 171 sont invalides pour cause d’ambiguïté, parce qu’elles définissent la taille des particules comme étant « mesurée par diffusion de la lumière laser », sans préciser si la méthode de dispersion utilisée à cette fin devrait être une méthode par voie humide ou par voie sèche. Elle soutient que les résultats seraient différents, selon la méthode utilisée.

[63] La Cour fédérale a invoqué les propos de l’expert de Sandoz, M. Kibbe, pour conclure qu’un formulateur saurait comment mesurer la taille des particules (voir le paragraphe 151 des motifs). La Cour fédérale a aussi invoqué le témoignage de l’expert de BMS, M. Davies, pour conclure que, si le tout est fait correctement, il n’y a aucune différence entre les méthodes de dispersion par voie humide et par voie sèche (voir le paragraphe 152 des motifs). PMS conteste la manière dont la Cour fédérale a interprété le témoignage de M. Davies, indiquant que ce dernier a simplement déclaré que les résultats obtenus par la méthode de dispersion par voie humide sont bien corrélés avec ceux obtenus avec la méthode par voie sèche.

[64] En plus de soulever la question de savoir si la Cour fédérale a mal cité M. Davies, PMS affirme également que la Cour fédérale a mal évalué l’ambiguïté en se demandant si la personne versée dans l’art pourrait exploiter l’invention (ce qui est utile pour évaluer le caractère suffisant mais non l’ambiguïté). Enfin, PMS affirme que la Cour fédérale a conclu, à tort, que les revendications prévoyaient l’utilisation de la méthode de dispersion par voie humide alors qu’aucune restriction en ce sens n’y figure.

[65] Je ne crois pas que la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse de l’ambiguïté. Il est vrai que l’extrait du témoignage de M. Davies auquel renvoie la Cour fédérale n’établit pas clairement qu’il n’existe aucune différence entre les méthodes de dispersion par voies humide et sèche. M. Davies a toutefois déclaré qu’un formulateur versé dans l’art saurait que la dispersion par voie sèche pourrait causer l’attrition des particules (ce qui pourrait fausser les résultats), et que l’utilisation de la dispersion par voie humide réduirait probablement ce risque. Il a aussi souligné l’importance d’utiliser de façon précise la méthode de dispersion par voie sèche et déclaré que l’une ou l’autre des méthodes de dispersion (par voie humide ou sèche) pourrait être utilisée (voir le paragraphe 68 du mémoire des faits et du droit de BMS concernant le brevet 171).

[66] La Cour fédérale a également conclu qu’un formulateur versé dans l’art, ayant des doutes quant à la méthode à utiliser, consulterait le brevet 171 et verrait que celui-ci décrit l’utilisation de la dispersion par voie humide; il utiliserait donc cette méthode (voir le paragraphe 152 des motifs). Il était loisible à la Cour fédérale d’en arriver à cette conclusion puisqu’il existait des éléments de preuve à l’appui.

[67] Les paragraphes qui précèdent permettent de réfuter intégralement l’allégation voulant qu’un formulateur versé dans l’art ne serait pas en mesure de déterminer si un comprimé relevait des revendications en litige.

[68] De même, je ne crois pas que la Cour fédérale a commis une erreur en évaluant l’ambiguïté en fonction de la question de savoir si la personne versée dans l’art pourrait exploiter l’invention, ou en concluant que les revendications prévoyaient l’utilisation de la méthode de dispersion par voie humide. La Cour fédérale a clairement compris que les revendications prévoient une mesure par diffusion de la lumière laser, en utilisant la méthode qui donnera des résultats exacts. Elle a aussi compris que la méthode de dispersion par voie humide était plus susceptible de donner des résultats exacts, sans pour autant limiter les revendications à cette méthode. La discussion de la Cour fédérale sur la méthode appropriée de dispersion visait à déterminer si une personne pourrait savoir si un comprimé relève des revendications en litige. Tout chevauchement avec les questions portant sur la manière d’exploiter l’invention est accessoire et n’indique pas que la Cour fédérale a commis une erreur de droit.

F. Portée excessive du brevet 171

[69] L’argument invoqué par PMS pour justifier la portée excessive du brevet 171 est quelque peu ambigu. Dans une lettre datée du 17 juin 2022, rédigée à la suite de l’abandon des appels par Sandoz, les parties ont confirmé que PMS n’invoquerait pas les arguments que seule Sandoz avait formulés. Or, comme les observations sur la portée excessive du brevet 171 que PMS a formulées au paragraphe 125 de son mémoire des faits et du droit se limitent aux arguments invoqués par Sandoz, il semblerait à première vue que PMS ne souhaite plus soulever cette question. Cependant, il est également indiqué dans la même lettre que la portée excessive est l’un des motifs toujours invoqués pour justifier l’invalidité du brevet 171.

[70] PMS n’a pas traité de cette question dans sa plaidoirie, sauf pour confirmer qu’elle est toujours en litige. Par conséquent, je concentrerai mon analyse sur les arguments invoqués par Sandoz aux paragraphes 74 à 78 de son mémoire des faits et du droit. L’argumentation repose essentiellement sur le fait que des facteurs autres que la taille des particules influent sur la vitesse de dissolution, mais que le brevet 171 ne divulgue pas quels sont ces autres facteurs. Sandoz faisait valoir que les revendications en litige sont invalides pour cause de portée excessive, car le seuil de la vitesse de dissolution n’est qu’un simple résultat souhaité qui ne se limite pas à l’invention et à ce qui a été divulgué.

[71] Tout d’abord, je rejette l’argument voulant que la vitesse de dissolution soit le résultat souhaité. Ainsi qu’il a été clairement indiqué dans le brevet 171 et par la Cour fédérale, le résultat souhaité est d’obtenir un comportement analogue à celui d’une solution dans l’organisme. Les revendications prévoient des seuils relatifs à la taille des particules et à la vitesse de dissolution qui, selon ce qu’ont découvert les inventeurs, peuvent garantir un comportement analogue à celui d’une solution. Il n’était nullement nécessaire que le brevet 171 décrive des facteurs autres que la taille des particules qui pourraient influer sur la vitesse de dissolution, à moins que le lecteur versé dans l’art n’ait eu besoin de cette information pour exploiter l’invention. PMS ne semble pas faire valoir que le lecteur versé dans l’art ait eu besoin de cette information. De plus, il semble qu’une telle lacune, si elle était présente, se rapporterait davantage au caractère suffisant du brevet 171 qu’à sa portée excessive.

V. Conclusion

[72] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais les appels de PMS, le tout avec dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-31-21 et A-32-21

 

DOSSIER :

A-31-21

 

INTITULÉ :

PHARMASCIENCE INC. c. BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. et BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND, UNLIMITED COMPANY

 

ET DOSSIER :

A-32-21

 

INTITULÉ :

PHARMASCIENCE INC. c. BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO., BRISTOL-MYERS SQUIBB HOLDINGS IRELAND, UNLIMITED COMPANY et PFIZER INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MONAGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 4 août 2022

COMPARUTIONS :

Kavita Ramamoorthy

Neil Fineberg

Ben Wallwork

Belle Van

 

Pour l’appelante

 

Steven G. Mason

David A.Tait

Sanjaya Mendis

James S.S. Holtom

Laura E. MacDonald

 

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fineberg Ramamoorthy, SE.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimées

 

 

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